1666-1670.
Au temps des premières amours de Louis XIV et de
mademoiselle de La Vallière,
la confidente des mystérieuses entrevues avait été une de ses jeunes amies,
comme elle fille d'honneur de Madame ; elle se nommait Athénaïs de
Tonnay-Charente[1],
son origine était plus élevée que celle de mademoiselle de La Vallière, sa beauté
plus éclatante ; son père était Gabriel de Rochechouart, premier duc de
Mortemart[2]. Athénaïs de
Tonnay-Charente avait surpris les amours du roi avec mademoiselle de La Vallière, ce secret la
mit dans la plus haute confidence. En 1663, le roi lui-même la maria avec
Henri-Louis de Pardaillan de Gondrin, marquis de Montespan, d'une illustre
race de Gascogne, gentilhomme d'honneur de Monsieur, mariage tout à fait
assorti ; la nouvelle marquise de Montespan fut nommée dame d'honneur de la
reine. La plus grande intimité avait toujours régné entre la duchesse de La Vallière et la marquise
de Montespan, bonnes amies de couvent et des appartements de Madame ; la
marquise avait cet esprit vif, pénétrant, dont on faisait honneur aux
Mortemart avec les habitudes médisantes et caustiques ; aucun ridicule ne lui
échappait ainsi qu'à son frère, le duc de Vivonne[3], et à ses sœurs
Gabrielle, marquise de Thiange[4], et Madeleine,
abbesse de Fontevrault : quand le roi allait visiter la duchesse de La Vallière, il y trouvait
assidue la marquise de Montespan qui l'amusait beaucoup par ses propos ;
Louis XIV aimait les anecdotes médisantes sur ses gentilshommes, ses
courtisans, et Ton appelait passer par les armes de madame de Montespan, ces
façons un peu impertinentes : souvent la figure collée aux glaces extérieures
du château de Saint-Germain, madame de Montespan disait des mots spirituels
sur chacun des gentilshommes groupés autour de la terrasse. Les Mortemart
excellaient dans l'art de peindre les caricatures ; vivant contraste avec la
douce et monotone bonté de la duchesse de La Vallière.
Louis XIV avait ainsi pris un certain goût pour la
marquise. Les habitudes du roi étaient compassées, régulières, et il aimait à
trouver ses plaisirs sous la main ; il n'avait pas de grands scrupules de
fidélité : la marquise de Montespan, si assidue auprès de mademoiselle de La Vallière, était belle,
d'un port splendide, avec des façons de reine. Le pamphlet qu'on attribue à
Bussy-Rabutin dit de madame de Montespan[5] : Elle passait pour une des plus belles personnes du monde,
cependant elle avait encore plus d'ornement dans l'esprit que dans le visage
; toutes ces qualités étaient effacées par les défauts de l'âme qui était
accoutumée aux plus indignes fourberies, tellement que le vice ne lui coûtait
plus rien. Ce portrait, il faut le dire, est toujours à la façon de
Rabutin, le médisant de ce siècle, le précurseur de Saint-Simon. Il ne faut
pas croire non plus, comme il le rapporte, qu'elle
n'avait désiré d'être mariée que pour prendre ressort ; que la jeune marquise
de Montespan avait essayé d'abord d'attacher Monsieur à son char, et que
n'ayant pas réussi, à cause de l'étrange attachement de Monsieur pour le
chevalier de Lorraine, elle avait tourné ses ambitions vers le roi.
Les admirateurs de madame de Montespan disent à leur tour : Que ce fut malgré elle que son cœur fut entraîné vers
Louis XIV, qu'elle en avait prévenu son mari, pour lui demander à fuir la
cour, car il en était encore temps[6].
La vérité est dans le milieu de ces opinions ; je rappelle
les habitudes du roi, qui aimait à trouver sans peine, à coté des favorites
reconnues, d'autres conquêtes, dans le même salon, fauteuil contre fauteuil ;
la duchesse de La Vallière
et la marquise de Montespan étaient deux amies ; le roi ne sortait pas de ses
habitudes, mœurs étranges condamnées par la morale, mais qu avaient
autorisées et secondées la tendance des esprits, la poésie, la littérature.
On avait alors les yeux portés sur les cours d'Orient ; les mœurs du sérail
et de Rome païenne, sous les Césars, respiraient dans les œuvres de l'esprit,
au mépris des dogmes chrétiens relégués dans la chaire : de temps à autre,
quelques paroles sévères venaient rappeler le roi au devoir, bientôt oublié
après les saints jours de carême et de Pâques. Il ne suffisait pas à Louis
XIV de secouer les lois de la famille, il ne craignait pas pour satisfaire sa
coupable passion d'exiler le mari, le marquis de Montespan, qui, tout en
deuil, pleurait sa femme : le roi croyait qu'il pouvait tout dans cet Olympe
qu'on appelait la cour. Boileau, Molière, Racine, ces grands flatteurs,
faisaient l'éducation des courtisans. Ils leur apprenaient, que le jeune et vaillant héros pouvait tout, à l'égal et à
l'exemple des dieux[7].
L'amour du roi pour madame de Montespan marquait une
nouvelle période dans le règne de Louis XIV, cette de la monarchie absolue ;
il n'y a plus ni débris, ni souvenirs de la Fronde reléguée au Marais ; les héros de ce
temps étaient dispersés ou morts : le coadjuteur cardinal de Retz se
condamnait à la retraite la plus obscure pour payer ses dettes, et il ne
trouvait de consolation que dans quelques amis dévoués et la marquise de
Sévigné, sa parente[8]. Il écrivait
alors ses mémoires, le souvenir au cœur, le regret profond dans rame : quand
une cause qu'on a aimée est perdue, on se console en décrivant les temps
auxquels on a été mêlé ; doux retour vers la jeunesse et la fraîcheur de ses
idées ; la solitude se pare de ces souvenirs, et la vie ainsi se renouvelle.
Le cardinal de Retz écrivait donc ses mémoires, tandis que le duc de Beaufort
allait combattre les Turcs sur un lointain rivage, au service de la
sérénissime république de Venise[9]. Le nouveau
système de Louis XIV ne laissait plus assez de place à ces esprits libres,
aventureux, auxquels il fallait le grand air des agitations publiques ; les
hommes ardents vont se faire tuer au loin, quand la patrie n'est plus sous
les étreintes fiévreuses de la guerre civile.
La Fronde
même modérée avait perdu la voix sous la main puissante, qui créait la
monarchie orientale : si Louis XIV en avait pu effacer le souvenir sur chaque
pierre de Paris, il l'aurait fait ; delà ses répugnances pour l'esprit de
ruelle, pour la petite coterie dont Ninon de l'Enclos était l'âme ; il savait
que de là venaient les jeux de mots redoutés, les oppositions de toute espèce
contre les actes de son règne, les courtisans, et les royales habitudes ;
Ninon de l'Enclos avait connu presque tous les personnages qui depuis
s'étaient fait les courtisans du règne de Louis XIV[10], hommes et
femmes ; elle savait les infirmités de leur esprit, leurs faiblesses de cœur
: il y a souvent dans la vie, des souvenirs du passé qui pèsent beaucoup sur
le présent, et Ninon de l'Enclos savait prodigieusement de ces secrets. A la
tête de cette école d'Épicure, plus puissante qu'on ne croit au XVIIe siècle,
Ninon enseignait le matérialisme : avec des façons
capables de faire frémir[11].
C'était autant pour fuir les tristesses du temps, que pour
combattre les tendances de la philosophie, que s'était fondée la savante
colonie de Port-Royal. Il faut constater cet entraînement des âmes ; après
les grandes déceptions, il faut la solitude, le désert : Port-Royal fut la Thébaïde de la Fronde, à côté de Paris
agité, mais une Thébaïde rancuneuse, intrigante, affectant d'adorer l'écho,
et se mêlant sans cesse au bruit du monde, par les écrits, les querelles, les
oppositions ; solitaires bruyants, austères brouillons, qu'il fallait tôt ou
tard briser, pour rendre la paix à l'Église et à la France ; Nicolle, Pascal
et leurs pieux compagnons jetteront plus de troubles que de lumières dans le
dogme ; déistes déguisés, ils s'abîmaient dans le doute, et tendaient la main
aux réfugiés de Hollande : si Pascal prouvait l'existence de Dieu par une magnifique
logique, il troublait l'unité de l'Église par ses doutes, ses sarcasmes, ses
injustices, ses calomnies et ses mensonges d'érudit.
Les amours de Louis XIV pour mademoiselle de La Vallière, je dois le
dire, étaient encore de la
Fronde : elles se rattachaient à Saint-Germain, à la
minorité, à la régence d'Anne d'Autriche, aux filles d'honneur de la reine et
de madame Henriette d'Angleterre, aux mousquetaires, aux libres allures de
celte cour moitié frondeuse. Avec les amours du roi pour madame de Montespan,
la monarchie de Louis XIV allait commencer une nouvelle époque, celle du
régime absolu, magnifique, oriental : plus d'obstacles désormais à la volonté
du roi ; toutes les bouches devaient chanter son éloge ; il pourrait oser ses
caprices les plus effrénés, les actes les plus contraires aux lois,
l'adultère public, la vie commune avec des maîtresses mariées. Partout il
trouvait des flatteurs, des poètes, des peintres, pour diviniser ses
passions, comme celles des rois à Babylone : il était Jupiter, Apollon, le
soleil sur son char, suivi des heures obéissantes.
Pour dompter de telles passions, les jansénistes du
Port-Royal étaient impuissants parce qu'ils étaient durs, inflexibles ; les
jésuites seuls pouvaient assouplir un tel caractère : car, pour se faire
écouter, il fallait que la voix fût douce et qu'elle put même caresser
l'idole, pour plus tard l'abaisser devant les lois de Dieu et la morale
chrétienne.
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