1656-1660. L'institution des filles d'honneur de la reine se
rattachait à Catherine de Médicis, à cette pensée d'apaisement des partis,
qui avait absorbé toute la vie de la reine-mère. Au milieu des ravages de la
guerre civile, ces jeunes filles devaient apparaître pour calmer les
violences, préparer de douces distractions à ces cœurs, ivres de passions et
de sang[1]. La coutume s'en
était maintenue sous les Valois, la race élégante ; Marie de Médicis l'avait
remise en honneur sous Henri IV, le roi au pourpoint troué, gentilhomme de
Béarn, avec si peu de soin de sa personne ; Anne d'Autriche, la mère de Louis
XIV, venait de donner une nouvelle vie à l'institution des filles d'honneur,
car la coutume espagnole plaçait à coté de chaque princesse, las ninas donor, doux nom, institution pure qui
confiait les filles de races royales à la garde de toutes les chastetés de Cette institution couronnait si bien la majesté du trône,
que les princesses de sang royal avaient aussi leurs filles d'honneur ; et
l'on citait pour leur grâce, pour leur beauté, les filles d'honneur de
Madame, la femme de Philippe de France, duc d'Orléans, frère unique du roi[3]. Parmi les plus
gracieuses avait été mademoiselle de Lafayette, si aimée et si
chaleureusement respectée par le plus fier, le plus honnête, le plus brave
des rois, Louis XIII ; car en son cœur étaient toutes les noblesses, toutes
les probités de l'esprit gentilhomme. Henriette d'Angleterre, duchesse
d'Orléans, la femme de Monsieur, frère de Louis XIV, était entourée de la
plus belle des guirlandes de jeunes filles : mesdemoiselles de Sourdis, de
Soyencourt, de Saint-Aignan, de Vardes, Montausier, de Bussi, de Louise Françoise de Soyez boiteuse, ayez quinze ans. Au reste, toutes ses compagnes louaient la grâce de sa
conversation, vive, spirituelle, bonne surtout, pleine de ces agaceries qui
font le charme d'une douce société. C'était une jolie réunion d'espiègles,
que les filles d'honneur de Madame, fière et hautaine princesse, mais
très-indulgente pour les nobles passe-temps de la galanterie ; elle avait
donc distingué la petite C'était un temps de plaisir et de haute galanterie. Les
mousquetaires étaient dans leur éclat ; compagnie récente créée sous Louis
XIII, elle avait déjà le premier rang même avant la garde écossaise, si
antique. On connaissait bien, sous Henri IV, des compagnies armées de
mousquetons, l'ennemi les avait rencontrées à Arques et à Ivry ; mais les
mousquetaires, avec leur privilège et leur grandeur, étaient une création de
Louis XIII ; garde brillante et particulière, elle n'obéissait qu'au roi ; en
tout ce qu'il commandait, l'obéissance devait être si absolue qu'on ne
connaissait de comparable que celle du religieux pour son supérieur et son
abbé ; ce que témoignait la croix peinte sur les armes. Pas un mousquetaire
qui ne fût gentilhomme : pauvre ou riche, ce n'est pas ce dont on
s'inquiétait, pourvu que la race fût bonne et la lignée sans tache.
Quelquefois un brave cadet de Gascogne partait de son manoir, la poche légère
d'écus (excepté ceux que sa bonne mère
glissait furtivement dans sa bourse)[7]. Destiné aux
mousquetaires, il arrivait à Saint-Germain ; agréé par Je capitaine, il était
présenté au roi, passait à travers quelques duels, puis devenait le camarade
aimé de cette belle troupe groupée autour du roi, dont elle exécutait les
ordres. Celaient de bonnes et vives amitiés que celles des mousquetaires ;
entr'eux, une solidarité ardente qui créait ces petits groupes de trois à
quatre jeunes hommes, seconds les uns pour les autres dans les duels. Noble
coutume que celle des seconds, qui l'épée au poing à toute heure, sous le
luminaire d'une madone ou d'un saint, dégainaient pour un camarade d'armes
sans demander la cause et le nom, par cela seul qu'on portait la même
casaque, le même mousqueton[8]. Quand il y avait
un coup de main à faire, les mousquetaires en étaient chargés ; fallait-il
conduire un prisonnier à Ils n'étaient pas comme les chevau-légers, couverts d'or et de soie ; ou bien comme tes gendarmes d'ordonnance, ils ne portaient pas de passepoils et des broderies partout ; l'uniforme des mousquetaires était grave : casaque, baudrier, épée ; mais ils n'en étaient pas moins admirés des filles d'honneur de la reine. Si tous n'étaient pas riches, si cadets de race, ils n'avaient pas de patrimoine, tous étaient braves, généreux, toujours l'épée à la main pour le service du roi ou de la dame qu'ils aimaient ; que nul n'osa médire d'elle pas plus que de leur race et de leurs castels de Béarn, de Gascogne et de Provence. Leur capitaine les traitait comme des enfants gâtés et ils l'aimaient avec tendresse comme un père orgueilleux de leurs droits et de leurs privilèges. Seuls ils devaient entourer le roi, le garder, le suivre ; ils y tenaient avec d'autant plus de ténacité qu'ils savaient bien que les nouveaux ministres qui entouraient le roi, voulaient créer des compagnies de gardes du corps, compagnies plus efféminées, moins sévères, qui prendraient pour devise, non plus la croix monastique, mais le soleil, nec pluribus impar du nouveau roi. L'esprit gentilhomme s'affaiblissait pour faire place à la dictature royale, à ce quelque chose d'oriental qui apparaissait avec le règne de Louis XIV. |
[1] Voir mon livre sur Catherine de Médicis.
[2] Le comte de Bussy-Rabutin, ce hâbleur spirituel, juge fort mal les filles d'honneur de la reine.
[3] Anne-Henriette d'Angleterre, sœur de Charles II, Rex Britanniœ : le mariage avait été célébré le 31 mars 1661.
[4]
Les filles d'honneur de
Je me suis laissé dire
Que les filles d'honneur
Ont pris plaisir à lire
Certain joyeux auteur,
Arétin, on le nomme....
[5]
La grande médisante, Elisabeth-Charlotte de Bavière, duchesse d'Orléans, dit de
mademoiselle de
[6] Galerie de Versailles : c'est une des plus jolies figures du musée.
[7] Sous Louis XIV, ce corps dégénérait déjà : on exigeait une certaine fortune, et Saint-Simon qui y fut admis nous dit qu'il avait un équipage de trente chevaux. (Mémoires, chap. Ier.)
[8] Mémoires du cardinal de Retz : Sur le costume et l'ordre des mousquetaires, on peut voir la collection des gravures (Biblioth. Impériale), 1620 à 1655.
[9] Quand ils servaient d'escorte au Roi, ils avaient le mousqueton armé à la main, coutume qui s'est conservée.