LA FRANCE SOUS PHILIPPE LE BEL

 

LIVRE TREIZIÈME. — POLITIQUE ÉTRANGÈRE.

 

 

CHAPITRE PREMIER. — GUERRE D'ARAGON (1285-1295).

 

Développement de la diplomatie au treizième siècle. — Charles de Valois nommé roi d'Aragon par le pape Martin IV. — Guerre. — Le roi Édouard Ier d'Angleterre interpose ses bons offices. — Sa partialité peur l'Aragon. — Alliance de Philippe le Bel avec Sanche, roi de Castille. Traité de Tarascon, 1290. — Paix définitive. — Difficultés à cause de la vallée d'Aman.

 

La dernière moitié du treizième siècle vit jeter les premiers fondements du droit public européen : les relations entre les différents royaumes chrétiens, devenues de plus en plus fréquentes par suite des progrès de la civilisation et de l'essor du commerce, furent soumises à des règles communes : il se forma dès lors une sorte d'équilibre entre les grandes puissances qui se partageaient l'empire du monde. Chacun prétendit empêcher l'extension territoriale de ses voisins, tout en cherchant à s'agrandir soi-même. Deux principales nations, la France et l'Angleterre, se surveillaient d'un œil jaloux, redoutant l'une et l'autre l'accroissement de sa rivale. La force des armes n'était pas le seul argument auquel on eût recours pour étendre sa puissance et limiter celle d'autrui : la diplomatie, science nouvelle, mais portée déjà à un haut degré de perfection, jouait un rôle important ; elle préparait d'utiles alliances, établissait des liens de famille, excitait des antipathies de race, semait l'or à propos et faisait naître de redoutables coalitions.

Le règne de Philippe le Bel est remarquable par de nombreuses négociations, qui eurent pour but soit de prévenir des guerres, soit d'y mettre un terme, soit enfin de procurer des accroissements de territoire. Je crois que l'exposé sommaire des relations de ce roi avec les puissances étrangères offrira quelque intérêt.

Philippe le Hardi avait légué à son fils la guerre contre l'Aragon, entreprise à la sollicitation du Saint-Siège. On sait comment la tyrannie de Charles d'Anjou en Sicile avait amené les Vêpres siciliennes : don Pèdre, roi d'Aragon, avait été choisi pour roi par les Siciliens. Le pape Martin IV l'excommunia, prêcha une croisade contre lui, et donna la couronne d'Aragon à Charles de Valois, second fils du roi de France. Philippe le Hardi, soutenu par les décimes ecclésiastiques, envahit l'Aragon avec une forte armée ; mais il rencontra les plus grandes difficultés dans un pays dont les habitants étaient restés fidèles à leur roi. Il prit pourtant Girone après un long siège ; mais, forcé de repasser précipitamment les Pyrénées, il tomba malade de la fièvre et mourut à Perpignan (5 octobre 1285). Don Pèdre ne lui survécut que de quelques jours : il eut pour successeur en Aragon son fils Alfonse, et en Sicile don Jayme. Le prince de Salerne, héritier de Charles d'Anjou, était prisonnier.

Le nouveau roi de France avait des intérêts plus pressants que de conquérir une couronne à son frère : il se hâta d'abandonner l'armée. Les hostilités continuèrent, mais avec moins d'activité, sous la direction du roi de Majorque, allié des Français.

C'était ordinairement le Saint-Siège qui, lorsqu'une guerre éclatait, cherchait à mettre un terme aux hostilités et proposait son intervention. Dans le cas présent, le pape était le promoteur de la guerre ; mais les droits de l'humanité ne restèrent pas sans défenseurs. Les fils du prince de Salerne avaient écrit une lettre touchante au roi d'Angleterre, Édouard Ier, pour le supplier de faire mettre en liberté leur père, son proche parent et son ami d'enfance[1]. Les barons de Provence s'étaient associés à cette démarche, qui fut bien accueillie[2]. Le roi d'Aragon se déclara prêt à des concessions[3]. Édouard vint en France, eut une entrevue avec Philippe le Bel et lui offrit sa médiation, qui fut acceptée[4] ; une trêve fut conclue[5], sauf l'approbation du pape[6], et rendue exécutoire immédiatement[7]. Le pape approuva la conduite d'Édouard, tout en lui recommandant de ne pas sacrifier les intérêts du roi de France et du prince de Salerne, devenu roi de Naples par la mort de son père[8], et dont la délivrance était l'objet principal des négociations.

Édouard né se montra pas entièrement désintéressé : il voulut à la fois faire mettre en liberté son ami et se faire un allié du roi d'Aragon. Il envoya le sire de Grailly proposer à don Alfonse la main d'une de ses filles, et une alliance intime avec l'Angleterre. Il lui promit ses bons offices auprès du pape, du roi de France et du roi de Naples[9]. Alfonse accepta avec joie : il eut une entrevue avec Édouard à Oléron ; le mariage fut conclu, et la liberté de Charles d'Anjou accordée moyennant le payement de cent mille marcs d'argent. Charles devait jurer sur sa parole de roi qu'avant trois ans il établirait la paix entre l'Église romaine et l'Aragon, et laisser pour otage ses trois fils aînés et vingt jeunes seigneurs[10]. Il fut mis en liberté à la fin de l'année suivante. Le pape déclara que ces conditions ne lui plaisaient pas ; Philippe le Bel, de son côté, se plaignait d'infractions à la trêve, et suscitait toutes sortes d'embarras à don Alfonse. Il alla même jusqu'à se réconcilier avec le roi de Castille, don Sanche[11], qui avait enlevé la couronne aux infants de Lacerda, fils de son frère aîné Ferdinand, et de Blanche, fille de saint Louis ; mais le roi d'Aragon avait à son tour embrassé la cause des infants, leur avait donné des troupes et avait avec eux envahi la Castille[12]. Le roi d'Angleterre, qui jouait le beau rôle et qui avait à cœur le maintien de la paix, intervint de nouveau et convoqua à Perpignan, en 1290, des conférences où les ambassadeurs de Philippe et d'Alfonse exposèrent leurs griefs[13]. Il fit plus, il amena en 1291 à Tarascon la réunion d'un grand congrès, auquel prirent part le Saint-Siège, l'Angleterre, Naples, l'Aragon, la France, Charles de Valois, prétendant au trône d'Aragon. Les Aragonais y furent représentés par les, députés des cortès, qui abandonnèrent solennellement le roi de Sicile don Jayme. La paix fut signée[14]. Charles d'Anjou renonça à l'Aragon, et reçut l'Anjou et le Maine, qui lui furent donnés par le roi de Naples[15]. Un événement imprévu vint compromettre cet heureux résultat si péniblement obtenu[16] : Alfonse mourut, et fut remplacé par son frère Jayme, le même que le traité de Tarascon sacrifiait, et qui réunissait les deux couronnes d'Aragon et de Sicile[17]. Ce ne fut que quatre ans après, en 1295, que les efforts de Nicolas IV et de Boniface VIII amenèrent une paix définitive[18]. Charles de Valois renonça, non sans peine, à ses prétentions sur l'Aragon, et don Jayme à la Sicile[19]. Une seule difficulté restait au sujet de la vallée d'Arran, que Philippe le Bel prétendait lui appartenir[20]. Les deux rois convinrent de mettre l'objet du litige en séquestre entre les mains du roi de Majorque, puis entre celles du pape[21], jusqu'à ce qu'une enquête contradictoire eût fait connaître quel en était le propriétaire avant la guerre. Les choses traînèrent en longueur, car, en 1308, Philippe désigna plusieurs commissaires pour se rendre sur les lieux et procéder à l'enquête ordonnée par le traité[22]. Quand il mourut, la question n'était pas encore réglée[23].

Cette longue guerre d'Aragon n'avait donc eu d'autre résultat pour la France que de lui coûter de grands sacrifices. Philippe paraît avoir eu un instant la pensée de revendiquer le Roussillon et la Cerdagne ; mais il dut renoncer à ce projet, dont l'exécution demandait à être précédée de victoires plus signalées que celles qui avaient marqué l'expédition commencée par Philippe le Hardi contre l'Aragon[24]. Les conquêtes à main armée n'étaient pas son fait : ce qu'il voulait surtout, c'était donner à la France ses frontières naturelles, et les négociations étaient à ses yeux le moyen le plus sûr pour arriver à ce but.

 

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CHAPITRE DEUXIÈME. — GUERRE DE VALENCIENNES.

 

Histoire rapide des variations des frontières du royaume de France du côté de l'Empire. — Le Hainaut et l'Ostrevent. — Insurrection des habitants de Valenciennes contre le Hainaut. — Ils se prétendent Français. — Ils adressent un mémoire au roi pour le prouver. — Philippe les soutient contre l'Empereur. — Le comte de Hainaut contraint de céder. — L'Ostrevent déclaré français.

 

Le point de départ de la géographie politique du monde moderne est dans le traité de Verdun (843), qui consacra le démembrement de l'empire de Charlemagne. Alors les différents peuples que ce grand génie avait voulu faire vivre d'une vie commune, revendiquèrent leur liberté et leur individualité. Les races italienne, gallo-franque et teutonique se séparèrent violemment pour avoir leur existence à part : chacun des fils de Louis le Débonnaire se mit à la tête d'une nationalité. Louis eut l'Allemagne, Charles le Chauve la France, Lothaire l'Italie et une large bande de terrain entre les royaumes de ses deux autres frères. Le royaume de Charles le Chauve fut borné au nord par la Manche, à l'ouest par l'Océan, au sud par les Pyrénées et par le cours inférieur de l'Èbre, à l'est par l'Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône[25]. Telle fut l'origine du royaume de France, dont les frontières étaient encore, lorsque Philippe le Bel monta sur le trône, à peu près les mêmes que quatre siècles et demi auparavant. Du côté de l'Espagne, le comté de Barcelone, au-delà des Pyrénées ; et en deçà, le Roussillon, la Cerdagne, le Lampourdan et le comté de Vic, qui n'étant rattachés par aucun lien à la France, furent incorporés, au douzième siècle, au royaume d'Aragon, dont ils étaient voisins[26]. Saint Louis renonça solennellement à ses droits sur ces provinces[27].

Après plusieurs partages successifs, le royaume de Lothaire avait fini par être réuni, ainsi que la dignité impériale, au royaume de Germanie : cette union était consommée lors de l'avènement de la dynastie capétienne. Philippe le Bel eut pour préoccupation constante de reculer les limites de son royaume et de les porter jusqu'au Rhin ; ce désir fut un des mobiles de sa politique extérieure ; il mit tout en œuvre pour le réaliser, et s'il n'y réussit pas entièrement, il put s'applaudir d'avoir frayé le chemin et préparé l'extension future de la France.

A l'orient, les limites du royaume étaient des fleuves ; mais cette délimitation, toute rigoureuse qu'elle paraisse, donna naissance à plusieurs contestations entre la France et l'Empire, car il arrivait souvent que le territoire d'une ville située sur la frontière s'étendait des deux côtés du fleuve qui séparait les deux États. C'est ce qui arriva pour Valenciennes, ville assise sur l'Escaut et dont les deux parties sont unies par des ponts : l'une de ces parties était du royaume de France, l'autre dépendait de l'Empire. La partie du royaume de Lothaire située à droite de l'Escaut, était, il est vrai, retournée, après la mort de Lothaire, à Charles le Chauve, et avait passé ensuite à Charles le Simple ; mais celui-ci l'avait cédée, en 921, à Henri l'Oiseleur, et, en 980, le dernier carlovingien, Lothaire, en avait fait un abandon solennel à Othon[28]. Cette renonciation n'avait pas été regardée comme valable par les premiers Capétiens. Robert eut même l'intention de profiter de la mort de Henri II pour étendre sa domination au-delà de l'Escaut ; mais la reconnaissance par les Lorrains de Conrad le Salique comme empereur lui ôta tout espoir, et le fit renoncer à ce projet, qu'il n'avait point la force d'exécuter[29]. L'Escaut resta la limite du royaume. Valenciennes était située dans l'Ostrevent, province du Hainaut qui appartenait aux comtes de Flandre, et pour laquelle ils faisaient hommage au roi de France. Au treizième siècle, le Hainaut fut donné à l'un des fils de la comtesse Marguerite et de Bouchard d'Avesnes, nommé Jean, qui ne vécut pas assez pour en jouir. Son fils Jean II rendit en 1295 hommage à Philippe le Hardi pour l'Ostrevent[30] ; mais il refusa de le prêter à Philippe le Bel. En 1289, il ne l'avait pas encore fait, malgré des sommations réitérées[31] ; enfin, en 1290, il céda, et reconnut tenir l'Ostrevent en baronnie[32]. Peu de temps après (1291), il eut des démêlés avec les habitants de Valenciennes, qui lui fermèrent leurs portes et ravagèrent ses fiefs[33]. Il fut obligé de leur accorder des franchises ; mais il porta plainte à l'empereur Rodolphe de Habsbourg, qui cassa la charte obtenue par les Valenciennois, et les menaça d'un châtiment tel que la mort serait pour eux une consolation et la vie un supplice[34]. Jean d'Avesnes marcha contre la ville rebelle ; les habitants envoyèrent deux pairs de leur cité an roi de France pour lui demander protection. Les deux envoyés étaient porteurs d'un mémoire destiné à prouver que Valenciennes était une ville française ; à ce mémoire étaient jointes, à titre de pièces justificatives, des copies de chartes mérovingiennes et carlovingiennes, tirées des archives des abbayes de Saint-Denis d'Anchin et de Maroilles : le texte de ces chartes était accompagné d'une traduction française. Ce factum, curieux spécimen de l'érudition du moyen âge appliquée à la politique, fut mis sous les yeux du roi avec prière de le lire et d'en donner communication à son conseil[35]. Philippe accepta avec joie cette proposition, qui lui permettait de s'agrandir et de déplaire au nouvel empereur, Adolphe de Nassau, qu'il détestait (1292). Il somma le comte de Hainaut de cesser d'opprimer ses sujets et les églises, qui avaient souffert au milieu de la discorde. Jean d'Avesnes s'adressa à l'empereur, qui cita les magistrats de Valenciennes à comparaître devant lui dans le mois[36].

Cette petite affaire menaçait d'allumer la guerre entre la France et l'Allemagne. Philippe était prêt à toutes les éventualités. Après avoir fait reconnaître à Paris sa suzeraineté par les députés de Valenciennes, et avoir reçu d'eux la promesse de rembourser ce que la revendication de leurs droits lui coûterait, il réunit à Saint-Quentin une puissante armée, sous les ordres du comte de Valois[37]. Le comte de Hainaut, abandonné par l'empereur et hors d'état de résister, demanda merci. On le mit à la tour de Montlhéry, d'où il sortit peu après en donnant caution de se présenter devant le parlement quand il en serait requis[38]. Le parlement rendit son arrêt le 15 février 1293, et le condamna à payer quarante mille livres d'amende et à envoyer son bailli prisonnier au Châtelet à Paris. Les vassaux firent serment de l'abandonner, et d'aider le roi à le combattre s'il venait à manquer à ses engagements[39].

Les habitants de Valenciennes durent rentrer sous l'obéissance de leur comte, qui promit d'oublier le passé ; mais, habitués à l'indépendance et à la révolte et excités par leurs anciens succès, ils refusèrent d'exécuter le traité. Ce fut le roi qui se chargea de les faire rentrer dans le devoir : les meneurs furent bannis et la tranquillité rétablie par cet acte de rigueur[40]. Valenciennes était reconnue ville française ; mais ses habitants l'oublièrent bien vite. Dès le milieu du quatorzième siècle, l'Ostrevent fut mis par ses comtes sous l'hommage de l'Empire ; la France ne l'a recouvré que sous Louis XIV.

 

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CHAPITRE TROISIÈME. — GUERRE DE GASCOGNE.

 

Origine de cette guerre. — Philippe injustement accusé de mauvaise foi. Traité secret. — Causes de la guerre. — Politique anglaise. — Alliances de Philippe le Bel. — Il corrompt les alliés d'Édouard. — Le comte de Flandre convaincu de trahison.

 

Il est un fait attesté par l'histoire, c'est que les conquêtes durables ne sont presque jamais le résultat de grandes guerres et de victoires signalées. Le règne de Philippe le Bel en est un exemple frappant. Nous allons assister aux gigantesques efforts qu'il fit pendant de longues années pour réunir au domaine immédiat de la couronne la Guienne et la Flandre, qui reconnaissaient sa suzeraineté.

L'expédition contre le Hainaut fut le prélude d'une guerre entre la France et l'Angleterre, qui menaça de devenir générale par suite des nombreuses alliances contractées par ces deux puissances. Les historiens anglais ont accusé Philippe le Bel d'avoir forcé, par sa mauvaise foi, Édouard de prendre les armes pour sauvegarder ses droits indignement violés : peut-être Philippe n'est-il pas aussi coupable que le prétendent ces historiens prévenus[41]. Rien dans sa conduite ne dénote une hostilité systématique contre l'Angleterre ; on peut même assurer que la paix avec cette nation lui était nécessaire pour l'accomplissement de ses desseins, et il parait en avoir été convaincu. En effet, il s'empressa de mettre fin à cette guerre fatale qu'il n'avait pas cherchée, et cimenta son union avec l'Angleterre par un double mariage. Édouard avait, comme possesseur de la Guienne, de fréquents rapports avec Philippe : rapports de vassal à suzerain. Dès 1628, il s'était empressé de venir prêter serinent de fidélité au roi de France[42], qui de son côté accomplit fort loyalement le traité d'Amiens, par lequel saint Louis avait cédé aux Anglais la Saintonge, l'Aunis, l'Agenais et les évêchés de Périgueux, de Limoges et de Cahors[43]. L'intervention d'Édouard dans les affaires d'Aragon, et sa partialité pour Alphonse, jetèrent quelque froideur entre les deux rois[44]. Le mécontentement s'accrut au point qu'en 1291 le pape Nicolas eut des craintes sérieuses pour le maintien de la paix, et envoya des légats prêcher la concorde[45]. Il est peu probable que Philippe ait songé à enlever la Guienne : de son côté, Édouard ne pouvait espérer reconquérir la Normandie. Toutefois les mauvaises dispositions réciproques subsistèrent, et un accident suffit pour faire naître la guerre. Deux matelots, l'un Normand, l'autre Anglais, s'étant pris de querelle dans un port de France, l'Anglais, qui avait le dessous, tira son couteau et tua son adversaire : les amis de la victime vengèrent sa mort. Ils prirent un marchand de Bayonne et le' pendirent avec un chien, au haut du mât de son vaisseau. Les Anglais exercèrent de cruelles représailles ; la mer vit journellement des scènes de vengeance et de meurtre auxquelles les gouvernements de France et d'Angleterre étaient étrangers. Des flottes furent équipées des deux côtés ; la guerre s'organisa sur une vaste échelle. Une flotte normande, après avoir ravagé les côtes d'Angleterre, fut attaquée et détruite. Les rivalités commerciales se mirent de la partie : des vaisseaux bayonnais essayèrent de surprendre La Rochelle. Il était temps de mettre un terme à ces violences privées qui dégénéraient en une véritable guerre. Philippe se plaignit au roi d'Angleterre, et, comme les Aquitains s'étaient particulièrement fait remarquer par leur participation à ces désordres, il le cita comme duc de Guienne devant le parlement[46]. Édouard, qui avait des inquiétudes du côté de l'Écosse et du pays de Galles, ne se souciait pas d'avoir à soutenir sur le continent une guerre qui ne pouvait être que stérile. Il envoya l'évêque de Londres promettre en son nom de dédommager les Français qui auraient souffert, demandant le même traitement de la part du roi de France pour les Anglais. Il proposa de s'en remettre à l'arbitrage du pape, « dont l'office était de maintenir la bonne harmonie entre les princes[47]. »

L'évêque de Londres fit place à un négociateur plus illustre, à Edmond, frère du roi et mari de la reine Blanche, belle-mère de Philippe le Bel. Les historiens anglais font à ce propos un récit qui, s'il était admissible, attesterait à la fois de la part de Philippe une perfidie profonde, et de la part d'Édouard une simplicité incroyable. La reine Jeanne, et la reine Marie, veuve de Philippe le Hardi, furent choisies par Philippe le Bel pour intermédiaires entre lui et le prince anglais. Elles proposèrent de remettre à Philippe le duché de Guienne, qu'il ferait occuper pour la forme et qu'il s'engagerait à restituer quarante jours après. Ces conditions furent acceptées. Un traité fut signé par les deux reines et par Édouard ; Philippe donna sa parole royale de l'exécuter[48]. Un second traité stipula le mariage de la sœur du roi avec Édouard. La Guienne devait être donnée en fief à l'aîné des enfants mâles qui seraient le fruit de cette union[49]. En conséquence, la citation fut publiquement révoquée et la Guienne remise aux agents du roi de France. Les historiens anglais racontent qu'au lieu de restituer cette province, aux termes du traité secret, Philippe le Bel la garda, et qu'Édouard fut réduit à prendre les armes pour avoir raison de cette odieuse trahison.

La conduite de Philippe ne saurait être trop sérieusement flétrie, s'il avait aussi audacieusement manqué à sa parole ; mais s'il refusa d'exécuter le traité conclu par Édouard, c'est que les Anglais avaient été les premiers à le violer. A Bordeaux, des marchands normands avaient été publiquement assassinés en haine du roi de France. A Vilréal, on s'était emparé d'un sergent du roi, et on lui avait coupé le poing. A Fronsac, les agents du roi préposés au péage avaient été attirés dans un bateau et décapités sur le pont. Le château de Buset, occupé par les Français, avait été forcé et livré aux flammes. Partout les gens du roi de France avaient été insultés et maltraités[50]. Philippe cita de nouveau devant le parlement Édouard, qui refusa de comparaître : la guerre fut déclarée[51].

Édouard chercha partout des alliés ; il fit des traités avec le roi des Romains, Adolphe de Nassau[52], qui s'engagea, moyennant des subsides, à marcher contre le roi de France[53] ; avec l'évêque de Cologne, les comtes de Hollande, de Gueldre, de Brabant[54]. Il fit solliciter l'évêque de Bâle, le comte de Savoie[55].

Le roi de Castille lui offrit son appui[56].

A cette ligue redoutable Philippe opposa une ligue non moins formidable. Mais laissons un de ses ministres exposer dans un document officiel, par quelles alliances il se mit en mesure de tenir tête à Édouard.

« En... l'anée 1295, le roy d'Engleterre, par force de grant quantité d'estellins qu'il envoia par deça la mer, si corne l'en disoit, fit alliances à touz les princes et barons qu'il pot trouver qui y vousissent entendre, tout entour le royame, les quiez devoient toux en un jour assaillir le royame de toutes pars.... Les dessus diz alliez furent li roy d'Alamaigne, et son frère, et plusieurs barons d'entour lui de cele Alamaigne ; li duc de Brabant, à qui il donna sa fille pour son fils ; li conte de Juliers ; li conte de Bar, qui ot aussi sa fille ; li conte de Savoie, son cousin ; li conte de Ferret ; monseigneur Jehan de Chalon, et plusieurs autres devers l'Empire, et tratoit de l'autre part au roy d'Espagne, et au roy d'Aragon et autres par de là.

« Nostre seigneur le roy et son conseil, qui tantost sot des ditz alliances, li repars à l'ancontre de soi fortifier aussi tout en tout son royame, et s'allia par certaines convenances à touz les autres princes et barons qui ne weudrent (voulurent) estre de l'acort aus Anglois, et lour presta à chascun certaine somme de deniers pour retenir gens d'armes, pour estre touz guernis et prest pour contraster aux alliez, quant mestier seroit. Les quiez furent devers l'Empire, monseigneur Robert, Darfin de Vienne, et monseigneur Jehan son fils ; li évesque de Valence ; li conte Otte de Bourgoigne, et monseigneur lingue son frère ; monseigneur Philippe de Vienne et autres Bourgoignons. Et lors se promist la damoiselle di Bourgoigne, fille au dit conte pour monsieur Loys filz le roy. Et vint elle et la contesse sa mère en la court de France par devers la royne, et l'alaquerre monseigneur Jaques de Saint-Pol, son oncle en joing l'an 1295. Item, monsiegneur Thibaut de Loreigne (Lorraine) ; li conte de Lucenbourc, li évesque de Cambray ; monseigneur Goudefroy de Brabant, frère li duc, et monseigneur Jehan, son fils ; li conte de Hainaut ; li conte de Holande.

« Item aux Escoz (Écossais) et à monseigneur Jehan de Bailloul, qui se disoit roy d'Escoce. Et au roi de Nervée (Norvège) envoia l'en messages, et il renvoia les siens par deça et firent certaines convenences, et orent une certaine somme de deniers pour commencement. Item l'en fist certaines convenences au roi de Maillogles (Majorque) ot grent somme de deniers[57]. »

Ce n'est pas tout : Philippe ne se borna pas à se faire des alliés des ennemis du roi d'Angleterre ou des indifférents, il fit tous ses efforts pour lui enlever ses alliés.

Adolphe écrivit à Philippe une lettre pour se plaindre de ses usurpations sur l'Empire, et lui annonçait qu'il allait marcher contre lui avec toute sa puissance[58]. Il est fâcheux pour Adolphe que cette déclaration soit datée du mois d'octobre 1294, époque où il traitait avec les ambassadeurs anglais et en acceptait des subsides. C'est donc un lait désormais hors de doute que l'empereur, en se proclamant le défenseur des droits de l'Empire, prenait un prétexte pour cacher sa connivence avec l'Angleterre. Les chroniqueurs contemporains racontent que Philippe ne put cacher son mépris, et remit aux ambassadeurs d'Adolphe une lettre scellée qui contenait, disait-il, sa réponse. Quand Adolphe l'ouvrit, il n'y trouva que ces mots : « Trop Allemand », par lesquels Philippe bravait ses menaces[59].

Cette réponse hautaine avait été dictée par le comte d'Artois. Un chroniqueur ajoute même un fait qui tendrait à confirmer la réalité de cette réponse ; c'est qu'elle déplut à plusieurs princes de France « qui en furent couroucez et disoient que de noble prince et sage ne devoit avoir que noble response et sage[60] ». De nos jours, ce fait a été contesté ; on a produit une lettre de Philippe, modérée dans la forme, quoique ferme, où le roi demandait à l'empereur s'il était véritablement l'auteur de la missive qui lui était parvenue. S'il en était ainsi, il le défiait[61]. L'original de cette lettre est conservé au Trésor des Chartes[62] ; ce qui ferait croire qu'elle n'a pas été envoyée. Le mémoire officiel que je viens de citer jette une lumière toute nouvelle sur la politique suivie en cette circonstance par Philippe le Bel à l'égard de l'empereur, et apprend que le roi, loin d'insulter Adolphe, aima mieux le séduire et le corrompre. Il employa pour le détacher de l'alliance anglaise les mêmes moyens qui avaient réussi à Édouard pour l'y attirer. Tout porte à croire qu'il acheta avec des livres tournois celui qui s'était vendu pour des livres sterling.

« Nostre sire le roy envola au roy d'Alamaigne, qui ja estoit allié, et aus austres d'entour lui ses messages, c'est asavoir li évesque de Bélehem, et li prieur des frères précbeours de Paris, les quiez orent petite odience (audience) pour ce qu'il n'alèrent pas bien fondez, mes après euls ala monseigneur Mouche, qui ala si. bien fondé et si garni, qu'il ot bonne odience et fist tant que le frère le roy vint secréement à Lille en Flandres, où monseigneur Mouche ala à li et parfist le traitée qu'il avoit pourparlé et acordé à li en Alamaigne, si qu'il s'en ala apaié. Et retourna le dit monseigneur Mouche en Alamaigne au roy et aus autres d'entour, et mit à fin tous les tratiez, si que il promirent qu'il ne se meuvroient contre le roy ; ne ne s'esmure, et fu l'en aseur de cele partie[63]. »

La même politique corruptive réussit avec le duc de Brabant et le comte de Savoie : seuls Jean de Chalons et le comte de Bar restèrent fidèles à Édouard.

« Et ancores notre sire li roys et son conseil pourchacz de despécier et mettre à noient (néant) toutes les allianses que li roys d'Engleterre avoit faites et pôurchaçoit de faire, car sitost corn il le sot, il envola l'arcediacre de Brabant et monseigneur Hue de Bouville, et autres messages, par plusieurs foiz au roy d'Espaigne, et se fist tant qu'il ne s'allia aus Englois ; et au roy d'Aragon, aussi par le pourchaz et aide du roy de Maillogles son oncle[64]. »

Édouard voyant ses alliés lui échapper tenta un effort suprême, s'attacha à susciter à Philippe le Bel des ennemis jusque parmi ses feudataires : il exploita les mécontentements des comtes de Flandre et de Bretagne et des seigneurs du comté de Bourgogne[65].

Le comte Gui de Dampierre s'était aliéné la bourgeoisie flamande, surtout celle de la puissante cité de Gand, que Philippe le Bel protégeait, par suite de sa politique habituelle de contenir la féodalité par les communes. Gui n'hésita pas à se tourner du côté de l'Angleterre. Il conclut le 31 août 1294 un traité par lequel il promettait de donner au fils d'Édouard sa fille Philippine[66]. Le roi de France en fut rapidement instruit et manda le comte à Paris. Dès que Gui se présenta, Philippe lui reprocha sa perfidie et son alliance avec les Anglais. Le comte étonné garda d'abord le silence, puis nia : le roi lui montra l'original du traité, le comte déclara cette pièce fausse. Philippe le fit arrêter[67]. La trahison du comte était manifeste.

Il fut enfermé avec ses fils dans la tour du Louvre ; on le remit en liberté après six mois de captivité, en lui faisant promettre de ne pas conclure d'alliance avec les Anglais et de livrer sa fille Philippine en otage[68]. Je n'ai pas ici à raconter l'histoire des longues guerres que Philippe eut à soutenir contre la Flandre ni des intrigues qui les préparèrent ; il suffira de savoir que Gui de Dampierre, humilié par Philippe, détesté par les Flamands, écouta les propositions d'Édouard[69], qui, battu en Guienne, opérait une diversion utile en attaquant la France au nord. Édouard promit d'envoyer une armée en Flandre et de payer, pendant toute la durée de la guerre, un subside annuel de soixante mille livres tournois au comte, qui s'engageait à rompre avec Philippe et à lui faire la guerre. Il envoya les abbés de Floreffe et de Gemblours à Paris, porteurs d'une lettre où il annonçait au roi qu'il se regardait comme délié de ses devoirs envers lui[70]. Philippe envoya deux ambassadeurs, les évêques d'Amiens et du Puy, demander quelle était la portée de ce message, et porter des propositions de paix : Gui maintint sa déclaration et renonça publiquement à l'hommage du roi de France ; en même temps il appela au pape.

Une armée française vint mettre le siège devant Lille. Édouard n'arrivait pas, menacé qu'il était d'une invasion par les Écossais alliés de la France, et retenu par les barons et les bourgeois d'Angleterre, qui, désapprouvant la guerre avec la France, avaient refusé au roi des subsides et mettaient même des obstacles à son départ. La guerre n'était pas plus populaire auprès des riches citoyens de la Flandre, habitués à regarder leur comte comme un tyran et le roi de France comme un protecteur : à la bataille de Bulscamp, une partie de la noblesse de Flandre se rangea du côté de l'armée française commandée par le comte d'Artois.

Lille succombe. Édouard enfin débarque près de l'Écluse avec une faible armée. Il rencontre le comte Gui à Bruges : les mauvaises dispositions des habitants les forcent de s'éloigner et de gagner Bruges. Les hommes d'armes anglais pillent la ville avant de la quitter. Bruges envoie ses clefs à Philippe le Bel, qui s'avance en vainqueur et qui la fait occuper par le comte de Valois : Édouard, qui n'a pas tiré l'épée, envoie Hugues de Beauchamp traiter avec le roi de France, et négocier une trêve (9 octobre) qui est successivement prorogée jusqu'au mois de février, puis étendue à deux années, à partir de l'Épiphanie 1298. Les deux rois prennent le pape pour arbitre : le comte de Flandre était compris dans la trêve[71].

J'ai raconté, à propos du différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII, comment le pape prononça son arbitrage au mois de juin 1298, et comment, malgré les instances des ambassadeurs anglais, la sentence pontificale ne fit pas mention du comte de Flandre[72].

La guerre avec l'Angleterre était terminée : la sentence de Boniface, qui fut acceptée des deux parties, remettait les choses dans l'état où elles étaient avant la guerre, et ordonnait la restitution mutuelle de ce qui avait été pris. Boniface, qui avait à cœur d'établir la concorde entre les deux principales nations de l'Europe, voulut cimenter leur alliance en stipulant le mariage d'Édouard avec Marguerite, sœur de Philippe, et celui du jeune Édouard, héritier d'Angleterre, avec Isabelle, fille du roi de France. Des négociations s'ouvrirent pour régler définitivement par un traité les points que la sentence arbitrale n'avait pu qu'indiquer[73].

 

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CHAPITRE QUATRIÈME. — ACQUISITION DU BARROIS.

 

Philippe le Bel, habile à tirer avantage de tout, sut profiter de cette guerre pour reculer ses frontières du côté de l'est. Parmi les feudataires de l'Empire voisins de la France, figuraient les comtes de Bar, dont le comté fut plus tard érigé en duché ; une partie de ce comté était du côté gauche de la Meuse, et pouvait en quelque sorte être regardée comme dépendant du royaume de France. En 1286, le monastère de Beaulieu en Argonne, situé dans cette partie du comté, invoqua l'assistance de Philippe le Bel contre le comte Thibaud qui l'opprimait : Philippe le fit occuper par ses troupes, malgré les protestations du comte, qui appela à l'empereur[74]. Rodolphe de Habsbourg avait fait faire une enquête dont les résultats furent que le roi de France n'avait aucun droit dans le Barrois[75]. Philippe n'en avait tenu aucun compte. En 1296, le comte Thibaud mourut et eut pour successeur son fils Henri[76]. C'était le moment où l'empereur, le roi d'Angleterre et le comte de Flandre formaient une coalition contre la France : le monarque anglais exploita le ressentiment du jeune comte de Bar, lui fournit des subsides, et, pour mieux se l'attacher, lui donna une de ses filles en mariage[77]. Pendant que Philippe soutenait en Flandre les efforts des Flamands, le comte de Bar attaqua la Champagne. Le roi envoya contre lui Gaucher de Châtillon, qui ravagea le Barrois et le força de se retirer[78]. En 1299, Albert d'Autriche lui fit obtenir une trêve qui, en 1301, fut convertie en traité de paix, à condition de faire un pèlerinage dans l'île de Chypre[79] et de rendre hommage au roi pour les terres situées à gauche de la Meuse, hommage qu'il n'avait jamais rendu, même aux empereurs, sous prétexte que ces terres étaient des francs-alleux[80]. Telle est l'origine du Barrois mouvant de la couronne de France.

 

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CHAPITRE CINQUIÈME. — ALLIANCE DE PHILIPPE LE BEL AVEC L'EMPEREUR ALBERT.

 

Examen d'un bruit public qui voulait qu'Albert eût reculé les limites de la France jusqu'au Rhin.

 

L'alliance entre Philippe et Adolphe n'était pas cordiale : aussi Philippe comptait peu sur l'empereur. Il avait noué d'étroites relations avec Albert d'Autriche, fils de Rodolphe de Habsbourg, ennemi mortel d'Adolphe de Nassau qu'il regardait comme un usurpateur, et qu'il finit par attaquer, battre et tuer de sa main à la bataille de Gelheim.

Dès 1295, Albert avait envoyé en France une ambassade demander pour son fils aîné Rodolphe la main de quelque princesse française[81] ; projet qui s'accomplit quelques années après.

On raconte que Philippe le Bel voulut faire élire son frère Charles de Valois à la place d'Adolphe : je n'ai trouvé aucun acte officiel qui confirmât ce fait, qui me semble peu probable, vu la grande amitié qui le liait à Albert dont les prétentions à la couronne impériale avaient toute chance de succès : en effet il fut élu.

Guillaume de Nangis et plusieurs autres chroniqueurs contemporains rapportent un fait qui, s'il était prouvé, aurait une grande importance. Selon ces auteurs, dans une entrevue qui eut lieu en 1299 à Vaucouleurs, entre Philippe le Bel et Albert d'Autriche, roi des Romains, l'empereur, avec le consentement de ses barons et de ses prélats, recula les limites du royaume de France jusqu'au Rhin[82]. J'ai cherché en vain un acte qui constatât cette concession : il n'en existe de semblable ni aux Trésors des chartes ni dans les recueils imprimés en France et en Allemagne. Les historiens allemands gardent sur ce point un silence absolu ; et cependant le bruit de cette donation d'Albert se répandit du temps de Philippe le Bel[83]. Il fût tenu pour certain, et plus de deux siècles après, un avocat plaidant devant le parlement de Paris affirmait comme un fait incontestable qu'en 1299, à Vaucouleurs, Albert avait, avec le consentement de ses barons, accordé au roi de France que les limites du royaume, qui, depuis le partage de Charles le Chauve, n'allaient que jusqu'à la Meuse, s'étendraient désormais jusqu'au Rhin. Il ajoutait même que l'extrême limite du royaume de France avait été fixée au moyen d'une borne de bronze, aux armes du roi, laquelle existait encore au moment où il parlait (en 1538)[84]. Ces témoignages ne suffirent pas pour prouver la prétendue donation d'Albert d'Autriche. Il y eut bien, à l'époque indiquée, une entrevue à Vaucouleurs, entre les deux souverains de France et d'Allemagne[85], où ils conclurent un traité d'alliance offensive et défensive[86]. Philippe donna sa sœur Blanche en mariage à Rodolphe, fils d'Albert, et l'empereur promit une de ses filles pour un fils du roi[87]. Peut-être Albert prit-il secrètement quelques engagements envers Philippe, qui lui promit son appui pour rendre la couronne impériale héréditaire dans la maison de Habsbourg[88]. Mais ce n'étaient là que des projets qui ne se réalisèrent pas ; et il est hors de doute que les limites du royaume restèrent du côté de l'Empire ce qu'elles étaient avant cette entrevue[89].

Toutefois Philippe, malgré son alliance avec Albert, ne renonça jamais à s'étendre aux dépens de l'Empire. En 1300, il reçut une ambassade des citoyens de Toul qui lui déclarèrent qu'ils n'étaient sous la domination de personne, mais de franche condition, ne devant rien à l'empereur ni à leur évêque. Le roi les prit sous sa garde, moyennant une redevance annuelle de douze deniers par feu[90]. La ville de Verdun suivit l'exemple de Toul, et se soumit en 1315 à Louis le Hutin[91].

En 1307, Philippe fit un traité avec l'évêque de Verdun, qui s'engagea à faire tout son possible pour détourner l'empereur des mauvais desseins qu'il pourrait concevoir contre la France, sans pourtant violer la fidélité qu'il lui devait[92].

Toutefois ces acquisitions sur la rive gauche du Rhin n'avaient aucune chance de durée, éloignées qu'elles étaient de l'action du roi de France : mais cela fait connaître la politique de Philippe le Bel. Il encourageait secrètement à la révolte les villes étrangères, surtout celles soumises à des évêques, et les poussait à invoquer son protectorat.

 

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CHAPITRE SIXIÈME. — NÉGOCIATIONS AVEC L'ANGLETERRE JUSQU'AU TRAITÉ DE PAIX DÉFINITIF (1297-1303).

 

Revenons aux négociations entre la France et l'Angleterre pour la conclusion définitive d'un traité sur les bases de la sentence arbitrale de Boniface VIII ; elles furent longues et n'aboutirent qu'après plusieurs années de pourparlers. Le motif de ces lenteurs est honorable pour Philippe le Bel : il voulait en effet sauvegarder les intérêts de l'Écosse, son alliée, qui avait pris les armes au moment où Édouard avait débarqué en Flandre. La trêve avait été conclue entre les parties belligérantes et leurs alliés : Philippe envoya demander à Édouard d'y comprendre le roi d'Écosse, avec lequel il avait conclu une alliance offensive et défensive, dont il promettait de fournir la preuve authentique en produisant le traité original[93]. Édouard répondit qu'il observerait la trêve, mais que la demande du roi relative aux Écossais lui était nouvelle, étrange et admirable, aucune mention n'en ayant été faite dans les instruments de la trêve ; que ce point était de grand poids, et qu'il transmettrait au plus tôt sa réponse par ambassadeurs. Il objecta ensuite que l'Écosse était sa vassale[94]. A cela, les ambassadeurs de Philippe, Guillaume de Beaufort, Jean de la Forêt et Clément de Savy, répondirent que le défaut de mention des Écossais ne devait pas tirer à conséquence ; que les comtes de Flandre et de Bar, quoique non nommés, avaient été compris dans la trêve, et que le même bénéfice s'appliquait aux Écossais. Cette déclaration fut faite à Édouard lui-même, qui pour lors assiégeait Édimbourg[95]. A Rome, les envoyés du roi de France avaient fortement insisté pour faire comprendre les Écossais dans la sentence arbitrale ; mais les ambassadeurs anglais s'y opposèrent[96]. Ceux de France agirent de même avec le comte de Flandre, qu'Édouard voulait faire inscrire dans la sentence. Il y eut une sorte de transaction : la sentence garda le silence sur les Flamands et sur les Écossais ; mais Philippe n'abandonna pas ses alliés, ainsi que le prétendent les historiens écossais. Une des conditions de la trêve était la mise On liberté réciproque des prisonniers. Philippe fit réclamer la délivrance de Jean de Bailleul et de son fils et des autres Écossais qui étaient tombés entre les mains d'Édouard, offrant de les remettre au pape[97]. A la fin de juin 1299 fut conclu un traité à Montreuil, stipulant le mariage d'Édouard avec la sœur du roi, union qui fut célébrée immédiatement[98].

Jean de Bailleul renonça au trône d'Écosse, fut remis au légat, et alla s'établir en Normandie, où il mourut quelques années après[99].

Au mois de septembre 1300, les deux rois renoncèrent solennellement à toute haine personnelle[100]. Enfin, dans un traité signé à Asnières, une trêve fut conclue, dans laquelle étaient compris les Écossais, bien qu'Édouard protestât qu'il ne reconnaissait pas Jean de Bailleul comme roi d'Écosse, ni les Écossais comme alliés de la France. Édouard remit toutes les conquêtes qu'il avait faites en Écosse, depuis la trêve conclue à Tournai, au roi de France, qui promettait de les lui rendre à l'expiration de la trêve si la paix n'était pas définitivement conclue[101]. Le régent, les prélats, les barons et les communes d'Écosse ratifièrent ces conditions[102]. Enfin, le 20 mai 1303, fut conclu à Paris le traité définitif entre Philippe et Édouard, stipulant la restitution de la Guienne : le roi d'Angleterre s'engageait à se rendre dans la ville d'Amiens pour prêter hommage, et, en cas de maladie, à envoyer son fils aîné[103]. Un traité secret offensif et défensif fut signé en même temps[104]. Il n'était plus question des Écossais, que Philippe avait abandonnée.

 

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CHAPITRE SEPTIÈME. — GUERRES ET NÉGOCIATIONS AVEC LA FLANDRE DE 1300 À 1304.

 

La trêve conclue avec les Flamands expirait (6 janvier 1300). Charles de Valois envahit la Flandre ; il prend Douai, Dam, et entre dans la cité de Gand. Tout était perdu. Gui de Dampierre se rendit au comte de Valois, qui promit d'intervenir en sa faveur. Le roi fit garder en prison le comte, ses fils et plusieurs chevaliers qui partageaient son malheur. La Flandre fut réunie au domaine. En 1301, Philippe parcourut avec la reine sa nouvelle conquête. La dureté du gouvernement de Jacques de Châtillon, nommé gouverneur de Flandre, et plus encore le patriotisme flamand froissé par l'assimilation de la Flandre à une province française, amenèrent à Bruges une insurrection et le massacre de la garnison française : tout le pays se soulève. La révolte a pour chefs Gui de Namur, fils du comte de Flandre, et Guillaume de Juliers ; l'armée française est vaincue devant Courtrai (11 juillet 1302). A la nouvelle du désastre, Philippe lève une immense armée, qui se réunit sous les murs de Douai ; il se met lui-même à sa tête. Des négociations entamées avec les Flamands n'aboutirent pas. Le 20 septembre, on apprit avec étonnement que le roi quittait l'armée : on se perdit en conjectures sur cette retraite, qui est encore inexpliquée. Les chroniqueurs contemporains français et flamands s'accordent pour l'attribuer à la crainte d'être trahi, et accusent le roi d'Angleterre de perfidie[105].

Le 18 août 1303, grande victoire des Français à Mons-en-Puelle. Philippe le Bel fit preuve d'une grande modération. La reine Marie, veuve de Philippe le Hardi, détermina le duc de Brabant à joindre ses efforts à ceux du comte de Savoie pour mettre fin aux hostilités. Une trêve fut conclue au mois de septembre avec le comte de Namur, fils de Gui de Dampierre[106]. Les prisonniers furent rendus de part et d'autre ; les Flamands s'engagèrent à payer une indemnité de guerre qui serait fixée par huit commissaires, dont quatre Flamands ; Lille et Douai étaient remis en gage. Les villes de Flandre confirmèrent ces conditions[107].

Le 16 janvier 1304, un traité de paix fut conclu : les Flamands s'engageaient à payer trois cent mille livres d'indemnité de guerre, et à donner à Philippe des domaines produisant deux cent mille livres de rente[108]. L'exécution de ce traité était garantie 'par une menace d'excommunication contre ceux qui le violeraient ; mais elle offrait une foule de difficultés qui devaient plus tard allumer de nouveau la guerre.

 

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CHAPITRE HUITIÈME. — ACCROISSEMENT DU ROYAUME DU CÔTÉ DE L'ORIENT.

 

Réunion du Vivarais et de Lyon h la France (1307-1310).

 

Dès le treizième siècle, la souveraineté des empereurs sur les contrées voisines de la rive gauche du Rhône devint nominale, surtout depuis que la guerre des Albigeois et la dévolution du comté de Provence à Charles d'Anjou, frère de saint Louis, eurent fait dominer l'influence française dans une partie de ces pays ; toutefois, le droit de l'Empire continuait d'être reconnu. Plusieurs seigneurs riverains voulurent profiter de leur position pour se rendre indépendants. Au roi de France, ils disaient : Nous sommes vassaux de l'Empire ; tandis qu'ils n'accordaient qu'une suzeraineté nominale aux empereurs[109]. Telle était la situation de l'évêque de Viviers, seigneur du Vivarais, qui, bien que placé sur la rive française du Rhône, se fondait sur d'anciens actes pour se prétendre feudataire de l'Empire et échapper à l'autorité des rois de France ; mais ce prélat était trop faible pour résister. Il ne pouvait espérer de secours de l'empereur, qui était trop éloigné pour le protéger ; sa position devint surtout pénible à partir de l'annexion du Languedoc à la couronne. Sou petit comté se trouvait presque enclavé dans le domaine royal. Déjà, sous Philippe le Hardi, le sénéchal de Beaucaire s'était fait prêter hommage par les vassaux de l'évêque[110], et avait saisi son temporel. Il ne céda pas devant une sentence d'excommunication lancée par le prélat, qui mourut dépouillé, et dont le successeur, comprenant que la lutte était inégale, se soumit, et promit « d'ester à droit devant le Roi, sur les articles auxquels il étoit tenu de droit et de coutume ». C'était se reconnaitre vassal ; cependant, malgré cette déclaration, il ne renonça pas entièrement à ses prétentions ; mais les officiers du roi le poursuivirent sans relâche, et en obtinrent une reconnaissance complète de la suzeraineté de la France. En 1305, l'évêque Aldebert de Pierre conclut avec Guillaume de Plasian, Bernard Jourdain de Lille et le sénéchal de Beaucaire, commissaires délégués par Philippe le Bel, un traité qui attribuait au roi la supériorité sur tons les fiefs de l'Église de Viviers, et termina un différend qui avait duré un demi-siècle[111]. Pour ôter à l'évêque toute velléité d'indépendance, le roi se fit céder par lui, en 1307, à titre de pariage, la moitié de ses droits directs sur le Vivarais[112].

Ce premier succès donna du cœur à Philippe le Bel ; il osa porter ses vues plus haut, et rêver l'acquisition de l'antique cité de Lyon. Prudent et rusé, il n'avait recours à la force que lorsque les négociations et les habiletés politiques ne donnaient aucun résultat : il connaissait la puissance de l'argent, et savait qu'il est plus sûr d'acheter que de conquérir. La maxime Divide et impera lui était familière, il l'appliqua plus d'une fois avec bonheur. Lyon, cité puissante, espèce de république, quoique placée sous la seigneurie de l'archevêque, relevait de l'Empire ; mais un faubourg de la ville et le château de Saint-Just appartenaient au roi de France : voisinage qui devint funeste à la grande cité. Les bourgeois étaient en lutte perpétuelle avec leur archevêque : il leur prit l'idée fatale d'appeler à leur secours Philippe le Hardi, qui se hâta d'intervenir, et prit les habitants sous sa protection (1271)[113].

Une nouvelle alliance fut conclue en 1290[114]. En 1305, l'archevêque, Louis de Beaujeu, fatigué des vexations continuelles qu'on lui faisait supporter, se soumit, à condition que le roi le reconnaîtrait en qualité de primat des Gaules ; il conserva la possession de la ville et du comté de Lyon, la juridiction civile et criminelle, les appels de premier degré, ainsi que le droit de battre monnaie[115]. Un gouverneur fut établi à Lyon, avec mission de sauvegarder les droits du roi et de la cité ; en échange de la protection royale, chaque maison dut payer une redevance annuelle. Louis de Beaujeu mourut presque immédiatement après la conclusion de ce traité ; son successeur, prince de la maison de Savoie, refusa de l'exécuter, encouragé dans sa résistance par la population, qui s'aperçut un peu tard qu'elle s'était donné un maître redoutable ; le mécontentement mena les Lyonnais à la révolte. En 1310, ils attaquèrent le château de Saint-Just, en chassèrent les Français et fortifièrent leur cité. Ils auraient dû savoir qu'ils avaient affaire à un homme qui ne laisserait pas facilement échapper de ses mains une si belle conquête. Philippe envoya une forte armée, commandée par son fils aîné, le roi de Navarre, ses deux autres fils et ses deux frères, les comtes de Valois et d'Évreux. C'était le début militaire du jeune roi ; rien ne fut épargné pour lui assurer le succès. Lyon fut investi ; l'assaut était prêt quand les habitants sans espoir capitulèrent[116]. Philippe n'exerça pas de vengeance ; l'archevêque, qui avait été le chef de l'insurrection, obtint grâce à la prière de son frère, le comte de Savoie, mais à des conditions qui le mirent désormais dans l'impossibilité de nuire[117]. Il abandonna toute juridiction temporelle, et reçut en compensation des terres situées dans des provinces éloignées, qui lui procurèrent de forts revenus, mais le laissèrent sans importance politique. On consentit par pitié à lui laisser le droit de frapper monnaie[118].

Ce fut ainsi que Lyon fut détaché de l'Empire et réuni à la France. C'était là une belle et durable conquête. Ce qu'il y eut de remarquable dans ce résultat, c'est qu'il fut obtenu au nom du droit. Sans doute, la force joua le principal rôle, mais elle ne fut employée qu'accidentellement. Aux prétentions de l'archevêque de Lyon, qui faisait appel à la notoriété publique et aux actes des empereurs pour prouver sa dépendance de l'Empire, Philippe opposait des textes historiques ; il citait un vieux Passionnaire de l'Église de Lyon, où il était dit qu'un saint archevêque de cette ville étant tombé malade à Paris, pria le roi Childebert de désigner pour le remplacer saint Nicetus[119]. Ce n'est pas le seul exemple que l'on trouve sous ce règne de textes historiques invoqués par le gouvernement français pour exercer des revendications de territoire : Philippe le Bel n'acceptait pas les modifications apportées à l'étendue du royaume à la fin de la deuxième race ; il voulait renouer la tradition mérovingienne et se substituer aux droits des rois de la première race, dont il se proclamait le successeur. Il ne laissa passer aucune occasion d'appliquer ces principes et d'empiéter sur l'Empire.

 

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CHAPITRE NEUVIÈME. — POLITIQUE EXTÉRIEURE DE 1308 À 1314.

 

En 1308, Philippe le Bel reprit un ancien projet, celui de faire élire empereur son frère Charles de Valois[120]. Il écrivit aux principaux princes d'Allemagne pour les prier de favoriser cette élection[121], et envoya trois ambassadeurs, Gérard de Landri, Pierre Barrière et Hugues de la Celle[122], chargés de répandre de l'argent[123]. Il comptait sur l'appui de Clément V ; Pierre du Bois voulait même que le roi ordonnât au pape de suspendre le droit des électeurs pour nommer directement Charles de Valois : il espérait que les électeurs garderaient le silence moyennant de fortes pensions ; c'était trop présumer de la complaisance du pape et des princes allemands. Ils s'entendirent pour déjouer les projets de Philippe et donner la couronne impériale au comte de Luxembourg, brave chevalier, n'ayant guère que son épée et qui n'inspirait aucune crainte aux électeurs. Henri VII fut élu, et Clément se hâta de lui accorder l'investiture. N'ayant pu faire de son frère un empereur, Philippe voulut se faire un ami du nouveau césar ; il le reconnut avec empressement, le félicita de son avènement, et entama des négociations pour conclure un traité d'amitié et d'alliance offensive et défensive. Les plénipotentiaires furent, du côté de la France, Robert, comte de Clermont, et Pierre de Latilly, archidiacre de Chalons ; du côté de l'empereur, Jean de Namur et Simon de Marville, trésorier de l'église de Metz. Si quelque contestation s'élevait entre les deux parties contractantes, chacune devait nommer six commissaires pour la régler à l'amiable. Au cas où l'empereur créerait un roi des Romains, celui-ci serait tenu de jurer le traité[124].

Autant Philippe le Bel était désireux de s'agrandir, autant il se montrait inflexible pour les attentats commis par les étrangers contre son autorité ou son honneur. Le seigneur de Saint-Laurent était entré en armes sur le territoire français, et ayant maltraité un sergent du bailli de Mâcon, Philippe envoya des troupes assiéger le château de Saint-Laurent, bien qu'il fût situé hors du royaume, et le fit raser. Il exigea du comte de Savoie la promesse de ne pas le rebâtir, afin qu'on n'oubliât pas quelle vengeance le roi de France tirait des insultes qu'on osait lui faire[125]. Le roi de Sicile, Frédéric, avait tenu de mauvais propos sur le projet de Charles de Valois de conquérir Constantinople. Philippe en ayant été instruit, fit parvenir l'expression de son mécontentement au roi, qui s'excusa et protesta de son attachement à Philippe et à son frère[126]. Les Vénitiens s'étaient emparés de Ferrare, ville du patrimoine de saint Pierre. Philippe écrivit à la république de Venise pour lui faire part de son mécontentement. Les Vénitiens envoyèrent aussi une ambassade chargée d'expliquer leur conduite ; Ferrare fut rendue au pape[127].

En mourant, Philippe léguait à son fils la guerre contre les Flamands, qui ne devaient plus avoir de repos jusqu'à ce qu'ils eussent entièrement secoué la domination de la France.

Je ne saurais terminer ce chapitre sans parler des aspirations à la monarchie universelle qui se manifestèrent en France dès cette époque. J'ai souvent eu à citer dans le cours de ce travail un nommé Pierre Dubois, inconnu jusqu'ici et dont les nombreux ouvrages, la plupart inédits, donnent les plus précieuses lumières sur les tendances 'du gouvernement et de la société française au commencement du quatorzième siècle. Simple avocat du roi à Coutances, Dubois ne fut pas appelé aux grandes charges de l'État ; son influence fut sans doute restreinte ; son mérite est d'avoir été un des plus anciens représentants des idées modernes[128]. Plein de confiance dans ces idées, il osa en faire part à Philippe le Bel lui-même, dans des mémoires dont plusieurs nous sont parvenus. Profondément dévoué à la royauté, il attaqua la noblesse et le clergé qui en gênaient le développement. Gallican, il lutta contre ce qu'il regardait comme les usurpations de la cour de Rome. Il prit une part active au différend entre Philippe le Bel et Boniface VIII, et fut utilement employé dans le procès des templiers par le roi, qui se servit de lui pour agir sur l'opinion publique ; mais outre ces écrits qui lui étaient commandés par le gouvernement, il remettait de temps à autre à Philippe des mémoires sur différents sujets politiques, ayant tous pour but l'élévation de la royauté. Français de cœur, il possédait à un haut degré le sentiment de la nationalité, et aurait voulu voir la France régner sur le monde. C'est seulement à ce dernier point de vue que nous avons à nous occuper de lui pour l'instant. Dans un mémoire rédigé vers 1300, il posait en principe qu'il était à souhaiter pour le bonheur général que la domination française fût universelle et s'étendit à tous les pays civilisés ; mais pour atteindre ce but difficile, quelle voie suivre[129] ? Théoricien téméraire, Dubois ne trouvait pas d'obstacles insurmontables. A commencer par l'Italie, il était facile d'obtenir du pape, pour le roi, la dignité de sénateur de Rome ; il n'était peut-être même pas impossible d'amener le souverain pontife à céder sou pouvoir temporel, moyennant une forte pension. Ce traité donnerait au roi de France, non-seulement Rome et les Romagnes, mais encore la suzeraineté de l'Angleterre, de la Sicile et de l'Aragon. Ce premier point obtenu, l'empereur ou les électeurs céderaient volontiers la Lombardie, riche pays, qui dépendait de l'Empire, mais qui refusait de lui obéir. Si les Lombards repoussaient la domination française, on la leur imposerait par la force. On obtiendrait la suzeraineté de l'Orient en faisant épouser à Charles de Valois, frère du roi, l'héritière des empereurs latins de Constantinople, et en l'aidant à recouvrer ses domaines, à condition de se reconnaître vassal. On agirait de même pour la Castille, en fournissant des secours aux infants -de Lacerda, petits-fils de saint Louis, pour remonter sur le trône dont ils avaient été dépouillés. Quant à l'empire d'Allemagne, l'auteur ne voit pas d'autre moyen qu'un traité pour s'en rendre maitre ; mais il espère que les empereurs, pressés par leurs vassaux, auront recours, pour se défendre, aux rois de France, qui leur dicteront des conditions.

Plus tard, Dubois crut trouver un moyen pratique d'arriver à l'Empire. En 1308, il pensa qu'il serait aisé d'amener Clément V à faire renoncer les électeurs à leur droit d'élection, moyennant des sommes considérables que chacun d'eux recevrait comme dédommagement. S'ils ne se prêtaient pas à un accommodement, le pape suspendrait l'exercice de leur droit et nommerait lui-même l'empereur — ce qui s'était déjà vu — ; son choix tomberait sur Philippe le Bel. On espérait faire adopter ce projet par la promesse qu'une fois empereur, Philippe, devenu tout-puissant, établirait une paix durable en Europe, et appliquerait toutes les forces de la chrétienté à la conquête de la terre sainte, objet des vœux des souverains pontifes.

Vers la même époque, Dubois conseilla la fondation d'un royaume d'Orient, qui serait donné à l'un des fils du roi.

Ce n'était là que le plan d'un particulier ; mais on doit le regarder comme l'expression de l'opinion publique qui attribuait à ce prince les plus vastes desseins et croyait la France appelée à jouer le premier rôle dans le monde. D'ailleurs, tout ne doit pas être rejeté comme invraisemblable ; il faut faire la part de l'exagération ; nous allons essayer de démêler ce qu'il y eut de vrai dans ces projets, prêtés par son siècle à Philippe le Bel. Quand Philippe le Hardi mourut, la race de Hugues Capet était en chemin d'occuper une partie des trônes de l'Europe. Charles d'Anjou, frère de saint Louis, avait été appelé par un pape au trône de Naples. Du chef de sa femme, il possédait le riche comté de Provence. Charles de Valois, second fils de Philippe le Hardi, avait reçu du pape Martin IV la couronne d'Aragon, arrachée à don Pèdre, en punition des Vêpres siciliennes[130]. En Castille, la France soutenait les infants de Lacerda, petits-fils de saint Louis, qui avaient été injustement privés de la couronne par don Sanche. Philippe le Bel avait été lui-même possesseur du royaume de Navarre du chef de sa femme, Jeanne, héritière des comtes de Champagne. L'Espagne presque tout entière était donc à la veille de tomber sous la domination ou sous l'influence française ; un peu plus, Philippe aurait pu dire, cinq siècles avant Louis XIV : « Il n'y a plus de Pyrénées. » Mais il dut céder devant l'opiniâtre résistance des Aragonais et reconnaître don Sanche de Castille. Il convoita l'Empire, non pour lui, mais pour son frère. Il intrigua pour faire élire Charles de Valois après la mort d'Adolphe de Nassau. Un premier échec ne le rebuta pas. La mort violente d'Albert ranima son espoir. N'ayant pu être empereur ni donner l'Empire à l'un des siens, Philippe se rattrapa en faisant avec Henri VII ce qu'il avait fait avec Albert d'Autriche, en contractant avec lui une étroite alliance. Il acheta un à un les princes de l'Empire, surtout ceux voisins de la France ; il s'assura de leur fidélité par des pensions, qu'il retirait quand il cessait d'en obtenir des services. C'est ainsi qu'il tenait dans sa main les évêques de Verdun[131], de Liège[132] et de Metz[133], l'archevêque de Cologne[134], le duc de Brabant[135], les comtes de Luxembourg[136], de Hainaut[137], de Namur[138], de Hollande[139], de Savoie[140], le dauphin du Viennois[141] et une infinité de seigneurs moins puissants[142]. Il acquit la Franche-Comté par le mariage de son fils Philippe avec l'héritière de cette province. On dirait que Philippe voulait exécuter le plan de Dubois ou que Dubois avait pénétré ses desseins, car il fit épouser à ce même Charles de Valois Catherine de Courtenay, héritière de l'empire de Constantinople, et il comptait bien le faire régner à Byzance[143]. Il n'épargna rien pour y arriver : il ouvrit son trésor, passa des traités avec des princes de l'Orient dont le nom même était inconnu[144], obtint du pape des décimes pour la conquête de l'empire grec.

La politique de Philippe le Bel pénétra au fond de l'Orient : on vit à sa cour les envoyés du khan des Tartares, Œldjaitou[145], et du roi mogol Argoun[146]. Par le mariage de sa fille Isabelle avec Édouard II, il s'était fait un allié de l'Angleterre. Il s'était procuré l'amitié du roi de Norvège et avait jeté en Écosse les fondements de cette fidèle alliance qui a duré jusqu'à la fin du seizième siècle et que le supplice de Marie Stuart put seul briser. Ou le trouve partout, mêlé à toutes les grandes questions qui se soulevèrent de son temps. Aussi, devant cette influence immense de Philippe le Bel, qui s'étendait sur l'Europe entière, comprend-on l'enthousiasme des Français, qui étaient unanimes à regarder leur patrie comme appelée à régner sur le monde pour le bonheur de l'humanité[147], ainsi que l'étonnement et l'indignation de Dante. Ce Gibelin avait rêvé, lui aussi, une monarchie unique, mais il voulait placer cette couronne sublime sur la tête de l'empereur[148], et il ne pouvait voir sans haine et sans injure cette mauvaise plante, comme il appelait la race de Hugues Capet, qui couvrait toute la chrétienté de son ombre[149].

 

 

 



[1] Rymer, Fœdera, t. I, p. 664 (12 mai 1286).

[2] Rymer, Fœdera, t. I, p. 664.

[3] Rymer, Fœdera, t. I, p. 665 (3 mai 1286).

[4] Rymer, Fœdera, t. I, p. 667 (12 juillet 1286).

[5] Rymer, Fœdera, t. I, p. 669 et 670 (25 juillet).

[6] Rymer, Fœdera, t. I, p. 670.

[7] Rymer, Fœdera, t. I, p. 670.

[8] Rymer, Fœdera, t. I, p. 674 (1er mars 1287).

[9] Chronique de Muntaner, t. II, p. 33.

[10] Rymer, p. 677 (27 juillet 1287). Muntaner est très-exact, t. II, p. 41.

[11] Or. du traité, Trésor des chartes, J. 600, n° 20 (en 1288).

[12] Muntaner, t. II, p. 24. Cet auteur place mal l'expédition des infants de Lacerda, avant le traité d'Oléron.

[13] Rymer, t. II, p. 728 (18 février 1291).

[14] Muntaner, t. Il, p. 57. Les députés étaient au nombre de douze : deux riches hommes, quatre chevaliers, deux hommes de loi, deux citoyens et deux bourgeois.

[15] Rymer, t. II, p. 744 (9 février 1291).

[16] Charles de Valois reprit ses droits : voyez les pouvoirs qu'il donna en 1292 à Eustache de Conflans pour recevoir l'hommage de ses villes d'Aragon. Or. Trésor des chartes, J. 587, n° 17.

[17] En 1293, Charles promit de s'en rapporter à la décision du pape. Or. J. 587, n° 18.

[18] Traité. J. 589, n° 10.

[19] Or. de la renonciation de Charles de Valois. J. 587, n° 19.

[20] Lettre de Boniface VIII. J. 715, 11%22.

[21] Baluze, Vitæ paparum, t. II, p. 37.

[22] Lettres patentes. Trésor des chartes, Reg. XLII, n° CX.

[23] Voyez, au Trésor des chartes, J. 588, n° 29, une liasse relative à cet objet.

[24] Voyez un mémoire pour prouver que la Cerdagne et le Roussillon appartenaient à la France. Trésor des chartes, J. 594, n° 22.

[25] Nithard, Duchesne, t. III, p. 374. Conf. Duruy, Géographie politique de la France, p. 127 et suiv.

[26] En 1137, par le mariage de Raimond Bérenger, comte de Barcelone, avec doña Urraca : Marca, Marta hispanica ; Instrum., p. 1284.

[27] En 1258. Marca, Marta hispanica ; Instrum., p. 1444. Vaissette, Histoire générale du Languedoc, t. IV, preuves, col. 47.

[28] Iperii chron., dans Martène, Thesaurus, t. III, p. 544.

[29] Chron. Balderici, édit. Leglay, p. 312. Dupuy, Droits du roy, p. 574. — Bonamy, Travail manuscrit sur le registre XXII du Trésor des chartes, Arch. imp., JJ. 292.

[30] Martène, Thesaurus anecdotorum, t. I, p. 1235. Déjà en 1286 Philippe le Bel avait dû intervenir auprès du comte de Hainaut et lui interdire de molester l'abbaye d'Anchin. Reg. XXXIV du Trésor des chartes, n° 34.

[31] Martène, Thesaurus anecdotorum, t. I, p. 1243

[32] Or. Trésor des chartes, J. 519, n° 1. Labbe, Mélanges, p. 664.

[33] Martène, t. 1, p. 1240. Or. Trésor des chartes, J. 794.

[34] 21 juillet 1292. Martène, p. 1241.

[35] L'original existe au Trésor du chartes, Reg. XXI.

[36] Martène, t. I, p. 1245 et 1253.

[37] Nangis, anno 1292.

[38] Or. Trésor des chartes, J. 519, n° 5 et 7.

[39] Olim, II, p. 346. Trésor des chartes, J. 519, n° 4.

[40] Martène, col. 1284. Conf. Historiens de France, t. XXI, p. 11 et 133.

[41] Lingard, Histoire d'Angleterre.

[42] Rymer, t. I, sub anno 1286.

[43] Traité de Paris, août 1286. Or. Trésor des chartes, J. 631, n° 42.

[44] Il faut y joindre une guerre entre le comte de Savoie et le Dauphin. Trésor des chartes, J. 631, n° 5.

[45] Rainaldi, Annales ecclesiastici sub anno 1291.

[46] Olim, t. II, p. 8.

[47] Walsingham, p. 60, 431.

[48] Rymer, t. I, p. 794.

[49] Or. du traité. Trésor des chartes, J. 632, n° 7.

[50] Rymer, t. I, p. 800 (nouvelle citation en date du 28 mai).

[51] Jean de Saint-Jean, lieutenant du roi d'Angleterre, refusa d'exécuter la remise du duché de Guienne au connétable de France. Trésor des chartes, J. 632, n° 9.

[52] Rymer, t. I, p. 812 (12 octobre 1294). Les plénipotentiaires furent l'évêque de Durham, le comte de Hollande et Hugues Spencer. On convint d'une entrevue entre les deux rois (9 décembre 1294). Id., p. 814.

[53] Le comte de Hainaut arrêta un subside de 12.000 liv. qu'Édouard envoyait à Adolphe. Rymer, p. 827.

[54] Avec l'évêque de Cologne (12 novembre). Rymer, p. 814. — Avec le comte de Gueldre, qui promit 1000 chevaux (6 avril 1295). Id., p. 919. — Avec le duc de Brabant (23 avril). Id., p. 820.

[55] Rymer, p. 815.

[56] Rymer, p. 825.

[57] Or. Trésor des chartes, J. 614, n° 16. Voyez le texte complet dans Notices et entraits.

[58] Martène, Thesaurus, t. I, p. 1270. II kal. nov. 1294. — Chron. de Saint-Denis, t. V, p. 110. — Dès le mois d'août 1293, Adolphe avait rendu à Qppenheim un jugement contre ceux qui usurpaient les terres de l'Empire. Martène, t. I, p. 1251.

[59] Chron. de Saint-Denis, t. V, p. 111.

[60] Chronique anonyme, édit. de Sauvage.

[61] Michelet, Histoire de France, t. IV ; et Paulin Paris, Chron. de Saint-Denis, t. V, p. 111, note 1.

[62] J. 610, n° 14.

[63] Trésor des chartes, J. 614, n° 16.

[64] Trésor des chartes, J. 614, n° 16.

[65] Rymer, t. I.

[66] Traité scellé. Trésor des chartes, janvier 1297, J. 543, n° 5. — Rymer, t. I, p. 850.

[67] Voyez l'instrument des plénipotentiaires. Rymer, t. I. p. 850.

[68] Chronique anonyme publiée par Denis Sauvage.

[69] Kervyn, Histoire de Flandre. t. I, p. 388.

[70] Or. Trésor des chartes, J. 543, n° 1 (janvier 1297). — Note remise par les deux abbés au roi. Ibid., n° 2. En même temps le comte défendit à ses procureurs à Paris de procéder devant le parlement. Ibid., n° 3.

[71] Trésor des chartes, J. 543, n° 12.

[72] Adhésion du comte de Flandre à la trêve. Or. J. 543, n° 13. — Adhésion de ses fils Robert et Guillaume, n° 14.

[73] Trésor des chartes, Angleterre, IV, n° 12.

[74] Traité de Paris. Trésor des chartes, Angleterre, V, n° 13 (20 mai 1303).

[75] Calmète, Histoire de Lorraine, t. II, p. 330 et 331.

[76] Lévèque de la Revalière, Mémoire sur les limites du royaume du côté de l'Empire avant 1301. Mémoires de l'Académie, in-12, t. IX, p. 501.

[77] Art de vérifier les dates, comtes de Bar.

[78] Historiens de France, t. XXI, p. 15. — Nangis, année 1297.

[79] Or. Trésor des chartes, J. 514, n° 1.

[80] Or. Trésor des chartes, J. 581, n° 4. — Duchesne, Histoire de la maison de Bar, preuves, p. 39. Conf. Bonamy, Mémoire sur l'érection du comté de Bar. Mém. de l'Acad. des inscript., in-12, t. XXXIV, p. 285.

[81] Or. des pleins pouvoirs. (Trésor des chartes, I. 408, n° 7.)

[82] Nangis, année 1299. — Chron. de Saint-Denis, t. V, p. 128. — Gilb. de Fracheto, Historiens de France, t. XXI, p. 17 et 18.

[83] Le fait est affirmé par P. Dubois, Summaria brevis et compendiosa doctrina, etc. Bibl. imp., n° 6222 C.

[84] Arch. de l'Emp., Plaidoiries, X. 4906, fol. 503 v°.

[85] Voyez le compte des dépenses de ce voyage dans le Journal du trésor. Bibl. imp., n° 110 du suppl. latin, fol. 9 v°.

[86] Voyez les instruments dans Leibniz, Cod. diplom., p. 40 ; Martens, t. I, p. 323, etc.

[87] Conf. de Dutzele, Histoire de l'empire d'Autriche, Vienne, 1845, t. III, p. 120. Voyez aussi Manuscrits de Dupuy, t. 716.

[88] Voyez le Mémoire de Dubois qui affirme le fait, ut supra, fol. 3 r°.

[89] Au dix-septième siècle, Aubery ayant soutenu que la France s'étendait jusqu'au Rhin dans un livre intitulé : Justes prétentions de la France sur l'Empire, excita les plaintes des princes allemands, fut désavoué par le gouvernement français et mis à la Bastille.

[90] Or. Trésor des chartes, J. 583, n° 6. Septembre 1300.

[91] Dupuy, Droits du roy, t. I, p. 665.

[92] Reg. XXXVI du Trésor des chartes, n° CCVII.

[93] Or. Trésor des chartes, J. 632, n° 25.

[94] Or. Trésor der chartes, n° 636 (3 avril 1298).

[95] Or. Trésor des chartes, n° 27 (29 août 1298).

[96] Kervyn, Recherches sur la part de l'ordre de Cîteaux au différend entre Boniface VIII et Philippe le Bel, p. 68.

[97] Or. Trésor des chartes, note remise par P. de Flote, 15 janvier 1298, v. s., J. 632, n° 28.

[98] Vendredi après la Saint-Jean 1299. Or. Trésor des chartes, me 32. Ratification d'Édouard, 14 juillet, n° 33.

[99] Lettre du nonce, 18 juillet 1299. J. 622, n° 34.

[100] Or. Trésor des chartes, lettre d'Édouard. J. 633, n° 4.

[101] J. 633, n° 2. Confirmation par Édouard, 23 juin 1301.

[102] 23 février 1302. Or. J. 633, n° 3. — Voyez une lettre de Jean de Bailleul donnant plein pouvoir à Philippe le Bel. J. 633, n° 4.

[103] Instrument des plénipotentiaires. J. 633, n° 13.

[104] Or. J. 833, n° 15 et 16. — Voyez le procès-verbal de restitution de la Guienne. Instrument des plénipotentiaires. J. 633, n° 22, et Bibl. imp., Cartul. 170, fol. 210.

[105] On raconte que les Flamands envoyèrent des ambassadeurs implorer l'appui d'Édouard, qui leur déclara ne pouvoir les aider publiquement à cause de son traité avec la France, mais leur permit de compter sur lui. Il affecta devant la reine, sœur de Philippe, une grande préoccupation : la reine lui en ayant demandé la cause, il refusa de la dévoiler ; il finit enfin par lui avouer que Philippe allait être trahi par plusieurs seigneurs qui, à la première bataille, le livreraient aux Flamands : Marguerite prévint immédiatement Philippe, qui, craignant une trahison, quitta aussitôt l'armée. Ce récit se trouve avec quelques variantes insignifiantes : 1° dans les Chroniques de Saint-Denis ; 2° dans la Chronique anonyme, publiée par Sauvage, p. 42 ; 3° dans une Chronique de Flandre, nouvellement publiée. (Documents belges.)

[106] Or. Trésor des chartes, J. 544, n° 13. Cet acte est scellé par le comte de Thiette. M. Kervyn présente ce traité comme un acte de trahison de la part du comte de Namur, autre fils du comte de Flandre, t. I, p. 531.

[107] Or. Trésor des chartes. Douai, Ypres, Gand, Lisle, Bruges. J. 544, n° 17.

[108] Or. Trésor des chartes, J. 546, n° 8.

[109] Sur les droits de l'Empire dans certaines provinces qui font aujourd'hui partie de la France, voyez l'excellent travail de mon savant ami M. Huillard-Bréholles, Introduction à l'histoire diplomatique de Frédéric II, chap. III, intitulé : Droits de souveraineté exercés par Frédéric II dans les anciens royaumes d'Arles, de Bourgogne et de Lorraine.

[110] Rymer, Fœdera, t. I, p. 11.

[111] Vaissette, t. IV, p. 132 et 133.

[112] Mesnard, Histoire de Nismes, t. I, preuves, p. 433.

[113] Ménestrier, Histoire municipale de la ville de Lyon, p. 19.

[114] Ménestrier, Histoire municipale de la ville de Lyon, p. 21, 24 et 25.

[115] Ménestrier, Histoire municipale de la ville de Lyon, p. 39 ; et Trésor du chartes, J. 262, n° 7 et 8.

[116] Recueil des historiens de France, t. XXI, p. 34 et 35.

[117] Traité de Vienne en 1312 (10 avril). Ménestrier, Preuves, p. 51.

[118] Trésor des chartes, J. 269, n° 76.

[119] Rouleau original, Trésor des chartes, J. 267.

[120] Villani, t. VIII, p. 436.

[121] Lettre au roi de Bohême, le lundi après l'Ascension 1308. Cartul. 170, fol. 196. — Autre au même, de l'octave de la Pentecôte. Ibid., 107. — Dans la première de ces lettres, le comte de Valois n'est pas nommé : Philippe se borne à des insinuations ; dans la seconde, il propose son frère.

[122] Reg. XLII du Trésor des chartes, n° 99, 100 et 101.

[123] Promesse de Charles de Valois de rendre au roi les sommes qu'il lui avait prêtées pour « certains messages sollempues (envoyés) pour l'accroissement de l'estat et de l'ounour d'aucune personne, de qui nous (le roi) avons la promotion si à cuer, comme nous poons plus, ou point... d'avenir à la hauterie d'estre eslue en roy d'Alemaigne. » 26 juin 1308. Reg. XLII du Trésor des chartes, fol. 107 v°. — Philippe fit recommander l'élection de son frère à l'archevêque de Cologne par le cardinal de Sainte-Marie la Neuve. Cartul. 170, fol 128.

[124] Or. Trésor des chartes, J. 386, n° 1 (Paris 1310). — Ratification de Henri, septembre 1311, au camp de Brescia. Ibid., n° 2.

[125] Promesse du comte de Savoie. Or. Trésor des chartes, J. 501, n° 7 (octobre 1310). — Copie, Trésor des chartes, Reg. XLII, n° VIXXV.

[126] Reg. XLII du Trésor des chartes, n° cxv (23 septembre 1310 ?).

[127] Lettre de Clément V à Philippe le Bel. Baluze, Vitæ paparum, t. II, p. 126. Ce fait, qui n'est cité par aucun historien ecclésiastique, contredit ceux qui veulent voir dans Philippe le Bel un précurseur de Henri VIII.

[128] Voyez sur Dubois l'intéressant Mémoire de M. de Wailly, Mém. de l'Acad. des inscript., t. XVII ; et l'article que nous lui avons consacré dans Notices et extraits.

[129] Ce Mémoire se trouve à la Bibl. imp., n° 6222 C ; il est encore inédit.

[130] Original de la donation. Trésor des chartes, J. 163, n° 3.

[131] En 1304. Trésor des chartes, J. 584, n° 2.

[132] En 1304. Trésor des chartes, J. 527, n° 5 et 6.

[133] En 1296. Trésor des chartes, J. 586, n° 2.

[134] En 1301. Or. Trésor des chartes, J. 622, n° 39.

[135] En 1304. Trésor des chartes, J. 513, n° 9. Pour 2.500 livres de rente

[136] En 1294. Or. J. 608, n° 4.

[137] En 1294. Livre rouge de la chambre des comptes, p. 87. — En 1314. Reg. XXXIV du Trésor des chartes, fol. 54 v°.

[138] En 1307. Trésor des chartes, J. 532, n° 6.

[139] En 1295. Trésor des chartes, j. 525, n° 1. Pour 4.000 livres de rente.

[140] En 1304. Trésor des chartes, J. 501, n° 5. Pour 2.500 livres de rente.

[141] En 1292. Valbonnais, Mém. pour l'histoire du Dauphiné, preuves, sous Humbert, t. I, p. 872.

[142] Voyez aux Arch. de l'Emp. les cartons J. 622, 623 et 624 ; et le Journal du trésor, Bibl. imp., suppl. français, n° 4743².

[143] Ducange, Histoire de Constantinople, liv. VII.

[144] Traité avec Urosius, roi de Dacie. Trésor des chartes, Constantinople, n° 17. En 1308.

[145] Suppl. du Trésor des chartes, armoire de fer. En 1306.

[146] Suppl. du Trésor des chartes, armoire de fer. En 1289.

[147] Voyez ce que dit G. de Jandun dans l'Éloge de Paris, publié par M. Leroux de Lincy.

[148] Voyez le traité De monarchie.

[149] Purgatoire.