IX. — 1560-1561.La répression violente de la conjuration d'Amboise mettait un pouvoir si grand dans les mains du duc de Guise[1], que l'esprit tempéré de Catherine de Médicis dut s'en alarmer. Elle détestait toutes les mesures extrêmes : apaiser, concilier les opinions était sa devise. Elle voyait les catholiques s'organiser et triompher sous Marie Stuart et les Guise. Marie Stuart, avec toutes les douceurs de formes et une véritable poésie de langage, était un esprit entier, convaincu, décidé aux grandes choses, aux aventures politiques[2] ; elle poussait François II aux entreprises conformes au vigoureux esprit des Guise, tandis que Catherine de Médicis s'efforçait de fondre les partis, même sans nuances, afin d'assurer un règne paisible à son fils avec le triomphe des arts, de la grâce, de la galanterie ; elle pensait qu'au temps des guerres civiles, il faut apaiser, affadir même les âmes, parce qu'elles ont toujours assez d'énergie, et qu'il vaut mieux se couronner de fleurs que de lauriers ensanglantés. n n'est pas inutile de remarquer que Catherine de Médicis choisit pour ses conseillers intimes deux magistrats d'une modération extrême et qu'on aurait pu considérer comme favorables au parti scientifique des novateurs : je veux parler de Michel L'Hospital qu'elle fit chancelier[3], et du président de Thou, le rédacteur de la plupart des édits de ce règne ; de sorte qu'il se trouve une évidente contradiction dans les jugements que l'histoire vulgaire porte sur Catherine de Médicis. Si l'on fait l'éloge de L'Hospital et de de Thou, esprits supérieurs, comment se montre-t-on si sévère à l'égard de la reine mère qu'ils servaient ? Comment des hommes de science et d'honneur se seraient-ils faits les instruments d'un système s'il eût été si odieux[4] ! La complicité n'est-elle pas aussi coupable que l'attentat ? C'est que Catherine de Médicis représentait le parti modéré, tout en donnant au parti catholique les gages qu'il pouvait souhaiter, par l'édit de Romorantin sur les juridictions ecclésiastiques[5]. Le conseil, dominé par Catherine de Médicis, convoqua les notables, promit les états généraux pour décider nationalement enfin les questions religieuses qui agitaient la société, car les huguenots partout remuaient encore dans les provinces. Comme tous les partis ardents et en minorité, quand on les ménageait, ils se croyaient redoutés et à la veille d'une victoire. Il était donc difficile d'opérer une pacification des âmes au milieu de ces intérêts et de ces passions. L'assemblée des notables réunie à Fontainebleau n'avançait pas ; le parti des modérés, des légistes sous le chancelier de L'Hospital, provoqua la convocation réelle des états généraux à Orléans, le rêve des parlementaires. Dans l'intervalle de cette convocation, un événement considérable était arrivé : la mort du roi François II[6], dont le règne avait duré un peu plus d'une année. C'était un coup porté à la puissance des Guise : avec François II s'éteignait le crédit gracieux et dominateur de Marie Stuart, si favorable aux catholiques. La reine mère saisissait la suprême direction des affaires de France : il j aurait une minorité de roi pour quelques années. Le prince qui prenait le nom de Charles IX, né le 27 juin 1550, avait donc dix ans cinq mois lorsqu'il monta sur le trône[7]. Doué d'une figure charmante, il était aimé de prédilection par sa mère, qui lui avait inspiré quelque chose de ses goûts pour la poésie, les sciences et les arts. Charles IX dessinait avec grâce en souvenir des Médicis de Florence, il chantait, en s'accompagnant de son luth, de jolis vers de sa composition enfantine. Mais son goût le plus vif était pour la chasse dans les bois ; il sonnait du cor avec une force immense, courait le cerf et le sanglier, aimant ensuite à lire les grandes prouesses et déduits de la chasse dans les vieux livres de chevalerie couverts de beau velours à mille fleurs de lis d'or. Catherine de Médicis en avait fait l'enfant de son plus grand amour : d'après les lois fondamentales de la monarchie, elle aurait pu prendre la régence unique ; son esprit conciliant lui fit préférer un gouvernement partagé avec un lieutenant général du royaume, afin de balancer son pouvoir unique, et Catherine de Médicis ne continua pas à conférer ces hautes fonctions au duc de Guise, choix trop tranché pour ne pas mécontenter les huguenots. Elle lui préféra le roi de Navarre, caractère hésitant entre la vieille et la nouvelle foi. Les Guise, chefs de partis trop puissants, pouvaient compromettre la pacification. Nul prince ne fut plus loué à son avènement par les calvinistes que Charles IX sous le gouvernement de sa mère ; ils le présentèrent comme l'élu de Dieu destiné à sauver son peuple et à rechercher la connaissance de la loi, gentil prince qui chasserait l'idole[8], c'est-à-dire le pape. Ces sonnets calvinistes à l'éloge de Charles IX se chantaient le soir avec les psaumes de Clément Marot dans le Pré aux Clercs. Catherine de. Médicis composa le conseil des sommités de
tous les partis, sous la lieutenance-générale du roi de Navarre : on y
comptait les cardinaux de Lorraine, de Bourbon, de Tournon, Guise et
Châtillon (esprits très-divers et hostiles)
; le prince de Catherine de Médicis avait fait entrer dans son plan pacificateur la convocation des états généraux, haute assemblée nationale[9]. Par le concours d'une majorité des trois ordres, elle espérait dominer les chefs ambitieux ; mais la mesure la plus hardie fut évidemment la réunion d'une espèce de concile ou colloque national qui se tiendrait entre les protestants et les catholiques pour se concorder et s'entendre sur les points divers de la religion et faire triompher la vérité. Par ce coup hardi d'une politique tolérante, Catherine de Médicis plaçait les deux religions sur le pied de la plus exacte égalité, et la foi catholique était atteinte dans sa suprématie. Catherine de Médicis, la propre nièce de Clément VU, écrivait au pape, son successeur, non-seulement pour justifier le colloque qui allait se tenir entre les catholiques et les protestants, mais encore pour proposer au Saint-Père d'adopter certains points de doctrines véritablement hérétiques. Voici cette lettre curieuse, surtout lorsqu'on la rapproche des opinions de l'histoire vulgaire sur le fanatisme et l'intolérance de Catherine de Médicis : Je vous proposerai, Très-Saint-Père, de supprimer le culte des images, de ne plus conférer le baptesme que par l'eau et la parole ; la communion sera donnée sous les deux espèces ; on chantera les psaumes en langue vulgaire à ceux qui s'approcheront de la sainte table ; enfin, on abolira la feste et les processions du Saint-Sacrement, parce que cette solennité est de tous les jours et de tous les temps[10]. Le défaut capital des esprits à concessions est d'abdiquer la pureté de leur propre doctrine par un désir extrême de rapprocher, de concilier les esprits : fondre toutes les doctrines, c'est ne plus en avoir aucune. Quand on lui faisait quelques observations sur les mauvaises empreintes qui pourraient rester dans l'esprit, par suite d'une libre discussion engagée en sa présence par les plus éloquents des ministres de la religion calviniste, Catherine de Médicis répondait : Que les évêques catholiques étaient aussi habiles clans la parole, et qu'ils réfuteraient sans doute les objections des calvinistes. L'opinion très arrêtée de Catherine de Médicis était celle du libre et calme examen, afin d'arriver à l'apaisement des esprits : erreur profonde de son intelligence libérale et scientifique. Est-ce qu'il y a jamais de conciliation possible entre des doctrines proclamées et soutenues de part et d'autre, comme la vérité théologique ? Est-ce que les passions se rapprochent et tendent jamais cordialement à s'éteindre ? Elles n'acceptent jamais d'autres vérités que celles qu'elles se sont faites. Le colloque de Poissy[11] n'aboutit à rien et ne finit rien ; Catherine de Médicis s'y montra favorable aux opinions tempérées du calvinisme, à Bèze, l'ami de Calvin, dont la parole modérée lui avait plu singulièrement ; elle répétait aux obstinés : Vous voulez donc agiter toujours ce pauvre royaume ! Catherine de Médicis avait raison dans le grand but qu'elle se proposait, elle essayait l'impossible : les opinions catholique et huguenote n'en étaient pas à ces rapprochements, à ces fraternisations. Les esprits modérés ne pouvaient gouverner longtemps dans l'agitation des âmes. La reine mère avait fait sceller par L'Hospital un nouvel édit de tolérance et de concessions mutuelles entre le prêche et la messe[12]. Dans les époques agitées, les pouvoirs qui veulent trop tenir la balance égale n'obtiennent que le résultat négatif de demeurer en dehors des faits réels et des passions vivaces : alors les partis irrités se choisissent des chefs nouveaux en qui ils mettent leur confiance. Il n'y a d'autorité puissante sur les masses qu'à la condition expresse de vivre de leurs opinions ; pour maîtriser les partis, il ne faut pas se séparer de leurs intérêts, parce qu'alors ils vous méconnaissent et vous renient, afin d'agir librement selon leurs caprices. X. — 1561-1563.Le chancelier de L'Hospital restait le ministre dévoué de Catherine de Médicis pour les hautes affaires politiques, scellant tous les édits ; mais la reine mère se réservait toujours à elle-même la direction intime et habile qu'elle exerçait sur tous ceux qui l'entouraient à la cour. Elle avait alors quarante-deux ans ; les portraits et les estampes qui la reproduisent à cet âge, la représentent encore belle et noble, avec l'œil fin, spirituel ; sa parole, selon le dire des contemporains, avait quelque chose de doux, de persuasif, d'attrayant qui entraînait les cœurs vers elle ; sa compagnie restait joyeuse, toute composée de jeunes filles dont Brantôme nous a laissé la liste ; puis des peintres, sculpteurs, musiciens à qui elle devait ses plus doux instants. Partout, dans ses résidences royales, elle organisait des ballets, fêtes et pompes. Les huguenots ne lui pardonnaient pas cet esprit léger et mondain, en opposition avec les formes austères du calvinisme[13]. La cour de Catherine de Médicis, brillante sous ses ornements d'or et de soie, respirait un parfum de luxe et d'élégance. Tous les objets artistiques qui appartiennent au règne de Charles IX sont d'un goût parfait et d'une ciselure qui rappelle l'art florentin ; les vêtements sont de velours et de soie, les draperies vénitiennes. Ce luxe amollissant avait sa pensée politique : on vivait en pleine guerre civile, l'odeur de sang enivrait toutes les tètes ; les soldats de ce temps étaient marqués d'un type primitif et sauvage y sans douceur et sans merci. Catherine de Médicis voulut les ployer par la mollesse des arts, des fêtes et des amours. Le gracieux escadron des filles de la reine, dont Brantôme a fait le dénombrement, tendait ses arcs et ses flèches si douces aux catholiques, aux huguenots, aux politiques[14] ! Catherine excitait les tendres émotions, présidait aux mariages, à tout ce qui pouvait enlever quelque chose à l'âpreté des cœurs et à l'énergie des consciences ; elle calmait, elle apaisait, et c'est un rôle très-difficile et plus dangereux qu'on ne croit dans les guerres civiles, car on y laisse souvent sa renommée et la vie. Des Guise elle passait aux Coligny, de Castelnau à Tavannes ; partout éclataient des opinions ardentes qu'elle devait calmer, apaiser, caresser par raille fibres diverses, et il est impossible que dans ce pénible labeur on ne laisse pas quelques lambeaux de sa loyauté ou quelques fragments de sa franchise. Toujours négocier suppose une abdication de la vérité absolue et du moi humain ; on doit incessamment ménager les idées et les hommes en dehors de vous, et cette souplesse de moyens peut être facilement confondue avec la finesse qui trompe et la ruse qui se joue des serments et de la conscience. Catherine de Médicis, catholique par son éducation, avait
néanmoins une tendance très-prononcée pour les sommités conciliantes du parti
huguenot ; le caractère de Bèze lui plaît ; elle se prend presque de passion
pour le prince de Condé, car elle le sait aimable, et à la tète de son parti
: Mon cousin, lui écrit-elle, je vous remercie de la peine que prenez si souvent me
mander de vos nouvelles et pour espérer de vous voir bientôt. Je ne vous
ferai plus longue lettre et vous prie vous assurer que n'oublierai jamais ce
que faites pour moi, et si je meurs sans avoir le moyen de le reconnoitre,
comme j'en ai la volonté, j'en laisserai une instruction à mes enfants[15]. Ainsi Catherine
de Médicis gagnait les cœurs les plus hostiles, à l'autorité du roi, car le
prince de Condé avait été un des chefs de la conspiration d'Amboise, et la
reine mère l'oubliait : gentilhomme aimable, adorant les plaisirs, les bals
et les fêtes, la reine avait saisi M. le prince par son côté faible ; elle
l'accablait sous mille lacets d'amour. Le roi de Navarre, le connétable de
Montmorency, Coligny, Dandelot, les Guise eux-mêmes, si puissants, si
passionnés dans leur opinion, subissaient l'irrésistible ascendant de cette
reine, grave avec le chancelier de L'Hospital, le président de Thou, pour les
affaires d'État, rieuse et folâtre avec les élégants gentilshommes, entourée
de ces jeunes filles dont parle Brantôme[16] : Qui depuis les avoit connues toutes mariées,
cherchant à apaiser par la galanterie les appétits sanglants de la guerre
civile. Catherine de Médicis employait dans ce but généreux le noble sentiment des arts qu'elle tenait de sa race, et dans les moments les plus difficiles elle élevait de riches constructions, de splendides châteaux. C'est un peu après la conspiration d'Amboise, qu'elle donna les ordres elle-même à Philibert de Lorme et à Jean Bussan, architectes et dessinateurs, pour dresser le plan du château et jardins des Tuileries, qu'elle voulait élever sur un terrain aride et argileux. Catherine de Médicis en posa la première pierre[17]. A l'origine, ce château, depuis gâté et enlourdi par Henri IV, consistait dans le pavillon du centre, soutenu et embelli par de petites colonnes à torsades et des statuettes à la florentine, accompagné de deux galeries très-légères, qui s'étendaient jusqu'aux pavillons de côté ; les jardins, dessinés comme ceux du palais Pitti de Florence, se composaient de parterres, charmilles, bosquets, espaliers, exposés au soleil du midi, comme les villas de Rome. Charles IX tout jeune homme corrigea de sa main les primitifs dessins de Philibert de Lorme. C'était une race d'artistes que celle des Valois[18], dotée de toute la gr&ce italienne et de l'esprit français par excellence. Avec ce caractère plein d'imagination, il n'est pas
surprenant que Catherine de Médicis, comme artiste, ait souvent consulté les
astres et vécu dans le domaine des choses surnaturelles : les superstitions
colorées sont souvent les oracles du génie. Philibert de Lorme disait de
Catherine de Médicis qu'elle avait tracé la plupart des monuments que lui
n'avait fait ensuite qu'exécuter à Fontainebleau, Anet et Chambord, résidences
royales[19].
La croyance aux choses surnaturelles est d'ailleurs inhérente à tous les
esprits supérieurs qui commandent aux destinées des peuples : quand on est
placé si haut, on a besoin de toujours regarder les cieux. Qui jamais a pu
être surpris que Catherine de Médicis vînt consulter un astrologue savant et
expérimenté ? L'astrologue était la pensée et la main d'un système ;
quelquefois l'espion adroit qui pénétrait plus son secret, le conseil intime,
l'exécuteur des œuvres ; il révélait à Catherine de Médicis la pensée de ses
ennemis, le dernier mot de leurs projets ; il servait d'intermédiaire pour
rapprocher ou désunir, selon la politique de la reine mère. L'astrologue en
faveur était un Florentin dévoué à la pensée de Catherine de Médicis, et qui
la dominait quelquefois en la servant. J'ai recherché très-sérieusement quels
pouvaient être les rapports de Catherine de Médicis avec Cosmo, ou avec
d'autres astrologues italiens de Florence et de Venise : je n'en ai trouvé
nulle trace, si ce n'est pour la conjuration de XI. — 1561-1563 (suite).Les chefs modérés des catholiques et des huguenots
pouvaient se rapprocher de la cour, s'assouplir sous la main gantée de
Catherine de Médicis, mais ces partis considérés eux-mêmes restaient debout
avec leurs passions et leur volonté ardente et vigoureuse. Les édits de
pacification avaient concédé aux huguenots tout ce qu'ils pouvaient
raisonnablement souhaiter, la liberté de conscience et du prêche. La plupart
de leurs chefs étaient dans le conseil du roi ; Catherine de Médicis les
aimait de prédilection, parce que leur langage était doux et respectueux, et
c'est ainsi qu'ils aspiraient à la domination souveraine. Du fond de sa
retraite de Genève, Calvin écrivait à M. de Poet[20] : Que le roi fasse des processions tant qu'il voudra, il ne
pourra empêcher les progrès de notre foy ; surtout ne faites faulte de
défaire le pays de ces zélés faquins qui exortent le peuple par leur discours
à se bander contre nous, et veulent faire passer notre croyance pour rêverie
: pareils monstres doivent estre estouffés comme fis ici à l'exécution de
Michel Servet, Espagnol. C'est dans ce langage, d'une fierté sauvage,
que s'exprimait le pontife du calvinisme. Le parti huguenot ne suivait que trop à la lettre les sombres avis de Calvin : dans les provinces du midi il avait les armes à la main, et à Paris il publiait d'odieux pamphlets contre le roi Charles IX, qu'il avait tant caressé à son avènement, et contre Catherine de Médicis, qui lui tendait la main pour l'apaiser. La correspondance des gouverneurs de province annonçait partout les excès des calvinistes, pilleurs d'églises, de monastères et de cités catholiques[21]. Catherine de Médicis et son fils montraient une patience, une résignation qui tenaient au désir manifeste d'éviter la guerre civile, quand les âmes étaient si ardentes. Mais les catholiques n'avaient pas la volonté de tout subir d'un parti d'insolente minorité. Ils frémissaient de colère, en voyant tant d'insultes et d'outrages faits aux objets de leur respect et de leur foi[22] Déjà le duc de Guise et le cardinal de Lorraine s'étaient retirés de la cour sous des prétextes divers ; et en présence de l'indifférence si manifeste de Catherine de Médicis, de ses tendances même pour les chefs huguenots, les Guise, unis aux chefs du parti catholique, formèrent le projet d'une Ligue ou association dans le dessein de protéger l'unité de la foi et de la nationalité, puisque le pouvoir royal restait indifférent en présence des menaces et des envahissements de l'hérésie, qui ne déguisait plus ses projets. Les cœurs étaient si enflammés qu'au premier heurtement, toute l'œuvre de la paix si bien combinée par Catherine de Médicis devait crouler. A Vassy, les catholiques attaqués, insultés par les calvinistes du prêche, à la vue du duc de Guise blessé au front, se précipitèrent sur les hérétiques avec une indicible fureur[23]. Dès ce moment la trêve fut rompue ; la guerre civile recommença dans toutes ses agitations sanglantes. Il se forma pour contenir et diriger le parti catholique un conseil de trois, composé du duc de Guise, du maréchal de Saint-André et du connétable de Montmorency. Sa première résolution fut de se rendre maître de Charles IX et de Catherine de Médicis, jusqu'alors sous la main des huguenots, et pour cela ils devaient les conduire à Paris, au sein de la bourgeoisie et du peuple, très-ardents catholiques. Fontainebleau, où était alors la cour, la reine Catherine de Médicis était trop libre de manifester ses penchants et de faire ses confidences au prince de Condé surtout, à qui elle écrivait ses craintes, ses douleurs, en l'invitant à lui prêter secours. Condé lui répondait : Qu'avant toute chose il devait s'emparer d'Orléans pour y mettre monseigneur le roy[24]. C'est parce que les chefs catholiques savaient ces projets qu'ils avaient résolu de placer Charles IX à l'abri des influences huguenotes, en le conduisant lui et sa mère dans la bonne ville de Paris. Catherine de Médicis et Charles IX furent parfaitement accueillis par les bourgeois et le peuple ; mais dès ce moment, ils durent voir qu'ils n'étaient plus les maîtres de la direction politique ; il n'y avait plus de négociation possible avec les chefs du calvinisme : tout ascendant de la reine mère s'effaçait pour passer aux mains des Guise. Paris manifestait une ardeur toute belliqueuse : on armait la bourgeoisie, les chaînes étaient tendues ; les plus ardents d'entre les bourgeois étaient nommés capitaines de quartiers pour la protection de la ville, tandis que le noble duc de Guise partait à la tête de l'armée catholique pour combattre les huguenots qui avaient pris les armes. Dans la sanglante bataille de Dreux[25], Guise resta vainqueur (c'était le plus grand capitaine du temps), et sa rentrée dans Paris fut une ovation immense : toutes les rues étaient jonchées de fleurs et tapissées de tentures cramoisies en l'honneur du premier des Balafrés, le sauveur de la liberté municipale. Le sang versé dans les batailles et la guerre civile si douloureusement inaugurée répugnaient profondément à Catherine de Médicis ; conservant des espérances de paix, elle ne cessait d'être en rapports avec le prince de Condé, captif du duc de Guise après la bataille de Dreux : Monsieur le connétable, écrivait-elle à M. de Montmorency, au nom du ciel, abrégez cette guerre, car nous n'avons plus moyen de l'entretenir à la longue[26]. C'est par le prince de Condé, le chef modéré du calvinisme, que Catherine de Médicis espérait la paix, et, bien qu'il fût un des chefs avoués du parti huguenot, elle ne cessait d'avoir avec M. le prince une correspondance attentive. Cette espérance de la paix s'offrit avec une nouvelle
énergie au cœur de Catherine de Médicis après la catastrophe du duc de Guise
au siège d'Orléans. Le chef adoré de l'armée catholique était frappé
traîtreusement par un huguenot, gentilhomme de l'Anjou du nom de Jean Poltrot[27], un des familiers
de l'amiral Coligny à qui Bèze avait prêché, de telle sorte : que s'il tuait le dit sieur de Guise, il gagneroit le
paradis, car il tueroit de ce monde le persécuteur des réformés[28]. Cet attentat
rendait irréconciliables les deux familles de Guise et de Coligny, naguère
très-liées (l'on retrouvera la vengeance des
Guise lors de XII. — 1563-1570.On ne peut dire la joie qu'éprouvait Catherine de Médicis chaque fois qu'une trêve était conclue : au milieu des plaisirs, des fêtes et du luxe, elle espérait user ces âmes ardentes, ces cœurs de fer et de feu, ces hommes enfin qui s'entr'égorgeaient pour des idées. Plusieurs d'entre eux déjà avaient succombé dans ces guerres terribles : le roi de Navarre, le duc de Guise ; fallait-il laisser la lutte se prolonger indéfiniment ? Catherine de Médicis poussa le désir de conciliation si loin qu'elle entreprit, chose impossible, de rapprocher les deux maisons de Guise et de Coligny que séparait un récent attentat, la mort traîtreuse du plus grand des Lorrains, arquebusé par Poltrot[31] : non-seulement un arrêt du parlement déclara l'amiral de Coligny innocent du crime de son familier, mais encore Catherine de Médicis exigea que le cardinal de Lorraine embrassât l'amiral en public. Tout cela se fit si forcément qu'en sortant de l'entrevue, l'aîné des enfants du duc de Guise, le duc d'Aumale, s'écria : Coligny, ne suis participant en cette conciliation ; je te défie toi et les tiens pour venger la mort de mon père. En politique, il y a des inimitiés inflexibles et des abnégations que nul ne peut obtenir. La vengeance est le plaisir d'une époque héroïque. Afin d'environner le trône de plus de force et d'éclat, Catherine de Médicis voulut que la majorité du roi fût proclamée : Charles IX atteignait sa quatorzième année, âge fixé par les anciennes coutumes pour la fin de la minorité. Celte déclaration n'altérait pas le pouvoir de Catherine de Médicis ; il restait le même sur son fils ; seulement le roi, devenu majeur, exerçait une volonté plus personnelle dans l'exercice de sa souveraineté[32]. Le conseil fut formé des mêmes éléments, avec une nuance plus catholique : les huguenots s'en aperçurent bientôt, et ils attaquèrent avec plus de violence la reine mère, qu'ils avaient jusqu'ici ménagée. Des pamphlets parurent avec profusion contre Catherine de Médicis et le sieur de L'Aubespine son favori[33], en qui elle avait une absolue confiance. La reine trouva en sa chambre une lettre anonyme dans laquelle on la menaçait de la poignarder elle et son L'Aubespine, si elle ne chassait d'auprès d'elle tous les papistes ennemis de Dieu. Le parlement fut obligé de défendre, sous peine de la mort, tout libelle dirigé contre le roi et madame sa mère[34]. Cette année, Catherine de Médicis résolut un voyage avec
le roi son fils dans les diverses provinces de Catherine de Médicis, en écrivant ainsi au connétable de
Montmorency sur le caractère insignifiant de l'entrevue de Bayonne, voulait
surtout calmer la crainte que pouvait inspirer au parti calviniste le secret
de ces conversations avec le duc d'Albe[38] ; Charles IX,
bien qu'enfant encore, n'avait pas la prudence de sa mère, et il s'exprimait
tout haut contre les insupportables desseins des calvinistes. Un jour que le
prince de Condé lui adressait quelques reproches sévères au nom des calvinistes,
le roi s'écria : Mon cousin, il n'y a pas longtemps
que vous vous contentiez d'être souffert par les catholiques ; maintenant,
vous demandez à être égaux ; bientôt vous voudrez être seul et nous chasser
du royaume. Ces paroles n'étaient pas sans vérité ; les huguenots
armaient partout ; et à cette époque, ils formaient de nouveau le projet
d'enlever Charles IX comme ils voulaient s'emparer de François II à Amboise :
des cavaliers se mirent en route sous le prince de Condé, let il fallut que
le roi, placé au milieu d'un carré de Suisses, se défendît l'épée à la main
contre les troupes calvinistes qui caracolaient autour de lui : L'enflure est enfin crevée, dit le prudent Estienne
Pasquier, et les rancunes muettes que le peuple
françois gardoit dans son estomac par le heurt de deux religions, s'est
éclaté tout d'un coup avec une fureur indicible[39]. La bataille de
Saint-Denis, qui suivit le retour de Charles IX, fut un grand massacre où
tomba le connétable de Montmorency : les huguenots défaits se mirent en
retraite ; Catherine de Médicis profita des premières impressions de la
douleur publique pour supplier le cardinal Châtillon, frère de Coligny, de
venir conférer au château de Vincennes, afin de préparer la paix. Quel
dévouement aux idées pacifiques que celui de cette femme, de cette
reine ! A chaque espérance de paix, elle arrive un rameau d'or à la
main ! Elle, que les pamphlets calvinistes représentent : Tout le corps de noire teinture, battu d'acier à trempe
dure, ou bien forgé de diamans[40], s'impose toute
sorte de peines et de sueurs pour faire remettre l'épée dans le fourreau ; et
en supposant que l'ambition du pouvoir la dirigeât et la dominât dans cette
œuvre, il faut dire hautement qu'elle travaillait aussi au bien public avec
une ardeur infatigable. Une nouvelle trêve fut signée sur ses instances à Vincennes[41] ; on déposa un moment encore les armes pour les reprendre aussitôt avec fureur. Cette fois, les catholiques coururent aux batailles, car les enfants du duc de Guise grandissaient environnés de toutes les tendresses populaires : chaque parti s'organisait avec ses chefs ; les catholiques, profondément irrités des concessions faites aux huguenots, conclurent une sorte de ligue du bien public signée entre la noblesse et les états : pour se prêter aide et secours dans toutes les affaires où ils pourroient tomber[42]. En face de cette organisation forte et serrée, les calvinistes ne se tenaient pas sans méfiances et sans préparatifs. Catherine de Médicis, tout inquiète, écrit au maréchal de Montmorency : Mon cousin, je vous prie de ne foiblir à nous écrire bien au long en quel état sont les affaires, ce que font ceux de la religion prétendue réformée, s'ils s'assemblent, quels desseins ils ont, s'ils arrivent ou s'ils négocient et l'ordre que vous y avez donné pour y obvier[43]. Dans ce moment là lutte prenait un caractère étranger. Les huguenots appelaient le prince d'Orange et le duc des Deux-Ponts à leur aide ; les catholiques espéraient le duc d'Albe et les Espagnols. Comme il leur fallait un chef national sous la main de la couronne, Catherine de Médicis désigna le duc d'Anjou son troisième fils, le plus chéri, le plus brave de ses enfants, la perle même de la chevalerie ; et à ses côtés, la reine mère avait placé un Italien Strozzi, général expérimenté qu'elle avait appelé de Florence où il avait servi sous les Médicis. Les années calviniste et catholique se rencontrèrent à Jarnac et à Moncontour ; la victoire resta au noble duc d'Anjou, c'est-à-dire au chef choisi par l'autorité royale ; le prince de Condé fut tué sur le champ de bataille et son rôle de chef modéré dos huguenots et du parti gentilhomme échut à un jeune homme de seize ans, Henri de Béarn, fils du roi de Navarre[44]. La maison de Bourbon n'avait jamais pris une couleur très-dessinée dans la guerre civile ; tout en se plaçant au sein de l'opinion calviniste, elle avait constamment négocié avec la cour ; Catherine de Médicis aimait ce caractère dans les Bourbons ; elle s'était servie du roi de Navarre, du prince de Condé pour ses desseins pacificateurs ; elle espérait beaucoup dans le jeune prince de Béarn, pour opérer un rapprochement d'opinions, but généreux et constant de ses efforts. Catherine ne craignait dans cette race que le caractère d'austérité maussade et passionnée de Jeanne d'Albret[45], la mère de Henri de Béarn, profondément vénérée parmi les calvinistes. Il faut à tous les partis une patronne, une sainte, et le protestantisme l'avait trouvée dans Jeanne d'Albret. Les deux dernières batailles avaient été gagnées par
l'épée du duc d'Anjou et de Strozzi, les deux bras armés de Catherine de
Médicis. On voit la reine mère les faire servir à l'idéal de ses projets, à
l'apaisement de la guerre civile. En opposition avec les remontrances du
souverain pontife Pie V, et bravant même les dures paroles du roi d'Espagne
ou les menaces des fervents catholiques dirigés par les fils du noble duc de
Guise, Catherine de Médicis provoqua de nouvelles conférences entre les deux
partis où furent députés MM. de Biron, de Mesme, Castelnau et Coligny.
Catherine ne montra ni souvenirs amers, ni ressentiments du passé, et parvint
ainsi à adoucir les âmes les plus fières ; Coligny lui écrivit : Madame, je sais que vous avez quelques mauvaises opinions
de moi et que à la sollicitation de mes ennemis qui ont assourdi vos
oreilles, vous m'avez porté quelques mauvaises volontés ; j'ose dire que
lorsque Votre Majesté épluchera toutes mes actions depuis le temps qu'elle me
connoît jusqu'à présent, elle confessera que je suis tout autre qu'on a voulu
dépeindre : quand il me souvient d'avoir reçu beaucoup de faveur de Votre
Majesté, j'oublie très-volontiers tout le mal qu'on auroit voulu me procurer
en votre endroit pour me ressouvenir du bien, et pour conclusion, madame, je
vous supplie de croire que vous n'avez pas de plus affectionné serviteur que
moi[46]. Ainsi, Catherine de Médicis, par ses grâces personnelles
et son habileté politique, était parvenue à dompter même l'esprit maussade et
colère de l'amiral Coligny, si publiquement dévoué à son parti ; elle
travaillait à l'œuvre de la paix avec un zèle, un dévouement absolu ; elle
écrivait à son fils : Sire, gardez-vous d'être
malade, afin que chacun puisse voir que vous travaillez et que l'on voie que
vous avez vos affaires à cœur[47]. Cette paix
signée le 8 août[48], à des
conditions inespérées pour le parti huguenot, lui accordait la liberté de
conscience et du prêche : catholiques et calvinistes étaient également
admissibles aux emplois publics. Enfin, comme complément à ce système de
tolérance et d'oubli, le roi donnait aux calvinistes des places de sûreté : |
[1] Le parlement confirma la lieutenance-générale (avril 1560), en faveur du duc de Guise.
[2] Le roi François II et Marie Stuart visaient à la couronne catholique d'Angleterre.
[3] 15 juin 1560.
[4] L'Hospital resta chancelier de Catherine de Médicis dix ans, jusqu'en juillet 1570, qu'il se retira pour cause de maladie.
[5] Édit du 5 juin 1560.
[6] 31 juillet 1560.
[7] 5 décembre 1560. Il s'appelait Maximilien, comme filleul de l'empereur ; on préféra le nom de Charles comme plus royalement français et dynastique.
[8] Donc, prions Dieu qu'il veuille en son escole
Le maintenir : que la postérité
Puisse toujours dire en cette cité :
Ô gentil roy qui chassa leur idole !
(Huictain au peuple de Paris, 1560.)
[9] Les états furent convoqués à Orléans (février 1560), avant Pâques (ce qui fait 1561), l'année commençait à Pâques. Leur première mesure fut un édit de tolérance en faveur des calvinistes. 11 mars 1560-(1561).
[10] Cette lettre est dans les mss. Béthune (Biblioth. imp.), vol. coté n° 8476 ; elle est presque audacieuse.
[11] Le colloque de Poissy se tint le 9 septembre 1561. Il existe plusieurs gravures qui le reproduisent. Catherine de Médicis et le roi Charles IX présidaient le colloque.
[12] Édit de janvier 1562. Registres du Parlement, vol. Z, fol. 225 ; Fontanon, IV, 267.
[13] Les plus fiers d'entre les huguenots appelaient Catherine de Médicis du nom de Jézabel. Brantôme, ce grand médisant, se confond en éloges envers la reine.
[14] Consultez toujours Brantôme. Il existe dans les mss. Béthune un grand nombre de lettres autographes de Catherine de Médicis, destinées à calmer les esprits.
[15]
Lettres envoyées par
[16] Brantôme, liv. VIII.
[17] En 1564.
[18] Quelques dessins de Charles IX existent encore en original : ils sont d'un goût parfait comme ses poésies.
[19]
En parlant des Tuileries, Philibert de Lorme dit :
[20] Lettre originale de Jean Calvin à M. de Poet, grand chambellan de Navarre et gouverneur de la ville de Montélimart. Biblioth. imp., portefeuille Fontanieu.
[21] Quelques-unes de ces lettres des gouverneurs se trouvent dans les mss. Béthune. Biblioth. imp., vol. coté 8695.
[22] A Paris il y eut plusieurs séditions en 1561 contre les calvinistes.
[23] 1er mars 1562. Les calvinistes firent grand bruit au sujet de ce qu'ils appelaient le massacre de Vassy. Voyez le pamphlet Discours de la persécution et cruauté exercée en la ville de Vassy par le duc de Guise. C'est un pamphlet calviniste.
[24]
Voyez la curieuse correspondance sous ce titre : Lettres envoyées par
[25] 22 décembre 1562.
[26] Lettre autographe de Catherine (de Médicis), mss. de Béthune, vol. coté 8694, fol. 48.
[27] 18 mars 1563.
[28] Dépêche de l'ambassadeur d'Espagne Chautoney, même date (dép. 158).
[29] 6 mars 1563.
[30] 19 mars 1563. Voyez dans Fontanon, t. IV, p. 272.
[31] Voyez un curieux pamphlet sous ce titre : Avis à l'admiral Coligny que les Guise vouloient accuser au Parlement de Paris du meurtre du duc de Guise par Poltrot, 1563.
[32] La majorité fut prononcée en la ville de Paris le 18 août 1563.
[33] Mss. de Béthune, vol. coté 8765, fol. 65.
[34] Registre de la ville de Paris, VIII, 65.
[35] Archives de Simancas, cote B, 20.
[36] 15 avril 1565.
[37] Mss. Béthune, vol. coté 8712, fol. 5.
[38] Catherine de Médicis fit alors publier l'édit de pacification au son de trompe, afin de calmer les craintes des huguenots ; mai 1665.
[39] Estienne Pasquier, liv. V, lettre 2. Voyez Lettre de Charles IX au duc de Nevers, mss. Béthune, vol. 8676, fol. 140.
[40] Tout le cœur de noire teincture,
Battu d'acier à trempe dure,
Ou bien forgé de diamans.
(Discours merveilleux.)
[41] Mars 1568. Ce fut un des derniers actes du chancelier de L'Hospital.
[42] 25 juin 1568. Mss. de Mesme, n° 8677.
[43] Mss. Béthune, n° 8716.
[44] Henri de Béarn (depuis Henri IV), était né à Paris en 1553.
[45] Elle avait donné Henri de Béarn, son fils, comme gage à la chevalerie huguenote.
[46] Cette lettre si curieuse et autographe de Coligny se trouve dans les mss. Béthune, vol. coté 8702, fol. 41.
[47]
Mss. de Béthune, vol. coté 8921, fol.
[48] 1570.
[49] Édit du Roy sur la pacification des troubles du royaume. Paris, 11 août 1570.
[50] Lettre d'Estienne Pasquier, 65.