1664-1665. La situation particulière et délicate de mademoiselle de A l'imitation des héros des grands romans, Louis XIV voulut
donner un carrousel ou tournois galant en l'honneur de sa dame. Catherine de
Médicis[2] avait mis à la
mode ces passes d'armes et d'adresse qui succédaient aux sanglants tournois
du moyen-âge. Plusieurs carrousels s'étaient accomplis déjà à Le 5 juin 1662, on vit se déployer sur cette place,qui
prit le nom de Carrousel, en présence
de la reine-mère Anne d'Autriche et de la jeune reine infante Marie-Thérèse,
femme de Louis XIV, cinq quadrilles formés de nations diverses. — L'artiste
qui a tracé le dessin n'a pas manqué de placer parmi les filles d'honneur de
Madame la figure très-saisissante de mademoiselle de Le château est au fond de la scène, qui se déployé au
milieu des estrades et des tentures ; les costumes des quadrilles, riches et
splendides, sont un peu bizarres ; des turbans, des plumes sur les casques,
pour désigner chaque nationalité. Les traditions des beaux costumes Louis
XIII se perdaient déjà ; rien n'était pourtant plus hardi, plus parfait, sous
le dernier roi, que ce chapeau gris a plumes flottantes, ce juste-au-corps
pimpant, ce petit mantelet de velours, ces gantelets de buffle et ces longues
rapières qui donnaient à chaque gentilhomme un air de capitan vainqueur sur
les galères de Malte, que Gallot a si bien saisi et reproduit[4]. Ce fut la reine
infante qui donna les prix d'honneur : le comte de Sault, digne fils, de Lesdiguières,
fut couronnée par la main de Marie-Thérèse avec une grâce et une modestie
charmantes. Le prix de la course des têtes (un
beau nœud de diamants) fut attaché par Anne d'Autriche au marquis de
Bellefond. Tout se passa dans les formes de la plus stricte galanterie, à la
façon espagnole. Si le roi témoignait la plus vive passion pour mademoiselle
de Versailles n'existait point encore avec ses vastes
bâtiments, ses riches harmonies, lorsqu'au mois de mai de l'année 1664, le
roi voulut y donner une fête en l'honneur de mademoiselle de Dans ce rendez-vous de chasse, témoin de ses amours, le
roi voulut que tout rappelât mademoiselle de Ces fêtes de Versailles, destinées à célébrer les amours
du roi et de mademoiselle de La première journée se passa tout entière on carrousel,
présidé par la reine Marie-Thérèse ; mais mademoiselle de Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvements Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentiments, Le chagrin des vieux Jours ne peut aigrir mon âme Contre les doux transports de l'amoureuse flamme, Et, bien que mon sort touche à ses derniers soleils, Je dirai que l'amour sied bien à vos pareils ; Que ce tribut qu'on rend aux traits d'un beau visage De la beauté d'une âme est un vrai témoignage. Et qu'il est mal aisé, que sans être amoureux Un jeune prince soit et grand et généreux. C'est une qualité que j'aime en un monarque, La tendresse du cœur est une grande marque Que d'un prince à votre âge, on peut tout présumer Dès qu'on voit que son &me est capable d'aimer. Oui, cette passion, de toutes la plus belle Traîne dans son esprit cent verras après elle, Aux nobles actions elle pousse les cœurs Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs[11]. En courtisan habile, mais peu scrupuleux, Molière
justifiait, glorifiait les amours de Louis XIV avec mademoiselle de Un bruit vient cependant se répandre à ma cour Le célèbre mépris qu'elle fait de l'amour, On publie en tous lieux que son âme hautaine Garde pour l'hyménée une invincible haine. Et qu'un arc à la main, sur l'épaule un carquois Comme une autre Diane, elle hante les bois. N'aime rien que la chasse, et de
toute Fait soupirer en vain l'héroïque Jeunesse. Le roi aimait à proclamer les tendres résistances de
mademoiselle de Le roi était à une époque de jeunesse, de passions et
d'oubli des devoirs. La cour de France était en désaccord avec le souverain
pontife à l'occasion d'une dispute des valets du duc de Créqui, ambassadeur
de France à Rome, avec la garde Corse du souverain pontife ; Louis XIV venait
injustement de saisir le comtat d'Avignon, acte de violence du fort contre le
faible. Haute vaillance en vérité, pour des gentilshommes que d'expulser du
Comtat quelques Suisses, pacifiques gardes du prolégat ! Le souverain
pontife, menaçait le roi d'une excommunication majeure, et c'était dans ces
circonstances favorables à toute guerre contre l'église, que Molière écrivit
son premier acte de Tartufe. Le chef de la troupe des Béjards encore
tout rempli des enseignements épicuriens, reçu chez Gassendi avec ses amis
Chapelle, d'Assoucy, gardait au fond de l'âme le dédain de l'église : sous le
masque d'un faux dévot, Molière calomniait la dévotion tout entière.
Appartenait-t-il bien au directeur d'une troupe de baladins, de définir et de
distinguer les caractères de la vraie et de la fausse dévotion T Ces scènes
de paillardises immondes de Tartufe avaient été conçues sans doute, au
cabaret de Louis XIV s'opposa d'abord à la représentation publique de
Tartufe ; la pieuse Anne d'Autriche, avait encore assez de puissance
morale sur son fils, pour lui faire comprendre que cette déclamation monotone
contre la piété affectée, cachait un dessein perfide contre la religion tout
entière. Sous le masque du Tartufe, on pouvait voir l'homme pieux qui scrupuleusement
remplissait ses devoirs ; et sous les plis de ce manteau de bure, on raillait
le vrai dévot de Et je vous verrais nu du haut jusques en bas Que toute votre peau ne me tenterait pas. Tous les caractères reproduits par le Tartufe étaient faux ou ridicules ; et ce père qui ne voit, qui ne pense que par Tartufe, et cette scène ou le bonhomme ne s'informe que de Tartufe, quand sa femme ou sa fille souffrent et que sa maison s'agite, et cet odieux caractère de Tartufe préparant la honte, l'adultère avec le sang froid d'un scélérat, et ce dénouement de Scapin accompli sous une table ! des vers transformés en ennuyeuses sentences, sans action, sans intrigue. Cette pièce ne pouvait se sauver que par son but politique qui était de servir les passions de Louis XIV. Le roi commençait une vie scandaleuse qui pouvait mériter les censures morales de l'Église ; Molière attaquait cette église sous le masque d'un faux dévot : Le roi applaudissait parce qu'il avait besoin qu'une dévotion facile jetât un voile sur ses scandales, et couvrit ses désordres ! |
[1]
Les poètes du jeune roi étaient Benserade, Dangeau, ce qui créa leur faveur. Il
y avait aussi un valet de chambre du roi qui faisait des divertissements en
vers sur les amours du roi et de mademoiselle de
[2] Voyez ma Catherine de Médicis.
[3] La place a retenu le nom de Carrousel : le château des Tuileries était alors d'une architecture florentine, qui n'avait pas été gâtée par les pavillons de Flore et de Marsan. En général, l'art Louis XIV a grandi les résidences royales, mais il ne les a pas embellies.
[4]
La collection de gravures de
[5] Collection de gravures 1662 (Bibliothèque impériale).
[6] Gazette de France 1863.
[7] Cabinet des estampes (Bibliothèque impériale 1664.)
[8] Molière prenait le titre de chef de la troupe des comédiens de Monsieur. Sur l'état général des officiers, domestiques et commensaux du roi, on trouve parmi les tapissiers de Sa Majesté : Jérôme Poquelin (et Jean, son fils en survivance) à 300 liv. par an.
[9] Bibliothèque impériale. (Recueil des estampes, 1663). Gazette de France, ibid.
[10]
[11] Ces vers de Molière sont imités de don Japhet d'Arménie, de Scarron.
[12] C'était la copie de la description donnée par le Boiardo dans le Roland inamarato.
[13] Cabaret célèbre :
Lieu propre à se casser le cou
Tant la montée en est vilaine.
Il n'est pas exact de dire que Molière resta toujours sobre :
Molière que bien vous connaissez
Et qui vous a si bien farcés,
Messieurs les coquets, les coquettes,
Le suivait et souvent assez
Pour vers le soir être en goguette.