Joie du peuple après la délivrance du territoire. — Actes du roi. — Ses projets de confiscation. — Intervention de la judicature. — Arrêt du parlement contre Charles-Quint. — Guerre de Picardie et de Flandre. — Négociation simultanée de la reine Éléonor et de Marie d'Autriche. — Trêve de dix mois. — Campagne de Piémont. — Départ du roi et du Dauphin. — Projets de Soliman II et de François Ier sur l'Italie. — Inquiétude du pape. — Il envoie des légats à Paris. — Nouvelle démarche de la reine. — Le pape, l'empereur et le roi à Nice. — Conférences. — Propositions réciproques. — Impuissance de rapprochement. — Idée d'une trêve décennale. — Pacte. — Nouvelle entrevue de François Ier et de Charles-Quint à Aigues-Mortes. — L'empereur à Marseille.1537-1539. Après la vive émotion que les Parisiens avaient éprouvée à
l'approche de l'ennemi de Cet entraînement vers un joyeux festival se répandit du
nord au midi de François Ier fut celui des rois de France qui employa le plus souvent les parlementaires à ses desseins. Au moment où l'autorité judiciaire prenait un puissant ascendant dans toute sa jeunesse et sa force, le roi s'en servait comme d'un instrument docile et fort à la fois. Naguère pour refuser l'exécution du traité de Madrid, il avait fait intervenir le parlement, et ce pouvoir parut encore dans une solennelle procédure contre l'empereur Charles-Quint. D'après le vieux droit féodal, le roi, légitime suzerain, devait recevoir l'hommage des vassaux, et, au cas de couardise ou félonie, le fief était confisqué au profit de la couronne par le jugement des pairs. Or, il était reconnu que parmi les grands vassaux, le comte de Flandre tenait le premier rang. Pour cette comté de Flandre Charles-Quint, à son avènement, n'avait-il pas rendu foi et hommage au roi de France comme vassal ? Il est vrai que dans le traité de Madrid le roi avait pleinement renoncé à ses vieux droits de suzeraineté sur le comté de Flandre et de l'Artois ; mais, je le répète, pour les jurisconsultes, le traité de Madrid n'était pas valable, parce qu'il était fait sine libertate, le roi étant captif. La juridiction du parlement étant ainsi assurée avec la
suzeraineté du roi, il n'y avait plus d'autre contestation que sur la
question de savoir si le vassal, comte de Flandre, c'est-à-dire
Charles-Quint, avait commis le cas de félonie de manière à autoriser la
saisie du fief selon la coutume. Dans la position réciproque de l'empereur et
du roi, lorsqu'il y avait guerre nécessaire et continue, est-ce qu'on pouvait
considérer comme rébellion du vassal au suzerain un système de guerre
légitime entre deux princes indépendants ? Telle fut pourtant la théorie du
parlement de Paris, jugeant en vertu du droit féodal. Le 10 décembre 1537, le
roi s'y rendit, accompagné des princes et des officiers de la couronne ;
quarante-huit évêques assistaient au plaid royal, car tous les ordres de
l'État devaient trouver là leur représentation, sorte de cour plénière
appelée à prononcer sur le cas de félonie. Un avocat du roi, du nom de
Cappel, vieux procureur, fit un long discours à l'assemblée, pour prouver que Charles V, empereur, comte de Flandre, d'Artois et de
Charolois, et autres seigneuries dépendantes de la couronne, usurpateur,
avoit commis cliver s, détestables et exécrables crimes, contre le roi, son
prince naturel et son souverain seigneur, lesquels étant aussi manifestes à
la chrétienté que funestes à Quand cette harangue fut terminée, au grand contentement de tous, le parlement rendit une première sentence, ordonnant que l'empereur Charles V, comte de Flandre, d'Artois et de Charolois, seroit cité et sonné à son de trompe, sur les frontières de ses seigneuries et terres, à ce qu'il eût à comparoitre, sinon en sa propre personne, au moins par celle d'un ou de plusieurs ambassadeurs ou députés, tels qu'il jugeroit à propos, avec toute l'autorité et plein pouvoir nécessaire, et avec les instructions convenables pour se défendre sur tout ce qui avoit été représenté contre lui dans la cour du parlement de Paris ; et que pour mieux faciliter cette comparution, Sa Majesté donneroit tous les passeports et saufs-conduits nécessaires à ceux qui seroient nommés par l'empereur pour venir faire cette fonction, et répondre aux accusations intentées : avec la parole royale de plus, qu'après avoir fait les affaires, et défendu les intérêts de l'empereur leur maître, ils pourroient s'en retourner auprès de lui avec une pleine et entière liberté[3]. C'était une forme singulière et certainement en dehors de toutes les prévisions possibles que cet arrêt qui mandait Charles-Quint à la barre de la cour, comme le dernier des clients. Mais la coutume des parlementaires était d'empêcher les grandes choses parles petits moyens ; ce qui, plus d'une fois, servit merveilleusement les desseins de politique et d'ambition de François Ier. Le parlement suivit cette procédure jusqu'au bout ; des hérauts d'armes furent envoyés pour sommer ledit empereur Charles-Quint à comparaître devant la cour de judicature : voyez-vous un génie aussi immense, l'empereur, qui avait tenu le pape captif et commandait aux deux mondes, cet empereur, cité par maître Jacques Cappel, devant quelques parlementaires séant à Paris ! Ces formules étaient bonnes pour parler au populaire, si admirateur du parlement ; et, après deux sommations, comme l'empereur ne parut pas, un arrêt, le déclarant traître et félon, confisqua les comtés de Flandre, d'Artois et de Charolais[4], comme l'héritage des ducs de Bourgogne. Cette sentence fut proclamée à son de trompe dans les rues et carrefours de Paris ; la découverte du droit romain avait donné une grande puissance aux formules, et l'esprit parlementaire alors dominait. Dans le fait il s'agissait moins de batailles et de
procédures que de conquêtes. Tout devait se décider dans cette lice en champ
clos, ouverte entre les armées de France et de Flandre, autour d'Hesdin, de
Péronne, dans l'Artois et l'Amiénois. Après l'arrêt solennel, le roi de sa
personne alla commander l'armée sur les frontières de Dans Pour cette terre d'Italie, François Ier avait des
engagements d'une nature spéciale qui tenaient à son honneur de prince et à
la satisfaction de ses intérêts. Tandis que Soliman faisait envahir Cette pensée vient encore de Rome : tous les princes
chrétiens ont eu des revers et des succès ; si Charles-Quint a été forcé
d'évacuer Dans cette misère générale, il n'y a plus qu'une puissance
qui grandit, celle des Turcs ; ils s'avancent avec des myriades d'hommes par Paul III, pontife à concession, ne résiste plus devant la pensée de convoquer un concile, selon le désir de l'empereur et contre son opinion personnelle. Maintenant il députe vers les deux souverains ses cardinaux légats pour les apaiser ; le pape propose une entrevue : le temps et le lieu seront à la disposition des souverains ; lui-même s'y rendra comme un intermédiaire bienveillant, un loyal et sincère partisan de la paix ; vieillard, il quittera Rome, un bâton blanc à la main, pour concilier deux princes colères, et qui ont, pour ainsi dire, toujours l'épée au poing. Déjà il s'était tenu une espèce de congrès dans la petite ville de Leucate[9], sur les frontières du Languedoc et du Roussillon : là s'étaient réunis le chancelier Granvelle, l'homme de confiance de Charles-Quint, don Francisco de Los Cobos, commandeur de Léon, et pour qu'il y eût égalité dans les rangs et dans les capacités politiques, le roi confia ses pouvoirs au cardinal de Lorraine et au connétable de Montmorency ; le duc de Savoie y eut également ses députés ; la guerre s'était concentrée dans ses domaines et les questions se rattachaient à son héritage. Le cardinal de Lorraine exposa les vieilles conditions de François Ier ; et la plus impérative, l'investiture du Milanais. Les difficultés qu'avait opposées Charles-Quint n'existaient plus ; Henri, l'époux de Catherine de Médicis, était devenu Dauphin ; le nouveau prince pour lequel l'investiture était demandée n'était plus lié à l'Italie ; c'était le duc d'Angoulême, alors duc d'Orléans, jeune homme encore sans épousailles. Les conditions posées par le chancelier Granvelle au nom
de Charles-Quint furent non moins impératives : confirmation
définitive sans arrière-pensée des traités de Madrid et de Cambrai ;
convocation de concile ; guerre immédiatement déclarée contre le Turc ;
renonciation à toutes les ligues faites avec les princes d'Allemagne ;
restitution au duc de Savoie de son héritage. A ces conditions
l'empereur s'engageait à donner l'investiture du Milanais au duc d'Orléans, à
la condition expresse que le jeune prince élevé auprès de l'empereur
épouserait une de ses filles, et alors seulement l'investiture aurait lieu
par la majesté impériale. Le cardinal de Lorraine répliqua : Que déjà les traités de Madrid et de Cambrai étaient
modifiés sur plusieurs points et qu'on pourrait les changer encore en vertu
de la médiation du pape. Quant au concile, le roi en sentait la nécessité
aussi bien que l'empereur, pourquoi dès lors en faire une condition du traité
? Nulle explication sur la guerre avec les Turcs ; le roi s'en rapportait
encore au pape et aux Vénitiens. Point de réponse non plus en ce qui touchait
les ligues avec les princes protestants, car la paix embrasserait
nécessairement les intérêts de tous ces princes dans un commun traité.
Au fond, dans le congrès, nul n'avait le désir sincère de terminer les
hostilités par un traité définitif. Il résulte de la correspondance des légats avec le
saint-père qu'il n'y avait que l'intervention personnelle du souverain
pontife, médiateur nécessaire, qui pût aboutir à l'œuvre de la paix. Jamais
simples plénipotentiaires n'arriveraient au dessein absolu d'un traité
pacifique ; il fallait pour cela que les rois se vissent de leur personne, et
que le pape lui-même leur tendît les mains pour les presser les unes dans les
autres ; car avec tous ces chanceliers, ces hommes de lois ou ces hommes de
batailles, il n'y avait pas moyen d'arriver à un grand dessein de paix ; on
se perdait en chicane, en retards indéfinis. Ce fut sur l'avis de ses légats
que le pape se décida à solliciter lui-même une entrevue personnelle de Charles-Quint
avec François Ier[10]. Dans quels
lieux s'accompliraient ces grandes conférences, en Italie, en France, en
Espagne ou à Rome même ? De son propre chef, le pape désigna Villefranche ou
Nice, seules villes qui restaient encore aux mains du duc de Savoie, C'était
presque un lieu neutre ; l'empereur pouvait s'y rendre aisément de Barcelone,
le roi aussi facilement de Marseille que le souverain pontife de Gênes. Paul
III ne dissimula pas l'objet de ce petit congrès : il ne quittait Rome que
dans un but purement chrétien, la convocation du concile et l'union des deux
princes dans une guerre sainte contre le Turc, résolution assez importante
pour motiver son absence de la ville éternelle. Le pape partit donc
accompagné du sacré collège sur une galère qui côtoya Avec le souverain pontife, deux princesses, toujours
mêlées aux questions de paix, Éléonor, la sœur de l'empereur, la femme de
François Ier, et Marie, reine de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, furent
les intermédiaires encore pour amener ce que les vieilles chroniques
appellent l'embouchement de notre saint-père le pape, l'empereur et le roi[11]. Le sixième jour
de mai, le pape bénit Nice, et se logea hors la ville, au couvent des frères
mineurs ; deux journées avant, Charles-Quint était arrivé à Villefranche avec
vingt-huit galères et trois fortes nefs ; il alla visiter presque
immédiatement le pape dans une petite maison située sur la mer, couverte
d'oliviers. François Ier aussi vint faire son obédience au saint-père dans
une autre petite ville qu'il avait fait couvrir de fleurs à l'antique et de tapisseries
belles et riches. Au-devant du roi marchoient en
ordonnance les six mille lansquenets du comte Guillaume, et se rangèrent en
bataille derrière ladicte maison. Sur la montaigne estaient mille
légionnaires provenceaulx ; puis marchoient en trouppe les deux cents
gentilshommes de la maison du roy ; puis les princes et seigneurs, ducs,
comtes et barons, et finablement le roy avec la garde de son corps.
Messeigneurs les cardinaulx qui estaient en la susdicte maison avec le pape,
advertiz que le roi s'approchoit, vindrent au devant de luy, montez sur leurs
mules et encappéz. Lesquels tous le roy embrassa, et deux de messieurs les
révérendissimes, c'est assavoir Cibo et Cesarin, le conduirent dans ladicte
maison, où il fist l'obédience au pape, lequel ne permist qu'il luy baisast
les pieds, mais l'accolla honorifiquement. Et après les cérémonies, présenta
messeigneurs ses enfans au pape, et le pape pareillement luy fist présenter
ses deux nepveux, petitz cardinaulx. Cependant l'on buvoit frais, tant aux
dépens du pape que des cardinaulx de France, qui tenoient maison ouverte à
tous venantz. On rivalisait ainsi de munificence et de générosité. Il fut remarqué cependant que ni le roi ni l'empereur n'allèrent se visiter ; tout se faisait par l'intermédiaire des cardinaux et du pape : craignaient-ils encore de se voir avant de s'être entendus sur les conditions expresses de la paix ? Le vieux récit dit qu'on ne voyait que ambassade aller vers le pape vers l'empereur, puis au roy ; galères troter, artillerie sonner, se accoller, festoyer, carrosser l'ung l'autre, l'Espaignol, le François, l'Italien. L'empereur parlementa de rechef avec le pape ; aussi fist le roy, en une maison qui estait plus près de Sainct-Laurens que la susdicte. Les habitante de la ville de Nice faisaient gros guet, tant par la ville que aux portes et sur les murailles, et n'y avoit que deux portes ouvertes, l'une pour entrer, l'autre pour sortir. Les fêtes furent magnifiques, la splendeur immense. La royne et mesdames visitèrent le pape au couvent des frères mineurs, puis visitèrent l'empereur, excepté la royne de Navarre, où furent très bien recueillies. Ledict empereur avoit fait faire ung pont dans la mer, pour descendre des galères sans entrer en esquif ; mais, pour la multitude du monde qui estoit dessus, il rompit, et tombèrent en l'eau, non seulement les dames, mais aussi l'empereur, le duc de Savoie et le duc de Mantoue, et les seigneurs espagnols qui estoient allez pour les recevoir. Là eussiez veu les gentilshommes, qui avoient plus grand désir de servir aux dames, se jecter en mer, les porter en l'air, et tirer hors de l'eau ; à la vérité il y en eut de bien baignées, je dis jusques au dessus de la ceincture. Après que les dames furent au logis de l'empereur, soubdainement eurent chemises chaulses et austres vestements à changer de sorte qu'il n'y paressoit rien que ung refreschissement, allégresse et contentement des gentilshommes. Bien vray est que celles qui n'avoient baigné que le petit orteil se mocquoient de celles qui estaient plus baignées. Ainsi partout où noblesse se trouvait, il y avait jeu, rires, ébastement. Cependant la négociation sérieuse n'avançait pas ; chacun
des acteurs principaux de la grande scène diplomatique restait avec ses
prétentions, ses volontés d'obtenir les clauses principales écrites dans les
notes communiquées par le chancelier Granvelle et le cardinal de Lorraine.
Comme tout cela se changeait en discussions indéfinies, le pape, si préoccupé
d'amener au moins une suspension dans cette sanglante lutte, proposa, comme
dernier parti, une trêve de dix ans[12]. Cette période
de dix ans déjà considérable, n'était pour ainsi dire que la continuation des
suspensions d'armes conclues en Flandre et en Piémont. Pour rendre ce système
complet, on y fit adhérer le duc de Savoie, avec d'autant plus de peine que
c'est sur lui que le résultat de la trêve allait tomber, car, par la
stipulation, toutes les choses restaient en leur état ; et comme Le vieux chroniqueur ajoute qu'après que les articles de
la trêve furent accordés : la royne et dames
retournèrent visiter l'empereur, la veille de la feste du corps de Dieu, et y
demeurèrent ung jour entier, où elles furent festoyées excellemment, tant de
l'empereur que des gentilzhommes, lesquelz se travailloient à qui mieux les
entretiendroit. Je laisse aux poètes de ce temps, qui n'ont aultre chose à
faire, à descripre les festins, les banquetz et les présentz qui furent faitz
là. Tous les gentilzhommes françoys furent bien recueilliz de la part de
l'empereur, et surtout ils beuvoient fraiz à belle glace et neige, qui ne
coutoit que six escuz la charge de mulet. Autant en faisoit-on aux
gentilzhommes espaignolz, en la maison du roi à Villeneufve, et n'estoit
refusée la porte à personne. Le jour du corps de Dieu, au soir, le pape monta
en la galère du comte de Tande pour s'en retourner en Italie, et avoit grand
mondé à le veoir partir, mesmement des femmes qui ne se estoient encore monstrées.
Et ce bon vieillard de pape faisoit souvent mettre à terre sa chaire, afin
que chacun puisse baiser sa pantoufle, et ne cessoit de bailler bénédictions,
tant en allant à la mer que dans l'esquif et dans la galère estant en pouppe,
regardant tout le monde, dont chacun s'esbahissoit de la peine qu'il prenoit
à lever si souvent le bras. Les haultzboys sonnoient, les trompettes, les
cornetz, et d'autre costé l'artillerie des galères, de la ville de Nice et du
chasteau, tellement qu'eussiez dit que c'étoit enfer et paradiz ensemble. En
passant par devint Villefranche, l'empereur sortit avec ses galères et l'accompagné
pour lui faire honneur. Ainsi s'en retourna ; adieu, nostre sainct père. On remarqua que pendant ces conférences Charles-Quint et François Ier ne s'étaient point personnellement visités ; et lorsque la trêve eut été signée, on continua un système de méfiance, à ce point, que des voiles blanches ayant paru lointainement, les serviteurs de Charles-Quint s'imaginèrent que c'étaient les galères de Barberousse, qui, prévenues par François Ier, arrivaient pour s'emparer de l'empereur. C'était sans doute une fausse crainte, mais elle témoignait de quels soupçons l'un et l'autre étaient préoccupés ! Tout se fit par la reine Éléonor[13], et les communications eurent lieu par des gentilshommes. Cependant le hasard plus fort que les volontés de l'homme, amena cette entrevue royale devant laquelle les deux princes avaient tant hésité. A peine Charles-Quint était-il en mer, qu'une tempête furieuse éclata sur sa route d'Espagne ; quoiqu'il fût escorté par André Doria, intrépide marin, l'empereur fut obligé de prendre terre dans l'île Sainte-Marguerite sur les côtes de Provence. François Ier alors à Marseille, qu'il allait visiter pour la remercier de sa belle défense, députa un de ses plus fidèles serviteurs auprès de Charles-Quint pour l'inviter à chercher un lieu plus commode que l'île Sainte-Marguerite : le port de Marseille si bien abrité lui était offert, son pavillon serait respecté comme celui du roi même. Charles-Quint n'accepta qu'à demi avec une politesse exquise[14], invoquant le temps qui le pressait de se rendre en Espagne, et il se remit en mer. Mais le terrible mistral souffle encore, l'empereur est obligé de chercher refuge à Aigues-Mortes, le port où Saint Louis s'embarqua pour la croisade. A cette nouvelle, François Ier prend une petite barque, et sans s'arrêter devant le péril, il se rend à Aigues-Mortes, monte en toute hâte sur les galères de l'empereur, et lui dit ces paroles : Vous le voyez, je suis encore votre prisonnier. Charles-Quint toujours d'une courtoisie extrême, l'embrassa avec tendresse. Sur cette étrange entrevue d'Aigues-Mortes, il existe une lettre justificative de François Ier, adressée au seigneur Pomponio qui commandait à Lyon : Seigneur Pomponio, vous sçavez la trefve et abstinence de guerre qui a puis naguère esté faicte, conclue et arrestée entre l'empereur et moy et noz royaulmes, païs, terres, seigneuries et subjectz pour dix ans. Et depuis, estans party de Nice, nostre sainct père le pape, pour s'en retourner à Romme, et le dict seigneur empereur avec luy, pour raccompagner jusqu'à Gennes, icelluy empereur me fist sçavoir, par la bouche de son ambassadeur résident auprès de moy, qu'il désiroit singulièrement me veoir à son tour, chose qui a sorty en effect ; car je vous advertis que le dit seigneur empereur avec ses gallères, accompaigné de vingt et une des miennes, arriva dimenche dernier, environ trois heures après midy, auprès de ma ville d'Aigues-Mortes, où j'estais lors ; et le jour mesmee je l'allay veoir de dans sa gallère, et le lendemain le dit seigneur s'eu vint distier avec moy au dict Aigues-Mortes, duquel lieu il ne bougea ledit jour avec sa compagnie, ne semblablement le mardy jusques à cinq heures après midy qu'il partit pour s'en aller embarquer en sa dicte gallère, où je l'accompagné avec mes enfans. Vous advisant que, durant que nous avons esté ensemble, il n'a jamais esté question que de faire bonne chère et de tenir entre nous les plus meilleurs et honnestes propos d'amitié qu'il a esté possible de tenir, de sorte que nous nous sommes départis ensemble avec tout aide et contentement. Et vous puis dire et affirmer que oncques princes ne furent plus contens l'ung de l'autre que nous sommes. Et fait bien mon compté que, par les effects qu'il s'en suyvront si après de ceste nostre entrevue, l'on pourra dire et l'on devra estimer que les affaires du dict seigneur empereur et les miennes ne seront plus qu'une mesme chose. Et pourtant est convenable et raisonnable que de ces tant bonnes et heureuses nouvelles, et dont l'on doit espérer tant de bien et repos, et establissement en la chrestienté, soient renduez louanges à Dieu, nostre créateur, qui de sa plus ample grâce a voulu et daigné opérer la conclusion de la dicte trefve pour dix ans ; et pour plus grande assurance, probation et confirmation d'icelle, conduire ung tel œuvre que cesluy-ci. A ceste cause, je vous prie que pour ce faict veuillez donner ordre en ma ville de Lyon, et soient faictes processions généralles et particulières, et feu de joie. Et que le peuple se mette en bon estat, après avoir faict prières et oraisons à nostre dist créateur, offrir qu'il luy plaise continuer envers nous et noz royaulmes et subjects, et générallement envers la diste chrestienté, grâces et bienfaictz. En quoy faisant vous me ferez service très-agréable[15]. Après cet acte de courtoise confiance, Charles-Quint
n'hésita plus, et la visite que François Ier lui avait faite à Aigues-Mortes,
il la rendit lui-même au roi à Marseille. Les registres de la vieille cité
des Phocéens ont raconté les fêtes que le peuple de Marseille donna aux deux
princes réunis : et les citoyens et les dames mirent un grand prix à déployer
tout le faste de repas municipaux et de régals splendides. Depuis la place de
Linche jusqu'aux Moulins il y eut des illuminations, des feux de joie : les
beaux poissons de |
[1] Février 1539. Le roy en considération des pertes intérêts et dommages soufferts, portez et soutenuz par Anthoine de Glaudesves, seigneur de Pourières, en Provence, à la descente et venue de l'empereur au dit pays, tant pour le gast qui luy fut faict de certaine quantité de bled, vins, foings et autres vivres que pour le bruslement de sa maizon et ravissement de ses meubles, luy a donné et octroyé tous et chascuns les lots et ventes, et autres droits et devoirs seigneuriaux pour le retraict, rachapt et première vantation qui sera faicte de la terre et seigneurie de Luc, assise au d. pays de Provence, cy devant vendue par le seigneur de Soullières. (Extrait des comptes de François Ier. — Archives du royaume.)
[2] Registre du parlement, ad ann. 1537.
[3] Registre du parlement, ad ann. 1536.
[4] Arrêt du 20 janvier 1536-7. (Reg. du parl.)
[5]
Marie, troisième fille de Philippe le Beau et de Jeanne
[6] Trêve de 10 mois entre le roi de France et l'empereur. 30 juillet 1537. — Mss. de Béthune, vol. cot. 8587, fol. 459, Bibl. Roy.
Le pénultième jour de juillet
1537 au lieu de Bomy tresve et abstinence de guerre et cessation d'armée a esté
convenue et accordée entre le royaume de France, et les Pays d'en Bas de
l'empereur, vassaulx, subgectz et habitants eniceulx, tant par terre que par
mer et eaues doulces, pour le temps et termes de dix moys, à comancer du d.
jour, pendant laquelle Iresve, toutes hostilités et exploits de guerre
cesseront.
Sera le siège de Therouenne
entièrement levé et osté, et se retireront dedans deux jours les armées d'une
part et d'autre, sans que les d. soldats d'icelles puissent estre receus d'une
armée en l'autre.
Le roy pendant la d. tresve et
abstinence de guerre ne mettra aucunes gens de guerre, ne fera fortification au
comté de St. Pol en quelque manière que ce soit, et néantmoins y sera la
justice administrée comme il appartiendra.
Les subjectz d'une part et
d'autre pourront aller et venir franchement et seurement, es lieu et villes de
l'obéissance des d. srs. et y mettre ce que bon leur semblera ; pourveu que ce ne
soit pas forme de guerre.
Baillera le d. seigneur roy sauf conduit a ung gentilhomme ou deux nommés par la reyne de Hongrie, pour aller par le royaume devers l'empereur pour le faict et traicté de la paix, dedans quatre jours ou plustot si faire se peult.
[7] Déjà les habitants de Turin se considèrent sous la légitime domination du roi de France :
Lettre des syndics et citoyens de Turin au roi. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, vol. cot. 8587, fol. 155.
Sire, nous avons escript par les autres du vingt cinq de ce moys des inconvénients que doubtions advenir en ceste cité par faulte d'aulcuns maulvais souldars, la nuyt passée quasi notre prophétie s'est accomplie. Toutteffois les ennemys qui desjà avoient gaigné ung b asti lion par spéciale gré de Dieu et vertu de monseigneur le gouverneur, ont été reppousez à leur grant dommaige. Et affin que tel inconvénient ou plus grant ne advienne une aultre foys vous supplions très humblement d'y fère pourveoir de bonne heure sur le tout, et mesmement sur la police des gens de guerre affin que les citoyens prennent cueur de demeurer en la ville. Et aussi à la réparation des forteresses tant de la d. ville comme du château. Touchant les affares des citoyens, votre majesté ne doubte point car nous avons délibéré de vivre et mourir à la subjection et service d'icelle pour laquelle prieront tousjours le benoist créateur, que par sa grâce vous doint en santé et prospérité très bonne vie et longue et victoire de ses ennemys. De Thurin, ce 28e jour de juillet 1537.
Vos très humbles et très obéissants subjets et serviteurs les syndics et citoyens de Thurin.
[8]
La trêve de juillet 1537 fut étendue en Piémont et prolongée de trois mois. Lettre
de Marie, reine de Hongrie, à M. de
Monsieur de
[9] Voyez Congrez pour la paix à Locatte. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, vol. cot. 8535, fol. 67.
Lettre de François Ier au cardinal de Tournon et au grand maître. — Bibl. Roy., Mss. de Béthune, vol. cot. 8581, fol. 1.
Messieurs, j'ay entendu entièrement tout ce que m'avez mandé par Bochetet et par cela sceu le langaige que vous ont tenu les députés de l'empereur, à la dernière assemblée de vous et d'eulx, et au regard du temps et terme qu'ils demandent qui est de troys ans tant pour me rendre et restituer Testât de Millan, que pour faire la consommation du mariage que vous savez. C'est choses que je ne veulx aucunement accorder, ni pareillement l'ayde contre le Turcq (ni la cellebracion du concile durant le dit terme) ; et pour ce vous adviserez et essayerez par tous les moyens à vous possible d'arrester avec iceulx députez les points que je vous ay dernièrement mandez. Si faire se peut, et entre autres choses de venir à ceste conclusion, que nous puissions demourer icelui empereur et moy, comme nous sommes, et que chacun tiengne ce qu'il tient come vous leur avez déjà offert, et si vous ne pouvez venir à ce point là, entendez messieurs, que je suis contant de faire une tresve pour dix ans pour le moins, durant laquelle chacun joyra de ce qu'il tient, comme nous faisons de ceste heure, etc. Escript à Montpellier le 9e jour de décembre 1537.
[10]
Lettre de François Ier et à M. de
Mon cousin pour ce que je ne veoy pas encore bien clairement ce qu'il pourra à la fin résulter du faict de ceste entrevue qui se doict faire de nostre sainct père le pape, de l'empereur et de moy et que le mieulx que l'on puisse faire, cependant c'est de pourveoir et donner ordre aux choses plus requises et nécessaires, affin de rompre et divertir tous les desseings et entreprises que l'ennemy sçauroit faire à l'issue de la tresve, au cas qu'il n'y eust une paix, à ceste cause, je vous prie mon cousin que vous veuillez continuer à faire faire la plus grande et extrême dilligence qu'il sera possible au faict de la fortificacion et réparacion de Guyse et pareillement des autres villes et places de ma frontière de Picardie, sans en cela perdre une seulle heure de temps, et au surplus donnez aussi ordre de faire retirer dedans le plus grand nombre de vivres que vous pourrez et ne faillez surtout à me faire sçavoir Tordre et provision que vous aurez donné, à ce que je vous escript, et vous me ferez merveilleusement grant plaisir, priant Dieu, mon cousin, etc. Escript à Cremyeu le 9e jour d'avril 1537 (1538). Signé : François.
[11] Il existe une pièce imprimée, d'une extrême rareté, intitulée : l'Embouchement de nostre sainct père le pape, l'empereur et le roy, faict à Nice, etc., MDXXXVIII. On le vend à Paris, en la bouticque de Arnould et Charles les Angeliers, frères, devant la chapelle de messieurs les présidens, au Palays.
[12] Trêve de dix ans entre l'empereur et François Ier. — 18 juin 1538. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, n° 8490, f° 42.
Au nom de Dieu le créateur,
soit notoire à tous comme notre st. père le pape, considérant depuys son
advénement en. son siège en quel dangier estoit la crestienté à cause des
différends et discussions étans entre les princes d'icelle, ayt par plusieurs
fois escrit et envoyé ses nonces et légats par devers l'empereur et le roy très
chrestien pour estre ceux dont dépend principalement le repos de la
chrestienté, afin de faire une bonne paix entre eulx et voyant qu'elle n'avoit
encores peu venir à exécution, il ayt prit la peine sans avoir esgard à son vieil
âge ni au dangier que les changements de région peuvent causer, ni autres
incommodités, de venir en ceste comté de Nice, et aussy ont faict en sa semonce
et prière les d. empereur et roy, ou après plusieurs propos et assemblées eues
sur le fait de la paix pour aucunes importances et difficultés n'a été possible
conclurre la d. paix et que de là prolongée absence de sa saincteté de la cour
de Rome et des d. princes de leurs pais s'en pourraient ensuyr plusieurs
inconvénients et davantage, que ceste région de Nice, à cause qu'elle est
estroite, sterille et lieu mal sain, pourraient advenir beaucoup de dangiers a
sa d. sainteté, laquelle a conclud avec les deux princes retourner à Rome où
ils envoleront vers sa béatitude, leurs ministres avec ample pouvoir pour
continuer le traité de la paix, et afin que cependant il ne puisse entrevenir
chose qui pust aliéner la volonté d'iceulx princes, de traicter de la d. paix,
sa sainteté a moyenne entre les d. deux princes, la tresve dont la teneur
s'ensuyt.
L'an de notre seigneur
Jésus-Christ aucteur de toutes paix et concordes courant mil cinq cens trente
huit le 18 e jour de juing, feste de Ste-Marine.
Premièrement que bonne, seure, vraye, ferme et loyale tresve, estat et abstinence de guerre et cessation d'armes est faicte conclue et arrestée et passée entre les d. empereur et roy par terre et par eaues, et ce pour le temps et terme de dix ans a commancer aujourd'huy, datte des présentes, etc.
Sitôt la trêve conclue François Ier écrit à M. de
Mon cousin, je vous ay escript
et faict entendre la conclusion de la tresve pour dix ans faicte et arrestée
entre l'empereur et moy en nos royaumes, et depuis vous a esté envoyé par mon
cousin le connestable, la substance d'icelle tresve pour la faire publier tant
en mon pays de Picardye que pareillement en votre gouvernement de l'Isle de
France.
Au demeurant, mon cousin je vous advertis que j'ay ces jours passés receu les lettres que vous m'avez escriptes touchant le faict des fortifications et réparations de mes villes et places de mond. pays de Picardye et depuis j'ay receu votre lettre par laquelle ay entendu de rechef ce que m'avez escrit faisant encores mention de cest affairé et de la peine en quoi vous avez esté et étiez lors au moyen de ce que la partie des 45.000 liv. que j'avais par cy devant ordonnez pour le faict des dittes fortifications et réparations n'a esté fournys, dont il me deplait, et d'aultant que je veulx et entends que les d. fortifications se continuent et parachèvent et principalement celles de Guise. Je y donnerai si bon ordre que vous n'en aurez point de faulte, car entandez mon cousin, que je ne suis pas délibéré de laisser la d. plafce de Guise quelle ne soit du tout parachevée de fortifier, car je scay de quelle importance tot conséquance elle est. Escript à Vauvert, près Aigues-Mortes le 8e jour de juillet 1538. François.
[13] Lettre autographe de l'empereur à François Ier. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, vol. cot. 8487, f° 92.
Mons. mon bon frère vous povez
croire que j'ay eu très grant plaisir de la venue en ce cousté de la reyne très
chrestienne, madame ma très chère sœur et aussi de la compagnie sy bonne quelle
y a amenée et eust bien désiré que la demeure fust esté plus longue, mais je ne
l'ay peu obtenir de ma d. sœur pour le grant désir qu'elle a de vous retourner
veoir. Et ne me samble besoin vous faire longue lettre pour mayntenant
puisqu'elle vous pourra dire nos devysés et ay seullement baillés ces deux mos
pour vous faire mes très afectueuses recommandations de celluy qui est et sera
pour toujours.
Vostre bon frère, cousin et parfait amy. Charles.
[14]
Lettres autographes de Charles-Quint à François Ier. — Bibl. Roy., Mss. de
Mons. mon bon frère, je ne vous sçauroys assez vous mercier l'affection que continuellement vous démonstrés à notre entreveue et les très honnestes propos que m'en ont dit de votre part le s. de Vely et mon ambassadeur, ensemble vos plus que fraternelles offres desquelles je useray selon que le chemin s'adonnera et la courtoysie le requiert, toutes lesquelles choses feront avancer d'aller au lieu ou j'espère aurons le contantement d'estre ensemble que tous deux desyrons, et me remetant alors de vous en bailler plus de témoignage. Il m'a samblé cependant convenyr de prestement renvoyer les dessus d. pour vous déclarer ce que j'ay advisé avec eulx touchant la d. entrevue et le temps que vraysemblablement je pouray tandre au chemyn et sçavoir quant y pourrez estre que sera jamays sytost que voudroys. Votre bon frère cousin et alyé. Charles.
Mon si mon bon frère, j'ay par le bailly Rebertet entendu ce que luy avez ordonné et aussy veu par les lettres que la reyne votre femme et ma meilleure sœur m'a monstre la diligence qui se faict de tenir ce qui est traicté de quoy vous asseure que de mon cousté ni aura faulte. Ce m'est peyne estre si près de vous et avoir tant tardé à vous veoir sans nulle faute, aydant Dieu, partiray lundy prochain et le mardy ensuivant vous verray et lors et tousjours congnoisterés que a jamés me trouvères votre bon frère et amy. Charles.
[15]
A Nymes ce 18e de juillet 1538. — Reg. de l'hôtel de ville de Paris, 18 juillet
1538. — Bibl. du Roi, Mss. de Colbert, vol. 252, in-fol., p. 97. — Voyez aussi
une lettre de François Ier à M. de