Conseil. — Justice. — Finances. — Intendance. — Commerce. — Métiers. — Agriculture. — Travaux publics. — Forêts. — Marais. — Voitures. — Chasse. — Duels. — Monnaies. — Aperçu du système financier du Sully. — La cour de Henri IV. — Sa diplomatie européenne.1598 — 1610. Dans le grand mouvement politique et religieux qui avait
agité les premières années de Henri IV, il y avait eu peu d'ordre, peu de
pensées d'administration générale. Le roi avait eu à conquérir son trône, à
disputer de sa bonne épée les lambeaux de ses provinces, à traiter avec tous
à des conditions onéreuses : de là des emprunts à gros intérêts, des
prodigalités secrètes, un oubli complet des principes de régularité administrative.
Il serait difficile de saisir une idée d'avenir dans la gestion des intérêts
sociaux ; la royauté vit au jour le jour ; on la voit préoccupée de sa propre
sûreté ; et cette pensée absorbe tous les actes particuliers de sa vie
politique. A l'avènement de Henri IV, la première dignité du conseil, la
chancellerie, était remplie par Montholon, qui résigna les sceaux sous la
ligue. Charles de Bourbon, cardinal de Vendôme, fut le chef du conseil
jusqu'au 10 décembre 1589. Ph. Hurault, comte de Chiverny, que l'union
catholique avait fait disgracier aux états de Blois, devint chancelier de
Henri IV, et ne quitta la robe d'hermine qu'à la mort ; il fut remplacé par
le président de Bellièvre, qui avait joué un si vaste rôle dans les
négociations de l'avènement. Les sceaux furent quelques années après séparés
de la chancellerie, pour créer une dignité judiciaire au profit de Brûlard,
seigneur de Sillery, depuis chancelier à la mort de Bellièvre, et sous lequel
le conseil se centralisa. Quand Henri vint au trône, l'administration était
partout multiple. A la guerre, aux finances, tout se faisait par la moyen
d'intendants et de contrôleurs-généraux sous l'autorité des cours
souveraines. Henri IV créa pour les finances une surintendance, autorité
unique, absolue. Ce fut Maximilien de Béthune, marquis de Rosny, dont la
capacité et le désintéressement ont été tant exaltés. Sully garda les
finances jusqu'à sa mort. La guerre fut également confiée à un seul ministre,
qui réunit les affaires étrangères ; Henri IV donna ce double département à
Nicolas de Neufville, seigneur de Villeroy, l'habile et souple négociateur de
l'époque. Henri III avait créé un ministère pour les affaires de la religion
; il fut continué par son successeur, et confié à Pierre Forget, seigneur de
Fresne, esprit modéré dans cette situation si délicate et si facilement accusée
par les deux partis. Enfin le dernier poste de secrétaire d'état, celui de la
maison du roi, revint à Loménie, seigneur de Henri IV fit peu de concessions libérales aux villes, à
moins que les cités n'en eussent fait une condition expresse de la réunion à
la couronne : le roi n'ignorait pas que c'était des villes surtout qu'était
sortie la ligue. Ces constitutions de municipalités bruyantes et populaires
l'effrayaient. Il n'existe que quelques ordonnances sur les cités et leur
organisation libre. Et dans les villes, favorisait-il les métiers ? les
métiers, en tant que corporation politique, suscitaient dans l'esprit de
Henri IV des répugnances aussi prononcées que les municipalités. Des
bannières et des confréries était parti le grand mouvement des halles ; le
roi les craignait comme association locale : il ne leur concéda que de minces
privilèges commerciaux ou honorifiques ; il confirma les chartes des porteurs
de grains et farine aux halles de Paris, des vinaigriers et moutardiers, et
des épiciers apothicaires. En 1597, d'après l'avis des notables assemblés à
Rouen, Henri IV rendit un édit portant rétablissement du système générai de maîtrise
et règlement sur la police des métiers : deux qui
voudront estre reçus aux maistrises des arts d'apothicairerie, chirurgie et
barberie, seront tenus de souffrir l'examen et expérience par devant les
commissaires par nous commis et députés, suffisans et capables à cet effect.
Les privilèges de vendeurs de poissons furent entièrement confirmés ; défense
expresse à tout autre qu'auxdits vendeurs de faire le commerce du poisson, Et
la nombreuse corporation des marchands fruitiers de la ville de Paris reçut
également la confirmation des beaux privilèges qu'elle tenait du roi saint Louis.
Le commerce, depuis le seizième siècle, prenait une grande extension ; Henri
le protégea ; les marchands fréquentant les foires de Lyon virent accroître
leurs anciens privilèges. En l'année 1606, un traité fut conclu avec Jacques
Ier, roi d'Angleterre et d'Ecosse, pour la liberté des transactions, et la
garantie des trafics en toute sûreté et liberté. Les
navires françois pourront aller librement jusques au quai de la ville de
Londres et autres ports de Pourtant l'administration était en progrès : on ouvrait des routes ; divers édits créaient des relais de chevaux sur les grands chemins, les traverses et le long des rivières, pour le transport des voyageurs et des malles ; on rendit plusieurs grandes ordonnances pour la conservation des forêts, l'entretien des chemins publics et des rivières. En 1599, Henri promulgua un édit pour le dessèchement des marais ; c'est la première loi qui ait été faite sur cette matière ; le sieur Bradléy, natif du duché de Brabaut, se chargeait de cette opération : Pour desdommager et rescompenser ledit Bradléy et ses associés, tant des frais, coustet despens qu'il leur conviendra faire et advancer de leurs bourses, que de leur expérience, industrie et intention, leurs cédons et transportons la juste moitié de tous les marais appartenans à nous et de nostre domaine qu'ils auront ainsi essuyés. Henri institua l'office de commissaire général et
surintendant des coches et carrosses publics, qui aurait charge de faire
exécuter les règlements et ordonnances faits par le prévôt de Paris, et tiendra la main à ce que lesdicts coches publics soient
attelés bien et duement, comme il appartient, de bons et forts chevaux, pour
tirer, mener et conduire par cochers et gens capables et expérimentés ; et
que lesdicts coches soient maintenus en bon équipage, afin qu'il n'advienne
aucun empeschement au public. On fit également plusieurs déclarations
et mandements royaux dans le but de favoriser l'agriculture ; le 7 décembre 1602,
des lettres royales ordonnèrent l'établissement d'un plan de mûriers et
l'entretien des vers à soie, afin d'empescher par ce
moyen le transport qui se fait de trois et quatre millions d'or par chascun
an ès pays estrangers, pour l'achat dessoyes ; vous mandons qu'en chaque
paroisse vous vous informiez de la quantité de mûriers blancs et noirs qui se
trouvent en icelle, ensemble de leur âge et grosseur à peu près. Et en
1605, une nouvelle déclaration ordonnait l'establissement
par tous les diocèses de France, d'une pépinière de cinquante mille mûriers
blancs, au moins, car on avoit recognu par diverses expériences l'utilité qui
peut revenir de la nourriture des vers à soye et des plants de mûriers qui
leur servent de nourriture. Une multitude d'édits royaux, qui ne
peuvent se classer dans aucune des catégories précédentes, signalaient une
administration travailleuse ; des ordonnances, souvent cruelles, réglèrent le
crime de chasse et de louveterie : Deffendons à
toutes personnes, de quelle condition qu'elles soient, de chasser dans nos
buissons, forests et garennes, à quelque sorte de gibier que ce soit ;
deffendons également de mener aucun chien en nos dictes forests, s'ils ne
sont attachés ou une jambe rompue. Permettons à tous seigneurs, gentilshommes
et nobles de chasser et faire chasser noblement, à force de chiens et
oiseaux, dans leurs forests et buissons, à toute sorte de gibier, mesme aux
chevreuils et bestes noires. Et quant aux marchands, artisans, laboureurs,
paysans et autre telle sorte de gens roturiers, leur faisons desfenses très
expresses de tirer l'arquebuse, escopette, arbalète et autre baston, ensemble
de chasser au feu ou autrement, à aucune grosse et menue beste et gibier, en
quelque sorte et manière que ce soit[2]. La peine était
terrible, car il s'agissait de la pendaison pour le pauvre paysan pris avec
le lacs en main ou l'arquebuse de chasse sur l'épaule. Le courre dans les
forêts était alors le plus bel apanage des gentilshommes ; c'était usurpation
des vilains que de forcer le cerf ou le daim à travers les arbres centenaires
; l'avènement de Henri IV n'était-il pas le triomphe de la gentilhommerie ?
Cette vie des bois et des bruyères remontait à la conquête, quand les Francs
faisaient un roi sur le champ de guerre, au bruit de la framée ; Henri avait
hérité de ce noble goût. Mon compère,
écrivait-il au connétable ; j'ay esté dix jours à
Chantilly, où j'ay bien eu du plaisir, car j'y ay bien passé mon temps ; j'ay
pris trois cerfs dans vos lx)is et dix dans la forest de Halastre : j'ay
faict renouveler les desfenses de la chasse, parce que j'ay trouvé que ceux
de Senlis venoient chasser jusque contre la maison, et qu'il n'y avoit ny
lièvres ny perdrix dans la plaine, n'y ayant pu courre que un lièvre, et pris
fort peu de perdrix et de hérons. J'ay commandé à Girard quelque chose pour
vos canaux et vostre jardin neuf, qui pourra couster environ trois cents
escus, et m'assure que lorsque vous le verrez, vous le trouverez mieux et n'y
aurez point de regret. Je vous ay fort souhaité, car outre le plaisir que j'y
ay eu, encore que je fusse tous les jours à la chasse, d'autant que j'y avois
ma meute de chiens courants pour cerfs, celle de mon cousin le comte de
Boissons et celle de MM. de Montbazon et Des ordonnances défendirent aussi les duels, cette autre
coutume de la gentilhommerie, ces combats à champ clos, qui remplaçaient les
vieux tournois aux nobles dames, aux bannières et aux blasons de mille
couleurs. On n'osait encore proclamer les peines inflexibles des édits
postérieurs ; la noblesse n'était point assez assouplie ; elle était trop
fière de ses privilèges, de ses droits, de son honneur ; elle cherchait à les
venger par l'épée au Pré-aux-Clercs, ou dans les rues de Un grand édit fut rendu sur les monnaies, avec tin tableau du nom, du poids et de la figure de toutes les pièces ayant cours. Plus tard, des lettres royales ordonnèrent l'établissement à Paris et dans les autres villes du royaume, des manufactures de tapisseries. Les administrateurs de l'Hôtel-Dieu reçurent le droit de faire quêter au profit de l'hospice ; enfin un édit général fut publié contre les banqueroutiers frauduleux. Henri IV voulut effacer les traces des guerres religieuses dans un système général d'ordre et de paix publique. Point de concessions libérales aux peuples, aux communes, aux municipalités ; mais une gestion active et soigneuse de tous. Les guerres civiles ont pour résultat d'user l'énergie politique des sociétés : alors, si un pouvoir arrive bienveillant et fort, on lui sacrifie tout ; on ne lui demande en échange que la paix et le repos : c'est l'atonie après la période de fatigues, de sueurs et de travail. Le système multiple des généraux sur le fait des aides et finances avait été centralisé sous la direction d'un surintendant. Dans la vieille monarchie des Valois, tout dépendait de la cour des comptes pour l'examen des recettes et dépenses ; dans chaque généralité, les receveurs des aides et tailles écrivaient sur de longs registres en parchemin ce qu'ils retiraient de l'impôt ; puis, ces registres étaient envoyés aux généraux sur le fait des aides, et soumis à la cour, qui balançait les résultats. Il y avait dans ce mode d'administration de l'impôt de nombreuses causes d'erreurs et d'abus ; seulement la cour des comptes, autorité souveraine, empochait par son contrôle les malversations des percepteurs. On ne pouvait prendre un sol, denier ou maille sans que ladite cour s'en aperçût, et justice était promptement faite, car on pendait aux halles le receveur maudit ; et quelle joie parmi le peuple quand il voyait, un pied de langue hors de la gueule, le maître Juif qui naguère, dans sa petite cabane du pont des Meuniers ou de la place Haubert, retirait écus et deniers des bestiaux aux pieds fourchus, de la farine ou du vin, de la belle serge du bourgeois ou de la hotte des marchands de cresson ! C'était le cri d'une de ces pauvres vieilles qui avait donné le signal au mouvement des halles sous Charles VI. La centralisation, sous un surintendant des finances, corrigeait quelques-uns des abus, par cela seul qu'elle plaçait sous une unique inspection cet ensemble de comptes des receveurs de Paris et des provinces. La cour des finances n'avait plus de rapports qu'avec le surintendant ; elle vérifiait les recettes générales, tandis que les recettes particulières n'étaient examinées que par les commis du surintendant. De plus, en face de cette surveillance d'un corps, de cette autorité collective, la royauté n'était pas libre ; elle ne pouvait se procurer pour elle-même et pour ses projets des ressources immédiates et toujours assurées. Avec le surintendant, institution toute monarchique, le roi agissait plus efficacement : quand il avait des besoins, il s'adressait au ministre, et toute l'intelligence de celui-ci s'appliquait à trouver des ressources, sans que le roi eût à s'inquiéter de la nature et de la portée des expédients. Telle était la pensée de Henri IV, en substituant la
surintendance de Sully aux douze généraux sur le fait des aides. Sully répondit-il
à cette pensée ? Oui, en ce qui touche la couronne ; il remplit avec sollicitude
tous les besoins de la guerre, des alliances et des pensions, tous les
secrets désirs du roi pour ses plaisirs et ses maîtresses. Ce fut un ministre
à expédients, qui ne modifia que l'assiette de l'impôt. Son système n'inventa
rien de vaste : il fut soucieux des petites ressources. Il eut peu de
conception, car augmenter l'impôt, pour agrandir les recettes, c'est l'idée
la plus commune, l'enfance de l'art dans les combinaisons financières. Sully
épargna les tailles déjà si pesantes ; il agrandit, au contraire, l'impôt sur
les denrées, sacrifice moins sensible pour le peuple ; puis, le surintendant
appela une plus haute régularité dans la tenue des registres, un mode plus
simple dans les ressorts de l'administration ; il se jeta dans les emprunts
forcés, dans le système qui faisait rentrer au domaine les biens aliénés. En
résultat, le peuple ne fut pas soulagé ; plus d'une fois ses malédictions et
ses cris poursuivaient le surintendant, tout enrichi de l'impôt et renfermant
dans La pensée de Sully fut toujours d'uniformiser son système ; comme il était lui-même l'expression d'une pensée de centralisation, et cherchait à la mettre partout. Le surintendant attaque même ceux qui parlaient de retranchements et d'économie ; le plan qu'il offre à Henri IV porte toujours sur les avanies contre les traitants, l'emprunt forcé sur le clergé, le retrait du domaine aliéné, mesures despotiques et fausses que le moyen âge avait inventées dans l'absence des grandes ressources du crédit et de l'impôt régulier. Sully, gentilhomme féodal, avait aperçu néanmoins les inappréciables avantages du commerce. Le seizième siècle, par la conquête de l'Amérique, par la splendeur de ses transactions merveilleuses, avait jeté dans le monde de nouvelles idées. Comment s'étaient élevés les états libres des Pays-Bas ? quelle force et quelle puissance n'avait pas atteint l'Angleterre sous Elisabeth ? Sully avait contemplé ces résultats immenses ; mais le crédit, il ne le savait pas encore : retrancher les rentes, supprimer les quartiers d'intérêts, tels étaient les expédients du surintendant général. Nous arrestasmes, sa majesté et moy, qu'on commenceroit par la vérification des renies de l'état ; lorsque j'eus faict voir à sa majesté, par de bons extraits et par d'autres pièces authentiques de la chambres des comptée, de la cour des aydes et autres bureaux, que ceste opération pouvoit, sans la moindre injustice, faire revenir six millions au trésor royal. Pour y réussir, je crus qu'il estoit nécessaire que sa majesté establist ad hoc un conseil. La chambre des comptes s'y opposa, mais on n'eut aucun égard à ses raisons : j'étois le chef du conseil. Il apporta, des améliorations notables. J'avois faict une distinction très nette et très exacte entré les rentes de différentes créations et de fonds divers ; il y en eut dont les possesseurs furent assujettis à rapporter les arrérages qu'ils avoient perçus injustement, et d'autres dont les arrérages touchés furent imputés sur le principal, qui servirent à amortir. L'estat y gagna encore la suppression d'une grande quantité de receveurs, payeurs de rentes, qui le chargeoit d'un fardeau inutile. Je n'y en laissay qu'un seul[5]. Ainsi, retranchement sur la dette fondée par l'état et par les cités, et tout cela au moyen de commissaires, sans autre règle générale que le caprice : c'était le plus faux système de crédit. Un état doit dépenser économiquement ; mais lorsque la dette est établie, lorsque la rente est reconnue, consolidée, toute révision est une injustice et une faute, parce qu'elle ébranle le principe de la sécurité publique. En résumant les principaux éléments du système de Sully dans l'administration des finances du roi, on trouve les résultats suivants. Le surintendant obtint des ressources pour les besoins généraux du trésor, dans l'impôt indirect, les emprunts, le retour des domaines aliénés, et les restitutions qu'il imposait aux traitants. Sully avait une autorité arbitraire dans sa gestion ; tout à fait indépendant de la cour des comptes, il ne soumettait à personne ses idées ; elles s'exécutaient dans toutes les généralités du royaume sans opposition. Les misères populaires étaient grandes, et voilà pourquoi Sully ne toucha que faiblement aux tailles, qui frappaient matériellement les masses. L'impôt indirect sur les denrées pesait moins sensiblement ; il l'agrandit. Tout ce qui pouvait multiplier les relations et le bien-être devait augmenter les ressources du pays et les éléments de l'impôt : de là ces nombreux projets sur le commerce, et cette noble fécondation des ressources nationales. Sully ne vit pas tous les principes du crédit, mais il se plaça au-dessus de son époque ; il fit marcher le siècle, et c'est toujours un service rendu à la science. Henri IV avait atteint cette époque de la vie où toutes
les illusions disparaissent. A son avènement, déjà ses cheveux avaient
blanchi ; à quarante ans les rides couvraient son front et plissaient ses
joues amaigries : que de soucis n'avait point eu à subir son existence
agitée, existence de montagnes, de luttes et de dangers ! Il montait sur le
trône au milieu des partis qui se croisaient : les uns lui reprochaient
d'avoir trahi ses vieux amis des camps, ses braves compagnons de bataille ;
les autres dénonçaient ses concessions imparfaites au catholicisme. Ces
soucis, il les enveloppait d'une sorte de gaieté gasconne : c'était un esprit
à jeux de mots, à libre plaisanterie ; son amitié, expansive quand il avait
besoin de dévouement, était ingrate pour les services passés et inutiles ; de
la franchise habile ; de la dissimulation plus adroite ; plein de cet
enjouement méridional qu'une prononciation béarnaise, une familiarité
chevaleresque rendaient plus piquant encore. Ses lettres ne sont point celles
qu'on lui a faites au dix-huitième siècle ; ces petites inventions des notes
de ses nombreuses et actives correspondances, et les autographes particulièrement. Cette époque travailleuse du seizième siècle voit partout des souverains qui mettent la main à l'œuvre et se posent dans la politique. Il n'est pas un petit billet du roi qui n'ait son but. Henri veut-il allécher le maréchal de Biron, l'attirer dans ses liens, calmer l'irritation de cet esprit altier, c'est alors le ton d'une douce confiance : Mon ami, écrivait-il, j'ay esté bien aise d'entendre de vos nouvelles par Hébert, et des lieux où il a esté. J'ay vu le mémoire de ce qu'il vous a apporté de Milan, Je mets mon coussinet sur deux gardes d'espée, lesquelles je veux choisies de vostre main, car vous sçavez mieux que moy- mesme ce qu'il me faut. Je retiens aussi une toilette de Milan pour me faire un pourpoint pour Testé, de telle couleur que vous voudrez. Je pense que dans deux ou trois jours je vous pourray redépescher Escures ; cependant je vous prie de m'advertir de ce que vous apprendrez de ceste armée d'Espagne qui passe pour aller en Flandre ; et vous assurez tousjours de la continuation de mon amitié, de laquelle je vous témoigneray les effets en toutes les occasions qui s'en offriront, de la mesme volonté que vous le sauriez désirer de la personne du monde qui vous aime autant. Adieu, mon amy. Ce 11e may[6]. A-t-il pour but de donner une haute idée de sa force et de son pouvoir, son style est plein de fanfaronnades, de plaisanteries gasconnes : Ma cousine, écrit-il à Mme de Condé, je diray comme fict César : Vidi, veni, vici, ou comme dit la chanson : Trois jours durent nos amours, et finissent en trois jours, tant j'étois amoureux de Sedan ; maintenant vous pouvez voir si je suis véritable ou non. Je savois mieux l'estat de ceste place que ceux qui me vouloient faire croire que je ne la prendrois de trois ans ; M. de Bouillon a promis de me bien et fidèlement servir, et moy d'oublier tout le passé : cela faict que j'espère vous voir bientost. Dieu aydant ; car aussitôt que j'auray esté dans ceste place et que j'auray pourvu à ce qui est nécessaire pour mon service, je prendray mon retour vers Paris. Bonjour, ma cousine. — Chers et bien amés, écrit-il aux consuls de la ville de Nîmes, nous sommes advertis de divers endroicts que les catholiques voisins de nostre ville de Nismes, spécialement les ecclésiastiques, sont grandement opprimés par ceux de la religion prétendue réformée de la ville, qui sortent en troupes armées pour venir fourrager la récolte et piller les grains d'yceux, prétendant les faire ainsi contribuer à l'entretien de leurs ministres, comme durant les troubles. Or, nous trouvons cela si estiange et si éloigné des assurances qui nous ont esté données de la part de ceux de la religion de la province, que nous y ajouterions moins de foy, si n'estoit que cet advis nous est confirmé par plusieurs de nos bons serviteurs. Et parce que la plaincte est aujourd'huy particulière à la ville de Nismes, nous enjoignons aux consuls de la ville d'observer soigneusement ceux qui sortent en armes et en troupes, pour, en cas qu'il advienne quelque excès, de les déférer eux-mesmes à la justice ; comme nous voulons pareillement que, pour ce qui est advenu du passé, ils aient à en déclarer les coupables ; et ce , sous peine d'en répondre en leurs propres et privés noms. Ce que faisant, vous mériterez de nous toute faveur et protection ; comme y manquant vous pouvez être assurés que vous nous aurez fort contraire et offensé de vostre désobéissance, qui ne demeurera pas impunie[7]. La dissipation de Henri IV est toute dans les femmes : sous la tente, aux montagnes, dans les palais, ce tempérament de feu, cet homme tout chair et tout sang, comme la race basque et méridionale, se montre, éclate en amour, en joyeux libertinage, qui vole de fille en fille, de la duchesse de Beaufort (Gabrielle) à mademoiselle d'Antragues, de mademoiselle d'Antragues à Jacqueline de Bueil, créée comtesse de Moret, de la comtesse à Charlotte des Essarts, dame de Romorantin, puis à la princesse de Condé ; et les débris de ses lettres, de
ses confidences d'amour restent encore épars. Ce ne fut pourtant point un
amour de légèreté et de passage que celui de Henri pour la duchesse de Beaufort,
Gabrielle d'Estrées ; Mes chères amours, lui
écrivait-il, il faut dire vray, nous nous aimons
bien ; certes, pour femme, il n'en est point de pareille ? à vous ; pour
homme, nul ne m'égale à sçavoir bien aimer ; ma passion est toute telle que
lorsque je commençois à vous aimer ; mon désir de vous revoir encore plus
violent qu'alors ; bref, je vous chéris, adore et honore miraculeusement.
Pour Dieu, que toute ceste absence se passe comme elle a commencé, et bien
avancé. Dans dix jours j'espère mettre fin à ce mien exil ; préparez-vous,
mon tout, de partir dimanche, et lundi estre à Compiègne, si vous y pensez
estre ce jour. Il m'arrivera bien des affaires, ou je m'y trouveray, soyez-en
sûre. Madame Devau est icy ; je ne l'ay vue ny ne la verray, si ne me le
commandez. Bon soir, mon cœur, mon tout ; je vous baise un million de fois
partout. Ce 21 octobre[8]. — Mes belles amours, deux heures après l'arrivée de ce
porteur, vous verrez un cavalier qui vous aime fort, que l'on appelle roy de
France et de Navarre, titre bien certainement honéreux (honorable) mais
bien pénible. Geluy de vostre subject est bien plus délicieux. Tous trois
ensemble sont bons à quelque sauce qu'on vueille les mettre, et n'ay résolu
de les céder à personne. Je suis fort aise qu'aimiez bien ma sœur ; c'est un
des plus assurés tesmoignages que me pouvez rendre de vostre amour et bonne
grâce, que je chéris plus que ma vie, encore que je n'aime bien. Mais c'est
trop causé pour vous voir sitost. Bonjour, mon tout, je baise vos beaux yeux
un million de fois. Ce 22 septembre. De nos délicats déserts de Fontainebleau.
— Je vous escris, mes chères amours, d'après vostre
peinture que j'adore, seulement pour ce qu'elle est faicte par vous ; non
qu'elle vous ressemble, j'en puis estre juge compétent, vous ayant peinte en
toute perfection dans mon âme, dans mon cœur, dans mes yeux. Henri. Tant que Gabrielle vécut, elle posséda complètement le cœur du Béarnais ; quelques galanteries passagères cédaient bientôt à l'irrésistible ascendant de la belle et noble dame, que le roi créa marquise de Monceaux, puis duchesse de Beaufort. Elle eût été peut-être reine de France, car elle lui avait donné un fils digne et fier, si le premier mariage de Henri avait pu être brisé, si surtout une foudroyante attaque d'apoplexie ne l'avait enlevée jeune encore à la passion du roi. A la duchesse de Beaufort succéda mademoiselle d'Antragues. Rien ne coûtait au roi pour avoir fleur d*amour : intrigues, argent, promesses de mariage même ; mademoiselle d'Antragues était adroite ; et le roi, vivement épris, scella une singulière obligation : Nous, Henry, roy de France et de Navarre, promettons et jurons devant Dieu, en foy et parole de roy, à M. de Balzac d'Antragues, que, nous donnant pour compagne damoiselle Catherine-Henriette de Balzac, sa fille, au cas que, dans six mois, à commencer du premier jour du présent, elle devienne grosse et qu'elle accouche d'un fils, alors et à l'instant nous la prendrons à femme et légitime épouse, dont nous solemniserons le mariage publiquement et en face de nostre mère saincte église, selon les solemnités en tel cas requises et accoustumées[9]. La promesse, montrée à Sully, avait été déchirée dans un moment de mauvaise humeur ; elle fut ensuite refaite, car la noble demoiselle ne voulait céder au roi qu'à bon escient. Elle avait reçu trois cent mille livres en écus ; ce n'était point assez : comme Gabrielle, elle ambitionnait un trône. Quand Henri eut obtenu pleine jouissance et amour de
mademoiselle d'Antragues, créée marquise de Verneuil, il lui écrivit : Mon cher cœur, vostre mère et vostre sœur sont chez
Beaumont, où je suis convié de disner demain ; je vous en manderay des
nouvelles : un lièvre m'a mené jusques aux rochers devant Malesherbes, où je
n'ay esprouvé que des plaisirs passes. Douce est la souvenance ; je vous y ay
souhaitée entre mes bras comme je vous y ay vue, souvenez-vous-en en lisant
ma lettre ; je m'assure que ceste mémoire du passé vous fera mespriser tout
ce qui vous sera présent, pour le moins en faisiez ainsi en traversant les
chemins où j'ay tant passé vous allant voir. Bonjour, mes chères amours ; si
je dors, mes songes seront de vous ; si je veille, mes pensées seront de
mesme. Recevez ainsi disposée un million de baisers de moy[10]. Puis l'amour
passa. Mademoiselle de Verneuil fut-elle infidèle ? Le pauvre Béarnais
n'avait point été heureux en femmes ; il inspirait peu de retour, et, ainsi
que le disait madame de Rohan, rancuneuse huguenote, comment l'amour
aurait-il pu se nicher entre un nez et un menton qui se mêlaient l'un à
l'autre ? Henri n'était ni beau ni fidèle lui-même ; et il songeait alors à
un mariage politique. Il écrivait à son bel ange, le 21 avril 1601, un
véritable billet de rupture : Mademoiselle, l'amour,
l'honneur et les bienfaits que vous avez reçus de moy eussent arresté la plus
légère âme du monde, si elle n'eust esté accompagnée de mauvais naturel comme
la vostre. Je ne vous piqueray davantage, bien que je le pusse et dusse faire
: vous le savez. Je vous prie de me renvoyer la promesse que savez, et ne me
donnez poinct la peine de la ravoir par autre voie ; renvoyez-moy aussi la
bague que je vous rendis l'autre jour. Voilà le subject de ceste lettre, de
laquelle je veux avoir response. Et il ajoutait au père de la
demoiselle : M. d'Antragues, je vous envoyé ce
porteur pour me rapporter la promesse que je vous ay baillée ; je vous prie,
ne faillez de me la renvoyer, et si vous voulez me la rapporter vous-mesme,
je vous diray les raisons qui m'y poussent, qui sont domestiques et non
d'estat, par lesquelles vous direz que j'ay raison, et recognoistrez que vous
avez esté trompé, et que j'ay un naturel que je peux dire plutost trop bon
que autrement ; me promettant que vous obéirez à mon commandement, je finiray,
vous assurant que je suis un bon maistre[11]. Rien de plus
touchant que la réponse de mademoiselle d'Antragues à la royale rupture ; le
cœur de la femme s'y montre tout entier : Je suis
réduite au malheur qu'un grand heur m'a naguère fait craindre, sire. Il faut
que je confesse que je devrois ceste crainte à la connoissance de moy-mesme,
puisque si grande fortune de ma qualité à la vostre me menaçoit du changement
qui m'a précipitée du ciel où vous m'avez eslevée en la terre où vous m'avez
trouvée. Je ne donneray point la coulpe de ma douleur, puisqu'il vous plaist
qu'elle soicte prix des joies publiques que Henri, ingrat quand il avait obtenu ses plaisirs, se
montra inflexible à l'égard de la belle Henriette. Je dirai plus tard comment
mademoiselle d'Antragues se trouva en opposition avec la nouvelle épouse de
Henri, Marie de Médicis ; elle avait manifesté le désir de se retirer do la
cour pour réveiller l'amour du roi et piquer sa passion. Henri ne la retint
point, et alors, mécontente, Henriette, au lieu de se réfugier en Angleterre,
comme elle en avait obtenu la permission, accueillit quelques propositions de
l'ambassade d'Espagne. Le roi frappa impitoyablement son ancienne favorite ;
il condamna son père à une prison perpétuelle dans Et comment Henri IV n'aurait-il pas cherché à secouer sa vie royale ? A sa cour ce n'était que plaintes, doléances ; toutes les hautes existences étaient ameutées contre la paix publique ; les puissantes familles avaient pris une extension démesurée ; les grandes pairies, à l'avènement de Henri IV, étaient déjà nombreuses et siégeaient en parlement : le duché de Guise, érigé en 1527, de Montpensier en 1538, d'Aumale en 1547, de Montmorency en 1531, de Mercœur en 1559, de Penthièvre en 1569, d'Uzès en 1572, de Mayenne en 1573, de Saint-Fargeau en 1575, d'Épernon, d'Elbeuf, de Rethel, de Joyeuse, de Piney-Luxembourg, de Retz, d'Halwin en 1581, de Montbazon en 1588, et de Ventadour en 1589. Toutes avaient leurs fiers castels, leur autorité territoriale, leurs armées, leur ville fortifiée ; la féodalité s'était en quelque sorte reconstruite sous le titre de gouvernement de province. Quelques-uns des pairs, arbis personnels du roi, venaient à la cour ; les autres résidaient dans leurs gouvernements, correspondaient avec le conseil, n'exécutaient les ordres du souverain que lorsqu'ils étaient à leur convenance, et donnaient de cuisants soucis au roi de France, le premier des pairs et des gentilshommes de ses états. Et cette situation si difficile, le roi tâchait de la couvrir de fleurs, de la dissimuler dans les fêtes et les magnificences. Le goût de Henri IV était surtout pour les bâtiments publics : il continuait le Louvre, monument de toutes les races, alors simple château à tourelles ; cent ouvriers étaient sans cesse occupés â Fontainebleau, à Chambord, à Compiègne, les Tuileries étaient bâties avec un grand luxe d'or et de peintures, et ces dépenses soulevaient de dures plaintes des parlements et des sujets. Tout était solennités en cette cour de Henri de France, La lecture des vieux romans de chevalerie s'était réveillée avec enthousiasme. On ne pouvait pourfendre des géants véritables, des monstres et des enchanteurs ; mais l'Italie avait jeté ses ballets et ses carrousels. En 1606, un ballet à cheval se fit en la cour du Louvre, où les quatre éléments furent représentés par quatre troupes de cavaliers qui sortirent l'une après l'autre de l'hostel de Bourbon. Le roi avait épousé Marguerite de Valois, sœur de Charles
IX, quelques jours avant La négociation se suivait avec un plein succès auprès de
Marguerite de Valois ; elle avait agréé toutes les promesses qui lui avaient
été faites ; elle passa même procuration pour supplier
en son nom très humblement le roy, son très honoré seigneur, de prendre en
bonne part qu'elle ne peut cohabiter en bonne et sûre conscience avec sa
majesté en qualité de mary, pour estre le prétendu mariage d'entre eux nul en
sa substance et essence, de toute nullité contre les lois divines et
humaines, comme faict entre personnes joinctes de consanguinité en degré
prohibé pour conjonction de mariage. Quand le consentement mutuel fut
ainsi acquis, le pape nomma des députés pour examiner les cas de nullité.
Henri écrivit à la femme répudiée, lui donnant le titre de sœur, afin de
montrer que tout lien charnel était brisé entre eux : Ma sœur, disait-il, les desputés pour
juger de la nullité de nostre mariage, ayant enfin donné leur sentence à
nostre commun désir et contentement, je n'ay voulu différer plus longtemps à
vous visiter sur telle occasion, tant pour vous informer de ma part de tout
ce qui s'est passé, que pour vous renouveler les assurances de mon amitié. Je
désire aussy que vous croyiez que je ne veux pas moins vous chérir et aimer
pour ce qui est advenu, que je faisois devant ; au contraire, vous faire
cognoistre en toutes occasions que je ne veux pas estre dorénavant vostre
frère seulement de nom, mais aussy d'effects. Consolez-vous donc, je vous
prie, ma sœur, en l'attente de l'un et de l'autre[12]. Et Marguerite,
toujours poète, même en ses expressions de regret, lui répondait dans une
langue de fables et d'hyperbole : Monseigneur,
vostre majesté, à l'imitation des dieux, ne se contente de combler ses
créatures de biens et de faveurs, mais daigne encore les regarder et consoler
en leur affliction. Cet honneur, qui tesmoigne en luy de la bienveillance,
est si grand, qu'il ne peut estre égalé que de Tinfinie volonté que j'ay
vouée à son service. De quoi vostre majesté n'honorera jamais personne qui
les ressente avec tant de révérence et de désir d'en mériter la continuation
par très-humbles et très-fidèles services[13]. Depuis,
Marguerite vécut tout entière de plaisirs et de fêtes. Elle s'était d'abord
enfermée dans le château d'Usson, en Auvergne, à l'abri de ses créanciers qui
la poursuivaient, tête dissipée qu'elle était ! puis elle vint à Paris, où le
roi paya toutes ses dettes ; et c'est là qu'elle bâtit son palais de
plaisance dans le Pré-aux-Clercs, pour voir rire et folâtrer les écoliers, et
écrire ses Mémoires, si pleins d'intérêt, de sentiment et de souvenirs
spirituels. La nullité du mariage avec Marguerite de Valois laissait pleine et entière la liberté du roi pour son second mariage, déjà assuré à Rome. C'était une belle et grande fortune pour la maison de Médicis, que d'unir une de ses filles au roi de France ; et Henri à son tour se donnait l'appui du pape en s'alliant à sa puissante famille. Dès que les conditions furent arrêtées, le roi en écrivit au connétable de Montmorency : Mon cousin, je vous escrivis il y a deux jours, mais je ne veux tarder davantage de vous faire part que mon mariage fui, célébré en grande pompe et allégresse à Florence, et que la reine devoit partir le 10 pour estre le 14 à Livourne et le 20 à Marseille, où la grande-duchesse la veut accompagner. Et pour revenir à ma femme, continue le roi, j'ay pourvu à m, santé afin de me bien porter à son arrivée, ayant pris médecine ces deux jours passés, pour ce que j'étois tout desbauché d'une violente colique ; maintenant je me trouve bien, Dieu mercy. Je me suis résolu à faire le voyage de Marseille et m'en vais par Lyon pour venir au Rhosne, afin de faire meilleure diligence. Adieu, mon compère, tâchez de vous trouver du voyage de Marseille, et m'accompagner à la rencontre de h bonne compagnie. En attendant, m'envoyez des bons muscats que vous savez, et de vos nouvelles. Bonjour mon compère. Henry. Le roi cherchait aussi à se bien mettre dans l'esprit de sa nouvelle femme, et il lui écrivait : Madame, les vertus et perfections qui reluisent en vous et vous font admirer de tout le monde, avoient, il y a longtemps, allumé en moy un désir de vous honorer et servir comme vous le méritez. Mais ce que m'en a rapporté Hallincourt l'a faict croistre. Et ne pouvant moy-mesme représenter vostre inviolable affection, j'ay voulu, en attendant ce contentement (qui sera bientost, si le ciel est favorable à mes vœux), faire eslection de ce mesme fidèle serviteur Fontenay, pour faire cet office en mon nom. Il vous descouvrira mon cœur que vous trouverez non seulement accompagné d'une violente passion, mais encore de ce désir de ployer sous le joug de vos commandements, comme dame de mes volontés. Paris, 24 may 1600. Henry[14]. Le voyage de la reine fut heureux et bien plaisant. Les noces furent célébrées avec pompe ; il y eut fêtes et banquets, où le conseil municipal de Paris se distingua. Marie de Médicis était grosse de taille et de figure ; ses yeux étaient grands, mais ronds et fixes ; elle ne plut point aux bourgeois. Le roi l'accueillit bien, et la combla de fêtes ; mais rien ne fut plus court que cette intelligence. Les pasquils disaient que le roi, qui se connaissait en fine fleur, ne l'avait point trouvée, et qu'il s'en plaignait tout haut : ce qu'il y a devrai, c'est que cette illustre paire d'amants n'était pas toujours d'accord sur leurs amours particulières. La reine avait un crève-cœur non pareil de voir les maîtresses du roi, et le roi ne pouvait souffrir qu'avec indignation les déportements de la reine avec le marquis d'Ancre, son favori. Un soir, étant couchés ensemble et se faisant des reproches mutuels avec la dernière aigreur, la reine se leva, sauta à son visage et l'égratigna dans l'excès de son courroux* Le roi ne l'épargna pas non plus de son côté, et il fallut courir bien vite à l'hôtel de M. de Sully, qui avait beaucoup d'ascendant sur l'esprit du roi, pour arrêter la furie de leurs majestés. Il les remit en effet de son mieux ; mais pour éviter un plus grand scandale, il obligea le roi de quitter la partie, et le mena coucher en une autre chambre. Sa jalousie s'engendra par la venue de don Virgine d'Ursin, qui avait suivi Marie de Médicis et qui en avait toujours été amoureux et aimé, dit-on. A cela se joignaient les tourments que donna à la reine la marquise de Verneuil, tourments qu'elle rendait avec usure à Henri IV, qui ne Petit point supporté, si cette reine ne s'était trouvée grosse, par la grâce de Dieu, du fait du roi. En 1602, que le roy alloit à Poitiers pour les brouilleries qu'il y craignoit relativement à l'affaire de M. de Biron, estant arrivé à Blois, la royne déclara qu'elle n'irait pas outre, et vouloit retourner à Fontainebleau, où elle avoit donné rendez-vous à don Virgine Ursin, qui retournoit de voyage. Le roy en ayant esté adverti, voulut la détourner doucement, mais elle s'obstina en termes malicieux et reprochants. Sur quoy le roy entra dans une telle colère, qu'il dit tout haut à M. de Sully qu'il ne la vouloit plus souffrir, et qu'il la vouloit chasser et renvoyer dans son maudit pays. A quoy M. de Sully respondit que cela seroit bon si elle n'avoit point d'enfants, mais puisque Dieu lui en avoit donné, il falloit se garder d'une telle faute. Sire, ajoutait-il, vostre majesté est bien venue à bout de ses ennemys par sa valeur, ne peut-elle donc pas espérer d'avoir raison de sa femme testue et acariaste ? Il y eut encore de grandes scènes de jalousie par rapport à Concini (depuis maréchal d'Ancre), et de Bellegarde, qui faisaient l'amour à la reine, et M. de Sully était toujours l'entremetteur pour les apaiser. Ils en étaient venus à ce point l'un et l'autre, de craindre réciproquement pour leur vie ; car comme ils ne mangeaient plus ensemble, lorsqu'il arrivait que le roi lui envoyait quelquefois de son dîner, s'il s'y rencontrait de la nouveauté, aussitôt la reine le renvoyait sans en vouloir manger. Cette princesse avoit certaines paillasses à terre où elle se couchoit l'esté, durant la chaleur des après-disnées, avec des habits légers et beaux ; et estant ainsi étendue, appuyée sur le coude, montroit ses bras et sa gorge fort belle. Elle avoit des complaignants de ceste beauté admirable, quoique souvent elle fust délaissée pour des laides qui n'avaient point tous ces avantages de nature. Aussi s'enflammoit-elle d'amour ou de haine toute la journée, et quand le roy retournoit, elle ne le vouloit pas regarder, et toute la nuict ne faisoit que gronder[15]. Cependant un enfant naquit bientôt de ce mauvais ménage ;
c'était une bonne nouvelle pour Henri IV que la naissance d'un fils : Mon cousin de Montmorency, présentement sur les dix heures
du soir, la royne ma femme est heureusement accouchée d'un fils ; grâce à
Dieu, la mère et l'enfant se portent bien. L'ambassadeur d'Espagne se
hâta d'en prévenir également sa cour : La nuict
dernière, la royne très chrestienne a accouché d'un fils. Tout le monde se
réjouit icy ; je désire qu'il en soit de mesme auprès de vostre majesté. Je
n'en dis pas davantage, car le courrier françois va partir. Je m'expliqueray plus
longuement dans ma première lettre. J.-B. de Taxis. La dépêche promise
arriva bientôt, annonçant tout ce qui se passait à la cour dans cette
circonstance, et les projets de Henri IV : Sire,
j'ay eu, le 13 du courant, une audience du roy très chrestien, en ce moment à
Fontainebleau. Je luy ay présenté les lettres de vostre majesté en qualité de
son ministre ordinaire, et Tay félicité en vostre nom de la naissance de son
fils. Sa majesté très chrestienne a esté extresmement bienveillante, et son
accueil des plus aimables : il s'est écrié qu'il remercioit en effet le ciel
de luy avoir donné un fils : Les deux couronnes, a ajouté le roy (en faisant allusion à la fille qui vient
de naistre à vostre majesté), les deux
couronnes de France et d'Espagne viennent de recevoir deux héritiers des
mains de Le roi d'Espagne répond sur-le-champ à son ambassadeur : Je n'ay qu'à me louer du langage que vous m'avez faict
tenir auprès du roy de France à l'occasion de l'accouchement de la royne.
Mais pour ce qui est des fiançailles des nouveaux-nés, sçavoir entre le fils
du roy de France et nostre infante, je regarde ce projet comme trop prématuré
pour y donner suite. Si le roy m'en faisoit part d'une autre manière, je lui
répondrois en conséquence ; mais jusque-là ce n'est point une affaire dont on
doive s'occuper. Et, bien que vous ayez fort bien faict de m'avoir prévenu de
ce qui s'est passé, vous aurez soin de laisser ignorer que vous l'avez escrit
icy[17].
Tout paraissait gai à la cour, et pourtant ceux qui s'approchaient de Henri
IV s'apercevaient qu'à travers des éclairs de distraction et de joie il y
avait de tristes préoccupations ; on voyait sur son front l'ennui, l'effroi,
la crainte d'un avenir d'angoisses et de tourmentes publiques. Le roi ne
satisfaisait précisément aucun parti ; son système de temporisation n'allait
droit à aucune de ces opinions franches qui donnent la popularité. Sa tète,
déjà penchée sur sa poitrine, paraissait dominée par de grands projets.
Quelle était sa position à l'extérieur î le repos allait-il naître avec la paix
? cette paix était-elle définitive et sincère ? La haute et belle partie du règne de Henri IV est
l'organisation régulière et vaste des relations politiques au dehors. Dans le
désordre qu'avait jeté la ligue, dans ces alliances motivées sur d'autres
liens que sur des circonscriptions de territoire, sur l'intérêt des peuples
ou la force de la couronne, il avait été difficile de parfaitement démêler
les véritables éléments d'un système européen. Deux principes étaient au fond
de toutes les questions : le catholicisme et la réforme, et tant qu'ils
étaient en lutte, tant qu'on n'était pas parvenu à les concilier ou à les
dompter l'un par l'autre, il était impossible de se faire des alliances
durables, des principes de sécurité au dehors. Henri IV, prince conciliateur,
mit la main à l'œuvre et parvint à son but, après la paix de Vervins surtout,
qui fit rentrer chaque puissance dans ses intérêts propres ; car il faut
considérer cette grande paix comme un retour vers les idées simples et
régulières de la diplomatie. La transaction de Vervins n'avait pas calmé
pourtant les agitations politiques de l'Europe. La pensée religieuse ne
s'était pas entièrement transformée dans la pensée politique ; et tant le
principe catholique était encore énergique, que toutes les puissances
s'ébranlaient pour l'élection d'un pape. Clément VIII (Hippolyte Aldobrandini) venait de mourir ; le sacré collège
portait le cardinal Baronius, le savant analyste qui avait placé au-dessus de
toutes les puissances la suprématie romaine ; il fût repoussé par l'Espagne.
On transigea enfin pour le cardinal de Florence, qui fut élu pape sous le nom
de Léon XI. Léon XI vécut peu de temps et fut remplacé par Paul V. Henri IV
mit une grande importance à ses alliances d'Italie, non seulement par le
souvenir de la vieille domination française, mais encore dans des intérêts
généraux et puissants ; il fallait les opposer à La première et la plus forte alliance, c'était celle des
princes de l'empire, barrière opposée à l'ambition de la maison d'Autriche ;
elle datait de François Ier et de Henri II ; le roi agrandit cette protection
par des subsides habituellement payés, soit à L'Angleterre avait prêté aide et appui à Henri IV ; le prince persista dans cette alliance qui était un naturel appui contre l'Espagne, l'ennemi commun ; des traités successifs agrandirent et resserrèrent ces rapports politiques et commerciaux. Elisabeth, malgré ses moments de mauvaise humeur et de colère contre le Béarnais, n'avait cessé de conserver pour lui une vive et tendre amitié que le traité de Vervins n'avait pas refroidie. Le roi l'engageait même à en finir avec une guerre qui appauvrissait ses sujets et tourmentait sa vieillesse. Elisabeth n'avait point voulu traiter à Vervins : ses raisons étaient puisées moins encore dans les intérêts matériels que dans le principe religieux et moral ; principe qui en Angleterre se mêlait si puissamment aux droits de la couronne. Le parti catholique était fort dans les deux royaumes. La paix avec l'Espagne lui redonnerait une énergie nouvelle, car Elisabeth était déjà aux prises avec les dissidents des deux sectes extrêmes, catholique et presbytérienne. Depuis, la grande reine était morte ; une dépêche de M. de Beauvais, ambassadeur à Londres, en prévenait le roi. Sire, le 5 de ce mois, à trois heures du matin, la royne a rendu l'esprit fort doucement, ayant commencé de perdre la parole depuis quelques jours auparavant. La mort d'Elisabeth ne changea point les rapports
nécessaires et naturels de Depuis le traité de Vervins, les rapports avec l'Espagne
étaient placés sur des bases régulières et précisément déterminées ;
l'Espagne pouvait soulever encore des mécontentements en France, profiter de
quelques révoltes isolées ; mais elle n'avait plus pour elle une ligue dont
les chefs se proclamaient dans toute l'étendue du territoire, dans les
villes, parmi les métiers et les affiliations populaires. Philippe II n'était
plus ; cette haute figure politique avait disparu de la scène après la
signature de la paix de Vervins. On eût dit que la mort s'était emparée de
cette proie au moment où la pensée catholique avait cessé de dominer les
intérêts d'état à état. Quel rôle pouvait encore jouer Philippe II à la suite
de la paix de Vervins, transaction qui reposait sur des idées de conciliation
diamétralement opposées à l'unité religieuse et politique, fondement de son
système ? Son successeur, Philippe III, était jeune, indolent, peu capable ;
sa main ne se montre plus sur toutes les dépêches, comme aux grands jours de
son père : on ne trouve pas la trace de son pouvoir jusque dans les moindres
actes de sa chancellerie. Tout se fait par son conseil d'état, et dès lors
les vastes archives de Simancas n'offrent plus le même intérêt de politique
et d'histoire. Les transactions de l'Espagne, à cette époque, se résument
dans les négociations suivantes : 1° Développement difficile et inquiet de
l'état de paix avec Henri IV voulant reconnaître la bonne réception qui était
faite à Madrid à son ambassadeur, donnait, de son côté, ordre à Paris de bien
accueillir les envoyés espagnols : Très chers et
bien amés, le désir que nous avons que l'ambassadeur que le roy d'Espagne
nous a naguère envoyé reçoive tout le bon traitement qu'il nous sera
possible, nous a fait faire un mot à vous, nostre amé et féal prevost des
marchands, pour tenir la main à ce que luy et ceux de sa suite fussent logés,
bien reçus et accommodés es maisons de nostre bonne ville de Paris, où les
mareschaux de nos logis que nous avons envoyés à cet effect les pourroient
marquer ; et parce qu'il est party ceste nuict pour s'y acheminer, et que
nous ne désirons pas qu'il soit laissé aucune chose de ce qui est nécessaire
à cet eifect, nous vous mandons et ordonnons que incontinent après la
réception de la présente, vous ayez à aller visiter iedict ambassadeur
d'Espagne, et lui faire les présents ordinaires et accoutumés en tel cas, en
sorte qu'il en reçoive le contentement que nous nous sommes promis ; et à ce
ne faictes faute, car tel est notre plaisir[18]. Ces rapports de
bonne intelligence n'empêchaient pas les intrigues de toute espèce que
l'Espagne entretenait en France, afin de réveiller les troubles de la ligue.
Les agents secrets se multipliaient. Jesus Maria
! (c'est ainsi que commencent tous
les rapports de Rafis, un de ses agents). Jésus
Marie !... Troisième rapport dans lequel je
vais dire les noms des personnes qui sont ennemyes du roy de France pour les
tyrannies qu'il s'est permises ; j'ajouteray les noms des provinces où
résident les mécontents et ce qu'ils peuvent faire contre le roy : Le
maréchal de Biron tire son importance de l'ancienne position seigneuriale de
son père en Périgord et dans le duché de Guienne, et du costé de sa mère,
dans la province et l'évesché de Comminges. Tous les principaux gentilshommes
de la province du Périgord sont parents ou très attachés à la famille de
Biron, parce que le père du maréchal de Biron leur a rendu service à tous
étant lieutenant général de Guienne. Il peut à lui seul entretenir la guerre
en Guienne et en Auvergne. Au surplus, la maréchale, mère du maréchal de Biron,
est alliée à presque toutes les grandes familles de Comminges et de Gascogne,
qui ne demandent que la guerre, comme les barons de Montberant, de Bajordan,
les vicomtes de Saint-Giron, de Labours, etc., etc. Les seigneurs qui se sont trouvés offensés dans la
personne du comte d'Auvergne sont : le connétable,de Montmorency, si puissant
par tout le royaume, ses cousins les ducs de Bouillon et de Ventadour, de L'agent donnait, à la sui te de ce tableau, un aperçu des
moyens qu'on pouvait employer pour soulever les provinces. C'est par ces
espérances de séditions nouvelles qu'il faut expliquer les retards que
l'Espagne apportait à jurer la paix de Vervins. Henri IV écrit au cardinal
d'Ossat, ambassadeur à Rome, une longue lettre dans laquelle il s'en plaint
avec aigreur. Ainsi les démonstrations de bonne intelligence entre Si la monarchie des Bourbons prenait sous sa protection la
république naissante des états de Hollande, elle renouvelait aussi ses
vieilles alliances avec les Grisons et les Suisses. La liberté de Genève
n'éprouvait pas une atteinte dans ses droits, que tout aussitôt le roi de
France ne tirât l'épée pour sa conservation. Quand les députés des Grisons
vinrent à Paris pour renouveler la ligue et trêve,-ils furent royalement
festoyés au Louvre et par la ville ; le jurement fut renouvelé, et le roi
déclara qu'il se ferait découronner roi de France plutôt que de souffrir que
ses bons compères les Suisses pussent voir leur indépendance menacée. On jura
de part et d'autres des capitulations militaires, une assurance mutuelle en
cas d'attaque : Sa majesté a tousjours grandement
affectionné la prospérité de leur république, comme elle le leur a tesmoigné
en plusieurs et diverses occasions, et les assistera de la somme de
vingt-cinq mille livres par mois. Sous le règne de Henri IV se développe encore sur de
larges bases l'alliance de En résumant la question diplomatique sous Henri IV, on
pourrait dire ; la pensée religieuse s'effaçait du système européen ; alors
arrivaient les intérêts positifs de dynastie, de peuples, de territoires. |
[1] Code Henri, liv. Ier, tit, XXXI. — Traité de la police, liv. IV, tit. XII, chap. II.
[2] Codes des chasses, I, p. 189. — Registres du parlement, vol. VV, fol. 246. — Fontanon, II, p. 337.
[3] Mss. de Béthune, vol. cot. 9093, fol. 1.
[4] Voyez les Mémoires de Sully lui-même sur son administration.
[5] Mémoires de Sully, année 1604, liv. XIX.
[6] Mss. Dupuy, vol. 590. Pièce originale.
[7] Mss. de Béthune, vol. cot. 8681, fol. 55. — 2 avril 1606.
[8] Mss. Dupuy, vol. 407.
[9] Copie faite sur l'original étant en la bibliothèque de Lamoignon, dans Fontanieu, portefeuille, n° 444, 445.
[10] Fontanieu, portefeuille n° 452, 453.
[11] Mss. Dupuy, vol. 407.
[12] Mss. de Béthune, vol. cot. 8476, fol. 97.
[13] Mss. de Béthune, vol. cot. 8476, fol. 96.
[14] Mss. Dupuy, vol. 407.
[15] Bibliothèque du roi, mss. de Béthune, vol. 8944, fol. 39.
[16] Ces mots ont été soulignés par l'ambassadeur, ainsi que ceux qui terminent la lettre.
[17] No havra para que se entiendœ que lo aveis escrito aca. — Archives de Simancas, A 5853.
[18] Registre de l'hôtel de ville, XVII, fol. 375.
[19] Bibliothèque du roi, mss. de Brienne, vol. LXXVIII, p. 157.