FRANÇOIS Ier ET LA RENAISSANCE. 1515-1547

TOME TROISIÈME

CHAPITRE IX. — UNIVERSALITÉ DU SYSTÈME DE CHARLES-QUINT.

 

 

Pensée générale de l'empereur sur ses États. — Organisation de l'Espagne. — Correspondance avec Isabelle. — Dévouement de l'Espagne. — Le nouveau monde. — Système de l'empereur par rapport à l'Italie. — Couronnement de Bologne. — Pacification. — Restauration des Sforza. — Des Médicis. — Protection de Gênes. — Paix avec les Vénitiens. — Négociations avec la Savoie. — Naples et la Sicile. — Politique de l'empereur par rapport à l'Allemagne. — Lutte du système luthérien. — Diète d'Augsbourg. — Union de Smalcalde. — Vues d'unité. —, Ferdinand, roi des Romains. — Royauté de Hongrie et de Bohême. — Politique de l'empereur par rapport aux Turcs. — Cession de l'île de Malte aux chevaliers de Rhodes. — Armement général de l'Allemagne. — Marche de la chrétienté contre les Turcs. — Popularité de Charles-Quint.

1529-1534.

 

Il est des natures d'esprit qui n'aperçoivent les questions que d'une hauteur souveraine, et les intérêts qu'avec une certaine majesté ; les détails ne sont à leur égard que des unités dans l'espace, pour arriver à la réalisation d'un vaste plan politique. Ces intelligences apparaissent de temps à autre dans l'histoire comme des exceptions, et quand elles reposent au tombeau, une immense grandeur se rattache à leur souvenir : tels furent Charlemagne et Charles-Quint, expressions d'une pensée universelle. Il y a dans l'exemple des empereurs romains quelque chose qui fait bouillonner le sang et brise les parois du crâne aux conquérants ; toutes les fois qu'un prince est grand, il vise à la puissance des Césars, et il se sent petit tant qu'il n'a pas réalisé dans ces proportions gigantesques le plan de la monarchie universelle : pensée absorbante, qui a pour les rois le même prisme que le gain pour le joueur. Une fois jeté dans cette voie, rien ne peut plus vous arrêter ; on y marche comme invariablement entraîné par la fatalité ; qui elle aussi vous brise.

La tendre prédilection de Charles-Quint est encore pour l'Espagne. Enfant, il a vécu à Tolède, à Madrid, à Valladolid, aux villes mauresques ; et la répression des communeros de Castille a été pour ainsi dire son premier acte militaire. Le système de l’empereur a toujours été une délégation partielle de l'autorité, de manière à se réserver pour lui-même la surveillance générale et moins préoccupée de l'Europe. En Espagne, il s'est complètement abandonné à sa femme Isabelle de Portugal[1], épouse respectueuse, pleine de tendresse pour l'empereur et d'un noble orgueil de la majesté souveraine. Presque toujours absent pour ses affaires d'Allemagne, d'Italie, Charles-Quint avait voulu que l'Espagne fût gouvernée par une régence confiée à dona Isabelle. Ce n'était point une femme vulgaire ; et Charles-Quint lui donne des témoignages d'amour et de confiance illimitée. Pourquoi s'attache-t-il tant d'attrait à la pensée des hommes supérieurs ? Pourquoi aime-t-on à connaître les moindres fragments de leurs œuvres et de leur correspondance intime ? Ma très-chère et bien aimée femme, écrit Charles-Quint à dona Isabelle[2], après avoir baisé ce papier avec la même tendresse et la même ardeur avec laquelle je baiserois votre bouche, si j'étois auprès de vous, je vous écris que les avis que j'ai du côté des Turcs, sont différents depuis quelques jours en ça, de ceux que j'avois ci-devant reçus. Il m'avoit été assuré que Soliman n'avoit autre dessein que de mettre sur pied une puissante armée, pour l'envoyer vers la fin du printemps, du côté de la mer Rouge. Présentement on m'écrit toute autre chose de Venise, sur le rapport d'un ambassadeur que cette république tenoit à la cour du Turc à Constantinople, d'où il étoit parti le cinquième de novembre, et arrivé à Venise le neuvième de décembre, où ayant fait son rapport au sénat, un secrétaire fut chargé d'informer mon ambassadeur à Venise des particularitez qui me regardoient et qui sont telles, que le bruit que le Turc avoit fait courir, qu'il avoit dessein d'envoyer son armée dans la mer Rouge, étoit faux, et que le grand seigneur ne Tavoit fait répandre que pour pouvoir mieux tromper et surprendre les chrétiens ; que sa résolution étoit de venir contre la chrétienté avant la fin du printemps, et que pour cet effect il travailloit, avec toute la diligence possible, à préparer une très-grosse flotte, où il devoit faire embarquer une grande armée composée de gens d'élite ; et que le bruit couroit déjà à Constantinople, que cette flotte seroit composée de plus de trois cents vaisseaux, tant galères que navires, galéasses et autres vaisseaux légers qui servent à transporter la cavalerie ; et que cette flotte et cette armée dévoient, sous le commandement d'Ibraim Bassa, attaquer les royaumes de Naples et de Sicile. Le rapport de l'ambassadeur va même plus avant, sçavoir, qu'on tenoit pour certain que le roi de France devoit soutenir et appuyer cette entreprise, dont on croyoit la réussite d'autant plus facile qu'en même temps Soliman devoit, avec sa maison et tout le reste des forces de l'empire ottoman, attaquer la Hongrie.

Indépendamment de ces informations diplomatiques sur les affaires générales de la chrétienté, Charles-Quint instruit dona Isabelle avec une sollicitude particulière de tous les événements de l'Europe, afin qu'elle les pénètre et les juge. Il ne lui dissimule rien même de la situation de l'Allemagne, de l'inquiétude qu'il en éprouve, sûr qu'il est d'être parfaitement compris par dona Isabelle, qui lui répond dans les termes d'un respectueux amour, en lui rendant compte de la situation de l'Espagne[3]. Au très-invincible et très-puissant Charles, empereur des Romains, roi d'Espagne, de Naples, de Sicile, de Jérusalem, etc. Isabelle, qui a le bonheur d'être servante et épouse d'un si glorieux prince, lui souhaite salut et longue vie pour le bien de la chrétienté et de ses états, et un heureux retour entre ses liras. Mon très-cher et très-honoré seigneur et époux (après avoir mille et mille fois baisé votre très-aimable lettre), contentez-vous, mon très-bon empereur et époux, que votre Isabelle, qui a pour vous la plus forte et la plus tendre passion, vous remercie de la dernière expression de votre lettre, par laquelle vous daignez, par un effet de votre bonté, m'assurer que vous me conservez pure et entière cette foi que vous m'avez donnée et gui m'est infiniment précieuse : et qui pourroit jamais, mon bien aimé empereur et seigneur, tomber dans une assez grande incrédulité pour le révoquer en doute ? Vous qui êtes si religieux observateur de votre parole, à l'égard des étrangers, comment pourriez-vous violer au mien la foi conjugale, et manquer tant soit peu à ce que vous avez promis à une personne qui fait tant d'état de votre amour, qui vous adore et qui a le bonheur d'être réciproquement tant aimée de vous ? J'apprens avec un extrême déplaisir le fâcheux état des affaires que vous me daignez me communiquer avec tant de bonté ; parce que je vois par là prolonger le temps de tous embrasser, temps tant souhaité et attendu avec tant d'impatience de moi et de tout votre fidèle peuple, qui désire aussi très-ardemment de se voir honoré de la présence de son glorieux prince, et favorisé de sa vue ; mais je ne suis pas moins affligée de vous voir comme plongé dans une mer orageuse, je veux parler de cette grande perplexité où vous vous trouvez, et des appréhensions que vous causent tous ces grands préparatifs que le barbare turc fait faire.

Dona Isabelle analyse dans cette correspondance, datée d'Alcala, les affaires de la monarchie espagnole et toutes les questions qui peuvent troubler l'harmonie administrative et politique du pays : Ensuite je veux bien vous dire, mon très, cher époux et empereur, mon seigneur, que je trouve un juste sujet de me consoler, quand je fais réflexion que tant de fatigues ausquelles vous vous exposez en tant de voyages, toutes vos souffrances, tous vos soins, toutes vos veilles, toutes vos sueurs, tous vos travaux continuels de corps et d'esprit, ont uniquement pour but et pour fin le service de Dieu, et que, selon le bruit qui court déjà par tout le monde, et principalement à Rome, l'Église attend de votre épée, de votre bras, de votre valeur, de votre zèle, de votre piété, de votre prudence et de votre sage conduite, des victoires signalées contre les infidèles et contre les hérétiques, et la chrétienté espère en vous son salut, sa conservation et sa liberté ; et qu'est-ce, mon très-cher mari et seigneur, qui ne feroit pas de toutes ces grandes choses un sujet de consolation ? Et d'autant plus que je suis très-persuadée que le ciel versera infailliblement ses plus grandes bénédictions sur vous et sur des entreprises aussi justes et aussi saintes que les vôtres. Ce sont les vœux ardents et continuels que fait pour mon empereur, mon seigneur, mon très-cher, mon très-doux époux, votre épouse et servante, Isabelle. Très-invincible empereur, mon seigneur et bien-aimé époux ; pendant qu'on préparoit la dépesche à Votre Majesté, j'ai reçu une lettre de M. le cardinal Colone, lieutenant-général de Naples, par laquelle il me donne avis qu'il avoit découvert le traité conclu entre le Turc et le roi de France, pour attaquer avec leurs forces jointes ensemble le royaume de Naples, et que, comme l'assuroient les avis venus de toutes parts, pendant que le Turc, avec cent trente galères bien armées, et remplies d'une quantité de gens, se jetteroit sur le royaume de Naples et y feroit débarquer une nombreuse armée ; le roi François, avec une escadre forte de quarante galères devoit descendre sur les côtes d'Espagne, et en même temps y faire tout le mal que ses forces lui pourroient permettre, et que son injuste vengeance lui pourroit suggérer. Il n'y avait déjà plus de doute sur la politique de François Ier. Ce prince tendait la main au Turc, et c'est la fervente, la noble Isabelle de Portugal qui en prévient Charles-Quint à ce moment prêt à saluer de nouveau les cathédrales de Castille. La monarchie espagnole héréditairement gouvernée vit s'accomplir un acte solennel dans le monastère de Saint-Jérôme à Madrid ; ce n'était point assez d'avoir assuré la régence à dona Isabelle de Portugal, Charles-Quint, exposé à tant de chances dans la vie, aux longs voyages, aux tempêtes, aux périls des batailles, résolut de faire reconnaître et saluer comme prince d'Espagne son unique fils don Philippe, qui pourtant n'avait pas atteint sa troisième année[4]. Cette reconnaissance d'un enfant était fort ancienne dans l'histoire des royautés, car Charlemagne lui-même l'avait accomplie en faveur de Louis son fils bien-aimé. Ce que Charles-Quint se proposa sans doute, ce fut d'assurer la régence de dona Isabelle sur cet enfant et sur la couronne de Castille, rayonnante alors par la conquête du Nouveau-Monde. Après Cortez était venu Pizarre, Fernando avait donné le Mexique ; Pizarre assurait le Pérou, où tout était d'or, selon les premières correspondances déposées aux archives de Séville. Dix galères précieusement chargées arrivaient à Cadix, et la pénurie d'argent de Charles-Quint, une des causes de sa faiblesse, cessait par ces masses de doublons qui venaient d'Amérique. Cette situation nouvelle de la monarchie espagnole en faisait une puissance à part. Si jusqu'ici la vieille et noble Castille avait agi sur l'Europe ; maintenant toute préoccupée d'organiser le Nouveau-Monde, elle s'absorbait dans les découvertes. Les villes se dépeuplaient pour courir à Santo-Domingo, à Lima, où il y avait tant de fortune à acquérir. L'esprit aventureux ne se porte-t-il pas toujours là où il y a des merveilles et des légendes ?

L'Espagne une fois paisible, par cette préoccupation de tous vers le Nouveau-Monde, Charles-Quint put s'occuper avec sollicitude de la protection de l’Italie. Le but que se proposait l'empereur, c'était de la pacifier sous son protectorat, afin de repousser le Turc. Quoiqu'il fût très ennemi des Sforza, Charles aida leur restauration à Milan, et les Médicis eux-mêmes durent rentrer en possession de Florence y malgré la vive résistance des habitants. A Gènes, l'empereur fut accueilli avec un enthousiasme indicible à décrire[5]. Il avait rendu à cette cité la liberté républicaine que l'ambition de François Ier voulait atteindre et opprimer, à l'aide du pouvoir de Frégose. La défection de Doria, qui compromit les affaires des Français en Italie, ne tenait pas seulement à des mécontentements, mais au sentiment patriotique de la liberté dé Gènes} Doria soupçonnait François Ier de vouloir substituer les fleurs de lis de France aux vieilles armoiries de la république, et c'est ce qui détermina sa résolution Autour de Charles-Quint, pacificateur de Gènes, un flot de peuple vint se grouper, et les églises de marbre sonnèrent à pleines volées.

A Milan, le duc Sforza fut restauré[6] ; mais Charles-Quint garda pour lui toutes les hauteurs d'un souverain envers son vassal. Sforza jura la foi et l'hommage au milieu des acclamations tumultueuses. Au contraire Florence se montra rebelle aux volontés de l'empereur ; depuis deux ans, libre, indépendante ; elle avait secoué le joug des Médicis, et les Florentins avaient déclaré qu'ils succomberaient tous plutôt que de laisser fouler leur liberté conquise. Dans les belles églises bariolées de noir et de blanc, au pied de ce dôme élancé, les marchands de laine et de drap si renommés à Florence avaient déclaré que, seuls, ils résisteraient, s'il le fallait, aux armées de l'empereur, parce que leur cause était juste et que les Médicis étaient les oppresseurs de la liberté : quels oppresseurs que ces princes qui avaient fait la gloire, la prospérité de leur patrie ! Si cette ville opulente était comptée pour la métropole des arts, si elle s'était enrichie en peinture, en architecture, à qui le devait-elle, si ce n'est aux Médicis ? Mais telle est un peu la nature des peuples, de ne conserver que froideur pour les races qui souvent firent leur gloire et leur destinée. Les chefs de corporations s'armaient donc pour défendre Florence contre le prince d'Orange[7], à la tête de l'armée impériale. Il y eut des sièges accomplis, des batailles livrées, et il faut rendre cette justice aux Florentins qu'ils se battirent avec la même ardeur que les Romains contre le connétable de Bourbon. Les marchands ne s'effrayèrent pas des boulets qui sifflaient en bondissant de l'Arno jusqu'au palais des ducs et à la cathédrale ; le siège dura dix mois ; Florence se soumit, et Alexandre, neveu de Clément VII, reprit le titre de duc de Florence comme héritage de sa race[8].

Nul des gouvernements d'Italie n'avait moins de propensions que la sérénissime république de Venise[9], pour la suprématie des empereurs. Si la république s'était unie avec constance à la cause française, si presque toujours les étendards fleurdelisés et les enseignes au lion de Saint-Marc s'étaient montrés sur un même champ de bataille, c'est que Venise semblait pressentir qu'elle serait un jour absorbée par les blonds enfants de l'Allemagne. Telle avait été la marche des événements et la tristesse des revers de la France, que Venise n'osa pas s'opposer à Charles-Quint, et consentit à restituer au saint-siège et au royaume de Naples les ports et les places que la sérénissime république avait conquis naguère à l'aide de l'expédition de Lautrec[10]. Quant au royaume de Naples rentré paisiblement sous le pouvoir espagnol, les discussions sur la suzeraineté de Rome et sur le vieil hommage de la haquenée devaient être facilement résolues par Clément VII, parce que l'empereur et le pape avaient mutuellement besoin l'un de l'autre. Après le sac de Rome et le triomphe de la puissance de l'empereur, il était impossible que le pape se dessinât dans un système opposé à l’empereur. Les Vénitiens avaient vu que les Français, invincibles dans une campagne victorieuse, abandonnaient cités, républiques confédérées pour se préserver eux-mêmes dans une fuite rapide.

Maître ainsi des esprits et je dirai presque des gouvernements en Italie, Charles-Quint dut songer à l'acte destiné à consacrer sa puissance et à donner un nouvel éclat à son diadème, le couronnement impérial[11], à l'imitation de Charlemagne. Les négociations entre Charles-Quint et les Médicis avaient tellement rapproché l'empereur du pape que les difficultés ne pouvaient venir que du cérémonial, et les instances de Charles-Quint montraient que, puissant et fort, néanmoins il appelait la consécration morale de sa couronne par le pape. Les ravages naguère exercés dans Rome par l'armée impériale ne permettaient point le couronnement aux murs de la cité éternelle : comment les Romains auraient-ils salué la prince qui avait opprimé leur liberté ? comment l'auraient-ils accompagné, revêtu de la pourpre, au Capitole ou à Saint-Jean de Latran, comme un cortège antique ? Le pape désigna donc Bologne, qui avait échappé aux désordres des gens de guerre, au passage de la conquête ; c'était une cité romaine, et puisque Charlemagne avait reçu un commencement de consécration à Pavie, pourquoi Charles-Quint ne serait-il pas sanctifié empereur dans Bologne ? Le pape et l'empereur s'étaient écrit d'avance pour fixer le jour du couronnement et les formes du cérémonial ; Clément accourut dans les légations, et avec lui vingt-deux cardinaux. Ce splendide cortège se montra dans l'église de San Petronio, magnifiquement ornée : sur les marches parut l'empereur, revêtu de la robe des Césars, et pour signifier sans doute leur vassalité, Sforza, duc de Milan, et Charles, duc de Savoie, en portaient la queue ondoyante ; un Médicis tenait le globe et un Montferrat le diadème. Charles reçut tout à la fois la couronne d'argent de l'Allemagne, la couronne de fer de Lombardie et la couronne d'or des empereurs[12]. Puis, s'approchant du pape avec un respect profond, Charles-Quint prononça quelques paroles : Il venoit aux pieds de Sa Sainteté pour s'entendre sur tout ce qui pouvoit contribuer au bien de la chrétienté, et il prioit Dieu de bénir ses desseins. L'empereur communia avec le plus saint recueillement, une grandeur et une majesté de croyance qui retentit dans toute l'Italie : c'était un beau dessein dans le péril de la chrétienté que d'assurer la concorde entre Rome et l'Empire ! Désormais, avec le concours du pape, le protectorat de Charles-Quint devait préserver l'Europe de la conquête des Turcs. Les choses morales ont souvent plus de puissance que les faits matériels, et la pensée religieuse imprime plus de grandeur que la victoire sur le champ de bataille.

Si l'Italie était ainsi pacifiée, l'Allemagne restait dans la plus grande, la plus vive agitation ; et ce désordre blessait profondément le système d'unité que Charles-Quint avait conçu pour ses projets sur le monde. Il était fatal pour lui, au moment où il prenait la couronne impériale, de voir cette anarchie soudaine des esprits en Allemagne ; la prédication d'un moine apostat avait brisé la vieille constitution impériale. Ce n'était pas sous le rapport religieux seulement que Luther était redoutable, mais il avait encore séparé les électeurs en deux partis politiques. Sous la bulle d'or, les princes d'Allemagne, avec leur privilège particulier, se rattachaient à un système d'unité puissant ; l'empereur choisi par l'élection, néanmoins une fois salué par la diète, conduisait toute l'Allemagne comme chef et suzerain, et la diète elle-même frappait par des arrêts les électeurs qui violaient la constitution allemande. Depuis la prédication de Luther, les choses avaient changé de nature ; la séparation dans le principe religieux amenait l'anarchie des principes politiques, et l'électeur de Saxe[13] levait l'étendard de la rébellion. Dès ce moment la puissance de la diète générale fut méconnue ; il se fit des assemblées séparées, et les princes protestants à Augsbourg proclamèrent une théorie politique opposée à l'ancienne constitution du pays ; séparation violente qui devait profondément aigrir Charles-Quint, prince modéré, mais dont toutes les pensées se rattachaient à l'unité politique. Si donc cette unité disparaissait de l'Allemagne, comment le pouvoir de l'empereur serait-il encore salué ? Charles-Quint savait que les divisions sont mortelles pour un empire ; et fallait, il heurter de front cette diète de protestants, dont le pouvoir s'agrandissait par l'adhésion du marquis de Brandebourg, de la vieille Prusse, du Danemark et même de la Suède ? L'acte de la confession d'Augsbourg[14] venait d'opérer l'éparpillement de l'Allemagne et le brisement de cette grande unité.

Dans toutes les diètes, dans tous les actes qui suivirent la prédication de Luther, Charles-Quint s'était posé en médiateur, de manière à concilier les esprits. Mais les protestants n'avaient pas été sans remarquer le rapprochement de l'empereur avec le pape à Bologne et ces cérémonies du couronnement toutes papistes : qu'avait-il été convenu entre le pontife et l'empereur ? peut-être l'extermination du luthéranisme ! Et ce sentiment répandu en Allemagne avait excité un soulèvement contre Charles-Quint, empereur couronné. Là fut l'origine de la ligue de Smalcalde[15], application armée du principe protestant, la confédération de Smalcalde ne fut pas seulement une protestation écrite, un acte de doctrine purement philosophique. Il y eut encore une prise d'armes réelle, un contrat mutuel de garantie pour protéger les franchises de l'Empire et la liberté religieuse. Un esprit aussi puissant que Charles-Quint ; une âme aussi profondément convaincue de son système, dut être brisée par cette ligue armée de l'Allemagne qui anéantissait le beau et antique système de la nationalité germanique ; sorte de révolte ouverte contre la souveraineté. De quelque manière qu'on envisageât la ligue de Smalcalde, n'était-ce pas un acte de désobéissance à l'empereur ?

Ce n'était pas sans opposition d'abord qu'il était parvenu à faire proclamer son frère Ferdinand[16] roi des Romains, en vertu du système qui plaçait partout des représentants de sa souveraineté : en Espagne, c'est dona Isabelle ; en Allemagne, c'est son frère Ferdinand ; et ici se montre l'opposition des luthériens qui protestent et agissent hostilement contre le roi des Romains. L'élection accomplie[17] ; il lui faut songer à la Hongrie que menacent les Turcs ; à la Bohême violemment agitée par les hussites : partout le système de monarchie universelle se développe dans la pensée de l'empereur, à travers les oppositions religieuses et le mouvement imprimé à l'occasion de la doctrine de Luther. Pour Charles-Quint en ce moment, la véritable idée sociale, c'est qu'il faut arrêter le ravage des Turcs en Europe. De tous les points les Barbares débordent et leurs flottes apparaissent devant la Sicile et Naples ; l’empereur veut d'abord porter secours à la chrétienté menacée. En prenant aussi hautement le défense du catholicisme, Charles-Quint se rend fort et populaire ; l'esprit des croisades parle encore aux entrailles des peuples, il espère jeter de l'odieux sur la politique de François Ier qui, loin de s'armer contre les Turcs, s'unit aux mécréants pour troubler l'Europe par ses prétentions ; l'empereur comme Charlemagne est à la tête de toutes les forces chrétiennes. Dans les romans de chevalerie il est écrit qu'à la suite d'une vision surnaturelle de saint Jacques de Compostelle : Le vieil empereur à la barbe grise entreprit de conquérir le tombeau de Jésus-Christ. Cette destinée presque fabuleuse, Charles-Quint veut l'accomplir : nouvel empereur d'Occident, il délivrera la Grèce et la Syrie à peine domptées. Ce plan, il l’a communiqué au pape dans ses entrevues à Bologne : rétablir l'unité catholique en Allemagne par des concessions naturelles, convoquer un concile et rétablir l'idée catholique jusqu'en Orient ; ce plan est assez vaste, assez glorieux pour appeler sur lui la plus grande, la plus noble popularité.

Au milieu de ces guerres personnelles et intestines qui avaient désolé les souverainetés dans les dernières années, un ordre de chevalerie était demeuré debout, le plus noble, le plus saint, le plus aventureux ; les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, dans leur défense de Rhodes ; avaient révélé tout ce qu'il y avait de magnificence, de grandeur et de courage dans la chevalerie, au point d'éblouir l'esprit et le cœur de Soliman II, le plus fier des sultans. Après la prise de Rhodes, le grand maître, partout accueilli avec enthousiasme, accourut à Rome[18], pieux pèlerin, pour baiser le tombeau de Saint Pierre. Clément VII avait assigné aux chevaliers Viterbe comme résidence, et là le grand maître, Villiers de l'Île-Adam, attendait avec impatience qu'on lui assignât un poste, à lui et à ses chevaliers, dans la croisade que la chrétienté préparait contre les Turcs. Dans une telle expédition dont la destinée était de sauver la civilisation et la foi, les chevaliers de Saint-Jean devaient tenir une noble place. A Rhodes, une poignée de chevaliers s'était opposée à toutes les forces de l'Orient, et le grand maître avait mérité une glorieuse place parmi tous les souverains de l'Europe. La reconstruction de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem paraissait une impérative nécessité ; ce n'était pas seulement comme janissaires ou cavaliers armés que les Turcs se présentaient le cimeterre au poings mais encore comme marins et vigoureux corsaires. Un ordre de chevalerie, placé dans une situation favorable au milieu de la Méditerranée, devait arrêter toutes pirateries sous le pavillon ottoman ; c'était à l'aide des brigantins, caravelles et galères capitanes, que la plupart des îles de la Grèce avaient été conquises par les Turcs ; les infidèles, maîtres du littoral de l'Afrique, d'Alger, de l’unis et des côtes de Barbarie, enlaçaient la Méditerranée. Il ne leur fallait qu'un amiral intrépide, et il s'était trouvé déjà dans Caïr Edin, surnommé Barberousse, que les chroniques appellent Ariadan. On le disait d'origine française, issu d'une famille du Poitou ou de Gascogne (ces Gascons se trouvent partout) ; son aïeul s'était fait renégat par adventure et ardeur de tête. Caïr Edin n'était pas un marin vulgaire ou seulement un corsaire pillard ; plusieurs fois en escadres rangées il s'était montré digne de lutter avec André Doria. Quelque chose de hardi, de sauvage dans ses projets corrigeait ce que la civilisation régulière avait de timide ; il attaquait intrépidement sans réfléchir sur le nombre, sur la force, et quand Barberousse arborait son pavillon, tout marin turc ou renégat faisait brandir son cimeterre pour le suivre. A cette époque, les renégats surtout grandirent la puissance des musulmans ; du scinde ces milliers d'esclaves gémissant sous les fers, il s'élevait de glorieux aventuriers, fous de chevalerie, à qui il fallait une épée, ou qui prenaient le turban pour se venger d'une injure, d’un amour déçu ou de leur fierté blessée ; et ce n'étaient pas les moins valeureux chefs d'armée.

Cette nécessité impérative d'opposer une digue à l'intrépidité des corsaires, inspira la pensée à Charles-Quint de donner Malte aux chevaliers de Saint-Jean, et d'établir leur pouvoir souverain dans cette île. Le droit inhérent à la couronne impériale était de créer des souverainetés par l'investiture : et qui méritait mieux un fief chrétien que ceux qui avalent si bien su le défendre ? A chaque grande solennité on voyait ces chevaliers tous réunis avec leurs longs manteaux de lin, la croix sur la poitrine, autour du pontife ; et dans le conclave ils parurent comme les nobles gardes de la papauté. Ces intrépides chevaliers envoyèrent une députation à Charles, Quint pour lui demander leur part dans la grande guerre d'Orient, en leur confiant un poste de péril qui leur rappelât Rhodes ; et Charles-Quint pour la première fois leur indiqua Malte, île abandonnée dans la Méditerranée, glorieux bastion pour préserver l'Italie, alors si exposée aux coups des infidèles campés en Grèce et en Afrique ; l'île était comme un grand navire entouré des crampons de l'ennemi. Il faut lire dans les vieilles chartes le rapport des commissaires chargés d’examiner la situation de Malte : rien n'arrêta le conseil, ni la crainte, ni les immenses dangers. Sur ce rapport, l'empereur fit expédier le rescrit qui cédait l'île de Malte en toute souveraineté aux chevaliers de Saint-Jean[19]. Pour réparer, est-il dit, et rétablir le couvent, l'ordre et la religion de l'hôpital de Saint-Jean de Jérusalem, et afin que le très-vénérable grand maître de l'ordre, et nos bien-aimés fils les prieurs, baillis, commandeurs et chevaliers du dit ordre, lesquels depuis la perte de Rhodes, d'où ils ont été chassés par la violence des Turcs, auprès un terrible siège, puissent trouver une demeure fixe, après avoir été errants pendant plusieurs années, et qu'ils puissent faire en repos les fonctions de leur religion, pour l'avantage général de la république chrétienne, et employer leurs fortunes et leurs armes contre les perfides ennemis de la sainte foy, par l'affection particulière que nous avons pour ledit ordre, nous avons volontairement résolu de lui donner un lieu, où ils puissent trouver une demeure fixe, et ne soient plus obligés d'errer d'un côté ou d'un autre. Le lieu dont la charte de l'empereur parlait pour abriter l'ordre malheureux, c'était Malte[20], Gozzo, avec tous leurs territoire et juridictions, à la seule charge de remettre tous les ans au jour de la Toussaint un faucon blanc de la plus noble espèce, en signe d'obéissance et de suzeraineté. Cette charte, magnifique d'expressions, comme témoignage de respect pour l'ordre de Saint-Jean, fut soumise au pape qui l'approuva en plein consistoire.

Alors il se fit à Palerme, dans la magnifique cathédrale, une solennelle cérémonie ; au moment de l'Évangile, les trompettes retentirent, et l'on vit s'avancer tous les chevaliers de Saint-Jean, dans leur grave costume. Au milieu de la cathédrale, le vice-roi de Naples assis, et comme représentant l'empereur, tenait dans ses mains un missel armorié couvert de soie et d'or ; les chevaliers s'agenouillèrent, et sur ces caractères gothiques, sur ces miniatures du vieux Christ grec, ils jurèrent tous d'obéir à la noble mission de défendre la chrétienté avec persévérance et courage, à la pointe de leurs glaives. Cette même année, les chevaliers s'abritèrent à Malte, et lorsque le jour de la Toussaint arriva, lugubre et solennel, lorsque le glas des morts se fit entendre, le grand maître fit envoyer le faucon blanc, glorieusement éperonné, au roi de Sicile, car la gentilhommerie remplissait bien son devoir. Chose morte aujourd'hui que ce débris de la chevalerie : Malte ! Malte ! les générations ingrates ont foulé aux pieds ton glorieux drapeau !

La préoccupation de Charles-Quint était toujours de développer en Allemagne l'esprit d'une croisade européenne contre les Turcs, pensée conçue à Bologne, et qui trouvait son principal obstacle dans la réforme. Tout projet un peu vaste, un peu étendu, doit succomber sous la dispute ; chaque fois qu'il g'élève à côté d'une question de grande politique des thèses de métaphysique, bientôt la pensée générale s'efface et disparaît ; et telle fut l'Allemagne lorsque Luther eut déchiré le riche manteau de sa nationalité. Tandis que Soliman II, à la tête de cinq cent mille cavaliers, ravageait la Hongrie jusqu'aux portes devienne, quelle était la préoccupation de l'Allemagne depuis la réforme ? Pauvre nation brisée et morcelée, elle s'épuisait en des disputes scolastiques ; il suffisait que la pensée éminemment forte d'une croisade contre les Turcs fût émanée d'un glorieux, concours entre l'empereur et le pape, et d'un patriotique appui des ordres religieux pour que les protestants de la ligue d'Augsbourg l'accueillissent avec répugnance ; car ils y voyaient le triomphe de la couronne et du pontificat. Ce rôle si odieux, la réforme pouvait-elle le garder jusqu'au bout ? et dans l'égoïste intérêt de faire triompher quelques doctrines de morcellement laisserait-on l'Allemagne envahie par les Turcs comme l'étaient déjà la Grèce et l'Afrique ?

Cette situation si profondément antigermanique fut enfin comprise par les électeurs protestants, et lorsque Charles-Quint parut en Allemagne, il put saluer une levée spontanée contre Soliman II et le Turc. Les rôles écrits de cette armée fédérale élèvent le nombre des chevaliers qui marchaient sous l'aigle de l'Empire au nombre de quatre-vingt-dix mille tous bien armés. En plus petit nombre que les musulmans, néanmoins ces chevaliers sur leurs beaux coursiers de bataille, ces hommes de pied armés de piques et d'arquebuses, avec canons et longues coulevrines, offraient des forces suffisantes pour arrêter l'invasion des Barbares. On s'arma pour une croisade, comme sous Othon II, au XIIe siècle ; les cavaliers formaient d'épaisses nuées de lances i garnies de bons arquebusiers et de piques. La bataille se fût donnée forte et solide si les Turcs avaient attendu les étendards chrétiens déployés sur les tentes. Ils ne le firent pas, et en voici la cause ; Charles-Quint n'attaquait jamais par un seul moyen ; son vaste génie avait prévu que pour seconder cette expédition militaire de chevalerie allemande, il fallait une diversion, et en même temps que les nouveaux croisés s'avançaient au secours de Vienne, qui avait subi huit assauts, la flotte d'André Doria se mit en mer tout armée et remplie de régiments espagnols, italiens : sa destination, on l'ignorait encore, et Soliman avait appris que ces mille voiles se dirigeaient vers Rhodes, Constantinople ou la Grèce.

Un mouvement d'inquiétude se répandit aussitôt sous les tentes des infidèles : allaient-ils être placés entre deux feux au milieu de l'Allemagne et de la Hongrie soulevée. La terreur est contagieuse ; les Turcs ne songent plus qu'à fuir ; les uns s'embarquent sur le Danube, les autres se répandent à travers les terres, et cet immense torrent s'éparpille et se perd. Vienne délivrée d'un siège terrible fait retentir ses cloches à pleine volée.

Je n'ai jamais parcouru cette cité aujourd'hui si paisible, si aimante du plaisir, sans songer à l'héroïsme de ses habitants, sans reporter mes souvenirs sur tous les sièges qu'elle soutint fièrement à plusieurs époques de son histoire. Aujourd'hui, Vienne n'a plus cette glorieuse ceinture de remparts qui la protégèrent, et la population foule de ses pieds les fossés verdoyants pour courir aux sons joyeux des valses de Strauss, là où quelques siècles auparavant les timariots faisaient bondir leurs cavales hennissantes.

Ainsi l'Europe fut sauvée par le concours de toute l'Allemagne ; le protestantisme avait suspendu un moment ses haines pour s'unir dans la défense commune, il se fit patriotique pour se grandir ! Cette puissante impulsion, qui l'avait donnée ? l'empereur Charles-Quint, parce qu'en lui était la pensée d'universalité ; il ne se préoccupait pas spécialement d'une seule question, il les embrassait toutes ; appelé à tout voir, à tout juger d'une certaine hauteur, les faits particuliers n'avaient plus pour lui qu'un intérêt de cohésion avec l'ensemble général de son système, et ce n'était pas en vain qu'il prenait le titre d'empereur romain. Cette imitation des Césars était un souci de chaque jour, parce que, comme les limites des devoirs étaient presque sans bornes, c'était une tâche et une peine incessante que de les accomplir. Le point de vue sous lequel Charles-Quint examine les questions est toujours presque indéfini ; l'administration particulière, il la laisse à des vice-rois, à des gouverneurs pris dans sa famille, Marguerite en Flandre, Isabelle en Espagne, Ferdinand en Allemagne ; il a un vice-roi à Naples comme dans le Mexique, le Pérou ou dans l'Inde. Lui ne voit que la partie supérieure des questions ; et voilà pourquoi l'empereur porte en main la boule du monde surmontée d'une croix, tradition de l'époque carlovingienne !

 

 

 



[1] Isabelle, née le 4 octobre 1508, d'Emmanuel, roi de Portugal, et de Marie de Castille, avait épousé Charles-Quint le 10 janvier 1526.

[2] En date de Bruxelles, le 27 janvier 1532.

[3] D'Alcala, 3 mars 1532.

[4] Philippe était né à Valladolid le 31 mai 1527.

[5] Charles-Quint, parti de Barcelone, débarqua à Gènes ; il y séjourna trois mois, et se rendit ensuite à Bologne pour y être couronné.

[6] François Marie Sforza vint trouver Charles-Quint à Bologne, et par la médiation du pape, il en reçut l'investiture du duché de Milan moyennant la somme de 900.000 ducats d'or.

[7] Le prince d'Orange fut tué pendant le siège de Florence d'un coup d'arquebuse, le 3 août 1530.

[8] Florence capitula le 12 août ; Alexandre d'abord reconnu chef de l'État, ne fut proclamé duc et prince absolu de Florence que deux ans après, le 1er mai 1532. V. Guicciard., lib. XIX et XX.

[9] Le doge était alors André Gritti, élu le 20 mai 1523.

[10] Par le traité de Bologne (23 décembre 1529), les Vénitiens rendaient au pape les villes de Ravenne et de Cervia avec leurs dépendances, et à l'empereur les places qu'ils occupaient dans le royaume de Naples. V. Belcar, lib. XX, n° 29.

[11] Le traité conclu à Orviète, le 26 juin 1529, entre Clément VII et Charles-Quint, portait pour première condition que Sa Sainteté se transporteroit à Bologne, avec toute la plus grande magnificence de sa cour, au plus tard à la fin de janvier 1530, pour y couronner l'empereur.

[12] Cette cérémonie eut lieu le 24 février 1530. V. Guicciard., lib. XX.

[13] C'était alors Jean, né le 30 juin 1467, et qui avait succédé à son frère Frédéric III en 1525 ; il mourut quelque temps après la diète d'Augsbourg, le 16 août 1532. Son fils Jean-Frédéric, né le 3 juin 1503, le remplaça dans l'électorat de Saxe.

[14] L'empereur ouvrit la diète d'Augsbourg le 13 Juin 1530, et le 25 du même mois les protestants lui présentèrent leur déclaration de doctrine, rédigée par Melanchthon, en latin et en allemand, appelée depuis la confession d'Augsbourg, V. Sleidan., Commentar., lib. VII et mon travail spécial sur la Réforme et la Ligue.

[15] La ligue de Smalcalde fut formée le 27 février 1534 ; les protestants y imploraient contre l'empereur les secours de François Ier et de Henri VIII.

[16] Ferdinand, né à Alcala de Hénarès en Castille le 10 mars 1503, était déjà depuis 1527 roi de Bohême et de Hongrie, lorsqu'il fut élu roi des Romains à la diète de Cologne, le 5 janvier 1534, et couronné à Aix-la-Chapelle quelques jours après.

[17] Charles-Quint avait eu d'abord l'intention de faire élire son fils Philippe ; François Ier était parfaitement informé de tout ce qui se passait en Allemagne.

8 juillet 1530. — J'ai entendu par un bon personnaige comme l'empereur est en oppinion de vouloir faire créer son premier filz roi des Romains. Il fit appeller le jour de la Penthecouste a Yspoure le roy de Hongrie son frère et Cobes. Et estant eulx troys seullement dans une chambre, ils furent en question sur cest affaire l'espace de six heures et plus. A la fin creignant le d. seigneur empereur que les ellecteurs ne voulussent eslire son d. fils roy des Romains d'autant qu’il est jeune, le d. sgr empereur fut content procurer icelle création pour le roy de Hongrie son d. frère. — Bibl., Roy. Mss. de Béthune, vol. cot. 8564, fol. 130.

[18] Lettre du grand maître de Rhodes au maréchal de Montmorency. —Mss. de Béthune, vol. cot. 8537, fol. 54, Bib. Roy.

Mon nepveu, dernièrement vous ay escript du port de Baya par Guys huissier de monseigneur le Dauphin et despuys sommes arrivez en ce lieu de Civette Vieche qu'il a pleu a notre saint père nous donner jusqu'à ce sa sainteté et les princes ayent restably nostre religion en lieu ou puissions faire service à la chreptienté. Incontinent que fusmes icy arrivez, sa dicte sainteté nous manda visiter par l'evesque Conca et nous escrivoit fort humainement suspendre nostre allée à Rome pour aucune malladie à elle survenue ; sais à présent qu'elle est reconvalue et nous a mandé venir, nous sommes de partence. Baisé que ayons les pieds d'ycelle et sceu sa volunté et délibération touchant notre affaire (laquelle jusques icy a monstre avoir très bonne), vous en donneray notice. Sa ditte sainteté nous a fait aprester notre logis en son palais, et veult nous soit faict gros honneur a notre entrée. Mon nepveu j'envoyé le prieur de Sainct-Gilles, pourteur des présentes devers le roy pour aucuns affaires d'importance. Il les vous communiquera, je vous prie mon nepveu luy donner créance aide et faveur en ce qu'il vous dira de part mienne. J'escripz au roy comme verrez il vous plaira avoir toujours nostre religion pour recommandée envers le dit seigneur, que de son temps elle ne soit anichillée ne intéressée, faictes moi souvent scavoir de vos nouvelles et je vous feray le semblable, qui sera fin de là présente après m'estre recommandée a votre bonne grâce. Priant le créateur vous donner très bonne vie et longue. De Cyvette Vieche le.... d'aoust 1523. Votre bon oncle et amy le maistre de Rhodes. Villiers de l'Île-Adam.

[19] Daté de Castel Franco, le 24 mars 1530, approuvé par le pape le 25 avril suivant.

[20] Lettre du grand maître Villiers de l'Île-Adam à M. de Montmorency, grand maître de France. — Bibl. du Roi, Mss. de Béthune, vol. coté 8455, fol. 52.

Mons. je crois que de ceste heure vous aurés entendre par le commandement de d'Inteville tout ce qui m'est succédé en mon voyage, et ce qu'il a fait avecques l'empereur où je l’a vois envoyé pour l'affaire de Malthe et Tripoly, et de l'octroy, que le d. sgr. nous en a fait, lequel j'espère vous trouverez raisonnable, attendu mesmement que pour le jourd'huy, n'y a lieu plus commode pour l'assiette de ceste religion, service du roy, et de toute la chrestiensté ; par quoy je vous ay bien voullu prier de rechef, par la présente très affectueusement, et de tout, que vous m'aimez intercéder et moyenner envers le roy, qu'il luy plaise approuver et avoir agréable le d. octroy, en quoy faisant, oultre que vous aurés part au bien, honneur et prouffit qui s'en ensuyvra, moi et ma ditte relligion, vous en demourerons à jamais très tenus et obligée, Priant Dieu, monsieur qu'il vous veuille donner très bonne et longue vie. De Syracuse ce XXVIe d'avril. Le tout votre bon oncle et amy le maistre de Rhodes. Villiers de l'Île-Adam.