État des hostilités pendant les conférences de Calais. — Suspension en
Flandre et en Bourgogne. — Situation de la guerre sur les frontières de
l'Espagne. —Menace contre Saint-Sébastien. — Intérêts divers. — L'Italie. —
Gouvernement des Français à Milan. — Les bannis. — Le maréchal de Foix. —
Ligue proposée par le pape contre les Français. — Traité de Léon X avec
Charles-Quint. — Affaiblissement de l'alliance vénitienne. — Les Florentins.
— Les Sforza. — Le marquis de Mantoue. — Généraux de la ligue. — Prosper
Colonne. — Le marquis de Peschiere. — Gouvernement du maréchal de Lautrec à
Milan. — Marche des Français. — L'historien Guichardin. — Révolte du Milanais
contre les Français. — Situation périlleuse en Italie. — Rupture des
conférences de Calais. — Projet de Charles-Quint et des Anglais. — Rapport de
François Ier et des Écossais. — Les forces de la France. — Dévouement des
populations. — Plan de résistance de François Ier.
1515-1521.
Les conférences diplomatiques de Calais, si vives et si
animées, avaient eu pour objet de suspendre les hostilités, et néanmoins les
batailles se poursuivaient sur presque toutes les frontières. Si le voisinage
des conférences de Calais avait empêché toute campagne un peu forte, un peu
sérieusement poussée vers la
Flandre, la
Picardie ou les Pays-Bas, s'il y avait eu suspension de
sièges ou de combats en rangs serrés, il n'en était pas ainsi dans les
contrées moins protégées par les pacifiques instructions des
plénipotentiaires : ainsi, la prise de Fontarabie avait eu lieu pendant les
conférences ; et la chevalerie de France assiégeait Saint-Sébastien qui lui
assurait un poste militaire pour se précipiter de là sur les frontières de Castille.
Cette place, une fois au pouvoir des Français, on espérait réveiller les
séditions ardentes des populations, de ces communeros qui déjà avaient
ébranlé la monarchie de Charles-Quint.
C'était spécialement en Italie, où la guerre devenait plus
menaçante. Les Français étaient encore en possession de Milan et des nobles
villes qui environnent la cité des Lombards d'une brillante ceinture : Pavie,
Crémone, Lodi, jusqu'à Plaisance. Nul pays ne plaisait mieux à l'esprit
français que ces belles plaines au pied des Alpes : des campagnes magnifiques,
un soleil que rien n'égale, des femmes vives, aimantes, des plaisirs
bruyants, tout ce qui pouvait enchanter l'esprit et bercer le cœur. Mais les
Italiens ne trouvaient ni la même joie, ni le même entraînement auprès des
Français ; si ce caractère aimable et d'une douce galanterie pouvait leur
plaire un jour, il est quelque chose que les peuples préfèrent ; quand ils ne
peuvent avoir leur nationalité ; c'est un gouvernement qui n'insulte ni leurs
mœurs, ni leurs coutumes établies. Et tel n'était pas le tempérament des
Français ; leur gaîté folle et railleuse, leur rapacité pour lever l'impôt et
dépouiller les sanctuaires, rendaient leur joug pesant et odieux aux enfants
de la Lombardie. Ce
qui était arrivé à Naples, sous Charles VIII, à Louis XII, à Gênes, à Milan y
allait se reproduire sous François Ier, avec le même sentiment d'opposition,
de résistance ; et peut-être de vêpres siciliennes. A Milan, au reste, il se
trouvait également un parti dévoué aux Sforza, l'expression de la nationalité
lombarde ; et la nécessité de réprimer les tentatives d'une insurrection,
avait dû multiplier au camp des Français les mesures de violence. tout prix
le maréchal de Foix, gouverneur de Milan, devait maintenir le gonfanon de
France, déployé sur le dôme, et il le fit avec vigueur par des exécutions
militaires incessantes ; le nombre des bannis s'était accru considérablement,
de manière à former des bandes capables d'attaquer la cité et de compromettre
la domination française. Ces bandes s'étaient réfugiées dans les États environnants,
et protégées par les ennemis de François Ier, elles pouvaient se jeter sur
Milan lorsque l'heure aurait sonné.
Cette situation des Français, si profondément hasardée,
n'avait point échappé à la haute prescience de Léon X, le représentant des
Médicis, la maison nationale de Florence qui n'avait jamais vu qu'avec
crainte une domination étrangère en Italie. Les papes pouvaient bien invoquer
les Français pour secouer un péril et se délivrer de l'oppression ; mais,
quand la crise était passée, ils revenaient à leur pensée naturelle, la
liberté de la patrie. Le pape n'était-il pas le protecteur généreux,, le
puissant ami des lettres et des arts, celui qui achevait Saint-Pierre de Rome
et donnait cet éclat et ce lustre au XVIe siècle ? Depuis longtemps lié avec
François Ier par un concordat, néanmoins Léon X, visait à son grand but,
l'expulsion des dominateurs de l'Italie pour maintenir cette contrée dans sa
nationalité[1].
Partout les haines étaient animées contre les Français. A Florence, où le nom
des Médicis était si puissant, on détestait ce joug qui avait privé la ville
de ses privilèges, de ses corporations, que les marchands de laine voulaient
librement commercer, et les banquiers prêter de l'or à gros intérêts à tous,
empereur, république ou roi. Modène, à Ferrare, la même animation se
manifestait pour accorder une dictature morale à Léon X, le représentant des
Médicis. Sauf la république de Gênes, qui par Frégose restait dévouée à la France, et Venise, déjà
ébranlée, les Français comptaient peu d'amis en Italie, et le pontife pouvait
suivre efficacement son projet de liberté populaire et de nationalité
patriotique.
Ce fut avec la connaissance intime de cet esprit, que
Charles-Quint fit proposer au pape une alliance offensive et défensive dont
le but serait de chasser les Français de Milan et de toutes les terres
d'Italie[2]. Trop habile pour
dire jamais son dernier mot, l'empereur ne demandait aucune possession
personnelle sur la terre sacrée, dans la crainte de rencontrer la même
répugnance, la même hésitation pour le tudesque que pour le français. Aux
yeux de Léon X, Charles-Quint se présentait comme protecteur de la
nationalité italique qui ne serait grande et forte qu'alors que les Français
seraient complètement expulsés d'au delà des monts ; ainsi, au drapeau à
fleurs de lis ne succéderait pas sur le dôme, l'aigle d'Autriche ; et comme
les bannis de Milan invoquaient les souvenirs de Sforza, leur duc, c'était à
son profit que la révolution s'opérerait ; les Allemands ne toucheraient même
pas le sol de l'Italie ; tout se ferait par les Napolitains et les
Florentins. Le projet demeurerait italien ; les Médicis restaient à Florence,
les Sforza à Milan, à Mantoue et Ferrare : au souverain pontife, Charles-Quint
reconnaissait la protection morale de l'Italie et la suzeraineté du royaume
de Naples avec des indemnités sur les frontières du Mantouan. Enfin, à Gênes,
une révolution devait briser la domination de Frégose, si favorable aux
Français, pour y substituer la souveraineté nationale du sénat. Dans ces
conditions si nationales, un traité secret fut signé entre Charles-Quint et
Léon X, tout entier dirigé contre les Français, devenus plus odieux aux
populations, à mesure que l'esprit de révolte se montrait plus audacieux.
Telle est, en effet, la triste fatalité de toute domination étrangère ; par
cela seul qu'elle a besoin incessamment de se défendre, elle a aussi
incessamment besoin de réprimer ; et plus elle réprime, plus elle se rend
pesante. Les bannis voyaient s'accroître leur masse déjà si considérable ;
chaque jour on confisquait les maisons, les palais, les plus somptueuses
terres dans la riche campagne de la
Monza ; au premier mouvement de la place publique, on était
obligé de sévir par les armes, et l'escalier du dôme fut plus d'une fois
ensanglanté par l'échafaud destiné aux plus riches et aux plus fidèles
habitants du Milanais.
En même temps l'empereur Charles-Quint faisait pressentir
les Vénitiens sur l'attitude qu'ils prendraient dans un mouvement italien
contre la domination française. Rien de plus antipathique, de plus
mortellement ennemi que le lion de Saint-Marc et l'aigle d'Autriche ; plus
d'une fois les doges à la tête chauve et blanche avaient secoué leur robe
traînante pour déclarer la guerre aux vieux archiducs de bronze rangés autour
de Maximilien à Insprück. Mais ici la cause n'était pas autrichienne,
Charles-Quint se présentait au nom de Léon X, le pontife éminemment italien ;
ce qu'on proposait n'était pas d'assurer la domination du tudesque, mais de
rétablir les Sforza à Milan, et de donner un Caractère purement national à la
fédération des États. Liés par des traités avec François Ier[3], les Vénitiens
n'osaient point les briser à ce point ; le doge tenait à sa parole ; toutefois,
renonçant à l'alliance intime avec le roi, les Vénitiens passaient à l'état
de tiédeur et de neutralité. Venise, par la force des choses, deviendrait tôt
où tard partie active ; menacée par la ligue, elle aurait un parti à prendre,
et, pour ménager sa position, elle se déclarerait nécessairement contre les
Français, dont elle se disait néanmoins la plus intime alliée ; tant il est
vrai que les États ne sont pas toujours libres dans leurs résolutions
politiques !
Afin de laisser cette empreinte tout italienne à la guerre
qui allait s'engager contre la domination française en exécution de la ligue
du pape et de l'empereur, le commandement de l'armée fut confié à deux
capitaines de haute capacité, italiens d'intérêts et presque d'origine ;
Prosper Colonne et le marquis de Peschiere. Quand on a vécu à Rome au milieu
des souvenirs et des ruines, on entend partout retentir ce nom de Colonne,
antique race du patriciat : les rues, les places publiques, tout reproduit ce
souvenir illustre, et Prosper Colonne était l'enfant de cette race ; élevé
sous la tente par l'épée du plus fier et du plus redoutable capitaine,
Gonzalve de Cordoue, Prosper Colonne avait acquis une grande renommée de
guerre, après sa victoire sur l'Alviane, le plus intrépide des généraux
vénitiens. Impatient de venger le dernier échec de Villa-Franca, et plein
d'une ardeur nouvelle contre les Français, Colonne se souvenait que les vieux
consuls romains juraient de vaincre ou de mourir pour Rome.
Si don François Ferdinand d'Avallos, marquis de Peschiere,
saluait pour aïeux les comtes de Cas, tille y néanmoins il était devenu par
ses fiefs, par ses services, un des seigneurs féodaux du royaume de Naples.
L'Espagne alors et Naples ne formaient, pour ainsi dire, qu'un royaume, la
lignée d'Aragon y avait si longtemps régné, et la vaste rue qui traverse
Naples (voie si populeuse et si active)
devait se nommer un jour du nom de Tolède, la cité d'Espagne la plus antique,
la plus fière de son nom. Les premières armes du marquis de Peschiere
n'avaient point été heureuses ; il servait sous les ordres du vice-roi
Raymond de Cordoue, lorsqu'à la bataille de Ravenne il fut fait prisonnier
par les Français ; il n'avait alors que vingt et un ans, et, poète autant que
bon soldat à la manière espagnole, il fit de beaux vers qu'il dédia à
Victoria Colonna, sa femme, poète comme lui. Toujours à côté de Prosper
Colonne, Peschiere avait vaincu l'Alviane, le général vénitien, et, tout
jeune encore, il recevait de la confiance de Charles-Quint le commandement
des troupes confédérées.
Pour compléter ce système tout italien de résistance aux
Français, le marquis de Mantoue était désigné comme gonfalonier de la
confédération par le souverain pontife, et sous ses ordres se trouvait un
digne capitaine, l'historien éminent Guichardin. On éprouve un charme
particulier à la lecture des livres de Guichardin, comparable à Tacite par
l'intelligence profonde du cœur humain, par la description si colorée des
hommes, des événements, et à Thucydide, par cette vive empreinte d'un témoin
oculaire. Il se rattache je ne sais quel intérêt à ces soldats qui écrivent
leur vie militaire, et la retracent, pour ainsi dire, sur leur bouclier à la
pointe de leur épée ; penseur et homme d'État à la fois, il y avait dans Guichardin
de cette école de Machiavel, si puissante d'imagination et de pensée.
L'habitude de voir les événements, de comparer les faits, la nécessité de se
trouver à la tête des batailles ou au milieu d'un conseil, vous donnent une
haute et profonde rectitude de jugement, qui manque à l'historien passif et
sédentaire Guichardin, capitaine remarquable, a discuté les intérêts de la
cité et de la chose publique à Florence, à Milan, et cette empreinte se
manifeste dans ce qui reste de ses écrits. Il faut le consulter lorsqu'on
veut pénétrer profondément dans les causes qui préparèrent la ruine des
Français dans le Milanais ; il a tout vu ; il assiste avec joie à cette
décadence de la domination de Chai, les VIII, de Louis XII et de François Ier
; et véritable Italien, comme Machiavel, il sait parfaitement que lorsqu'un
peuple n'a pas la force pour lui, il doit puiser ses armes habituelles dans
la ruse ; car aux hommes de violence qu'opposer, si ce n'est la dextérité ?
et le nain si rusé de l'Orlando furioso de messer Ariosto, qui
cherche le défaut delà cuirasse du puissant et haut chevalier pour y plonger
son poignard de miséricorde, est un peu l'image de ces petits princes
d'Italie qui avaient à combattre les rois, les chevaliers bardés de fer
descendus par le Tyrol et les Alpes.
La situation des Français dans le Milanais devenait donc
très-périlleuse à la face de cette confédération italienne, que le pape et
l'empereur favorisaient simultanément. Dès que les Milanais avaient eu
réveil, par les bannis de la cité, de ce grand bruit de délivrance qui
faisait explosion depuis Naples jusqu'à la Savoie, ils éprouvèrent cette joie qu'inspire
l'espérance de la patrie délivrée. Partout la fermentation ardente, profonde,
se manifesta presque avec violence sur les places publiques, aux dômes, dans
les vieilles basiliques de Saint-Ambroise-de-la-Monza à Lodi et à Pavie.
Alors arrivait à Milan, Lautrec, l'aîné de la maison de Foix, qui accourait
pour fortifier et soutenir le gouvernement du maréchal son frère ; c'était un
nom connu déjà en Italie, car Lautrec marchait à côté de Louis XII, lorsque
ce prince fit campagne, et punit les Génois de leurs séditions et traîtrises.
Ainsi qu'on le voit aux vieilles gravures, Lautrec, qui un moment gouverna le
Milanais, était derrière le roi, fier et glorieux, la lance haute ; nul ne
pouvait lui refuser du courage ; à Ravenne n'avait-il pas été laissé pour
mort tant il était couvert de blessures ? François Ier l'avait choisi, parce
qu'il était besoin de relever l'esprit affaibli de l'armée en Italie. A peine
Lautrec a-t-il passé cette fois les monts, touché les terres lombardes,
examiné l'état des esprits, qu'il voit que la tâche est difficile ; il ne
cesse de correspondre avec le roi, comme s'il avait besoin d'être constamment
appuyé et encouragé : Le peuple lombard n'est plus
pour le gonfanon fleurdelisé ; il craint une révolte secondée par la ligue du
pape et de l'empereur. Ces craintes amènent les mesures sanglantes
contre l'idée d'une révolte : vieillards, enfants sont jetés à l'échafaud, et
le supplice de Pallaviccini est une mesure impérieusement commandée par les
besoins de la situation. Quand il compte ses compagnies d'hommes d'armes,
Lautrec aperçoit que le nombre de ses soldats es ! trop faible pour lutter
avec la ligue : si les bons compères, les Suisses restent fermes dans les
rangs, nul ne doute que le Milanais ne demeure à la France ; mais pour les
retenir, il faut de l'argent[4] ; Lautrec ne
répond de rien, si ces Suisses ne sont pas soldés en bons écus au soleil.
Néanmoins, le maréchal prend l'initiative, car il espérait
beaucoup de la hardiesse des gendarmes de France. Son armée se compose de
cinq cents lances françaises, qui, garnies de leurs arquebusiers, archers,
écuyers, équivalent à deux mille hommes ; puis de quatre mille gens de pied,
levés comme bandes en Gascogne, Touraine et Provence. Jean de Poitiers, comte
de Saint-Vallier, les conduit ; excellent gentilhomme, un peu la tête
ardente, comme tous les méridionaux, et avec lui se rangent quatre cents
gendarmes d'une bonne noblesse. Il y avait aussi dans cette armée de Lautrec,
quatre mille soldats vénitiens, esclavons et croates : pouvait-on compter sur
eux si la lutte s'engageait vigoureusement ; la république, déjà ébranlée
dans ses affections pour la
France, ne retirerait-elle pas ses soldats pour les joindre
à la cause italienne ? Lautrec attendait aussi sept cents Suisses que le roi
lui promettait ; mais, point d'argent, point de
Suisses ; le maréchal le savait bien, et il commença néanmoins la
campagne avec sa petite armée contre les confédérés, sous Colonne et le
marquis de Peschiere ; ceux-ci comptent moins encore sur leurs soldats que
sur le soulèvement inévitable de l'Italie. Plus les rigueurs de Lautrec
avaient été sanglantes, plus cet esprit de révolte fermentait, et au premier
échec éprouvé par le maréchal, tout le Milanais serait en armes.
Dans cette pensée, les confédérés vinrent mettre le siège
devant Parme, la ville intermédiaire jetée sur la route entre les États
romains et le Milanais. Le pape avait décidé qu elle servirait de point
d'appui à toutes les opérations militaires. La cité était défendue par
Lescun, maréchal de Foix, brave capitaine, qui soutint vigoureusement le
siège, comme digne frère de Lautrec. L'historien Guichardin assistait à
toutes les délibérations des généraux alliés, et il nous en a révélé la
faiblesse, la discorde, le décousu. Les confédérés craignaient que, par une
marche en avant, rapide, audacieuse, le maréchal de Lautrec ne les plaçât
entre deux périls. L'avis de Peschiere était de toujours attendre, de
patienter : Les Suisses se lasseroient de ne rien
recevoir ; l'influence du pape se feroit sentir à ce point que princes
et peuples se leveroient contre les François. Les confédérés
préférèrent retarder la reddition de la ville ; car chaque jour ajoutait à la
pénurie des Français, à leur lassitude, à l'isolement de leur situation.
On put s'apercevoir bientôt de tout ce qu'il y avait de
prudent et de raisonné dans ce conseil. Sur les menaces du pape, les
Vénitiens quittèrent l'alliance française ; et les troupes d'Esclavons et de
Croates de la république, qui servaient sous Lautrec, eurent ordre de
l'abandonner. En même temps, le cardinal de Sion, si influent sur les
Suisses, négocia si bien auprès des cantons, que les bons compères, encore
sous le gonfanon de France, refusèrent de servir[5]. Nuls alors
n'étaient plus soumis au pape que les Suisses. Leur fierté et leur gloire
étaient de porter sur leur bannière la tiare et les clefs d'or. Le cardinal
de Sion leur remontra qu'il n'étoit ni patriotique,
ni religieux, de voir à la fois des Suisses au service de la confédération
italienne et sous le commandement du roi de France : de manière que les
frères y les amis des montagnes ou des vallées, pouvoient s'entregorger dans
une action décisive. Ce qui aida la défection, plus encore que la
parole du cardinal, ce fut la pénurie des écus d'or dans la royale escarcelle
de France pour payer les Suisses. Ceux-ci ne touchaient pas une obole, et le
pape menaçait de les excommunier. Les montagnards quittèrent les rangs
français confusément ; ce qui mit le désordre dans l'armée du maréchal ; et
alors les confédérés italiens purent prendre l'initiative ; six mille hommes
de bonne infanterie et douze mille Suisses venaient de les joindre ; et dans
cet accroissement de forces, qu'avaient-ils à craindre de marcher droit sur
Milan ? La cité n'était-elle pas préparée à la révolte ? ses habitants n'étaient-ils
pas hostiles aux Français ? Des murmures se manifestèrent sur la place du
Dôme, à la face même des cohortes de Lautrec. Tous les renseignements étaient
donnés par les paysans accourus au camp de Prosper Colonne ; Peschiere était
prévenu qu'en marchant droit sur Milan, il trouverait par tout appui et
secours ; les vêpres siciliennes mêmes seraient sonnées, comme un cri de
délivrance, de Milan à Crémone, de Crémone à la Monza et à Côme. Les
Français surpris, étonnés, durent partout opérer leur retraite en toute hâte.
Le Milanais, objet de leur plus vive convoitise, leur fut enlevé par un
soulèvement national : la bandière italienne remplaça partout l'étendard
fleurdelisé ; et Lautrec chercha un abri au pied des Alpes.
Ces tristes nouvelles arrivaient à François Ier aux conférences
de Calais dans le moment où sa position devenait si difficile ; nul événement
ne jeta dans son cœur une colère plus ardente et un découragement si profond.
Presque enfant, François Ier avait visité en vainqueur l'Italie ; il se
souvenait de ces belles villes, de ces champs splendides où la vigne grimpe
et entrelace l'ormeau, de ce beau ciel où le soleil est si resplendissant ;
il eût donné bien des cités de Touraine, de Parisis ou de Flandre pour Milan,
Pavie ou Crémone ; et tout à coup il apprend que ces terres plantureuses
étaient perdues et ces beaux pays envahis parles troupes confédérées :
pouvait-il ignorer que son ennemi implacable, Charles-Quint, était derrière
ce mouvement de nationalité italienne ? Le duc de Milan qu'on allait élever,
ce Sforza, serait sous la protection de l'empereur ! Ces idées navraient
profondément le cœur du roi lorsque tout prenait un aspect sinistre aux
conférences de Calais. Durant ces conférences, le rôle du cardinal Wolsey
avait été celui d'un médiateur aussi juste que les circonstances et les
passions pouvaient le permettre ; il voulait faire accepter la paix sous le
sceptre de Henri VIII, ce qui assurait une magnifique position au cardinal et
l'espérance de la tiare. Quand il vit que tout rapprochement était
impossible, et que la trêve (la combinaison la
plus caressée de ses espérances), était rejetée, le cardinal voulut
convaincre chacun des plénipotentiaires, et il prit à part le chancelier
Duprat pour l'entraîner à ses opinions. Comme celui-ci se refusait
obstinément à signer la trêve, le cardinal envoya le lord Saint-Jean à Bruges
auprès du chancelier Guatimara pour lui assurer que tout
rapprochement avec la France
devenant impossible, son désir était de contracter alliance avec son maître.
La haute habileté de Charles-Quint consistait à faire naître et à développer
un principe d'ambition au cœur de tous ; et comme il avait vu que l'immense
but du cardinal était la tiare, il lui avait fait espérer un utile concours
pour le faire élire successeur de Léon X. Cette conviction et le refus de
Duprat pour signer la trêve, avaient engagé le cardinal Wolsey à préparer une
alliance intime entre l'empereur et Henri VIII[6]. Son but simple
et patriotique n'était point l'esprit de conquête ; mais, comme la turbulence
de François Ier se manifestait partout, on voulait lui imposer une trêve,
d'autant plus nécessaire que la chrétienté avait besoin de se lever en masse
pour se défendre contre les infidèles. A d'autres époques, les croisades
avaient appelé la trêve de Dieu, première suspension d'armes entre les
princes, quand il s'agissait de la cause du Seigneur ; aujourd'hui la
chrétienté était non moins menacée, le monde catholique n'avait plus pour
défenseurs que les chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, assiégés dans
Rhodes. Le grand maître Villiers de l'Île-Adam, un des Montmorency,
commandait ces preux chevaliers, nobles débris des croisades ; et il
annonçait, dans ses lettres, à son cousin Montmorency, par quels efforts
surhumains ils protégeaient ce boulevard de la chrétienté[7]. C'était donc en
vertu de cet esprit des croisades, et pour porter les forces des princes sur
l'Orient, que le cardinal Wolsey voulait imposer la trêve à Charles-Quint et
à François Ier. L'alliance que proposait Wolsey à l'empereur et à Henri VIII,
stipulait la nécessité de contraindre le roi de France à une grande prise
d'armes contre les musulmans dont les flottes déjà menaçaient l'Italie.
Une des causes qui avait déterminé Henri VIII à cette
alliance contre la France,
c'est qu'il était informé à Londres des négociations secrètes et toujours
renouvelées entre François Ier et les Écossais. Les antipathies et les haines
les plus vives existaient entre les Anglais et les montagnards de la Haute-Écosse
; plus d'une lutte s'était engagée entre ces populations, et dans les guerres
que là France avait soutenues depuis des siècles contre les rois anglais, les
Écossais prêtèrent des secours. Aux vieilles annales, sous les guerres de
Charles YII, les plus fiers défenseurs de la cause royale n'étaient-ils pas les
Écossais conduits par Douglas ! Les négociations de François Ier avec le duc
d'Albanye nécessairement hostile à la couronne d'Angleterre, irritèrent
profondément Henri VIII[8]. Des émissaires
secrets annonçaient de toutes parts que François Ier venait d'envoyer des
masses d'écus marqués des fleurs de lis de France aux chefs des montagnards
pour opérer une diversion. Quand l'ennemi attaquait ouvertement la couronne
de Henri VIII, ce prince, l'oncle déjà de Charles-Quint, pouvait bien s'unir
à lui par des liens encore plus étroits, et l'empereur offrait une nouvelle
alliance de famille. C'était un grand prometteur de mariage que ce roi
Charles-Quint ; dans tous ses traités, il stipule qu'il épousera la fille du
prince avec lequel il négocie, comme un brillant parti pour la lignée des
rois. Au temps de ses liaisons avec François Ier, il ne manquait jamais de
lui écrire mon bon père, afin de l'attirer à
lui par l'idée de mariage qu'il était promis à une fille de France. Avec
Henri VIII il use du même moyen ; non-seulement il le traite de son bon
oncle, mais encore de futur père bien aimé. L'empereur sait unir aux
sentiments de bravoure, une dextérité qui ne se dément jamais, seul moyen de
se faire une grande place parmi les princes contemporains.
Chaque fois qu'une guerre sérieuse éclate contre la France, il se forme
toujours contre elle une coalition ; les hostilités d'une seule puissance
commencent individuelles d'abord, puis toutes se déclarent dans une grande
lice. Est-ce un sentiment de jalousie contre la prépondérance incontestée de la France, son esprit
aventureux et cette passion de choses extraordinaires qui la domine ? tant il
y a que la guerre, qui s'annonçait d'abord exclusive entre Charles-Quint et
François Ier tout à coup prit un caractère universel ; elle s'étendit aux
rois d'Angleterre et de Danemark, au pape, à l'Italie entière, et l'on n'ose
même plus compter sur la république de Venise, à d'autres époques d'un si
puissant secours.
En face de si grands périls, lorsque de si nombreux
ennemis se lèvent contre la monarchie, la situation de François Ier n'a rien
de brillant sous le triple point de vue des alliances, de l'état militaire et
des finances, conditions essentielles pour commencer une grande lutte. En
Allemagne, le roi avait pour alliés quelques princes de la confédération
germanique, blessés par l'élection de Charles-Quint : mais ces électeurs
oseraient-ils se séparer de la diète et former une ligue contre l'empereur
nouvellement élu ? Contre Henri VIII, François Ier avait l'alliance de l'Écosse,
force bien insuffisante pour lutter contre les Anglais, sous des chefs braves
et déterminés. Ceux-ci avaient tant de moyens d'attaquer la France par leurs flottes,
sur les côtes, sur un point ou sur un autre ; rapides expéditions qui ne
laissaient le temps ni de se préparer, ni de se défendre. Restait enfin la
plus puissante des alliances, parce que seule elle pourrait lutter contre la
chrétienté entière, je veux parler du traité essayé déjà entre François Ier
et la Porte
Ottomane. Certes, quand le cimeterre musulman se levait
avec gloire et fanatisme, c'était une force puissante que d'avoir ce glaive
pour soi. Mais combien n'était-il pas triste qu'un roi, fils aîné dé
l'Église, se fît protéger par les barbares qui versaient à grands flots le
sang des fidèles ! Le rôle odieux était pour François Ier ; ses alliances, en
dehors du moyen âge, semblaient pressentir une société nouvelle avec d'autres
éléments et d'autres intérêts.
Comme forces militaires, François Ier, était inférieur à
ses ennemis réunis, car il avait à se défendre sur plusieurs points à la fois
; les tristes nouvelles du Milanais l'obligeaient à envoyer au delà des Alpes
ses plus braves compagnons, ses gendarmes les plus dévoués et Bayard lui-même
; ses corps d'Italie étaient coupés, isolés à travers le Milanais et le
Piémont, et ils n'avaient pour protection que la foi incertaine des Suisses,
ou bien les alliances que la
Savoie avait assurées à la France par la duchesse
d'Angoulême, et les antiques liens des deux maisons. Cette nécessité de bien
se poser avec la Savoie,
créa peut-être cette influence de la reine mère qu'on a tant blâmée sans en
pénétrer la cause. Aux Pyrénées il fallait également détacher des corps de
chevalerie, braves et déterminés, afin de protéger la frontière contre les
soudards de Castille. Ici il n'y avait pas le même péril ; les populations
assises au pied des Pyrénées étaient braves de leur nature, et dévouées à la
maison de France. Les Gascons, les Navarrais avaient des haines invétérées
contre les Castillans, et il suffisait de leur donner de bons chefs pour les
conduire contre les Espagnols aux sièges de Jacca, Saint-Sébastien et
Pampelune.
Sur la frontière nord, la situation était plus périlleuse,
parce que les armées anglaise, flamande et germanique allaient se réunir
contre la. France. D'après les stipulations du traité conclu entre Charles-Quint
et Henri VIII, deux armées de quarante mille hommes chacune devaient se
porter contre la Picardie[9] et la Champagne. En
supposant la réunion active des forces de François Ier jamais il n'aurait pu
opposer de si grandes masses à l'invasion des alliés ; heureusement ces
bandes ne valaient, ni en discipline ni en courage, les gens d'armes du roi,
accoutumés depuis Louis XII aux périlleuses journées. La plupart des soudards
flamands, anglais, germaniques ; peu exercés à la guerre, levés
tumultueusement, n'étaient que des paysans, des communaux, des bourgeois,
avec quelques lourds chevaliers, tandis que l'organisation de l'armée de
François Ier était parfaite en hommes, en cavalerie et artillerie, sous des
capitaines expérimentés. Puis, dans cette confédération prise à la hâte, il
serait facile de semer les désordres, les heurtements d'idées, les jalousies,
de manière à en profiter pour battre et vaincre séparément ces groupes
d'alliés mal unis.
Le nerf des batailles, le plus puissant mobile du système
défensif du territoire, devait être l'argent ; et comment le réunir quand
mille résistances étaient opposées par les corporations privilégiées ? Si l'on
suit la correspondance de Lautrec, de Bonnivet, de la Trémoille, de
Montmorency, de Bayard lui-même, on verra que ce qu'ils sollicitent le plus
vivement auprès du trésorier des guerres, le sieur de Robertet, ce sont les
envois d'écus fleurdelisés. Si les nobles devaient servir en armes par la loi
du fief et de la terre, les gens de compagnie, tels que lansquenets, Suisses,
ne voulaient pas marcher sans argent ; affranchis de toute nationalité, ce
qu'ils désiraient c'était la solde ou le pillage. Quand un capitaine comptait
les hommes présents à la montre ou revue, s'il ne pouvait leur donner leur
paye, ils murmuraient haut comme une sédition ; nulle discipline dans leurs rangs
; à chaque moment ils menaçaient de quitter l'étendard royal pour se débander
tumultueusement comme on le disait alors.
Afin d'organiser la défense militaire, François Ier fut
obligé d'augmenter les impôts par tous les moyens. A ce siècle la contribution,
presque toujours volontaire, résultait de quelques coutumes que nul roi, nul
prince, nul sénéchal ne pouvaient toucher sans exciter de criaillerie. La
révolte des cités était au bout d'une création d'impôts ; la royauté devait
trouver en elle-même les ressources indispensables pour la guerre. François Ier
prit le parti d'aliéner beaucoup de ses domaines personnels, son patrimoine y
sa propre fortune, malgré le principe de l'inaliénabilité. Puis il eut
recours à son nouveau moyen y la vente des offices qu'il multiplia pour
toutes les positions, pour toutes les dignités dans l'État. Chaque place
devint vénale ; ceux qui voulaient exercer une profession, ou acquérir une dignité
devaient fournir finance, sous prétexte que cela prêtait garantie de la bonne
gestion, et en réalité pour tirer de grosses sommes de chacun de ceux qui
désiraient des fonctions publiques.
Cette mesure fut moins un principe inflexiblement posé que
le résultat d'un fait d'application qu'on trouve inscrit dans les ordonnances
de François Ier. Une déclaration établit à prix d'argent les offices de garde
des scels, prévôts, huissiers, gardeurs de minutes, greffiers dans toutes les
juridictions de France[10] ; un édit porte
création d'offices de maîtres de la chambre des comptes de Paris[11] ; une autre
ordonnance augmente le nombre des conseillers au parlement[12], des
commissaires examinateurs au Châtelet[13] ; le roi établit
les charges d'un lieutenant criminel en chaque bailliage[14], de contrôleurs
des recettes[15],
puis il vend des privilèges aux bouchers, aux épiciers, à toutes les
corporations ; quiconque voulait un titre, un honneur, devait donner de
l'argent, car la monarchie était menacée d'une invasion. Nul pays ne peut
refuser un impôt quand il s'agit du péril de la patrie ; c'est la loi de la
défense naturelle. Ce qu'on a considéré comme des actes arbitraires, comme
des extorsions criminelles, fut le résultat d'une dictature indispensable qui
préserva nos frontières des Anglais et des Allemands. Les parlementaires,
égoïstes toujours, firent de nombreuses remontrances sur ce qu'on appelait la
vénalité des charges i comment un homme, par cela seul qu'il avait de
l'argent, pourrait exercer le droit de justice ? il fut répondu que rien n'empêchoit qu'on ne fît enquête sur la vie, les
bonnes mœurs et la science du candidat avant de l'admettre en la compagnie ;
d'ailleurs c'étoit moins pour la judicature que pour les dignités de finances
et de la cour que la vente des offices auroit lieu ; messieurs du parlement
vouloient-ils au reste financer de leurs deniers ?
Ce pouvoir absolu en matière de finance, François Ier
l'étendit même aux fiefs de l'Église ; le concordat signé avec Léon X lui
donnait la faculté de nommer aux évêchés et de disposer ainsi des bénéfices ;
et non-seulement le roi recueillit les revenus, mais encore il les vendit et
les conféra comme récompense militaire à des capitaines qui avaient bien
servi. Gela s'était vu plus d'une fois dans les lois ; Charles Martel donna
les biens des églises à ses comtes et à ses leudes, comme récompense. François
Ier ajouta même que l'argenterie des églises serait convertie en monnaie, et
ses commissaires la recueillaient pour l'envoyer audit hôtel. Il existe une
curieuse lettre des chanoines de Tours au roi[16] : ce prince leur
a demandé de lui livrer la belle grillé d'argent du tombeau de Saint,Martin,
donnée par Louis XI à l'église, et qui pesait plus de cent mares ; les
chanoines rappellent les services que le saint a rendus à la cité. La grille est inhérente au tombeau par un lien mystérieux
; on ne peut la détacher que par un sacrilège y et ce ne sera pas le roi
très-chrétien qui voudroit le commettre. On ne sait si ces plaintes
touchèrent le cœur de François Ier, et si la grille de Saint-Martin fut
respectée en mémoire de la vieille nationalité de l'Église. Tant il y a que
ces exactions continuèrent par un mobile ardent, et noble que justifiait
tout, la défense de la patrie contre l'étranger. On vit alors corporations,
métiers y confréries de drapiers, marchands d'espice, se cotiser le dimanche
après le prône de Saint-Eustache pour assurer à monseigneur le roi les moyens
de faire une bonne et juste guerre. Le chancelier Duprat rendit de grands
services en cette occasion ; il était ferme sans aucun de ces scrupules qui
arrêtent les consciences tremblantes devant les fatales nécessités de la
politique. Il avait tant vu d'événements, assisté à tant de criailleries, que
M. le chancelier s'était fait une règle de conduite invariable, marchant
devant lui en s'inquiétant peu des murmures du parlement. Dans les époques de
crise, ces sortes de caractères sont inappréciables ; car les esprits qui
s'impressionnent trop s'arrêtent à chaque obstacle et se désespèrent à chaque
revers. Le chancelier Duprat, vieilli dans les affaires, savait tous les
périls de la situation du roi ; ce ne serait pas avec les remontrances qu'on
arrêterait l'ennemi qui débordait partout sur les frontières ; il fallait
pour cela des soudards et de l'argent !
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