Le tiers-parti politique et négociateur à Paris. — Dans le camp de Henri IV. — Mort de Charles X. — Le duc de Mayenne. — Attaque contre le tiers-parti. — Sorbonne. — Parlements. — Siège de Paris. — Ménagements de Henri de Navarre. — Conférence de Noisy. — Marche du duc de Parme. — Levée du blocus de Paris. — Mouvement municipal ultra-démocratique. — Action du tiers-parti, et triomphe de la bourgeoisie.1590 — 1591. Dès la mort de Henri IH, il s'était formé à Paris et dans
les villes soumises à l'union, un tiers-parti de négociateurs qui voulait
préparer une heureuse fin aux troubles de Le parti populaire voyait bien que c'en était fait de la sainte ligue, des libertés et franchises de la cité, si les négociateurs amenaient l'armée royale de Henri de Navarre dans les murs de Paris. Le but des ligueurs devait être d'attaquer vigoureusement les consciences timides qui parlaient de transiger, lors-,'il fallait mourir pour le service de Dieu et les franchises municipales. Le conseil des seize quarteniers et colonels se réunissait tous les jours ; on délibérait de prendre des mesures violentes, d'atteindre d'abord les doctrines, et d'arriver ensuite aux actes. Le parti populaire fit encore publier une suite de brochures et de pamphlets contre les politiques, et Henri l'hérétique, le Béarnais relaps, l'excommunié. On criait aux rues de Paris : Les impostures et calomnies des huguenots, politiques et athéistes, pour colorer le massacre commis es personnes de messeigneurs les cardinal et duc de Guise par Henry de Valois, avec la réfutation, et comme on se doibt comporter contre l'inhumanité des massacreurs et tyrans, et de la punition nécessaire d'iceux. — La vie, mœurs et déportemens de Henry Béarnois, soy-disant roy de Navarre, où les catholiques de ce royaume pourront descouvrir quelles sont les hypocrisies de celui qui les voudroit dominer et envahir la couronne très chrestienne à Charles, cardinal de Bourbon, roy de France. Le conseil des seize quarteniers ne se contentait pas de jeter le ridicule et la haine sur le parti négociateur ; maître du bureau de la ville, des échevins, du conseil de l'union, de tout ce qui commandait l'obéissance dans la cité, il appela une manifestation publique et légale des sentiments populaires contre tout arrangement avec Henri de Navarre. Le moyen que le tiers-parti voulait employer était, ainsi
qu'on l'a dit, la conversion de Henri IV ; les pamphlets de la ligue avaient
répondu à cette théorie, en posant en fait qu'on ne pouvait absoudre un
hérétique relaps, un homme qui avait déjà renoncé par deux fois à sa
croyance. Ce principe, on le fit proclamer par tout ce qui était pouvoir dans
la cité. Tout ceci se passait après la bataille d'Ivry que les
négociateurs avaient considérée comme un événement heureux pour arriver aux
fins qu'ils se proposaient. Alors le peuple de Paris était plus que jamais
décidé à se défendre ; l'union recevait l'espérance de puissants secours. Le
légat du pape Sixte-Quint, §t le duc de Feria entraient dans la cité, avec
ordre de soutenir et de développer le grand système de résistance, préparé
par les villes catholiques, contre la gentilhommerie huguenote et montagnarde
qui venait avec les étrangers pour attaquer ses murailles. Le duc de Feria
était l'homme de confiance de Philippe II, l'ambassadeur officiel auprès de
l'union sainte et municipale. À mesure que cette union prenait plus de
consistance, le toi d'Espagne avait pensé qu'un envoyé spécial, porteur de
-ses instructions intimes, répondrait mieux aux besoins des circonstances. Le
duc de Feria, habile négociateur, tête de mouvement et d'énergie, précéda le
légat de quelques jours seulement et dut se concerter avec lui sur les
intérêts communs da la ligue. La papauté, cette immense institution, s'était
alors personnifiée dans un pauvre moine, homme de modération et de
tempérament Sixte-Quint négociait avec tous les partis, cherchant à les
attirer à lui par des concessions. Quand les Guise avaient été frappés,
c'était le cas de lancer la fatale ex, {Communication contre Henri ni, dont
la main n'avait pas tremblé devant la pourpre du cardinalat ; Sixte-Quint
reçut des justifications, se borna à des menaces ; et comme lui-même était
aux prises avec les grandes familles de Rome, il oublia les intérêts du
catholicisme pour applaudir à un exemple qui, reproduit dans sa capitale
contre ses adversaires, pouvait raffermir son pouvoir temporel. Henri III
joint son armée aux huguenots, attaque de front la ligue ; le consistoire des
cardinaux veut l'excommunier ; Sixte-Quint se contente de quelques
explications royales sur les impostures des ennemis
de sa majesté[1]. Il reçoit
l'ambassadeur, M. de Luxembourg, envoyé par les princes ligués aux huguenots[2] et qui se
déclarent très dévots au saint-siège, en même temps qu'ils attaquent le
principe catholique ; enfin, bercé par la pensée de la conversion de Henri
IV, il abandonne la ligue en ses périls. Heureusement l'actif légat s'éloigna
de ses instructions timorées pour adopter hautement les couleurs de l'union
municipale. Ce légat, Henri Caïetano, appartenait aux opinions fortement
catholiques ; expression de la grande papauté du moyen âge, il sentait que du
triomphe de la ligue devait résulter la puissance et la durée de l'autorité
pontificale. Caïetano et le duc de Feria étaient des hommes énergiques au
milieu d'une population fervente et dévouée. On ne peut dire avec quel
enthousiasme fut reçu le légat ; tous les meubles de la couronne furent
portés à l'archevêché ; les rues étaient tapissées de broderies, représentant
les persécutions des premiers chrétiens par les malheureux infidèles ; les
bons bourgeois étaient tous sous les armes et formaient une double haie d'arquebuses
: Vive notre sauveur ! vive le soutien des vrais
catholiques ! criait-on de toutes parts, et l'artillerie se
faisait entendre sur la place de Grève ; les bourgeois y répondaient par de
nombreuses décharges d'arquebuse, tellement que le
légat avoit grand'peur que quelques malintentionnés ne chargeassent à plomb
ou ne tirassent maladroictement. C'est pourquoy il leur faisoit signe de
cesser ; mais eux, croyant que ce fussent bénédictions, deschargeoient de
plus belle. Caïetano et le duc de Feria se mirent immédiatement en
communication avec les chefs des quarteniers, et concertèrent un système de
défense, au cas où Henri le huguenot viendrait assiéger la ville de Paris. Dans cet intervalle si rempli d'événements, le vieux Charles X avait succombé aux douleurs de la pierre ; captif de Henri de Béarn, son neveu, il avait été traité avec dureté, comme si on eût voulu lui faire expier la couronne l'or qui pesait 6ur ses cheveux blancs. La mort de Charles était prévue, mais elle soulevait la plus grave question de succession. Philippe II allait-il subir un nouveau roi ou réveillerait-il les droits de l'infante, que déjà son ambassadeur avait secrètement invoqués ? Une dépêche de don Bernardino Mendoça donna à San-Lorenzo Fa vis de la mort de Charles X. Une lettre escrite par le capitaine Lagueule, qui estoit de service auprès du roy (cardinal de Bourbon), annonce au prince de Béarn la mort du cardinal, laquelle a eu lieu le 9 mai à neuf heures du matin. Bien que l'âge du cardinal de Bourbon fust de soixante-huit ans, encore peut-on soupçonner que les tracasseries suscitées parle prince de Béarn ont hasté le moment de ceste mort, pendant laquelle le cardinal s'est montré sans doute, comme pendant sa vie, inviolablement attaché à la desfense et à la gloire de Dieu, et plus envieux de la couronne du ciel que des grandeurs de la terre[3]. L'ambassadeur ajoutait : J'expédie donc un courrier exprès, pour donner nouvelle à yostre majesté de cet heureux événement, si toutefois on peut appeler de ce nom la mort du cardinal-roy. Il n'est pas probable qu'elle donne au prince de Béarn des ressources et des forces pins grandes que celles qu'il avoit précédemment. Henri de Navarre s'était rapidement porté sur Paris de ce champ de bataille d'Ivry, si glorieux pour ses armes ; il y était servi par les intelligences du tiers-parti qui voulait, en réduisant le peuple à une extrémité déplorable, seconder la première voix de paix et de repos qui se faisait entendre parmi la bourgeoisie. Cette armée du Béarnais, composée de reîtres, d'Anglais, de sa chevalerie calviniste, et d'un débris du parti royaliste, marcha pour investir Paris, se saisissant de tous les points qui protégeaient l'arrivée des subsistances. Ces dispositions tendaient à effrayer le peuple par l'appareil formidable d'un siège meurtrier. On connaissait mal la multitude belliqueuse des halles et des confréries, son dévouement à sa religion et à la cité. Tandis que le tiers-parti voulait ouvrir des conférences à Noisy, le peuple s'organisait en armes, et l'activité puissante du légat et du duc de Feria réveillait les sentiments d'énergie et de patriotisme municipal. Dès le 15 mars, le serment de l'union catholique avait été renouvelé par tous les habitants. M. d'Aubray, colonel, disait le bureau de la ville, nous vous prions et au besoin mandons que ayez à assembler tous les capitaines qui sont sous vostre charge, et leur enjoindre, de par nous, de bien faire sçavoir à tous les bourgeois qui sont sous leurs enseignes, et qui ont accoutumé de porter mousquet et arquebuse, de se garnir de bonne heure et en la plus grande diligence qu'ils pourront, de la plus grande quantité de balles, mesches et poudre à canon, et de tenir leurs armes en bon estat, pour s'en servir quand la nécessité s'en présentera, et qu'ils aient à conserver lest dictes munitions sans tirer inutilement ni les dissiper[4]. Et comment n'auraient ils pas été confortés, les bons
bourgeois, dans la résolution d'une belle défense, quand ils recevaient la
lettre suivante de M. de Mayenne ? Messieurs, je
fais toute la plus grande diligence qu'il m'est possible, afin de vous
pouvoir aller secourir avec toutes les commodités que je vous pourrai mener.
Or, le jeudy 5e de may, en assemblée générale faicte
en la grande salle de l'hostel-de-ville, M. le prevost des marchands a
amplement faict entendre comme il estoit très nécessaire adviser sur la
nécessité urgente qui se présentoit de fortifier, garder et défendre la ville
contre les entreprises des ennemis qui approchoient, et si les forces des
bourgeois et habitans d'icelle estoient suffisantes pour empescher l'ennemi
d'entreprendre aucune chose, ou bien, si en cas d'extresme nécessité et
estant assiégés, l'on jeroit entrer et loger des forces estrangères. Le tout
mis en délibération, a esté advisé et conclu que l'on doit se remettre à la
prudence et sage conduicte de M. le duc de Nemours, et le supplier ne nous
abandonner, et sera prescrit toute obéissance audict seigneur ; et parce
qu'il faut avoir quelques moyens pour donner du pain aux Suisses, lansquenets
et autres, semblera bon de lever encore l'impost sur les riches pendant un
mois. Le 10 mai, règlement pour les guets et gardes, et le 18,
mesures pour la conservation des chaînes. MM. les
colonels sont priés de faire assembler tous les capitaines de leur colonelle,
pour en desputer par leur quartier tel sombre qu'ils admiseront, et
rechercher parmi les bourgeois ceux qui voudront monter à cheval ou aller à
pied, avec quelles armes et équipages, dont ils feront un rôle, contenant les
noms et armes qu'ils se voudront servir, pour marcher toutes les fois qu'il
leur sera ordonné, sous la charge de sages capitaines, nobles, gentilshommes
ou autres que monseigneur le duc de Nemours ou nous nommerons. 26e may.
Et Paris s'était garni de sa bonne artillerie bourgeoise : Au boulevard de la porte Sainct-Antoine y a deux pièces
auxquelles seront commis : Pierre Guérin, menuisier, demeurant rue Sainct-Antoine,
à l'enseigne de C'était dans cet état des esprits, dans cette effervescence de la population que les parlementaires rêvaient encore un arrangement. Le duc de Mayenne, que Ton considérait comme disposé à ces négociations, écrivait à don Bernardino Mendoça : Le sieur de Villeroy m'a dict avoir conféré de luy-mesme avec le sieur du Plessis à Noisy (c'est un des plus confidens serviteurs et des plus advisés qu'ait le roy de Navarre) sur les moyens qu'il y auroit de revenir à la paix, luy re-monstrant qu'elle ne se pouvoit espérer, sinon que le roy de Navarre se fist catholique et fust approuvé par l'église. A quoy ledict sieur du Plessis lui auroit respondu qu'il vouloit premièrement estre recognu pour roy de tous ses subjects, et après qu'il se feroit instruire et donneroit tout contentement aux catholiques. Comment croire que la multitude catholique, qui comptait
sur les secours effectifs du duc de Parme et des bandes espagnoles, se
laisserait aller aux belles promesses du Navarrais. Tout était destiné à
Paris pour réveiller son énergie : les sermons ardents préparaient les halles
à la défense de la foi et de la cité, comme dans le forum de Rome les
orateurs remuaient les entrailles du peuple-roi. MM. les prévôt et échevins
faisaient vœu de belles offrandes à Notre-Dame-de-Lorette, au cas où la ville
serait délivrée du maudit Béarnais et de sa forte chevalerie : Nous, Michel Marteau, sieur de Dans tous les quartiers, on entendait force coups
d'arquebuse ; un bourgeois maladroit venait de tuer un des domestiques du
légat à la suite de son maître, et ce légat, objet de la vénération publique,
était entouré ; chacun voulait toucher sa robe sainte et recevoir sa
bénédiction. A la suite de ce grand dénombrement des forces municipales et
catholiques, de nouvelles mesures de police et de défense étaient arrêtées : Il est prohibé à toutes personnes, de quelle qualité
qu'elles soient, d'envoyer aucunes lettres, missives, marchandises, ny autre chose
ès villes de Sainct-Denis, Poissy, Senlis, Mantes, Meulan et autres, tenant le
parti des hérétiques, sous peine de confiscation, amendes arbitraires et
autres plus grandes punitions, selon que le cas escherra[5]. — Monsieur Costeblanche, colonel, nous vous prions de
présentement fournir au sieur de Forest ou autres porteurs de la présente
ordonnance, trente tonneaux pour estre employés à réparer la bresche qui est
entre la porte Sainct-Honoré et Montmartre. — Messieurs
les curés et paroissiens de Sainct-Jacques-de-la-Boucherie sont priés, de la
part de monseigneur le duc de Mayenne et de messieurs les prevost des
marchands et eschevins de la ville de Paris, de donner une partie de leurs
cloches qui sont superflues, pour estre employées à la fonte des balles.
— Pareil mandement à Saint-Germain-des-Prés, abbaye, à Saint-Sauveur, à Saint-Martin-des-Champs,
à Saint,Victor, à Saint-Nicolas, à Saint-Jean, à Saint-Gervais et à
Saint-Paul. Cette mesure rappelle les jours terribles de la convention
nationale. Les habitants avaient bien besoin de ces démonstrations qui frappaient
si vivement les yeux, car Henri de Navarre avait coupé toutes les
communications, et menaçait Paris par lettres et bravades : Manans et habitans de nostre ville de Paris, si la raison,
le devoir naturel et les anciennes lois et constitutions du royaume n'ont pu
fléchir vos cœurs, la nécessité eu laquelle ils vous ont réduict vous devroit
au moins faire tourner les yeux à autre voye de salut, que vous ne devez
douter de trouver en nostre grâce et bonté quand vous voudrez y avoir recours
; à quoy vous ouvrirez les yeux et y pourvoyerez si bon vous semble, selon
que le faict vous touche. Dieu vous fasse la grâce de bien faire vostre
profit de nostre paternelle admonition ! Paris était alors dans un bien triste état, exténué par sa
défense héroïque. Les gens riches et aisés qui
vivent à leur plaisir, au lieu des viandes délicates qu'ils avoient accoutumé
de manger, n'usoient plus que de pain d'avoine et de chair d'asne, mulets et
chevaux, encore s'en trouvoit-il peu et bien cher ; les autres, pauvres
petites gens qui vivent au jour la journée, ne gagnoient pas un liard, et n'avoient
pas de quoi acheter des bouillies faites de son, d'avoine, qui estoit tout ce
que mangeoient les pauvres. La chair estoit fort chère, à cause de la grande
quantité de chevaux et mulets que l'on y avoit mangés, et les pauvres
mangeoient des chiens, des chats, des rats, des feuilles de vigne et autres
herbes qu'ils trouvaient, encore estoient-elles fort chères. La musique qu'on
entendoit, estoient les cris des pauvres, des vieilles gens, pauvres femmes et
petits enfants qui demandoient du pain sans que personne leur en pust donner
ny les secourir. La médecine qu'ils y faisoient estoit la patience, et ne
laissoit-on de faire infinies processions, avec les indulgences que le légat
leur donnoit, qui se gagnoient en la plupart des églises, avec les sermons
qu'ils oyoient, qui leur faisoient prendre tant de courage, que les sermons
leur tenoient lieu de pain. Quand un prédicateur les avoit assurés qu'ils
seroient secourus dans huict jours, ils s'en retournoient contens. Ainsi,
à une autre époque, un représentant du peuple promettait la victoire à ceux
qui lui demandaient des vivres. Au milieu de ces souffrances de toute une population, les
passions politiques s'agitaient ; on publiait des pamphlets de toute nature ;
un des plus curieux, œuvre des parlementaires, est dirigé contre le
gouvernement des Seize : Dire que nous n'ayons plus
que la face et l'extérieur d'hommes, que nous soyons plus abrutis que les
bestes mesmes, plus couards, mois et efféminés que femmes, pour endurer
qu'une douzaine ou deux de coquins désespérés gouvernent et commandent à leur
volonté à Rome française ! Paris, jadis appelé sans pair, comme estant la
plus belle ville du monde et la plus fameuse cité de l'univers, gourmandée
par un petit tas de coquins et bellistres affamés ! Tu tournes le Cousteau
sur toi-mesme, sans connaître celui qui le cause tant de mal. Ah ! pauvre
peuple ! tii mérites bien de souffrir, puisque tu fais si peu d'estat de ton
aise et de ta liberté. Gens sans religion, qui trouvent une religion à mourir
de faim pour trente ou quarante mille âmes languissantes, et la leur n'est
qu'à faire boime chère. Ah ! petits commandereaux, cadets lorrains, masles et
femelles, Olivier, Senault, Loucliart, Bussy, et vous, prescheurs, à qui
pensez-vous avoir affaire ? Vous, messieurs les bons bourgeois et citoyens de
Paris, je parle à vous comme à gens hébestés ; quelle grande obligation
avez-vous à ceux quiyous procurent aujourd'hui tant de malheurs ? Qui sont-ils
? d'où sont-ils venus ? Ce sont des estrangers sortis d'une estrangère race.
Et puis l'on voit nos curés et nos moines se mesler de traiter en leurs
chaires nos affaires d'estat ; un Perinet avec son importun habile. Et
Boucher ! vraiment tel, car tu despèces, tu tailles, tu descoupes, tu
assommes. Il faut, dis-tu, mourir de faim ? Hé ! mon gros et gras Boucher,
que le mot te coule doux de la bouche ! demeure donc six jours seulement (je ne te donne pas plus longtemps) sans pain, viande et breuvage ; si tu ne vas pas faire un
voyage a nos pères trespassés, si tu continues d'une voix effroyable à dire
et prescher que mourir de la faim est un soulagement, je me rendrai à ta
créance ! L'héroïque défense de Paris était soutenue par l'espoir
que le duc de Parme arrivait au secours de ses braves habitants, avec sa
belle et bonne armée d'Espagnols formée aux Pays-Bas. On recevait au bureau
municipal une lettre du duc de Mayenne ainsi conçue : Messieurs, nostre armée s'approche de Paris ; il y pourra aller
beaucoup de gentilshommes et soldats, qui se desbanderont, et par ce moyen
ceste armée se pourroit beaucoup diminuer. Je vous prie de ne laisser entrer
aucun qui n'ait passeport de M. le duc de Parme ou de moy. Le duc de
Feria envoyait courrier sur courrier, pour prévenir le duc de Parme qu'il eût
à marcher en toute hâte, si l'on ne voulait que Paris, la tête de l'union,
n'ouvrit ses portes aux huguenots. Philippe II s'était enfin décidé à porter
secours efficace et actif à l'union menacée ; il levait dans cet objet une dîme
sur le clergé d'Espagne ; mesure qu'il annonçait au grand chancelier Gaspard
de Quiroga. Philippe II répondait ensuite aux plaintes des catholiques de
France, qui prétendaient n'avoir pas reçu des secours suffisants dans les
périls qui les menaçaient. Le roi d'Espagne les avait entraînés à un
soulèvement contre l'hérétique ; les abandonnerait-il dans leur détresse ? En
réponse, Philippe rappelait, dans une dépêche à son ambassadeur, les preuves
de zèle et de bonne foi qu'il avait multipliées. Au
nord, disait-il, le duc de Parme a pénétré dans
le royaume ; au midi, le comte Hiéromyque de Lodron a renforcé avec ses
Allemands le duc de Joyeuse et les catholiques du Languedoc ; en Bretagne, le
duc de Mercœur a reçu de ma munificence des secours, pour qu'il eust à purger
cette province des hérétiques. Si donc les catholiques s'aident eux-mesmes
autant que je les ai aidés, il n'est aucun doute que la religion ne triomphe[6]. Enfin, des
lettres précises mandèrent au duc de Parme de s'avancer au secours de Paris,
Le prudent général, à la tête des vieilles bandes espagnoles, quitta Henri de Navarre se trouvait dans un grand embarras ; sa
vaillante chevalerie ne pouvait lutter contre les régiments espagnols réunis
aux troupes de la sainte-union. Il fallait pourtant prendre un parti, risquer
une bataille générale, ou se décider à lever le blocus de Paris. Henri
rassembla donc son armée au-dessus du village de Chelles, dans une position
avantageuse et en face de l'ennemi. Il chercha par tous les moyens à faire
accepter le combat : il harcelait l'Espagnol à chaque instant ; mais telle
n'était pas la tactique du duc de Parme. Par une manœuvre d'une active
habileté, il replia son armée sur elle-même, la dérobe à la vue de l'ennemi,
s'empare d'un point important qu'il se hâte de faire fortifier, et avec toute
son artillerie, le générai espagnol se porte rapidement sur Lagny. Au-dessus
de cette ville, située sur La marche des Espagnols avait été admirable ; la prudence de
Farnèse avait obtenu, sans compromettre son armée, le résultat qu'il
désirait. Pourquoi aurait-il cherché à se commettre à la lance et à l'arquebuse
avec la brave et dure chevalerie huguenote ? Le duc de Parme faisait une
pointe militaire pour débarrasser une ville, pour ravitailler une population.
La cité était délivrée ; l'abondance régnait dans Paris ; la multitude
sentait renaître son courage, parce que ses espérances n'avaient pas été
déçues, parce que les auxiliaires arrivaient à jour fixe, et qu'on pourrait
les invoquer encore. Que de témoignages de reconnaissance pour ces braves
seize quarteniers et les colonels qui seuls n'avaient pas désespéré de sauver
la tonne ville de Paris ! Le lendemain on vit arriver abondance de blé sur
les porta et Durant le blocus de Paris par Henri de Navarre, les chefs
populaires des halles et des métiers n'avaient ignoré aucune des menées du
parti négociateur auprès du roi des huguenots. Ce parti avait inondé la ville
de pamphlets laudatifs saluant l'hérétique du nom de Henri IV, l'avait béni
quand tout souffrait par ses armes, l'avait exalté pour quelques sacs de blé
que le Béarnais montrait, par ruse, pour surprendre Paris, quand la
population, broutait l'herbe des rues ; n'était-ce pas réveil donné à la
garde bourgeoise qui avait seul sauvé la glande ville de la trahison infâme ?
n'y avait-il pas des traîtres, et ces traîtres, quels étaient-ils ? si ce
n'est ces négociateurs tremblants, ces hommes de tous les partis, et qui
sollicitaient de tous des salaires et des récompenses ! Ainsi raisonnaient le
peuple de Paris, les prédicateurs, les quarteniers et colonels de la garde
bourgeoise ; et quand la ville eut été délivrée, après d'immenses efforts, ne
dut-il pas y avoir une réaction naturelle contre ce tiers-parti qu'on
accusait d'avoir vendu les liberté municipales, et avec elles l'image de Les seize quarteniers exprimaient ici l'opinion des
halles, des confréries, des métiers de Paris, qui se tournaient tous alors
vers l'Espagne comme vers le seul appui dans le mouvement catholique. Le
mariage de l'infante et de l'enfant de Guise était ridée qui souriait le plus
aux cités de la ligue ; n'était-ce pas réunir et concilier les affections de
famille et la ferveur religieuse ? le fils du grand duc de Guise mort pour la
cause du peuple, et là fille du roi catholique, le protecteur de l'union
municipale ! Mais pour cela il fallait délivrer la cité des traîtres vendus
au roi de Navarre, des politiques tièdes, des parlementaires négociateurs. Un
des membres du conseil des seize quarteniers nous a laissé le procès-verbal
des délibérations qui furent alors concertés pour se débarrasser des ennemis de
la fédération catholique : Le samedi 2 du mois de
novembre 1591, après disner, quelques bourgeois s'assemblèrent en la maison
du sieur Boursier, rue de La commission des Dix, véritable comité dictatorial, dut prendre une série de mesures de sûreté en rapport avec ses opinions et les besoins d'une crise si menaçante : elle confisqua les biens de tous ceux qui suivaient le parti huguenot ; la peine de mort fut appliquée à quiconque songerait à traiter avec Henri de Navarre ; ceux des membres du bureau de la ville qui n'étaient pas corps et biens dans ce mouvement populaire, furent remplacés ; car pouvait-on compter sur eux ? ne fallait-il pas s'emparer de leurs fortunes comme gage ? De par les prévost des marchands et eschevins, il est ordonné que les meubles des sieurs de Harlay, premier président, et d'Harmam, absent, tenant le parti contraire des catholiques, seront saisis. — Il est enjoint au premier huissier ou sergent royal sur ce requis, se transporter en la maison de la veuve de feu M. le président Séguier, entre les mains de laquelle il saisira et arrestera tous et chascun des biens, meubles, or, argent monnoyé et non monnoyé, bagues, joyaux, titres et papiers qu'elle a en sa possession. — Il est également ordonné que l'huissier Radot se transportera en l'hostel de M. de Ghiverny, chancelier, absent, et tenant le parti contraire, pour saisir et faire inventaire des meubles estant en ladicte maison, pour icelui fait, estre apporté par devere nous, pour en ordonner ce que de raison. Le parlement fut également invité à punir les traîtres qui correspondaient avec le conseil huguenot. Bientôt les chefs des halles dénoncèrent la trahison de ce parlement. Brisson s'était jeté dans la ligue, mais par peur ; on a rapporté la protestation qu'il avait écrite pour se bien maintenir avec le parti royaliste. Le peuple avait eu vent de sa conduite incertaine, timorée ; car ce peuple, qui ne pardonne pas, avait suivi toutes les actions du parlement. Il se prouva une circonstance qui parut confirmer les indices de cette trahison : un nommé Brigard, procureur de la ville, avait été accusé d'intelligence avec le Béarnais ; renvoyé devant le parlement, on instruisit son procès, et au bout de quelque temps, les chambres prononcèrent l'acquittement de l'accusé. L'irritation populaire fut à son comble ; absoudre un traître à la cité, à la religion catholique, n'était-ce pas le plus grand des crimes aux yeux de cette population qui avait combattu naguère avec désespoir pour le maintien de sa liberté et de sa foi ? Le conseil des Dix présenta requête au duc de Mayenne, afin d'obtenir la punition exemplaire du coupable. Après quelques hésitations, M. de Mayenne promit de faire faire justice ; mais cette promesse ne s'exécutait pas ; n'était-il pas plus simple d'attaquer le parlement lui-même ? Pelletier, curé de Saint-Jacques-la-Boucherie, s'écria de nouveau : Bons bourgeois, c'est assez connivé ; il ne faut pas espérer jamais avoir raison de la cour de parlement en justice ; c'est trop endurer ; il faut jouer des cordes à cette heure ! dans œ parlement il y a des traistres, il faut les chasser et jeter dans la rivière ! Le conseil des Dix connaissait toute l'indignation du peuple
contre tes magistrats. N'était-ce pas favoriser les traîtres que de proclamer
l'impunité de Brigard ? Non, non, ne craignons
point, nous avons de bons bras et de bonnes mains pour venger une injustice
si esvidente, faiste à la vue d'un chascun. — Le
mercredy 15 du mois, le conseil secret des Dix se tint le matin et soir chez
de Launoy, où se trouvèrent aussi Bussy, le curé de Saint-Cosme et autres ;
et, commee on dict, fut faict par Bussy le rapport de la response de Cette mesure contre le parlement était violente, énergique comme toutes celles qui émanent d'une autorité populaire ; l'exemple était sévère contre le parti négociateur ; les bourgeois eux-mêmes en furent effrayés, et c'est dans ce dessein de terreur qu'elle fut conçue. Le conseil des Dix s'apercevait que les opinions négociatrices et de tiers-parti faisaient des progrès ; il voulait les arrêter par un grand exemple. Et cet exemple fut donné ; l'effroi se mit dans les âmes modérées ; on ne parla plus de traiter. Toutes les autorités municipales, les quarteniers et colonels furent épurés, afin de correspondre aux sentiments du peuple ; le pouvoir tomba tout à fait de la classe bourgeoise aux halles. Là commence le gouvernement 4émocratique de la municipalité de Paris, sous la direction d'une commission populaire ; alors se développe une série de mesures de violences et de confiscations contre les timides, ce qui est le second acte des révolutions. Tout cela s'était passé en l'absence du duc de Mayenne, l'homme de la bourgeoisie, du parlement, de la révolution modérée ; il était alors en Flandre, où il avait suivi le duc de Parme afin d'appeler de nouveaux secours pour l'union. Mesdames de Montpensier et de Nemours, les riches bourgeois, lui écrivirent le triomphe complet des halles, événement grave qui présageait la chute entière du pouvoir de la maison de Guise, car le peuple se plaignait de ce que cette maison avait perdu son illustre et beau dévouement pour la cause catholique. La lettre était pressante, et le duc de Mayenne se hâta de se rendre à Paris dans le but de ressaisir le pouvoir. Dès l'origine de cette révolution municipale, on voit le duc de Mayenne inquiet sur les intentions et les volontés des habitants de Paris ; il écrivait à l'évêque de Plaisance, vice-légat du pape, influence immense sur les halles : Monsieur, vous m'obligerez de me faire entendre les plainctes que les Parisiens pensent avoir de moy, et je vous supplierai aussi de recevoir mes excuses ; je ferai tousjours profession de ce qui est d'un prince d'honneur. J'ai assez recognu le zèle et piété de ce bon peuple et l'affection particulière qu'il porte aux miens et à moy ; aussi ne peut-il douter que sa conservation ne me soit plus chère que la mienne propre. Le 20 juillet 1591, le duc de Mayenne s'expliquait d'une
manière plus nette à l'égard de la révolution municipale : Je ferai. Dieu aidant, en sorte que Paris ne souffrira
plus telles incommodités, et qu'on y pourra demeurer commodément en repos et
sûreté ; et si toutes choses ne me sont directement contraires, vous en
verrez bientost des effects. Je considère bien toutefois qu'il faut mettre un
bon ordre à Paris, et que ma présence y est requise ; c'est pourquoy j'ay
résolu de m'y rendre dans fort peu de jours, pour, avec vostre advis et des
gens de bien, estcibiir et pourvoir à tout pour le mieux. Jusques-là je ne
suis pas d'advis que Ton change rien aux affaires, et vous supplie d'y tenir
la main et d'opposer vostre auctorité aux passions de ceux qui ne cherchent
que la confusion. Dans cet intervalle, la ville s'était
démocratiquement organisée ; le parloir des bourgeois s'emplissait
incessamment d'un peuple d'ouvriers ; et là on délibérait en commun sur les
affaires de la ville. Bussy Leclerc exerçait la plénitude de toute autorité ;
nouveau tribun, il présidait à toutes les résolutions soudaines,
instinctives, qui caractérisent le gouvernement de la multitude. On appelait
chaque jour des mesures de proscription contre les traîtres. Rien de plus
implacable que les acticles sur lesquels le peuple de Paris exigea qu'il lût
hâtivement pourvu. Ils les présentèrent aux prévôt et échevins : Les catholiques demandent qu'il soit establi une chambre
ardente de douze personnages qualifiés et gradués, d'un président et d'un
substitut du procureur-général, et un greffier, qui soient notoirement de la
sainte-ligue, pour faire le procès aux hérétiques, traistres, leurs fauteurs
et adhérents, et qui seront nommés par le conseil des seize quarteniers de la
ville[8]. Qu'il soit establi un conseil de guerre en ceste ville
qui se tiendra pour le moins deux fois la semaine. Qu'aucune conférence ne
soit faicte avec les ennemis par aucune personne, de quelque qualité qu'elle
soit, sans l'advis dudit conseil de guerre. Qu'il soit eslu et choisi en
chascun quartier de la-dicte ville un homme capable, pour tous ensemble ouyr
les comptes des deniers qui ont esté levés extraordinairement en ceste ville,
et ce par un bref estat ; à laquelle audition il soit procédé sans
discontinuation. Que M. le gouverneur soit supplié se fier des bourgeois de
ceste ville comme ils se fient de luy, et qu'à ceste fin il n'ait autre garde
que la fidélité et amitié desdicts bourgeois. Mais ce gouvernement, qui s'agitait dans des mesures
extraordinaires, et demandait des proscriptions, des conseils de guerre, des
tribunaux et des chambres ardentes, n'avait pas pour lui les forces
militaires, ni le parti des riches, qui fournissait l'argent et les hommes de
bataille. Aussi le duc de Mayenne, à peine arrivé, osa un coup hardi : il
était appuyé par la classe bourgeoise ; une petite armée le suivait : sa
première manœuvre fut de s'emparer de Cette exécution rapide, militaire, des chefs, brisa le mouvement populaire de la municipalité de Paris ; le duc de Mayenne, l'homme de la bourgeoisie, profita de cet événement pour ressaisir le pouvoir. La plupart des quarteniers reçurent des successeurs pris dans des hommes modérés, tous catholiques, sans énergie. Une semblable direction fut donnée à l'hôtel-de-ville, qui s'organisa en rapport avec les idées et les intérêts de la bourgeoisie. Le pouvoir du parlement fut reconstitué. La commission des Dix fut dissoute, pour laisser pleine liberté aux autorités régulières du parlement et de l'association catholique. On déclarait enfin que les membres d, l'union n'avaient qu'un pouvoir provisoire et de transition, en attendant la convocation des états-généraux. Le triomphe du duc de Mayenne fut le commencement de la contre-révolution qui prépara le retour d'Henri IV. Dans un mouvement populaire, quand le parti modéré s'empare du gouvernement, on peut dire que la fin approche et qu'une restauration n'est pas loin. La multitude est violente, désordonnée, mais elle est énergique ; elle a du cœur, du courage, et se bat. Quand la bourgeoisie touche le pouvoir, son idée est l'ordre, la paix ; une autorité paisible peut seule la lui donner ; elle y court comme à un refuge dans la tempête. Le duc de Mayenne et les bourgeois parlementaires, maîtres de la ville de Paris, en avaient expulsé les âmes courageuses et dévouées. Dès lors tout s'empreignit de ce caractère de mollesse et de transaction politique. Dans la crainte de voir se renouveler le gouvernement des Dix, le duc de Mayenne imposa des serments à l'hôtel-de-ville, des engagements sévères de respect et d'obéissance envers l'autorité légitime instituée par le parlement ; car il fallait l'entourer d'une puissance morale qu'elle avait perdue. La formule du serment imposé à la bourgeoisie tendait à reconstituer fortement une autorité centrale, à ramener l'obéissance dam le peuple, à réorganiser la hiérarchie violemment dé, truite : Nous, bourgeois et habitans de la dixaine, jurons et promettons à Dieu, sur les saincts Évangiles, de vivre et mourir en l'union des catholiques ; desfendre et conserver nœtre saincte religion catholique, apostolique et romaine, et ceste ville en sûreté et repos sous l'auctorité de monseigneur le duc de Mayenne, lieutenant-général de l'estat royal et couronne de France. p Jamais mesure n'avait produit une si vive et si profonde impression : où voulait-on aller ? substituerait-on l'autorité d'un seul au vieil et bon pouvoir du peuple ? On conservait bien l'unité catholique ; mais à quelles mains confiait-on ses destinées ? aux traîtres du parlement, au duc de Mayenne, timide défenseur de la cause bourgeoise ! Allait-on prohiber les parloirs publics, peut-être même la prédication ? N'était-ce pas livrer la ville au Béarnais ! La majorité des habitants refusa de signer la nouvelle formule imposée, et le duc de Mayenne s'en plaignit : il écrivait aux prévôt des marchands et échevins de Paris : Messieurs ; ayant esté adverti qu'il y avait quelques capitaines qui n'ont faict le serment en la cour, à ceste occasion nous avons bien voulu advertir que nostre intention est qu'ils soient desmis et deschargés de leur charge, et qu'il soit pourvu présentement en leur lieu et place de personnes capables, gens de bien et affectionnés à ceste saincte cause et repos de la ville. Toutes ces démarches étaient si impopulaires, que le conseil des bourgeois fut obligé de prendre des pi'écautions militaires pour protéger le bureau de la ville, chaque jour insulté, parce qu'on le croyait vendu au duc de Mayenne. De par les prevost des marchands et eschevins de la ville de Paris, il est ordonné aux capitaines des trois compagnies des archers de ladicte ville, que du nombre d'archers qui entrent chaque jour en garde en l'hostel de la ville, il y en ait tousjours quatre qui accompagnent nous prevost des marchands, partout où nous irons, soit en nous retirant dudict hostel-de-ville, ou allant ailleurs, et tant que leur ordonnerons. Le conseil était donc perpétuellement menacé par le peuple ; et comment ne l'eût-il pas été, lorsqu'on savait la trahison des principaux membres du parlement et du conseil de ville, et leur alliance avec Henri de Navarre, le huguenot maudit ? Afin de détruire ces fâcheuses impressions, et d'empêcher surtout la dissolution de la ligue des cités, le conseil municipal épuré adressa une circulaire aux maires et échevins d'Orléans, Bourges, Poitiers, Amiens, Abbeville, Beauvais, Meaux, Sens, Auxerre, Dijon, Troyes, Reims, Riom et Pontoise, villes très dévouées à l'union. Messieurs, comme ces jours passés, il nous est au contraire advenu un malheur des plus grands et fascheux qu'il nous eust sçu arriver, ayant esté entrepris par quelques particuliers de faire mourir cruellement et contre toute forme de justice, par les mains du bourreau, feu .M. le président Brisson, seul président resté parmi nous, depuis ces troubles, et des premiers et plus doctes hommes de ce royaume, et MM. Larcher, conseiller en la cour, et Tardif, conseiller au Chastelet, ayant recherché des prétextes ordinaires de trahison descouverte ; et estant monseigneur de Mayenne adverti de ce qui s'estoit exécuté, a jugé qu'il devoit promptement y pourvoir, en sorte qu'un tel accident ne pust cy,près survenir ; ce qui luy aurait faict quitter son armée pour quelques jours et venir en personne par deçà pour en prendre cognoissance, et chastier jusques au nombre de quatre seulement, usant de sa douceur et clémence naturelle envers tous les autres ; ce que nous espérons devoir cy-après apporter un repos et tranquillité en ceste ville, ce dont nous vous avons bien voulu advertir, afin qu'à nostre exemple vous puissiez prévenir de tels malheurs, et establir si bel ordre parmi vous en vostre ville qu'un semblable accident ne vous puisse arriver. Peu de cités répondirent à ces explications. Le parti de la bourgeoisie n'avait plus qu'un faible ascendant sur le peuple ; la démocratie municipale formait les bases de la ligue. Partout on savait les trahisons et les bassesses des parlementaires. A quoi aboutissait ce nouvel ordre administratif institué à Paris, cette proscription de tout ce qui avait le cœur haut et la main ferme ? à l'inévitable transaction avec Henri IV. La bourgeoisie se séparait du peuple ; elle voulait avoir son gouvernement, gouvernement sans force, qui, tôt ou tard, devait passer aux gentilshommes batailleurs, sous leur roi Henri de Navarre. C'est une des conditions de la bourgeoisie de ne pouvoir jamais longtemps seule établir son gouvernement politique. Elle doit, par la force des choses, ou s'unir au peuple, qui est son origine, ou se jeter aux bras des hautes classes, qui la couvrent de leur éclat. Quand elle n'a voulu ni de la multitude, ni des gentilshommes, elle a fondé je ne sais quoi de faible et de honteux qui a duré tout juste le temps de tomber aux acclamations méprisantes de la foule. |
[1] Mss. Colbert, vol. 30, reg. en parchemin.
[2] Mss. Dupuy, vol. 245.
[3] 14 mai 1690. — Archives de Simancas, col. B, 64125.
[4] Registre de l'hôtel-de-ville, XII, fol. 589 vers.
[5] Registre de l'hôtel-de-ville, XIII, fol. 92.
[6] Philippe II ajoute de sa main : Pues yo he hecho mas que nadie pudiera pensar mi pedir.
[7] Archives de Simancas, cot. B 71124.
[8] Il y a ici une terrible ressemblance avec l'institution du tribunal révolutionnaire en 1793, et le comité de sûreté générale.