EXTRAITS DE L'ANTIQUAIRE LE BLANC SUR LES MONNAIES
MÉROVINGIENNES
ET DU PÈRE MONTFAUCON SUR LES MONUMENTS DE LA MONARCHIE FRANÇAISE.
(Première race)
On ne pourrait expliquer les événements d'un règne ni en
fixer les dates, si l'on n'étudiait les monnaies contemporaines : tel est le
travail de Le Blanc, d'une exactitude remarquable. La Gaule avait accepté ou
subi les monnaies de l'Empire romain ; elle en frappa elle-même sur ces
modèles dans ses trois grands ateliers : Arles, la ville impériale (elles sont d'un grand fini), Lyon, centre
d'une riche circulation, Limoges, qui fut l'atelier franco-gaulois où
travailla saint Éloi. Limoges fut une sorte d'école monétaire ; elle devint
le dépôt de l'or et de l'argent fort abondant dans les Gaules, qui, alors,
avaient des mines exploitées. Marseille avait son monogramme particulier, et
le nom de saint Eloi se trouve sur l'exergue de plusieurs monnaies.
Il nous reste trois tiers de sol d'or qui portent le nom
de Clovis ; le dernier est de Clovis II ; sur ces tiers de sol on voit la
tête du roi, ceinte d'un diadème avec cette inscription : Clodovicus Rex, et
au revers une croix entre un alpha et un oméga ; elle est frappée à Paris (Parisiis CIV).
Le sol d'or, le demi-sol, le tiers de sol d'or étaient eu usage parmi les
Gallo-Romains ; ils ont le même poids que ceux de l'Empire à son déclin, 85 grammes et 1/3.
On peut attribuer à Clovis trois médailles d'or qui
portent l'exergue d'Essone, près de Corbeil[1] (Exona fici). Il reste deux tiers de sol d'or
de Théodoric Ier : la tête du roi est ceinte d'un diadème de perle, et porte
pour légende : Mettis, la ville de Metz. Une autre médaille porte pour titre
: Theuderico, avec le monogramme de Christus et pour légende : Arastes, qui
apparemment était le duc ou le comte de la ville. Plusieurs monnaies portent
le nom de Théodebert. Les deux premières sont des sols d'or, toutes les
autres sont des tiers de sols, si Ton excepte la dernière qui est du billon
ou du cuivre. On voit sur les deux premières monnaies, Théodebert couvert
d'une manière de bonnet ou de casque garni de perles et de pierreries, que
quelques-uns prennent pour un diadème semblable à ceux des empereurs de Constantinople.
Il tient de la main droite un javelot, et son bras gauche est couvert d'un
écu sur lequel on voit un cavalier, et pour légende : D. N. Theodebertus
victor.... Ces deux lettres D. N., qui signifient Dominus Noster, se trouvent
rarement sur les monnaies : sur le revers de ces deux monnaies, il y a une
Victoire qui tient d'une main une croix, et de l'autre le globe de la terre,
et pour inscription, Victoria. Ces deux sols sont en tout point semblables à
ceux de Justinien, excepté le mot Theodebertus. La troisième a d'un c6lé le
buste de Théodebert, couronné d'un diadème de perles, et pour légende : D. N.
Theodebertus ; sur le revers une victoire assise et point d'inscription. La
quatrième a pour légende du côté de la tête, ...toria, qui est une partie du
mot Victoria. De l'autre côté il y a une manière de tour, avec le mot Mettis,
et pour légende : Victoria Theodeberti. La cinquième a pareillement le buste
de Théodebert ceint d'un diadème de perles, et pour légende : Theodeberti et
un v renversé avec un i qui sont les deux premières lettres de Victoria. Si
Ton veut que ce soit un a, ces deux lettres pourront faire Augusti, en
sous-entendant le mot de moneta ou de Victoria qui était peut-être sur le
revers. Pour la sixième et septième, qui sont aussi des tiers de sol d'or, on
ne voit rien qui puisse plutôt les donner à Théodebert Ier qu'à Théodebert
II. La dernière des monnaies de Théodebert a d'un côté le monogramme de Christus
avec cette légende : Teudeberte ; sur le revers il y a une croix avec le mot
Cabilonnu, qui est la ville de Châlon-sur-Saône.
Deux tiers de sols portent le nom de Childebert : l'on
voit d'un côté sur le premier la tête du roi ornée d'un diadème, et pour
légende, Childebert ; sur le revers il y a un a
et un r qui sont les deux premières
lettres d'Arelate (Arles), et au-dessous
en caractère plus petit un c et un t, qui font les deux premières lettres de
Civitas. Les deux tiers de sols d'or suivants ne portent le nom d'aucun de
nos rois, mais nous pouvons les donner à Childebert Ier. La légende qui est
sur le revers de la première, Victoria Augustor..., pour Victoria Augustorum,
peut appuyer cette opinion. Le nom du monétaire Doccio, qui est du côté de la
tête, fait voir qu'elle a été fabriquée à Lyon. La seconde porte le nom du
même monétaire.
Huit monnaies d'or portent le nom de Clotaire Ier ; mais
il n'y en a qu'une qu'on puisse assurer être à lui. C'est un tiers de sol
d'or qui a d'un côté le buste du roi, couronné d'un diadème, avec cette
inscription : Clotharius rex. Sur le revers il y a une croix posée sur une
boule entre un m et un a, qui sont les deux premières lettres de
Massilia et pour légende : Victoria gottica. Cette pièce est un monument
précieux qui constate notre première conquête en Espagne. Les autres ne sont
pas classées ; elles sont, soit à Clotaire II, soit à Clotaire III. Il nous
reste trois tiers de sols d'or de Cherebert, et trois sols du même roi. Les
trois premières de ces monnaies ont, d'un coté, la tête de ce prince couronné
d'un diadème, et pour légende, sur le premier, Ntaribertus rex. Sur les deux
autres il y a Charibertus rex. Sur le revers de ces tiers de sol paraît un
calice à deux anses avec une croix au-dessus, et pour légende, sur les deux
premières, Banniaciao Fiit, et sur la troisième, Bannaciaco. Les trois
dernières monnaies ont été fabriquées à Marseille, comme leur légende le
prouve ; mais Cherebert n'était pas le maître de Marseille, qui appartenait à
son frère Sigebert : il fallait que Cherebert eût quelque droit sur la ville.
Il nous reste de Gontran un tiers de sol d'or ; d'un côté
parait le buste de Gontran couvert d'un casque orné d'un diadème, un bouclier
sur le bras droit, et pour légende : Gunthachram rex ; sur le revers il y a
un char, une Victoire qui tient une croix, et pour légende, Senoni Civita,
qui est la ville de Soissons. Plusieurs monnaies de Sigebert sont fabriquées
à Marseille. Sigebert II ayant été aussi maître de Marseille, il est difficile
de savoir à qui des deux appartiennent ces pièces. Trois monnaies portent le
nom de Childebert II, mais il y a trois rois qui ont porté le même nom. Les
deux premières sont deux tiers de sol d'or, dont l'un a pour légende, du côté
de la tête, Petra ficit, et le second, du côté de la croix. Bannis fit. La
troisième de ces monnaies est de cuivre ; elle porte le monogramme de
Christus ; les noms de Childebert sur ces trois pièces s,écrivent d'une
manière différente : Hildebertus, Childebertus, Eldebertus. Deux pièces de
Thierri nous ont été conservées. La première est très-rare à cause des deux
têtes qui y sont représentées de la grandeur d'une pièce de trente sols, avec
cette inscription, du côté de la tête, Badulfus, puis le monogramme de
Christus, et pour légende, Augustedum qui est la ville d'Autun où la reine
Brunehaut se plaisait beaucoup, où elle fit faire quantité de beaux édifices.
Des deux têtes qui sont sur cette pièce, il n'y en a qu'une qui a le diadème,
et le lieu où elle a été fabriquée fait croire qu'elle pourrait appartenir à
Thierri, et que Brunehaut la fit frapper pendant qu'elle était tutrice de ses
deux petits-fils, Théodebert et Thierri, et qu'en qualité de régente, elle
fit mettre sur les monnaies sa tête avec celle de son petit-fils.
Le second tiers de sol d'or appartient à Brunehaut, car la
tête ressemble beaucoup à celle d'une femme : Cablonno qui se trouve dessus comme
légende, est la ville de Chalon-sur-Saône où Thierri tenait sa cour. Sur le
revers, il y a une croix entre un c et
un a qui font les deux premières
lettres de Cabilono, et Magnoadus était peut-être le comte de Châlon. Le nom
d'Eligius, monétaire, qui est sur quatre médailles, persuade qu'elles sont de
Dagobert. Les trois premières ont été fabriquées à Paris, comme le marque
leur légende. La quatrième, sur laquelle il y a Mone.. Palati.., moneta
palatina, signifie qu'elle a été fabriquée dans le palais. Ces monnaies de
Dagobert à Paris, semblent indiquer qu'outre la monnaie de la ville, il y en
avait une autre dans le palais du roi.
Le Blanc, si docte, si passionné pour ses découvertes, a
trouvé quinze pièces qu'il étudie et explique toutes : L'on peut aussi donner la cinquième et la sixième de ces
monnaies d'or à Dagobert Ier. Les deux lettres m a, qui sont
sous les bras de la croix, sont les deux premières lettres de Massilia. Le
reste de la légende du revers de la première est le mot victuria, et sur la
seconde, seulement ....uria, ce qui est effacé de ces légendes est le mot de
Régis ou de Dagoberti. On ne peut pas douter que ce tiers de sol d'or qui a
été fait à Paris, ne soit de Clovis II, puisque du côté de la croix on lit
Chlodoveus rex, et dans le champ de la pièce sous les bras de la croix,
Eligis, qui est le nom du monétaire saint Eloi, fait évoque la troisième
année du règne de Clovis II ; la deuxième, la troisième et la quatrième
portent le nom de Childeric. La deuxième, a d'un côté la tête de Childeric,
et pour légende Childericus rex, de l'autre côté une croix entre un m
et un a qui sont les deux premières lettres de Massilia : pour
légende, Chlolarius rex ; cette pièce a été sans doute frappée par ordre de
Childeric III dont elle porte le nom du côté de la tête, et le nom de
Clotaire III n'a été mis là que pour témoigner leur amitié, ou peut-être à
cause que Clotaire avait quelque droit dans la ville de Marseille. Les deux
suivantes ont été frappées, l'une à Metz, l'autre à Marseille. La dernière
est de Thierri III, un denier de billon avec un monogramme qui signifie
Teudoricus rex francorum.
Il est impossible de décrire mieux que Le Blanc les
monnaies de la première race ; aussi n'a-t-on pas été au delà sur cette
matière. Le père Montfaucon, cet actif fouilleur de monuments, en a trouvé
plusieurs qui se rattachent aux Mérovingiens : il disserte d'abord sur
quelques attributs particuliers à la royauté ; ce qu'il appelle nimbe, est
une sorte de couronne que l'on voyait sur les statues des rois. Le portail de
Saint-Germain-des-Prés en avait sept[2], de Clovis, ses
quatre fils, Clotilde et Ultrogothe. Toutes ces statues portaient le nimbe,
excepté Thierri ; elles avaient été sculptées du temps de la première race.
On voyait à Saint-Médard de Soissons une couronne gravée sur le tombeau de
Frédégonde, seule remarquable par son authenticité.
Mais ce qui a le plus occupé le père Montfaucon, c'est la
découverte du tombeau de Childeric Ier, père de Clovis : En creusant la terre à la profondeur de sept pieds, on
trouva d'abord une boucle d'or, et une espèce de nid pourri, où il y avait
plus de cent monnaies d'or ou médailles d'or ; deux cent d'argent, des pièces
de fer rouillées, deux crânes, un squelette étendu, une épée, le pommeau, le
fourreau, la poignée, des parties d'un baudrier, une petite tête de bœuf,
plus de trois cent figurines d'or[3], une aiguille, des boucles, un croc, ornés de pierres
précieuses : la bague d'or portait en creux l'inscription Childerici régis ;
on trouva le fer de la hache sous la tête de Childeric, un des fers de son
cheval. Les médailles étaient ainsi composées : sept de Marcien,
cinquante-six de Léon, quatorze de Zénon, une de Basile, et une autre de Marc
; deux plus grandes de Valentinien et une de Léon, ce qui constate les rapports
des rois Francs avec les empereurs.
La tombe de Frédégonde, à Saint-Médard de Soissons (plus tard à Saint-Denis), est la seule
originale qui reste. Elle y est représentée en mosaïque, ce qui était en
usage en ces temps-là. Les monuments de Dagobert sont en plus grand nombre,
et le p,us authentique est la statue qu'on voyait au bas de l'église de
Saint-Denis, près de la porte, en entrant à gauche. Le sceau et le monogramme
de Dagobert se trouvent dans les Archives de Saint-Maximin de Trêves. On
trouva, en 1656, dans l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés, les tombeaux du roi
Childeric, de Blichilde, sa femme, et du petit Dagobert, leur fils. On
reconnut dans celui du roi Cherebert un bâton de coudre et une canne, une
épée rompue et mangée par la rouille. La boucle du baudrier, composée de
trois pièces d'or ; quelques plaques d'argent fort minces, où était gravé un
serpent à deux tètes, et qui semblait mordre par la tête et par U queue ; ces
plaques avaient à chaque angle un petit clou pour les attacher à la ceinture.
Les derniers rois Mérovingiens n'étaient représentés que
sur des sceaux en fort petit nombre, et les statues du grand portail de
Saint-Denis. Il y a quatre sceaux de la même forme : le premier est de
Thierri Ier, fils de Clovis II ; le deuxième de Clovis III, fils de Thierri
Ier ; le troisième de Childebert II, frère de Clovis III ; le quatrième de
Chilpéric II, fils de Childeric II. Le cinquième, qui est de Childeric III,
dernier roi, est un ovale de bon goût.
Ainsi le père Montfaucon décrit les monuments de la race
Mérovingienne ; ils sont peu nombreux et sans importance ; plusieurs sont
détruits, d'autres ont été déplacés. La tendance iconoclaste de la Révolution française
a fait plus de ruines encore que le temps. On cherche aujourd'hui à recueillir
avec soin les débris de notre histoire.
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