Causes réelles des hostilités. — Négociations de François Ier avec les
Suisses. — Venise. — Le pape. — Armements militaires. — Capitaines des
compagnies. — Suisses. — Lansquenets. — Canonniers. — Chevaliers. —
Gentilshommes capitaines. — Aventuriers. — Ressentiment des premières
batailles en Navarre. — La maison de Bouillon. — Le comte de La Marck. — Sickinghen. —
Prétexte d'invasion par Charles-Quint. — Armée du comte de Nassau. — Invasion
des frontières. — Bayard et Montmorency à Mézières. — Mouvements militaires
de François Ier et de Charles-Quint. — Développement de la guerre de Navarre.
— Intervention de Henri VIII. — Le cardinal de Wolsey. — Conférences
proposées à Calais. — Correspondance. — Attitude des conférences. — Dessein
de Henri VIII.
1515 — 1519.
Depuis que le roi Don Carlos d'Espagne avait été élevé à
l'empire d'Allemagne, François Ier gardait au cœur un sentiment de jalousie
profonde. Le roi de France avait mis un intérêt puissant à placer sur son
front la couronne des empereurs ; à cette œuvre, il avait dépensé des sommes
considérables, consacré presque entièrement son règne ; et lorsqu'il se vit
tout à fait déçu dans cette espérance, il en conçut un chagrin mortel, et
bientôt un désir de vengeance, car enfin Don Carlos d'Espagne n'avait déployé
ni courage, ni magnificence chevaleresque ; plus adroit seulement, il avait
appliqué, dans les diètes, cette finesse de négociations qu'il tenait de la
maison de Bourgogne. cette première époque du ressentiment de François Ier,
il faut placer l'invasion de la
Navarre, et surtout le secours que sous main il avait prêté
aux communeros de Castille, lorsqu'elles se levèrent en masse pour
reconquérir leurs libertés. Ces communes vaincues, tout était rentré dans
l'ordre ; et Charles-Quint, à son tour, apercevant d'où le coup partait, fit
constater aux yeux du souverain pontife et du roi d'Angleterre que François Ier, agissoit sans loyauté pour attiser de
nouveau le feu de la guerre, et détourner ainsi ce noble esprit de croisade
contre les musulmans, qui partout se manifestoit comme une sainte explosion
de l'Église catholique. Ces plaintes de Charles-Quint étaient
exactement fondées : toute la préoccupation du roi de France était de préparer
les éléments des batailles. Jeune et noble chevalier, il croyait que
l'élection de Charles d'Espagne était une injure personnelle qu'il fallait
nécessairement laver sur le blason de France. Dès cette époque on voit le roi
tout absorbé par les pensées de guerre ; il sait que devant lui non-seulement
il aura l'héritier des couronnes de Castille, mais encore le successeur des
ducs de Bourgogne, possesseur de la Franche-Comté, de la Flandre et du Milanais,
enfin le puissant empereur d'Allemagne, qui peut jeter les soldats de la
fédération germanique sur les bords du Rhin et de la Meuse. Profondément
persuadé qu'il doit agir avec toutes ses forces, François Ier négocie avec
intelligence et ardeur contre son puissant adversaire : la guerre embrassera la Flandre, l'Italie et les
Pyrénées ; en Flandre et sur le littoral de l'Allemagne, on pourra se faire
des alliés parmi les membres de la ligue opposée à Charles-Quint et les cités
indépendantes ; l'élection n'a pas été unanime ; les négociations de Bonnivet
ont laissé quelques traces parmi les princes et les électeurs, et au besoin,
quand la guerre éclatera, on pourra soulever ces intérêts, ces jalousies contre
le nouvel empereur. Aux Pyrénées, François Ier a pour lui le roi de Navarre
et les vieilles communes de Castille, dont l'effervescence a été réprimée
déjà, mais qui, dans une guerre, pourront se réveiller de nouveau. Aux Alpes,
le roi de France trouvera les Suisses, antipathiques à l'empereur, ennemis
naturels de la maison de Bourgogne. En Italie, on négociera avec Gènes,
Venise ; et là des forces d'argent ou d'hommes pourront être soulevées contre
Charles-Quint.
C'est particulièrement vers cette Italie que François Ier
porte son attention. Une active correspondance diplomatique s'engage entre le
roi et la sérénissime république de Venise, la plus fière, la plus
considérable des puissances de l'Italie. Quand on contemple ce qu'était
Venise alors, la force de ses régiments d'Esclavons, de ses soldats de terre
ferme, ses villes principales toutes fortifiées, ses galères à mille rames,
on s'explique très-bien l'intérêt ardent que met François Ier à se procurer
l'amitié de son doge et de son sénat[1]. Son ambassadeur
auprès de la république, Ambroise Fleurance, doit surtout, en réveillant les
bons rapports de la France
et de Venise à toutes les époques, favoriser les antipathies nées depuis des
siècles entre la république et les empereurs : quel sera le sort de la noble
cité si jamais les Allemands triomphaient sur l'influence française ?
N'était-ce pas l'ambition de tous les Césars germaniques d'arracher à Venise
ses villes de terre ferme ? Par l'alliance avec la France seulement cette
catastrophe pouvait être évitée.
A Rome, François Ier soutenait cette même politique auprès
du souverain pontife, depuis que le concordat l'avait lié intimement à la France : avec les
Allemands il n'y aurait aucune liberté religieuse pour le saint-siège ; et le
pape, toujours si plein de patriotisme, voulait protéger l'indépendance
italique contre les impériaux. A Gènes aussi, l'influence française,
toute-puissante, avait fait élire un doge favorable à son intérêt ; le sénat
était lié au roi, et le parti français garantirait contre les Espagnols le
littoral de l'Italie s'il était menacé.
François Ier, caressait également les Suisses et les
petits princes d'Allemagne, moins encore pour s'assurer une action
diplomatique que pour se donner des forces militaires respectables. Tel était
l'esprit de la noblesse de France, qu'elle croyait son honneur engagé à ne
servir qu'à cheval ; dédaignant la pique, l'arc et la longue arquebuse à mèche,
ses armes étaient la lance, l'épée, la hache ; depuis les pieds jusqu'au
sommet de la tête elle se couvrait de fer. Cette chevalerie, bonne sans doute
lorsqu'il fallait briser une infanterie tumultueuse, n'avait plus la même,
importance depuis l'invention de la poudre qui avait changé toutes les
combinaisons de l'art militaire. On devait avoir désormais une bonne
infanterie, et pour cela les Suisses et les lansquenets étaient seuls
merveilleusement bien organisés ; rudes et rustres, ils tenaient leurs rangs
pressés, présentant à la fois la pointe de leur hallebarde ou la gueule de
leur arquebuse. Il était donc fort important que le roi se procurât cette
infanterie, et il négociait auprès des cantons pour avoir à sa solde les
Suisses des hautes montagnes. En Allemagne, grand nombre de lansquenets
viendraient à lui, car ils savaient qu'avec les Français il y avait toujours
bon pillage à faire en Italie ; ils aimaient ce caractère brave, léger, intrépide,
qui caracolait un jour de bataille comme dans un carrousel. Les écus d'or
fleurdelisés n'étaient-ils pas d'un excellent aloi ? on savait les dépenser
dans les belles villes de France. Les Suisses, d'ailleurs, avaient la tête
bien basse depuis Marignano.
C'était une organisation assez curieuse que celle des
armées alors divisées par compagnies et par bandes ; la compagnie se
composait de chevaliers et d'hommes d'armes, tous bardés de fer, la lance au
poing, la dague au côté, et qui prenaient le titre de gens d'armes, au nombre
de cent, deux cents, sous un capitaine de vaillance et de bonne maison, tels
que Chabannes, Montmorency ou Bayard. Les bandes n'étaient point organisées
comme les compagnies de gens d'armes ; c'était une infanterie sous les ordres
d'un chef d'aventuriers prenant de l'argent de droite et de gauche ; il
servait selon son caprice, mais une fois engagé par parole, et argent reçu, à
chaque monstre ou revue, il obéissait au drapeau, à l'étendard
levé. Ces chefs de bandes étaient presque toujours des étrangers que le roi
cherchait à rattacher à la couronne par des magnificences. Depuis les
batailles de Crécy, les édits avaient surtout protégé l'art nouveau de
l'artillerie, qui comptait des ingénieurs florentins, excellant aux arts
mécaniques, et rien n'était plus utile que leurs conseils. L'artillerie
demeurait immobile sur le champ de bataille ; les pièces étaient longues,
posées sur affût aux larges roues ; et l'on s'en servait surtout contre cette
pesante chevalerie couverte de fer, qui brisait les rangs des Suisses et des
lansquenets.
Les longues guerres de Charles VIII, de Louis XII avaient
formé des capitaines de premier ordre en stratégie et hardiesse ; sous
François Ier on pouvait en compter un grand nombre, qui tous allaient prendre
des commandements pour conduire les hostilités. Ce gentilhomme, un peu
vieilli déjà, qui porte sur son écusson y comme support, de larges ancres,
c'est Guillaume Gouffier, sire de Bonnivet, amiral de France ; il a dans ses
veines du sang des Gouffier de Boisy et des Montmorency ; on l'a vu
s'agiter dans les négociations d'Allemagne, en Angleterre auprès du cardinal
d'York ; il est surtout vaillant chef d'armée, intrépide au combat. Celui-ci,
du même âge, a pour nom la
Trémoille, des princes de Talmont et de la maison
d'Amboise. Oh ! qu'il s'était bien battu à la bataille de Marignano, et que
les Suisses avaient senti la pesanteur de son bras ! La Trémoille était
impatient de signaler sur le champ de bataille sa vie et le lit d'honneur de
sa race. Que dire du digne baron de Montmorency, de Bayard l'incomparable, de
Lautrec, des ducs de Vendôme et d'Alençon, chefs de gens d'armes, formés dans
les grandes journées de Charles VIII et de Louis XII, tous avec un dévouement
personnel pour François Ier qu'ils considéraient comme un vaillant capitaine
; les lettres qu'ils lui écrivent, profondément respectueuses, gardent la
vieille formule du roi, nostre sire, comme
dans les antiques chartes féodales. François Ier, leur donna le titre de
cousin ou de spécial ami, pour les
encourager à vaillamment défendre l'étendard de France.
La tentative sur la Castille avait signalé les premiers
mécontentements de François Ier contre l'empereur d'Allemagne nouvellement
élu ; le roi avait favorisé les communeros rebelles. Maintenant au Nord les
mêmes hostilités allaient se produire. Il existait entre la Meuse et le Rhin des races
d'hommes gigantesques, des chevaliers dont on voit encore mille souvenirs
dans les images d'Allemagne, sur les vitraux ou dans les toiles que le
pinceau d'Albert Durer a vigoureusement tracées : chevaliers à la barbe
épaisse comme le duc d'Albe dans les tableaux de l'école flamande, à l'œil
ardent, à la volonté forte. Les romans de chevalerie avaient tous parlé de la
forêt des Ardennes, si riche en aventures périlleuses, et toute peuplée de
châteaux ; de tours crénelées, sur le sommet des monts, des rochers ou dans
les carrefours boisés de la vaste solitude. La forêt des Ardennes se liait
aux sept montagnes du Rhin, aux châteaux élancés, et s'étendait par la Souabe jusque dans la Forêt-Noire ; car le
vieux Rhin était chevelu partout. A l'extrémité de cette forêt des Ardennes
se trouvaient les terres et le manoir du seigneur de La Marck, fier homme d'armes
qui était pour la Meuse
ce que Sickinghen était pour le Rhin, un bras de protection et dé terreur.
Charles-Quint devait son élection à ces glorieux
aventuriers ; leur renommée avait assuré les suffrages, et leurs menaces
avaient effrayé bien des opposants. Plus le sire de La Marck avait agi avec
ardeur pour cette cause, plus il se croyait de droit à la récompense, et
bientôt une circonstance se présenta. Le nom de Chimay était tout national à
l'extrémité de la Meuse,
là où la Belgique
commence : avec le sang illustre des Croy qui pouvait disputer la grandeur du
blason ? Les Chimay étaient alors en discussion avec les sires d'Emeryes pour
la seigneurie de deux petits villages dans les Ardennes[2] ; les pairs
consultés avaient dit : Ce château appartient aux
Chimay, et comme le duché de Bouillon est indépendant et ne ressort de nulle
suzeraineté, notre jugement doit s'exécuter sans appel.
Le sire d'Emeryes recourut à la justice de Charles-Quint qui
fit réviser l'arrêt par le conseil de l'Empire : qu'importe au sire de La Marck ? L'héritier
des Bouillon vint réclamer lui-même ses droits à la diète, et il croyait que
justice lui serait faite après ses services pour l'élection impériale.
Cependant Charles-Quint se contenta de répondre que
le conseil aulique avoit décidé, et qu'il n'avoit aucun pouvoir pour réformer
la sentence. Impétueux de caractère, Robert de La Marck, brisant un de ses
gantelets sur la porte du château, s'écria : Puisque
celui que j'ai créé empereur ne veut pas me rendre justice, je saurai bien me
la faire moi-même. Et aussitôt il vint s'aboucher avec les
commissaires de François Ier, à Sedan, pour offrir ses services et stipuler
ses conditions. On oublia tout le passé[3] ; le bras de
Robert de La Marck
était trop fort pour qu'on hésitât à l'employer, et François Ier lui rendit cette
bande de lansquenets qu'il conduisait si fièrement avant sa rupture avec la
couronne de France. Caractère ardent, impétueux, Robert de La Marck ne se contente pas
de se lier à la France
; seigneur à peine de quelques villes et d'une trentaine de lieues dans les Ardennes,
lui seul déclare la guerre à l'empereur Charles-Quint et au conseil des
électeurs : osera-t-on braver au milieu de ses forêts l'héritier de ce
sanglier des Ardennes, si puissant dans les guerres de Bourgogne ? Il est
incontestable, au reste, que Robert de La Marck fut poussé par François Ier à ces
hostilités ; ce que le roi avait essayé au midi par les communeros de
Castille, il l'accomplissait au nord par les aventuriers sous Robert de La Marck. Les deux
souverains d'Espagne et de France, liés par un traité solennel, ne voulaient
pas ouvertement le briser : ils faisaient agir au-dessous d'eux, et comme
dans les drames la scène et l'action se préparent par les confidents.
La guerre retentit sur la Meuse : l'altier Robert de La Marck pouvait-il lutter
seul contre les forces de l'Empire réunies ? il avait trop compté sur la
puissance de François Ier qui n'osa point encore se montrer. Robert de La Marck venait d'envoyer
défi à l'empereur dans la ville de Worms[4] ; ses hérauts
d'armes portèrent son gonfanon de bataille en Allemagne, en Belgique, en
Souabe. L'Allemagne répondit à ce cartel ; Sickinghen, le fougueux
aventurier, vint croiser la lance contre Robert de La Marck, son ancien
compagnon de reître et lansquenet ; terrible combat l le sanglier des Ardennes
fut poursuivi et traqué par la bande des chasseurs allemands, qui firent
partout retentir le cor de Souabe. La principauté de Sedan et le duché de
Bouillon bientôt ravagés. Robert de La Marck aux abois préféra s'adresser pour une
trêve à Sickinghen, son compagnon de bataille, plutôt qu'à l'empereur. Sickinghen
lui accorda six semaines de répit, parce qu'il espéra le rappeler à la cause
allemande : Si longtemps ils avoient combattu l'un
près de l'autre, qu'ils ne dévoient plus se séparer. Ainsi parlait Sickinghen.
Mais Robert de La Marck
avait d'autres desseins, et, puisqu'il s'était lié à la France, homme d'énergie,
il tiendrait son serment avec fidélité.
Les rapides succès sur le fier représentant de la maison
de Bouillon avaient rempli d'audace les Allemands, et tous voulaient marcher
au cœur de la France. Une
fois le gant jeté, la guerre devait s'accomplir, tenace et forte ; ils
avaient de vieux griefs depuis Bovines ! on devait punir la présomptueuse
chevalerie de François Ier. En vain, le roi de France avait-il désavoué
Robert la Marck :
déclarant que son entreprise téméraire n'étoit ni commandée
ni suscitée par lui. Nul ne voulut le croire : car Robert de La Marck
étoit désavoué parce qu'il étoit poursuivi et traqué. Les Allemands
persistèrent donc à soutenir la guerre, sous leur chef le comte de Nassau, de
la maison d'Orange, que Charles-Quint avait attiré à lui par des récompenses
militaires, capitaine vaillant et expérimenté. On était alors à ce point où
les hostilités viennent seules, parce que la cause en est pour ainsi dire
dans l'air ; le moindre incident devient un fait capital ; on le saisit comme
une circonstance favorable, pour se précipiter à main armée l'un sur l'autre.
Les Allemands, sans respecter les frontières, vinrent faire des dégâts
jusqu'à Mousson : au milieu des protestations pacifiques, on vit tout à coup le
comte de Nassau s'avancer avec quelques bandes pour surprendre la ville et
briser ainsi l'état de paix. Une autre troupe de Flamands s'avança sur
Tournay : France et Allemagne étaient aux prises ; la maison de Bourgogne
allait une fois encore se trouver en face de la royale lignée de France.
Cette irruption de l'ennemi, depuis longtemps prévue,
trouva le royaume tout prêt à une résistance ; François Ier avait déjà
réparti l'élite de ses hommes sur les frontières et donné le commandement de
ses provinces savoir : au duc de Vendôme, la Picardie ; au duc
d'Alençon, la Champagne
; la Guyenne,
qui devait servir de point d'appui à la guerre de Navarre, fut confiée à
l'amiral Bonnivet. Enfin, la campagne aventureuse, celle qui plaisait tant à
ces cœurs, à ces imaginations, au delà des Alpes, en Italie, au Milanais, dut
être conduite par Lautrec, bon général, hardi comme son maître le roi[5]. Partout le ban
et l'arrière-ban fut convoqué, vieille coutume lorsque l'invasion devenait
menaçante ; une simple lettre du roi obligeait la noblesse à prendre les
armes ; les hérauts proclamaient la guerre, et les lances devaient se montrer
épaisses, sous l'étendard royal ; l'argent fourni par Gênes, les impôts levés
sur la bourgeoisie, avaient suffi pour solder des bandes nombreuses de
reîtres et de lansquenets, et un corps considérable de Suisses[6] s'avançait par le
Dauphiné pour le service du seigneur roi. Naguère vaincus à Marignano, ils
s'étaient alliés au roi et venaient servir avec respect sous son drapeau
fleurdelisé. Cette armée avec bacinets et cuissards, l'arquebuse au long
canon sur l'épaule, partout où elle passait gardait une bonne discipline,
ainsi que cela était commandé par les ordonnances. Dans un premier effort de
guerre, il y a toujours en France des ressources immenses ; l'enthousiasme,
digne élément des batailles, était fort grand, et nul ne manqua à la
convocation du ban et de l'arrière-ban, quand la trompette se fit entendre.
Cependant les soudards allemands avaient passé la Meuse sur quelques points,
malgré d'héroïques défenses ; et la petite place de Mousson tombait entre
leurs mains ; ils désiraient ce poste militaire, et encore Mézières plus que
la petite cité, afin de s'emparer du cours de la Meuse, et de pénétrer
librement dans la
Champagne. Mézières il y avait pour garnison les deux compagnies
des gens d'armes de Montmorency et de Bayard, avant que l'ennemi eût atteint
la frontière, les braves capitaines avaient écrit au roi, leur souverain
seigneur, pour lui annoncer l'approche des bandes germaniques ; et, avec
toute la fierté et la noblesse de leur caractère, ils avaient déclaré que le
roi pouvait se fier à eux ; qu'ils ne rendraient pas Mézières, place que la
nature avait fortifiée autant que l'art. La Meuse formé autour d'elle comme un long serpent
qui l'enlace, et de hautes murailles protégeaient encore ce fossé naturel ;
puis Bayard et Montmorency y commandaient : c'est ce que narraient le
capitaine Jean Picard, fameux par ses pilleries, et qui alors, assise côté de
Sickinghen et du comte de Nassau, devisait sur les beaux faits et gestes de
France, Le capitaine Jean Picard, serviteur autrefois de Louis XII, avait vu
Bayard à l'œuvre ; aujourd'hui au service de l'Empereur, il montrait même
grande énergie, tout en gardant pour la France lin pieux respect : Mézières devint le
rendez-vous de toute là noble chevalerie ; Montmorency, qui avait donné le
signal ; vit accourir sous son gonfanon plus de mille gens d'armes, et il
fallait bien qu'il y eût des hommes de cœur, car le prince de Nassau était à
la tête de six mille Flamands, et Sickinghen conduisait douze mille
lansquenets. Les bombes éclataient de tous côtés ; les flèches enflammées,
les bouts de lances, les pierres et les balles pleuvaient sur la ville, et
nul ne parlait de capituler. Il fallait donner le temps à François Ier de
s'avancer dans la
Champagne vers Mézières, devenu le point important ; et
c'est pourquoi Bayard et Montmorency multipliaient leurs héroïques exploits
pour sa défense[7].
Bayard n'était pas seulement un brave capitaine ; sans
être un tacticien remarquable, il n'avait pas fait la guerre si longtemps en
Italie, sans savoir que la finesse est aussi utile que la bravoure ; et il
joua un bon tour aux Allemands. L'armée qui assiégeait Mézières se composait
de Flamands, gens crédules, sous le comte de Nassau, et d'Allemands de la Souabe, joyeux
compagnons, mais jaloux et surtout méfiants, sans aucune sympathie pour les
gens de Flandre. Bayard savait que ni chefs ni bandes ne s'aimaient, et
qu'ils saisiraient le premier prétexte pour se séparer les uns des autres.
Dans cette circonstance, le rusé chevalier fait écrire une lettre en forme
d'avis, dans laquelle on annonçait la trahison prochaine des Flamands. Le comte de Nassau, y disait-on, n'attendoit que l'arrivée de 12.000 Suisses pour se
séparer de la cause de l'Empereur, et laisser égorger les Allemands, sans
leur prêter ayde. Le paysan, porteur de cet avis, eut l'ordre de se laisser
prendre par les troupes légères de Sickinghen ; il obéit, et les Allemands se
crurent trahis. Comme gens qui reviennent d'un rêve, ils n'eurent de repos
qu'après s'être séparés des gens de Flandre ; et c'est ce que voulait le rusé
capitaine Bayard.
Alors on annonça l'approche de l'armée de Champagne que
François Ier conduisait en personne. La garnison de Mézières, en signé de
joie, lança quelques canonnades, qui enfilèrent des rangs entiers de Flamands
et d'Allemands en retraite. Dès que le roi eut salué les murailles de Reims,
le duc d'Alençon, qui commandait l'avant-garde, se détacha pour jeter des
vivres et mille soldats des bandes suisses dans la place de Mézières, ainsi
largement ravitaillée. Le coup de l'ennemi fut manqué ; mais les plus braves chefs
des compagnies avaient lu dans les romans de chevalerie qu'il y avait honte à
ne point engager de rigoureux combats corps à corps, à fer aigu et bien
tranchant ; et l'on vit s'avancer un héraut d'armes, monté sur un beau
cheval caparaçonné. Dans le camp des Flamands, un brave comte défie la
chevalerie française ; il porte les armes de Bourgogne écartelées d'Egmont ;
issu de bonne race, on ne put refuser son défi. A sa face, un autre beau
blason s'avance de Mézières : Dieu soit en aide au premier baron chrétien.
C'est Montmorency qui le porte. Comte d'Egmont,
j'accepte ton défi. Telles sont ses paroles : les lances se croisent,
les épées scintillent, et nul ne remporta l'avantage ; d'Egmont et
Montmorency brisèrent deux lances et furent renversés dans la poussière. Ensuite
le capitaine de Lorge, du côté des Français, propose aux Flamands un combat à
la pique, accepté aussitôt par le noble sire de Vaudrey ; la race de Vaudrey,
bourguignonne d'origine ; attachée d'abord à la noble Marie, la mère de
Charles-Quint, était passée au service de l'archiduc et puis à celui de
l'empereur. Noble passe d'armes, de laquelle tous deux se retirèrent blessés
et en gardant leur honneur.
La première entreprise de Charles-Quint contre la
monarchie n'avait pas réussi ; et comme le dit François Ier dans une lettre
écrite à sa mère : Notre Seigneur, avec sa sainte
croix, venoit de montrer qu'il étoit bon François. Mais le plan
d'attaque contre les frontières s'étendait sur une plus vaste ligne ; la
trouée par Mézières, qui avait pour but de marcher par Reims sur Paris, se
liait essentiellement,à une expédition sur la Picardie, frontière nord
de la France.
L'ennemi avait ici poussé vigoureusement la campagne ;
comptant sur la prise de Mézières, il désirait établir sa ligne de communication
par Verdun et Guise. Les Flamands, troupes sans discipline, composées de gens
des communes, fort haineux et fort avides, s'avançaient en désordre espérant
la nouvelle d'éclatants succès en Champagne ; loin de là, ils apprirent la
pleine retraite de Sickinghen et du comte de Nassau[8] ; ceci jeta
du désordre dans les rangs. La chevalerie de France prit, dès ce moment, une
initiative vigoureuse et passa la
Sambre et l'Escaut, pour menacer les Pays-Bas, tandis que
Bourguignons, Flamands et Allemands opéraient leur retraite avec rapidité.
Inquiet, soucieux, Charles-Quint en personne vint à Valenciennes, désormais
le centre de toutes ses opérations militaires ; et ce fut là que François Ier
résolut de l'attaquer, selon l'avis de Boyard, combattu et arrêté par la
majorité des autres capitaines satisfais d'avoir préservé la frontière des
malheurs de l'invasion, il se fit en France un mouvement patriotique
très-remarquable sous l'impulsion de l'esprit chevaleresque de François Ier,
à ce point que l'on vit des jeunes filles lutter corps a corps avec des
chevaliers, et le cri de nationalité se fit entendre depuis l'Oise jusqu'à
l'Escaut. Il n'y eut pas un gentilhomme qui ne fît noblement son devoir,
ainsi que cela se doit.
Dans les Pyrénées, l'armée de France avait pris
l'initiative, afin de soulever la
Navarre et de menacer la Castille. La
précédente année on avait perdu des batailles sur les frontières du Midi, et
le comte d'Espare n'avait-il pas été obligé d'abaisser son épée devant un
comte castillan ? Le commandement était tombé aux mains d'un simple capitaine
de gens darmes, du nom de d'Estissac, de la race des Talleyrand-Périgord, et
ce capitaine, avec le ban et l'arrière-ban de la Guyenne, défendit
Bayonne, Saint-Jean-de-Luz, et put arrêter les Espagnols au, Pyrénées. C'est
à ce moment que l'amiral Bonnivet survint avec les ordres de François Ier pour
prendre le commandement de la chevalerie de Guyenne et des compagnies qui
suivaient d'Estissac ; quatre mille lansquenets, sous les ordres du comte de
Guise, vinrent joindre Bonnivet ; fiers hommes vêtus de noir, couverts de
fer. Presque toujours les lansquenets, soldats d'Allemagne, étaient employés
en Italie ou sur les frontières d'Espagne ; nés sur les bords de la Meuse ou du Rhin, enfants
de Lorraine ou de Souabe, ils n'aimaient pas rougir leurs glaives dans le
sang germanique : aussi s'en donnaient-ils à cœur joie contre les Italiens et
les Espagnols ; eux à la chevelure blonde y à la langue gutturale, aimaient à
se rencontrer face à face avec les enfants noircis sous le soleil de Naples
ou de Castille ; c'était haine de races, et ce chevalier de Guise qui les
guidait, issu de la maison de Lorraine, fut depuis appelé à de grandes
destinées. Hardis capitaines, plus d'une fois, alla de conquérir leur popularité
catholique, les Guise avaient lutté contre les ennemis de la France. Ils
passèrent donc les Pyrénées, tous, chevaliers de Guyenne, lansquenets du duc
de Guise, Basques et Navarrais, et ils vinrent assiéger Fontarabie (la fontaine des Arabes), souvenir de la
domination musulmane. Là un digne comte du nom de Duras fit des prodiges, et
Fontarabie se rendit à la chevalerie de France[9].
Ainsi était la guerre, lorsqu'il fut annoncé partout que
des conférences allaient se tenir à Calais, pour préparer les éléments d'une
paix. D'après les stipulations du traité de Noyon, François Ier et
Charles-Quint avaient accepté l'intervention de Henri VIII pour apaiser leurs
différends infinis. Dans la position que l'empereur et le roi de France
s'étaient respectivement faite, ils avaient le plus grand intérêt à ménager
Henri VIII ; car si le roi des Anglais se prononçait pour l'une ou pour
l'autre des parties, la cause serait gagnée. Henri VIII, roi bizarre,
impérieux, changeait capricieusement de principes ; auprès de lui on espérait
peu de sécurité et de suite dans les idées ; mais son ministre de confiance,
l'homme,éminent de son conseil, le cardinal d'York, était l'objet spécial de
toutes les prévenances, de toutes les caresses du roi de France et de
Charles-Quint, Thomas Wolsey, cardinal-archevêque d'York, n'était point, comme
le dit l'opinion vulgaire, le fils d'un boucher ; il appartenait à une
famille considérable du comté de Suffolk ; savant distingué, ami d'Érasme, il
s'était fait remarquer de Richard Fox, chapelain du roi ; négociateur éminent
auprès de Maximilien, il avait obtenu un traité favorable, et à son retour à
Londres, Henri VIII l'éleva à la haute dignité de chancelier. Il avait des
formes élégantes ; un esprit plein de joyeuses reparties, tel qu'il le fallait
à Henri VIII, roi qui aimait les bons dires. Wolsey devint le premier homme
de l'Angleterre par sa capacité éminente, par son intelligence profonde, et
par le rôle qu'il sut donner à la nation dans les affaires de l'Europe ;
le pape, en l'élevant au cardinalat, lui donna la légation perpétuelle en
Angleterre.
C'est donc un homme de premier mérite que Wolsey, comme
tous les cardinaux-ministres, il conserve une grande supériorité sur les
contemporains ; ménagé par tous, par le roi de France et l'empereur, qui lui
écrivent des lettres familières, le cardinal sait sa position, il n'en
descend pas ; s'il garde une sorte d'égalité, il est toujours respectueux
envers les princes ; on a dit que, gagné aux intérêts, de François Ier,
par des subsides et des pensions, il trahit la reconnaissance. Tous les
hommes publics sont accusés d'être corrompus, sorte de vengeance populaire
contre les gouvernants ; je crois au con, traire que le cardinal d'York n'eut
qu'une vive passion y ce fut de donner à l'Angleterre un rôle élevé sur le
continent, et en la faisant intervenir entre tous, de la créer la première
des nations diplomatiques. Le cardinal, dévoué à la cour de Rome, voulait
aussi préparer la paix entre les puissances chrétiennes pour arrêter les
Barbares qui menaçaient l'Europe, Cette guerre violente, prête à éclater
entre François Ier et Charles-Quint, allait trop violemment remuer le sol
pour songer à une solennelle croisade.
En cette circonstance, Henri VIII et le cardinal d'York,
invoquant les stipulations des vieux traités y offrirent d'ouvrir des
conférences à Calais pour amener la paix entre les deux princes ; de part et
d'autre, elles furent acceptées. François Ier et Charles-Quint voulaient
ménager la volonté de Henri VIII, mobile et capricieuse ; et ensuite aucun
des deux souverains n'était prêt pour le développement de leurs forces. Ces
conférences au moins donneraient le temps aux puissances de compléter leur
armement. Dès que la médiation fut acceptée, on vit arriver sur le continent
en toute hâte le cardinal d'York, suivi d'un magnifique cortège de lords et
de barons anglais. Splendide pompe que celle du voyage d'un cardinal, vêtu de
sa robe de pourpre et de son chapeau de voyage à gland d'or ! autour de sa
mule de légat, de riches chevaliers, des barons avec de somptueux équipages.
Ce fut à Calais, ville alors anglaise, que les députés durent se rendre pour
conférer sur les conditions de la paix[10] : François Ier
désigna pour ces entrevues de Calais, Duprat, son chancelier de confiance.
Comme Henri VIII avait indiqué Wolsey pour le cardinalat d'York, François Ier
avait également assuré la pourpre à Duprat, homme habile, discret et ferme
dans ses desseins ; il lui adjoignit le premier président du parlement du nom
de Selve, le maréchal de Chabannes, et un correspondant d'un esprit fort
distingué, Olivier de la
Vernade, qui paraît absorber la confiance de François Ier.
Charles-Quint également envoya aux conférences de Calais son chancelier du
nom de Guatimara, fort intelligent dans les négociations, et avec lui le
comte de Bergues, l'abbé de Saint-Bertin, et pour secrétaires deux hommes de
loi flamand et aragonais, très-instruits dans les principes du droit public. Tout
devait être dirigé par le cardinal d'York ; lui seul, se posant en médiateur,
devait prononcer sur les questions de haut intérêt.
Il existe deux sortes de documents sur les conférences de
Calais, les procès-verbaux en manuscrits qui donnent le précis des
discussions avec une exactitude rigoureuse[11], et la
correspondance particulière de Duprat avec François Ier et d'Olivier de la Vernade, observateur si
fin de tous les accidents de la négociation[12]. Le cardinal de
Wolsey écrit lui-même plusieurs fois à François Ier ; se défendant surtout
d'un système de partialité qu'on lui reproche à l'égard de Charles-Quint, il
rappelle au roi tout ce qu'il a fait pour lui et le maintien de la dignité de
sa couronne. Ces lettres, généralement rédigées avec un grand caractère de
fermeté, excluent toute idée de corruption[13]. On s'imagine
que les choses secrètes de la politique se produisent par des moyens honteux
; il y en a sans doute, mais les résultats arrivent le plus souvent par un
mouvement irrésistible qui entraîne les hommes et les faits. A son tour
François Ier écrit assidûment au cardinal Wolsey ; on voit qu'il le ménage et
le caresse. Ses instructions au chancelier Duprat[14] sont destinées à
séduire le cardinal Wolsey par ces petits soins délicats et attentifs qui
attachent ; il s'est aperçu que le cardinal d'York montait difficilement à
cheval, il faut lui envoyer une litière bien douce
pour qu'il se rende sans effort aux conférences ; lui souffrant et malade[15].
Les points discutés étaient ceux-ci : restitution respective de la Navarre et du royaume de
Naples, règlement des droits sur la Bourgogne en vertu du traité de Noyon. Les
envoyés du roi de France soutenaient que tout cela était stipulé déjà, et
qu'il fallait exécuter toutes les clauses sans discussion nouvelle. Le chancelier
Guatimara répondait que la situation avoit changé,
et qu'aucune restitution ne pouvoit être faite sans un nouveau traité[16]. Au milieu de
ces prétentions ardentes, soutenues avec énergie, le cardinal Wolsey vit bien
qu'il n'y avait qu'un parti rationnel à prendre, c'était la conclusion d'une
trêve assez longue pour permettre au monde chrétien de se débarrasser des
infidèles par une croisade, en vertu des instructions que le cardinal avait
reçues de Rome.
Cette trêve devait être considérée comme un moyen de
servir la politique de Charles-Quint, puisque, laissant les choses dans
l'état actuel, on ne faisait aucun droit aux plus justes réclamations de
François Ier. Dès ce moment les entrevues du cardinal d'York et du chancelier
Duprat prirent tin ton d'aigreur difficile à décrire. Comme tout esprit
supérieur, le cardinal d'York devait garder là direction suprême des
conférences, et il le fit avec modération et impartialité au milieu des
querelles les plus vives qui s'élevaient entre Guatimara et Duprat lui-même
très-emporté. Il s'agissait de constater qui des deux princes avait commencé
là guerre : était-ce Charles-Quint ou François Ier, l'empereur ou le roi ?
Duprat avait pour lui les faits matériels, car les batailles avaient commencé
ouvertement par l'invasion des lances bourguignonnes, flamandes, germaniques,
sur le territoire de la
France. Mais, à cette observation incessamment répétée par
Duprat, le chancelier Guatimara répondit par une seule objection : le roi de
France n'avait-il pas provoqué les hostilités de Robert de La Marck ? lui seul avait
donc commencé la guerre ! Duprat, toujours violent, lui dit : Je mets ma tête en jeu si le roi a secouru Robert de La Marck. — Alors, répondit Guatimara, donnez-moi votre tête, car voici des lettres qui prouvent
l'accord de François avec le sire de La Marck. — Non, non, répondit Duprat, ces lettres ne signifient point cela, et vous n'aurez
point ma tête. — Je ne la veux point,
répliqua Guatimara, je préfère une tête de cochon,
elle sera meilleure à manger[17]. Le cardinal
d'York se prit à rire en fronçant le sourcil, afin de ne pas pousser plus
loin une discussion qui dégénérait en injures personnelles. Désormais le
médiateur ne se préoccupe plus que d'un seul but, la trêve de Dieu, puisque
la paix est impossible au milieu de prétentions si diverses ; avec la trêve
il pourra mener toute la chrétienté sous l'étendard de Rome dans une grande
croisade ; c'est ce qu'il écrit à François Ier, dont il invoque incessamment
l'esprit chevaleresque en l'honneur de la croix.
Tandis qu'avec son esprit persévérant et supérieur, le
cardinal d'York veut pacifier des querelles si vives, on voit toujours se
manifester les antipathies, la méfiance des Anglais et des Français. Calais,
poste avancé sur le continent, est surveillé avec une attention particulière
par les Anglais ; car les archers de France rôdent autour des murailles :
veulent-ils s'emparer de la ville par ruse ou par force, durant les
conférences, et profiter de la trêve pour grandir leurs possessions ? Chaque
jour des querelles s'engagèrent entre les deux chevaleries ; les Espagnols se
montrent fort hostiles et l'irritation est partout : comment le cardinal
d'York pouvait-il préparer même une trêve ? Alors, comme dernier moyen, il
propose de créer pour Henri VIII une sorte de protectorat qui le rendra
arbitre et maître de la paix et de la guerre sur le continent. Qu'on stipule d'abord un délai suffisant pour que les
hostilités ne recommencent plus et pendant ce temps, le roi d'Angleterre,
juge impartial, décideroit sur les contestations. La haute position
que le cardinal d'York avait reçue de Rome devait justifier ce pouvoir ; et
ici se déployait l'habileté de œ grand cardinal, qui donnait an roi son
maître la première place en diplomatie. Toutes ces hautes pensées restèrent
en projet : on n'accepte une pacification que lorsqu'il y a lassitude de la
guerre ; mais, dans la première force d'un règne, on ne songe pas si
facilement à calmer les têtes et à désarmer les bras. Tout était aux
batailles : traité, alliance, négociation. Charles-Quint portait partout son
esprit ambitieux ; François Ier avait également des aventures à courir : il
fallait donc des champs clos, de larges lices pour des combats à outrance ;
et le caractère pacifique du cardinal d'York ne pouvait désormais dominer les
esprits.
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