États de Reims. — Sans résultats. — L'Espagne presse la convocation des états réguliers. — Mouvement de troupes. — Garnison espagnole et napolitaine à Paris. — Correspondance de Philippe II pour dominer les états. — Arrivée des députés. — Corruptions. — Première époque des états. — Intrigues pour l'élection. — Seconde époque des états. — Conférence dé Surène.1592. La pensée dominante de Philippe n était la convocation des étals du royaume. Il avait cette conviction profonde que le catholicisme étant la base de cette société, les députés qu'elle enverrait à la grande assemblée y apporteraient des dispositions favorables à l'unité d'une couronne posée sur la tête de l'infante et d'un roi type de la pensée religieuse. D'ailleurs les sacrifices d'argent étaient tout préparés, pour seconder un si haut intérêt ; on en avait déjà beaucoup dépensé pour le soutien de la ligue, ce n'était pas au moment où Ton touchait le but qu'il faut s'arrêter. Le duc de Mayenne, et surtout le bureau municipal de Paris, ne pressaient pas l'élection d'un roi, événement qui limiterait dans d'étroites bornes le pouvoir qu'ils exerçaient sur les cités liguées. Un simulacre d'états avait été réuni à Reims, mais sans résultat, quoique Philippe II y eût délégué le duc de Feria. Les députés arrivaient lentement à Paris ; et pour rehausser leur zèle, le roi d'Espagne leur envoyait une nouvelle lettre gracieuse et continuait les pouvoirs à son ambassadeur. Cette lettre était à peu près dans les mêmes termes que la précédente ; tant Philippe II paraissait préoccupé du vaste objet de la délibération ! Nos révérends, illustres, magnifiques, et bien-aimés ; je désire tant le bien de la chrestienté et en particulier de ce royaume, que voyant de quelle importance est la résolution qu'on traite pour le bon establissement des affaires d'iceluy, je veux que chascun sçache ce qui a esté cy-devant procuré de ma part et quelle assistance j'ay donnée et donne encore à présent. Je ne me suis néanmoins contenté de tout cela ; j'ai voulu, en outre, desléguer par devers vous un personnage de telle qualité qu'est le duc de Feria, pour s'y trouver en mon nom, et de ma part faire instance que les états ne se dissolvent qu'on n'ait au préalable résolu le point principal des affaires, qui est l'eslection d'un roy ; lequel soit autant catholique que le requiert le temps où nous sommes, à ce que par son moyen le royaume de France, restitué en son ancien estre, de rechef serve d'exemple à la chrestienté. De Madrid, le 2 janvier. Moi le Roi. Les états de Reims n'avaient été qu'un simulacre ; on y
était seulement convenu d'un point, à savoir : que l'assemblée se tiendrait à
Paris, où quelques députés étaient déjà arrivés. Le duc de Mayenne avait
promis cette réunion solennelle, si longtemps retardée, sous différents
prétextes de batailles ou d'un défaut d'argent. Il était en cela secondé par
les parlementaires qui poussaient à un arrangement avec Henri IV, lequel
aurait évité la bruyante expression d'une assemblée d'états catholiques.
Philippe II se croyait joué : voulait-on exploiter son argent sans lui donner
satisfaction ? Don Diego de Ibarra et J.-B. Taxis,
écrit le roi ; j'ay reçu vos lettres concernant la
grande négociation dont il s'agit ; j'y retrouve vostre zèle du bien, et vous
engage à continuer avec la confiance que je mets en vous. Il est facile de
voir qu'il existe peu d'empressement à assembler les estats-généraux. On peut
mesme soupçonner que la conduicte tortueuse que l'on tient par rapport à l'eslection
de l'infante n'a d'autre but que de s'emparer de nostre argent, de retarder
les estats et d'arriver à leurs fins. Geste considération doict nous engager
à ne pas nous commettre avant que la négociation soit dépouillée de toute
incertitude et les estats-généraux bien dessinés. Il faut croire que les
desputés ecclésiastiques et ceux des bonnes villes, comme on les appelle en
France, et en général tous ceux intéressés à la justice et à la tranquillité,
seront plus faciles à gagner et à moins de frais. Il faut s'en servir pour
modérer les prétentions de la noblesse. On dict encore, et j'ay lieu de le
soupçonner, que le duc de Mayenne aspire à la première place de l'estat ;
rien ne sçauroit nous convaincre davantage de sa mauvaise foy à l'esgard des
droicts de l'infante que les raisons spécieuses dont il colore et ses retards
et ses intentions ultérieures. Il paroist d'ailleurs que l'oncle et le nepveu
ne sont poinct d'accord quant à leurs prétentions respectives ; sçachez tirer
party de ceste division. Don Diego, ajoute-t-il
dans une autre dépêche, vous vous entendrez avec mon
neveu pour la répartition des deux cent mille escus nécessaires à gagner les
voix au moment des estats ; vous devez par ce moyen atteindre un bon
résultat, c'est-à-dire obtenir de ces gens-là la promesse de vous servir, en
leur donnant parole de la récompense promise un an après l'effect obtenu[1]. — Juan Baptiste de Taxis ; ce zèle que vous déployez pour
mon fils et moy, c'est en faveur de l'Infante qu'il faudroit plustost
l'employer ; en faveur de l'infante qui seroit un lien entre les deux
couronnes ; de l'infante dont les droicts sont mieux establis que ceux de
tous les autres potentats ou princes. C'est avec une confiance d'autant plus
grande que je vous adresse ces instructions, que vostre zèle et vostre
intelligence peuvent seuls nous soutenir, au moment où mon nepveu vient de
nous faire faucte. Il ne faut pas perdre de vue les négociations continuelles
du prince de Béarn pour la paix. Remarquez bien que ses succès derniers ont
pu luy en faciliter les voyes. Cependant je crois qu'en mettant tous vos
soins à faire persévérer les catholiques dans ceste route de salut, comme il
leur importe, vous parviendrez à les destoumer d'une affaire de dupes. Je
félicite le duc de Guise de la noble persévérance qu'il monstre ; je ne
sçaurois mieux la recognoistre qu'en vous donnant l'ordre de faire compter de
ma part cinq mille escus par mois à celuy qui si jeune a sçu se monstrer si
ferme en toute circonstance[2]. Pour seconder le mouvement politique des états, Philippe II promit aussi des secours d'hommes. Des régiments espagnols et napolitains durent occuper Paris, que la gentilhommerie de Navarre menaçait à chaque moment. Les bourgeois étaient fatigués ; les seize quarteniers, le bureau de ville même appelaient une aide de troupes régulières pour défendre leurs hautes murailles. On avait fait beaucoup d'efforts ; pourrait-on les renouveler encore ? Les quarteniers partageaient les sentiments de Philippe II sur la nécessité de tenir les états-généraux afin d'élire un roi ; et pour favoriser les prétentions de l'Espagne n'était-il pas nécessaire d'avoir quelques régiments à la dévotion des bons partisans de madame l'infante ? Telle était l'opinion des halles, des confréries, des métiers ; tous avaient salué l'intervention de l'Espagne. Quand le duc de Parme avait marché sur Rouen, n'avait-on pas fait prières et processions à Sainte-Geneviève ? n'avait-on pas porté le reliquaire du glorieux martyr Saint-Denis ; et en Notre-Dame n'y avait-il pas stations et actions de grâce pour les bonnes victoires des Espagnols, et la délivrance de Rouen, la cité confédérée ? Sire, écrivaient les seize
quarteniers au roi d'Espagne ; le repos de Toutes les troupes espagnoles furent reçues à Paris avec un
sentiment de joie populaire et des fêtes publiques. Les pieux habitants
pestaient eux-mêmes les vivres, faisaient des collectes pour les blessés,
augmentaient la solde par des dons volontaires. On pressait la main de ces
vieux arquebusiers ; on supportait la pesante cuirasse de ces hommes noircis
de poudre et du soleil de Naples ou de l'Andalousie, de ces braves gardes
wallonnes qui venaient défendre les murs de Paris. Les envoyés de Philippe II
virent tout d'un coup leur crédit augmenter. Aussi le roi d'Espagne formula
mieux ses prétentions. Don Diego de Ibarra, si j'en
crois ce qu'assure le duc de Mayenne, les estats devroient estre assemblés ;
soyez bien an courant de ce qui s'y passe ; que rien ne se fasse sans que
vous n'y ayez participé y et advertissez-moy de tout. — Don Diego, quant aux gouvernemens et provinces que le
président Jeannin, estant en Espagne, a demandés au nom du duc de Mayenne, il
est impossible d'accorder L'acte de convocation émané du duc de Mayenne était une manière de formuler les opinions de la bourgeoisie. On se gardait de rompre absolument avec Henri de Navarre : pourquoi ne se faisait-il pas catholique ? voilà le grief que les parlementaires lui reprochaient ; il l'avait refusé jusqu'ici ; qui sait ? plus tard, mieux éclairé peut-être, il viendrait au parti bourgeois. C'était un bon choix que le Béarnais catholique et sans conditions. Sur tous ces points les états avaient une mission immense ; ils allaient fixer la loi fondamentale, par rapport à la succession de la couronne, et de plus, solennellement proclamer le principe religieux. Aussi toutes les provinces avaient mis un soin particulier à préparer leurs cahiers ; toutes avaient député de fervents catholiques ; mais les élections s'étant faites sous l'influence, du parti modéré, alors uni au duc de Mayenne, les états arrivèrent en majorité pour les idées de transactions et de paix publique. Philippe II attachait le plus haut intérêt à cette convocation immédiate des états ; Ibarra, l'un de ses ambassadeurs, se hâta d'écrire encore à son souverain sur les premières impressions qu'elle avait produites dans les esprits : Les estats seront assemblés certainement pour le 17 de ce mois. Nous aurons soin d'avoir des conférences antérieures, avant l'entrée en deslibération, avec les ducs de Lorraine, de Guise et de Mayenne. L'archevesque de Lyon s'y prépare un grand rôle ; il penche visiblement pour le cardinal de Bourbon (le jeune). Si de Rome il ne nous arrive point quelque secours sur ce point, cela pourroit mal tourner pour nous[6]. Le duc de Feria ajoutait : J'ay escrit, il y a quelques jours, à don Juan de Idiaquez pour luy parler de la nécessité que nous aurions d'avoir à présent une bonne somme de deniers afin de gagner des voix. Et en ayant communiqué avec I. B. de Taxis, il m'a monstre l'ordre de vostre majesté pour disposer de deux cent mille escus payables dans un an ; mais il seroit beaucoup mieux que ceste somme arrivast de suicte, plusieurs ayant maintenant la volonté de recevoir des présents en argent comptant, et il s,oit à craindre plus tard qu'ils n'exigeassent des rescompenses d'une autre nature. — Les desputés arrivent, continuait don Diego de Ibarra, mais assez lentement ; ceux de Guyenne, de Languedoc et de Périgord manquent encore. On dit même que ceux de Bourgogne ne sont pas investis du pouvoir d'élire un roy ; ce qui seroit un nouvel embarras. On peut desmesler, à travers tout cela, que le duc de Mayenne tient à se faire confirmer et continuer la lîeutenance du royaume. Les trois chambres qui composaient la grande assemblée étaient dominées par le parti modéré, mais fervent catholique. Partout alors où s'était réunie une expression sincère du pays, s'était aussi produit l'esprit de nationalité, un désir d'en finir avec les guerres civiles qui désolaient la patrie. Les états-généraux étaient décidés à une transaction définitive. La composition des bureaux se personnifia spécialement dans le tiers-état : les députés Marteau, Depilles et Gordier furent chargés de la direction de rassemblée politique. La présence des états suspendait le conseil de l'union, espèce de gouvernement provisoire qui déposait ses pouvoirs. Les députés réunissant tous les droits exerçaient la plénitude de la souveraineté sur le plus fondamental des intérêts sociaux : l'élection d'un roi au milieu des éléments disparates et des prétentions diverses. Toutes les nuances du parti catholique reconnaissaient également ce droit ; les huguenots seuls et quelques fractions du parti royaliste dévouées à Henri IV leur opposaient l'hérédité, principe qui, ne pouvant s'accorder avec l'élection déférée aux états, appelait invariablement le Béarnais à la couronne. Les députés des provinces arrivaient lentement à travers mille empêchements de route, quelquefois arrêtés par les soudards de Henri de Navarre, et lorsqu'ils étaient trop tièdes et politiques, emprisonnés par les partisans de la sainte-union. Ils venaient tous avec des sentiments modérés et la ferme intention de calmer les troubles qui depuis si longues années agitaient le royaume. Les grandes crises avaient fatigué la majorité du pays ; la classe bourgeoise plus calme reprenait son ascendant ; il se manifesta dans les états un besoin de transiger. Les fervents catholiques s'effrayaient déjà de cette tendance conciliatrice. Tenez-vous fermes, disait un de leurs pamphlets. Nostre estat est monarchique ; le peuple, ayant secoué le joug d'un roy tyran et refusant d'obéir à un roi hérétique, n'a point désiré l'estat populaire ou aristocratique, mais a toujours requis et demandé un prince souverain. Croyez, messieurs, que l'issue de vostre assemblée doit estre l'eslection d'un roy catholique, et si vous le faictes, vous en aurez un grand honneur, et les gens de bien auront ce qu'ils désirent. Si au contraire vous ne les faictes, vous establissez le roy de Navarre, et ruinez la religion, l'église, la noblesse, le peuple. Les catholiques n'avaient pourtant point à désespérer des états-généraux. La pensée des députés n'allait pas jusqu'à lutter avec le peuple des villes ; ils avaient garde de rompre hautement avec l'Espagne, la puissante protectrice de la ligue et de la foi. Sire, écrivait Ibarra à Philippe II, voici le moment où nous allons profiter des instructions de vostre majesté dans les estats-généraux. J'ai les meilleures espérances[7] qu'avant la fin de ceste session nous aurons faict adopter une résolution qui nous sera favorable. M. de Rosne m'a dict que le duc de Mayenne lui avait faict part des intrigues et des projets de l'archevesque de Lyon. Ce ne seroit rien moins que de placer la couronne sur la teste du duc de Savoye, par la raison, ajoute-t-il, que c'est de tous les princes estrangers le seul qui convienne, et, parce qu'il seroit indifférent à vostre majesté que ce fust l'infante Dona Catherina ou l'infante Dona Isabel qui devinst royne ; que c'estoit d'ailleurs ce que pourroit certifier le duc de Savoye luy-mesme. J'ai respondu à de Rosne qu'il falloit croire que si pareille chose estoit, vostre majesté en auroit informé le duc de Savoye ; or, que jusqu'à ee moment on ne pouvoit rien advancer de pareil. Il est possible que cet homme me trompe plus tard, mais pour le moment c'est celuy qui paroist le mieux intentionné pour nous. Les états s'ouvrirent avec solennité. Après la
vérification naturelle et légale des pouvoirs et la division par chambre, les
députés de la bourgeoisie eurent à s'occuper de deux questions fondamentales,
à savoir : quel roi serait choisi et quel principe on proclamerait comme base
constitutive de la société* Ces questions étaient difficiles ; il s'agissait
d'un immense intérêt au milieu des prétentions diverses, et du trouble
violent de doctrines et d'opinions jeté dans le pays. Le duc de Feria reçut
ordre non seulement de gagner individuellement des suffrages, mais encore, de
reconnaître hautement le droit d'élection par les états, principe qui se
rattachait intimement au choix d'un roi catholique pour le royaume de France.
En pleine séance, le duc de Feria fit entendre de longues harangues ; il mit
successivement sous les yeux des états les grands services rendus par le roi
son maître à la couronne, depuis son mariage avec Elisabeth, fille du roi
Henri II : Sa majesté catholique a voulu pourvoir de
bonne heure à vos affaires, de peur que vous ne vinssiez à vous perdre et
ruiner de fond en comble ; elle a foncé grandes sommes de deniers, et vostre
roy a esté contrainct de se tourner du party de la religion. Depuis, il a
fallu derechef fournir argent, et enfin on est entré en guerre ouverte. Le
très vaillant capitaine Alexandre Farnèse a deslivré des mains de l'ennemy
cette noble cité de Paris, sur le poinct qu'elle se voyoit jà perdue : autant
en a esté faict à Rouen. Il a faict tout devoir et instance pour la
convocation et assemblée de ces très célèbres états ; il a sollicité nos
saincts-pères de vous chérir et espouser vostre cause, et m'a envoyé à vous
pour vous assister en tout et partout. Lesquels offices et courtoisies
semblent estre si beaux, si magnifiques, si assurés, si signalés, que je ne
scais si Ces paroles étaient de nature à donner bien des suffrages.
Les catholiques pouvaient-ils oublier tout ce qu'ils devaient au roi
d'Espagne ? N'était-ce pas Philippe II qui avait pris si vivement leur cause
? Si Paris avait été préservé du pillage et de l'hérésie, à qui le devait-on
? Il y avait à peine deux années que la reconnaissance aurait entraîné les
états ; les motifs de l'Espagne auraient été appréciés et applaudis ; mais
les députés commençaient alors à être dominés par l'esprit modéré des
parlementaires et de la bourgeoisie ; leurs vœux étaient la paix. Pouvait-on
l'avoir, cette paix, en se donnant à l'Espagne, en présence de l'armée des
gentilshommes dévoués à Henri IV, si brave et si souvent victorieuse ? Après
le duc de Feria, le nonce du pape parla longuement devant l'assemblée. Quelle
puissance n'exerçait pas ce vigoureux cardinal de Plaisance, si dévoué à
l'unité catholique ? C'était le véritable roi du bas peuple, qui se
réunissait en son bel hôtel, rue de La harangue du légat, toute dans la pensée de l'exclusion
de Henri de Béarn, appuyait les intérêts de l'Espagne. Porter une infante sur
le trône, proclamer le concile de Trente comme loi fondamentale, tel était le
but des instructions de Rome. L'élection d'Isabelle n'était pas sans
difficultés ; quant à la grande loi du concile, les états ne demandaient qu'à
en faire la concession, car leur penchant conciliateur n'affaiblissait en
rien l'effervescence religieuse qui les dominait. Au reste, toutes ces
discussions aux états n'étaient qu'une manière de cacher les intrigues
réelles. Les paroles du duc de Feria et de Taxis n'étaient elles-mêmes qu'une
expression officielle des intentions de l'Espagne et du pape. Toutes les
affaires pour l'élection se faisaient en sous-main, et se déterminaient par
d'autres mobiles que les discours publiquement proférés. Les négociations
s'engagèrent dès l'origine pour l'infante, qui, avec le consentement des
états, deviendrait la femme de l'archiduc Ernest, frère de l'empereur. Dans
une instruction envoyée au duc de Feria, celui-ci dut exposer les raisons
pour lesquelles le roi catholique ne pouvait donner sa fille qu'à un prince
de son sang : Sa majesté n'avait qu'un fils unique
encore jeune, qui ne pouvait se marier de longtemps ; de plus, une fois
marié, on ne sait pas si Dieu lui accordera des enfants, faute desquels la
sérénissime infante est seule héritière de l'Espagne et de tous les royaumes,
terres et seigneuries qui en dépendent. Le roi catholique veut donner sa
fille à l'archiduc Ernest, vu qu'il est prince bon catholique et d'une vie si
religieuse et exemplaire, qu'elle peut servir de modèle ; il est vaillant,
aimable, d'un abord facile ; aimant les gens d'honneur, naturellement
généreux, homme d'un âge mûr, assez versé dans les lettres et qui sait
diverses langues, et V6n né doit pas douter que bientôt il ne se fasse à vos
mœurs et coutumes â votre grand contentement. Les états se réunirent sur cette première proposition des envoyés d'Espagne ; ils trouvaient des motifs pour la discuter. D'abord la loi salique n'excluait-elle pas les femmes ? et l'infante pouvait-elle être élue ? puis, la qualité d'étranger ne s'appliquait-elle pas sans contestation à l'archiduc Ernest ? N'y avait-il pas assez de princes français, de braves et dignes champions du catholicisme pour les donner en épousailles à madame l'infante ? Si c'était morgue de la maison d'Espagne, elle pouvait à peine aller de pair avec les Mayenne, les Guise et les Bourbon. Il lui convenait bien d'avoir de la fierté, au moment où elle sollicitait deis états la couronne de France ! C'est avec tout ce partage bourgeois que les députés repoussaient quelques-unes des prétentions de Philippe II, protecteur du peuple et des seize quartiers de Paris. Le légat, qui avait si vivement favorisé l'élection de l'infante, se plaignit avec aigreur aux états de ces hésitations : toujours des retards, toujours des faux-fuyants ! Messieurs, nous attendions de vous toute autre réponse que celle que vous avez baillée hier. Si la proposition que vous avez faicte ne nous plaisoit, il eust esté à propos, ce nous semble, qu'il vous eust plu nous en faire une autre. A quoy sert-il de nous faire des demandes sur une femme, si n'en voulez point, et estre si fort attachés à vostre loy salique que n'en voulez desmordre aucunement ? N'est-il contre vos loix et coustumes d'avoir pour roy un Allemand ? Vous avez eu des roys qui ne sont venus d'autre part : lisez quelques histoires que mesme les François ont escrites, vous trouverez que l'archiduc de sa première tige est françois, et que par Marie, dernière duchesse de Bourgogne, il en a une assez fraische et bonne partie ; d'ailleurs, vous trouverez qu'il n'est chose nouvelle que les royaumes, es nécessités urgentes, se sont servis des estrangers, et s'en sont fort bien trouvés. Les états, toujours dominés par le parti parlementaire et national, ne firent point attention à cette lettre si singulièrement impérative ; ils répondirent nettement aux ambassadeurs d'Espagne et au légat : Messieurs, sur la proposition que vous nous avez faicte de la part de sa majesté catholique d'eslire et desclarer pour roy l'archiduc Ernest, nous aurions désiré donner une response conforme à vos désirs. Cependant nous vous supplions de prendre en bonne part si nous vous représentons que nos loix et coustumes nous empeschent de recognoistre et nommer un roy qui ne seroit pas de nostre nation ; le naturel des François s'y oppose. Si sadicte majesté catholique veut avoir pour agréable l'eslection d'un de nos princes pour estre roy, lequel seroit donné en mariage à l'infante sa fille, nous luy aurons une infinie obligation, et nous pourrions, par le moyen de ce remède, mettre fin à nos misères en conservant la religion et l'estat. L'élection de l'archiduc étant ainsi repoussée, malgré les vives instances du roi d'Espagne et du légat, c'était un échec pour le parti de la sainte-union ; ce parti avait été si cruellement affaibli par les dernières mesures du duc de Mayenne ! Ses forces municipales étaient éteintes ; les parlementaires triomphaient, et la grosse bourgeoisie avait ses intérêts, ses instincts pour le roi de Navarre qu'on voulait amener à se convertir au catholicisme, grande négociation prête à s'entamer. Le duc de Savoie aurait-il plus de faveur ? Dans toutes les phases de la sainte-union, il lui avait prêté ses forces : le duc, intime allié de l'Espagne, époux d'une infante, était une des pures expressions du parti catholique ; pourquoi ne se tournait-on pas vers lui ? Le même motif de la loi salique et de l'indignité des étrangers fit repousser le duc de Savoie. A vrai dire, il n'existait donc plus de chances que pour les deux combinaisons suivantes : 1° l'infante mariée à un prince français ; 2° un prince français, soit dans l'ordre de succession, et alors le Béarnais ; soit par élection, et alors un fils de la maison de Lorraine, Guise ou Mayenne. Le tiers-parti parlementaire entourait un autre candidat de son choix insignifiant et sans couleur tranchée comme lui-même. La première élection du vieux cardinal de Bourbon avait eu ses plus intimes applaudissements ; ne pourrait-on pas saluer roi son neveu le cardinal de Vendôme, alors cardinal de Bourbon ? n'avait-il pas le même droit, puisque le Béarnais ne s'était pas encore converti ? Les hommes du parlement trouvaient là un moyen de tout concilier, l'hérédité et la foi catholique : c'était une transition pour arriver à Henri de Navarre, s'il abjurait enfin l'hérésie. Le cardinal de Bourbon s'était lui-même posé comme le chef de ces consciences mitoyennes, q,i n'osaient aller à un parti tranché. Les gros bourgeois, timides, intéressés, voulaient élever un prince qui ne les compromît avec personne, pas même avec l'Espagne, laquelle n'avait rien à opposer à cette combinaison d'un Bourbon cardinal ; ne l'avait-elle pas déjà une fois approuvée dans le vieil oncle de Henri IV ? Pour bien comprendre toutes les intrigues qui allaient se
développer, il est bon de mettre au jour les dépêches des ambassadeurs
espagnols, des envoyés de Savoie et de toute la famille de Lorraine,
documents où les plus intimes pensées des partis sont révélées. Ces dépêches
ne ménageaient personne ; les ambassadeurs, observant Paris, étudiaient
toutes les dispositions pour se préparer toutes les chances ; ils devaient
compte à leur cour de leurs veilles, des farts qu'ils avaient appris, du
mouvement des opinions qui secondaient leurs intérêts ou les contrariaient.
Chaque jour de nouvelles lettres étaient envoyées par les trois agents actifs
de l'Espagne à Philippe II. Entre le duc de Mayenne
et le neveu de Guise, écrivait don Diégo d'Ibarra, il y a peu de conformité, et l'oncle en a de grandes
jalousies ; et encore que de ma part j'aye faict ce que j'ay pu pour les persuader
à une bonne intelligence, il ne m'a pas esté possible. Il y a eu hier une
assemblée du président Jeannin (délégué
du duc de Mayenne) et M. de La méfiance de l'Espagne pour le duc de Mayenne, cette faveur
qu'elle portait au duc de Guise, jusqu'à ce point de ne pas le repousser pour
époux de l'infante, excitaient du mécontentement dans l'esprit du fier cadet
de la maison de Lorraine. Pourquoi ne le choisirait-on pas pour roi ?
n'avait-il pas rendu plus de services à la sainte cause que ce rejeton à
peine né de la branché aînée de sa race ? et d'ailleurs l'Espagne avait-elle
tenu ses engagements ? où étaient ces forces, ces moyens dont elle faisait un
si grand appareil ? Le duc de Mayenne s'en exprime dans une dépêche chiffrée
adressée au commandeur de Dyon, ambassadeur de la ligue auprès du pape. Il faut que j'advoue que je me suis trouvé bien esloigné et
desçà de ce que l'on m'avoit promis, quand j'ay vu le duc de Feria et Taxis ; tant plus en l'espace de quinze jours,
je les ay pressés de s'ouvrir à moy de ce que leur maistre vouloit et pouvoit
faire pour nous ayder à sortir des misères, tant moins en ay-je pu avoir de
lumières. Quel grand effort pouvons-nous entreprendre avec environ quatre
mille hommes de pied et cinq à six cents chevaux qui encore diminuent tous
les jours et seront resduicts à néant ou à un fort petit nombre avant que
nous commencions d'attaquer quelque chose ? Le duc de Mayenne voyait avec répugnance l'élection de l'infante,
parce que, déjà marié lui-même, il ne pouvait partager la couronne avec elle
; il écrivait bien au roi d'Espagne qu'il le seconderait efficacement, car là
était la source des bons doublons et des subsides ; mais dans l'intimité, le
duc de Mayenne travaillait pour lui-même. Il ne peut le dissimuler dans des
instructions préparées pour Rosne, qu'il allait envoyer auprès du pape. Ces
instructions pouvaient ainsi se résumer : Créer des
difficultés pour toute autre eslection que la mienne ; et si cette dernière
est accordée, promettre à sa majesté catholique la cession de Toutes ces intrigues petites, étroites, ces vues
intéressées qui retentissaient dans le public, ce morcellement du territoire,
avançaient les affaires de Henri le Béarnais. Tandis que ses compétiteurs se
partageaient Il fallait cependant arriver à une fin, et les catholiques
ardents devaient s'entendre, pour empêcher tout mouvement qui porterait le
roi de Navarre à la couronne, car sa conversion ne serait que feintise, comme le disait l'envoyé de Savoie ;
les états seuls pouvaient décider la question ; et comment allaient-ils la
résoudre ? se prononceraient-ils pour l'infante d'Espagne ? adopteraient-ils
un terme moyen ? Le duc de Feria écrivait à Philippe II : J'ai parlé au duc d'Aumale, et il s'est offert franchement
de sacrifier sa fortune et sa vie pour le service de vostre majesté et de la
sérénissime infante ; c'est à mon advis l'homme le plus sincère entre tous
les autres. Le marquis de Rosne est l'amy intime du duc de Mayenne, et il
suivra toujours sa fortune. L'archevesque de Lyon nous aidera, ne seroit-ce
que pour avoir le chapeau de cardinal, chose qu'il désire extresmement. Le
président Jeannin est l'homme qui s'est monstre le moins affectionné au
service de vostre majesté. Depuis que je traite icy, il n'a cherché à me voir
une seule fols. Villars, qui a reçu les pouvoirs de la ville de Rouen, dict
qu'on ne peut rien attendre si on n'effectue pas ce que l'on a promis ; c'est
un homme si effronté qu'il est bien nécessaire que vostre majesté soit
prévenue de ceste réponse, afin de juger ce qu'elle doit faire. L'obstacle était toujours ce duc du Mayenne, indolent,
intéressé. N'y avait-il nul moyen d'arriver jusqu'à lui et de le faire
changer d'avis ? L'Espagne n'avait-elle pas en ses ressources un mobile
pour le rattacher à ses opinions, afin de proclamer les droits de l'infante.
Ce mobile fut trouvé : Le duc de Mayenne vient
d'appeler J. B. Taxis et Diego de Ibarra (en
hâte d'écrire le duc de Feria), et leur a
dict qu'il accepteroit volontiers l'élection de la sérénissime infante avec
un prince françois, et qu'aussitost on pourroit arrester les conditions ;
quant à luy, il ne pouvoit rendre obéissance et soumission que lorsque
ladicte infante sera entrée dans le royaume, mariée avec ce prince françois,
et luy, entretenu dans sa place de lieutenant-général, comme il est à présent.
Ainsi jamais rien de net, rien de précis dans la conduite du duc de Mayenne :
il se tournait à droite et à gauche, cherchant partout ses intérêts.
L'Espagne avait voulu dominer les états-généraux ; elle n'y avait point
réussi. Il y a des temps où les choses en viennent à ce point que la corruption
elle-même est impuissante : le duc de Mayenne exprimait mieux la majorité ;
son parti était plus français ; et ce ne fut que lorsque le prince fit
quelques démarches pour se rapprocher de l'Espagne que les états adoptèrent,
et encore dans un sens vague, l'une des propositions du duc de Feria. Ils sont d'advis que l'on doit dire aux ministres d'Espagne,
que les estats tiendront tousjours à très grand honneur et obligations
infinies, s'il plaist à sa majesté de donner la sérénissime infante sa fille
à un prince français, sous les conditions qui seront trouvées justes et
raisonnables, comme lesdicts estats l'ont ci-devant faict entendre et baillé
par escrit. Mais sur la proposition qui a esté faicte auxdicts estats par M.
le duc de Feria et autres ministres du roy d'Espagne de créer présentement et
establir une royauté, lesdicts estats estiment qu'il seroit non seulement
hors de propos, mais encore périlleux pour la religion et pour l'estat de
faire cette élection et desclaration en un temps où nous sommes peu fortifiés
et d'hommes et de moyens. Les états subordonnaient leur concours à l'appui
que l'Espagne leur prêterait. Les bourgeois, les parlementaires, les députés
des états pris dans ces trois opinions ne repoussaient pas absolument l'infante
; seulement ils voulaient que cette combinaison fût appuyée de forces
suffisantes pour vaincre la chevalerie huguenote. Le duc de Mayenne avait
depuis modifié ses opinions ; autant il était opposé à l'Espagne dans le
principe, autant il semblait alors s'en rapprocher. Ce changement dans les
opinions du duc de Mayenne pourrait être expliqué par une dépêche de l'ambassadeur
de Savoie au duc son maître. Je dirai à vostre
altesse qu'avant que le duc de Feria arrivast en ceste ville, lorsqu'il
estoit à Soissons avec ledict duc de Mayenne, ils entrèrent en capitulation
de ce que ledict sieur de Mayenne voudroit avoir du roy d'Espagne, afin de le
faire parvenir à son dessein pour l'infante. Le traité en fut faict pour la
somme de six cent mille escus payables à certains termes, dont le duc toucha
lors en pur don, comme m'a dict le duc de Feria, tant comptant qu'en
assignations, la somme de cent quarante mille escus. A ceste heure que l'on a
voulu venir à la résolution en faveur de l'infante et du duc de Guise, il a
faict donner par desclaration plus de deux cent mille escus de dettes,
prétendant, suivant la dicte promesse, huit cent mille escus tant en comptant
que en bonnes assignations, et le gouvernement de Champagne pour son fils,
outre les cent mille écus de rente. L'on a continué de consulter et conférer
tous les jours, et finalement la résolution de M. de Mayenne a esté qu'il
estoit content de signer avec les autres officiers de la couronne une
promesse qui sera tenue secrète de nommer et choisir pour roy et royne des
François M. de Guise et l'infante, quand ils verront assurances suffisantes
pour le mariage proposé, et des forces et moyens pour pouvoir résister à
l'ennemi. Il a été difficile de peindre et d'exactement dessiner toutes ces prétentions qui s'élevaient alors dans les états-généraux ou en dehors pour proclamer un successeur à Charles X : tout était intrigue, et la force municipale était hors de question. Quand il s'était agi du catholicisme, haute et grande question sociale, d'une lutte franche et décidée contre la réforme, alors les halles, les métiers, le peuple, en un mot, s'était montré, avait jeté son bras nerveux dans la lutte. Mais ici tout se résumait en manœuvres sourdes et intéressées ; on se disputait les lambeaux du territoire ; on stipulait de l'argent, des pensions pour soi, pour sa famille. Ce n'était pas pour soutenir de si petites choses que s'étaient armées les confréries ; elles marchaient pour de plus vastes intérêts. Dans cette décadence de la grande cause municipale et catholique, les parlementaires pouvaient s'élever à une certaine puissance, préparer une transaction définitive ; ils laissaient les ambassadeurs se quereller, le duc de Mayenne disputer quelques questions d'intérêts privés, et les esprits modérés sous les deux tentes engageaient des conférences particulières pour arriver à une solution désirable dans la tourmente publique. Dans ces hésitations des états pour l'élection d'un roi, les deux expressions du parti modéré cherchèrent à se voir, à s'aboucher, indépendamment de leurs extrémités belliqueuses. A mesure que le tiers-parti politique et négociateur grandissait, il était naturel qu'il voulût faire prévaloir son importance : les royalistes vivaient sous la tente de Henri de Navarre, en opposition avec les huguenots austères ; les parlementaires, au milieu de Paris, au sein de la bourgeoisie, et en opposition avec les ligueurs ardents. Gomme après tant d'épreuves les sentiments devenaient plus calmes et plus réfléchis, le tiers-parti faisait tous les jours de nouveaux progrès. Il eut enfin, sous l'influence des états de Paris, ses conférences régulières, moyen en quelque sorte de convenir des faits d'ordre et de paix publique qu'il cherchait à faire triompher dans les crises de la patrie. Les propositions de rapprochement vinrent des catholiques sous la tente de Henri de Navarre, qui étaient violemment entraînés à en finir, parce qu'ils craignaient l'excommunication. Depuis leur réunion à l'armée des huguenots et cette obéissance qu*ils accordaient à un prince hérétique, les royalistes étaient tout inquiets de leurs rapports avec Rome. Sous un prince réformé, ne combattaient-ils pas les catholiques ? ne marchaient-ils pas contre la sainte association ? Dans ces circonstances, le marquis de Pisany (Saint-Goard) eut mission de se rendre auprès du pape en leur nom pour baiser les pieds de sa saincteté et lui expliquer les causes qui avoient donné aux susnommés subjects de tenir le parti de sa majesté : que lors du décès du défunct roy, celuy qui règne maintenant tenoit le lieu de la seconde personne en leur armée. Qu'auparavant l'avoir eslu, le roy auroit promis, desclaré, juré et protesté de maintenir la religion catholique, garder et conserver les ecclésiastiques en leurs prérogatives, dignités et honneurs, laquelle desclaration et promesse auroit été enregistrée en tous ses parlements. Et qu'à présent, pour obvier aux ruines et pertes de ce royaume qui se commettent sous prétexte de religion, ils ont unanimement supplié sadicte majesté de trouver bon d'estre instruict de la religion catholique, àquoy il auroit faict response, comme il a toujours faict par cy-devant, qu'il estoit docile et prest. Cette note était signée spécialement par le duc de Nevers, le garde des sceaux Chiverny, Charles de Montmorency, François d'O et Revol, chefs des royalistes unis à Henri de Navarre. Le marquis de Pisany avait eu jusqu'alors peu de succès ; il fallait se décider à un parti, si l'on ne voulait encourir la foudroyante excommunication. Les royalistes écrivirent longuement aux modérés de la sainte ligue, pour solliciter des conférences intimes, afin de se rapprocher, en posant un terme aux crises politiques. Ils se sont d'autant roidis avec leurs armes et moyens, en la desfense de la couronne quand ils ont vu entrer en ce royaume les estrangers envieux de la grandeur de ceste monarchie et de l'honneur et gloire du nom françois, car il est trop évident qu'ils ne tendent qu'à le dissiper. A ceste cause, lesdicts princes et autres seigneurs, au nom de tous et avec le congé de sa majesté, ont voulu par cet escrit, signifier au sieur duc de Mayenne et autres personnes assemblées en la ville de Paris, que s'ils veulent entrer en conférence et communications des moyens propres pour assoupir les troubles, et desputer quelques bons et dignes personnages pour s'assembler en tel lieu qui pourra estre choisi entre Paris et Saint-Denis, ils y en enverront et feront trouver de leur part pour recevoir et apporter toutes bonnes ouvertures. Après quelques hésitations, les députés des états
acceptèrent l'offre de ces conférences. Il y avait alors tendance aux arrangements
; on voulut en finir avec la guerre civile, car on était au temps où cette
impatience se montre partout, ressort de tous les faits ; vainement
voudrait-on alors courir encore aux batailles ; la paix est dans les opinions
et la puissance de la modération triomphe ; la paisible bourgeoisie reste
maîtresse du pays. Saint-Denis, puis Surène, furent les lieux indiqués pour
ce règlement d'intérêts du tiers-parti. Les deux premières séances se passèrent
en débats sans intérêt. Dans la troisième, on arrêta une trêve de dix jours à
quatre lieues de la conférence. Le pouvoir des délégués consistait à
comparaître, au nom des princes et états de l'union, aux conférences, ouïr
les ouvertures du parti contraire, y répondre selon leur prudence, et faire
d'eux-mêmes telles propositions qu'ils jugeraient utiles à la réunion des catholiques,
à la conservation de l'église catholique, apostolique et romaine. La quatrième
séance fut ouverte par l'archevêque de Bourges, expression d'une petite
fraction du clergé qui n'avait point adopté la ligue. Il exposa l'état
misérable de L'archevêque de Bourges répliqua : Si vous n'establissez pour base de la paix l'obéissance au roy et prince souverain, c'est en vain que votts parlerez de sauver la religion ; ce roy ne peut être que celuy donné de Dieu et de la nature ; il est chrestien, il croit en un mesme Dieu, en une mesme foy, en un mesme symbole ; il est seulement séparé par quelques erreurs, touchant les sacrements, desquelles il sera facile de le retirer après l'avoir recognu. S'il n'est pas tel qu'on le désire, il faut tascher de le rendre tel ; employez-vous donc tous à ce bon œuvre. — En effect, répliqua monseigneur de Lyon, la paix et prospérité des estais dépendent principalement de l'obéissance au prince et de la concorde des subjects ; mais ceste concorde ne peut exister s'il y a diversité de religion ; l'expérience des trente années passées l'a assez démontré. M. de Lyon invoqua l'autorité du concile de Latran, lequel concile imposait à tous les princes le serment d'exterminer les hérétiques, d'en purger leurs royaumes, terres et juridictions, autrement ils étaient excommuniés, et leurs sujets absous du serment de fidélité et obéissance. L'archevêque de Bourges, infatigable, prit de nouveau la parole : L'Escriture ne recommande rien tant que l'obéissance due aux roys et princes souverains ; elle est pleine d'exemples du respect que les prophètes et les anciens chrestiens leur portoient. A l'égard des lois fondamentales, je réponds que ny les estais du royaume, ny le roy même n'ont pu violer la loy de succession de cette couronne qui est perpétuelle, et ne peuvent oster ce que la nature et la loy ont acquis. En entendant ce discours de l'orateur du tiers-parti, l'archevêque de Lyon, ardent ligueur, s'écria : Nous n'avons jamais presté serment de fidélité au roy de Navarre. Au contraire, nous avons juré solennellement de ne le recognoistre jamais. Dans la sixième séance, tenue le 10 mai, l'archevêque de Bourges pria tous les députés de s'expliquer aussi franchement que lui. Nostre intention peut facilement s'interpréter, répondit l'archevêque de Lyon ; nous n'avons eu qu'un but en entreprenant ceste conférence, c'est la réunion de tous les catholiques, assurer la religion et conserver l'estat ; en tout, nous conformer à l'advis de nostre Sainct-Père. — Mais, dit l'archevêque de Bourges, que répondez-vous sur la conversion du roy ? ne voulez-vous pas nous aider à le faire catholique ? — Plust à Dieu, monseigneur, qu'il fust bon catholique, et que nostre Sainct-Père en fust bien satisfaict ! L'archevêque de Bourges ouvrit une nouvelle séance par un discours dans lequel il exposa de nouveau que le principal moyen de pacifier le royaume était la reconnaissance d'un roi : Eh bien ! Henry de Navarre est décidé à prendre à l'égard de la religion les moyens que ses principaux serviteurs lui ont conseillés. Sçavez-vous que le roy vient d'adresser une ambassade au pape pour obtenir la mainlevée des excommunications prononcées contre lui, et qu'il a convoqué à Mantes un bon nombre d'évêques et autres prélats et docteurs catholiques, pour être instruit et se bien résoudre avec eux de tous les points concernant la religion catholique ? L'archevêque de Lyon, abordant les ouvertures faites par les catholiques modérés, dit, à l'égard de la conversion : Personne ne la rejette ; c'est même la plus courte voie pour terminer les maux de l'état. Mais la plupart, et principalement l'ordre de l'église, tiennent cette offre pour fort suspecte, et que cette conversion est plutôt un coup d'état que de religion. Vous nous avez parlé de la conversion du roy de Navarre ; il est à désirer qu'elle soit vraie et sans fiction ; mais on a lieu de croire que c'est chose feinte et suspecte ; la foy s'annonce par des œuvres ; s'il avoit vraiment le repentir, il blasmeroit et detesteroit publiquement son erreur. — La conversion du roy, répondit l'archevêque de Bourges, amènera sûrement un grand nombre de ses subjects à son imitation ; le roy y veut procéder bientost et si solennellement, que toute la chrestienté cognoistra son intention et sincérité. L'archevêque de Lyon s'écria que tout ce qui avait été dit sur la conversion du roi de Navarre n'était que raison humaine et considérations d'étal, et ces raisons ne sont moyens capables de recevoir la grâce de Dieu. Tout se résumait en pourparlers. On apercevait que les catholiques ligués n'avaient pas confiance en la conversion de Henri de Navarre, acte immense pour réunir les esprits. N'avait-il pas déjà secoué le saint joug de l'église ? et cette croyance qu'il avait ainsi trahie, ne pouvait-il pas l'abandonner une seconde fois ? Cependant, on s'était vu ; on s'était entendu sur bien des points. Quelles que fussent les nuances sur les articles particuliers, on était arrivé à cette conclusion inévitable que s'il n'y avait pas possibilité d'admettre au trône la famille de Lorraine, ou l'infante d'Espagne, il fallait un roi catholique à une nation ardente dans sa foi ; d'où la conclusion naturelle que la conversion de Henri de Navarre était la nécessité de son avènement. Ainsi, pour bien juger la position, il fallait se placer au milieu de la société alors fatiguée de luttes. Il y avait quelques années que le tiers-parti formait une exception ; maintenant il était la force, parce que la lassitude et un profond besoin de paix se faisaient sentir. Henri de Navarre avait-il encore à hésiter ? Si la majorité n'était plus à la ligue, elle n'était pas venue aux huguenots ; l'union des deux fractions catholiques se détachant des extrémités formait un imposant parti. Henri de Navarre devait, en se rangeant sous sa bannière, profiter de l'opinion bourgeoise, dominer la puissance parlementaire ; et pour cela il fallait se rattacher au catholicisme. Les résultats de modération que devaient préparer les conférences de Surène, n'étaient pas de nature à plaire aux opinions extrêmes, à la ligue des villes, aux associations communales et religieuses. Dans la crainte qu'il n'en advint un accommodement capable de nuire à l'autorité municipale et catholique de Paris, ou que les conférences n'exerçassent une action sur les esprits lassés, les seize quarteniers, tous les hommes influents sur le peuple, firent paraître une protestation, déclaration et désaveu contre l'accord et les articles de la conférence requise par ceux du parti du roi de Navarre. C'est l'ordinaire des hérétiques et de leurs adhérents d'user des peaux de lion et de renard, afin que, manquant l'une, ils ayent recours à l'autre. Protestent les catholiques que par dessus leurs remonstrances, telle conférence se faict, la désavouant comme inutile, scandaleuse et desfendue. Sommant au surplus MM. less députés des estats, sans s'arrester à ceste conférence, ny à la corruption du conseil, d'instamment passer outre en l'exécution de leur charge. Que de présages contre cette maudite conférence, bâtarde
union des traîtres politiques ! La fille du
curé de Sainct-Jacques, mariée à un procureur de la ligue, accoucha de deux
enfans, l'un vivant, bien composé ; l'autre, mort, monstre estrangement
difforme. M. Le Cousturier l'anatomisa, et remarqua que ce monstre avoit une
teste plates et pelue, grosse comme un œuf de poule. Et aussitôt un
pamphlet parut contenant la claire interprétation de ce que dessus : Ceste femme, c'est Philippe II était non moins inquiet que les fervents ligueurs des conférences de Surène, principe d'une transaction désirée. Quand Ibarra sut que les états-généraux allaient s'occuper de ces conférences, il se hâta d'indiquer à son maître ce qu'on pouvait craindre ou espérer des députés catholiques délégués à Surène. J'envoye à vostre majesté les noms des desputés des estats-généraux qui vont aux conférences provoquées par les catholiques attachés au parti du Béarnois. Sur tous des députés, l'ambassadeur a ajouté des notes, des jugements diplomatiques pour en instruire son souverain ; ceux-ci sont bons, ceux-là mauvais. Il lui importait de savoir l'esprit de la fraction catholique qui vivait sous les tentes de Henri de Bourbon. Il connaissait les hommes de la ligue, les zélés défenseurs des intérêts populaires, mais le tiers-parti, comment ne pas dire ses desseins, ses intentions, l'esprit et les croyances de chacun de ses députés ? Des conférences de Surène datent la naissance, le progrès et les développements d'un clergé national, moins soumis à la hiérarchie romaine, à la tête duquel s'était placé l'archevêque de Bourges. L'église gallicane, transformation territoriale du principe universel et catholique, tiers-parti religieux, se montra de nouveau après la haute tentative du catholicisme ardent de la ligue. Tous ceux des prélats qui n'osèrent adopter la réforme, telle qu'elle s'était produite dans le grand siècle de Luther, se rattachèrent à cette idée d'une église avec des garanties locales, à ce moyen terme d'une double souveraineté pontificale et royale sur la hiérarchie des clercs, transaction qui avait pour but de s’entendre avec le pouvoir et de conserver les honneurs, les bénéfices et les propriétés ecclésiastiques ; système mixte, car le pur catholicisme est celui de Rome. |
[1] Archives de Simancas, cot. A 572. Philippe à J. B. Taxis, 30 mai 1592.
[2] Por conservarse tal en todo easo. Tous ces mots sont ajoutés de la propre main du roi d'Espagne.
[3] Y se aseguren los estados y resuelva en ellos libremente lo que conviene.
[4] Malcontentos.
[5] Archives de Simancas, cot. A 57409. Philippe au même. — 6 décembre 1592.
[6] Si de Roma no se remedia, se puede hazer mal por nos otros.
[7] Granda esperança tengo.
[8] Seria fiador S. S. del casamiento.
[9] Archives de Simancas, col, B 78,16.
[10] Mss. de Colbert, in-fol., maroq. rouge doré, vol. XVIII, p. 314.
[11] Mss. Dupuy, vol. 770, fol. 215.