XVII. — 1573-1574.On a écrit bien des romans, des drames et des chroniques sur les remords de Catherine de Médicis et de Charles IX à la suite de la mêlée sanglante où les Guise avaient vengé la mort de leur père, comme dans les époques homériques. On a reproduit le roi et sa mère poursuivis par des rêves funèbres et des fantômes dans les sombres nuits de Saint-Germain, de Fontainebleau ou des Tuileries. Récits qui peuvent être fort beaux sous la plume des poètes et des prosateurs, mais auxquels il ne manque qu'une seule chose : la vérité. Rien de ces sombres douleurs ne se reproduit dans la vie de Charles IX et de Catherine de Médicis, par cette simple raison d'abord que, pour sentir des remords, il faut avoir la conviction douloureuse d'une mauvaise action. Or, ce n'est pas ainsi qu'étaient jugées par les contemporains ces tristes scènes de la guerre civile : on s'entre-tuait comme dans un duel ou une bataille[1]. Il faut juger un temps d'après les idées courantes, et il est curieux même de voir les félicitations qui arrivent de tous les points du monde, au roi et à sa mère, à l'occasion du coup d'État contre les huguenots ; on considère cet événement comme la mesure qui a sauvé la couronne menacée par une conjuration hautement ourdie dans les conseils de Coligny[2]. Le but qu'on semble ou au moins qu'on espère atteindre, c'est l'unité de foi ou de pouvoir : n'est-ce pas le vœu de toute haute tète politique que de réaliser l'unité d'opinions et de partis ? Loin qu'on remarque donc une grande tristesse autour de
Charles IX et de Catherine de Médicis, c'est au contraire un temps de fêtes
et de distractions. Les splendeurs de Florence brillent de tout leur éclat
dans les plans que Catherine de Médicis trace elle-même des jardins des
Tuileries, des nouveaux quartiers en l'Ile, sur les quais de Loin d'affaiblir l'autorité du roi, la triste bataille
contre les huguenots avait fortifié l'action du pouvoir en dehors de la
monarchie, et c'est à cette époque qu'eut lieu l'élection du duc d'Anjou
comme roi de Pologne[3]. Fils de
prédilection de Catherine de Médicis, le duc d'Anjou, grand et courageux
capitaine, était réputé fort catholique, et le parti calviniste avait imposé
la condition de l'éloigner de France, pour lui substituer le dernier fils de
Catherine de Médicis, le duc d'Alençon, favorable aux huguenots et fiancé à
Elisabeth d'Angleterre. Le duc d'Anjou, élu roi de Pologne, n'avait pas cessé
un moment d'avoir les yeux tournés vers Ce caractère de tempérance et de modération n'était pas
seulement dans les habitudes de la reine mère : il était encore habile dans
l'état des âmes. Paris n'était pas Le centre de la conjuration était le Languedoc, alors
inondé de pamphlets huguenots et politiques, et où commandaient les maréchaux
Cossé, Montmorency, Damville ; on prenait pour point de départ la promesse
toujours populaire de la convocation des états généraux ; on laissait le
maladif Charles IX expirer doucement. Le duc d'Anjou, roi de Pologne, était
déclaré déchu de la couronne que Ton promettait comme succession au duc
d'Alençon, fiancé à la reine d'Angleterre, avec l'alliance de Catherine de Médicis présida avec fermeté à tous les actes
de répression de ce complot : elle avait interrogé le roi de Navarre et le
prince de Condé : d'après leurs réponses, pleines d'aveux et de faiblesses,
on avait procédé au procès sérieux contre Une déclaration presque semblable fut dictée au roi de
Navarre[9], qui pleura bien
piteusement et à chaudes larmes sur son innocence ; Henri de Béarn fut sans
fermeté et sans dignité : on fit mille recherches, et ce qui parut surtout
préoccuper Catherine de Médicis, ce furent les images de cire qu'on avait
trouvées chez XVIII. — 1574.Catherine de Médicis avait mis une ardeur particulière à
poursuivre la conjuration de II faut fouiller dans les pamphlets orduriers des huguenots, je le répète, pour trouver cette mort de Charles IX fantastique, pleine de remords sanglants, et ces mots puérils et grotesques que les histoires vulgaires ont mis dans la bouche du roi pendant sa lente agonie. Charles IX mourut avec fermeté et douceur, comme un noble jeune homme, dans les bras de sa mère. Ce prince artiste, ami des vers, de la douce vie, fut très-vivement regretté, et mille strophes touchantes furent jetées sur sa tombe : L'amour qu'il portoit à outrance[16] A notre désolée France, La faict mourir avant le temps, Tout ainsi qu'on verroit un père Accablé de tristesse amère, Mourir d'ennui pour ses enfans. Sa beauté, sa gentille grâce ; La gravité peinte en sa face, Et sa naturelle bonté Abattront la cruelle rage, Et feront rougir le visage De l'ennemi plus effronté. Rien de plus doux et de plus triste que les paroles jetées sur sa tombe par ceux qui l'avaient connu et aimé. Et qui, bon Dieu, ne regretteroit la beauté d'une tendrelette fleur (Charles IX), qui n'est sitost épanouie qu'une tempeste, ou Je tranchant d'un soc ne renverse et fasse périr ? Et qui par mesme moyen pourroit avoir le cœur si ferme ou plutôt si obstiné, qui, voyant la jeunesse de notre bon prince sitost renversée et fanée, que la beauté et la fleur de son âge commençoit à flairer et se rendre odoriférante devant toutes les nations du monde, ne le regretteroit ? Mort, combien amère est ta mémoire[17]. Les funérailles de Charles IX furent une véritable douleur publique : on y voyait cinq cents pauvres vêtus de deuil, les confréries de métiers, marchands, échevins, pleurant à chaudes larmes, et pendant plusieurs semaines tous les plaisirs furent suspendus : on ne vit même pas une joie domestique dans la bonne ville de Paris. Les Recueils publics d'alors disent les regrets que souleva la mort de ce gentil roi. Les artistes surtout le regrettèrent : Charles IX portait l'élégance, la richesse de la forme dans toute sa royale personne. Nul n'avait de plus beaux vêtements, de plus riches armures : ses arquebuses, ses épées, son casque, ses cuissards, brassards, et jusqu'à sa cotte de mailles étaient des chefs-d'œuvre artistiques. Il existe encore quelques-uns de ces coffrets de Florence dans lesquels il renfermait ses eaux de senteur et ses gants parfumés. Tout respire le goût et l'élégance, et toutes ces joies, ces plaisirs, ces fêtes, le jeune roi les quitta avec une force d'âme, un mépris religieux que donne la foi. Une gravure contemporaine reproduit le lit de mort où repose ce prince de vingt-trois ans. Tout était réglé autour de ce lit pour la régence de Catherine de Médicis, et c'est ici une fois encore que l'esprit tempéré de la reine mère se montre libre et tout entier. Le lendemain de la mort du roi elle écrit aux gouverneurs de province : Mon cousin, vous avez cy-devant pu entendre la maladie du feu[18] roy, monsieur mon fils, lequel connoissant enfin que Dieu vouloit l'appeler à lui, a voulu me remettre la charge de gouverner le royaume, en attendant le retour du roy de Pologne, monsieur mon fils : quelque temps après il a rendu l'esprit et quitté les misères de cette vie, m'ayant laissé une bien grande et naturelle douleur, qui me fait désirer de quitter et remettre toute affaire, pour chercher quelque tranquillité de vie : néanmoins, vaincue de l'instante prière qu'il m'a faite par son dernier propos d'embrasser cet office au bien de cette couronne, j'ai esté contrainte d'accepter la dite charge, espérant que Dieu me fera la grâce, assistée de la bonne volonté démon fils, le duc d'Alençon, et du roy de Navarre, mon beau-fils et autres bons serviteurs de cette couronne, de conduire toutes choses en telle modération, que ce désastre n'altérera en rien la tranquillité de cet Estat.... Sur quelques-unes de ces dépêches, en post-scriptum, on lisait[19] : La maladie du feu roy a esté une grosse fièvre continue causée par une inflammation de poulmons, que l'on estime être procédée de violents exercices qu'il a faits. Il n*est pas inutile de remarquer que dans cette lettre
adressée aux gouverneurs de province, la reine Catherine de Médicis insiste
pour constater que le roi de Navarre et le duc d'Alençon sont auprès d'elle
et partagent ses travaux dans le conseil. Ces deux princes, récemment
compromis dans la conjuration de Le péril que voulait conjurer Catherine de Médicis
surtout, c'était l'union des calvinistes et des politiques dans les provinces
du midi de Après avoir visité Venise et l'Italie, Henri III débarqua
dans Ces démonstrations catholiques, qui, au reste, s'alliaient
aux mœurs faciles des Valois, avaient pour but politique de lutter contre
l'influence de la maison de Guise, toute-puissante maîtresse des esprits. Tel
était le conseil incessant de la reine mère, qui voyait dans la maison de
Lorraine la seule rivalité redoutable pour les Valois ; on avait essayé de
l'alliance avec les chefs calvinistes, à quoi avait-elle abouti ? Sans donner
au roi l'appui sincère des huguenots, cette alliance avait contribué à
grandir le pouvoir du duc de Guise et à la terrible réaction de Ces pieuses préoccupations de Henri III ne l'absorbaient pas tellement qu'il ne pût conserver son goût des arts, des lettres, des fêtes splendides et des carrousels, jeux de bague, discours de beaux esprits. Roi grammairien, qui négligeait les affaires publiques, comme on le disait alors, pour se faire lire les beaux dires et les exploits des temps passés. Autour de lui on ne parlait que de la fable, des églogues virgilionnes. On publiait Adonis ou le trépas du roy Charles IX, églogue de chasse ; les Dauphins ou le retour du roy, églogue marine avec le chant des Syrènes, épithalame sur son mariage[31]. Ce goût des doux loisirs, des plaisirs, de la dévotion et de l'esprit soulevait contre lui les pamphlets prétentieux du vieux parti qui lui donnait les titres qu'on va lire : Henri III, par la grâce de sa mère, inerte roy de France et de Pologne imaginaire, concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain l'Auxerrois, baste-leur des églises de Paris, gendre de Colas, goudronneur des collets de sa femme et friseur de ses cheveux, mercier du palais, visiteur des estuves, gardien des quatre mendians, père conscrit des blancs battus et protecteur des capucins[32]. Ces pamphlets, partout répandus, préparaient la prise
d'armes des huguenots et leur prochain rapprochement avec les politiques. Le
duc d'Alençon, si surveillé par Catherine de Médicis, engagé envers la reine
par un serment solennel à ne plus faire la guerre civile, s'était enfui de la
cour pour XIX. — 1676-1579.Catherine de Médicis s'efforçait donc en vain d'apaiser les âmes ardentes, de les ramener au devoir envers l'autorité royale déposée dans ses mains, et l'on use à ce labeur incessant l'énergie la plus puissante, la force la plus active ; nul ne vous écoute, on devient l'objet et le but constant des pamphlets, des attaques immodérées, fatales, et le plus souvent on succombe à l'œuvre de modération qu'on s'était imposé le devoir de réaliser. Ainsi fut la reine mère à cette époque si profondément agitée ; cette fois encore la paix publique était violemment menacée : le duc d'Alençon venait de quitter la cour pour prendre les armes ; à aucun prix Catherine de Médicis ne voulait l'invasion des reîtres et lansquenets dévastateurs sur le territoire de la monarchie ; elle envoya le duc du Biron, brave soldat du parti modéré, pour essayer une pacification nouvelle ; elle concédait tout[34] aux mécontents afin d'éviter la présence en France des étrangers que le prince de Condé venait d'appeler à son aide par son traité avec les princes allemands. Le parti catholique s'inquiétait de cette tendance molle
et indécise de Catherine de Médicis à l'avènement de Henri III ; le bruit que la reine voulait se rapprocher des huguenots et leur
accorder la liberté des prêches se répandait au loin : l'ambassadeur
d'Espagne s'en plaignit à Catherine de Médicis : La
royne me dit, écrit à son maître l'ambassadeur de Philippe II, que les affaires de son royaume réclament la paix ; mon
fils y réfléchira bien, il est entouré d'un bon conseil, et avant de se
décider il s'assurera de tout[35]. L'ambassadeur
s'alarmait du voyage de la reine mère subitement résolu ; elle devait se
rendre elle-même auprès du duc d'Alençon et réclamer la paix : Je crois la trêve indispensable, écrit la reine
mère à Henri III, quoique les conditions soient
dures ; il faut rompre avant tout les engagemens que le duc d'Alençon va
contracter avec la royne d'Angleterre et les princes d'Allemagne[36]. Ainsi, pour
préserver Les catholiques, profondément blessés de ces concessions nouvelles, entouraient avec plus de zèle et plus d'ardeur encore le duc de Guise, car lui ne traitait pas avec les huguenots comme la reine mère, il les battait à outrance en pleine campagne, dispersant les reîtres du bout de sa grande épée, pour la délivrance du royaume. Il reçut dans cette glorieuse lutte une balafre en plein visage, comme son père ; noble blessure qui le rendit l'idole des catholiques, tandis que la reine mère faisait signer à Henri III la paix de 1576[37], qui reconstituait la féodalité au profit du protestantisme sous le duc d'Alençon. Celui-ci prenait le titre de duc d'Anjou, qu'avait porté son frère, devenu Henri III, avec son immense apanage. Le roi de Navarre et le prince de Condé recevaient chacun des indemnités considérables pour tenir lieu de leur équipage de guerre et des dépenses que la guerre avait occasionnées. Il était évident qu'une fois ce traité signé, le parti
catholique, qui n'avait plus dans le roi Henri III et dans Catherine de
Médicis la représentation suffisante de ses intérêts et de ses forces, devait
s'organiser en dehors de la royauté des Valois. De là naquit la belle et
nationale association de On vit bientôt la force de cette Ligue dans les premiers
états de Blois qui furent convoqués ; la question posée aux trois ordres fut
celle-ci : Y aura-t-il libre exercice de la réforme, ou établira-t-on l'unité
de foi catholique ? Les états, sauf quelques voix isolées des politiques, se
prononcèrent dans les idées de Le but de Catherine de Médicis était donc, tout en
accédant à la volonté populaire des états de Blois très-catholiques, de
gagner un à un les chefs du parti politique et des huguenots, en les ralliant
à sa couronne. Elle écrivait au maréchal de Damville : Mon cousin, le roy, monsieur mon fils, vous sera si bon
maître et roy, que vous aurez grandement occasion de le bien servir ; vous
prendrez toute confiance de lui et de moi ; je désire tant votre bien et je
m'employerai toujours pour ce qui vous touchera[40]. Ainsi, la reine
mère répugne profondément à l'idée de procéder contre les huguenots d'une
façon violente : Je suis catholique,
disait-elle, et ai aussi bonne conscience que nul
autre peut avoir ; j'ai beaucoup de fois hasardé ma personne contre les
huguenots du temps du feu roy mon fils ; je ne le crains pas encore[41] ; je suis prête à mourir ayant cinquante-huit ans d'âge,
et j'espère aller en paradis. Jusqu'à ce que le roy ait le moyen d'exécuter
cette résolution d'établir une seule religion, il ne doit pas le déclarer ;
quant à moi, je ne veux pas perdre ce royaume, mon dessein est de le
conserver| en le perdant la religion seroit perdue ; au contraire, ce royaume
étant conservé, la religion le sera aussi. Nous avons peu de moyens de faire
la guerre, il n'y en a presque pas de vivre. Je pense être affectionnée à ma
religion plus qu'aucun autre ; s'il y en a d'autres qui ne se soucient pas de
la perte de cet État, pourvu qu'ils puissent dire : J'ai bien maintenu la
religion catholique ; je n'ai rien à leur dire, mais je ne veux pas leur
ressembler. Ces paroles s'adressaient au duc de Nevers qui, pour
justifier son zèle extrême pour la religion, invoquait ses ancêtres, croisés
du XIIIe siècle. Catherine de Médicis se prit à rire : Tenez, voilà mon cousin qui veut nous envoyer à
Constantinople ![42] Tel était le caractère plein de modération et de sens de
Catherine de Médicis ; tout parti extrême lui répugnait ; tandis que le roi,
dominé par les états et Ce danger était, pour Catherine de Médicis, la marche des
reîtres sur le territoire du royaume. On défait l'éviter à tout prix, et
Catherine de Médicis, pour calmer une fois encore les huguenots, qui
appelaient les étrangers à leur aide, voulut donner un nouveau développement
à l'édit de pacification de Poitiers dans les conférences de Xérac : les
calvinistes obtinrent la faculté d'établir des prêches dans toutes les villes
du royaume. Au lieu de quatorze places de sûreté, ils en recevaient dix-sept
où le roi de Navarre et le prince de Condé pouvaient tenir garnison[46]. La reine mère
ainsi accordait tout pour calmer le parti huguenot si exigeant, et éviter
surtout l'intervention des étrangers dans les affaires du royaume. Comme elle
avait présidé elle-même aux conférences de Xérac, elle se montra heureuse des
résultats et surtout de la réconciliation de ses deux fils, le roi Henri III
et le duc d'Anjou (d'Alençon). A ce
sujet, elle écrivait au maréchal de Damville[47] : Mon cousin, présentement m'est arrivé le sieur d'Arques de
la part du roy monsieur mon fils, pour me témoigner le grand aise et
contentement qu'il a de la paix. Le sieur d'Arques m'a ensuite appris la plus
agréable nouvelle que j'eusse pu entendre, qui est que mon fils le duc
d'Anjou est arrivé le 26 de ce mois à Paris, où il est venu trouver le roy
monsieur mon fils, accompagné seulement de deux ou trois gentilshommes ; et,
après s'être embrassés et fait toute la bonne chère qu'il se peut et que se
dévoient deux bons frères, ils couchèrent cette nuit-là ensemble, délibérant
de continuer à toujours la bonne et parfaite amitié qu'ils se doivent, dont
je loue Dieu très-grandement, vous en ayant bien voulu escrire pour la joie
que chacun doit en avoir et le bien que c'est à ce royaume[48]. Dans cette correspondance intime de la reine mère, et si multipliée qu'on en trouve partout des traces, ce qui se révèle spécialement, c'est l'esprit habile et pacifique. Catherine de Médicis est heureuse quand elle rapproche les hommes, les idées, les passions, les intérêts, les familles ; elle a horreur de la guerre civile, de l'agitation des partis, dont le témoignage était si triste à Florence ; elle voudrait établir son pouvoir sur l'apaisement des âmes. Et c'est pourtant cette reine, cette femme si éprise de la paix, qu'on a représentée et qu'on montre encore le fer et le poignard à la main, et, nouvelle Locuste, offrant la coupe empoisonnée à toutes les lèvres pour donner ensuite un ridicule spectacle de terreurs et de remords ! XX. — 1580-1584.Profondément convaincu de la capacité politique de sa mère, Henri III lui abandonnait le gouvernement du royaume. Cette reine de soixante ans déjà, belle encore, toujours active, ne cessait d'agir, de s'occuper des affaires d'État, la passion de sa vie ; elle joignait à un grand esprit, héritage de la famille des Médicis, un charme indicible et tout italien dans sa parole. Henri IH n'avait jamais cessé d'être un vaillant soldat, un des grands capitaines de son temps. H tenait de sa mère un goût exquis de fêtes artistiques, plaisirs, bals et mascarades. Cœur familier et aimant, il s'était entouré de jeunes gentilshommes braves comme lui, rieurs, enjoués, enfants des glorieuses maisons de Quélus, Maugiron, Schomberg, Saint-Mesgrin, Joyeuse, d'Épernon, dévoués à sa personne, à une époque d'assassinats, de coups de dague secrets et perfides. Ce furent ces jeunes gentilshommes que des pamphlets accusèrent d'être les mignons du roi[49] ; oui, jusqu'à Saint-Mesgrin, l'amant si délicat, si loyal, si courageux de la duchesse de Guise ! Ceux qui ont vécu en temps de partis savent combien ils sont perfidement ingénieux à inventer des vices, à jeter d'abominables épithètes à leurs ennemis ; et le plus fort inventeur de ces mauvais dires de cour, ce fut Henri de Béarn, roi de Navarre. Laid de figure, soldat au pourpoint percé, il ne pouvait souffrir ces élégants gentilshommes, braves comme lui, mais parfumés de senteurs de Florence et de Venise : Je sais bon gré au duc de Guise, mon cousin, avait-il dit, de n'avoir pu souffrir qu'un mignon de couchette le trompât. C'est ainsi qu'il faudroit accoustrer tous ces petits galans de la cour qui se meslent d'approcher les princesses pour les mugueter et leur faire l'amour[50]. S'il fallait rechercher une idée politique à travers cette
vie de plaisirs et de fêtes, si naturelle à de jeunes gentilshommes, on
pourrait la trouver dans cette volonté constante et ingénieuse de Catherine
de Médicis d'offrir à tous, fougueux calvinistes ou ligueurs, un lieu de
repos et de conciliation, les jardins d'Armide, au moment où Torquato Tasso
venait de publier il Goffrido[51], le premier
titre de Les Italiens avaient aussi des places de confiance dans les négociations, l'armée, les conseils, témoin les fortunes récentes des ducs de Nevers[54], de Nemours, de Retz (Gondi) et de Strozzi lui-même. La reine mère aimait ces caractères souples, négociateurs par excellence, qui savaient apaiser les âmes, résoudre les difficultés les plus graves par des expédients. Les Italiens devenaient puissants à la cour, parce qu'ils se rendaient indispensables ; ils avaient introduit l'élégance, la suavité dans les formes, les gants parfumés, les essences, les odeurs, et souvent, par ces moyens, ils servaient de coupables projets, moins qu'on ne l'a écrit pourtant, car ils inspiraient la haine. Lorsqu'une certaine classe de la société est l'objet des jalousies publiques, il est rare qu'on ne l'accuse pas de crimes imaginaires ; et les Italiens étaient poursuivis d'une grande clameur, non-seulement comme étrangers, mais encore parce qu'à travers leur personnalité odieuse, les partis cherchaient Catherine de Médicis, leur protectrice : Italiens, inventeurs de subsides, Pires cent fois que tous les parricides. Ô poltrons ! lâches ainsi bannis, Qui tous estiez vilains en vos pays. Faut-il quasi par un malheur fatal Que tous ces bougres nous causent tant de mal l Toi qui fais tant de muguets parfumés, Un jour viendra, tu seras enfumé, Car Qu'il faut que la teste on te casse[55]. Ces Italiens que poursuivaient les pasquils populaires étaient pourtant les hommes auxquels la génération élégante avait le plus souvent recours dans ses besoins d'imagination et même dans ses faiblesses : ils étaient d'abord les financiers (depuis l'expulsion des juifs), ensuite les devins, les physiciens, les mathématiciens, les ingénieurs, les artistes dessinateurs, musiciens, peintres, architectes, sculpteurs, banquiers de la cour ou des particuliers, et les intermédiaires du commerce[56]. Catherine de Médicis savait bien ce qu'elle faisait en favorisant l'émigration des Italiens en France ; la superstition correspondait aux mœurs de ce temps, et tout n'était pas faux et absurde dans les paroles de l'astrologue. Il existe évidemment un monde inconnu qui se révèle à nos sens par des merveilles et dont le dernier mot n'est pas encore dit : souvent l'astrologue n'était qu'un esprit d'examen et de comparaison. Il fallait qu'il y eût une science extraordinaire de divination, par exemple dans Cosme Ruggieri, puisque toute la cour accourait autour de l'astrologue de la reine mère pour écouter ses avis ou régler sa destinée. Catherine de Médicis était superstitieuse comme une Italienne et peut-être parce qu'elle avait une rude tâche à remplir, et qu'un destin immense fait qu'on a recours à des forces surnaturelles. Cette tendance de Catherine de Médicis pour les astrologues est tellement prononcée et publique, qu'elle n'échappe pas à la sagacité de l'ambassadeur d'Espagne, qui en fait l'objet d'une de ses dépêches à Philippe II. Il dit : que la reine mère — qui a une grande vénération pour les astrologues et qui en beaucoup d'occasions se gouverne par leur conseil — a été advisée par celui qu'elle a en plus grande considération que le duc d'Alençon court grand risque et presque inévitablement de mourir cette année. Cela étant, il paroît qu'on assureroit la succession de tout ce royaume au prince de Béarn (Henri de Navarre), et au cas où il ne laisseroil pas de fils, au prince de Condé, ce qui seroit d'un grand dommage pour toute la chrétienté[57]. (Condé était huguenot.) Ainsi, toutes les pensées de la reine mère sont toujours pour un système de concessions au parti calviniste, afin de mettre un terme à la guerre civile ; elle n'hésite pas à assurer la couronne même aux chefs modérés de la réformation, et c'est ce qui la rattache surtout aux politiques royalistes dont l'avocat conseiller Pasquier s'est fait la vive et constante expression dans ses plus curieuses lettres. Lui voudrait enfin que la guerre civile cessât et qu'on reconnût un seul chef, un seul roi, une seule volonté dans un État. Direz-vous, continue-t-il naïvement, que les éléphans n'ont point de roys ? je le nie : ils marchent toujours en troupes et font passer pour premier le plus vieux d'entre eux, comme chef et conducteur. Et les grues ne se choisissait-elles pas un roy ? et les oies font le semblable que les grues, dressant leur bataillon en pointe comme l'éperon d'un navire ? Voulez-vous une plus belle monarchie que celle que nous voyons en nos basses-cours, en nos coqs et poules ? Là, nous voyons monsieur le coq portant la creste sur la teste en forme de couronne, marchant et piaffant à grands pas au milieu de ses poules ; mettez un autre coq avec lui, vous connoîtrez fort aisément combien toute royauté est impatiente de compagnon[58]. C'est parce que le tiers parti exprimait des doctrines et des souhaits favorables au gouvernement unitaire, que Catherine de Médicis se rattachait de toutes ses forces à des pensées de modération, à ces hommes d'expérience qui pouvaient organiser ou soutenir la royauté dans ses périls. Elle avait une égale répugnance pour les catholiques extrêmes et pour les huguenots trop inflexibles ; Catherine de Médicis était la véritable expression et pour ainsi dire la reine du tiers parti. |
[1]
On frappa même des médailles commémoratives en l'honneur de
[2] Voyez la lettre de félicitations du roi Philippe II dans les Archives de Simancas, 3 septembre 1572. Archives de Simancas, B, 32.
[3] Tout ce qui est relatif à l'élection du duc d'Anjou, roi de Pologne, se trouve dans les portefeuilles Fontanieu, n° 327, 328.
[4] Mss. de Béthune, vol. coté 8821, fol. 16. La lettre est originale et autographe.
[5] Ce sont les dépêches de M. de Schomberg qu'il faut consulter sur ce point. (Mss. de Séguier, n° 1504, fonds Saint-Germain, Bibliotb. imp.)
[6] On trouve la révélation de tous ces projets dans les interrogatoires subis par Coconas, 13 avril 1574.
[7]
Interrogatoire et déposition, tant de Monsieur, frère du roi, que de MM. de
[8] Biblioth. imp. Recueil de pièces in-8°, coté I, pièce 30. Mss. Béthune, n° 8926, fol. 90.
[9] Interrogatoire et déposition du roi de Navarre, 13 avril 1574.
[10]
Lettre de Catherine de Médicis au procureur général
[11] Cosme Ruggieri.
[12] Mss. Béthune, autographe.
[13] Mss. Béthune, autographe.
[14] Une congestion aux poumons, ainsi que le disent les médecins dans leur rapport journalier à la reine mère. (Mss. Béthune.)
[15] Registres du Parlement, vol. XXIX, fol. 131 ; cet édit fut enregistré solennellement.
[16] A Paris, chez Guillaume Chaudière, rue Saint-Jacques, à l'enseigne du Temps et de l'Homme sauvage, juillet 1574.
[17] Discours sur le très-chrétien roy de France Charles IX, piteux et débonnaire, amateur des bons esprits, Paris, juillet 1574.
[18] Cette lettre est dans les mss. Béthune, vol. coté 8758, fol. 69.
[19] Mss. Béthune, coté 8758, fol. 69 ; vol. coté 8765, fol. 94.
[20] Ces lettres sont du 15 juin 1574. Registres du Parlement, vol. II, coté fol. 165.
[21] Recueil de Fontanieu, 1574-1575.
[22] Cette lettre si curieuse est dans les mss. Béthune, 19 mai 1674, vol. coté 8764, fol. 24.
[23] Discours de la mort et exécution de Gabriel, comte de Montgomery, pour conspiration contre le Roy et l'Estat.
[24] Ce pamphlet parut d'abord en latin, sous ce titre : Legenda Catharinæ Medicæ matris vitæ, actor et consilior, quihus universum regni Galliæ statum turbare conatam est, 1576, in-8°.
[25] Né le 19 septembre 1551, à Fontainebleau.
[26]
Henri III avait quitté
[27] Journal du roy Henri III, éd. de 1744, t. I, p. 109.
[28]
Il existe aux imprimés de
[29] Journal de Henri III, 1575.
[30]
Voyez dans
[31] Bibliothèque de M. de Fontanieu. Recueil de pièces in-4°.
[32] Journal de Henri III.
[33] Mss. Colbert, vol. XXIX, gros reg. parchemin.
[34] Portefeuille Fontanieu, n° 339-340.
[35] Archives de Simancas, B, 38.
[36] Portefeuille Fontanieu, n° 339, 340.
[37] Les articles secrets de cette paix étrange se trouvent dans les mss. de Colbert, vol. LXIV, in-fol., p. 890.
[38] Voyez le curieux mémoire contemporain de M. Delezeau, conseiller d'État, conservé en mss. (Biblioth. Sainte-Geneviève.)
[39] Les premiers états de Blois se tinrent dans l'hiver de 1676 à 1577 ; on en trouve le récit dans les mss. Béthune, vol. coté n° 8826.
[40] Mss. Béthune, n° 8887, fol. 48.
[41] Journal du duc de Nevers, éd. in-fol., 1665.
[42] Les mémoires du duc de Nevers offrent une grande curiosité. Voyez t. I, p. 455.
[43] Le texte du traité de Poitiers se trouve en original dans les mss. du Puy, vol. 428 : copie en est faite dans les mss. Colbert, verso 490.
[44] Le Voyage de Catherine de Médicis est du mois de mai 1579.
[45] Mss. Béthune, vol. coté 8703, fol. 132.
[46] Édit enregistré au parlement, vol. II, L, fol. 212.
[47] Mss. Béthune, vol. coté 8848.
[48] Mss. Béthune, vol. coté 8848.
[49] Les poètes disaient comme toujours :
Oui, l'homme vertueux est languissant de faim,
Et à ses seuls mignons le roi fait des largesses.
(Pasquil contre Henri III.)
[50] Quand quelques-uns de ces jeunes gentilshommes dévoués au roi Henri III périrent en duel, on fit cette épigramme :
Seigneur, reçois en ton giron
Schomberg, Quélus et Maugiron.
(Journal de Henri III.)
[51] 1574.
[52] Journal de Henri III, t. I, p. 202.
[53] Ibidem, ad annum 1579.
[54] Fils du duc de Mantoue. Les Nemours étaient de la maison de Savoie.
[55] Pasquil de 1580. On en trouve plusieurs dans des notes ajoutées au Journal de Henri III.
[56] Plus tard : Cassini, Riqueti, n'étaient-ils pas d'origine bolonaise ou florentine ?
[57] Dépêches secrètes (Archives de Simancas), coté B, 46.
[58] Estienne Pasquier, liv. X, lettre 1re.