Le funeste jour, le vendredi 14 mai, s'est levé ; le meurtrier sort de son logis, entre six et sept heures du matin, seul, et va entendre la messe à l'église Saint-Benoît ; puis il retourne à son auberge dîner avec l'hôte et Colletet. Le meurtrier n'a plus à accorder un seul jour à la victime : puisque la Reine a été couronnée le jour précédent, le Roi doit être frappé sans plus long délai. C'est au Louvre même que Ravaillac a le dessein de le tuer ; aussi va-t-il rôder aux alentours ; un grand — a-t-il prétendu le 21 mai, son interrogatoire étant terminé —, un grand seigneur, resté inconnu, le fait entrer dans la salle où se mettent les laquais. Vers les deux ou trois heures de l'après-midi le Roi commande son carrosse pour aller à l'Arsenal visiter le duc de Sully ; pourtant il hésite à sortir, tant cette journée avait été marquée, en ce qui le concernait, de sinistres présages. Certes, beaucoup de ceux-ci ont été fabriqués après coup ; il n'en est pas moins constant, ainsi que nous l'avons déjà dit, que le Roi lui-même avait été effrayé de toutes ces prédictions[1]. Il délibéra donc longtemps
— nous dit Malherbe[2], qui était à cette époque attaché au service et à
la personne d'Henri IV —, s'il sortirait et plusieurs fois dit à la Reine : Ma mie, irai-je ? N'irai-je pas ? Il sortit même
deux ou trois fois, et puis tout d'un coup retourna et disait à la Reine : Ma mie, irai-je encore ? et faisait de nouveau
doute d'aller ou de demeurer. Enfin, il se résolut d'y aller et ayant
plusieurs fois baisé la Reine, lui dit : Adieu, je
ne ferai qu'aller et venir et serai ici tout à cette heure même. Comme
il fut au bas de la montée où son carrosse l'attendait, M. de Praslin[3], son capitaine de gardes, le voulut suivre. Il lui
dit : Allez-vous-en, je ne veux personne, allez
faire vos affaires. Pendant toutes ces hésitations, Ravaillac, assis sur la pierre de la porte du Louvre, attendait. Il voit venir, avec un flot de courtisans, le Roi, qui, à l'entrée du Louvre, monte dans son carrosse ; carrosse, malheureusement, découvert et dégarni de mantelets. Le Roi se met au fond, à gauche, et fait mettre le duc d'Épernon à sa droite ; à la portière du côté du Roi se placent MM. de Montbazon[4] et de la Force[5] ; à l'autre portière, M. le Maréchal de Lavardin[6] et M. de Créquy[7] ; par devant, le marquis de Mirebeau[8] et le duc de Liancourt[9], premier écuyer ; un certain nombre de valets de pied formaient cortège. Il est environ quatre heures. Arrivé à la croix de Trahoir[10] on demande au Roi par où il veut passer ; il commande qu'on aille vers Saint-Innocent ; le carrosse entre donc dans la rue de la Ferronnerie, reliant la rue Saint-Honoré à la rue Saint-Denis, et alors extrêmement étroite ; tous les valets de pied du Roi, à l'exception d'un seul, abandonnent le carrosse pour aller à pied sec, et prennent leur chemin par le cimetière des Innocents. A dix pas en arrière, Ravaillac est là, ne perdant pas de vue sa proie. Dans cette rue de la Ferronnerie, le carrosse, rencontrant deux charrettes chargées de foin, est obligé de ralentir encore sa marche et de se rapprocher des boutiques de quincailliers qui se trouvaient au nord de la rue ; il tire à gauche, pendant que les charrettes prennent la droite, et se met à pencher très fort du côté du duc d'Épernon, vers le lit du ruisseau, qui était toujours placé, à cette époque, au milieu même de la voie. Ravaillac a rattrapé le carrosse ; le voilà tout à côté ; il se range contre la boutique portant pour enseigne : Au cœur couronné percé d'une flèche ; son regard plonge dans l'intérieur du carrosse : là, depuis quelques instants, le Roi cause, plein d'animation, avec le duc d'Épernon et le maréchal de Lavardin, de son entrée en campagne ; au moment où Ravaillac le dévore ainsi du regard, le Roi a la main gauche appuyée sur M. de Montbazon, sa main droite sur le duc d'Épernon, vers lequel il se penche et tourne son visage ; il est tout entier à son discours et les courtisans n'ont d'yeux que pour lui. Le carrosse s'arrête un instant. Il est temps ! souffle la voix de Satan à l'assassin — qui prétendait le 21 mai avoir même vu quelque chose lui donner cet ordre. Le misérable, à côté du carrosse, n'a qu'à se dresser pour mettre le pied sur l'essieu de la roue ; sa main droite lui sert d'appui ; son bras gauche, armé du coutelas, glisse sous le bras gauche du Roi, qui le tient relevé, d'ailleurs, puisqu'il l'appuie sur M. de Montbazon. Plus prompt que l'éclair, Ravaillac plonge, coup sur coup, ce coutelas dans le côté gauche du Roi. Au troisième coup qu'il veut donner, le duc de Montbazon qui, pas plus que les autres courtisans, n'a encore rien vu, saisit enfin cette main insatiable, crispée au couteau. L'un des deux coups, le premier sans doute, avait glissé entre la cinquième et la sixième côte et n'avait guère pénétré. L'autre coup, formidable !... reçu entre l'aisselle et le tétin, et faisant irruption entre la première et la deuxième côte, avait, en descendant, coupé la grosse artère veineuse qui se trouve au-dessus de l'oreille gauche du cœur. A peine le Roi fit-il quelques mouvements, poussa-t-il quelques légers, cris : le sang, se précipitant avec impétuosité, l'avait déjà étouffé[11]. La suite du Roi est enfin sortie de sa torpeur : Jacques du Pluvier, écuyer, seigneur de Saint-Michel, l'un de ses gentilshommes, tire son épée et va pour tuer le meurtrier ; le duc d'Épernon, qui se souvient de Jacques Clément, massacré sur l'heure de son crime, s'écrie : Ne le tuez pas ! il y va de votre tête ! Saint-Michel, qu'entourent Jérôme de la Robie, écuyer du Roi, et Édouard Gamaliel, son valet de pied, remet l'épée dans le fourreau. Tout est consommé. Sur la face de ce cadavre, qu'inonde son sang toujours bouillonnant, le duc d'Épernon étend le manteau royal. Quant à la personne de Ravaillac, Paul Noster, exempt des gardes, s'en est assuré ; on l'entraîne à l'hôtel de Retz, près du Louvre, où sont ramenés, vers la même heure, les restes de celui qui avait été Henri le Grand. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Ce même vendredi, dans la soirée, dans cet hôtel de Retz, Jeannin[12], président ; de Loménie[13], secrétaire d'État, et de Bullion[14], conseiller d'État, chargés par la Reine Mère, Marie de Médicis, régente du royaume, de procéder à l'instruction de l'assassinat, firent comparaître devant eux le meurtrier. Ils lui demandèrent ses noms, son âge, son domicile, sa profession, les maîtres qu'il avait eus dans sa jeunesse, depuis combien de temps il se trouvait à Paris, quelles personnes il y avait fréquentées, le motif de son voyage, l'emploi de cette journée du crime, et ils le questionnèrent sur la pièce de vers qui venait d'être trouvée sur lui. Il nous semble inutile de transcrire une seconde fois les réponses du misérable. M. de Bullion ayant appelé le feu Roi : Roi très chrétien, Ravaillac répéta, en ricanant, ce mot : Très chrétien ! La question est de savoir, fit-il observer, si le Roi était véritablement roi très chrétien ; car, s il eût été tel, il eût fait la guerre aux sectateurs de la religion prétendue réformée, tandis qu'au contraire il les avait protégés. Il s'écria ensuite qu'il n'avait point de regret de mourir puisqu'il était arrivé au bout de son entreprise, qu'il ne voulait pas de pitié et que, si le coup était encore à faire, il le ferait. Quant aux motifs et aux personnes qui avaient pu le pousser au crime, il affirma : Qu'il n'avait reçeu
ny luy ny les siens aulcun oultrage du feu roy ; Qu'il n'a été meu ny
induict par personne, mais par les sermons qu'il a ouys, auxquels il a
apprins les causes pour lesquelles il estoit nécessaire de tuer un roi. Les archevêques d'Aix et d'Embrum et quelques autres prélats furent aussitôt députés à l'hôtel de Retz pour tâcher de tirer du régicide la confession de son crime, ou du moins les noms de ses complices. Il leur parla seulement de son séjour chez les Feuillants et du motif de son expulsion ; néanmoins, ajouta-t-il, il s'était attaché depuis à la contemplation des décrets de la Providence, dont il avait eu de fréquentes révélations, tant en veillant qu'en dormant. On connut bien alors, dit un chroniqueur du temps, que son esprit était complètement troublé et que ses rêveries chimériques et ridicules l'avaient rendu susceptible de toutes les impressions du démon. Plusieurs personnes éclairées qui étaient présentes à cet entretien, réfléchissant sur sa manière de parler et ses différents mouvements, crurent que ces visions qui l'agitaient jour et nuit, l'air impérieux qu'il prenait sur tous les autres, la présomption qu'il avait de participer aux conseils de Dieu, d'entendre ses volontés, enfin, d'être choisi pour les exécuter, devaient être des preuves certaines que son esprit était absolument obsédé du démon. Il s'était fait, dans son imagination, une créance tout opposée à la justice et à la piété du Roi, et sur ce principe il déclama avec brutalité contre sa souveraine puissance, disant qu'il était nécessaire qu'elle fût punie, que l'on pouvait sans scrupule tuer un tyran, et que le roi était réputé être tel puisqu'il n'avait point voulu en aucune manière déclarer la guerre aux Huguenots ni les contraindre, sous peine de mort, de croire aux vérités de la religion catholique. M. de Bellengreville, grand prévôt, dont nous avons déjà parlé, lui fit, voulant vaincre son obstination,, serrer les pouces au moyen d'un rouet d'arquebuse, ce qui fut fait avec tant de force que les os du pouce du meurtrier se rompirent ; celui-ci, en traitant le grand prévôt de huguenot, lui demanda s'il était plus habile que ceux qui l'avaient interrogé avant lui. On le fouilla et l'on trouva sur lui : 1° Trois quarts d'écus d'argent, avec quatre ou cinq sols de monnaie ; 2° Un papier sur lequel était peint l'écusson de France, en couleur, ayant pour supports deux lions, l'un tenant une clé, l'autre une épée[15] ; 3° Un autre papier sur lequel était écrit le nom de Jésus en trois endroits différents ; 4° Un chapelet — qu'il avait acheté, sept ou huit jours auparavant, dans la rue Saint-Jacques ; 5° Le cœur de Cotton qui lui avait été donné par le chanoine Guillebaud, ainsi que nous l'avons raconté dans le chapitre VI. Sans plus tarder, la justice se saisit de ses parents et alliés — ceci est sans doute une simple formule judiciaire, le Régicide n'ayant eu à Paris, à notre connaissance, ni parents ni alliés — et même de tous ceux avec lesquels il avait eu quelques relations ; et le misérable lui-même fut mis entre les mains du Parlement, qui, pendant la nuit de ce vendredi au samedi 15 mai, le fit transférer à la conciergerie du Palais de justice. Voici, sur les registres de la Conciergerie, le libellé de son écrou : Du Sabmedy XVme May VC.
dix. François Ravaillac,
praticien, natif d'Angoulesme amené prisonnier par mare Joachim de
Bellangreville, chevalier, Sr du Neuvy, prévost de l'hostel du Roy et Grand
Prévost de France, par le commandement du Roy, por linhumain paricide par luy
commis en la personne du Roy Henry quatme. Par ordre de Sa Majesté, plusieurs docteurs et religieux allèrent dès le lendemain dans sa prison visiter le criminel pour tascher à le mettre par leurs sages conseils dans la noyé du salut et cognoistre adroitement ceulx qui l'auroient conseillé à commettre son régicide. Les docteurs et religieux dont s'agit obtinrent, d'après nous, ce grand résultat : qu'ils dessillèrent les yeux du malheureux et lui firent voir à lui-même toute l'horreur de son forfait ; son arrogance s'évanouit, et nous allons le voir, devant le parlement, demander maintes et maintes fois pardon de son crime à Dieu, au roi, à la reine, à la cour, au peuple, à la France entière. MM. Servien et Le Bret, avocats du roi, et Duret, premier substitut du procureur général, cherchèrent également, mais en vain, à persuader le criminel. Ils firent ensuite venir ceux auxquels ce dernier avait parlé : entr'autres deux jacobins — sans doute ceux de son pays qu'il avait visités plusieurs fois avant l'attentat — ; leur simplicité et leur ingénuité les firent relaxer. Le Père d'Aubigny fut aussi mandé et examiné sérieusement sur la question de savoir si un confesseur était obligé de révéler la confession d'un projet d'attentat contre le roi ; le Père répondit que, depuis qu'il avait quitté la prédication pour s'attacher entièrement aux confessions, suivant les ordres de ses supérieurs, Dieu lui faisait la grâce d'oublier dans le même moment ce qu'on lui révélait sous le sceau de la confession. Le Père d'Aubigny soutint n'avoir jamais vu Ravaillac : Aux enseignes,
réplique celui-ci, que vous me donnastes un sol, que vous demandastes à un qui
estoit là ! — Cela est faux, répond le Père, jamais les jésuites ne donnent
d'argent, puisqu'ils n'en portent pas ; l'accusé est fort meschant et après un si meschant acte ne debvroit accuser personne, ains
se contenter de ses penchez sans estre cause de cent mil qui arriveront. Et l'un et l'autre ne cessent de persister respectivement dans leurs déclarations. Il est difficile de croire que le récit de Ravaillac n'était qu'une fable ; dans quel but l'aurait-il faite ? D'ailleurs tout dans ce récit est complètement favorable au Père d'Aubigny. Les dénégations de celui-ci avaient, au contraire, une impérieuse raison d'être : le peuple avait, dès le premier moment, accusé, et bien à tort, les Jésuites de complicité dans le crime ; cette histoire de couteau montré par Ravaillac au jésuite, de cœur et de croix gravés sur ce couteau, aurait pu avoir, pour l'ordre tout entier, les suites les plus funestes. Qu'importait à la justice et à la sentence cette entrevue avec Ravaillac ? C'était d'ailleurs là, pour ainsi dire, chose de confession. Nier était donc d'une importance capitale. Fut ensuite amené un jeune cordelier — sans doute celui qui se nommait Le Febvre —, à qui Ravaillac avait proposé la même question relativement au secret de la confession ; sur son refus de répondre, il fut également relaxé ; mais les avocats du roi mandèrent à ses supérieurs si par une discipline régulière on ne pourrait pas tirer du jeune frère plus d'éclaircissements. A toutes les interrogations, à toutes les instances, Ravaillac protesta constamment que personne ne l'avait poussé à commettre le crime ; qu'il n'avait jamais déclaré son dessein à aucun de ses directeurs dans la crainte que cette confession fût révélée, et lui, puni de la même façon pour la volonté que pour le fait ; et que sa résolution s'était formée sur les considérations suivantes : 1° Le Roi n'avait pas voulu soumettre par son autorité les hérétiques sous l'étendard de la religion catholique, apostolique et romaine ; lui, Ravaillac, avait eu à ce sujet de nombreuses méditations et visions pendant ses veilles ; 2° On lui avait fait croire, à lui, Ravaillac, que le Roi voulait prendre les armes contre le pape ; or, faire la guerre au pape, c'était la faire à Dieu ; 3° Le Roi n'avait pas fait périr, suivant la rigueur des lois, les huguenots, qui avaient entrepris, aux fêtes de Noël précédent, de tuer les catholiques. Comme chacun désirait passionnément connaître les noms de ceux qui avaient poussé le misérable à commettre son attentat, on imagina plusieurs genres de supplice pour les lui faire déclarer : La Reine (Marie de Médicis) fit savoir aux commissaires qu'il se présentait un boucher pour écorcher vif le criminel ; promettant de le laisser vivre encore longtemps après qu'il aurait été ainsi dépouillé de sa peau ; de manière à ce que cet effroyable tourment lui fît avouer les noms de ses complices. Balbany, inventeur des nouvelles citernes, fit faire un artifice en forme d'obélisque renversé, qui aurait pressé le misérable avec de vives douleurs, sans lui rien diminuer de ses forces. Mais la Cour ne jugea pas à propos d'user d'autres tourments que des tourments usités en pareil cas. M. de la Guesle[16], procureur général, bien qu'indisposé, se fit alors porter au parquet pour ses conclusions avec les avocats du roi. Puis, le premier président supplia la Reine d'avoir pour agréable qu'on expédiât l'affaire promptement ; et Sa Majesté s'en étant remise à la prudence du Parlement, la Grande Chambre, la Tournelle et celle de l'Édit assemblées, il fut procédé au jugement définitif du procès. Les débats s'ouvrirent au Palais de justice, le lundi 17 mai 1610, dans l'après-midi, sous la présidence d'Achilles de Harlay[17], premier président, assisté de : Nicolas Potier, président ; Jehan Courtin et Prosper Bauix, conseillers du roi en sa cour du Parlement. C'est le moment de dire quelques mots de l'extérieur du Régicide : Il était, paraît-il, de taille assez haute, puissant et gros de membres, les cheveux et la barbe d'un roux noir, tel qu'on nous représente Judas, le déicide. On demanda à Ravaillac : ses noms, âge, qualités et demeure ; à quoi il avait employé sa jeunesse ; depuis combien de temps il se trouvait à Paris ; s'il n'avait pas eu l'intention de s'en retourner dans son pays ; les motifs qui l'avaient fait revenir ; quels entretiens il avait eus avec le Père d'Aubigny ; la durée de son séjour chez les Feuillants ; quelles tentatives il avait faites pour parler au Roi ; les détails de son dernier séjour à Paris et ceux de l'attentat. Les diverses réponses de Ravaillac ont été par nous consignées plus haut ; nous ne les répéterons pas. Enquis ce qu'il pense
avoir faict par cet acte : A dict qu'il pense
avoir faict une grande faulte et dont il demeure pardon à Dieu, à la Reine, à
Monsieur le Daulphin, à la Cour et à tout le monde qui en peut recevoir
préjudice. Luy avons représenté
le Cousteau, mis pardevers nous, tranchant des deux costez par la pointe,
aïant le manche de corne de cerf : L'a recogneu estre
celuy dont il nous a parlé, duquel a frappé le Roy, qui luy fust à l'instant
osté par un gentilhomme qui estoit à cheval. Ensuite, Ravaillac affirme qu'il a été déterminé à commettre le crime par le bruit que le Roi allait faire la guerre au pape ; or faisant la guerre contre le pape, c'est la faire contre Dieu, d'aultant que le pape est Dieu et Dieu est le pape ; puis il parle de Belliard, des propos qu'il a entendus dans la maison de celui-ci, du cœur de Cotton qui lui avait été donné par le chanoine Guillebaud, de sa rencontre avec le jeune cordelier Le Febvre. Enquis en quel temps
il a esté à Bruxelles — appartenant alors à l'Espagne, qui, bénéficiant de
l'assassinat, était naturellement soupçonnée de complicité dans le crime — : A dict qu'il ne
sortit jamais du Roïaume et ne sçait où est Bruxelles. Le lendemain matin, mardi 18 mai, l'interrogatoire continue, en l'absence du premier président, indisposé : Ravaillac persiste dans ses réponses de la veille, sans vouloir adjouster ni diminuer, sinon qu'il a obmis que ce qui l'a induict à son entreprise, a esté d'aultant que le Roy n'avoit voulu que la justice fust faicte de l'entreprise faicte par les Huguenots de tuer tous les catholiques le jour de Noël dernier, dont aulcuns ont esté prisonniers, amenez en ceste ville, sans qu'il en ait esté faict justice comme il a ouy dire à plusieurs personnes. Les demandes du président portent sur le père et la mère de Ravaillac, sur sa manière de se comporter avec eux, sur ses moyens de subsistance[18], sur ses amis. Nous ne transcrirons pas de nouveau les réponses du meurtrier. S'il n'a pas horreur
d'un coup si abominable et préjudiciable à toute la France : A dict qu'il a
desplaisir de l'avoir commis, mais puisqu'il est faict pour Dieu, il luy fera
la grace pouvoir demeurer jusques à la mort d'une bonne foy, espérance et
parfaicte charité, et qu'il espère que Dieu est plus miséricordieux et sa
passion plus grande pour le sauver que l'acte qu'il a commis pour le damner. Remonstré qu'il ne
peust estrj en la grace de Dieu après un acte si misérable : A dict qu'il espère
que nostre Seigneur tout puissant fera qu'il n'en arrivera aultre
inconvénient. ... Que la cause
pourquoi, il n'a desclaré ceste pernicieuse intention aux prebstres et aux
hommes aïant charge d'ames a esté pour estre du tout certain que s'il leur
eust desclaré l'attentat qu'il vouloit commettre contre le Roy, c'estoit leur
debvoir se saisir de sa personne et le rendre entre les mains de la justice,
d'aultant qu'en ce qui concerne le public, les prebstres sont obligés de
révéler le secret, occasion qu'il ne la oncque voulu desclarer à personne,
craignant que on le feist aussitost mourir de la volonté que de l'effet,
qu'il a commis, dont il requiert à Dieu pardon. Remonstré que
l'Église commande desclarer les mauvaises pensées à son confesseur,
aultrement on est en péché mortel : A dict qu'il
recognoist cela. Remonstré qu'il en a
donc parlé : A dict que non. Puis l'interrogatoire porte sur le jeune cordelier Le Febvre et sur la consultation qu'il avait demandée à celui-ci[19]. Relativement au conseil donné chez le cardinal du Perron de retourner en son pays : Remonstré que
c'estoit bon conseil, qu'il le debvoit suivre : A dict qu'il est
vray, mais qu'il a esté tellement aveuglé de péché que le Diable l'a faict
tomber en la tentation. ... Que s'il avoit esté
induict par quelqu'un de la France ou par estranger, et qu'il fust tant
abandonné de Dieu que de vouloir mourir sans le desclarer, il ne croirait pas
estre sauvé ni qu'il y eust Paradis pour luy parce que abyssus abyssum, comme
il a apprins des prédicateurs de nostre Seigneur qu'un abisme de pesché en
attire un aultre, partant que ce seroit redoubler son offense, que le Roy,
spécialement, la Royne et toute la maison de France, les Princes, la Cour, la
Noblesse et tout le peuple seroit porté à son occasion offencer Dieu, leur
esprit demeurant en inquiétude perpétuelle, soupsonnant injustement
tantostl'un tantost l'aultre de leurs subjects, lesquels il ne croit pas
avoir esté si mal advisez d'avoir jamais pensé d'estre aultres que fidèles à
leur Prince. ... Que jamais
estranger, françois ni aultre ne l'a conseillé, persuadé ni parlé, comme
l'accusé de sa part n'en a parlé à personne, ne voudroit estre si misérable
que de l'avoir faict pour aultre que le subject qu'il nous a desclaré qu'il a
cru que le Roy vouloit faire la guerre au Pape. L'interrogatoire de cette journée se termine par des questions relatives au service de Ravaillac chez le conseiller Rozier, sur l'emploi de son temps la veille du crime, et enfin le président lui demanda s'il a eu des charactères[20] : A dict qu'il croiroit faire mal. Le procès-verbal de cette séance est signé par Haraillar, qui ajoute après sa signature ces deux vers : Que toujours dans mon cœur Jésus soit le vainqueur. Le lendemain mercredi 19 mai, au matin, nouvelle séance au Palais de justice : A dict (Ravaillac) que ce qui luy reste à desclarer est une intention
et désir qu'il a de se relever du pesché que commet tout le peuple à son
occasion se persuadant et se laissant transporter à leur oppinion que
l'accusé a été induict à tuer le Roy par argent ou par des grands ennemis de
la France ou par des roys et princes estrangers, désireux de s'agrandir,
comme est trop plus communément le désir des roys, des grands potentats de la
terre, sans considérer si la raison pourquoy ils se résolvent à faire la
guerre est conforme à la volonté de Dieu ou à un désir de s'approprier de la
terre d'aultruy injustement, mais que la vérité est que, luy, accusé, n'a
esté induict ni poussé à ce par aulcun qui soit au monde, et que si tant
estoit que cela fust vray, qu'il eust esté si abominable que d'avoir consenti
à un tel acte par argent ou en faveur des estrangers, il l'eust recogneu de
prime face devant la justice de Dieu, devant laquelle il respond maintenant
la vérité ; Qu'il prie la cour,
la Royne et tout le peuple de croire qu'il sent son ame deschargée de la
faulte qu'ils commettent erronément de penser que aultre que luy l'aye porté
à commettre l'homicide qu'il a toujours confessé, et pour ce les supplie de
cesser l'opinion qu'ils ont qu'aultre que luy ait participé à cest homicide
pour ce que ce pesché tombe contre luy accusé pour les avoir laissé en ceste
incertitude n'y aïant personne pour juger du faict que luy et est tout ce
qu'il a confessé. Que la cour a assez
d'argumens suffisants par les interrogatoires et réponses au procès, qu'il
n'y a nulle apparence qu'il aye esté induict par argent ou suscité par gens
ambitieux du sceptre de France, car si tant eust esté qu'il y eust esté porté
par argent fou aultrement, il sembla qu'il ne fust pas venu jusques à trois
fois et trois voïages exprès d'Angoulesme à Paris distant l'un de l'aultre de
cent lieues pour donner conseil au Roy de ranger à l'Église catholique,
apostolique et romaine ceulx de la religion prétendue réformée, gens du tout
contraires à la volonté de Dieu et de son Église, parce que qui a volonté de
tuer aultruy par argent, dès qu'il se laisse ainsi malheureusement corrompre
par avarice pour assassiner son prince, ne va pas l'advertir comme il a faict
trois diverses fois, ainsi que le sieur de la Force, capitaine des gardes, a
recogneu depuis l'homicide commis par l'accusé, avoir esté dans le Louvre. Nous avons transcrit plus haut la fin de cette réponse, ainsi que celles relatives à la messe entendue par Ravaillac le jour de Pâques à Angoulême et aux invocations du Démon imaginées par Dubois ; ces réponses terminent l'interrogatoire de Ravaillac. Nous ne savons de quelle façon furent employés par les juges les huit jours suivants ; sauf le mardi de la semaine suivante, pendant lequel le meurtrier fut de nouveau appliqué à la question. Le mercredi 26 mai, le meurtrier fut confronté avec Dubois, avec Paul Noster, avec les deux écuyers du Roi et son valet de pied. On ne trouve pas trace de confrontation avec aucun Angoumoisin ; du reste en un si court espace de temps il eût été matériellement impossible d'avoir fait le trajet de Paris à Angoulême et d'y être de retour. Le jeudi 27 mai, la sentence du parlement fut rendue dans les termes que nous allons transcrire : ARREST DE LA COUR DE PARLEMENT CONTRE LE TRES MESCHANT PARRICIDE FRANÇOIS RAVAILLACExtrait des registres du parlement. Veu par la Cour, les
Grand'Chambre, Tournelle et de l'Edict assemblées, le procez criminel faict
par les Présidens et Conseillers à ce commis, à la requeste du Procureur
Général du Roy, à l'encontre de François Ravaillac, praticien de la ville
d'Angoulesme, prisonnier en la conciergerie du palais ; information,
interrogatoire, confessions, dénégations, confrontations de tesmoings,
conclusions du Procureur Général du roy ; oy et interrogé par ladicte Cour,
sur les cas à luy imposez, procéz verbal des interrogatoires à luy faicts, à
la question, à laquelle de l'ordonnance de ladicte Cour auroit esté appliqué
le 25 de ce mois, pour la révélation de ses complices tout considéré. Dict a esté que
ladicte Cour a desclaré et desclare ledict Ravaillac deiiement atteint et
convaincu du crime de lèze-Majesté, divine et humaine, au premier chef, pour
le très meschant, très abominable, et très détestable parricide, commis en la
personne du feu Roy Henri IIIIe, de très bonne et très loüable mémoire. Pour réparation
duquel l'a condemné et condemne faire amende honorable devant la principale
porte de l'église de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau, là
nud en chemise, tenant une torche ardente au poids de deux livres, dire et
declarer que malheureusement et proditoirement il a commis ledict très
meschant, très abominable et très détestable parricide, et tué ledict seigneur
Roy de deux coups de cousteau dans le corps, dont se repend, demande pardon à
Dieu, au Roy et à justice ; de là conduict à la place de Grève, et sur un eschafaud
qui y sera dressé, tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes,
sa main dextre y tenant le cousteau duquel a commis ledict parricide ards et
bruslez de feu de souffre, et sur les endroits où il sera tenaillé, jetté du
plomb fondu, de l'huille bouillante, de la poix raisiné bruslante, de la cire
et souffre fondus a ensemble. Ce faict, son corps tiré et demembré à quatre chevaux,
ses membres et corps consommez au feu, réduicts en cendre, jettés au vent. A
desclaré et déclare tous et chacuns ses biens acquis et confisquez au Roy. Ordonne que la maison
où il a été nay sera desmolie, celui à qui elle appartient préalablement
indemnisé, sans que sur le fonds puisse à l'advenir estre faict aultre bastiment.
Et que dans quinzaine après la publication du present arrest à son de trompe
et cry public en la ville d'Angoulesme, son père et sa mère vuideront le royaume
avec deffences d'y revenir jamais, à peine d'estre pendus et estranglez sans
autre forme ni figure de procez. A faict et faict
deffences a ses frères, sœurs, oncle et aultres, porter cy-après ledict nom
de Ravaillac, leur enjoint le changer en aultre sur les mesmes peines. Et au
substitut du Procureur Général du Roy, faire publier et exécuter le present
arrest, à peine de s'en prendre à luy. Et avant l'exécution d'iceluy
Ravaillac, ordonné qu'il sera de ce chef appliqué à la question, pour la révélation
de ses complices. Prononcé et exécuté
le XXVIe may, mille six cent dix. VOYSIN. Malgré sa conviction que le régicide avait eu des complices, le Parlement vit bien qu'il avait été poussé à son crime surtout par son fanatisme ; aussi ne lui parut-il pas moins nécessaire de condamner certaines doctrines émises par quelques théologiens que de condamner l'assassin lui-même ; le jour même de la condamnation de celui-ci, el séance tenante en quelque sorte, il rendit la sentence que nous transcrivons : La Cour, la
Grand'Chambre, Tournelle et de l'Edict assemblées, procédant au jugement du
procès criminel extraordinairement faict à la requeste du Procureur Général
du roy, pour le très meschant, très détestable et très cruel parricide, commis
en la personne sacrée du feu roy Henri IV, ouy sur ce ledict Procureur
Général du Roy, a ordonné et ordonne : qu'à la diligence du Doïen et syndics
de la Faculté de Théologie, ladicte Faculté sera assemblée au premier jour
pour délibérer ; ouy la confirmation du décret d'icelle du 13 décembre 1413,
et résolu par censure de 141 docteurs de ladicte Faculté, depuis autorisée
par le Concile de Constance, qu'il n'est loisible à aulcun que ce puisse
estre d'attenter aux personnes sacrées des roys et autres princes souverains,
et que ledict décret qui interviendra dans ladicte assemblée, sera soussigné
de tous les docteurs de ladicte Faculté aïant assisté à la délibération,
ensemble par tous les Bacheliers qui sont au corps de théologie, pour ledict décret
estre communiqué audict Procureur Général du Roy et veu par la Cour, estre
par icelle ordonné ce que de raison. Faict en Parlement le 27 mai 1610. Le même jour eut lieu l'exécution du régicide. Pour cette horrible narration, nous devons transcrire le procès-verbal judiciaire lui-même, dans tous ses détails : PROCÈS VERBAL De la question à François Rauaillac, et de ce qui se passa auant et après le supplice de la place de Grèue.Dv vingt-sept may 1610,
à la leuée de la Cour, en la chambre de la Beuuette. Pardeuant tous
messieurs les Présidens et plusieurs des Conseillers, a esté mandé François
Rauaillac, accusé et conuaincu du Parricide du feu Roy, auquel estant à
genoulx a esté par le Greffier prononcé l'arrest de mort contre luy donné et
que pour réuélation de ses complices sera appliqué à la question, et, le
serment de luy prins, (a été) exhorté préuenir le tourment et s'en rédimer
par la recognoissance de la vérité, (à confesser) qui l'auoit induit,
persuadé, fortifié à ce meschant acte, à qui il en auoit communiqué et
conféré : A dict
que, par la damnation de son ame, n'y a eu homme, femme ni aultre que luy qui
l'aye sceu. Appliqué à la
question des brodequins, et le premier coing mis : S'est
escrié que Dieu eust pitié de son ame, luy feist pardon de sa faulte et non
pas d'auoir recelé personne, ce qu'il a réitéré auec mesmes dénégations comme
il a esté interrogé. Mis le deuxiesme
coing : A dict auec grands
cris et clameurs : Je suis pescheur, je ne scay
aultre chose, par le serment que j'ay faict et doibs à Dieu et à la Cour, je
n'en ay parlé que ce que j'ay dict au petit Cordellier, soit en confession,
ou aultrement, n'en a parlé au gardien d'Angoulesme, ne s'est confessé en
ceste ville et que la Cour ne le feist désespérer. Continuant de frapper
le deuxiesme coing : S'est escrié : Mon Dieu, prenez ceste pénitence pour les grandes faultes
que j'ay faictes en ce monde : o Dieu, receuez ceste peine pour la
satisfaction de mes peschez, par la foy que je doibs à Dieu, je ne sçay
aultre chose et ne me faictes désespérer mon ame. Mis au bas des pieds
le troisiesme coing, est entié en sueur uniuerselle et comme pasmé, luy aïant
esté mis du vin à la bouche, ne l'a reçeu, la parole luy faillant, a esté
relasché et sur luy jetté de l'eau, puis faict prendre du vin ; la parole
reuenue, a esté mis sur vn matelas au mesme lieu, où a esté jusques à midy,
que la force reprinse, a esté conduit à la chapelle par l'exécuteur qui l'a
attaché, et mandez les docteurs Filsac et Gamaches, il a eu à disner, puis
auant que d'entrer en conférence auec les docteurs, par le greffier a esté
admonesté de son salut par la nue recognoissance de la vérité, qui l'auoit
poussé, excité et fortifié ou induict à ce qu'il auoit commis et de si long
temps projecté, qu'il n'y auoit apparence qu'il eust conçu et entreprins luy
seul et sans en auoir communiqué : A dict
qu'il n'est si misérable de retenir s'il sçauoit plus que ce qu'il a desclaré
à la Cour, sçachant bien qu'il ne peust auoir la miséricorde de Dieu qu'il
attend s'il retenoit à dire, et n'eust pas voulu endurer les tourments qu'il
a reçeus ; s'il sçauoit dauantage, l'eust desclarés ; bien auoit-il faict vne
grande faulte où la tentation du Diable l'auoit porté, prioit le Roy, la Royne,
la Cour et tout le monde de luy pardonner, faire prier Dieu pour luy, que son
corps porte la pénitence pour son ame. Et plusieurs fois
admonesté, n'aïant faict que répéter ce qu'il auoit dict, a esté délaissé aux
deux Docteurs pour faire ce qui est de leur charge. Peu après deux
heures, le Greffier mandé par les deux docteurs, luy ont dict : Que le
condamné les auoit chargés de faire venir, pour luy dire et signer comme il
entendoit que sa confession fust réuélée, mesmes imprimée, afin qu'elle fust
sceue partout ; laquelle confession iceulx Docteurs ont desclaré estre que
aultre que luy n'auoit faict le coup, n'en auoist esté prié, sollicité ni induict
par personne ni communiqué, recognoissant comme il auoit faict en la Cour
auoir commis vne grande faulte dont il espère la miséricorde de Dieu plus
grande qu'il n'estoit pescheur, et qu'il ne s'y attendroit s'il retenoit à dire. Sur ce par le
Greffier ledict condamné requis de la recognoissance et confession qu'il
vouloit estre sceue et réuélée, de rechef admonesté de recognoistre la vérité
pour son salut : Dict avec
serment qu'il auoit tout dict, que personne du monde ne l'auoit induict et
n'en auoit parlé ni communiqué à aultres qu'à ceulx qu'il a nommés au procès. Incontinent après
trois heures tiré de la Chapelle pour sortir la Conciergerie, les prisonniers
en multitude et confusion avec injures meschant,
traistre, et aultres semblables, l'ont
voulu offenser sinon que les archers et aultres officiers de la justice
présens pour la main forte et en armes les ont empeschez. Sortant la
Conciergerie pour monter au tombereau et y estant, le peuple de tous costez
et en si grand nombre qu'il estoit difficile aux archers de passer, s'est mis
à crier, les uns, meschant ; les aultres,
parricicle ; les aultres, le traistre ; les aultres, le meurtrier, et aultres parolles d'indignation
et opprobres, et s'efforsant plusieurs de l'offenser et se jetter sur luy,
dont la force les a empeschez ; après un long Paix-là
! et lors, Escoutez ! de par le Roy,
dict par trois fois, on se tut pour escouter l'arrest ; mais à ces mots : tué le Roy de deux coups de cousteau,
recommencé leurs cris à plus haulte voix, et les mesmes opprobres qui ont
continué jusques à l'église de Paris[21] où la clameur et cris ont esté semblables à la
lecture de l'arrest, qui a esté là exécuté pour l'amende honorable ; puis
conduict à la Grève, recevant en cheminant les mesmes injures et clameurs
d'indignation du desplaisir de tous, plusieurs se voulant jetter sur luy. Le cri faict à la
Grève, avant que descendre du tombereau pour monter sur l'eschaffault, encore
admonesté, a réitéré les précédentes desclarations et prières au Roy et à la
Royne, et à tout le monde, de luy pardonner la grande faulte qu'il avoit
faicte et faire prier Dieu pour luy, le peuple continuant ses clameurs
d'injures et d'indignation contre luy. Monté sur
l'eschaffault y a esté consolé et exhorté par les docteurs, qui aïant faict
ce qui estoit de leur profession[22], le greffier d'abondant l'a exhorté, finissant la
vie, penser à son salut par la nue vérité, à quoy n'a voulu dire que ce qu'il
auoit dict au précédent. Le feu mis à son
bras, sa main droite percée de part en part d'un Cousteau rougi au feu de
soufre ; ensuite on luy deschira les mammelles et le gras des jambes avec des
tenailles rouges qui luy firent faire des cris. tenant le cousteau s'est
escrié : Adieu (ah
! Dieu !), et plusieurs fois dict : Jésus
Marin, par après tenaillé, il a réitéré les cris et prières, faisant
lesquelles plusieurs fois admonesté à recognoistre la vérité, n'a dict que
comme au précédent et le peuple auec grand rumeur crié et répété les
opprobres et injures, disant qu'il le falloit là laisser languir, puis aux
interualles le plomb fondu et huille jettés sur les plaies où il auoit été
tenaillé a continué fort haultement ses cris. Sur ce les docteurs
luy ont de rechef parlé, et à ce faire invitez par le greffier, ont voulu
faire les prières accoustumées pour le condamné, se sont debout descouuerts
et commencé publiquement, mais tous aussitost le peuple en turbe et confusion
a crié contre eulx, disant qu'il ne falloit point prier pour ce meschant et
condamné, et aultres parolles semblables, telles qu'ils ont esté contraincts
cesser. Et lors le greffier
luy a remonstré comme la grande indignation du peuple estoit le jugement
contre luy, qui l'obligeoit à se disposer de tout au plus à la vérité, il a
continué, dict : Il n'y a que moy qui l'aye faict. Faict tirer les
cheuaux enuiron demie heure, par interualle arrestez, enquis et admonesté, a
perséuéré en ses desnégations ; et le peuple de toutes qualités qui là
estoient proche et loing, continué ses clameurs et tesmoignages de ressentiment
du malheur de la perte du Roy, plusieurs mis à tirer les cordes auec telle
ardeur que l'vn de la noblesse qui estoit proche, a faict mettre son cheual
au lieu de l'vn de ceulx qui estoit recreu[23], et enfin par vne grande heure tiré sans estre
desmembré, a rendu l'esprit, et lors desmembré, le peuple de touttes qualitez
se sont jettez auec espées, cousteaux, bastons et aultres choses qu'ils
tenoient ; à frapper, couper, deschirer les membres, ardemment ; mis en
diuerses pièces, rauis à l'exécuteur, les traisnant qui çà qui là par les
rues de tous costez auec telle fureur que rien ne les a peu arrester, et ont
esté bruslés en diuers endroits de la ville. Quelques manans des
enuirons de Paris aïant troué le moïen d'en auoir quelques lopins etaulcuns
des entrailles, les traisnèrent brusler jusques en leurs villages ! Nicolas Pasquier (qui est, il est vrai, sujet à caution) prétend même[24] qu'une femme mangea de la chair du régicide et d'autres la pétillèrent aux pieds. Nicolas Bourbon et, d'après lui, Champflour, que nous avons déjà cités, disent de leur côté dans leurs Exécrations : ..... et qu'il se trouve encore Un habitant bruslé de la contrée More Qui nourry dans la France engloutisse goulu Les membres depessés de ton corps vermoulu. |
[1] Voir aux notes la curieuse lettre de Nicolas Pasquier.
[2] Le grand poète François de Malherbe, né à Caen en 1555, décédé à Paris en 1628.
[3] Charles de Choiseul, marquis de Praslin et de Chaource, alors capitaine des gardes du corps du roi et gouverneur de Troyes ; chevalier des ordres depuis 1595, il fut fait en 1619 maréchal de France et, en 1622, gouverneur de Saintonge, d'Aunis et d'Angoumois.
[4] Hercule de Rohan, duc de Montbazon, grand veneur de France, lieutenant général de la ville de Paris.
[5] Nous avons déjà parlé de lui plus haut au chapitre VI.
[6] Jean de Beaumanoir, marquis de Lavardin, maréchal de France, gouverneur du Maine.
[7] Charles de Blanchefort, sire de Créquy, prince de Foix, duc de Lesdiguières, pair et maréchal de France, gouverneur du Dauphiné, chevalier des ordres du roi.
[8] Jacques Chabot, marquis de Mirebeau, comte de Charny, lieutenant général au gouvernement de Bourgogne.
[9] Charles du Plessis de Liancourt, premier écuyer de la petite écurie du roi, et gouverneur de Paris.
[10] Pasquier prétend qu'à cet endroit de la Croix-du-Trahoir, le roi commanda à Vitry d'aller au palais de justice.
[11] Voici le récit du crime d'après l'assassin lui-même :
Il a cherché le roy au Louvre... le voïant sortir dans son carrosse, le suivit jusques devant les Innocents, environ le lieu où il l'avoit aultrefois fortuitement rencontré, qu'il ne voulust parler à luy, et voïant son carrosse arresté par des charrettes, Sa Majesté au fond tournant le visage et penché du costé de M. d'Espernon, luy donna dans le costé un coup de son couteau, passant son bras au-dessus de la roue du carrosse.
D'après Girard, le duc d'Epernon vit lancer le second coup, avança son bras pour le détourner et en reçut une partie dans la manche de son pourpoint, qui fut percée. Ce malheureux parricide poussa jusqu'au troisième coup, les deux derniers furent mortels et dès le second le roi fut renversé mort sur le duc, qui le reçut entre ses bras, vomissant le sang à gros bouillons.
Girard a le soin de ne pas même prononcer le nom de Ravaillac.
[12] Pierre Jeannin, intendant des Finances, conseiller d'État, né à Autun en 1540, décédé en 1622.
[13] Antoine de Loménie, décédé en 1638 ; il était né en 1560 de Martial de Loménie, seigneur de Versailles.
[14] Claude de Bullion, seigneur de Bounelles, depuis surintendant des Finances.
[15] Ravaillac avoua avoir apporté ce papier d'Angoulême. Nous avons vu, au chapitre précédent, que c'était sous ces deux lions que, pendant le carême précédent, en sortant de la maison Belliard, et après avoir entendu parler de l'excommunication du roi, Ravaillac avait écrit de sa main ces deux vers :
Ne souffre pas qu'on fasse en ta présence,
Au nom de Dieu aucune irrévérence.
[16] Jacques de la Guesle, né à Paris en 1557, y décédé en 1612 ; il avait succédé à son père comme procureur général ; ce fut lui qui avait introduit près de Henri III Jacques Clément ; il fut témoin de l'assassinat et, le premier de tous, frappa de son épée le meurtrier.
[17] Né à Paris en 1536, y décédé en 1616 ; il avait succédé à M. de Thou son beau-père, comme premier président du Parlement de Paris, dont il fut un des plus illustres magistrats.
[18] De ce qu'il recebvoit de ses élèves, faisoit les voïages en ceste ville, dit Ravaillac.
[19] A dict que la vérité est qu'il a faict ceste consultation, mais n'a dict qu'il le vouloit faire (qu'il voulut commettre le crime).
Ne luy proposa cela, comme l'aïant l'accusé en l'intention, ains luy fict une proposition généralle : Si un homme l'avoit.
[20] Des sortilèges, des pactes avec l'Esprit du mal.
[21] L'église Notre-Dame, église cathédrale de Paris.
[22] On lit dans un autre récit du supplice qu'à ce moment le malheureux demanda l'absolution à son confesseur ; celui-ci la lui refusa, en disant que cela lui était défendu en crime de-lèse majesté au premier chef, s'il ne vouloit révéler ses fauteurs et complices. Il répondit qu'il n'en avoit point comme il le lui avoit souvent protesté et protestoit encore de rechef. Le prêtre ne voulant passer outre : Donnez-moi, dit-il, l'absolution, au moins à condition, au cas que ce que je dis soit vrai. — Je le veux, lui répondit le confesseur, mais à cette condition qu'au cas qu'il ne soit ainsi, votre âme, au sortir de cette vie que vous allez perdre, s'en va droit en enfer et au diable, ce que je vous dénonce de la part de Dieu comme certain et infaillible, — Je l'accepte et reçois, dit-il, à cette condition.
Et l'on pourrait croire que cet homme, plein de foi, aurait ainsi voulu perdre son éternité par un entêtement inexplicable !
Cela n'est pas !
Ravaillac a cru agir par l'effet seul de sa volonté. Reste à savoir si son fanatisme n'a pas été, à son insu, excité, exploité.
[23] Lassé, fatigué.
[24] Tome II, page 1064.