Fédération des cités. — Secours mutuels des provinces. — Lyonnais. — Guienne. — Languedoc. — Provence. — Picardie. — Bretagne. — Efforts du parti de la ligue. — Tendance municipale de Paris vers la paix. — Siège et défense de la ville. — La garnison espagnole. — Le camp de Henri IV. — Le sacre. —Surprise de Paris par le roi. — Entrée de Henri IV. — Mouvement militaire des Espagnols. — Les dépêches sur la reddition de Paris.1593 — 1594. L'époque de la plus haute puissance de la ligue avait vu
s'établir sur de fortes bases un système fédératif de provinces et de cités
s'unissant pour leur défense mutuelle. En s'étendant du côté de Et cet envoi de galères, ces secours de forées et d'argent n'étaient pas seulement sollicités auprès de Philippe II ; les dignes consuls de Marseille s'adressaient également au pape. Très saint père, la ville de Marseille, guidée de l'esprit de Dieu, n'a jamais changé, ni tant soit peu altéré de son ancienne foi. En attendant qu'il plaise au souverain roy des roys, nous establir de sa providence un roy très chrestien de nom et de faict, nous n'avons trouvé rien mieux et plus expédient que de recourir au très sainct souverain pontife, chef de l'église de Dieu, et père de nostre salut ; suppliant vostre saincteté d'envoyer de deçà à nostre secours deux de ses galères, accommodées et équipées, que nous entretiendrons ici à nos despens pour quelques mois de ce prochain esté ; et les envoyer s'il lui plaist au plus tost comme nous lui en faisons très humble et instante prière. Une supplique à peu près semblable à celle des villes
ligueuses de Provence, est adressée par les états de Languedoc à Philippe II.
C'est le cardinal de Joyeuse qui écrit au roi que les catholiques (noblesse et clergé) étaient harassés de
pertes et de fatigues. Montmorency les menaçait là comme d'Épernon les
poursuivait en Provence. Le cardinal sollicitait les secours du roi d'Espagne,
leur protecteur, le priant de continuer sa bonne et
paternelle affection aux braves gentilshommes et villes, particulièrement
pour leurs pertes de terre et d'argent. Alors le marquis de Villars,
commandant pour Discutant la nécessité des secours espagnols pour la ligue
de France, le conseil de l'union en Guienne, sous les ordres de Villars,
proposa de les faire entrer par Le duc de Mayenne, en se plaçant à la tête du parti bourgeois et mitoyen, n'avait jamais travaillé sincèrement pour Henri de Navarre. Son opposition à la violence des halles ou à l'élection de l'infante n'avait été déterminée que par le désir profondément senti de ceindre son front de la grande couronne de France. Le duc de Mayenne se croyait appelé à une royauté bourgeoise et catholique, et cela explique ses murmures, à l'occasion des dernières mesures du parlement. Au reste, ces mesures ne le frappaient pas immédiatement ; elles n'étaient dirigées que contre les femmes et les étrangers, ce qui ne pouvait atteindre les Guise. La connaissance des intrigues qui partout se manifestaient, avait depuis mis Mayenne sur la voie du but définitif des parlementaires, la restauration inévitable de l'ancien chef des huguenots, Henri de Navarre. Le pouvoir de l'union avait été suspendu par la présence des états généraux ; mais l'autorité municipale, la juridiction des quarteniers, colonels, dixainiers coexistaient avec la puissance politique de la grande assemblée. J'ai dit la révolution qui, sous l'influence du duc de Mayenne, avait fait passer tes fonctions de l'hôtel-de-ville, la direction de la cité, des mains du peuple de Paris à la bonne bourgeoisie plus dévouée à l'ordre et aux idées de modération ; cette influence des bourgeois s'était depuis accrue, si bien que la plupart des colonels de quartiers étaient alors revêtus de la toge parlementaire. Ainsi maîtresse des forces publiques, la bourgeoisie voulut donner sa propre impulsion aux attires municipales, et par là diriger le mouvement politique du royaume. L'ardeur des saintes confréries, soutenue par les régiments napolitains, les Espagnols et les Flamands, ne permettait point encore une expression publique et hautement avouée du plan définitif des parlementaires. La bourgeoisie se montrait même extérieurement ligueuse et dé, vouée aux formes catholiques, mais dans les conférences intimes, elle cherchait secrètement les moyens de tout pacifier, en faisant sa soumission à Henri de Navarre. Que pouvait-on lui opposer ? le Béarnais n'était-il pas catholique, réconcilié avec l'église par l'absolution ? Les conférences pour préparer la transaction politique, se tenaient spécialement chez l'abbé de Sainte-Geneviève, membre du clergé dévoué à Henri IV. Là, les notables bourgeois et principaux habitants se réunissaient pour aviser aux moyens de rétablir l'ordre ; la délibération la plus importante porta : que les anciens colonels des quartiers rentreraient dans le droit, usurpé par les seize, de commander chacun en leur quartier. Le parti espagnol reçut ici un grand échec ; car sur seize de ses colonels, treize se déclarèrent ouvertement contre les projets de Philippe II. La tendance de la bourgeoisie, désormais bien connue, cherchait la restauration de Henri IV, roi de France et de Navarre ; elle tâchait d'agir sur le peuple à cette lin. Quand les députés partirent pour solliciter la trêve, elle ameuta quelques hommes de la halle ; des groupes assez nombreux s'étaient rassemblés en là place de Grève, et là ils poussèrent des cris de paix : Nous voulons le repos, disoit-on de toute part. Le duc de Mayenne se rendit en l'hôtel-de-ville, et du haut du balcon il promit d'y travailler activement. En même temps il rendit une ordonnance dans le but d'empêcher les assemblées particulières au-dessus de six personnes. Ces démonstrations avaient peu d'influence au milieu des confréries ardentes, de la populace, des métiers, tous dévoués à la ligue batailleuse. Le duc de Mayenne savait le crédit récent de la bourgeoisie. Quand il avait rompu avec l'Espagne, quand il avait agi auprès du parlement pour combattre le parti de l'infante, c'est qu'il avait cru que ces résolutions tourneraient à son profit ; il s'imaginait désormais être maître du mouvement, et lui donner l'impulsion. La bourgeoisie lui avait échappé ; jugeant que la paix et l'ordre ne pouvaient venir que d'un arrangement avec Henri de Navarre, elle s'était mise sous l'aile du parti parlementaire et négociateur. Pouvait-on en douter encore d'après les mesures décisives que venait d'arrêter le parlement de Paris ? Ce corps prenait de la hardiesse, alors que l'opinion bourgeoise se prononçait. Il venait de rendre un nouvel arrêt au profit de Henri IV : Sur la remontrance faicte par le procureur général du roi, comme, suivant l'ancienne et louable loy salique, de tout temps observée en ce royaume, nouvellement confirmée, par arrest de ladite cour, la couronne soit à présent tombée par ligne masculine à Henry de Bourbon, roi de Navarre, par le décès du roi dernier décédé ; la cour a ordonné et ordonne que M. le duc de Mayenne, lieutenant général de l'estat, sera supplié par l'un des présidens et six conseillers de pourvoir dans un mois, ou plus tost, si faire se peut, à un bon repos, et traiter une ferme et stable paix en ce royaume. Ladite cour, qui est la cour de paix, et qui a pardessus toutes la conservation do cette couronne et la justice en main, a enjoint à tous ordres, estats et personnes, de quelque qualité qu'elles soient, de reconnoistre ledict roy et souverain seigneur, et le servir envers et contre tous, comme ils sont naturellement tenus, sous peine de confiscation de corps et des biens[3]. Le duc de Mayenne n'ayant tenu compte de l'arrêt, quelques
jours après nouvelle injonction parlementaire. La
cour, ayant vu le mespris que le duc de Mayenne a faict d'elle sur les
remontrances qu'elle luy a faictes, a ordonné mettre par escrit autres
remontrances qui luy seroient envoyées par le procureur général du roy.
Ladicte cour, d'un commun accord, a protesté de s'opposer aux mauvais
desseins de l'Espagnol et de ceux qui le voudroient introduire en France ;
ordonne que les garnisons estrangères sortiront de la ville de Paris. Il
y avait donc une lutte active, décidée entre le parlement et le lieutenant-général
du royaume. Dans cette position, le duc de Mayenne, pour échapper à la
restauration de Henri de Navarre, préparée par la bourgeoisie, tenta un
rapprochement avec le parti populaire que ce même duc avait frappé avec tant
d'énergie. Mais ce parti pouvait-il avoir confiance en celui qui avait
proscrit ses chefs bien-aimés, Senault et Leclerc[4] ? Pouvait-il
donner de la force au duc de Mayenne, l'homme naguère du parlement, et qui
avait élevé lui-même cette classe bourgeoise, dont il voulait plus tard
secouer la joug importun ? Pouvait-il rendre ce qu'il avait ôté, et toutes
les démarches du duc de Mayenne seraient-elles pourtant repoussées ? Le parti
populaire, en se rapprochant du lieutenant-général, demanda des gages :
d'abord la dissolution du parloir aux gros bourgeois, qui se tenait chez l'abbé
de Sainte-Geneviève et la poursuite régulière contre les auteurs de
restauration : ceci fut accordé. Mais le, gouvernement de Il existe sur ces temps difficiles des nouvelles à la
main, écrites jour par jour, évidemment par un parlementaire, homme du
tiers-parti, partisan de toute transaction au profit de Henri IV : 25 novembre. — Le
conseiller Marillac, tombant en discours en pleine rue avec le secrétaire
Desportes sur le fait de la misère et calamité du temps, lui dit tout haut,
voyant que sa réponse ne tendoit à ce qu'il espéroit d'apprendre : Vous
avez beau faire des desseins, mais ils seront plus difficiles à exécuter que
l'on ne pense ; car bien que tous les Espagnols et garnison que Ton pourrait
mettre dans la ville se tiendroient par la main sur les remparts, elle n'est
pas tellement dépourvue de gens de bien qu'on ne puisse donner entrée au roy
de Navarre et à tous ses serviteurs, et si on prétend s'y opposer, on trouvera
à qui parler. Ledict jour, l'abbé de Sainte-Geneviève, venant voir ledict
duc de Mayenne, le trouva dans la galerie de son logis, en compagnie de mesdames
de Nemours et de Montpensier ; et il fut entendu que lesdictes dames
contrarioient fort ledict duc, disant : Je quitterai plutost On voit donc, par la tournure que prenaient les opinions
parlementaires, la nécessité pour le duc de Mayenne de se rapprocher du parti
ligueur. La condition imposée au lieutenant-général était dure : donner le
gouvernement de Paris à la ligue, et enlever aux gros bourgeois l'élection
des colonels et quarteniers pour la rendre au peuple ! Le duc de Mayenne
ne s'opposait point à de nouvelles élections, à faire passer dans les mains
de l'union les forces de la cité ; mais donner le gouvernement de Paris,
c'était se mettre encore une fois dans le mouvement qui avait fini par l'exécution
des quatre chefs des halles. Beslin, l'homme du parlement, gouvernait la
ville depuis la contre-révolution bourgeoise ; le duc de Mayenne le sacrifia
sur les plaintes publiques, qui l'accusaient d'être fauteur de la paix avec
Henri IV. On demanda au lieutenant-général un gouverneur dans le sens de la
ligue ; et comme il était harcelé par les chefs des halles, il quitta Paris
pour solliciter un surcroît de troupes espagnoles et se rapprocher de
Philippe II, dont il avait pourtant compromis la cause. En abandonnant Paris,
le duc de Mayenne confia le gouvernement de la cité à un des gentilshommes
attachés à sa maison, à Charles de Cossé-Brissac. Brissac avait donné des
gages à la ligue et à l'Espagne même ; mais il avait des sympathies pour la
noblesse qui presque entière s'était rangée sous le Béarnais ; au moment où
tout penchait pour le parti de Henri de Navarre, n'était-ce pas une faute de
livrer Paris à la discrétion d'un gentilhomme si puissamment tenté de traiter
avec la noblesse royaliste ? Des avis étaient arrivés de mille parts au duc
de Mayenne sur le danger de se confier à Brissac ; il ne les écouta pas. Il
se trouvait alors dans la position des hommes politiques qui, ne sachant pas
prendre un parti, se jettent dans les résolutions mitoyennes, lesquelles
perdent leur cause. En choisissant un homme populaire pour gouverner Paris,
le duc de Mayenne aurait empêché la reddition de la ville ; il préféra un de
ses fidèles, et les fidèles, aux jours du péril, passent souvent où est la
victoire. On verra que ce traître Brissac livra la bonne cité de Paris à la
gentilhommerie béarnaise. Bussy-Leclerc, violent et tout peuple, ne l'eût pas
fait. Dans les crises il n'y a souvent que les hommes à excès qui sauvent les
causes, parce qu'ils savent les sceller avec du sang, Brissac donna la ville
de Paris à son roi héréditaire ; il sacrifia les privilèges et prérogatives
immenses de la municipalité de Paris à ses propres intérêts, à une fidélité
de race, à la vieille loyauté féodale. Les têtes de résolution et d'énergie
n'avaient point approuvé ce choix. Elles appelaient au gouvernement le
maréchal de Rosne, capacité militaire, chef de bataille de la ligue, qui
développa un vaste plan de défense pour Paris. Sur
la proposition faite par le révérendissime cardinal légat, M. le duc de Feria
et autres ministres de Sa Majesté catholique, il fut convenu d'envoyer quérir
le maréchal de Rosne pour lui donner charge de la garde de Paris avec son
gouvernement de l'Isle-de-France. Don Diego de Ibarra lui ayant écrit
pour savoir sa volonté, il répondit : qu'il
préféroit le commandement des villes frontières où il estoit ; mais que
cependant il mettroit toujours le service public devant son intérêt
particulier, et que si le seigneur Ibarra estoit d'accord avec le légat et
les autres ministres de sa majesté catholique, il vouloit bien venir à Çaris,
mais qu'il y serviroit aux conditions suivantes, afin de n'y avoir pas les
bras croisés ; premièrement, on remettra 3.500 soldats de pied étrangers de
toutes les nations ; 500 hommes de pied françois et cent chevaux ; attelage
de six canons, et poudre et balles pour tirer quatre mille coups. Ernando de Séville,
marchand espagnol, me respondra (continuait
la dépêche de M. de Rosne) de la paye des
gens de guerre, et si l'on ne peut donner là paye entière pour ceste heure,
que la demi-paye soit au moins donnée tous les mois, et un pain par jour à
chaque soldat, du poids de vingt onces, lequel sera rabattu sur leur paye.
Pour cet effet, on achètera trois cents muids de blé, qui seront mis en un
magasin exprès. Tous les six mois on payera leurs descomptes aux soldats. M.
de Mayenne fera en outre remettre Tous les actes du parlement et de la bourgeoisie de Paris
étaient dirigés spécialement contre le parti espagnol. Si la cour avait
proclamé la loi salique, si les états avaient tant hésité sur le choix de l'infante,
si des tentatives même avaient été faites dans l'objet d'expulser de Paris la
garnison étrangère, n'était-ce pas pour se débarrasser de cette influence de
Philippe n, qui importunait le tiers-parti dans ses intentions de paix
publique ? Trois regimentos occupaient
les postes principaux de la capitale sur les deux rives de Quelques jours après, le duc de Feria exprimait encore mieux ses craintes à Philippe II. L'ambassadeur espagnol nourrissait des méfiances profondes contre le duc de Mayenne ; il ne voulait point croire au retour de l'aîné des Lorrains vers les opinions et les intérêts populaires, continuant même à le dénoncer auprès du roi son maître : Le duc de Mayenne ne sauroit déguiser son ambition, puisqu'il a avoué à Rosne qu'il avoit les yeux constamment fixés sur la couronne, et qu'il estoit dans l'intention de ne la céder à personne. Rosne me dit qu'il cherche à l'en désabuser, lui démontrant l'impossibilité d'arriver à ses fins, et même de maintenir les choses dans l'estat où elles se trouvent ; enfin le danger imminent qu'il y auroit à traiter avec le prince de Béarn. L'amiral de Villars est à Rouen jusqu'aux premiers jours de juin. — Le 24 du mois passé (écrit Ibarra, commandant des forces militaires), nous nous sommes rendus à la maison du légat : nous y trouvasmes déjà le cardinal de Sens, Rosne, Tomaboni et plusieurs autres, qui se trouvoient lors de la première assemblée. Puis, vinrent l'un après l'autre le duc de Guise et le duc de Mayenne : on estoit silencieux et embarrassé en général. Enfin le duc de Feria dit au duc de Mayenne qu'il lui paraissoit inutile d'envoyer, comme il l'avoit dit, à Rome et en Espagne pour cognoistre les intentions de sa majesté catholique et de sa sainteté ; que nous, ambassadeurs de vostre majesté, et le légat pour sa sainteté, nous pouvions répondre pertinemment ; qu'il estoit incroyable, malgré les promesses et serments écrits, qu'il y eust eu encore une trêve, et cela dans la saison la plus favorable aux catholiques..... Là-dessus, le duc de Mayenne, interrompant avec interrogance, dit : Mais je crois que son éminence le légat veut parler aussi des mesmes affaires. — En effet, a repris le légat, je ne pourrois parler mieux, ni autrement que M. le duc de Feria ; car je maintiens pour très certain et très juste tout ce qu'il a dit ; j'ajouterai que lorsque sa sainteté m'a délégué, c'estoit pour que je fusse et l'instrument et l'expression de sa volonté. Tout ce que l'on fait est évidemment pour gagner du temps ; or sa sainteté a fait savoir déjà plusieurs fols que l'unique désir qu'elle avoit, et à la fois le seul remède qu'elle voyoit aux malheurs de ce royaume, c'estoit d'élire un roy catholique. Donc, jusqu'à ce que des difficultés nouvelles ou plus réelles soient élevées, je me crois la faculté, en vertu de mes pouvoirs, de résoudre la question. Le duc de Mayenne ne répondit rien ; en mesme temps le cardinal de Sens ajouta quelques mots, dictés par le même esprit. Quant au duc de Guise, qui se tenoit esloigné du centre de rassemblée : Je n'ai rien à dire ici, s'écria-t-il, et je suivrai les advis des ministres de sa majesté catholique. Les accusations multipliées que les envoyés espagnols jetaient contre le duc de Mayenne, avaient imposé à ce prince la nécessité d'une justification. Non seulement Mayenne avait engagé une correspondance intime avec Philippe II ; mais des agents spéciaux avaient charge de se rendre à Madrid pour expliquer les actes du chef de la grande famille de Lorraine. Les instructions du sieur de Cisoyne, conservées aux archives de Simancas, exposent nettement les opinions et les desseins du duc de Mayenne : Il suppliera très humblement le roi, de la part de mondict seigneur, de n'ajouter aucune foi à tout ce qui lui pourroit estre dit, escrit et représenté de ses actions, si ce ne sont choses qui conviennent à l'intégrité qu'il y a gardée et observée sans s'en estre jamais desparti. Il la suppliera encore très humblement de ne se vouloir offenser, s'il lui proteste au nom de mondict seigneur que le plus grand regret qu'il aye, c'est que les ministres du roi d'Espagne soient cause d'avoir altéré la bonne et vraie intelligence qui se devoit garder et faire recognoistre entre eux et lui pour le bien des affaires ; ne pouvant, pour la qualité avec laquelle il a plu à Dieu le faire naistre, passer cela sans en témoigner un vif ressentiment. Le duc de Mayenne semble tenir surtout à se disculper aux yeux du roi d'Espagne, il sentait que là était sa force ! Les soupçons des ambassadeurs à Paris l'importunaient ; il savait qu'il était en butte à toutes leurs accusations ; sans subsides, pouvait-il espérer un succès à sa cause : Mon beau-fils de Montpesat est parti depuis deux jours, écrit-il ; je lui ai fait voir clair en tout ce qui est nécessaire de représenter à vostre majesté sur nos occurences ; je supplie très humblement vostre majesté, sans laisser circonvenir ni préoccuper sa grande prudence, d'en différer son jugement jusqu'à ce que mondict beau-fils se soit rendu auprès d'elle, et qu'il lui ait plu me foire cet honneur de l'ouïr en sa charge, qui lui justifiera si clairement la sincérité de mes déportemens, que je veux croire que les mauvaises impressions, qu'on lui en pourroit avoir fait prendre, donneront bien à mon intégrité, et à la vérité qui ne se peut jamais confondre. J'attendrai donc par son retour en bonne dévotion ses commandements, desquels elle ne peut honorer serviteur qu'elle ait plus disposé de les recevoir et d'y obéir[6]. Cette famille de Lorraine, elle-même si divisée dans les
questions de la consonne, se gardait d'une séparation absolue avec Philippe
II. Là étaient les forces militaires, les subsides de guerre, les bons
doublons qui venaient relever le zèle affaibli. Les répugnances du duc de
Mayenne n'étaient que pour le duc de Feria, dont les hauteurs l'offensaient
profondément. Le parti espagnol avait de vieux griefs contre Mayenne ; le duc
de Feria avait plusieurs fois écrit sur ses menées ; et depuis sa séparation
avec les parlementaires, ne travaillait-il pas pour placer la couronne sur sa
propre tête ? Il n'en était pas de même du duc de Guise, l'enfant chéri de la
ligue ; pour celui-là jamais plainte n'était parvenue au roi d'Espagne.
Toutes les dépêches des ambassadeurs parlaient de son dévouement à la sainte
ligue et aux intérêts espagnols. Le jeune prince était en correspondance
directe avec le roi catholique. Quand on lui proposa le mariage avec
l'infante, le duc de Guise n'eut pas assez d'expressions pour témoigner de sa
reconnaissance. Sire, écrivait-il, après les funestes accidents qui ont attiré toutes les misères
que nous ressentons en ce royaume, ayant jeté les yeux sur la favorable
assistance qu'il a plu à vostre majesté faire paroistre pour la conservation
de nostre saincte religion et de cet estat, m'y sentant maintenant attaché
d'un lien perdurable et indissoluble par l'honneur que je reçois de la bouche
de M. le duc de Feria, et puisqu'il a plu à vostre bonté me déférer le mérite
et faveur d'une grâce si haute, j'oserai, sire, en remercier très humblement
vostre majesté, espérant, avec l'assistance de ceste supresme puissance que
j'ai toujours invoquée, me rendre digne de l'honneur de vos bonnes grâces. Il y avait dans le langage du jeune prince quelque chose
de plus chaudement dévoué à la cause espagnole. Ce n'étaient pas des plaintes
et des récriminations contre les ambassadeurs du roi catholique, mais une
entière obéissance à ce qu'ils désiraient. Le duc de Mayenne murmurait ;
Guise offrait ses services et sa vie au roi d'Espagne : c'était un cœur neuf,
un enthousiasme de jeune homme que les agents de Philippe II pouvaient
exploiter. Le duc d'Aumale ne parlait pas une langue différente. Toute cette
famille de Guise entrait ainsi avec plus ou moins de dévouement individuel
dans les intérêts espagnols ; elle en multipliait les témoignages, car à
chaque circonstance importante elle s'adressait au prince, qu'elle appelait
son protecteur. Philippe II n'avait de confiance qu'envers le jeune duc de
-Guise ; les haines qui séparaient Mayenne des ambassadeurs espagnols à Paris
étaient exploitées à chaque dépêche. Le roi ne paraissant se fier qu'à ses
agents ; leur nombre était très multiplié, et il en existait jusque sous la
tente de Henri de Navarre. Un des plus curieux documents existe encore dans
les archives de Simancas : la dépêche du capitaine Castillo Gaspardo présente
sous les formes les plus piquantes les relations qu'il a eues avec le
Béarnais, dont il était chargé de surveiller les actions. J'ai eu beaucoup de rapports d'amitié et de galanterie avec
plusieurs cavaliers et dames de France, ayant servi dans ce pays comme
sergente-major (lieutenant-colonel) dans le régiment d'infanterie de M. de Luz. Parmi les
connoissances que j'eus l'occasion de faire dans mes garnisons ou mes
logements S je citerai particulièrement Mme de Ce rapport ayant été communiqué par le secrétaire don Idiaques à Philippe II, le roi écrivit en marge de sa grosse et indéchiffrable écriture : J'ay vu dans le moment le rapport que Ton m'a remis ; je ne l'ay que trop vu, si tout cela est vrai[9]. J'ay fait différentes marques aux endroits importans de ce rapport, et sur lesquels ils faut prendre des informations promptes et précises. Employez pour cela des hommes fidèles et adroits[10]. Il faudroit tascher de se saisir d'Antonio Ferez en Galice ; il auroit bien des révélations à nous faire, dans la crainte du supplice. Tout cela est dict icy à la haste ; nous parlerons plus posément de ceste affaire grave[11]. Le conseiller don Juan Idiaques prendra les premières mesures. On voit, d'après cette dépêche, que le mouvement espagnol
s'arrête et se met déjà sur la défensive. Ce n'est plus cette pause active,
puissante, attaquant avec hardiesse en France le principe de l'hérédité de
race ; le Béarnais a pris l'initiative, et menace l'Espagne sur son propre
territoire. Gomme la vieille reine Elisabeth, Henri va fouiller jusqu'aux
entrailles des opinions et des intérêts dans C'était alors un brillant et bel équipage que les tentes du Béarnais victorieux, autant par les armes que par l'habileté des négociations. La trêve durait encore, et ce relâche à la rude vie des camps, Henri IV l'employait à suivre deux grandes affaires : 1° la reconnaissance de sa royauté par le pape, sanction catholique de ses droits, 2° la transaction parlementaire qui devait livrer Paris, tête de la ligue municipale des cités. Immédiatement après l'abjuration, on a vu l'empressement de Henri IV à députer vers Rome des hommes habiles et dévoués, dans le dessein d'offrir sa soumission filiale au pontife. Cet acte était le complément nécessaire de sa conversion. A l'époque de la grande puissance catholique, se séparer
de Rome c'était rompre avec la société même, avec le principe qui dominait
les peuples. La réforme avait sans doute créé un droit tout nouveau, une
souveraineté civile et indépendante ; mais dès l'instant que Henri saluait
l'unité catholique par sa conversion, il devait chercher sa force vers le
chef et l'arbitre des hautes destinées de l'église. Philippe H, à son tour,
devait lutter contre l'influence de Henri IV à Rome, et empêcher cette
réconciliation, dont le résultat était la couronne monarchique posée sur la tête
du Béarnais. Le pape qui portait alors la tiare d'or, était Clément VIII,
humble prêtre, qui, agenouillé le jour de son intronisation, s'écria, dans son
vif amour pour l'église : Ô mon Dieu, ôtez-moi la
vie si mon élection ne doit pas être utile à votre saint nom ! Clément
s'était vivement prononcé dans la question catholique, et la ligue avait eu
son plein assentiment. L'ambassadeur envoyé à Rome par Henri IV fut ce duc de
Nevers, toujours chargé des missions difficiles qui touchaient aux Intérêts
complexes de la couronne et de l'église. U était porteur de lettres autographes
pour le pape et le sacré collège. Messieurs,
disait le roi aux cardinaux, j'ay en ce mois de
juillet dernier faict assembler un nombre de preslats et autres personnages
ecclésiastiques doctes, en la saincte faculté de théologie, par l'instruction
et bon enseignement desquels ayant cognu que l'église catholique, apostolique
et romaine est la vraie église pleine de vérités, je m'y suis tout aussitost
rendu par la grâce de Dieu et inspiration qu'il luy a plu me donner, et j'ay
esté reçu par lesdicts preslats dans l'église abbatiale de Sainct-Denys par
les formes qu'ils ont jugé estre convenables, et avec réservation de ce qui
appartient à nostre sainct-père le pape et au sainct-siège, comme je m'y suis
volontairement soumis. Et pour d'autant mieux tesmoigner, Messieurs,
l'observance à laquelle je veux vivre et mourir envers le sainct-siège, M. le
duc de Nevers vous donnera communication de la commission qu'il a de moy,
vous priant de la favoriser de vos bons conseils, advis et intercessions
envers sa saincteté. La mission de M. de Nevers était destinée à
convaincre le pape que le droit d'hérédité était plus légitime aux yeux de
Dieu et des hommes que toutes ces élections populaires et religieuses ; d'où
résultait la pleine et entière justification de l'avènement de Henri IV. Pour eslire un roy, disait l'ambassadeur, ainsi que sa saincteté paroist en avoir le projeçt, il
faut une assemblée légitima des états du royaume, non convoquée par un homme
sans pouvoir, comme la duc de Mayenne, dont l'auctorité n'est fondée que sur
la glace d'une nuit[12]. Que de malheurs ! que de sang répandu ! que de
crimes ! Le pape est le pasteur commun ; voudroit-il s'exposer au reproche de
la perte entière de son troupeau ? Sa saincteté ne doit point craindre de
mécontenter le roy d'Espagne ; s'il s'offense, elle a de bons moyens pour le
contenir ; Une des plus grandes difficultés qu'on opposa au duc de Nevers, dès les premiers moments de sa négociation, £ut qu'il n'était chargé que d'assurer l'obédience de Henri IV, sans avouer qu'il avait besoin de l'autorisation pontificale. Le roi était toujours hérétique relaps aux yeux du pape, qui ne tenait pas compte de l'absolution donnée en France par des évêques sans pouvoirs, cette absolution étant un cas réservé au saint-siège. Comment, dit le pape, absoudrai-je un prince qui se dict catholique et qui garde auprès de lui en si scandaleuse faveur M. de Bouillon ? — Il est vrai, répondit M. de Nevers, que M. de Bouillon est reçu à la cour du roy ; mais vostre saincteté peut estre assurée que rien ne s'y détermine par ses conseils. Ah ! j'en conjure vostre saincteté, s'écria M. de Nevers en se prosternant aux pieds du pape, les yeux remplis de larmes, accordez à mon maistre l'absolution in foro conscientiœ ; vostre saincteté a esté trompée sur la bonne foy et la sincère affection du roy pour le sainct-siège : tout mensonge est indigne de son grand cœur. Qu'est-ce que le légat de vostre saincteté ? est-ce bien le ministre du sainct-siège, ou plustost celuy du roy d'Espagne ? Quelle révoltante partialité est la sienne envers les Espagnols, à nostre préjudice ! M. de Nevers s'était levé en parlant ainsi ; son rôle avait changé, il n'était plus là suppliant et soumis. Le pape demeura un instant surpris, et cette fermeté lui imposa ; il chercha à justifier son légat du mieux qu'il lui fut possible : Dans tout ce que j'ay cru devoir faire, ajouta-t-il, il n'y a rien de personnel envers M. de Nevers, pour lequel je conserve une si profonde estime, et auquel, en toute occasion, je donnerai les marques de mon affection particulière. Le duc de Nevers se retira désespéré du mauvais succès de
sa négociation, et prit congé de sa sainteté, en disant qu'il voulait au plus
tôt retourner en France. Le pape Clément chercha de nouveau à l'adoucir, en
promettant de lire le mémoire que le duc lui avait remis ; ce qui signifiait
indirectement que celui-ci pouvait demeurer à Rome jusqu'à nouvel ordre. Peu
de jours après il reçut un billet écrit en italien : On
avertit le duc de Nevers que le parti qu'il a pris dans l'audience dernière,
de donner ses demandes par écrit au pape, a eu le plus grand succès. Les
cardinaux en ayant esté instruits, en ont provoqué la lecture en plein
consistoire. Le sacré collège commençait à se séparer du pape dans
cette question de Henri de Navarre s'était décidé à embrasser le parti et
les croyances catholiques, par la conviction profonde que là seulement
étaient la force et l'opinion de Reims et sa vieille basilique étant au pouvoir des
ligueurs, on ne pouvait oindre de l'huile sainte la tête de Henri IV. Mais de
même qu'on avait procédé à l'abjuration sans la volonté de Rome, on fit un
sacre en dehors de Reims, à Chartres, sur un autre autel, sans aucun des
hauts pays de France. Les clercs de Saint-Denis et de Mantes tinrent lieu des
grandes figures épiscopales. La ligue eut beau jeu d'attaquer ces imitations
des cérémonies royales, comme elle avait pris en mépris l'abjuration. On lit
dans un pamphlet court et piquant, que composa Louis d'Orléans, sous le titre
du Banquet d'Arêtes, que les ecclésiastiques qui avaient assisté à la
prétendue conversion et au sacre, méritaient d'être attachés en Grève comme
fagots, depuis le pied jusqu'au haut de l'arbre de Les témoignages multipliés que la politique de Henri de Navarre donnait à la foi romaine devaient naturellement exciter la profonde indignation des braves compagnons de batailles qui avaient suivi sa triste et jeune fortune du Béarnais. Ces huguenots, qui déposaient sous son aile les intérêts du prêche et de l'austère croyance de Calvin, pouvaient-ils voir sans une émotion vivement sentie ces fréquentations de Henri avec les évêques, les prêtres, les clercs, ceux que les ministres réformés traitaient de serviteurs de Baal, d'adorateurs du veau d'or ? Henri n'était en rapport qu'avec les catholiques ; ses amitiés ne s'adressaient qu'à eux ; il multipliait ses caresses profanes, tandis que les soldats qui, sans pain, sans solde, couverts de haillons, les chausses percées, avaient servi une cause sans espoir, étaient délaissés pour des hommes qui avaient combattu la cornette Manche et le prêche. Sire, écrivait encore Mornay, nos frères se plaignent que les justes requestes à eux accordée par tant d'édicts des rois vos prédécesseurs, et sur vos demandes, n'ont pu estre écoutées sous vostre règne, duquel ils auroient dû mieux espérer, et sous lequel aussi, certes, sans l'affection qu'ils avoient à vostre grandeur, ils eussent pu justement et utilement pratiquer les voies qu'ils auroient été contraincts de tenir sous les feus rois, mais que n'eussent-ils attendu et espéré de celuy que Dieu avoit, pour la protection de son église, amené à la succession de ce royaume ! et que pouvoient-ils moins demander que liberté et vie, ceux qui exposent leur sang librement pour vous ! Vous avez ehangié de religion, sire, en un instant. Le vulgaire dict là dessus (car il ne voit pas plus avant) : Si c'est de franche volonté, qu'attendons-nous plus de son affection ? ou si c'est par contrainte, attendons-en moins ou n'en attendons que mal, car nostre bien n'est plus en sa puissance. On vous a faict jurer contre vostre propre conscience, et abjurer, en termes les plus précis, les moins soutenables, ce qu'ils n'eussent pas requis d'un juif ni d'un Turc. Que vostre majesté juge s'il est raisonnable qu'ila soient tenus en ce royaume pour juifs au rang des capons, au lieu du rang honorable que les mérites de leurs devanciers leur ont laissé, que les services mesmes faicts à vostre majesté leur devroient avoir acquis. Et combien, disoient-ils là-dessus, nous estoit-il plus favorable de vivre sous la trêve du feu roy, ennemi toutefois de nostre profession ? Il consentoit l'exercice de nostre religion en son armée et en sa cour, consentoit les ministres estre entretenus de ses propres deniers, nous baillant force villes pour retraite. Les requestes que vous présentiez pour eux aux roys vos prédécesseurs, pour leur liberté et pour leur sûreté, rapportez-le à vous-mesme : elles n'ont point depuis ce temps rabattu de leurs droitures ; ils les ont comblés depuis de bons services, et doivent avoir gagné et accru en vostre endroit[13]. Ces plaintes justes, cette expression d'une douleur qui se résumait en la continuelle menace du protectorat du prince de Condé opposé à la royauté, parcouraient les tentes huguenotes, parmi ces fiers montagnards qui formaient encore la meilleure partie de l'armée de Henri IV. Ce prince comblait d'amitiés Mornay, le duc de Bouillon : il voulait, en s'attachant la tête, attirer auprès de lui le parti tout entier ; mais sa préoccupation n'était pas là ; ses démarches politiques n'avaient en vue que la destruction de la ligue ; il ne cherchait qu'à se rattacher au principe de la société religieuse du moyen âge. Il avait bien raison de procéder avec cette intelligence. De tout côté le parti modéré des catholiques ouvrait des négociations avec Henri de Navarre ; la bourgeoisie se prononçait en sa faveur et se séparait de la ligue, lentement, mais avec zèle. Dans ces circonstances heureuses, Henri crut utile à ses intérêts, tout en protestant de sa foi, de briser hautement la trêve qui avait été conclue avec les états et le conseil de l'union des Villes. Les événements lui étaient favorables ; il en profitait. La guerre n'avait plus rien de populaire â Paris ; il fallait donc frapper fort pour constater qu'elle serait inévitable tant qu'on n'aurait pas proclamé le Béarnais. Dans l'acte de cette rupture, Henri déclarait que les ennemis conjurés de l'état, loin d'observer la trêve, s'en étaient toujours affranchis et en plusieurs lieux avaient vécu pendant la trêve comme pendant la guerre : Maintenant nous sommes sur la fin du cinquiesme mois qu'a duré la tresve sans qu'il y ait aucun advancement à la fin pour laquelle elle avoit esté faicte ; ils nous font rechercher d'une nouvelle prolongation de trois mois ; mais loin d'apporter des idées de paix, ils s'en montrent plus éloignés que jamais. Nous protestons que c'est avec un extresme regret qu'il nous faut en venir à cette extresmité de la guerre ; mais ce renouvellement de guerre fera pour le moins la distinction certaine de ceux d'entre eux qui ont esté tenus en ce parti par le seul zèle de religion, ou des autres qui s'en sont servis seulement de prétexte pour couvrir leur malice et desloyauté. A peine cette déclaration était-elle promulguée dans les
camps et sous les murailles de Paris, qu'un courrier apporta au roi la bonne
nouvelle de la soumission de Meaux et des hommes d'armes qui tenaient
garnison sous M. de Vitry. Meaux, était une position importante. Son marché,
fortifié depuis le moyen âge, était comme une place de sûreté, un point
militaire pour conduire les armées royales dans Ces invitations à quitter les intérêts de la ligue étaient
fréquentes alors ; on les faisait circuler de ville en ville, et l'impression
les multipliait comme des pamphlets. Autant la grosse bourgeoisie, les parlementaires
portaient la tête basse, il y avait quelques années, lors de la grande
révolte du peuple catholique, autant après ils avaient le caquet haut et le
front superbe pour me servir de l'expression des prédicateurs. On attaquait la
ligue avec esprit et moquerie ; depuis Les mesures de confiscation se multipliaient contre tous
ceux qui tenaient le parti de Henri de Navarre : les formules en subsistent
encore. Il est enjoinct à M. Robert Moisan,
substitut du procureur du roy, accompagné de l'un des sergens sur ce requis, se
transporter en la maison de..., en laquelle ils saisiront les meubles
appartenant à..., absent, et tenant le party
contraire ; et d'iceux faire bon et loyal inventaire et description. —
1er février 1594. — M.
le curé de l'église et paroisse Sainct-Jean ; nous vous avoit cy-devant envoyé
mandement afin d'exhorter et admonester vos paroissiens que chacun d'eux,
selon sa puissance et pouvoir, eust à mettre entre vos mains quelques deniers
pour employer au grand navire d'argent voué par ceste ville à Nostre-Dame de
Lorette, pour lui rendre actions de grâces de la conservation de ceste ville.
— Capitaine Marchant, trouvez-vous jeudy prochain,
sept heures du matin, en l'hostel de ceste ville avec tous ceux de vostre
monstre, armés de cuirasses, arquebuses, mousquets, hallebardes et autres
armes défensives, pour assister à la procession générale qui se fera de la
descente de la châsse de madame saincte Geneviève. — 16e mars 1504. — M. le président
de Neuilly ; nous vous prions, suivant le commandement à nous faict par M. le
maréchal de Brissac, gouverneur de ceste ville, de faire un corps de garde en
vostre colonnelle, aiu lieu que advieeree le plus commode, qui sera composé
de dix hommes de chascune de vos dizaines, des mieux armés, auxquels commandera
tel capitaine que advisez estre bon et capable, et pour empescher et esviter
qu'il ne ,enne quelque surprise pendant la procession générale qui se fera
demain en l'église Saincte-Geneviève. C'était là, en quelque sorte,
les derniers actes du gouvernement municipal de Paris, de cette organisation
populaire et puissante, qui avait dominé la cité dans les jours d'orages. J'abandonne
son histoire avec un serrement de cœur, car elle fut le dernier éclat de la
liberté catholique. La commune politique et religieuse de Paris eut ses
violences, ses proscriptions, mais elle se défendit avec un admirable
courage, et parvînt à son but, car elle força le roi à adopter la pensée et
la foi catholiques. Quand ce résultat fut atteint, elle ne fut plus qu'une
organisation tumultueuse sans objet ; elle tomba, parce qu'elle n'était
qu'une minorité d'opinion au milieu d'une société qui voulait en finir avec
la guerre civile. Partout les négociations s'ouvraient ; la trahison secondait les efforts des royalistes. Ils avaient des relations avec les bourgeois et gentilshommes qui vendaient les villes qu'on leur avait confiées, afin d'en retirer des avantages particuliers. Dès ï5ette époque, on voit te désespoir du duc de Mayenne, prévoyant la fin de la ligue, en face de la négociation qui s'engageait pour la bonne ville de Paris, avec quelques échevins de la bourgeoisie et M. de Brissac. L'exemple des trahisons de Lyon, puis de Meaux, était bien contagieux, et donnait de fortes tentations à la gentilhommerie. M. de Mayenne exprimait sa douleur sur sa position difficile au milieu de Paris, où la faction du roi de Navarre était déjà si grande ! Il se plaignait surtout de n'être pas loyalement secondé par les ambassadeurs du roi d'Espagne, alors tout-à-fait opposé au parti mitoyen d'un simple changement de dynastie au profit de la race de Lorraine. Je rappelle que le duc de Mayenne, avant de quitter Paris, avait confié le gouvernement de la ville à un gentilhomme de la ligue, M. de Cossé-Brissac, qui dès longtemps avait donné des gages à l'Espagne et au lieutenant général du royaume. Henri de Navarre, toujours pénétré de l'importance d'avoir Pans, s'était mis immédiatement en rapport avec le gouverneur par ses familles de gentilshommes. La cause de la ligue étant si fortement menacée, il n'avait pas été difficile d'entraîner Brissac à la trahison : on s'entendit entre quelques parlementaires des deux camps ; Cossé demanda le titre de maréchal de France, 300 mille livres d'argent et une pension de 30.000 écus, sa vie durant. Tout cela fut convenu et scellé d'une promesse royale. Brissac, stipulant ainsi ses avantage particuliers, trahissait le duc de Mayenne et la ligue ; mais alors de telles résolutions n'étaient point marquées au sceau de l'impopularité ; la bourgeoisie, décidée pour la restauration de Henri IV, encourageait Brissac. Le parlement s'était hautement prononcé contre le duc de Mayenne. Quelques membres du conseil municipal se lièrent entièrement à la cause du roi de Navarre. Partout de l'argent avait été distribué ; il s'agissait de conquérir Paris, la grande ville : rien ne fut épargné. Le projet était simple : s'emparer d'une ou deux portes, les livrer à une troupe de gentilshommes royalistes ; puis, la nuit, favoriser l'entrée de Henri, qu'on proclamerait le lendemain roi de France et de Navarre. L'important était de tenir toutes ces négociations secrètes, de ne pas donner réveil aux halles, et on y parvint avec bonheur. On n'avait à craindre que quelques débris de la grande association du peuple et la ligue, sou, tenue d'une garnison de huit à neuf cents arquebusiers et archers napolitains, espagnols ou wallons. Les compagnies bourgeoises étaient très dévouées aux opinions parlementaires ; mais la majorité de ce qui appartenait aux métiers tenait pour la ligue. Tout ce qui était, au contraire, haut bourgeois, capitaine de ville, penchait vers la transaction. Il faut même répéter que depuis l'exécution de ses braves chefs, ce, peuple était un peu découragé, et l'on ne retrouvait pas cette ardeur de combats qui avait marqué son existence à l'origine de la ligue. On entendait encore des prédicateurs en chaire, excitant la multitude à défendre la sainte-union ; mais ces vives paroles n'avaient pas le même retentissement. Les chefs n'existaient plus pour organiser l'ensemble de la cité ; il y avait division dans les esprits ; l'heure d'une transaction avait sonné. La négociation avec le conseil municipal s'ouvrit par Forçais, sergent de la ville, les échevins Néret, Langlois et le prévôt Lhuilier ; ils stipulèrent pour tous, la noblesse et des récompenses d'argent. Je dirai, en l'honneur de ceux qui livraient ainsi la cité, qu'ils n'en abandonnèrent pas absolument les intérêts municipaux. Il fut convenu qu'une ordonnance ou charte royale porterait : qu'il ne se ferait aucun autre exercice que de la religion catholique, apostolique et romaine, dans la ville et faubourgs de Paris, et dix lieues aux environs ; ladite ville serait remise, réintégrée, restituée en tous les anciens privilèges, droits, concessions, octrois, franchises, libertés et immunités qui lui avaient été accordés par les rois. La mémoire de tout ce qui s'était passé en la ville de Paris et aux environs lors de la réduction et depuis le commencement des troubles serait éteinte et assoupie, tant en la prise des armes, entreprises des villes, forcements d'icelles, châteaux, maisons et forteresses, prise de toute espèce de deniers, et généralement tous autres actes d'hostilités ; les arrêts, commissions, décrets, sentences, jugements, contrats donnés entre personnes du même parti en la prévôté et vicomte, sortiraient leur effet ; on ne ferait aucune recherche des exécutions à mort faites par autorité de justice ou par droit de guerre. Relativement aux saisies faites sur les biens, héritages, rentes et revenus desdits habitants, tous ceux qui feraient soumission en seraient quittes, et lesdites saisies demeureraient nulles ; tous les habitants qui sortiraient de la ville sous passeport royal, pour se retirer en autres lieux, jouiraient de leurs biens, sans qu'ils y soient troublés ni molestés. Il ne s'agissait plus que d'exécuter l'entreprise en
silence sans éveiller les soupçons du peuple, depuis les trêves accordées
entre la ville et le roi de Navarre, les communications entre les deux armées
étaient entières et libres ; on se voyait à Meaux, à Saint-Denis ; les
négociations pouvaient se conduire sans qu'elles fussent remarquées des halles
et des magistrats qui défendaient leurs intérêts. Le 21 mars, dans la soirée,
Brissac assemble les colonels et capitaines de quartiers dans la maison du
prévôt des marchands ; ils règlent ensemble des dispositions de l'entreprise
: tout avait été conduit de longue main et se trouvait prêt pour l'exécution.
Le 22 mars, à deux heures du matin, c'est-à-dire au milieu de profondes
ténèbres, les troupes royales se présentèrent aux portes de Paris ; Brissac
va les reconnaître en personne, et les introduit lui-même dans l'enceinte de
la grande cité ; là elles se forment en bataille et se rendent successivement
maîtresses des places et des points les plus importants. Un corps-de-garde
espagnol essaya la résistance, il fut entièrement massacré. Ces dispositions
prises, Henri, à la tête de sa noblesse, pénétra dans la ville. Ledict jour, au temps de l'équinoxe printanier, lorsque le
soleil estoit au premier degré du signe d'Aries, à la première heure du jour,
le roy, vraiment martial, accompagné de ses troupes, qui estoient composées
d'environ quatre mille hommes tant de cheval que de pied, vint de
Sainct-Denis aux environs de Paris, et luy fut rapporté que les portes Neuve,
Sainct-Honoré et Sainct-Denis estoient ouvertes ; que à la première estoit le
sieur comte de Brissac et le sieur Forçais, sergent-major de la ville ; à la
seconde, estoit l'eschevin Néret avec ses enfants, et à la troisième, le
sieur Langlois, et furent ces trois portes en mesme temps livrées à sa
majesté, qui entra glorieusement en la ville par la mesme porte, par laquelle
six ans auparavant, le 13 may 1588, lendemain des barricades, on avoit vu
tristement sortir son prédécesseur. Et le roy estant entré, donna son
escharpe blanche au sieur de Brissac, qu'il honora en l'accolant du titre de
mareschal de France. Le conseil de ville consigna aussi dans ses
registres toutes les circonstances de l'entrée de Henri IV à Paris : L'an de grâce 1594, le mardy 22e jour de mars, sur les
cinq heures du matin, MM. les prevost des marchands et eschevins de ceste
ville de Paris, désirant faire cognoistre au roy nostre souverain seigneur,
l'obéissance que son peuple vouloit luy porter et continuer, luy firent
ouverture des portes de ceste ville pour le recevoir et les autres seigneurs
de sa cour ; et pour cet effet, M. Lhuillier, prevost des marchands, assisté
de M. le comte de Brissac, se trouvèrent à La relation officielle du conseil municipal de Paris cherchait à déguiser les faits, à transformer en une réception d'enthousiasme une trahison de nuit : ce n'était pas une entrée publique, excitant les joyeux transports, telle que la peinture Ta depuis reproduite ; mais une sorte de surprise militaire amenée par une transaction municipale. Dans des gravures publiées quelques jours après l'événement, et qui devaient naturellement se ressentir des véritables impressions de la victoire, on représente Henri de Navarre armé de toutes pièces, la dague au côté. Il est entoure d'une mer de têtes pressées sous le casque. Les lansquenets ont la pique en main ou l'arquebuse sur l'épaule ; à droite et à gauche marchent en éclaireurs de vieux arquebusiers, à l'œil farouche, au teint basané ; ils font feu sur des habitants qui fuient ou se précipitent dans la rivière. Il n'y a point foule de peuple, mais des hommes d'armes qui se rangent autour de leur chef et le protègent. La trahison de Brissac et des échevins excita des rameurs populaires dans la ville de Paris. Il y eut trois opinions bien différentes sur leur compte : d'abord la masse du peuple, les halles qui les appelèrent vendeurs de villes, mauvais traîtres, lesquels pour de l'argent avaient abandonné leur foi, comme Judas avait livré Jésus ; les gentilshommes royalistes, au service du roi de Navarre, qui virent là un retour de Brissac aux lois de l'obéissance et de la fidélité féodale, un trait de loyauté de race et de blason ; enfin les politiques du parlement et de la bourgeoisie jugèrent que l'avènement du roi de Navarre était le seul moyen d'en finir avec les crises municipales qui agitaient le royaume ; et ceux-ci avaient raison. Après que le duc de Mayenne eut frappé le grand parti populaire, pour modérer le mouvement catholique et révolutionnaire, ce mouvement abâtardi devait aboutir à la restauration royale. Il n'y avait de salut que là, et l'avènement de Henri IV fut la suite des mesures violentes contre les chefs de la sainte-union ; car lorsqu'on ne veut pas des conséquences d'une révolution, on est forcé de retourner au principe tutélaire qui seul protège l'ordre et la paix des cités. Henri de Navarre, maître de Paris, prenait possession du
Louvre. Que devenait dès lors la cause espagnole et catholique de Philippe II
? où se réfugiaient les braves arquebusiers wallons et napolitains, naguère
salués du peuple ? où allait désoi, mais se poser le siège de la ligue ?
pouvait-on compter encore sur l'esprit et l'appui des provinces ? fallait-il
désespérer de la cause pour laquelle on s'était arme ? quelle était la
situation de don Diego d'Ibarra, du duc de Feria, de Taxis, qui naguère
gouvernaient tout et dirigeaient les forces municipales ? Il y avait
longtemps que les envoyés espagnols surveillaient avec inquiétude le
mouvement qui se prononçait pour Henri IV. Un rapport spécial sur l'état des
provinces unies en la sainte-ligue, demandé par Philippe II, se trouve encore
aux archives de Simancas ; cette dépêche indique l'état do désespoir et de
désordre où se trouvaient les principaux éléments de l'union catholique
depuis la prise de Meaux. Tout est compromis
actuellement ; Meaux s'est rendu, écrit l'agent secret. A quelques jours de là, M. de Cette dépêche était écrite quelques jours avant l'entrée de Henri IV à Paris, et semblait prévoir cet événement décisif : Paris était, en effet, au pouvoir du Béarnais, les Espagnols avaient quitté la ville. A peine don Diego d'Ibarra, commandant la garnison capitulée, avait atteint Laon, qu'il s'empresse d'écrire au roi son maître la plus importante et la plus curieuse des relations : Sire, vostre majesté aura vu, par la lettre que je luy ay adressée le 21 de ce mois, que j'avois fixé toute mon attention sur ces renforts de troupes au service du prince de Béarn, lesquelles se montroient dans les environs de Paris. En ayant prévenu le comte de Brissac, celui-cy me respondit qu'il n'y avoit rien à craindre sur ce point, que je pouvois venir luy parler moi-mesme, si je le desirois. Pour une affaire aussi importante, je n'y manquai pas : J'ay reçu ce matin, me dit le comte en m'apercevant, une lettre du duc de Mayenne, qui m'apprend que te duc de Guise s'avance sur Paris avec de l'infanterie, par la route de Senlis : il a en outre deux cents chevaux et une forte somme d'argent pour la solde de la garnison françoise. J'ay envoyé à leur rencontre, deux régimens francois sous les ordres du commandant Jacques ; c'est là sans doute la cause de ce mouvement d'infanterie dans les environs. Soyez sans inquiétude. Cependant comme je vis qu'il
n'avoit monstre la prétendue lettre du duc de Mayenne ny au duc de Feria, ni
au légat , ny à moy-mesme ; comme il avoit tenu Le gouverneur m'engageoit à ne point tenter une résistance inutile. A ce message succédèrent instantanément deux autres cavaliers du prince de Béarn, avec une lettre qu'il m'adressoit, et dont la copie est cy-jointe[15]. Je ne voulus point la recevoir. Ces deux officiers, après m'en avoir manifesté leur estonnement, me dirent de vive voix ce qu'elle contenoit : Je ne suis icy, ainsi que les soldats de sa majesté catholique, ay-je respondu, que pour le service de la saincte-union : si c'est elle et le gouverneur qui ont rendu la ville au prince de Béarn, nous ne saurions l'empescher ; mais il nous faut, avant tout, recevoir des nouvelles et des communications du duc de Feria. Jusqu'à nouvelle ordre et jusqu'à ce que nous partions, si cela est ainsi résolu, nous resterons dans nos quartiers avec armes et bagages ; j'y engage ma parole. L'ordre de marche fut ainsi donné
: les Napolitains se portèrent en avant-garde à la porte Sainct-Denys ; au
corps de bataille les Espagnols, le duc de Feria, et moy ; enfin en
arrière-garde, les troupes wallonnes. Nous sortismes enseignes déployées,
tambours battans, et sans avoir l'air de désespérer de nostre cause[16]. Bien que le prince de Béarn se fust placé à une fenestre
de la porte Sainct-Denys, l'ordre fut donné de ne le pas saluer avec les
étendards. Ainsi que doit l'avoir escrit le duc de Feria, des commissaires
nous accompagnèrent tant que nous fusmes sur les terres des ennemis. Mieux
instruit aujourd'huy, je sçais que les Allemands n'ont point trahi ; ils
furent trompés. Le prince de Béarn escrivit également au légat à peu près
dans les mesmes termes qu'à moy, luy offrant de le faire partir avec les
mesmes facilités et en mesme temps que nous. Le légat fit respondre qu'il luy
estoit impossible de partir aussi promptement. Nous avons vu hier le duc de
Mayenne ; il a paru profondément affecté de la perte de Paris. Il s'est
défendu de toute participation à un accommodement avec le Béarnois, mais
comme nous l'avons vu changer d'attitude et fléchir à chaque événement
nouveau, il est bien à craindre que ce dernier échec ne vienne encore
l'affoiblir dans ses résolutions. Le duc sort de chez le duc de Feria, et
vient de nous dire qu'il avoit instruit vostre majesté de ses intentions, et
qu'elle ne tenoit pour fort satisfaicte. Ayant vainement cherché à le faire
expliquer, le duc de Feria et moy luy avons donné les meilleurs conseils que
nous avons pu : nous l'avons engagé à agir réellement, à laisser tous ces
vains discours, toutes ces ,négociations comme inutiles ou plustost
préjudiciables à la cause ; nous luy avons rappelé qu'il fut un temps où il
se montroit plus zélé et plus ardent.... L'avons-nous
persuadé ? je ne veux pas l'affirmer ; cependant je prie Dieu de me tromper[17]. Ibarra avait été l'homme actif, le chef militaire ; on ne
pouvait l'accuser d'avoir manqué d'énergie ; l'événement l'avait surpris : partout
où le danger s'était montré, partout don Diego s'était porté en toute hâte.
Il avait fallu la duplicité du comte de Brissac pour tromper l'intelligent
capitaine des vieux arquebusiers. Qu'avait donc fait le duc de Feria, le
négociateur ? avait-il été plus habile et mieux inspire ? La surprise de
Paris l'avait frappé tout aussi bien que don Diego :il se hâtait d'adresser
une autre dépêche à Philippe II son maître : Sire,
ce que je prévoyois est arrivé le 22 à quatre heures du matin. Il est clair
aujourd'hui que ce coup a été concerté entre M. de Belin qui, comme vostre
majesté le scait, avoit esté gouverneur de Paris, Sainct-Quentin qui servoit
dans les gardes wallonnes en garnison à Paris, enfin le comte de Brissac,
gouverneur de la ville, lequel, par l'intermédiaire de M. de Sainct-Luc, son
parent, s'est entendu avec le Béarnois. Dans la seule conférence qui eut lieu,
il fut convenu que ce seroit le 22 mars au matin. Pour ôter tout soupçon, le
gouverneur avoit fait ouvrir toute la journée précédente la porte Neuve.
Un sous-lieutenant des Napolitains[18], qui étoit de garde dans mon hôtel, m'en avertit vers les
sept heures du soir, en rejetant cette faute sur le compte du gouverneur.
Aussitost j'envoie à ce dernier ce même sous-lieutenant, afin qu'on remédiast
promptement au danger. M. de Brissac me fait répondre que cela n'avoit aucun
inconvénient ; que ce n'étoit que pour la commodité des troupes et des
bourgeois qui alloient et venoient pour leur service et leurs travaux, et que
d'ailleurs les soldats de garde à cette porte étoient prévenus de veiller
avec soin. De son côté, don Diego de Ibarra, en ayant parlé au gouverneur,
celui-ci lui répondit qu'il avoit reçu dans la matinée une lettre du duc de
Mayenne, qui lui annonçoit l'arrivée, par la route de Senlis, du duc de Guise
avec quelque infanterie, deux cents chevaux et de l'argent pour la solde de
la garnison françoise ; qu'il avoit envoyé deux régiments françois à la
rencontre du duc, et que ce devoit être là la cause de cette réunion de
troupes que l'on entendoit dans les faux-bourgs. Vers le matin, le comte de
Brissac, ayant fait lui-même la ronde, ouvrit deux portes au prince de Béarn,
et plaça à ces portes toutes ses troupes, qui consistoient en deux mille cinq
cents hommes d'infanterie et treize cents chevaux. Il s'empara ensuite de
toutes les avenues et postes principaux de Paris sans éprouver la moindre
résistance ; car le gouverneur et les politiques avoient assuré aux
catholiques qu'ils veilleroient assidûment. Je n'étois moi-même gardé que par
cinquante Napolitains, et dans mon hôtel, qui touchoit à la porte par où
entroit le Béamois. Aussitost que ce prince eut pénétré dans la ville, il envoya
ces paroles à D. Diego de Ibarra, qui étoit dans le quartier des Espagnols : Je
suis entré dans Paris par la volonté des habitants[19], qui m'ont appelé comme leur roy. La paix est faicte avec
le duc de Mayenne ; et moi Henry, roy de France, je vous le fais sçavoir : il
est inutile d'opposer aucune résistance, car je ne veux faire la guerre à
personne, et ne demande que ce qui m'appartient[20]. J'envoyai mon sous lieutenant au comte de Brissac qui,
sans l'entendre, le fit approcher du Béarnois. Alors ce prince répéta à mon
envoyé ce qu'il avoit fait dire à Ibarra : La paix est faicte, dit-il
; j'ay esté appelé à Paris par le gouverneur, le parlement, le prevost des
marchands et les échevins. Comme roy, je ne demande poinct la guerre, mais la
paix. Assurez à l'ambassadeur que ny luy, ny ceux de sa nation, n'esprouveront
aucune vengeance, aucune insulte : il peut sortir librement ; je lui en donne
ma parole. Cependant je me trouvois isolé
avec mes cinquante hommes de garde, et dans l'impossibilité de me réunir à don
Diego de Ibarra : que pouvois-je faire, voyant que tout étoit perdu ? J'acceptai
les condictions que l'on m'imposoit, de respondre sur ma parole qu'aucun des
soldats de vostre majesté, alors dans la ville, ne chercheroit à se desfendre
et ne quitteroit son poste. Ma response ayant esté reçue, le Béamois m'envoya
le mareschal de Matignon qui, après m'avoir répété les assurances données
ci-dessus, me pria, de la part de son roy (je répète les paroles qu'il m'adressa), de sortir de Paris dans le plus bref délai possible avec
les troupes de vostre majesté. Si vous ne le pouvez pas vous-mesme, ajouta
le mareschal, il vous est loisible de demeurer de vostre personne, jusqu'à ce
que vos dispositions soient faictes ; vous y serez en sûreté comme dans une
ville d'Espagne. Nous fîmes respondre an Béarnois que nous sortirions ce
jour-là sans faute, et que l'on eust à nous envoyer le laissez-passer
escrit de la main du prince de Béarn. Après avoir eschangé quelques paroles
de courtoisie, j'expédiai l'ordre de se mettre en route aux troupes de vostre
majesté, soit dans leurs quartiers, soit dans leurs corps-de-garde. Depuis le
matin, elles estoient restées en bataille, enseignes déployées, dans le plus
bel ordre possible ; le prince de Béarn nous envoya encore des passeports.
Toutes les troupes françoises estant rangées en bataille, nous sortismes donc
à deux heures de relevée en rangs serrés, enseignes déployées et tambours
battans. Les Italiens estoient en teste ; tout de suite après venoient les
Espagnols, au milieu desquels j'estois à cheval avec tous les sujets de
vostre majesté. Les gardes wallonnes marchoient autour de moi. Le prince de
Béarn estoit à une fenestre, sur la porte Sainct Denis par laquelle nous
sortismes. Il estoit habillé en gris clair, avec un chapeau noir surmonté
d'une grande plume Manche ; nos estendards qui, ainsi que je l'ai dit,
marchoient desployés, ne lui rendirent aucun honneur en passant. Le troisième envoyé. Taxis, n'était point à Paris lors de
la prise de la capitale ligueuse ; il avait suivi le duc de Mayenne à
Bruxelles, alors que le chef de l'union allait se concerter avec l'archiduc
en Belgique. Sa dépêche a ceci de curieux qu'elle donne l'impression profonde
que fit cet événement sur l'esprit du lieutenant-général du royaume. Je doute que Paris, écrit Taxis, soit tout à fait perdu ; car il ne tardera pas à se
repentir de ce qu'il a fait. L'archiduc ayant envoyé la nouvelle de
cet événement au duc de Mayenne, celui-ci est entré dans un violent accès de
colère : Je n'en continuerai pas moins la guerre, s'est-il escrié. Aussitost il m'a fait demander si
vostre majesté tiendroit toujours sa parole, par rapport au secours promis.
— Mais c'est un feu follet qui s'éteindra bientôt.
— Quant à Rosne, je serai plus assuré de sa
résolution ; il m'a fait savoir, d'ailleurs, de la part des ducs d'Aumale, de
Guise, de Saint-Pol et de l'amiral Villars, que la prise de Paris ne
changeoit rien à leur zèle pour le service de vostre majesté, à laquelle ils
sont dévoués comme auparavant. Un bruit a couru que le Béarnois avoit surpris
Paris avec le consentement tacite du duc de Mayenne ; ceci seroit au moins en
contradiction avec les bons escus que Henry à donnés à Brissac comme au
principal auteur de son succès[21]. Je sais bien que le duc n'auroit pas mieux demandé que
d'entrer en accommodement avec le prince de Béarn ; mais il ne l'eust jamais
fait, je crois, sans l'intervention de sa sainteté et de vostre majesté. En lisant attentivement les dépêches des trois agents espagnols, on aperçoit qu'il domine dans toutes un besoin de se justifier du grand événement qui brisait, en un seul coup, toutes les espérances de la ligue. La prise de Paris privait la sainte-union d'un centre commun, du point militaire et politique qui étendait ses forces sur toutes les provinces ; Dans l'organisation communale du seizième siècle, chacune de ces provinces avait sans doute sa propre capitale, vénérable par son antiquité et ses privilèges , avec parlement, cathédrale, official, cour des comptes et des aides ; mais Paris était depuis deux siècles la résidence des rois, le siège de la belle et mellifiante université, de la sacro-sainte Sorbonne ; là étaient les nombreux prédicateurs, les paroisses zélées, les corporations armées de plusieurs milliers de bras : où désormais te conseil de l'union pourrait-il se rallier ? quelle ville donnerait l'impulsion et le mouvement à la puissante force catholique ? |
[1] Archives de Simancas, cot. B 75 206/17.
[2] Esta bien la placita de Bayona.
[3] Extrait des Registres du parlement, 3 janvier 1594. — Mss. de Baluze, vol. in-fol. cot. 8675 E.
[4] Registre de l'hôtel-de-ville. Tome XIII.
[5] Archives de Simancas, cot. B 8518. — Janvier 1594.
[6] Archives de Simancas, col. B 75165. — 1er novembre 1593.
[7] De fundo de la faltriquera.
[8] Con mucha sciencia.
[9] Hai harto que ver si es verdad todo aquello alli es.
[10] Hombres fideles y bien industriados.
[11] Hablaremos mas a la larga desta importante platica.
[12] Ces mots sont soulignés, et font allusion sans doute à une circonstance qui favorisa la prise de pouvoir de M. le duc de Mayenne.
[13] Avis du sieur Duplessis-Mornay au roi Henri IV, 1593. — Mss. de Colbert, vol. cot. 11.
[14] Voilà le véritable bienfait de Henri IV ; l'approche des farines était une ruse de guerre pour s'emparer d'une porte.
[15] Archives de Simancas, cot. B 79222.
[16] Y vaga se sin dexar nostra cosa.
[17] Pero quiero dios que engane. Laon, 28 mars 1594. — D. Diego de Ibarra à Philippe II, roi d'Espagne. Archives de Simancas, cot. B 79.
[18] Un alferez de los Napolitanos.
[19] Con voluntad de los avitantes.
[20] Que le avian llamado como a su rey.
[21] Lo qual tiene contradicion de los muchos Os que el Bearne dio a Brissot como a principal autor.