Caractère de la guerre. — Auxiliaires de Henri IV. — L'Angleterre. — La Hollande. — Les
Allemands. — Les Suisses. — Auxiliaires de Philippe II. — La Savoie. — Napolitains. —
Italiens. — Wallons. — Surprise d'Amiens. — Le brave capitaine Hernando
Tello. — L'archiduc Albert. — Amiens au pouvoir de Henri IV. — Négociation
pour la paix. — Traité de Vervins. — Négociation pour l'édit de Nantes.
1598 — 1610.
La guerre contre Philippe II n'avait été nominativement
déclarée que par Henri IV, roi de France et de Navarre ; le manifeste des
batailles ne parlait que des vieux griefs de la maison de Bourbon et du
souvenir des dissensions civiles fomentées par l'Espagne. Toutefois, la
situation politique de l'Europe, la complication d'intérêts et de principes
qu'avait jetée la réforme parmi les peuples, le nouveau droit public qu'elle
avait fait naître, donnaient de nombreux auxiliaires à Henri IV. Ces
auxiliaires pouvaient seuls rendre les chances égales dans cette vaste lutte.
Le roi de France aurait-il jamais résisté avec sa brave, mais peu nombreuse
chevalerie, aux regimentos espagnols
envahissant de tout côté la monarchie par la Flandre, la Bourgogne, les Pyrénées
et la Bretagne
?
C'était par des alliances, par les secours constants et
efficaces des étrangers, que Henri IV pouvait espérer de lutter contre
Philippe II. Depuis sa triste jeunesse de Béarn, le roi de France avait
trouvé appui dans Élisabeth d'Angleterre. La pauvre
vieille avait fourni subsides, régiments d'Écossais, Anglais,
Irlandais même, belles troupes qui marchaient sous le canon sans s'émouvoir.
La conversion de Henri IV au catholicisme avait un peu affaibli ces liens
d'intimité ; le principe d'une foi commune, la réforme, n'agissait plus sur
l'alliance, mais les intérêts de la
France et de l'Angleterre étaient tellement liés contre la
puissance de l'Espagne et la monarchie universelle de Philippe II, qu'il
était désormais impossible de les séparer. Henri IV entraînait donc à sa
suite l'Angleterre, qui ne pouvait jamais souffrir que l'Espagnol dominât la Flandre et put commander
le détroit par Calais. Les Pays-Bas hollandais faisaient également une
imposante diversion à la guerre de l'Espagne contre la France. Déjà
constitués sous la maison d'Orange, ils tenaient à leur solde des régiments
français, tandis que leurs marins et les Allemands levés par leurs subsides
s'avançaient sur la Flandre
espagnole. La Hollande
n'était plus cette colonie de révoltés secouant avec effort le joug de
Philippe II ; l'esprit du commerce avait là porté ses fruits. C'était un lait
immense pesant de tout son poids dans la balance des relations d'état à état.
Quand l'archiduc Albert préparait une expédition contre la Picardie, le prince
Maurice paraissait sur les frontières nord, conduisant une brave et forte
armée, de telles diversions étaient un appui décisif pour Henri IV. Les
princes réformés de l'Allemagne agissaient bien par le sentiment commun d'une
haine religieuse contre la maison d'Autriche, mais au-dessus de ce sentiment
même était pour eux la question des subsides ! Jamais les reîtres et les
lansquenets, les capitaines qui les conduisaient, n'avaient hésité, par des
motifs de conscience, lorsqu'il s'agissait de toucher une bonne pension, une
solde considérable. On se battait pour Henri IV catholique comme pour le
Béarnais protestant ; il y avait des reîtres et lansquenets tout à la fois au
service des Pays-Bas hollandais, des Espagnols et de Henri IV. Aucun principe
de nationalité n'unissait les belliqueux enfants de la Germanie ; la féodalité
avait là si fortement morcelé l'unité territoriale, que le souvenir de la
patrie commune n'existait plus. Les cantons suisses étaient plus vivement
nuancés pour le principe religieux. Genève, l'austère Genève, avait vu avec
douleur Henri IV embrasser la superstition
romaine, le papisme tant flétri par Calvin ; mais pouvait-elle se séparer
d'un protectorat qui la sauvait des armes de la Savoie ? ne devait-elle
pas appeler à l'aide de Henri IV toutes les forces helvétiques dont la
réforme pouvait disposer ? Le triomphe du principe catholique et de Philippe
II devait amener la réunion de la république calviniste aux terres de la Savoie, la perte de sa
liberté politique et de son indépendance souveraine, et Genève se dévoua à la
cause française.
La monarchie espagnole luttait seule contre la coalition
des forces hostiles à son principe : cette monarchie embrassait alors les
deux hémisphères ; non seulement elle pouvait armer la population belliqueuse
et chevaleresque de quatorze royaumes ou provinces unies sous sou sceptre,
mais encore les vieilles bandes de Naples, de Sicile, de Parme et Plaisance,
noircies sous le soleil d'Afrique. Par la Franche-Comté
et la Savoie,
l'Espagne communiquait avec ses provinces des Pays-Bas, et cernait la France comme d'une longue
barrière de régiments de piquiers et de hallebardiers : ces régiments avaient
débordé sur la Flandre
et la Picardie
; leur avant-garde était à Dourlens, sous le capitaine Hernando Tello, tandis
que Henri IV convoquait le ban et l'arrière-ban de sa gentilhommerie, et
fixait le rendez-vous de l'armée à Amiens, où s'accumulaient pêle-mêle les
magasins d'armes, d'argent, de vivres pour la campagne. Voilà que le roi
apprend tout à coup qu'Amiens venait d'être surpris par les Espagnols. Le capitaine Hernando Tello Porto-Carrero, gouverneur de
Dourlens pour les Espagnols, après avoir plusieurs fois, en habits déguisés,
recognu la ville, fit approcher et mettre ses gens en embuscade dans le lieu
de la Magdeleine,
proche la ville, le mardi il mars de la présente année 1597. Pendant que les
habitans étoient à l'église à ouïr le service, luy et les siens,
contrefaisant les manans et vivandiers, portant hottes de pommes, noix et
autres denrées, chassant devant eux des chevaux et asnes de bât et de somme,
et faisant froid, feignirent d'aller chauffer es corps-de-garde, oh exprès
ils se laissèrent tomber avec leurs charges de pommes et noix, que les gardes
s'amusèrent à ramasser ; et lors ledict Hernando Tello et autres capitaines
se saisirent des armes et corps-de-garde, pendant que certains coches et
charriots étoient sous les herses et portes ; et ceux qui estoient dans
lesdicts coches en sortirent en armes et gagnèrent aisément icelles portes, sans
aucune résistance.
C'était là une expédition hardie, une trouée d'avant-garde
plus à craindre pour le moral de l'armée que pour le résultat stratégique.
Sans doute, si l'archiduc Albert avait été en ligne pour couvrir Amiens,
poste très avancé, alors la position de l'armée de Henri IV eût été
compromise ; mais tenir Amiens avec deux régiments seulement contre toutes
les forces royales, c'était une de ces glorieuses fanfaronnades que les
Espagnols aimaient à sceller de leur sang. Le lendemain, l'armée de Henri IV
prit l'initiative ; il arriva à ladite armée six cents Anglais de la garnison
de Saint-Valery et du Crotois ; puis le régiment de Normandie, avec leurs
bonnets rouges, composés de quinze cents hommes lestes, qui avaient
précédemment été contraires à sa majesté. Le 4 septembre, l'armée se grossit
encore du régiment de la ville de Paris, composé de quinze cents hommes
déterminés. Ainsi Paris même avait levé son régiment, tant les périls
paraissaient graves, tant la monarchie était menacée ! Il fallait voir,
malgré cette cohue, le bel ordre, la belle tenue des camps devant Amiens. Tous les régimens, chacun à part soy, et tous d'un rond en
croissant, estant en grand nombre, et celuy des Anglois et Irlandois, tout le
dernier et proche de la justice de la ville nommée Patience, et la cavalerie
à l'entour de l'infanterie sur les aisles. Il y avoit en ladicte armée
plusieurs belles places publiques, rues et paroisses, entre lesquelles il
faisoit beau voir celle des grossiers et merciers de Paris, beaux marchés,
belles boucheries, estapes à vin, tant par terre que par eau, apports de
grains, foin, paille, bois de toute sorte pour bastir, faire loges et pour
brusler, et de toutes autres sortes de marchandises nécessaires à une armée
royale, et nommoit-on ce lieu la place Maubert, sans les autres places et
rues qui avaient chascune leurs noms, comme les halles, rue Sainct-Denis et
autres ; et l'on eust plustost pris ce lieu pour quelque grande villasse que
pour une armée qui fut faicte en peu de temps, en s'accroissant de plus en
plus[1].
On voyait par ce bel ordre des tentes que ce n'était plus seulement le roi de
Navarre qui, brave aventurier, conduisait des armées de gentilshommes sans
frein et sans discipline. Biron était un homme de tactique ; les ducs de Mayenne,
de Nemours avaient longtemps commandé avec prudence ; tous ces noms des
généraux de la ligue parlaient aux sympathies populaires ; n'y avait-il pas,
au camp même, un régiment des ligueurs de Paris !
Le brave Hernando se défendait dans Amiens contre toute
l'armée du roi, avec un héroïsme digne des temps de la chevalerie ; ne
désespérant pas de vaincre l'armée royale, il écrivait à l'archiduc Albert : L'ennemy a si grand peur, qu'aussitost que nous laissons
le pont de la ville pour quelchose que ce soict, il quitte l'incontinent les
tranchées et se met en garde. Hâtez-vous donc et ne vous donnez point
occasion de perdre courage, maintenant que nous commençons à descouvrir qu'il
y a des volontaires lasches, lesquels s'assureront s'ils sont fidvis de vostre
venue. Quant à moy, je ne perds courage, et le monde ne m'ostera jamais
l'honneur. Je mourray avec cela, et ce me sera un assez honorable tombeau ;
ce qui arrivera sans faute, puisque mes ennemys font estat de ne m'avoir jamais
qu'à force de canon.
Ces pressantes dépêches avaient pour objet d'appeler
l'archiduc Albert qui s'avançait lentement au secours d'Amiens. Rien de hardi
ne fut fait par l'armée espagnole qui craignait pour ses derrières la marche
rapide du prince Maurice des Pays-Bas. Il y eut 4es escarmouches et point de
batailles ; Hernando, à peine secouru, se défendit comme un tiéros ; puis un
beau jour, il y décéda d'un coup de balle de
mousquet, comme il visitoit la bresche. Cette brèche était faite sur
l'épaisse muraille, et les secours espagnols n'arrivaient pas ; Monténégro
n'avait point l'énergie du brave Hernando ; il demanda à capituler ; et comme
Henri IV craignait toujours le mouvement de l'armée espagnole, des conditions
larges furent accordées au gouverneur d'Amiens. Des
charrettes devoient estre fournies par le party du roy aux blessés jusqu'à Dourlens
ou Bapaume, avec escorte. Les malades restant dans la ville devoient y estre
traités aux frais des vainqueurs, et non les sortans payer les drogues et
médicaments. Les prisonniers estoient mis en liberté départ et d'autre. Enfin
un article d'honneur lugubre avoit esté stipulé par le successeur de
Porto-Carrero : Monténégro demanda qu'on ne touchast poinct au tombeau de
Hernando et des autres officiers morts pendant le siège ; ce qui lui fut
accordé, sous la réserve que les inscriptions ou bas-reliefs de ces monumens
rie continssent rien d'injurieux à la nation françoise. C'était un noble
sentiment de piété et de respect que celui qui dirigea les Espagnols dans
cette circonstance. Les Français trouvèrent là le casque et la cuirasse de
Hernando, et furent étonnés de les voir si petits qu'on les eût pris pour l'armure
d'un enfant, tant sa taille répondait peu à la grandeur de son courage. Les Espagnols enlevèrent le corps et autres qu'ils emportèrent
en leur pays, et y laissèrent seulement les trophées qui estoient ses armes,
corcelet, haubert, casque, brassards, cuissards, grève, gantelets, espée
d'armes, espérons, enseignes, guidons, trompettes et autres choses de
remarque, avec un grand tableau où estoit escrite en lettres d'or son
épitaphe.
La prise d'Amiens finit en quelque sorte la campagne. Il y
eut bien des bravades de chevalerie faites contre Arras. L'archiduc Albert demeura
impassible ; il était inquiet de l'invasion du prince Maurice dans les Pays-Bas.
La ligne d'Arras était débordée ; n'allait-il pas être serré entre deux
armées également braves, également formidables ? Il y avait cela de particulier
dans la prudence espagnole, qu'à force de précautions elle perdait le fruit
de ses conquêtes ; les généraux exagéraient la stratégie : ils marchaient en
masse, à l'abri de leurs chars, défendus par de longs canons et couleuvrines.
Cet ordre était bien pour une retraite, sans doute ; mais à quoi
aboutissait-il dans une marche en avant, où il fallait ce courage aventureux
qui risque quelque chose pour courir au triomphe ? La chevalerie du
béarnais caracolait autour des vieilles bandes wallonnes ; les Espagnols
épargnaient ainsi les hommes, ne compromettaient pas leur camp ; mais ils
défendaient difficilement les positions hasardées. Henri IV dut à la
pétulance française une partie de ses succès, et ses succès lui donnèrent la
grande paix de Vervins.
Il y avait lassitude de batailles : cette guerre, sans
avoir un résultat décisif, avait été presque partout favorable à la cornette
blanche et fleurdelisée de Henri IV ; la plupart des provinces étaient délivrées
de l'invasion espagnole. Philippe II avait compté sur des défections, des
appuis secrets ; ils ne s'étaient pas rencontrés. Le prince vieillissait, et
dans le palais de San-Lorenzo, on ne reconnaissait plus, sous ces voûtes
sombres et froides, cette activité du roi qui remuait les Deux-Mondes. Henri
IV, de son côté, n'avait plus la bouillante jeunesse qui court aux périls
comme à une fête ; il pensait au repos, à la paix qui seule pouvait permettre
et préparer les plaisirs de cœur et d'amour que ce roi chérissait par-dessus
tout.
Dans cette situation des esprits, la vaste autorité
catholique du pape s'offrit comme souveraine médiatrice. Le Turc avait
débordé en Hongrie ; ses armes menaçaient la Sicile, et l'idée de
croisade, que la réforme n'avait pas éteinte dans les cœurs, se réveillait
contre les Infidèles, qui violentaient femmes, enfants, clercs et pucelles.
N'était-ce pas une circonstance naturelle pour réunir toute la chrétienté
sous un commun étendard ? Combien une guerre générale contre les Musulmans ne
serait-elle pas populaire ? et comment y arriver, au milieu de ce duel de
sang qui précipitait les unes contre les autres toutes les forces de la
chrétienté ?
Clément VIII, uni au cardinal Albert, et au général des
cordeliers, ordre saint et modeste, tenta cette tâche laborieuse. Les armes
de Rome étaient puissantes pour la noble direction que le pontife voulait
imprimer au monde catholique.
Dès la fin de l'année 1S97, tout semble tendre à la
négociation. Une lettre interceptée de Henri IV à son ambassadeur à Rome,
exposait nettement le but et la portée du traité qui se préparait : Vous parlerez de ce que sa saincteté vous a dict relativement
à la paix avec le roy d'Espagne, pour laquelle elle a envoyé en Flandre et
faict passer icy le général des cordeliers. Je l'ay vu et ouï deux fois,
après lesquelles il est party pour retournera Bruxelles. Je sçais que dans
l'empire du Turc tout est en confusion ; s'il estoit vivement pressé, il
seroit très facile de le renverser, à la gloire de Dieu. J'en cognois.
certaines particularités fort remarquables qui augmentent en moy le désir de
ceste pacification européenne que sa sainctelé affectionne, pour y employer
le reste de mes jours et tout ce qui est en ma puissance avec les autres
princes chrestiens. Le général des cordeliers m'a faict entendre les
intentions de sa saincteté, en ajoutant que le roy d'Espagne et le cardinal
Albert étoient disposés à la paix. Veuillez donc bien assurer sa saincteté
qu'elle m'y trouvera tousjours aussi disposé que le peut estre un prince qui
craint Dieu et faict profession d'honneur. C'est le pape qui m'a aydé à me
sauver, et il n'est ny de son honneur, ny de son avantage que je sois joué et
affoibli par les ruses de mes ennemys, sous le nom et auctorité du sainct-siège,
lequel je sçais y procéder de bonne foy. J'ay trouvé ce général des religieux
très accord avec moy, bien que, subject du roi d'Espagne, il doive pencher de
son costé. Au reste, est-ce bien prendre le chemin du Levant ou de la Hongrie, pour faire la
guerre à l'ennemy de la chrestienté, que de vouloir marcher à la con-queste
du royaume d'Angleterre, comme le veut Philippe II ? Outre que cet ouvrage
n'est pas à beaucoup près si facile que les Espagnols le persuadent à sa
saincteté, ou que sa piété le luy faict croire, je ne peux souffrir que
ledict roy d'Espagne ajoute encore ceste couronne aux autres, qui sont en si
grand nombre sur sa teste qu'il l'a toute courbée. D'ailleurs, la royne
d'Angleterre, après la mort de laquelle on attend pour revendiquer sa
couronne, n'est ny si vieille, ny si usée que le roy d'Espagne. Elle n'est
pas moins puissante non plus, et la preuve, c'est que ses flottes se font
redouter en Espagne et en Portugal autant que celles du roy d'Espagne en
Angleterre. Les demandes de Philippe II sont tellement impertinentes que je
ne les puis croire, ny de la part du roy, ny de ses ministres ; ce n'est
point ainsi le moyen de s'accommoder, que de blesser le roy de France et la France elle-mesme dans
son honneur : sommes-nous donc vaincus ou écrasés ? Non, car voilà nos épées
et nos bras encore tous prests pour recommencer vaillamment la besogne contre
les injustices de l'ennemy. Est-il raisonnable que je paye les frais d'une
guerre faicte tout exprès pour me ruiner ? Ce serait par trop fol et injuste
: j'ai, de mon costé, trop de courage, de justice et de bons amys et
serviteurs, et j'estime trop peu les armes de mon ennemy pour acquiescer jamais
à de telles prétentions.
Ces instructions curieuses, écrites de la main du roi expliquent
sa haute politique ; il savait la situation de vieillesse et de décrépitude
de Philippe II ; l'Espagne avait besoin de la paix ; le pape l'imposait.
Henri IV avait raison de se considérer comme l'expression d'un système qu'un
traité isolé pourrait compromettre. La restauration de Henri s'alliait à l'établissement
de la Hollande
indépendante, à l'agrandissement de la puissance protestante en Angleterre, à
la liberté absolue du corps germanique, à la constitution de Genève et des
autres cantons calvinistes contre la Savoie. Si pourtant les conditions offertes par
Philippe II étaient larges, rassurantes, on pourrait traiter isolément. Mais
était-il possible d'admettre les prétentions de l'Espagne, au moment même où
de récents avantages avaient salué les cornettes de France ? Dès qu'Elisabeth
eut connaissance des négociations avec l'Espagne, elle manifesta toute espèce
de froideur à l'égard de Henri IV. Voulait-on sacrifier l'Angleterre à des
stipulations particulières, à des avantages exclusifs pour la France ? Le roi lui
écrivait : Madame, j'estime avoir recognu
quelque refroidissement à vostre bonne volonté accoutumée envers moy, sans
que je sache vous en avoir donné l'occasion ; outre l'inclination qui nous
dirige dans ceste correspondance, le bien de nos affaires nous y conduit,
ayant pour ennemy commun le roy d'Espagne. Nostre mutuelle intelligence rompra
ses desseins, et assurera du tout ce qui dépend de la prospérité de nos royaumes.
Sur quoy désirant sçavoir vos intentions, j'ay despesché Loménie, secrétaire
d'estat de mon royaume de Navarre ; j'espère bien passer outre et entrer sur
les terres de nos ennemys, pour peu surtout que vos forces, dont je vous fais
prier, veuillent m'assister. Je les employeray aussi utilement pour le bien
de vos affaires, puisque nous ruinerons nostre adversaire et ennemy commun.
Je joindrai ceste obligation et faveur à beaucoup d'autres desquelles je suis
si pénétré, si recognoissant, que c'est avec bien de la sincérité et du fond
de l'âme que je prie Dieu, madame, etc., etc.[2] Henry.
Quand il s'agissait d'appeler des secours, d'obtenir appui
de la reine d'Angleterre, Henri IV présentait les deux causes comme
invariablement unies contre Philippe II ; mais lorsqu'il fallait négocier,
préparer des résultats par des démarches secrètes, alors Henri abandonnait son
alliée. Elisabeth n'était-elle pas menacée par le gouvernement catholique que
la paix pouvait favoriser, et qui touchait à la couronne protestante
d'Angleterre ? C'est dans cette pensée d'une révolution religieuse contre l'église
anglicane que le pape persévérait dans ses projets de pacification. Le nonce
auprès de Philippe II eut ordre de presser plus que jamais la conclusion de
la paix : Nostre sajnct-père le pape,
lui disait-il, me commande expressément de vous
écrire pour faire cognoistre à vostre majesté l'état des négociations traitées
par son légat en France. Le général des cordeliers a trouvé Henri assez bien
disposé par les soins du légat ; ce prince a demandé, entre autres choses, si
l'archiduc avoit des pouvoirs de vostre majesté pour la paix. Cette réponse
ayant été transmise à sa saincteté, elle a répondu qu'il falloit bien
démontrer à vostre majesté que cette interminable guerre n'étoit pas
favorable à l'accroissement du catholicisme. La réponse d'Espagne s'étant
fait attendre, sa saincteté m'a écrit de réitérer cette prière auprès de
vostre majesté.
Le pape s'était donc placé à la tête des idées pacifiques
et de rapprochement. Les transactions étaient difficiles, parce que la France et l'Espagne ne
représentaient point des intérêts simples, mais une politique complexe. Henri
IV n'avait pas à traiter seulement pour la France ; devait-il, pour brusquer une convention
de paix, se séparer de ses alliés d'Angleterre et des états-généraux de
Hollande ? Philippe n lui-même ne pouvait isoler sa cause de l'existence
politique des Pays-Bas espagnols sous l'archiduc Albert. Elisabeth surtout
paraissait peu portée à la paix ; ses expéditions étaient heureuses ; la
course et la piraterie enrichissaient les armateurs anglais ; elle savait
également qu'une des pensées de la grande croisade catholique contre les
Musulmans était de réveiller les idées populaires contre la réforme. Clément
VIII rêvait l'unité religieuse, sorte de retour vers la société du moyen âge
; la pacification de l'Espagne et de la France arrivait à cette fin. De toutes parts
éclataient les plaintes des alliés du roi, des Anglais, comme des états-généraux
des Pays-Bas.
Mon cousin, écrivait Henri
ÏV au connétable de Montmorency, la reine
d'Angleterre et les états-généraux invoquent sans cesse nos traictés,
lesquels ne m'obligent pas de suivre leurs volontés au dommage de mon estat,
la conservation duquel me doibt par raison et par nature estre plus chère que
toute autre amitié et considération. J'ai faict cognoistre aux-dits
ambassadeurs ne pouvoir refuser les moyens qu'on me donnoit de recouvrer mes
villes et donner repos à mon peuple accablé sous le faix de la guerre ; de
quoi les uns et les autres ont montré estre mal satisfaicts. Toutefois, les
Anglois m'ayant depuis faict instance de leur donner quelque temps pour en
advenir leur maistresse, comme ils estoient venus incertains de sa dernière
volonté, je leur ai accordé quarante jours dedans lesquels je leur ai promis
de ne ratifier l'accord que pour-roient faire mes ambassadeurs, dont ils ont
faict contenance de n'estre encore contents. Car, mon cousin, ils eussent
bien voulu par leurs dilations et remises me faire perdre l'occasion qui se
présente de pacifier mon royaume, pour faire tousjours leurs affaires à mes
dépends, grandir et profiter de mes travaux. Mon cousin, mon but est, si Dieu
me donne la paix, de remettre toutes choses en leur premier et ancien ordre,
avec vostre ayde et bon conseil, afin que nous puissions jouir en repos du
fruict de nos labeurs, à la gloire de Dieu et au contentement des gens de
bien[3].
Le roi de France paraît enfin décidé à la paix, isolée
s'il le faut, puisque ses alliés ne veulent pas entrer dans son système. Si
les états-généraux persistaient à faire la guerre, est-ce que le roi pouvait
obéir à leurs intérêts ? Si la reine Elisabeth se séparait de lui, pouvait-il
la soutenir à des conditions onéreuses pour sa monarchie ? MM. de Bellièvre
et de Sillery furent chargés par Henri IV des négociations pour la paix. Le
président Richardot, renvoyé Taxis, et le Belge Vereiken représentaient l'archiduc
Albert, et le marquis de Lullino le duc de Savoie. Le lieu des conférences
avait été fixé d'abord dans les Pays-Bas, puis à Vervins, ville de la
frontière, qui fut neutralisée durant la guerre. Les instructions des deux
négociateurs étaient courtes et précises : Le roy
entend que l'assemblée des députés se fasse en la ville de Vervins, auprès de
la personne et en la présence de M. le cardinal de Florence, légat de nostre
sainct-père le pape, et du père Bonaventure Talatagironne, général de l'ordre
sainct François, envoyé devers sa majesté exprès pour cet effet ; en laquelle
assemblée lesdicts sieurs de Bellièvre et de Sillery auront soin de conserver
et garder le rang dû à la royale dignité de sa majesté. Ils diront audict
sieur légat que trois raisons et considérations ont mû sa majesté de passer
par-dessus plusieurs autres très importantes à son service : la première a
esté le désir très grand que sa majesté a eu de contenter nostre sainct-père,
fortifié de la grande fiance que sa majesté a prise de la bonne volonté du
légat, s'assurant qu'il ne consentira jamais estre faict chose honteuse et
préjudiciable au roy et à la
France ; la seconde, l'affection et le soin que doibt avoir
tout prince chrestien d'embrasser et favoriser le repos public de la
chres-tienté ; mais la dernière est la parole donnée par le père général au
légat et à sa majesté, au nom du roy d'Espagne et du cardinal Albert, de
rendre, par ladicte paix, toutes les villes et places prises en ce royaume
par ledict roy et les siens depuis le traité de Cateau-Cambrésis. A
ces instructions était jointe une lettre personnelle de Henri IV pour le
cardinal légat : Mon cousin, puisque les sieurs de
Bellièvre et de Sullery sont porteurs de la présente, je ne la vous escrivay que
pour vous souhaiter autant de santé que je vous porte d'amitié et ay de
fiance en la vostre, afin de pouvoir rendre l'œuvre que vous avez entrepris
aussi parfait et accompli, qu'il sera glorieux pour vous et utile pour tous,
si vous en estes cru. Les sieurs de Bellièvre et Sillery n'ont pu partir à jour
nommé, pour les raisons qu'ils vous diront. Ils marchent pour un faix qui est
si pesant et touche aussi à tant de sortes de personnes, qu'il ne faut
s'esbahir si on y procède lentement.
Les négociations furent longues. En effet, toutes les
instructions de Henri IV portaient sur la restitution des villes qui étaient
au pouvoir de la France
lors du traité de Cateau-Cambrésis, l'uti
possidetis de 1559, dans son expression la
plus large et la plus absolue. Ces points reconnus, M. de Bellièvre et
Sillery, après avoir défendu les intérêts de l'Angleterre et des Pays-Bas,
devaient les abandonner, s'il était nécessaire, pour arriver à une paix définitive,
en dehors même des alliés naturels. Cette situation des Pays-Bas et de l'Angleterre
compliquait singulièrement les négociations si simples de Henri IV. Philippe II
devait offrir des conditions meilleures, au cas où le roi de France
consentirait à traiter isolément. L'archiduc Albert, qui gagnait à la paix la
couronne ducale, avec les belles provinces de Franche-Comté, de Flandre, le
rétablissement du vieux et brillant duché de Bourgogne, favorisait l'achèvement
du traité, qui fut enfin signé le 2 mai 1599. Nous
prions Dieu, sire, disaient MM. de Bellièvre et Sillery, que vostre majesté puisse longuement et heureusement jouir
de ceste paix, laquelle estant dès maintenant conclue et arrestée, il est
besoin que les gouverneurs et lieutenans-généraux de vos provinces soient
advertis de la cessation de tous ces actes d'hostilité qui a esté accordé de
part et d'autres. A quoy nous remettant, nous luy dirons que M. le légat nous
a promis qu'il ne partira de ce lieu de Vervins, sans que premièrement il ait
sçu la volonté de yostre majesté. Il dict que si les députés d'Angleterre
viennent içy, il n'y peut rester avec son honneur, mais que doucement il se
retirera à Reims, sans que l'on s'aperçoive pour quelle raison il le faict,
et qu'il sera si près de nous qu'il ne manquera pas à servir vostre majesté.
Ce bon prélat est plein de zèle et d'attention envers vostre majesté, à
laquelle il se sentira fort obligé, si escrivant au pape, vous h'honorez de
vostre témoignage.
Cette paix de Vervins, préparée par le légat et le général
des cordeliers, était ratifiée en toute hâte ; et pour manifester son
contentement, Henri répondit aux négociateurs : Messieurs
de Bellièvre et de Sillery, vous m'avez faict un très signalé et agréable
service d'avoir conclu et signé nostre traicté de paix, ainsi que vous m'avez
écrit par vostre lettre du 2 de ce mois. Je vous remercie de tout mon cœur du
bon devoir que vous y avez faict ; il a répondu à mes espérances. Car quand
je vous choisis pour desfendre ma cause, je ne m'en promettait pas moins que
cela. Je me resjouis grandement de la promesse que avez faicte à mon cousin le
cardinal de Florence, légat de nostre sainct-père, de ne partir de Vervins
que je ne luy aye mandé ma volonté ; car je suis assuré que sa présence
facilitera grandement l'exécution de nostre accord. Partant, après l'avoir
remercié de la peine qu'il a prise pour moy, je le prie de me donner encore
le temps qui m'est nécessaire pour me rendre entièrement jouissant du fruict
de ses labeurs.
Mon cousin, ajoutait Henri
IV au légat lui-même, j'espère vous voir bientost,
et moy-mesme me conjouir avec vous de l'heureuse fin que Dieu a donnée à vos
travaux et longues poursuites pour la paix publique de la chrestienté, de la
conclusion de laquelle mes ambassadeurs m'ont donné advis. Cependant je n'ay
voulu différer davantage à vous remercier de l'affection avec laquelle ils
m'ont faict savoir que vous avez embrassé et favorisé tout ce qui me
concerne, et vous assurer que je m'en ressens si obligé à nostre sainct-père
et à vous en particulier, que je n'en perdray jamais la mémoire, et ne seray
content qu'il ne se présente occasion de m'en revancher et le recognoistre au
contentement de sa saincteté et au vostre[4].
Très sainct-père, écrivait le roi
au pape, médiateur des intérêts catholiques ; puisque Dieu nous a donné la
paix par le moyen de vostre saincteté, il est bien raisonnable qu'après en
avoir loué la divine majesté, comme j'ay faict de tout mon cœur, je ne diffère
davantage d'en remercier vostre saincteté, et me conjouir avec elle de la
gloire que ce bon œuvre ajoutera à son pontificat, qui ne rendra la mémoire
de son sainct nom moins recommandable à la postérité que ses vertueuses et
sainctes actions, lesquelles nous obligent à l'honorer, servir et aimer.
Les clauses territoriales du traité de Vervins faisaient
revenir la France
à la position géographique posée par le traité de Cateau-Cambrésis (3 avril 1559) : Philippe II cédait Calais,
Ardres, Dourlens, La Capelle,
le Castellet en Picardie et Blavet en Bretagne ; et avec ces villes étaient
abandonnés à Henri IV les canons des remparts, les ouvrages militaires, tandis
que toutes les munitions de guerre et de bouche restaient au pouvoir de
l'Espagne. Puis, comme puissance intermédiaire, on constituait une sorte
d'état neutre, composé de la
Flandre espagnole réunie à la Franche-Comté,
à l'ancien duché de Bourgogne ; et tout cela au profit de l'archiduc Albert,
qui épousait l'infante Isabelle, noble fille autrefois désignée pour le trône
de France, gage de cette paix entre deux royautés rivales, indispensable dans
l'épuisement d'une longue et sanglante lutte. Les intérêts que le traité de
Vervins cherchait à concilier ne cessaient d'être dans une hostilité constante
: tant que les couronnes d'Espagne et de France ne rentreraient pas dans un
système commun d'alliances de famille ou de balance politique, elles devaient
violemment se heurter. Ce nouveau système arriva sous Louis XIV. Depuis, la France échappa aux
alliances de l'Angleterre et de la Hollande, qui devinrent ses rivales : elle eut l'appui
de l'Espagne, et la domina. Quant à la paix de Vervins en elle-même, toute
favorable à la France,
elle lui assurait une circonscription territoriale fixe, agrandie, et que les
chances de l'avenir devaient arrondir encore. Du côté de la Savoie, elle reprenait le
marquisat de Saluées ; en Picardie, une ligne de villes fortifiées depuis
Amiens ; et Calais surtout, alors tête de frontière, puissamment protégée par
ses tours rembrunies et ses épaisses murailles. La maison de Bourbon, par la
réunion de ses apanages, donnait également à la France la ligne naturelle
des Pyrénées, ce qui complétait son système de défense au midi comme au nord.
Henri IV, fatigué de tant de soucis, de ces années
laborieuses passées en batailles civiles et aux guerres étrangères (il luttait depuis plus de vingt-cinq ans),
manifesta sa joie de la signature du traité de paix. Acquérir sans conquête,
sans frais de guerre des positions militaires, des villes fortifiées ;
refaire la France
territoriale, si souvent envahie ! et pour cela il n'y avait eu ni batailles
décisives, ni faits d'armes sérieux ! quel magnifique résultat ! Ce résultat,
il le devait au pape, naguère son ennemi.
Le roi disait aux maires et échevins des bonnes villes : Très chers et bien amés, après les longues oppressions et
calamités dont nos peuples et subjects ont esté si longuement affligés, il a
plu à Dieu avoir pitié de ce royaume, et mettre entre nous, le roy d'Espagne
et le duc de Savoye, une bonne et sincère paix, que nous espérons, avec la
grâce et bonté de Dieu, devoir estre de longue durée. Et en
conséquence des ordres du roi, il y eut des fêtes pompeuses pour célébrer la
bonne nouvelle : Sire Cosme Carrel, quartenier ;
trouvez-vous avec deux notables bourgeois de vostre quartier, demain sept
heures du matin, en l'hostel-de-ville, pour nous accompagner à la procession
générale qui se fera ; et outre, faictes faire ce soir feux de joye en
chascune de vos dixaines, pour rendre grâces à Dieu de la paix.
L’exécution du traité ne souffrit aucune difficulté dans
les villes de Picardie : il suffisait là d'un ordre militaire pour que les
chefs des troupes espagnoles se repliassent dans les Pays-Bas auprès de l'archiduc
Albert. Il n'en était pas de même de la Bretagne, où les Espagnols tenaient quelques
places fortes, et particulièrement Blavet : on devait s'assurer une retraite
par la mer, lutter contre la partie de la population que la paix rendait
victorieuse. Il fallait empêcher la réaction qui partout se prononçait avec
violence au milieu de la gentilhommerie de M. de Brissac, chargé de soumettre
la Bretagne. Je
cognois l'humeur des François, écrivait le commandant espagnol ; quoiqu'ils aient un ordre de leur roy, ils pourroient
bien, selon que leur esprit variable ou leur amour-propre les inspireroit,
nous empescher d'exécuter nos ordres. Mais les galères estant là, nous ne
laisserons pas pierre sur pierre, et nostre resputation ne courra aucun
risque ; c'est de là que despendent tous les événements de la guerre.
Cependant la retraite se fit sans opposition ; les ordres étaient, partout
impérieux, et les troupes espagnoles sortirent avec les honneurs de la
guerre.
Restait pour le roi de France une seconde condition à
accomplir : c'était la justification d, la paix auprès de ses vieux alliés,
les états-généraux de Hollande et la reine d'Angleterre. Ceux-ci n'avaient-ils
pas été trahis, abandonnés ? Le roi dis France n'avait-il pas traité seul
dans une cause commune ? Comment expliquer cette séparation d'intérêt, là où
il y avait au un dévouement si généreux de la part de l'Angleterre et des
Pays-Bas ? M. de Busanval, envoyé auprès de, états-généraux, reçut des
instructions de la u,in de Henri IV : M. de
Busanval ira saluer le M. prince Maurice, MM. de Barnavelt, d'Arsem et autres
du pays, avant d'aller aux assemblées. Il expliquera la nécessité de la
conclusion de la paix de Vervins, disant que la France estoit tellement
affoiblie et lassée de la guerre, qu'elle étoit à la veille de succomber sous
le faix ; de sorte que toute l'assistance que lesdicts estats eussent donnée
à sa majesté, eust plustost servi à accroistre sa langueur à l'avantage de
l'ennemy commun qu'à la restaurer. Le dict sieur de Busanval sera chargé de
plusieurs médailles d'or de sa majesté, lesquelles il déspartira à ceux
desdicts pays qu'il advisera estre à propos, pour marque et souvenance de sa
bienveillance. Il donnera du tout advis à sa majesté, et du progrès qu'il
aura procuré aux affaires desdicts Pays-Bas, en s'aydant aux choses
d'importance du dernier chiffré qui luy a esté baillé[5]. Henri n'offrait
plus l'alliance offensive et défensive aux états-généraux, mais seulement un
bon office et une médiation ; ce qui plaçait sa politique en une position
plus haute. Dans le mouvement des affaires diplomatiques, le rôle de
médiateur crée une sorte de supériorité sur les deux parties qui s'en rapportent
à votre jugement et à votre puissance. Henri IV voulait faire reconnaître l'indépendance
des Pays-Bas, afin que ces peuples affranchis lui dussent leur origine
politique.
En Angleterre, Nicolas de Harlay, seigneur de Sancy,
ambassadeur extraordinaire, dut également justifier le traité de Vervins
auprès d'Elisabeth. Les instructions secrètes de Henri IV portaient que M. de
Harlay eût à pressentir la vieille reine sur là possibilité d'un mariage qui
unirait les deux couronnes. L'ambassadeur eut ordre de combler Elisabeth de
prévenances, de multiplier les témoignages d'attachement et d'amitié sincère.
Une chronique difficile à croire raconte que dans une audience particulière,
que Harlay eut de la reine Elisabeth, il hasarda quelque propos à cette
princesse de son mariage avec Henri IV : Il ne faut
pas songer à cela, répondit-elle ; mon gendarme[6] n'est pas mon faict, ny moy le sien ; non pas que je ne
sois encore en estat de donner du plaisir à un mary qui me conviendroit, mais
pour d'autres raisons. Là dessus, levant ses jupes et sa chemise, elle
lui montra sa cuisse ; Sancy mit un genou en terre et la lui baisa. Elisabeth
eut l'air de s'en fâcher : Madame, lui
dit-il, pardonnez-moi ce que je viens de faire ; c'est
ce qu'auroit fait le roy mon maistre, s'il en avoit vu autant[7]. Ainsi bon
Gascon, politique habile, le roi de France leurrait chacun de quelque
espérance. Henri devait à tout le monde, aux Suisses, aux Allemands, aux
Hollandais, à la reine d'Angleterre ; il avait besoin de les ménager tous, de
ne heurter personne en face ; il allait à ses fins, conquérait des villes,
des provinces ; et tout cela avec bonheur et sagesse ; il avait transigé avec
les ligueurs ; maintenant il scellait la paix avec l'étranger. Ne lui
restait-il pas une autre œuvre à accomplir ? n'avait-il pas d| braves
gentilshommes, ses compagnons des dures veilles et des montagnes du Béarn,
qui exigeaient de lui des garanties ou des concessions pour prix de leur sang
et de leurs sueurs ?
La condition d'un pouvoir qui veut vivre est souvent de se
séparer du parti qui l'a fait ; parti exigeant, maussade, s'imaginant que
tout doit se concentrer en lui, parce que la fortune l'a servi dans la
victoire, il ne comprend pas les concessions que la politique commande pour
affermir une autorité jeune encore et qui a besoin d'appuis. Comme il a prêté
son épée, il est impatient de la montrer haute sur la tête des vaincus : tel
était l'esprit de la chevalerie calviniste qui avait suivi Henri IV. Au
milieu des négociations qui tendaient à la paix de Vervins, je n'ai pu suivre
le parti huguenot, cette brave ligue de gentilshommes qui avait si fortement
secondé le Béarnais dans la conquête de son royaume. Que devaient dire ces
nobles hommes, ces austères ministres, de se voir trahis, abandonnés par leur
chef ? Henri IV, salué roi, changeait de croyance ; maître de la couronne, il
délaissait ceux qui l'avaient posée sur sa tête. Déjà une opposition puissante
s'était formée après l'abjuration de Saint-Denis ; elle avait ses chefs tout
trouvés : Duplessis-Mornay, vieux et austère calviniste, était la tradition
vivante de Coligny ; Condé ne remplacerait-il pas le roi de Navarre ? et les
seigneurs de Rohan et de Turenne, de brillante valeur, n'avaient-ils pas
quelque chose de La Noue,
de Téligny, courageuses victimes des longues guerres civiles ? Les huguenots
armaient comme en leurs jours de guerre ; dans les réunions secrètes ils
étaient déjà convenus de leurs chefs, des contributions à lever. Les prêches
s'ouvraient encore à la prédication belliqueuse ; il y avait eu des
assemblées à Loudun, puis à Châtellerault. On stipula des conditions de prise
d'armes ; on fit des remontrances fières et hautaines ; car enfin
n'avaient-ils pas quelque droit d'être exigeants auprès de leur vieux chef de
guerre ? Des commissaires huguenots partirent pour la cour de Henri IV ; là,
ils exposèrent que leur situation en France était précaire ; dans le Périgord,
le Languedoc, partout où s'étendait leur prêche, l'église catholique
réclamait Les fiefs gagnés par leurs sueurs. Qu'avaient donc fait les prêtres
de Baal pour ainsi dépouiller les hommes d'armes victorieux ? Henri IV
craignait ces assemblées qui fatiguaient son autorité, et il avait pourtant
dans le parti huguenot ses meilleurs amis ! Là se trouvaient ses compagnons
d'armes, ses camarades de montagnes. S'il ne pouvait leur accorder des
faveurs publiques, il amadouait tous les chefs par des dons privés, par des
concessions fréquentes et multipliées. Combien de vieux huguenots, au teint
basané, au visage balafré de coups de pertuisane, recevaient le denier royal
sur la cassette de Henri ! Sully en donne la liste secrète, bien secrète, en
effet, car les catholiques se fussent irrités de ces dons qui allaient aux
serviteurs du prêche. Au milieu du Louvre, à Fontainebleau, dans toutes les
demeures de la cour, les huguenots trouvaient une protectrice fervente dans
Catherine de Navarre, sœur du roi, cette madame de Bar, tant aimée des
ministres calvinistes. La politique entrait souvent comme un motif de ces
protections diverses qui divisaient la cour. On se partageait les rôles
depuis l'origine de la réforme ; chacun se posait comme l'expression d'une
opinion ou d'un parti, afin de les placer tous sous la couronne. Henri IV aimait
les huguenots ; Duplessis-Mornay habitait son palais ; le roi s'ouvrait à lui
avec toute confiance ; et par ses promesses, par ses abandons souvent joués,
il trompait la crédulité austère de ce Mornay, nouveau Coligny, qui, fier de
la faveur royale, compromettait naïvement son parti. Henri avait également attiré
auprès de lui le prince de Condé, le comblant de faveurs ; et de ses mains si
généreuses et si familières, il assurait à Turenne l'héritage de Bouillon,
souveraineté indépendante.
Les chefs étaient satisfaits ; mais le mécontentement des
huguenots dans les provinces s'accroissait ; car après avoir fait leur roi,
ils se trouvaient dans la même Situation où ils s'étaient vus réduits pendant
le règne des rois fervents catholiques. Plus hautains depuis leurs victoires,
les calvinistes déclarèrent au roi, durant la campagne contre l'Espagne en
Picardie et en Bourgogne, qu*ils ne porteraient les armes que si de
véritables concessions et des garanties leur étaient données. Henri IV
engagea sa parole royale ; et tandis qu'on suivait la négociation de Vervins
pour la paix avec l'Espagne, Schomberg, Jeannin, de Thou et Calignon furent
nommés pour discuter les clauses d'un grand édit qui formerait la base
constitutive de l'existence des huguenots en France. Cette commission, toute
du tiers-parti parlementaire, se montra impartiale dans son dessein d'accomplir
la pensée du roi Henri, un peu trop avancée pour son époque, à savoir, qu'on
pouvait fondre et réunir les deux opinions, de telle sorte qu'il n'y eût plus
ni huguenots ni catholiques, mais des sujets fidèles et des Français dévoués[8]. Ce fut à
Châtellerault surtout que les conférences s'ouvrirent. Comme pour toutes les
grandes négociations de son règne, Henri donna des instructions de sa main
aux députés : Messieurs, j'ay tousjours dict que
lorsque je réuniray les estats, mon intention est d'y appeler les principaux
d'entre ceux de la religion qui se retrouveront près de moy, et en prendre
leur advis, particulièrement de mes cousins les ducs de Bouillon et de la Trémouille ;
et, sans attendre que l'on m'obligeast par escrit, je me suis volontairement
engagé de ma parole, qui vaut mieux que quelque parchemin que ce soit ; ils
auront tousjours la liberté de faire des remontrances, au cas que ceux qui
auront esté nommés par moy leur fussent supects, lesquelles remontrances
j'entendray tousjours bien volontiers et y feray bonne considération, mon
intention n'ayant jamais esté autre que de faire en cela tel choix que les
églises auront plus de contentement que si elles le faisoient elles-mesmes :
ils me cognoissent dès le berceau et savent quel estat je fais de ma foy et
parole. Je ne procède pas avec eux avec ceste rigueur, leur confiant mes
villes et en grande quantité sur la foy générale d'un corps qui pourroit
estre encore plus suspecte que pelle d'un particulier.
A cette lettre loyale était joint un brevet par lequel le
roi permettait aux calvinistes de garder toutes les places de sûreté qu'ils
tenaient alors et pendant huit ans. C'était une convention toute militaire,
un moyen de s'assurer de bonnes places contre les tentatives catholiques, au
cas où elles se reproduiraient encore. Les calvinistes campaient au milieu du
pays ; si longtemps persécutés, ils formaient comme une nation à part qui
prenait ses positions d'armes et ses places de sûreté ; ils ne se fondaient
point avec les masses, antipathiques à leur croyance religieuse ; et la
preuve en est que les catholiques ne demandaient pas de garanties : quand on
est peuple et fort, on n'a pas besoin d'occuper les cités militairement ! Le
nombre exact des places de sûreté, le personnel de leur garnison, les
généralités dans lesquelles elles sont situées, ne nous ont pas été conservés
par les archives de France : nous les trouvons, à Simancas, à la suite d'une
dépêche de J.-B. de Taxis à son souverain. Le roi d'Espagne mettait une haute
importance à connaître les forces et la puissance des huguenots ; l'ambassadeur
les indique avec une grande exactitude par généralités. Dans celle de Tours,
ils avaient trois places et 421 hommes ; dans celle d'Orléans, un seul point
militaire et 150 arquebusiers ; dans celle de Bourges, 25 hommes, et Beaupré
seulement ; leurs possessions étaient bien plus fortes dans les généralités
de Poitiers, Limoges, Guienne, Montpellier, Toulouse ; puis, dans un état à
part étaient comprises toutes les places fortifiées, les garnisons du Dauphiné,
Bretagne et Normandie.
La commission parlementaire, destinée à rédiger un grand
édit de tolérance, l'élabora plus de deux ans ; son travail fut
successivement communiqué aux vieux chefs de la ligue et aux principaux
conducteurs de l'opinion huguenote. Il en résulta deux édits, l'un public,
l'autre secret, comme il arrivait toujours dans toutes ces transactions ; on
fit des concessions au parti, et Ton gratifia les chefs. Ces ordonnances ou
traités prirent le nom d'édit de Nantes, parce que le roi les signa dans
cette cité, durant un voyage qu'il avait fait en Bretagne après la
pacification. L'édit public se composait de quatre-vingt-douze articles ; il
n'était en quelque sorte que le développement de la transaction de Poitiers
et des articles de Bergerac, de ces actes de la politique modérée de
Catherine de Médicis, alors qu'elle était sous l'influence de L'Hospital. D'abord la mémoire de toutes choses advenues de part et
d'autre depuis le commencement des troubles, et durant iceux, demeurera à
jamais esteinte et assoupie ; deffense expresse à tous procureurs généraux et
autres personnes quelconques d'en faire mention et poursuite, comme aussi de
s'injurier, s'attaquer ni provoquer l'un l'autre par reproche de ce qui s'est
passé. Ordonnons que la religion catholique, apostolique et romaine sera
remise et restablie en tous endroits de ce royaume, desfendant à toutes
personnes de troubler ni molester les ecclésiastiques en la célébration du
divin service, et à ceux de la religion prétendue réformée de faire presche
ni aucun exercice de ladicte religion es églises et maisons desdicts
ecclésiastiques. Et pour ne laisser aucune occasion de troubles et différends
entre nos subjects, avons permis et permettons à ceux de la religion
prétendue réformée, vivre et demeurer par toutes les villes de nostre
royaume, sans estre enquis, molestés ni adstreincts à faire chose contre leur
conscience, et pour raison d'icelle estre aucunement recherchés es maisons où
ils voudront habiter. Il était expressément défendu aux réformés de
faire l'exercice de leur culte à Paris ni à cinq lieues aux environs ;
toutefois, ceux demeurant dans lesdites villes ne seraient nullement
recherchés pour leur conscience ; ils pourraient bâtir temples et édifices
religieux.
Pans et les grandes villes formaient des exceptions ; car
dans ces vastes peuples, les moindres signes d'hérésie étaient suivis de
murmures et de révolte : C'est pourquoi, disait
l'édit, nous déffendons à tous prescheurs, lecteurs
et autres qui parlent en public, d'user d'aucunes paroles, discours et propos
tendant à exciter le peuple à sédition ; leur enjoignons se contenir et
comporter modestement, et ne rien dire qui ne soit à l'édification des
auditeurs ; deffendons d'enlever par force, ou autre manière, les enfants de
la religion pour les baptiser et confirmer en l'église catholique, apostolique
et romaine ; même deffense sont faictes à ceux de la religion, sous peine
d'estre punis exemplairement. Ceux de ladicte religion seront tenus de garder
et observer les festes de l'église catholique, apostolique et romaine, et ne
pourront es jours d'icelle vendre ny besogner en boutique ouverte, ni les
ouvriers travailler à aucun métier dont le bruit puisse estre entendu par les
voi, sins et les passants. Afin que la justice soit rendue à nos subjects
sans aucune haine ou faveur, ordonnons qu'en nostre Cour de parlement de Paris
sera establie une chambre composée d'un président et seize conseillers,
laquelle sera appelée la Chambre
de l'Édict, et cognoistra des causes et procès de ceux de la religion. Et
ceux de ladicte religion se despartiront et désisteront dès à présent de toutes
pratiques, négociations et intelligences, tant dedans que dehors nostre
royaume, et les assemblées et conseils establis par eux dans les provinces se
sépareront promptement, et toute ligue et association sont et demeurent
cassées et annulées, desffendant très expressément à tous nos subjects de faire
aucune cottisation, fortification, enroslemerit d'hommes et assemblées sans
nostre permission, sur peine d'estre punis rigoureusement comme contempteurs
et infracteurs de nos mandemens et ordonnances royales[9].
Par l'édit secret qui renfermait cinquante-six articles,
communiqué seulement aux chefs, ceux de la religion
ne seroient pas contraints de contribuer aux despenses concernant la religion
catholique, telles que réparation d'églises, achat d'ornements, luminaires,
pain bénit et autres choses semblables ; ne seroient aussi contraints de
tendre et parer le devant de leurs maisons aux jours de festes ; lorsqu'ils
seroient malades ou proches de la mort ne pourroient estre visités et
consolés que par les ministres de leur religion, sans esprouver aucun trouble
ou empeschement. Puis, on agrandissait le nombre des villes et faubourgs
où pourrait être fait l'exercice du prêche. Sera
baillé à ceux de la religion un lieu pour la ville, prevosté et vicomte de
Paris, à cinq lieues pour le plus de ladicte ville, auquel ils pourront faire
l'exercice public d'icelle. En tous les lieux où l'exercice de la religion se
fera publiquement, on pourra assembler le peuple mesme à son de cloches, et
Dure tous actes et fonctions, comme consistoires, colloques, synodes provinciaux
et nationaux par permission de sa majesté ; sera loisible aux pères faisant
profession de ladicte religion, de pourvoir à leurs enfans de tels éducateurs
que bon leur semblera. Les autres articles réglaient les concessions
d'argent et de terres faites aux chefs puissants de l'opinion calviniste,
Turenne, La
Trémouille, Rohan, Rosny ; puis les abolitions et rémissions
personnelles.
On peut considérer l'édit de Nantes comme la charte de la réformation
en France. Cet édit ne différait pas beaucoup des ordonnances de Poitiers et
des précédentes transactions entre les deux croyances ; l'époque seulement
était mieux choisie. La fatigue des guerres, la marche des esprits, avaient
favorisé ce rapprochement. La ligue avait usé les idées catholiques ; les
esprits ardents pouvaient encore gémir des concessions faites aux huguenots ;
mais la clause éclairée ne faisait plus un crime irrémissible du prêche ou de
la messe ; cinquante ans avaient affaibli les répugnances, assoupi les
inimitiés ; on avait besoin d'en finir avec le sang versé pour les questions
religieuses. Les huguenots, si impérieux naguère, paraissaient satisfaits de l'édit
de Nantes ; ils entraient dans la plénitude de leurs droits, dans le libre
exercice de leur croyance. Les fiefs militaires, que leur disputaient les
clercs, ils les possédaient sans contestations. Comme les hommes d'armes de
Charles Martel, ils élevaient fièrement leur étendard sur les vieilles manses
de l'église. Avaient-ils un débat, ils jouissaient d'une juridiction mixte, de
chambres mi-partie ; leurs enfants étaient enseignés dans leurs idées religieuses
en leurs écoles spéciales ; et l'édit ne leur défendait plus ni les colloques
de ministres, ni les cérémonies du baptême et de la cène du Christ.
L'exécution de l'édit commença immédiatement même dans sa
partie morale. Cet édit portait, comme on Fa vu, l'abolition de tout le passé
et des tristes jours de la guerre civile. Des lettres patentes de Henri IV,
adressées à la cour de parlement, disaient : Vous
mandons, et très expressément enjoignons, que vous ayez à faire rayer et
mettre hors, tant du greffe de nostre cour que de toutes autres juridictions,
toutes les procédures, arrests et jugemens donnés contre feu nostre amé et
fédal cousin le sieur de Chastillon, admirai de France, afin que la mémoire
en demeure à jamais esteinte et assoupie, comme de chose non advenue et de
nul effect ; à quoy voulons estre procédé sans aucun refus ny difficulté,
sous quelque prétexte que ce soit. Le malheureux Coligny avait été le
protecteur, l'ami d'enfance de Henri IV, le vénérable confident de sa mère :
quel empressement ne dut pas mettre le roi à effacer les traces d'une
condamnation qui se rattachait au souvenir de Jeanne d'Albret ! En effet, le
parlement rendit un arrêt, que les procédures,
décrets et jugemens donnés contre ledict défunct admiral de Chastillon
seroient rayés, tant du greffe de la cour que autres : est mis en marge du
registre : rayé par ordonnance de la cour. Ainsi disparaissaient peu à
peu les tristes souvenirs de la guerre civile. Henri IV avait entièrement
pacifié son royaume. La ligue, d'abord puissance toute populaire, parce
qu'elle était catholique et municipale, avait été domptée quand elle avait
perdu ce caractère ; puis la paix avec l'Espagne se scellait à Vervins. Enfin
toutes ces œuvres laborieuses étaient couronnées par une transaction avec la
chevalerie belliqueuse qui avait suivi la cornette blanche du Béarnais. Ce
n'était pas là le résultat le moins difficile à obtenir, car c'était la
victoire qu'il fallait tempérer. On devait assurer pour un long avenir la vie
commune de deux partis puissants et vivaces : or, battre un ennemi, c'est le
résultat du courage et de la fortune : on y réussit souvent ; mais dompter
les haines, comprimer les passions, c'est le prix de l'habileté, de la
patience : on meurt à la peine.
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