Les dernières années de l'art du moyen âge. — Les cathédrales du XVe
siècle. — Les miniatures des Mss. — Les Heures de la reine Anne. — Les
tournois du roi René. — Les décors. — Les tombeaux. — De l'état de la
peinture en Italie. — Les écoles vénitienne, florentine, toscane. — La
sculpture. — L'architecture. — La ciselure. — Les nielles. — L'orfèvrerie. —
L'école allemande. — La
Flandre. — La
Hollande. — L'art des bâtiments. — Influence en France. —
François Ier et Léonard de Vinci. — Benvenuto Cellini. — Primatice. — Rosso.
— Ouvrages d'or, d'argent. — Ivoire. — Monuments publics. — Constructions. —
Influence comparative des écoles.
1500-1525.
L'étude approfondie des siècles écoulés constate aux yeux
de tous, qu'il existait un art remarquable et puissant au moyen âge ; les
immenses cathédrales qui nous entourent encore de leur splendeur, les riches
miniatures des Manuscrits, les grands poèmes de chevalerie, disent
suffisamment que cette période eut ses merveilles dans les productions de
l'intelligence et de l'art. Cette intelligence, cet art spécial du moyen âge,
jettent leur dernier éclat au XVe siècle, époque où de nouvelles formes
arrivent dans la société avec les proportions grecques et romaines. Quelques
cathédrales du XVe siècles se ressentent déjà de cette influence : ce n'est
plus l'ogive pure, cette forêt de colonnettes qui marient leurs rameaux comme
un vaste berceau de pierres ; ce ne sont plus ces légendes incrustées sous
les portails des cathédrales ; il se fait un mélange de l'art vieilli avec
les premières impressions de la renaissance ; on consulte les modèles
antiques, on mêle tous les genres ; la cathédrale de Milan me paraît le chef-d'œuvre
de cette confusion première. Dans son cintre et ses vastes voûtes, c'est le
moyen âge ainsi que dans ses ogives et dans ses colonnettes ; puis, si vous
étudiez cet extérieur tout de marbre, cette prodigieuse myriade de
clochetons, de statues, de cariatides musculaires à la manière des études
anatomiques de Michel-Ange Buonarotti, vous reconnaissez immédiatement ce
caractère de la renaissance qui vous enlace en Italie par tous les côtés. Ce
type se manifeste aussi dans la cathédrale de Pise ; les dômes de Florence,
de Sienne, la Chartreuse
de Pavie, avec leur prodigalité de marbre, signalent une richesse d'ornements
d'un goût qui n'a plus ni règle ni genre. Le Saint-Marc de Venise est le lien
qui unit le style byzantin à l'architecture latine.
De cette confusion, se détache comme une magnificence sans
nom, Saint-Pierre de Rome ; en vain, dans ce grand œuvre, vous chercheriez
les traditions des basiliques primitives qui vous ravissent à
Saint-Jean-de-Latran, ou le souvenir des cathédrales du moyen âge ; Saint-Pierre,
avec ses proportions gigantesques, ne trouve son explication et son symbole
que dans l'idée immense que le peuple se faisait de la papauté ; on voulut
élever un monument dans la proportion de cette image ; le Panthéon antique
seul pouvait en donner l'inspiration et les formes, et l'admirable portique
qui l'entoure est encore un souvenir de ces places publiques de Rome, où les
sénateurs venaient, accompagnés de leur client, disserter à l'abri du soleil
et du siroco, sur les affaires de la cité. Saint-Pierre est un géant dont la
lignée s'est perdue ou rapetissée à mesure que la réforme ravage les
croyances.
Dans les œuvres de peinture, la transition du moyen âge à
la renaissance se révèle en France par deux monuments d'un fini et d'une
perfection remarquables : les Heures de la reine Anne de Bretagne et les
miniatures du livre des tournois du roi René[1]. Ce n'est déjà
plus l'infinie perfection de détails des vieux Manuscrits : la rose
purpurine, les oiselets bleus suspendus aux mille branches du verger, la
cerise, les fruits coloriés sur un fond d'or, vignettes si gracieuses du
moyen âge ; l'artiste s'occupe moins de ces détails que des proportions
générales, telles que l'imposent les exemples sévères de l'école grecque et
romaine ; ranimation morale de la figure, l'expression des traits et la
majesté des contours entrent dès lors comme étude principale. Les ornements
et les décors eux-mêmes ont subi une certaine innovation dans leur engencement,
et il en existe un exemple dans les vieilles gravures sur les funérailles
d'Anne de Bretagne, et les fêtes populaires données au roi François Ier par
la cité de Paris, à son avènement ou lors de son entrée dans la bonne ville.
La cité municipale éleva des arcs de triomphe à six endroits différents : aux
Tournelles, à la porte Saint-Denis, au cimetière des Innocents, à Notre-Dame,
au Parloir des Bourgeois et au Pré-aux-Clercs[2] ; et chacun de
ces arcs de triomphe fut artistement élevé à la manière italienne. Si vous
avez visité dans le vieux Milan la place Saint,Charles Borromée avec ses
maisons antiques et découpées, ses fontaines gracieusement monumentales, vous
pouvez vous faire une juste idée des ornements et des décors de ces arcs de
triomphe municipaux : ici des feuillages jetés dans des portiques de fer avec
des faunes, des satyres, des dragons étincelants ; là des figures,
allégoriques, la Fortune,
la Gloire
couronnée de lauriers, les Muses à côté des personnages de l'Ancien Testament
; plus loin, des fontaines de vin, qui retombent par de petits jets en vaste
nappe ; mélange de l'école florentine, du moyen âge et de la sévérité
des lignes grecques et romaines.
Dans cette confusion de genres, un monument du goût le
plus épuré s'élève pour annoncer un magnifique talent, souvenir de l'antique
; c'est le tombeau de Louis XII et d'Anne de Bretagne à Saint-Denis : la
composition en est simple ; les portiques sont surmontés d'une vaste pierre
sur laquelle gisent les statues couchées de Louis XII et d'Anne de Bretagne,
unies dans la vie comme dans la mort ; aux diverses faces du monument, on
voit assises d'admirables figures empruntées aux traits de l'école d'Athènes (de Raphaël), tètes d'apôtres ou de
philosophes qui semblent méditer sur la vanité des choses humaines. On ne
peut douter maintenant que ce tombeau ne soit l'œuvre de Jehan Juste[3], dont l'habile
ciseau avait créé tant de merveilles. Sans doute le tombeau de l'empereur
Maximilien, à Insprück, est une œuvre plus achevée comme détail ; les
bas-reliefs n'ont rien de comparable ; mais le travail de Jehan Juste, même
au milieu de tous les autres, doit tenir une large place. L'aride la
sculpture antique est revenu avec sa perfection de physionomie, de contours
et d'admirables lignes. La véritable source de ces monuments de l'art, c'est
l'Italie où les écoles de Rome, de Florence, de Venise demeurent dans une
noble rivalité. Le XVIe siècle s'achevait sous l'influence des grands maîtres
et sous la protection des pontifes et des Médicis. Que de puissants génies à
Florence, depuis Giotto, qui peignit le Campo Santo, le monument
municipal de Pise, sa gloire, sa richesse, jusqu'à Michel-Ange Buonarotti,
gigantesque comme ses conceptions, sculpteur, peintre, architecte à la fois !
Buonarotti avait abandonné Florence pour Rome, où la magnificence des papes
le tenait captif sous le dôme de la chapelle Sixtine. Saint-Pierre seul
pouvait abriter ce vaste génie.
L'école florentine comptait alors des maîtres célèbres :
Bandinelli Baccio[4],
Bronzini Angelo[5],
Fra Bartolommeo[6],
lui-même, quoiqu'il se fût consacré plus tard à sa nouvelle patrie, Venise,
fière aussi de son école de peinture dirigée par Bellini Giovanni[7], et Sebastiano
del Piombo[8].
Nul artiste, Florence, ne pouvait égaler ton Andréa del Sarto, ton Leonardo
de Vinci, le vieux ami de Michel-Ange. Vannucchi[9], que la coutume
surnomma del Sarto, parce que son père
était tailleur, appartenait à l'école florentine pure ; enfant, il avait
montré une ardeur active pour le dessin, et ses progrès étonnèrent bientôt
les plus grands maîtres. C'est souvent dans les plus obscurs recoins de l'Italie
qu'on trouve les œuvres de ce maître célèbre, la gloire de l'art ; lorsque le
voyageur parcourt les galeries du cloître de la compagnie dello Scalzo ou le monastère des Servîtes de
l'Annunziata, partout se révèlent à lui des peintures en grisaille d'André
del Sarto ; avec un incessant besoin de gagner quelques écus d'or, Andréa del
Sarto multiplia les tableaux de chevalet qui popularisent tant les maîtres.
Séduit par cette forme gracieuse et ce coloris aérien, François Ier l'appela
auprès dé lui à Fontainebleau, et par ses ordres, Vannucchi composa cette
admirable Charité, une des richesses du Musée. Andréa del Sarto fut royalement
traité par François Ier ; mais, artiste capricieux, il quitta subitement la France pour revoir son
Italie. Là, malheureusement accusé, il se consola dans ses chefs-d'œuvre ; la Madonna del
Sacco, si belle de vérité, de coloris et de grâce ; la Cène de
Jésus-Christ, dessinée sur de plus grandes proportions dans le monastère
de San Salvi ; le Sacrifice d'Abraham, le Christ mort, si beau,
qu'on le dirait détaché delà croix pour sauver les hommes ; mais ses plus
belles peintures rayonnaient sur les bannières des confréries de Florence,
l'orgueil de la cité, et Andréa del Sarto leur consacra son coloris frais,
harmonieux, comme un hommage de patriotisme.
Le Rosso, ou Maître Roux[10], comme le disent
nos chroniques, était aussi de Florence ; singulier assemblage de talents :
poète, musicien, architecte, peintre, et tout cela à un haut point de
perfection. Maître Rosso était semblable ainsi à ces figures d'artiste de
Callot qui portent la palette en main, la longue rapière, la guitare en
bandoulière, et qui semblent méditer quelques sonnets pour une belle de la
cour de Louis XIII ou du duc de Lorraine à Nancy. Rosso, comme Andréa del
Sarto, commença ses tableaux à la fresque pour l'église dell' Annunziata, le
grand Musée de Florence, et dès son début, il se révèle en lui un mouvement
de style hardi, spirituel ; Rosso, affranchi de toute idée vulgaire, a
horreur des compositions régulières ; s'il veut peindre la Transfiguration,
où se déploie la figure divine du Christ, il jettera sur l'avant-scène du
tableau une troupe hideuse de Bohémiens : cela fait contraste. Les religieux
de Sainte-Claire lui demandent une Descente de croix, et comme rien
n'est plus triste pour le chrétien que le dernier sacrifice du Christ, Rosso
qui l'a compris, choisit pour le lieu et le temps de la scène un endroit
sombre sous un jour obscurci déjà ; il n'est pas nuit encore, mais le
crépuscule s'abaisse, et une partie de la nature est voilée comme le monde
dans sa grande douleur ; Rosso vint en France comme Andréa del Sarto pour
répondre à ce noble appel des artistes que le roi avait fait autour de lui.
Le maître à eux tous dans cette grande école florentine,
Léonard de Vinci est un bâtard de noblesse dans la belle cité. Que de
traditions sur maître Léonard, le plus beau jeune homme des bords de l'Arno,
si fort, si puissant de ses membres que d'une seule main il arrêtait le
branle d'une grosse cloche et il ployait le fer d'un cheval aussi facilement
qu'une lame de plomb ; et avec cette énergie incomparable, philosophe,
mathématicien, poète aussi, tout en rapport avec cette époque grandiose ; son
début fut un coup immense ; chargé par Verocchio, son maître, de peindre un
ange pour le tableau du baptême de Notre Seigneur, il le fit avec une telle
supériorité que Verocchio, désespéré, renonça pour toujours à la peinture. A
Milan, il étonne, il effraie Ludovic Sforza, par ce colossal modèle de statue
équestre auquel il doit travailler toute la vie ; toujours hardi et
pittoresque, il fond, pour charmer les loisirs de Sforza, une lyre d'argent
qui avait la forme d'un crâne de cheval, car rien ne pouvait sortir vulgaire
et régulier de sa main. Il n'existe pas au monde une plus belle composition
que celle du réfectoire des dominicains de Milan, le célèbre tableau de la Cène : tous les apôtres
sont là, Jean à la figure candide, Simon, Pierre autour du Christ ; ils
écoutent la parabole, et toutes ces têtes sont belles d'expression jusqu'à
celle de Judas, le misérable vendeur d'homme ; car il faut que cette vie du
Christ soit soumise à toutes les épreuves, à toutes les déceptions. Et vous, Lisa
del Giocondo, aux si belles couleurs, que maître Léonard fit par l'ordre
de François Ier, qui peut vous être comparé ? Persécuté dans sa patrie, au
milieu des guerres civiles de Florence et du Milanais, Léonard de Vinci vint
réclamer l'hospitalité royale à Fontainebleau, puis dans le palais d'Amboise
; vieillard déjà, sa main pourtant créait d'admirables têtes ; sa puissance
de composition ne se ralentit pas ; et se souvenant qu'il était mathématicien,
ingénieur, il jeta sa dernière pensée dans un mémoire pour créer le canal de
Romorantin. Ce vieux peintre, à la barbe blanche, les yeux à demi voilés par
la mort, que vous voyez visité par François Ier lui-même, sur son lit de
douleur, c'est Léonard de Vinci ; artiste roi, il devait mourir dans les bras
d'un roi[11].
N'est-ce pas Léonard de Vinci qui a laissé à la postérité les traits de François
Ier sur une toile immortelle ?
A côté de l'école florentine, maintenant il faut placer
l'école vénitienne, à son origine, sous le pinceau de Bellini Giovanni, et
qui devient véritablement éclatante sous Titien et Tintoret, jusqu'au grand
Paul Véronèse, l'auteur des Noces de Cana, où les beaux lévriers delà chasse,
retenus en laisse, .se mirent dans les aiguières au pied des joueurs de
basse. Tiziano Veccelli[12], le peintre de
Venise, simple broyeur de Sébastien Zucchato, s'élança de cet humble métier
avec Giorgone dans les peintures à fresque. Au milieu de cette Venise si
artistique, si originale, le Titien se fit aussitôt remarquer par son vaste
tableau de l'église Dei Fràri. Bellini avait compris, sur de petites
proportions, les peintures de la salle,u Conseil à Venise ; le Titien lui
donna des dimensions colossales dans des masses de chef-d'œuvre, saint
Pierre martyr, Cornélie s'évanouissant dans les bras de Pompée ;
et par-dessus tout il fut l'artiste de portraits. Léonard de Vinci avait
suivi François Ier son protecteur ; le Titien prit pour son modèle et son
maître Charles-Quint, à cette époque où rois et artistes vivaient dans la
plus grande familiarité : qui pouvait mieux que le Titien concevoir la grande
apothéose, aujourd'hui encore à l'Escurial ? La Trinité apparaît dans
les airs pour accueillir l'hommage de la Vierge et des saints ; et les anges lui
présentent la famille de Charles-Quint, revêtu des ornements impériaux.
Depuis ce moment, le Titien devient pour ainsi dire Espagnol ; ses plus belles
œuvres furent inspirées par Charles-Quint. Le prince qui jetait dans le
bronze de sa pensée la monarchie universelle, venait s'asseoir dans l'atelier
de Titien à l'Escurial ; à Seville, à Cordoue, où le peintre sema des chefs-d'œuvre.
Tintoret, l'élève chéri du Titien, né comme lui à Venise, se nommait Jacques
Robusti[13],
et prit le nom de Tintoret de la profession de son père, le teinturier, comme
Andréa del Sarto devait également son surnom à la profession de son père, le
tailleur. Nul ne fit des études plus fortes, plus variées pour apprendre tous
les détails de l'art ; le Tintoret s'était fait une religion d'artiste qu'il
résumait dans cet axiome : le dessin de Michel-Ange
et le coloris du Titien. Tantôt on le voyait travailler à la lampe
pour saisir les ombres plus fortes, plus nuancées de la nuit ; tantôt il
suspendait des petites figures à des fils d'archal pour étudier les
raccourcis ; Tintoret, artiste d'études, se révèle surtout dans son tableau
d'Adam et Ève séduits par le serpent, si souvent reproduit par les
vieilles gravures. Le Miracle de saint Marc est la perfection des
clairs-obscurs ; Venise montre aujourd'hui avec orgueil plus de cent toiles
du Tintoret, et ses œuvres brillent par ses premières études, la hardiesse
dans le jeu des lumières et la difficulté des raccourcis. Son défaut vient
précisément de l'exagération de ses qualités ; ses chairs sont un peu
violettes ; ses membres trop fins, souvent léchés. Comme Titien, le Tintoret
se dévoua à Charles-Quint ; les arts à Venise n'avaient aucune
répugnance pour le tudesque empereur.
L'école de Rome et de Bologne, que l'on peut confondre
comme celle de Venise et de Vérone, produisit aussi de grands maîtres. Si
l'on considère l'origine et les primitives études de Michel-Ange et de
Raphaël, on pourrait les dire de l'école florentine, car leurs premières
œuvres se font à Florence, sous l'influence des Médicis. Mais la force de
leur vie d'artiste, leur puissance de talents, se déploient surtout à Rome ;
ils respirent là dans toute leur liberté à la face du Vatican et de
Saint-Pierre. Ce n'est donc pas une erreur d'origine que de les placer au
milieu de l'école de Rome sous Léon X. L'illustre éducation de Michel-Ange se
développe à Florence sous Laurent de Médicis ; c'est là qu'il interroge
l'anatomie et la mort pour apprendre ces fortes lignes du dessin, ces
raccourcis merveilleux qui se déploient avec tant de magnificence dans ses
œuvres ; Rome seulement présenta un théâtre assez vaste pour le talent de
Buonarotti, il put y respirer à l'aise ; au génie, il faut des souvenirs
immenses. Quand Michel-Ange vint habiter Rome il avait vingt-neuf ans ; tous
ses essais, jusque-là, n'avaient rien de parfait ni de fini ; à Rome, en
présence des beaux débris de l'antiquité, il sculpta son Bacchus et
son admirable Notre-Dame-de-la-Pitié qui brille encore sur l'autel de
la chapelle du Crucifix. Son œuvre capitale, puissante, ce fut dans la Chapelle
Sixtine, ce jugement dernier qui fait frissonner
par la grandeur de la conception et la splendeur du dessin. Là se montre tout
le génie de l'artiste qui n'a pas d'égal, pas même Raphaël d'Urbino[14].
Ce jeune homme, aux traits si beaux, n'appartenait-il pas
aussi à l'école de Rome ? Il a vu Florence sans doute comme le grand
Buonarotti ; mais sa vie se passe dans la cité éternelle ; sa première
manière se ressent de deux maîtres, le Pérugin et Léonard de Vinci, dont il a
le fini et la grâce. Si Michel-Ange porte dans ses œuvres la vigueur d'un
génie puissant et hardi, Raphaël a cette intuition du beau,cette splendeur de
la nature idéale qui se reflète sur le visage divin de ses vierges et,e ses
saintes Familles ; depuis son premier tableau du Sposalizio, où la forme du
moyen âge se révèle encore dans la perspective du temple jusqu'au saint
Michel, fait par ordre de François Ier, et à la salle du Vatican, appelée della Segnatura, où l'on voit la Dispute du
saint sacrement, l'École d'Athènes, le Parnasse et la Jurisprudence.
Il est admirable à dire que ce nom de François Ier se mêle
à toutes ces vies d'artistes, à ces œuvres, de grande peinture ; c'est encore
pour le roi de France que Sanzio composa la plus belle de ses Saintes
Familles. Quelle que soit la diversité des jugements que l'on porte sur
le génie de Raphaël et de Michel-Ange, sur leur supériorité de mérite, dans
des parallèles si souvent répétés, il faut reconnaître qu'ils dominèrent
l'époque de la renaissance, l'un par la grâce, le beau idéal, l'autre par la
puissance du génie antique. Le plus cher des élèves de Raphaël, Jules Romain[15], fut encore
encouragé dans ses plus actives études par le roi François Ier. Tous ces grands
maîtres avaient des élèves chéris qui préparaient l'œuvre et se pénétraient
si profondément de la manière de leurs chefs, qu'on les confondait souvent
avec eux, honneur insigne qui fut fait à la méthode de Jules Romain, surtout
dans l'exécution des loges du Vatican. Giulo Pipi, qui prit le nom de Jules
Romain, avait été placé, joyeux enfant, dans l'atelier de Sanzio, si jeune
alors lui-même ; élèves bien-aimés d'un artiste bien grand, Giulo et il Fattore
firent les délices du maître ; partout on aperçoit dans les tableaux de
Raphaël la main de Jules, et aux loges du Vatican et dans les palais Borgia
ou Ghigi. Jules Romain ébaucha même cette Sainte Famille que Raphaël
destinait à François Ier et ses grandes et personnelles compositions ne se
déploient qu'après la mort du maître. Alors dans les fresques de la salle de
Constantin se révèlent sa vigoureuse manière, son étude des antiques, son
érudition même dans la science des armures et des vêtements. Ces fresques, si
souvent gravées, donnèrent la plus juste renommée à Jules Romain, et l'on
trouve dans le livre des comptes de François Ier l'emploi de trois cents écus
au soleil destinés à reproduire l'œuvre de Giulo.
Le nom du Primatice se mêle si intimement à la France qu'il paraît
impossible de le séparer de son roi dans le vaste tableau de ce règne.
Francisco Primaticcio, né à Bologne[16], la ville si
gaie, si artiste, avait assoupli son jeune pinceau à la manière de Giulo, et
on la reconnaît dans ses deux frises en stuc qui représentent l'ancienne
milice romaine. Il vivait à Mantoue, obscur dans son atelier, lorsque
François Ier, le fit mander pour orner son palais de Fontainebleau, dont il
agrandissait la vieille architecture. Cette noble pléiade d'artistes que le
roi de France appelle autour de lui, il la groupe par de pénibles efforts et
à travers mille jalousies de position et de talent. Le premier de ces
peintres, Léonard de Vinci, meurt en France dans les bras de son royal
maître. Rosso vient après lui ; le roi, qui ne peut détacher Raphaël ni
Michel-Ange du beau ciel de l'Italie, des palais de Rome et de Florence, leur
commande de grandes œuvres. Il est plus heureux auprès du Primatice qu'il
attire à Paris : quelle lutte déjà pour apaiser la colère de maître Roux,
intendant des palais de la couronne, quand il voit la faveur du Primatice ;
le roi cède d'abord, et le Primatice, avant de commencer sa belle galerie de
Diane à Fontainebleau, est obligé de faire un long voyage en Italie. François
Ier, toujours magnifique, obligé de satisfaire Rosso, capricieux, jaloux,
voulut néanmoins garder Primatice à son service ; si l'artiste fit un voyage
commandé en Italie, ce fut par les ordres et pour le service du roi ; il dut
réunir toutes les collections de tableaux, de statues antiques, prendre les
modèles des chefs-d'œuvre qu'il ne pouvait acheter : cent vingt-cinq statues
recueillies, des bustes de la
Grèce et de Rome, et les moules du Laocoon, de la Vénus de Médicis
et de l'Ariane, furent placés dans les jardins de Fontainebleau.
François Ier, s'était si fortement épris de cette école italienne, qu'il
dédaignait le moyen âge des arts ; le roi si chevaleresque, si dévoué aux
mœurs des temps dé prouesses, voyait avec dédain tout ce qui sortait dés
proportions de l'école antique. Il peuplait ses résidences des faunes, des
naïades, des bronzes fondus à Florence, des marbres taillés par des mains
habiles dans les carrières de Massa et de Carrare. La renaissance se royalisa
glorieusement sous ce front couronné.
Il y avait, à ce temps, dans tous ces artistes, une
universalité de genre indispensable pour constituer leur noble et active
carrière. Le peintre était à la fois sculpteur, graveur, architecte et
souvent ingénieur ; et sous ce triple aspect Michel-Ange se révèle comme la
plus belle des intelligences. Aussi bon sculpteur que grand peintre,, aussi
habile architecte que hardi ingénieur, Buonarotti jette des ponts j trace le
cours des canaux et fond même des statues colossales en fer ou en bronze qui
décorent les places publiques. Toutefois là sculpture comme l'architecture
eurent alors des maîtres spéciaux en Italie. Depuis Nicolas Pisano[17] jusqu'à
Michel-Ange, que de renommées, parmi lesquelles Ghiberti[18], Donatello[19], Benvenuto
Cellini, plus ciseleur encore que sculpteur, Benvenuto le plus artiste des
Italiens, parleur de prouesses, spadassin comme un brave, vivant inquiet à
Rome, à Venise, à Florence ; Benvenuto, dont les statues colossales, les
coupes ciselées, les plaques, les orfèvreries font encore les délices et l'admiration
de tout ce qui aime le beau et le génie antique ! Parmi les architectes, un nom
absorbe tous les autres, celui de Bramante. Aux rues de Milan, de Vérone, de
Pise, de Florence ou de Rome lorsqu'il y a un monument de la renaissance avec
un certain caractère de perfection, on l'attribue à Bramante ou à Michel-Ange
: à Bramante, lorsqu'il est gracieux ; à Buonarotti, lorsqu'il est
gigantesque. Lazare Bramanti[20], de l'école
romaine, peintre d'abord, s'éprit, comme par instinct, des chefs-d'œuvre
qu'il avait vus dans ses voyages et particulièrement du dôme de Milan.
Jusqu'ici Brunelleschi[21] avait dominé
l'architecture ; l'Italie qui n'avait qu'imparfaitement connu l'art svelte
des cathédrales, au moyen âge, déborda dans les proportions de l'antique et
dans les souvenirs de la basilique. Ce fut Bramante qui joignit les deux
genres surtout dans ce pont élégant qu'il fit construire pour réunir le
Belvédère au Vatican. On vit alors -reparaître les trois ordres de Vitruve,
les portiques, les chapiteaux à feuilles, comme il en existe encore des
souvenirs à Milan, à Gènes, à Florence et de là cet art purement italien, qui
ne fut ni le moyen âge ni la vieille Rome. L'œuvre qui illustre à tout jamais
Bramante, c'est le plan de Saint-Pierre de Rome, la cathédrale de la papauté.
Nulle ardeur ne peut se comparer à celle de l'architecte, improvisation
admirable, trop prompte quelquefois pour être complète ; et c'est ce qui lui arriva
pour le plan de Saint-Pierre de Rome y que Michel-Ange dut remanier de fond
en comble. Cet art de l'architecture, passion de l'époque, fut continué par
Sansovino et porté enfin à toutes les splendeurs de la renaissance dans la Chartreuse de Pavie.
Chaque maison devint un monument, chaque villa un palais ; les façades furent
sculptées comme des bas-reliefs, avec des symboles, des feuillages
entrelacés, des satyres, des nymphes, des tètes antiques comme les camées ;
l'escalier, la rampe, les gouttières, qui jetaient des masses d'eau, furent
également ciselés ; les jardins se peuplèrent de statues, de vases antiques,
naïades, faunes, avec ces belles chèvres soyeuses sous le bronzé, qui
rappelaient les Bucoliques de Virgile.
L'art de la ciselure est poussé jusqu'à la perfection par
l'école florentine si fière de ses grands maîtres ; Benvenuto Cellini qui les
efface tous, est Florentin[22]. Dans la noble
cité des Médicis, il existait tout un quartier où le marteau retentissait
nuit et jour sur le bronze, le cuivre, l'or et l'argent. Cette coupe,
artistement ciselée, reproduit, comme sur un bas-relief antique, des nymphes
gracieuses, des bacchantes échevelées, des nains hideux, des faunes lascifs
et souriant ; des fleurs, des fruits qui tombent en larges grappes ; des
batailles où les lances se croisent et les longues coulevrines se heurtent.
Voyez les portes de bronze du baptistère de Pise, ces armures si riches, ces
coupes d'or enrichies de topazes, tous ces chefs-d'œuvre sont de la
corporation des orfèvres de la belle cité de Florence. On ne se contente plus
de la peinture sur les tableaux, on veut des merveilles d'orfèvrerie ; un
mélange d'or, de topazes, d'émeraudes, de manière à frapper vivement les
yeux.
Cet art de la ciselure est splendide, soit qu'il s
applique au bronze antique sur les armures, les cottes d'armes des archiducs
rangés immobiles autour du tombeau de Maximilien, à Insprück, soit qu'il
embellisse les coupes des festins, les urnes funéraires, les portiques des
temples ou du Campo Santo. Benvenuto Cellini pousse plus loin la perfection
des pièces d'orfèvrerie ; artiste bizarre, capricieux, l'escopette en main,
avec son ciseau de sculpteur, il écrit sa vie aventureuse, inquiète,
saccadée. François Ier l'attire à sa cour, avide de ces ouvrages d'orfèvrerie
qui reproduisent une chasse retentissante, des chiens haletants, le cerf et
le daim qui bondissent aux aboiements de la meute impatiente. François Ier,
fait d'énormes dépenses pour se procurer les œuvres des grands maîtres ; on
trouve dans ses comptes des indications curieuses qui signalent à la fois les
progrès des arts et sa munificence royale pour les artistes ; c'est aux
orfèvres de Paris que ces acquisitions généralement sont faites, mais le
travail vient de Florence : Payé à Allard Plommyer,
marchant lapidaire, demorant à Paris, dit le compte général[23], la somme de dix mille livres, aussi pour achapt d'une
croix de dyamant qui pend à une chaîne où y a vingt-deux dyamants servans de
neux, et une grande couppe d'agathe garnye d'or et enrichie de dyamans, rubis
et esmeraudes, livrés audict seigneur. A Régnault Danet, marchant joyauUier
de Paris, pour un tableau d'or et d'argent, garny de dyamans, rubiz et
perles, avec une grant toupace enchâssée en or, en laquelle est figuré Dieu
le Père, et au-dessous une nuncyade, et dessus ledict tableau ung ange qui
tient ung grant rubiz balay en ung chaton ; lesdictes histoires, chatons et
menues garnitures faites d'or taillées et esmaillées, avec quatre pilliers
d'agathe, servant aux deux costez dudict tableau ; item ung berceau d'or,
auquel y a ung enffant qui a la teste d'agathe et le corps de perles, avec
une almandyne qui sert d'oreille audict enfant, neuf mille deux cent neuf
livres six sols tournois. A maistre Regnault Danet, orfèvre de Paris, mille
cinq cent soixante livres tournois, pour le payement des bagues cy après
déclairées, que le roy a achaptées de luy, en ce présent moy de may 1534,
assavoir : six cents écus pour ung chapellet de cristal vert, faict en façon
de glands garny d'or, avec une houppe d'or et d'argent, une pomme de deux
agathes, aussi garnie d'or, et de six anaulx d'or esmaillez de vert ;
ensemble six rubis estant sur les deux costés, une bordeure d'or esmaillée de
vert, garnie de seize tables de rubis et trente-quatre perles, une chesne
d'or esmaillée de vert, et une enseigne aussi d'or, pour mettre au bonnet en
laquelle y a une ystoire de relief avec un grant dyament en table, servant
d'une fontaine à ladicte histoyre, et deux cents escus pour avoir par luy
fait mettre en œuvre plusieurs pierreries qui luy ont esté baillées par le
roy. A Jehan Cousin l'aisné, orfèvre de Paris, pour son payement d'un estuy
de peignes de boys d'ébène, garny de trois peignes, ung myrouer, une père de
cizeaulx et une brosse à nectoyer lesdicts peignes, le tout taillé à la
moresque et remply d'or fin semé de rubiz et turquoyses enchâssées en or, au-dessus
duquel estuy y a une orloge, et au couvercle d'icelle ung grand saphir pour
ung autre petit myrouer qui est de semblable ouvrage et boys d'ébène, et
troys escritoires de plumes fines, dont les manches sont d'argent doré, deux
desquels sont semés de pierres fines, et à chacun d'iceulx un myrouer de
cristal, et le petit est semé de pierres que le roy a de luy achaptées, six
cent soixante-seize livres.
Ces travaux si merveilleux, je le répète, étaient faits à
Florence, la grande cité d'orfèvrerie, des riches étoffes, et des draps de
soie : qui pouvait se comparer aux privilèges de ses confréries ? A Florence
aussi Finiguerra[24] jette les
premières œuvres de ses nielles. A ce temps de la renaissance, l'orfèvrerie
était un art important ; un maître argentier de Florence devait savoir
non-seulement dessiner, mais encore sculpter, ciseler, graver, et tout cela
avec habileté, quand il fallait orner des calices, des reliquaires, des
poignées d'épées, des coffrets précieux ou des bahuts. Presque tous ces
bahuts étaient en ébène, divisés par compartiments avec des armoires, des
petits tiroirs ornés de nacre de perle, de plaques de métal ciselées :
ciseler, damasquiner y graver, telle est la préoccupation de cette noble
confrérie des orfèvres qui vivaient dans les retraites silencieuses, aux rues
étroites des bords de l'Arno. Cet art de graver, ou de nieller, Benvenuto
Cellini l'exalte dans quelques lignes[25] : L'an MDXV, je me mis à apprendre l'orfèvrerie, alors l'art
de graver les nielles étoit tout à fait abandonné ; et aujourd'hui à
Florence, parmi nos orfèvres, peu s'en faut qu'il ne soit entièrement
inconnu. Ayant entendu dire par d'anciens orfèvres combien ce genre
d'industrie étoit agréable, et surtout combien Marco Finiguerra, orfèvre
florentin, avoit excellé dans l'art de nieller, je fis les plus grands
efforts pour marcher sur les traces de cet habile artiste, et je ne me bornai
pas seulement à apprendre à graver les nielles.
Les nielles furent les premières formes des gravures et
les plus antiques monuments de l'art de reproduire les figures sur les
planches[26].
La belle Adoration des Mages, de Maso Finiguerra, est tout un tableau
qu'on dirait recueilli au Campo Santo de Pise ; l'enfant Jésus est sur les
genoux de sa mère ; sa tête rayonne comme dans les Saintes Familles de
Raphaël ; derrière et modestement dans l'étable est saint Joseph. Aux pieds
de l'enfant un mage agenouillé ; puis les autres rois à cheval, suivis de
leurs pages richement vêtus, des chameaux, des valets, leur suite opulente,
comme le dit le vieux noël. Au-dessus de l'étable sont trois anges qui
essayent un harmonieux concert, l'un tiens la vielle, l'autre l'orgue, le
troisième un tambour de basque, tandis qu'un gros et lourd berger au haut de
la montagne enfle son chalumeau pour égayer ses brebis éparses, un peu à la
manière d'Albert Durer. Dans un autre de ses nielles, Maso Finiguerra a
reproduit une magnifique Vierge entourée d'anges, de saintes femmes,
composition artistement distribuée, qui fait pendant à l'Assomption, une
des plus remarquables productions niellées[27].
Cet art tout florentin fut-il précédé par la gravure en
bois que l'Allemagne réclame ? à cela il faut répondre que, dans cette active
époque de la renaissance ; tout reparaît à la fois comme pour jeter l'esprit
dans la confusion et l'étonnement ; la gravure, la ciselure prennent un
développement immense, et l'imprimerie apparaît avec elle. Que l'imprimerie
soit venue de l'art de graver ou de ciseler, c'est incontestable ; il est
certain que l'artiste, habitué à reproduire les dessins, les tableaux, dut
naturellement se demander pourquoi il ne reproduirait pas les caractères qui
servent à perpétuer les paroles de l'homme. Dans la bibliothèque de Munich,
parmi les immenses curiosités de ce dépôt, il existe des tablettes
stéréotypées qui précèdent au moins d'un siècle la découverte de Gutenberg ;
les caractères immobiles ont quelque chose qui ressemble à la gravure sur
bois ; la perfection des types est grande, et c'est encore en Italie que
l'imprimerie obtient la perfection des caractères grecs, hébreux et latins. A
Venise, à Vérone, à Rome, à Bologne, les fondeurs sont très-avancés, et cela,
se conçoit, avec les grands travaux des nielles et des ciselures ; on n'était
un artiste complet que lorsqu'on réunissait les qualités éminentes de dessinateur,
ciseleur et fondeur.
Tel était l'art en Italie à l'époque où il agit si
puissamment en France ; la peinture nous arrive par Léonard de Vinci, Rosso,
le Primatice ; la ciselure, la sculpture, par Benvenuto Cellini et par
Bramante. A la cour, dans les choses d'art, il ne se faisait rien que par les
Florentins, les Romains, les Vénitiens ; maîtres du commerce d'Orient, les
Vénitiens apportaient les soies et les laines qui se tissaient à Florence ;
la richesse, la puissance de ces confréries de marchands de drap étaient
telles qu'ils élevèrent à leurs frais le dôme de Florence, la merveille de
l'art. Il suffit de parcourir les comptes du Trésor royal, ou même les
descriptions des fêtes, telles que les chroniques les ont reproduites, pour
se faire une juste idée de la somptuosité des vêtements et de l'art infini
qu'on apportait dans les ornements ou dans les meubles : l'habit de guerre du
chevalier, sa cuirasse, ses brassards, étaient couverts de ciselure,
d'orfèvrerie d'un travail parfait ; son casque brillait de damasquinerie d'or
et d'argent, surmonté de plumes ondoyantes. En temps de paix, sa toque de
velours était enlacée de torsades de perles, de rubis ; sa tunique de soie ou
de beau drap de Florence pendait jusqu'à ses talons, ou bien un petit manteau
de tissu de Flandre était jeté sur les épaules. la cour de Fontainebleau ou
d'Amboise, les ornements se ressentaient de ce goût de renaissance florentine
; on ne voyait que tableaux d'argent, d'ivoire, de perles, coupes ciselées,
statues de bronze jetées au milieu des touffes d'arbres et qui déjà ornaient
les magnifiques jardins.
Cette influence de l'Italie sur le règne de François Ier
paraît presque exclusive, et l'on ne voit pas que les progrès ascendants des
écoles allemande et flamande aient agi sur l'époque de la renaissance des
arts en France. Tout entouré des prodiges delà grande école, ou ne salue que
l'Italie ; et cependant depuis plus d'un siècle la renommée de Jean de Bruges[28], le chef et la
source de toute l'école flamande, est aussi éclatante que celle des maîtres
italiens. Maître Jean a rempli Ypres, Gand et Bruges de ses tableaux au
brillant coloris. En Allemagne se révèlent de belles et mélancoliques
conceptions : ici maître Stephan[29], le peintre
municipal de l'hôtel de ville de Cologne ; là, Jean Holbein[30], le bizarre et
sombre artiste de la mort ; Albert Durer[31], si
merveilleusement fécond avec ses vierges douées et ses enfants divins ;
tous ces maîtres ont donné à la peinture son plus vaste développement en
Allemagne ; et pourtant on n'y prend pas garde à la cour de François Ier afin
et tout donner à l'Italie. C'est moins encore parce que le roi a visité les
belles cités de Milan, de Gênes et de Florence, que parce que cette primitive
peinture allemande et flamande retient les contours et les naïves empreintes
du moyen âge.
Ces siècles que le roi fait revivre comme chevalier sont
une époque vieillie pour l'art. Le roi m complaît à ce renouvellement des
formes régulières et antiques ; quand il appelle Léonard de Vinci au, près de
lui, c'est qu'il veut un maître de la nouvelle école. Le Primatice, Rosso,
Benvenuto Cellini sont les expressions des diverses, branches de l'art nouveau
; l'un décore, l'autre dessine, le dernier grave, cisèle et façonne de belles
coupes, des bahuts et d'admirables ornements. L'Allemagne ne pouvait donner
que le moyen âge et le roi n'en voulait pas ; il y a dans chaque époque un
entraînement que nul ne peut maîtriser ; quand une coutume vient avec
l'énergie d'une mode ou d'un caprice, tout le monde y court, et c'est ce qui
se montre dans la renaissance. On abandonne l'idiome de la patrie, ses beaux
romans, sa poésie, pour les œuvres de la Grèce et de Rome, les philosophes ou lés
rhéteurs, Aristote, Sénèque ou Virgile ; il en naît un pêle-mêle d'idées, de
mots et de choses. Dans les arts la confusion est moins grande parce que la
renaissance est complète ; le système des vieilles cathédrales et des
enluminures est absolument délaissé pour les formes de l'antiquité sévère et
pure, comme la Chronique
s'était effacée devant l'histoire à la façon de Machiavel et de Guichardin.
François Y, fut la puissante main qui réalisa la pensée de son époque ; il ne
retint du moyen âge que l'esprit aventureux de la chevalerie, et cet esprit
lui-même fut vaincu à Pavie, par la tactique militaire des lieutenants de
Charles-Quint !
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