XXI. — 1584-1587.Il était impossible qu'un parti, aussi parfaitement
organisé que l'était Les chefs de Quel est ce monstre-ci et comment a-t-il nom ? Des Grecs est dit Syrène et des Hébreux Dagon, Et le siècle aujourd'hui politique rappelle. Mais, dites-moi, pourquoi est-il femesle ? Sa plus grande vertu est de chacun flatter Et des plus forts le cœur el le courage ester. Catherine de Médicis était parfaitement indiquée dans ce portrait des politiques tracé par les ligueurs : elle avait toujours négocié pour apaiser les partis et dompter les plus fières âmes, et c'est pourquoi on disait qu'elle avait toujours ôté le cœur et le courage aux forts. Pourquoi une bouteille est sa dextre tenant ? Pour autant que le soin plus grand de maintenant. Et mesme le premier est d'engraisser sa panse, Se donner du bon tems et faire grand despense[5]. Il n'y avait pas jusqu'à son goût de faste, de plaisirs, de fêtes qui ne fût ainsi un grief contre la reine mère et les chefs de partis modérés. La vaste association de Une des grandes erreurs historiques a toujours été de voir
une intrigue dans Ainsi était le but national de Pauvre vieille malade, Catherine de Médicis[11], tout endolorie
de son corps, va trouver le duc de Guise au milieu du camp de La reine mère, avec son habileté admirable, avait déjà
deviné l'homme pacifique et modéré dans Les méfiances devenaient encore plus grandes depuis la
perte de la bataille de Coutras, défaite, je le répète, que les ligueurs
attribuaient à la trahison. Tandis que le duc de Guise, à la tête de son
armée victorieuse, poursuivait les reîtres et les lansquenets jusqu'au dehors
des frontières du royaume, Catherine de Médicis, le duc d'Épernon[18], tous les chefs
du parti politique étaient hautement accusés d'aspirer encore une fois à une
transaction dont Ces conditions étaient trop inflexibles pour que l'esprit
si modéré de la reine mère pût les accepter sans y être contrainte. Les
articles de Nancy furent envoyés à Henri III, alors dans le palais du Louvre,
livré à tous les actes d'une piété extrême et d'une dissipation folle ;
étrange confusion toujours reprochée à ce prince extatique. Comme la reine
mère était un peu suspecte, elle envoya auprès des chefs de Henri III, plus tenace que sa mère dans la liberté de son
pouvoir, n'acceptait pas les conditions de Nancy avec autant de facilité. Il
avait encore une armée à lui, des amis braves, déterminés ; lui-même était
toujours ce brave et loyal duc d'Anjou, grand capitaine, qui avait gagné de
si glorieuses batailles. Aux yeux des catholiques n'avait-il pas rendu autant
de services que les Guise à la cause générale ? Henri III n'acceptait donc
les articles de Nancy qu'avec la condition expresse de rester le chef de Comme il voulait se mettre en mesure contre toute entreprise des Guise, Henri III ordonnait secrètement aux gardes suisses de se rapprocher de Paris avec les compagnies françaises. Le roi voulait bien se faire ligueur et assurer le triomphe des catholiques ; mais il portait en son cœur l'instinct secret que dans les Guise il y avait une rivalité instinctive de son pouvoir et de sa couronne. À cette époque le roi redoubla de tendres et passionnés témoignages pour les jeunes hommes qui servaient sa cause et sa personne de leur épée et de leur dévouement. S'il avait tant aimé Saint-Mesgrin, c'est que ce noble jeune homme avait profondément humilié le duc de Guise par l'amour partagé qu'il portait à la femme du chef de la maison de Lorraine. Ces jeunes cavaliers, braves, insouciants, le distrayaient par leurs propos, leurs médisances ; ils vengeaient le roi même par des moqueries sur toutes les insupportables austérités des huguenots et les exigences répétées des chefs catholiques, parlementaires, bourgeois et peuple. Au Louvre, autour du roi, les mignons se raillaient de tout ; et les politiques se vengeaient de ces généreux jeunes hommes, de ces brillants spadassins[22] par d'affreuses et lourdes calomnies rapportées dans le triste et mauvais pamphlet de d'Aubigné. Oui, la cour de Henri III fut élégante, paresseuse, mais brave ; elle aimait les beaux vêlements de soie, les riches objets d'art, legs des Médicis, transmis par la reine mère. Henri HI multipliait les bals, les réunions de plaisirs où, malgré ses souffrances et les années, paraissait encore la reine Catherine de Médicis, couverte de riches habits tout de velours d'or, comme en ses jours de beauté et de jeunesse. Elle se parfumait d'essences, mettait du rouge et du blanc jusqu'aux yeux, se gantait les mains jusqu'aux bras, qu'elle avait si parfaits. Les faiseurs d'histoires qui ont parlé de ses remords, de ses tristes nuits pleines de rêves fantastiques, ne savent rien de celte vie si animée qui ne se partagea qu'en deux éléments, les plaisirs et les affaires. A la dernière période de son existence les souffrances viennent, mais les souffrances matérielles, les douleurs physiques, tristes compagnes de l'âge. Et qu'avait-elle fait, d'ailleurs, pour mériter des rêves de sang ? Était-ce pour avoir tenté des rapprochements entre les partis incessamment en lutte ? La reine mère, certes, pouvait se tromper sur son temps, sur les tendances des opinions qui abdiquent difficilement leur haine ; mais ce n'était pas un crime que d'avoir cru à la paix des hommes quand tout retentissait de cris de guerre ; ce n'était pas un crime de vouloir rapprocher les esprits irrités et les idées dissidentes, en supposant qu'un peu de duplicité fût nécessaire pour arrêter l'effusion du sang ! XXII. — 1587-1588.L'esprit de la population de Paris avait cessé d'être
favorable au roi Henri III depuis que les masses, confréries, métiers,
bourgeois s'étaient organisés dans Un certain frémissement avait circulé dans tout Paris lorsqu'on avait su que le roi avait mandé auprès de sa personne les gardes suisses et françaises. Dans quel dessein ? Les ordres des capitaines de quartiers, dizainiers de la ville, se multipliaient à chaque minute pour mettre les troupes bourgeoises sous les armes ; mais l'unité et l'ensemble de ce mouvement municipal ne pouvaient résulter que de la présence du duc de Guise à Paris. Dans l'histoire des partis, il y a un fait qui se produit toujours, c'est l'instinct sympathique des opinions pour leur chef naturel : il y a entre eux des courants électriques qui les rapprochent et les mettent en rapport de sentiments et de projets. A chaque moment le duc de Guise était informé de l'état de Paris[24], des projets du roi, des intentions plus rassurantes de Catherine de Médicis ; il savait que la révolution municipale était prête à éclater contre le conseil dirigé par le duc d'Épernon, et que la reine mère ne serait même pas éloignée de le seconder dans ce projet. Le duc de Guise savait que le peuple de Paris l'appelait de tous ses vœux, qu'il n'attendait que sa présence pour sonner l'insurrection. Des émissaires partaient et revenaient chaque jour auprès du duc de Guise, qui, sous le nom emprunté aux annales de Rome, de Mutins, correspondait avec les grands meneurs du parti populaire à Paris. L'existence d'un chiffre diplomatique, déjà employé à cette époque, est une curiosité historique[25] qui doit être notée. Catherine de Médicis plus d'une fois s'en était servie dans sa correspondance, et le duc de Guise, après die, écrivait ses dépêches secrètes en chiffres particuliers. La reine fut instruite des desseins des ligueurs et de
leurs forces : elle différait avec son fils et le duc d'Épernon sur la
manière de traiter cette immense association populaire qui s'était nommée Ce fut le 5 mai que le duc de Guise quitta Nancy pour prendre hautement en main la direction du mouvement de Paris ; il entra déguisé par la porte Saint-Martin[26] ; mais bientôt ses amis, pleins d'enthousiasme, lui ôtèrent son masque et son manteau, et il n'y eut plus qu'un cri partout : Le duc de Guise est parmi nous ! Le flot populaire porta cette bonne nouvelle aux quatre coins de la cité. Selon l'invitation de Catherine de Médicis, et comme pour donner un gage de ses bons desseins, le duc de Guise vint habiter le logis de la reine mère, qu'il rassura sur ses projets, qui n'allaient pas au delà du renvoi du duc d'Épernon et de la consécration royale du traité de Nancy. Catherine de Médicis en parut si esmue d'aise et de contentement, qu'on la vit frissonner, changer de couleur, tant elle estoit heureuse. Elle accueillit le duc avec enthousiasme, et quoique bien souffrante, elle voulut elle-même le conduire au Louvre, afin de saluer le roi et de présider en quelque sorte à l'entrevue, comme une mère prudente et une négociatrice habile et sans passion. A travers les rues de Paris, Catherine de Médicis put voir l'immense popularité du duc de Guise : il n'y avait de cris que pour lui. Même une demoiselle qui était sur une boutique, baissant son masque, lui dit tout haut : Bon prince, puisque tu es ici, nous sommes tous sauvés[27]. La marche de Catherine de Médicis à travers Paris fut lente ; jusqu'au Louvre, la reine était en chaise à cause de sa maladie ; le duc de Guise la suivait à pied : et ensemble entrèrent dans la chambre du roy, lequel pour lors estoit assis près de son lit, et ne se remua pas pour rentrée du dit sieur de Guise, qui lui fit une référence, touchant presque le genou en terre ; mais le roy, irrité de sa Tenue, ne lui fit aucun accueil, sinon de lui demander ceci : Mon cousin, pourquoi estes-vous venu ? La réponse de M. de Guise fut : que c'estoit pour se purger des calomnies qu'on lui avoit mises sus, comme s'il eût été criminel de lèse-majesté[28]. Cette conversation se passionnait à mesure des paroles du roi, lorsque Catherine de Médicis prit son fils à part pour l'apaiser, sans doute, tandis que le duc de Guise se retirait avec assez de hauteur pour qu'aucun des officiers de S. M. n'osât raccompagner. Catherine de Médicis, douloureusement affectée de cette rupture, parla dans le conseil contre toute résolution violente dont la conséquence essentielle serait le soulèvement de Paris agité. Le roi ne partagea pas l'avis de sa mère, et le duc d'Épernon, qui avait toute sa confiance, dut commander les gardes suisses et françaises qui occupaient Paris, et avaient ordre de se grouper dans le Louvre[29] pour une expédition inconnue. Le conseil du roi essaya d'autres précautions dans la cité ; les registres de l'hôtel de ville sont remplis d'ordres et d'arrêtés pour la visite des hôtelleries et l'armement de la partie bourgeoise et paisible de la population[30]. Le roy veut que la recherche fort exacte se fasse en toutes les maisons de la ville, cité et université, et que les quarteniers fassent mettre par escrit non-seulement le nom des personnes qui ont accoutumé de demeurer es dites maisons, mais encore de celles qui y sont passagèrement logées ; S. M. commande que la dite recherche soit commencée demain, à 6 ou 7 heures[31]. Au milieu de ces émotions si vives, Catherine de Médicis
espérait toujours rapprocher le roi son fils du duc de Guise. Dans une
entrevue au Louvre, Henri III avait chaleureusement défendu le duc d'Épernon
et ses amis. Le duc de Guise avait plusieurs fois protesté de sa loyauté,
avec cette déclaration franche et hautaine pourtant : qu'en aucun cas il ne souffriroit que le roy de Navarre fût appelé à la
succession de la couronne de France[32]. Tels étaient
les sentiments unanimes de D'après les ordres du roi, le duc de Biron entrait dans la
cité à la tète des gardes et prenait position devant l'hôtel de ville (Saint-Jean de Grève), au Petit-Pont, aux
Saints-Innocents et au Marché-Neuf. L'autre côté, rive gauche de Peuple et bourgeois étaient en armes lorsque le parti modéré de l'hôtel de ville députa auprès du roi pour le prier d'ôter les troupes s'il ne voulait une immense émeute à Paris. Le roi résista à ces prières avec fermeté ; il croyait les forces suffisantes pour comprimer la vive et profonde émotion des masses. Toutes les démarches n'aboutirent à rien qu'à des pourparlers inutiles. Ce qu'avait pressenti Catherine de Médicis et qu'elle avait voulu éviter, éclatait furieusement ; les Suisses, les gardes du roi étaient attaqués, pressés entre mille barricades sans pouvoir s'ouvrir un passage, si ce n'estoit par-dessous terre comme les souris, ou dans l'eau comme les grenouilles, ou s'ils ne voloient en l'air comme les oiseaux[34]. Les barricades s'étendaient de proche en proche jusqu'au Louvre, où était Henri III. La royne mère pleuroit à grosses larmes tout le long de son disner. Le roi ordonna que ses gardes ne fissent plus aucune résistance[35], et Catherine de Médicis s'offrit de nouveau comme médiatrice pour apaiser l'émotion. La voici encore l'active et pauvre vieille, en sa chaise, pour aller en l'hôtel du duc de Guise ; l'émeute populaire était dans toute son activité, et à peine la royne pouvoit passer parmi les rues si dru semées et retranchées de barricades, tellement que ceux qui les gardoient ne voulurent pas faire plus grande ouverture que pour passer la chaise. C'est ainsi que Catherine de Médicis arriva jusqu'à l'hôtel de ville. Les paroles douces, persuasives de la reine mère ne furent
pas inutiles auprès du duc de Guise, qui, maître de Paris, ne dicta d'autres
conditions au roi que le renvoi du duc d'Épernon, chef du conseil, et
l'engagement pris d'accéder aux articles de XXIII. — Avril-mai 1588.Henri III était moins décidé que Catherine de Médicis à
toutes ces concessions : depuis l'arrivée du duc de Guise à Paris, il n'avait
pris aucune part aux démarches de sa mère pour obtenir un traité auprès des
chefs de Cette ville de Paris, apostrophée par le roi, Catherine de
Médicis ne l'avait pas abandonnée ; elle avait compris que la force populaire
était désormais dans Catherine de Médicis mettait à profit son séjour à Paris
pour essayer un rapprochement encore possible entre le roi son fils et Henri
de Guise, qui, victorieux des troupes royales, continuait à montrer des
sentiments très-modérés. La ville s'organisait sous son épée : des magistrats
tout populaires étaient élus avec la volonté de défendre et de protéger la
cité[40]. Toutes les
villes ligueuses s'écrivaient dans un dessein de protection mutuelle ; mais
toutes aussi ne voulaient point se séparer encore de la royauté des Valois ;
Catherine de Médicis profitait de ces bonnes dispositions, et, par son
conseil, les présidents Le roi jetait cette parole moqueuse à ceux qui accompagnaient la reine, parce qu'il savait que le duc d'Épernon, chef de son conseil, était en haine à tout le parti des princes de Lorraine et même à sa mère ; et il rappelait ce nom pour se gausser des remontrances populaires qui dénonçaient le duc d'Épernon et Lavalette, son frère, comme les fauteurs et suppôts des hérétiques[44]. Dès ce moment, Par le traité signé à Chartres (juin 1588), le roi Henri III se déclarait le chef de l'union catholique, promettant d'exclure de toute fonction d'État les huguenots et politiques de tout rang et condition. Avant la signature de ce traité, et pour constater sa loyauté, le roi éloignait du conseil le duc d'Épernon et Lavalette ; il confiait en même temps la lieutenance générale du royaume au duc de Guise, appelé ainsi à la plénitude de tous les pouvoirs sur l'armée et l'administration générale. Les ligueurs avaient pleine satisfaction et une garantie suffisante, car le lieutenant général du royaume c'était l'alter ego de la royauté : aussi le duc de Guise se hâte d'annoncer au roi d'Espagne le grand résultat que les catholiques viennent d'obtenir[45]. Philippe II lui fait répondre par son ambassadeur : Quelles que soient les caresses du roy, dites au duc de Guise de ne point se fier à ces trompeuses démonstrations. Rien n'est capable d'inspirer confiance dans cette volonté variable[46]. Les chefs de la maison de Valois, les politiques et les calvinistes, profondément affectés du triomphe absolu des Guise désormais maîtres du gouvernement, mettaient tous leurs soins à démontrer au roi dans leurs écrits l'abjection dans laquelle il était tombé en se plaçant sous l'épée d'un Lorrain. Ce fut encore l'époque des pamphlets ardents, répétés[47], et cela s'explique, car les pamphlets démoralisent un pouvoir, l'affaiblissent, et quand il est bien abattu dans l'opinion, il suffit d'un coup de main pour le renverser. Les politiques savaient Henri III hautain et railleur de sa nature : lui faire entrevoir qu'il n'était plus le maître sous la main des Guise, c'était le disposer à s'affranchir d'un joug odieux ; il avait à peine subi celui de la reine sa mère, de celte intelligence supérieure et toute dévouée aux Valois : comment souffrirait-il la domination des Lorrains dont la pensée définitive était la restauration de l'empire de Charlemagne et de sa dynastie revivant en leur personne ? Il en résultait pour Henri III une conséquence obligée : il devait se débarrasser au plus tôt et n'importe comment du chef de la maison des Guise. Serait-ce par la force, la ruse, la violence ? On ne le savait pas encore ; mais la nécessité des choses le commandait, et c'est une souveraine impérative. En vain la reine mère, avec sa prudence consommée, répétait à son fils : qu'il se briserait contre les Guise en les attaquant de front, et que la première qualité d'un politique c'était la patience ! Henri III n'écoutait que ceux qui flattaient ses penchants pour son autorité libre et affranchie : le duc de Guise, ce maire du palais, qui marchait devant lui sa longue épée haute, lui devenait toujours plus odieux[48]. Le roi cherchait le temps et l'heure pour s'en débarrasser : à quoi cela lui servirait-il ? En frappant un chef d'opinion, on n'affaiblit pas la force de cette opinion ; celle-ci trouve toujours un nouveau bras pour la diriger et la conduire. La reine Catherine de Médicis le répétait au roi : car l'âge n'avait fait qu'augmenter en elle cette prudence consommée, cet esprit fin qui comparait les faits et savait la portée de chaque événement. Il n'y avait que les fous, les imprudents, tels que d'Épernon et Lavalette qui pouvaient conseiller au roi de frapper l'aîné des Guise et lui faire envisager la mort du lieutenant général du royaume comme une solution politique. XXIV. — 1588-1589.Une pensée fondamentale de toutes les réclamations, de toutes
les doléances qui s'adressaient à Catherine de Médicis, ou au roi Henri III,
était celle-ci : Il n'y a qu'un seul remède aux maux
du royaume, c'est la convocation des états généraux ; c'est-à-dire la réunion
des trois ordres pour délibérer sur la chose publique. Les chefs de Ce qui avait été pressenti arriva très-exactement, les
élections catholiques dominèrent les états de Blois ; Catherine de Médicis en
tira cette conclusion, qu'il fallait s'entendre plus que jamais avec
l'opinion victorieuse. Tel ne fut pas le sentiment de Henri III se séparant
encore des idées modérées de sa mère ; tout le conseil fut renvoyé parce
qu'il partageait les opinions de Catherine sur la nécessité d'une
transaction. Le triomphe du duc d'Épernon fut complet, et celui-ci était
l'ennemi personnel des Guise. La majorité insistait pour que le concile de
Trente fût déclaré loi fondamentale de l'État[50], et que L'esprit tout populaire de L'histoire de la triste nuit du 23 décembre 1588 se résume
par cette fausse pensée conçue par d'Épernon : que
jamais le roi ne deviendrait maître de Ce perfide politique Masqué d une vie sainte et catholique, Communie au corps de Jésus-Christ, notre Seigneur, Avec le duc de Guise (de l'hérétique vainqueur) ; Après dînèrent ensemble, lui montrant Signe d'amitié sous beau semblant. Ce bon prince tost après fut lue et massacré. Dans les provinces, la crise populaire s'étendit et se
propagea : Henri III, depuis cette nuit sanglante, ne fut plus roi de France.
La vieille reine mère eut la douleur de voir son fils se séparer de son
système de modération et de gouvernement sans pouvoir y porter remède. Elle
était au château de Blois lors de l'exécution des Guise ; mais elle n'apprit
le coup d'État sanglant qu'après qu'il eut été accompli : Madame, lui dit Henri III, je
suis maintenant seul roy et n'ai plus de compagnon ! La reine mère
toute souffrante se souleva sur son séant : Que pensez-vous
avoir fait, mon fils ?[54] Dieu veuille que vous vous en trouviez bien. Mais au moins
avez-vous donné l'ordre pour l'assurance des villes ? Si vous ne l'avez fait,
faites-le au plus tost, sinon il vous en prendra mal. Dans ces
quelques mots, Catherine de Médicis avait jugé la situation sérieuse de son
fils : c'était par les cités de L'explosion si redoutée des cités fut rapide comme la
foudre : partout, à Lyon[55], Dijon,
Toulouse, Marseille, on s'était soulevé contre le
tyran (c'est ainsi qu'on appelait
Henri III), qui avait frappé l'honneur, la gloire du catholicisme.
Avec quel intérêt le peuple entoure tout ce qui appartient aux Guise : les
frères, la femme, les enfants du martyr ! On ne leur donne pas encore la
royale couronne, mais les voies se préparent larges et faciles pour y
arriver, et déjà le conseil de Cette résolution soudaine du conseil de l'union supposait
la déchéance de la maison de Valois et la vacance du trône, et c'est ce que
la reine mère avait voulu éviter par ses transactions. Le rôle de Catherine
de Médicis finissait par le triomphe des partis extrêmes ! La lutte prenait
un caractère de vigueur qui n'allait plus au tempérament calme et réfléchi de
la reine mère ; la tempête des passions agitait cette association de Ainsi s'exprime l'égoïste parlementaire qui a écrit le Journal
de Henri III. Il n'avait pas compris l'immense labeur de cette fille des
Médicis qui avait passé sa vie à se tempérer elle-même et à calmer les partis
sanglants qui se heurtaient dans l'immense bataille du XVIe siècle : Aussi, après sa mort — de
laquelle fut parlé diversement, les uns tenant qu'elle avoit hasté sa fin par
regret et dépit de voir tous ses desseins renversés ; les autres ajoutant que
par moyens extraordinaires on lui avoit fait sauter le pas —, on ne parla pas plus d'elle que d'une chesvre morte[58]. Telle est la
destinée des esprits de modération qui veulent mêler leur douce voix à
l'éclat des tempêtes dans les révolutions. Leicester, le curé, le prédicateur
populaire, dut aussi s'expliquer sur la mort de Catherine de Médicis : Aujourd'hui, dit-il, se présente
une difficulté : savoir si l'Église doit prier pour celle qui avoit si mal et
souvent soutenu l'hérésie, encore que sur la fin elle ait soutenu l'union et n'ait
jamais consenti à la mort de nos bons princes ; sur quoi je vous dirai
que si vous voulez lui donner à l'aventure, par charité, un pater et un ave,
il lui servira de ce qu'il pourra. Je vous le laisse en liberté[59]. Les ligueurs ne pouvaient lui pardonner ses tendances et ses
concessions au calvinisme. Ainsi les partis extrêmes jugeaient la
reine Catherine de Médicis qui avait tristement usé sa vie à les empêcher de
se combattre et de verser le sang à flots : c'est un crime à leurs yeux ! Il
n'y a pas de situation plus difficile, plus mal jugée que celle d'un esprit
habile qui se place entre deux opinions ardentes pour les contenir ; il ne
doit attendre ni éloge, ni appui, ni même de justice ; les ligueurs, par
l'organe de Leicester, flétrissaient la mémoire de Catherine, et les
huguenots, par les pamphlets sur ses déportements,
la présentaient comme une de ces reines de l'antiquité qui ne cachaient les
crimes que par les vices. Ensuite vinrent les faiseurs de vers, de jeux de
mots, d'antithèses, qui trouvaient agréable de badigeonner cette figure
historique. La royne qui cy gist fut un diable et un ange, Toute pleine de blasme et pleine de louange ; Elle soutint l'Estat, et l'Estat mit à bas, Elle fit maints accords, et pas moins de débats, Elle enfanta trois rois et trois guerres civiles ; Fit bastir des chasteaux et ruiner des villes, Fit bien de bonnes lois et de mauvais édits, Souhaite lui, passant, enfer et paradis. Ces antithèses saisissent les esprits superficiels et leur
plaisent, mais elles manquent de ce grand sens, de cette vérité suprême, de
cette étude profonde des temps et des caractères qui constituait l'histoire.
Catherine de Médicis n'avait pas fait la situation, elle ne créa pas les
partis, ils existaient ; seulement elle les empêcha, tant qu'elle put, de
troubler La vie de Catherine de Médicis, telle que nous venons de
l'écrire, diffère sérieusement de tous les portraits qu'on a faits de la
reine mère dans les livres, au théâtre, dans les romans, quelquefois même
dans les œuvres aux prétentions graves que couronnent les académies ; il est
convenu de représenter Catherine un poignard à la main, comme Charles IX, son
fils, avec sa fameuse arquebuse ; tous deux tuent à plaisir pour avoir
ensuite des remords, des visions sanglantes, des nuits sans sommeil, des
attaques d'épilepsie sombre et désolée qu'on reproduit sur la scène.
Vraiment, c'est mal connaître les deux familles les plus artistiques, les
plus dissipées, celles des Valois et des Médicis, que d'ainsi les représenter
depuis François Ier jusqu'à Henri III, sous ces féroces dehors de mélodrame.
On n'a jamais relevé à leur juste hauteur les Valois, race d'élite, à qui La famille élégante des Valois subit le malheur attaché à tous les pouvoirs qui vivent au milieu des partis en armes ; ils voulurent distraire, conseiller, apaiser : ils ne le purent pas. Tous ces princes moururent jeunes et gracieux : Henri II, François II, Charles IX, Henri III, et ces poétiques figures furent déchirées par la fureur des passions qu'ils n'avaient pas assez bien servies. Il y a quelque chose de curieusement élevé dans cette reine mère qui, les yeux fixés sur la couronne de ses enfants, veut la préserver du naufrage. Les crimes de l'époque appartiennent aux réactions toutes sanglantes qui dominent les hommes et les choses. Ceux qui ont étudié la grande histoire savent combien sont martyrs les gouvernements de modération et de tempérance : presque toujours ils succombent à l'œuvre, et une fois à terre tous les petits esprits les déchirent. N'oublions jamais que le XVIe siècle fut peut-être plus agité de révolutions que nos époques les plus ardentes des temps modernes. Hélas ! qui n'a pas vu des massacres, des guerres de rue, des exécutions violentes, des excès populaires ! le pouvoir en est-il toujours responsable ? Les partis ne sont-ils pas poussés par je ne sais quelles passions fanatiques et malfaisantes ? Qui peut les contenir, les réfréner ? Pourquoi accuser les têtes politiques qui, le plus souvent, ont redoublé d'efforts et de zèle pour empêcher les partis d'en venir aux mains ? Oui, Catherine de Médicis fut la capacité d'apaisement et
de modération ; sa mémoire y a succombé, parce que la guerre civile était
dans les opinions, et que la fatalité les entraînait dans une sanglante lutte
que nul ne pouvait empêcher. La cause première avait été la réforme de
Luther. FIN DE L'OUVRAGE |
[1] Lettre autographe. Mss. Colbert, cote n° 9.
[2] 31 décembre 1584. Mss. Béthune, n° 8866.
[3] Juillet 1584, suivant la prédiction des astrologues.
[4]
Recueil général de pièces détachées et figures qui regardent
[5] Recueil déjà cité. (Biblioth. imp.) Les politiques sont aussi représentés sous les traits d'un crocodile :
Tels sont, ô messagers, vos dissimulés pleurs,
Qui pleins du sang du peuple et gras de leurs malheurs,
Feignant tous en fascher n'en faites rien que rire.
[6] Voyez le curieux travail du conseiller de Lezeau (un des chefs ligueurs), sur l'organisation de la grande association catholique, à Paris surtout. (Biblioth. Sainte-Geneviève.)
[7]
Ce document est le procès-verbal de Poulain, lieutenant de la prévôté de l'Ile
de France, sur l'histoire de
[8] Mss. du conseiller de Lezeau. (Biblioth. Sainte-Geneviève.)
[9] Ces reproches s'adressaient à la reine Catherine de Médicis.
[10] Déclaration des causes qui ont mû les princes, pairs, seigneurs, villes et communes catholiques de ce royaume de France à se liguer, etc. (Péronne, 30 mars 1585.)
[11] Catherine de Médicis avait alors soixante-quatre ans.
[12] Autographe, mss. Béthune, n° 8874.
[13] Les mss. Béthune contiennent un grand nombre d'autographes de Catherine de Médicis.
[14]
Articles accordés à Nemours, au nom du roi par la reine sa mère, avec les
princes, les seigneurs de
[15] Août 1587.
[16] Archives de Simancas, B, 58.
[17] Archives de Simancas, B, 58.
[18]
Le duc d'Épernon était en haine à
[19] Articles arrêtés en l'assemblée de Nancy (février 1688). Archives de Simancas, A, 56. Les ambassadeurs d'Espagne envoyaient toutes les pièces importantes à leur cour, et celle-ci intéressait trop vivement Philippe II pour qu'elle ne lui fût pas directement adressée.
[20] Les négociations de M. de Bellièvre forment un petit vol. coté 8897. Mss. Béthune.
[21] Voyez les lettres et dépêches de Henri III à M. de Bellièvre. Mss. Béthune, n° 8897.
[22] Saint-Mesgrin, d'Épernon, Schomberg, Quélus, etc., toujours l'épée à la main pour le service du roi, étaient tués dans des duels :
Antrague et ses compagnons
Ont bien étrillé les mignons ;
Chacun dit que c'est bien dommage,
Qu'il n'y en est mort davantage.
[23] Rien alors de populaire comme les sermons des curés de Paris. C'est le curé Leicestre qui accusa le roi d'hypocrisie. Voyez le Journal de Henri III, ad annum 1588.
[24] Le n° 47 du ms. Dupuy contient une curieuse relation de ce qui se passa dans Paris avant et durant les barricades de 1688.
[25]
Il existe plusieurs modèles de ces chiffres dans la précieuse collection de M.
de Mesme (Biblioth. imp.) intitulée Mémoires sur
[26] Récit d'un bourgeois de Paris sur les particularités qui s'y sont passées au mois de mai 1588 ; ce journal est écrit par un témoin oculaire, in-fol., 29 feuillets. Mss. Dupuy, Biblioth. imp., n° 47.
[27] Journal de Henri III, t. II, p. 95.
[28] Récit d'un bourgeois de Paris, Mss. Dupuy 47.
[29] Amplification des particularités qui se passèrent à Paris lorsque M. de Guise s'en empara. (Brochure, 1588.)
[30] Registres de l'hostel de ville. Aux archives, t XII, p. 117.
[31] Registres de l'hostel de ville. Aux archives, t. XII, p. 119.
[32] Mss. de M. de Lezeau. (Biblioth. Sainte Geneviève).
[33] Récit d'un bourgeois de Paris, Mss. Dupuy, 47.
[34] Récit d'un bourgeois de Paris. Mss. Dupuy.
[35]
12 mai 1588, Le roi écrivit dans ce sens au duc de Nevers, un des hommes
influents de
[36] On trouve dans les Archives de Simancas de curieuses observations du duc de Guise adressées au roi d'Espagne, B, 61, sur la journée des Barricades.
[37] Amplification des particularités qui se passèrent à Paris lorsque M. de Guise s'en empara et que le roi en sortit. (Mai 1588.)
[38] Journal de Henri III, 3 mai 1588.
[39] Archives de Simancas, cote B, 61. Le roi Henri III avait également annoncé sa retraite de Paris à Sa Majesté catholique, par un petit billet qui est aux mêmes archives, coté C.
[40] Collection Fontanieu (règne de Henri III).
[41] Mss. Béthune, vol. coté 8911, fol. 22.
[42] Journal de Henri III, mai 1588, t. II. p. 11.
[43] Explication des particularités qui se passèrent à Paris et à Chartres. Comparez avec les Registres de l'hostel de ville, t. X.
[44] Comparez la brochure : Propos que le Roy a tenu à Chartres aux députés de la cour du Parlement de Paris, 1588, et les Requestes présentées pour la défense de la religion catholique, apostolique et romaine.
[45] 24 juillet 1588. Archives de Simancas, B, 60.
[46] Réponse du 8 août, de la main de Philippe II.
[47]
La plupart de ces pamphlets ont été recueillis dans la bibliothèque Fontanieu,
ann.
[48] Depuis le traité de Chartres, le duc de Guise ne quittait pas le roi. Voyez sa lettre à Bernardone Mendoça, l'ambassadeur d'Espagne, 6 août 1688. Archives de Simancas, A, 60.
[49]
La pensée de
[50] Recueil des estats généraux, t. XIV, p. 412. Comparez avec la correspondance secrète du duc de Guise. (Archives de Simancas, 60, 12.)
[51] Il existe un curieux récit sur les états généraux, avec ce titre : l'ordre des estats généraux tenus à Blois l'an 1588. Mss., Biblioth. imp., vol. coté 258.
[52] Il existe, sur le triste épisode de Blois, un récit très-détaillé d'un témoin oculaire, Miron, premier médecin du roi. (Mss. Biblioth. imp., vol. coté 358, fol. 34.)
[53] Comparez le Journal de Henri III et les Registres de l'hostel de ville, XII, fol. 267 ; la rupture est complète entre Henri III et le conseil de la ville.
[54]
Journal de Henri III, t. II, p. 154, en le comparant aux Mémoires sur
[55] Lyon surtout avait montré un zèle immense. Voyez Déclaration du conseil, échevins, manans et hahitans de la ville de Lyon, sur l'occasion de la prise des armes par eux faite (24 février 1689).
[56] Cet acte si curieux se trouve dans les Registres de l'hostel de ville, t. XII, fol. 303. On voit que les idées de gouvernement provisoire, de déchéance, ne sont pas exclusivement modernes, et qu'à toutes les époques les partis ont procédé par les mêmes voies.
[57] Journal de Henri III, t. II, p. 154 à 156.
[58]
Mémoires de
[59] Journal de Henri III.