(LES DUBREUIL) Jean Ravaillac, père du régicide, épousa vers 1575, Françoise Dubreuil, sœur de messire Nicolas et Jean Dubreuil, chanoine de la cathédrale d'Angoulême ; l'un, des deux avait même été baysle[1] du chapitre, en 1572. A quelle famille appartenaient ces Dubreuil ? Ce nom est si répandu dans chaque province, et porté par tant de familles étrangères les unes aux autres que tout d'abord la recherche de cette origine nous a semblé singulièrement difficile. Nous avions bien constaté l'existence dans notre ville, vers cette même époque : De Jean du Breuil, écuyer, seigneur dudit lieu, qui en 1593, était marié à Jeanne de Saint-Marsault, veuve en premières noces de Guy Géraud, écuyer, seigneur de Frégeneuil près d'Angoulême ; et de Pierre du Breuil, écuyer, seigneur dudit lieu, qui, en 1616, habitait Angoulême ; mais rien ne permettait de rattacher, sérieusement, ceux-ci à la mère de Ravaillac. Nos investigations dans les vieux registres des paroisses d'Angoulême nous ont fait rencontrer enfin un acte de baptême en l'église Saint-Martial portant la date de novembre 1606, dans lequel figure, en même temps que la signature de Ravaillac, celle de Jehan du Breuil, seigneur de Fontreau[2]. Nous pensons donc que la mère de Ravaillac et les chanoines ses frères appartenaient aux du Breuil de Fontreau. Ceux-ci, beaucoup moins connus qu'une de leurs branches cadettes, les du Breuil de Théon de Châteaubardon, étaient originaires du charmant castel de Fontreau, paroisse de Saint-Genis en Saintonge ; caché dans les bocages de la vallée du Tende, ce manoir appartient actuellement à M. le marquis de Dampierre, de Plassac. M. Rainguet, dans ses Études sur l'arrondissement de Jonzac, donne, page 109 de cet ouvrage, la généalogie de la famille des seigneurs de Fontreau, de la manière suivante : 1. Jean Dubreuil, seigneur de Fontreau ; 2. François, marié (en 1526) à Marie Dexrnier ; 3. François IIe du nom, marié en 1557 à Yzabeau de la Faye ; 4. Jacques, marié en 1579 à Louise de Lesneveur ou de Le Sueur ; 5. Abel du Breuil, seigneur de Fontreau, marié en 1618 à Marie des Montis, puis, en 1630, à Esther Alain, etc. Cette famille fit ses preuves de noblesse en 1598, elle portait pour armes d'azur à la bande d'argent. Elle paraît s'être éteinte, au commencement de ce siècle, dans la personne de Marguerite-Julie du Breuil de Fontreau, mariée à M. de Navarre, dont la fille épousa M. le baron de Ravignan, frère de l'illustre prédicateur. La généalogie ci-dessus ne mentionne que la filiation des seigneurs mêmes de Fontreau ; il n'est donc pas étonnant que les chanoines du Breuil n'y soient pas mentionnés, non plus que bien d'autres personnages de cette famille vivant à la même époque, notamment : François Dubreuilh sieur de Fonraulx, chatellange de Plassac, qui est un des 579 protestants saintongeais condamnés à mort le 6 avril 1567 par arrêt du Parlement de Bordeaux. Les décès des chanoines Dubreuil eurent lieu sans doute dès le commencement du XVIIe siècle[3] ; avec eux leur sœur perdait tout, pour ainsi dire, car ils l'avaient assistée efficacement ; c'étaient eux certainement qui avaient appris à lire et à écrire à leur neveu François[4], eux qui l'avaient fait entrer chez leur ami le conseiller Rozier ; aussi, après ces décès, Françoise Dubreuil est promptement obligée de contracter plusieurs emprunts, puis de se séparer de biens d'avec son mari, peu après de se séparer de fait d'avec lui, et enfin de vendre l'immeuble qui lui appartenait personnellement. Cet immeuble consistait en une maison située à Angoulême, dans cette même paroisse Saint-Paul où habitait la famille Ravaillac ; elle était située non pas rue des Arceaux, comme le prétend M. Castaigne, mais bien rue Saint-Paul, puisqu'elle confrontait, ainsi que nous l'avons dit sous le chapitre premier, d'une part, à la rue publique allant de l'église Saint-Paul à la halle du Palet[5]. Par acte reçu, Lacaton, notaire à Angoulême, le 7 décembre 1606, Françoise Dubreuil vendait cette maison à Me Adam Roux, procureur au siège présidial d'Angoulême ; celui-ci loua immédiatement ladite maison à François Ravaillac, qui l'occupait avec sa mère au moment de son attentat. Pour en revenir aux chanoines Dubreuil, il est certain qu'ils eurent une influence considérable sur l'enfance de leur neveu : celui-ci dut entendre de ses oncles les récits, maintes fois répétés, de toutes les violences qu'ils avaient souffertes des Protestants en 1568 ; ces récits, cette fièvre qui précipitait alors les uns contre les autres Catholiques et Réformés, avaient sur le cerveau malade de François une action bien autrement terrible que sur l'esprit de ses coreligionnaires : ils allumaient en lui, contre les Hérétiques et leurs chefs, des transports qui ne devaient pas toujours rester renfermés dans son âme. Sans vouloir excuser le régicide, il nous semble nécessaire d'expliquer, sous un chapitre spécial, qui sera le suivant, quels faits avaient dû semer dans cette nature sauvage les premiers germes de sa fureur sanglante. |
[1] Dignité ecclésiastique, répondant au titre d'official de l'évêque.
[2] A cette date, celui-ci était parrain de Jehan Galliot, fils de Pierre Galliot et d'Isabeau Asselin ; la marraine se nommait Mathurine Chenault.
[3] Mme Ravaillac eut entre autres cohéritiers, dans la succession de son frère, Nicolas-François Redon, écuyer, receveur du taillon à Angoulême, seigneur de Neuillac, Pranzac, Hurtebize, Boishedeuil, maire d'Angoulême en 1578, puis échevin jusqu'en 1607. (Voir aux preuves la pièce VI.) Nous parlerons de la famille Redon dans nos notes § 3.
[4] Interrogatoire du 14 mai :
Enquis s'il a apprins à lire
et escrire et quels sont les maistres qui l'ont enseigné, puisqu'il dict qu'il
faict profession d'apprendre à lire, escrire et prier Dieu aux enfants.
Dict qu'il y a plus de vingt ans qu'il n'a eu maistre pour l'enseigner, et qu'avant ledict temps, il y a eu deux prebstrès, sous lesquels il a apprins à lire et escrire.
[5] Cette rue est nécessairement la rue Saint-Paul puisque la direction indiquée est la halle du Palet, soit le nord-ouest, tandis que la rue des Arceaux, conduisant de l'église Saint-Paul à la place Marengo, a sa direction vers le midi.
La maison habitée par Ravaillac en 1610 était donc une de celles sur l'emplacement desquelles a été édifiée, au commencement de ce siècle, la maison Astier-Rivaud, à moins qu'elle n'ait été de l'autre côté de cette même rue, du côté de l'église Saint-Paul, en face par conséquent de cette même maison.