CHAPITRE PREMIER. — DIFFÉREND DE PHILIPPE LE BEL AVEC BONIFACE VIII.
Le monde formait une
république chrétienne dont le pape était le chef. Libertés de l'Église
gallicane. — Comment sont-elles violées ? — Politique des rois vis-à-vis de
Rome. — On n'a pas d'histoire sincère du différend de Philippe le Bel avec
Boniface VIII. — Pourquoi ? — Philippe proteste contre toute intervention du
pape en matière politique. — Bulle Clericis laïcos. — Premiers nuages
dissipés. — Situation difficile de Boniface VIII en Italie. — Guerre contre
les Colonna. — Boniface VIII prononce, comme particulier et non comme pape,
entre le roi d'Angleterre et Philippe. — Grand jubilé de 1300. — Prédication
de doctrines exagérées en faveur du pouvoir des papes. — Rôle que jouent les
ambassadeurs flamands à Rome. — Excitations que reçoit Boniface VIII. —
Arrestation de Bernard Saisset, évêque de Pamiers. — Ambassade de Nogaret. —
Boniface VIII convoque un concile pour réformer le gouvernement de Philippe
le Bel. — Fausses bulles. — Concile de Latran, bulle Unam
sanctam,
proclamant la suprématie du Saint-Siège. — Bulle Ausculta, dans le même sens. — Boniface
VIII accusé de plusieurs crimes par Guillaume de Plasian. — Arrestation du
nonce apostolique. — Appels au futur concile. — Boniface s'apprête à
excommunier Philippe. — Examen du droit de déposition des rois par les papes.
— Récit de l'arrestation de Boniface VIII à Anagni par Nogaret et de sa mort.
— Philippe attaqua Boniface VIII comme ayant usurpé la tiare. — Conséquence
de ce différend.
L'histoire
de Philippe le Bel n'offre pas d'événements plus graves et d'un plus haut intérêt
que ceux qui signalèrent ses rapports avec le Saint-Siège. Sa querelle avec
Boniface VIII eut pour résultat de fixer les limites de l'autorité des papes
et de la contenir dans de justes bornes ; mais cette grande entreprise fut
accompagnée de scandales et de violences déplorables. Jusque-là
l'Europe occidentale avait formé mie vaste république chrétienne, dont le
pape était le chef suprême. Home était redevenue la maitresse du monde.
Jamais les décrets du sénat, appuyés par les aigles victorieuses des légions,
n'avaient été plus respectés et plus redoutés que les bulles données au
Vatican par le successeur de saint Pierre. Les papes auraient pu à bon droit
prendre la devise des empereurs carlovingiens : Christus vincit, regnat,
imperat. La théocratie gouvernait le monde. Grégoire VII avait inauguré
cette ère de domination universelle ; son œuvre fut continuée par ses
successeurs, particulièrement par Honorius III et par Innocent IV ; niais les
progrès toujours croissants du pouvoir monarchique dans chacun des États
européens vinrent mettre un obstacle à ces prétentions. Philippe-Auguste et
saint Louis lui-même résistèrent plus d'une fois et revendiquèrent leur
indépendance. Cependant,
dans tout le courant du treizième siècle, le droit d'intervention du
Saint-Siège dans les rapports des princes entre eux fut universellement
reconnu. En outre, les souverains pontifes avaient de nombreuses occasions de
s'immiscer dans le gouvernement intérieur des Étals de l'Europe. Protecteurs
naturels de l'Église, ils la défendaient contre les envahissements du pouvoir
séculier ; ils exerçaient aussi un droit d'administration et de contrôle sur
les différentes Églises. Ils intervenaient donc à chaque instant dans les
affaires de France pour régenter les rois, protéger l'Église et la gouverner. C'est à
ce triple point de vue que je vais examiner les rapports de la papauté avec
Philippe le Bel. Il y
avait sons l'ancienne monarchie une liberté religieuse, non pas telle que
nous la comprenons au dix-neuvième siècle, où elle n'est autre chose que la
tolérance, mais une sorte de liberté ecclésiastique, qu'on appelait les
libertés de l'Église gallicane. Nos rois étaient les défenseurs inébranlables
de ces libertés, qui formaient un des articles les plus importants de notre
droit public, et pour lesquelles nos pères se passionnèrent. L'Église de
France croyait trouver dans ces précieuses garanties un rempart contre les
abus de la cour de Home. Quels étaient ces abus ? Quelles étaient ces
garanties ? Je vais essayer de le dire en quelques mots ; cela est nécessaire
pour mettre le lecteur à même d'apprécier la lutte qui va se dérouler sous
ses yeux, lutte que l'on a inscrite parmi les plus beaux triomphes de
l'Église gallicane. On sait
que dans le principe les évêques étaient élus par le peuple. Au dixième
siècle encore, des laïques prenaient part à ces élections. Le clergé fut
ensuite seul appelé à choisir le premier pasteur du diocèse ; enfin le droit
de nomination fut réservé aux membres des chapitres institués auprès des
cathédrales. De bonne heure les papes intervinrent dans les élections, qui
n'étaient valables qu'après qu'ils les avaient confirmées. Ils finirent par
s'attribuer le droit de nommer en certains cas directement les évêques et les
abbés. De leur côté, les rois surveillaient les élections ecclésiastiques ;
ils combattirent vivement les nominations faites par le Saint-Siège[1]. Saint Louis se distingua par
sa fermeté à soutenir les immunités des églises de son royaume : il rendit
mène un décret célèbre, connu sous le nom de Pragmatique sanction, qui avait
pour but d'assurer la liberté des élections canoniques. Des
doutes ont été élevés sur l'authenticité de cet acte célèbre. Toutefois, en
admettant que le texte de la Pragmatique que nous possédons ne soit pas
authentique, il est certain que les doctrines exprimées dans ce document ont
été celles que saint Louis prenait pour règle de conduite et qu'il se fit on
devoir d'appliquer. À la
fin du treizième siècle, il y avait lutte entre la papauté et la royauté, au
sujet du maintien des libertés gallicanes ; à chaque instant les souverains
pontifes disposaient de proprio motu des bénéfices français : on
trouve dès lors les réserves apostoliques, auxquelles on assigne communément
une origine beaucoup plus récente. Quand un évêque mourait, le pape
suspendait quelquefois le droit d'élection au chapitre et se réservait de
pourvoir au remplacement du défunt. Le Gallia christiana n'indigne pas
ces nominations directes, niais j'ai recueilli des documents qui ne laissent
aucun doute sur leur fréquence. En 1298, Boniface nomma de son chef à
l'évêché de Toulouse : nous avons la lettre dans laquelle il fit part au roi
de son intention de se réserver la nomination à ces évêchés ; le mot de
réserve y est même employé[2]. Il nomma aussi directement à
l'archevêché de Bourges[3]. Il institua, sans l'aven du roi,
un évêché à Pamiers[4]. Rome
cherchait à rendre illusoires les élections faites suivant les canons. Les
élus étaient tenus de faire confirmer par le pape, et on ne leur accordait la
confirmation qu'a condition de renoncer aux pouvoirs qu'ils tenaient de
l'élection et de se faire instituer de nouveau par le saint-père. C'est ce
qui arriva, en 1295, à Robert de Courtenay, élu archevêque de Reims[5]. Les Églises de France payaient
au Saint-Siège des sommes considérables. L'abbé de Saint-Denis écrivait au
roi que son abbaye était ruinée par les redevances qu'il payait à la cour de
Rome[6]. Les
libertés de l'Église gallicane étaient donc à la fin du treizième siècle
souvent violées par les papes. Les rois ne prenaient en main leur défense que
lorsque les prétentions du Saint-Siège menaçaient leur autorité. Ils
laissaient les souverains pontifes nommer d'office quelques prélats, car ils
savaient en profiter polir faire élever aux plus riches bénéfices leurs
conseillers les plus dévoués et peupler l'épiscopat de leurs créatures. Toutefois
les libertés gallicanes étaient un rempart contre les envahissements du
pouvoir spirituel. Elles avaient pour effet de soustraire le clergé français
à une influence étrangère, qui aurait pu ne pas toujours se renfermer dans le
domaine de la religion. C'était un moyen de gouvernement et une institution
purement politique. Pendant
plusieurs années, la meilleure intelligence régna entre Boniface VIII et
Philippe le Bel. Philippe appartenait à cette race royale qui avait toujours
obtenu les prédilections du Saint-Siège. Saint Louis avait jeté sur cette
auguste famille un éclat de grandeur et de sainteté qui se reflétait sur ses
descendants. Aussi les papes choisissaient parmi les Capétiens des princes
pour remplacer les rois qu'ils déposaient. Philippe
le Bel ne trouva que de la bienveillance dans Martin IV, Honorius IV et
-Nicolas IV. A Nicolas IV succéda Célestin V, qui, à peine sur le trime, en
descendit volontairement et fut remplacé par le cardinal Benoit Gajetan, qui
prit le nom de Boniface VIII[7]. C'était un vieillard
appartenant à une des premières familles d'Italie, profondément versé dans la
science du droit civil et canonique ; on lui savait de l'énergie, de la
hauteur et une opiniâtreté indomptable[8]. Ses ennemis lui supposaient
une ambition et une cupidité sans borne. Il avait connu personnellement
Philippe le Bel pendant un séjour qu'il avait fait en France comme légal, et
il s'était pris d'affection pour le jeune roi. Lui-munie, plus tard, a la
veille de le frapper d'anathème, déclarait que simple cardinal, il était
Français de cœur, ce qui lui avait souvent attiré les reproches de membres du
sacré collège[9]. Nous
touchons au grand différend de Boniface VIII avec Philippe le Bel. Avant
d'aborder cette question, l'historien doit se recueillir et se demander s'il
est assez maitre de lui, et s'il se sent assez dégagé des passions politiques
et religieuses pour traiter avec impartialité un pareil sujet. C'est ici
qu'il faut faire taire ses sympathies, pour ne chercher que la vérité, et se
tenir eu garde contre les jugements portés par les hommes les plus éminents. Deux
historiens célèbres ont fait l'histoire de cette lutte mémorable : Pierre Dupuy[10] et Baillet[11]. Tons deux ont puisé aux
sources originales. Il semble qu'il ne reste rien à dire, rien à apprendre
après ces deux savants hommes ; que la cause a été suffisamment instruite et
l'arrêt rendu sans appel. Il n'en est pas ainsi. Dupuy et Baillet étaient
non-seulement des savants : c'étaient aussi des hommes de vertu ; niais ils
vivaient dans un temps où la royauté jouissait en France presque de
l'infaillibilité que l'Église gallicane refusait an pape. Dupuy était le
champion officiel des droits du roi, tant au dedans qu'en Europe. Baillet
était janséniste. Ils n'avaient ni l'un ni l'autre l'indépendance nécessaire,
l'un pour oser condamner un roi, l'autre pour absoudre un pape. D'ailleurs la
critique historique était encore dans l'enfance, et le travail de Dupuy
renferme des confusions de dates qui intervertissent l'ordre des faits, et ne
permettent pas de suivre dans son développement ce différend dont les causes
ont été diversement appréciées. Boniface
VIII a en le sort réservé aux vaincus dans ce monde ; il a succombé, et tous
se sont réunis pour le condamner. Français dévoués h la monarchie, gallicans
jaloux de leurs libertés, étrangers indifférents, philosophes sceptiques,
écrivains démocrates, tous ont été unanimes à le blâmer et à l'insulter. Les
chroniqueurs contemporains, nome les ecclésiastiques, ne l'ont pas épargné[12] ; les historiens de
l'Église n'ont osé le défendre 4. Grégoire VII a reçu le nom de Grand, et
Boniface VIII, son imitateur, est mort misérable et laisse une mémoire
déshonorée[13]. De nos jours seulement, une
voix éloquente s'est élevée da Mont-Cassin en sa faveur[14] : l'histoire de Boniface VIII,
par dom Tosti, n'est pas seulement une œuvre de science, c'est aussi une
œuvre généreuse de réparation, dédiée à Dante, qui, le premier, quoique
Gibelin, fil entendre cette sublime protestation, que nul n'ignore, contre
l'attentat d'Anagni[15]. Mais la catastrophe qui mit
fin au règne de Boniface a fait oublier à 'fusil les fautes qui la
précédèrent : en rendant justice au pape, il a été injuste envers son
adversaire. Quant à nous, c'est aux documents authentiques que nous avons
demandé la lumière : nous avons fait une enquête longue et minutieuse, après
laquelle seulement nous avons formé notre opinion. L'admiration que nous
inspire le génie de Philippe le Bel ne nous a pas aveuglé sur ses défauts ;
mais nous n'avons pas non plus innocenté Boniface VIII parce qu'il fut
malheureux. Boniface
ne porta pas sur la chaire de saint Pierre des prétentions nouvelles : sa
politique vis-à-vis des princes étrangers fut celle de ses prédécesseurs, et
ressemble singulièrement au projet que Sully prête à Henri IV. Son but avoué
était la conquête de la terre sainte : il voulait rétablir la paix entre les
princes chrétiens et tourner leurs armes réunies contre les musulmans. Tons
ceux qui troublaient la paix étaient à ses yeux des sacrilèges qui versaient
le sang des fidèles, et retardaient par leurs querelles impies l'avènement de
la domination de l'Église dans l'univers entier. C'était
en vue de ce grand résultat que son prédécesseur Nicolas IV avait tout mis
œuvre pour rétablir entre Édouard d'Angleterre et Philippe le Bel la lionne
harmonie sourdement compromise, et prévenir des hostilités qui ne devaient
pas tarder à éclater. La prise de Saint-Jean d'Acre, en 1291, avait eu un
douloureux retentissement en Europe. Boniface voulut porter du secours à la
terre sainte ; la guerre qui s'engagea entre la France d'un côté, et
l'Angleterre et la Flandre de l'autre, vint traverser ses projets. Il fit
tous ses efforts pour y mettre un terme et se proposa pour médiateur[16]. Une trêve fut conclue par ses
soins. Au moment où elle allait expirer (juin l'297), il la renouvela de sa
propre autorité et chargea deux cardinaux, les évêques d'Albano et de
Palestrina, d'en instruire Philippe le Bel. Le roi
refusa d'entendre lecture de la bulle pontificale avant d'avoir fait les
protestations suivantes : Que le
gouvernement temporel de son royaume appartenait à lui seul ; qu'il ne
reconnaissait en cette matière aucun supérieur ; qu'il ne se soumettrait
jamais à âme qui vive à cet égard ; qu'il voulait exercer sa juridiction dans
ses fiefs, défendre son royaume et poursuivre sou droit avec l'aide de ses
sujets, de ses alliés et de Dieu ; que la trêve ne le liait pas. Quant au
spirituel, il était, à l'exemple de ses prédécesseurs, disposé à recevoir
humblement les avertissements du Saint-Siège, comme un vrai fils de l'Église[17]. Il
accepta la médiation de Boniface, non comme pape, niais comme particulier :
il obtint du pontife une bulle par laquelle il s'engageait à ne prononcer de
jugement arbitral qu'en qualité de Benoît Gajetan, et après avoir reçu des
lettres patentes du roi portant approbation de sa décision[18]. Cette
conduite de Philippe le Bel dut donner à réfléchir à Boniface et lui faire
comprendre la nécessité de ménager un prince aussi jaloux de son autorité et
qui repoussait l'intervention du successeur de saint Pierre, devant laquelle
les rois s'étaient jusqu'alors inclinés. Il sut se faire violence et se
contenir pendant quelque temps ; mais les rapports entre le roi et le pape
étaient trop fréquents pour que ces deux caractères altiers et dominateurs ne
finissent pas par se choquer violemment. En
I2.9G, les plaintes qu'une partie du clergé de France porta au Saint-Siège
contre ce qu'il appelait les exactions de Philippe le Bel furent d'autant
plus favorablement accueillies à Rome qu'il en arrivait de semblables
d'Angleterre, où Édouard employait, pour obtenir des subsides du clergé, des
moyens bien autrement énergiques que ceux de son rival[19]. L'occasion était belle pour
Boniface : il ne la manqua pas. La bulle Clericis laïcos, qui
excommuniait à la fois ceux qui levaient des impôts sur le clergé et les
ecclésiastiques qui les payaient, fut commune au monde chrétien — 1296, sans
date de mois, mais avant le 18 août —[20]. Cette Indic, donnée dans un
moment d'irritation, était trop exagérée pour être exécutable. Boniface VIII
s'était trop avancé : il le comprit et alla au-devant des plaintes qu'il ne
pouvait éviter de soulever. La bulle Ineffabilis amor corrigea ce que
la précédente avait de trop absolu. Le roi pourra lever des subsides sur le
clergé, avec le consentement du pape, qui, si le royaume était menacé,
ordonnerait pour contribuer à sa défense jusqu'à la vente des vases sacrés[21]. Boniface demandait dans la
mime bulle des explications sur la prohibition faite récemment par le roi
d'exporter de l'or et de l'argent et des marchandises hors du royaume,
prohibition qui menaçait de tarir nui des principaux revenus de Rome[22]. Cet
édit, glue l'on représente unanimement comme une réponse de Philippe a la
bulle Clericis laïcos, n'était pas dirigé contre le pape ; car il fut
rendu au mois d'avril, peu de jours après la rédaction de cette bulle et
avant qu'elle eut le temps d’être connue du roi de France. Il ne s'appliquait
pas uniquement à l'argent ; il défendait aussi l'exportation des armes, des
chevaux et autres objets : on voulait atteindre les Anglais et les
Flamands avec lesquels on était en guerre ; de semblables édits furent
promulgués sous le même règne en plusieurs occasions. Dans la
même bulle, Boniface menaçait Philippe de l'excommunication ; il le montrait
haï de ses sujets, entouré d'ennemis qui n'attendaient que le moment
d'envahir son royaume. Que deviendra-t-il s'il perd la bienveillance du
saint-singe, qui l'a soutenu jusqu'alors (21 septembre.1296) ? Le roi et ses conseillers
furent indignés de la liberté que prenait le pape : on résolut de repousser
ces remontrances hautaines qui appartenaient à d'autres temps. Dupuy a publié
une réponse qui fut, dit-on, expédiée à Rome[23] ; mais l'indécence du ton qui
règne dans cette pièce et la violence des déclamations qu'elle renferme
suffisent pour démontrer qu'elle n'a jamais été envoyée. Ce n'est qu'un
projet de mémoire qui fut présenté au roi par quelque courtisan, et qui ne
fut pas même- terminé, ainsi que l'atteste le litre du seul exemplaire
contemporain qu'on en connaisse, titre que Dupuy a supprimé pour en
substituer un autre de sa façon[24]. Le roi
donna des explications satisfaisantes. En 1297, nouvelle défense d'exporter
l'or et l'argent, nouvelles alarmes du pape, nouvelles menaces, nouvelles
explications de Philippe. Sur ces entrefaites, les évêques de France écrivent
à Boniface VIII pour lui demander d'accorder au roi un décime sur les églises[25]. Le clergé comprenait qu'il ne
pouvait pas s'abstenir de contribuer à la défense de la patrie. Cette lettre
contrastait singulièrement avec une protestation suscitée par Cîteaux,
protestation dirigée non moins contre les évêques que contre le roi[26]. Cette hostilité des moines
contre les évêques avait longtemps réussi, grâce à l'appui des papes, qui
trouvaient de fidèles instruments, dans les réguliers ; mais le temps
arrivait où moines, évêques et pape allaient plier devant le pouvoir royal. Abandonné
d'une partie du clergé gallican, Boniface fit de nouvelles concessions. Par
la bulle Romana mater ecclesia, il permit même de lever, en cas de
nécessité, des décimes ecclésiastiques sans le consentement du Saint-Siège,
mais avec celui du clergé[27]. La bulle Noveritis nos
alla plus loin ; elle abandonna à la direction du roi, pourvu qu'il frit
majeur, et à son conseil, s'il était mineur, le soin de décider s'il y avait
nécessité ou non, et le droit d'imposer les ecclésiastiques, même sans que le
pape eût été consulté. Elle terminait en déclarant que le Saint-Siège n'avait
jamais en l'intention d'attenter aux droits, libertés, franchises et coutumes
du royaume, du roi et des hayons. Le pape écrivit n'élue aux prélats de hi
province de Reims qu'il était prêt à consacrer à la défense du royaume les
biens de l'Église romaine et sa propre personne[28]. Cette
condescendance de Boniface VIII, cette douceur subite, ne doivent pas être
entièrement attribuées à des sentiments de bienveillance envers Philippe le
Bel : elles s'expliquent surtout par la situation difficile où se trouvait le
pape dans ses propres Flats. Boniface
appartenait par sa famille au parti gibelin : pape, il devint guelfe.
Cardinal, il avait pour ennemis les Colonna, chefs du parti des empereurs.
Cependant les Colonna et les Orsini réunis avaient fait tomber sur Benoit
Cajetan le choix du conclave réuni pour donner un successeur à Célestin V.
Boniface parait avoir oublié ce service : il laissa les Colonna à l'écart et
ne les fil point participer aux faveurs du nouveau règne. Au ressentiment de
cette ingratitude se joignit chez les Colonna celui de l'injure que fun d'eux
crut recevoir de Boniface, qui intervint dans ses affaires domestiques.
Sciarra, pour se venger, attaqua sur le chemin d'Anagni le trésor pontifical
et s'en empara. Deux cardinaux de celte famille s'étaient retirés dans des châteaux
où ils complotaient avec les ennemis du pape : Boniface les somma de lui
remettre ces places qui menaçaient sa sûreté. Ils refusèrent, et s'appuyant
sur la renonciation de Célestin, nièrent la légitimité de son élection. Cités
à Rome et mis en demeure de le reconnaitre pour pape, ils ne se présentèrent
pas, et furent dégradés, eux et leurs parents et adhérents, excommuniés
jusqu'à la quatrième génération, puis leurs biens furent confisqués[29]. Boniface, dépassant tontes les
limites de la haine, étendit l'anathème stiltons ceux qui donneraient asile à
ces malheureux, et frappa d'interdit les lieux où ils chercheraient un refuge
contre son impitoyable colère. Il prêcha une croisade contre leurs partisans.
Les Gibelins furent vaincus, leurs places prises, et Palestrina, où les deux
cardinaux Colonna avaient cherché un abri, reçut un châtiment terrible :
Boniface la lit raser. On passa la charrue sur le sol qu'elle avait occupé,
on y sema du sel, pour la vouer à la stérilité ; une seule église resta
debout qui attesta quelle vengeance tirait Boniface VIII de ceux qui osaient
lui résister (1299).
Mais il fallut trois années avant d'obtenir ce triomphe[30]. C'était justement en I297, au
fort de sa querelle avec les Colonna, que Boniface rétracta la bulle Clericis
laites et se réconcilia avec Philippe le Bel, afin de pouvoir se vouer tout
entier à l'anéantissement du parti gibelin dans les États de l'Église. Les
historiens modernes en cherchant les causes du différend de Boniface et de
Philippe le Bel se sont souvent trompés. La bulle Clericis laïcos a
paru à la plupart d'entre eux l'origine de l'inimitié du roi contre le pape :
les faits prouvent qu'après cette époque l'accord entre les deux cours, un
instant troublé., fut plus grand que jamais. Le pape accorda de son propre
mouvement un décline. et un an de revenu des bénéfices qui viendraient à
vaquer en France pendant la durée de la guerre, ainsi que le droit de nommer
un chanoine dans chacun des chapitres du royaume[31]. Dupuy a
porté contre la bonne foi et l'équité de Boniface VIII la plus forte
accusation à propos du jugement arbitral qu'il prononça, le 27 juin 1298,
entre le roi de France et le roi d'Angleterre : il l'a accusé d'avoir
sacrifié Philippe à l'Angleterre et an comte de Flandre. Il
suffit de lire cette sentence pour être assuré que la partialité de Boniface
n'existe pas. Dans ce document, où tout est digne d'un pontife pacificateur,
car il y est stipulé que chaque partie restituera ce qu'elle avait pris, et
que les choses seront remises dans l'état on elles étaient avant la guerre.
Il n'y est pas dit un mot de la Flandre. Des
documents récemment publiés prouvent, au contraire, la partialité du pape
pour le roi de France. Les dépêches des ambassadeurs flamands en font foi. Le
comte Gui de Dampierre, dépouillé de son comté par Philippe le Hel, pour
s'être soulevé contre lui et avoir fait alliance avec l'Angleterre, avait
appelé au pape : il envoya à Home des ambassadeurs, qui se mirent en instance
pour faire comprendre leur maitre dans le traité de paix que le pape
s'efforçait de conclure entre la France et l'Angleterre. Ils assiégèrent le
pape de flatteries, lui disant qu'il était souverain du roi de France au
spirituel et au temporel[32]. Boniface, cédant aux désirs
exprimés par les ambassadeurs français, déclara aux Flamands, qui étaient
pourtant appuyés dans leur demande par les envoyés du roi d'Angleterre[33], qu’il ne voulait pas
s'exposer, à cause du comte de Flandre, à ne point rétablir la paix entre les
deux rois. En effet, la sentence du mois de juin 1298 garda le silence sur le
comte de Flandre. L'influence française triompha donc dans cette circonstance
où le roi d'Angleterre fut obligé d'abandonner son allié[34]. Tout ce que le pape fit pour
la Flandre ce fut de proroger dans une bulle spéciale le délai de l'appel
porté par le comte Gui[35]. Je suis entré dans ces détails
parce qu'il est important de préciser les phases de ce différend. Les
derniers actes et le dénouement sont suffisamment connus, mais rien n'est
plus obscur que les commencements de la lutte et surtout l'objet sur lequel
elle s'est engagée. Les
bonnes relations continuèrent entre le pape et le roi ; quelques incidents
vinrent toutefois y mêler de l'aigreur. Boniface avait mandé à Rome l'évêque
de Laon pour rendre compte de son administration : le roi affecta de
considérer le siège comme vacant et s'en appliqua les revenus par suite du
droit de régale[36]. Autre grief : le cardinal de
Sainte-Cécile avait fait en mourant un legs considérable pour l'entretien de
pauvres étudiants en théologie (collège de Chollet). Le fisc s'empara de sa
succession et refusait de s'en dessaisir[37]. Les plaintes des évêques
contre les exactions des collecteurs des annates accordées an roi furent une
nouvelle cause de -mécontentement réciproque[38]. L'année
1300 vit le grand jubilé institué par Boniface pour célébrer l'ouverture de
chaque nouveau siècle, et ce pape au comble de sa gloire. Il parut
successivement en habits pontificaux et revêtu des insignes de l'empire ; il
fit porter devant lui l'épée, le sceptre et les autres insignes impériaux, et
crier par un héraut : Il y a ici deux glaives ; Pierre, tu vois ton
successeur, et vous, ô Christ, regardez votre vicaire[39]. Ces deux glaives figuraient le
pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, le pontificat et la royauté réunis
dans la même main. En
contemplant la foule immense venue de toutes les parties de la terre baiser
avec respect le seuil de Saint-Pierre, Boniface se crut le maitre du monde,
ainsi qu'on ne cessait de le répéter autour de lui. Ce triomphe devait être
de courte durée, mais rien ne faisait présager encore l'orage terrible qui
allait éclater. Un
événement, auquel on n'a pas attaché d'importance, se produisit alors, qui
changea en hostilité les dispositions déjà chancelantes de Boniface VIII,
c'est l'alliance faite en 1299 à Vaucouleurs entre Philippe et le roi des
Romains Albert, excommunié pour avoir détrôné Adolphe de Nassau ; alliance
menaçante pour la papauté. La
nouvelle des négociations entre Philippe et Albert jeta la terrent' à Rome :
un faux bruit qui en annonçait la rupture fut accueilli avec joie. Boniface
conçut la pensée d'avoir une conférence avec les rois d'Angleterre et de
France et le comte de Flandre, seul moyen, à ses yeux, d'établir la paix
d'une manière solide : il ne songeait pas à les citer à Rome, car il
connaissait assez Philippe et Édouard pour savoir qu'ils n'accepteraient
jamais de sa part qu'une intervention officieuse : aussi avait-il déridé de
se rendre sur un terrain neutre. Il avait utérin, lait des ouvertures dans ce
sens à Philippe le Bel ; mais une grave maladie que lui causa un travail
excessif, joint à son grand âge, le força de renoncer à ce projet[40]. Le
grand jubilé l'avait enivré ; tout semblait se réunir pour le pousser à sa
perle, en réveillant et en excitant en lui les désirs de domination qu'il
nourrissait, moins pour lui-même que pour la papauté. Le cardinal
d'Acquasparta, dans un sermon prêché à Saint-Jean de Latran au mois de
janvier 1300, en présence du pape, devant le sacré collège et une nombreuse
assistance, osa déclarer que le pape était souverain temporel et spirituel,
comme vicaire de Jésus-Christ, et que le devoir de l'Eglise était de combattre
avec le glaive spirituel et temporel ceux qui résisteraient à cette double autorité[41]. Les
ambassadeurs flamands jugèrent le moment favorable pour se faire écouter, en
flattant les idées de suprématie du pape et en excitant ses défiances contre
Philippe le Bel. Ils lui avaient bien souvent dit qu'il était le maitre de
tons et que le roi de France était fait pour lui obéir : la déclaration
officielle faite par le cardinal d'Acquasparta les encouragea, et ils
remirent à Boniface un mémoire où ils invoquaient son appui et son
intervention, et essayaient de le rassurer sur l'énergie de cette puissance
souveraine qu'ils lui attribuaient, en invoquant des livres saints[42]. Boniface n'était que trop
disposé à prêter l'oreille à ces insinuations, qui s'accordaient avec ses
désirs et ses espérances[43]. Cependant
les griefs s'accumulaient contre Philippe, entre autres l'envahissement du
comté de Mulgueil, appartenant l'évêque de Maguelone[44] ; le refus du vicomte de
Narbonne de faire hommage à l'archevêque son seigneur[45]. Le pape fit entendre des
paroles sévères[46] et envoya l'évêque de Pamiers,
Bernard Saisset, inviter le roi à secourir la terre sainte[47]. L'évêque de Pamiers irrita
Philippe, qui le laissa retourner dans son diocèse ; mais il fit faire
secrètement contre lui une enquête dans laquelle déposèrent les prélats et
les barons du Midi[48]. On l'accusait d'avoir voulu
soustraire le Languedoc à la couronne, pour le réunir à l'Aragon ; son
véritable crime était sa haine pour le roi : on lui imputait les plus
étranges propos. Il
appelait Philippe bâtard, faux monnayeur, incapable de régner, indigne du
trône. Saint Louis, assurait-il, avait annoncé que sa race finirait avec son
fils. L'enquête qui contenait ces accusations fut envoyée à Rome, et Bernard
arrêté à Pamiers par le vidame d'Amiens et cité à comparaître devant le roi.
Il envoya à la cour l'abbé du Mas d'Asil prier le roi de le laisser aller à
Rome, ajoutant qu'il pouvait quitter le royaume sans permission. Ceci prouve
que, dès lors, les évêques devaient informer le gouvernement de leur voyage
en cour de Rome[49]. Il fut
traduit devant le roi et une assemblée de barons, à Senlis, le 1/id octobre
1301. Sa défense fut si hautaine, que l'assemblée se leva en poussant des
cris de mort. Sur le point d'être massacré, il se mit sous la protection de
l'archevêque de Narbonne, son métropolitain, qui était présent[50], avec les évêques de Béziers et
de Maguelone : l'archevêque le prit sous sa garde et en répondit. Ce
procès était contraire aux lois de l'Église : un évêque ne devait pas être
mis en jugement devant une cour laïque ; les conciles n'avaient même plus le
droit de le juger sans l'intervention du pape, qui devait autoriser les
poursuites. Philippe
envoya à Rome Pierre de Flote demander le châtiment de Saisset. L'ambassadeur
déclara que son maitre n'avait pas voulu user de son droit de punir lui-même
un homme que ses crimes rendaient indigne du sacerdoce et de la protection
accordée aux membres du clergé ; mais qu'il avait désiré donner au souverain
pontife une marque de déférence et de respect, en lui remettant le soin de
venger l'injure faite à Dieu, comme auteur de toute puissance légitime, au
roi comme fils de l'Église, et au royaume comme partie considérable de la
chrétienté. Il requit ensuite Boniface de déclarer Bernard déchu de la
dignité épiscopale, du privilège de cléricature, et de le remettre au roi
pour qu'il pût en faire un sacrifice agréable à Dieu[51]. Il y avait beaucoup
d'hypocrisie dans cette modestie apparente. Boniface affecta de prendre au
sérieux les protestations du roi et se réserva de renvoyer Saisset, soit
devant un concile provincial, soit devant un légat du Saint-Siège. Flote eut
beau presser et demander une réponse, il n'obtint rien, et retourna en France
la rage dans le cœur. Boniface
suspendit les privilèges accordés par lui-même et par ses prédécesseurs à la
couronne de France, et convoqua, pour le Pr novembre 1302, un concile général
à Rome, afin de mettre un terme aux oppressions que souffrait le clergé de
France, et de travailler à la conservation des libertés de l'Église
catholique, à la réformation du royaume, à la correction du roi et au bon
gouvernement de la France[52]. Tous les prélats et tous les
docteurs, les abbés, les supérieurs de maisons religieuses, furent sommés de
se rendre à cette assemblée ; le roi fut invité à comparaître en personne ou
à envoyer quelqu'un pour le défendre[53]. Le nonce Jacques de Normand
fut chargé de porter en France une bulle destinée à Philippe le Bel, où
Boniface proclamait la supériorité du Saint-Siège sur les rois. Il est
important de préciser en quoi consistait cette supériorité que revendiquait
Boniface dans la bulle Ausculta fili. Il ne prétendait pas réunir le
pouvoir spirituel et le pouvoir temporel : non, il le déclara lui-même dans
un consistoire, au mois de juillet 1302. « Nous savons, dit-il, qu'il y a
deux pouvoirs établis par Dieu ; nous ne sommes pas assez dépourvu de raison
et assez insensé pour croire le contraire[54] » ; mais il soutenait que
le pouvoir spirituel était supérieur au pouvoir temporel. Cette doctrine fut
de nouveau développée par le cardinal d'Acquasparta et dans une lettre écrite
par l'ordre de Cîteaux[55]. « Il y a deux
juridictions, la spirituelle et la temporelle ; l'une donnée par Dieu à saint
Pierre, l'autre qui appartient à l'empereur et aux rois. Toutefois la
juridiction spirituelle s'étend sur le temporel, car le pape a le droit de
connaître de toutes les actions humaines en raison du péché. » En un
mot, les rois n'étaient que de simples chrétiens, dont les fautes étaient des
péchés, pour lesquels ils devenaient justiciables de l'Église. Cette doctrine
menait, de déduction en déduction, au droit de déposer les rois. ; mais ce
droit était tellement exorbitant que les souverains pontifes n'osèrent jamais
l'inscrire dans les canons des conciles ni dans les constitutions
apostoliques. La
bulle Ausculta fili n'était pas explicite à cet égard. Dieu, disait
Boniface, avec les paroles de Jérémie, Dieu, en nous imposant le joug de la
servitude apostolique, nous a établi au-dessus des rois et des empires, pour
arracher, détruire, anéantir, dissiper, bâtir et planter en son nom ;
très-cher fils, ne te laisse pas persuader que tu n'es pas soumis au chef suprême
de l'Église, car une telle opinion serait folie[56] ; il accusait ensuite le roi de
tyranniser ses sujets, d'opprimer l'Église, de scandaliser les grands.
« Il l'avait souvent averti de se corriger et de mieux gouverner son
royaume : il dépouille les églises sous prétexte de la régale ; il fait de mauvaise
monnaie. Qu'il ne rejette pas sa faute sur ses conseillers, car on lui a
ouvert les yeux et il les garde : qu'il les chasse au plus tôt. » Il
l'invitait, en terminant, à tourner ses regards sur le misérable état de la
terre sainte, et à se préparer à la croisade[57]. Une autre bulle, Secundum
divin, enjoignait à Philippe de mettre Saisset en liberté et de le laisser
venir à Rome[58]. Le roi le fit chasser de
France et se mit en mesure d'obtenir une grande manifestation en sa faveur,
contre les prétentions de Boniface, en convoquant les premiers états
généraux. En
agissant ainsi, Philippe défendait sa couronne : son droit était évident, il
n'avait qu'à le revendiquer et à l'exercer avec dignité. Sa cause était belle
; il eut le malheur de la souiller par le mensonge et par la violence, en
suivant sans doute en cela les conseils des légistes qui l'entouraient. On
répandit dans le public une bulle commençant ainsi : « Boniface
à Philippe, roi de France : Craignez Dieu et observez ses commandements. « Apprenez
que vous nous êtes soumis au spirituel et au temporel, etc.[59]. » Boniface
nia énergiquement être l'auteur de cette bulle, et son assertion fut
confirmée par les cardinaux : le faux est évident. On publia une prétendue
réponse d'une inqualifiable insolence : « Philippe,
par la grâce de Dieu, roi de France, à Boniface, prétendu pape, peu ou point
de salut : « Sache
ta très-grande sottise, que nous ne sommes soumis à personne au temporel,
etc.[60]. » Ce fut
avec ces moyens que réprime la morale que l'on agit sur l'opinion publique.
Le dimanche après la Chandeleur (février 1302), le roi fit brûler
solennellement la bulle Ausculta fili. J'ai raconté ce qui se passa
aux états du 10 avril. La
défaite de l'armée française à Courtrai, au mois de juillet, donna de
l'assurance à Boniface sans abattre Philippe. Au mois de décembre, Philippe
envoya à Rome l'évêque d'Auxerre signifier à Boniface que, de concert avec le
roi d'Angleterre, il avait renoncé à son arbitrage ; l'ambassadeur avait
ordre de révoquer publiquement les pleins pouvoirs donnés jadis à Boniface
VIII, si le pape continuait à s'occuper de cette affaire. Le roi fit
accompagner l'évêque d'Auxerre par le comte de Saint-Pol, le sire d'Harcourt
et Mouchet, pour lui prêter main-forte au besoin[61]. Peut-être Philippe méditait
déjà quelque violence : ce qui le ferait croire, c'est que ce fut dans le
château de Staggia, appartenant à Mouchet, que fut organisée l'expédition
dirigée contre Boniface VIII à Anagni. Publiquement,
Philippe était plein de déférence envers le pape[62]. Sur ces entrefaites arrivèrent
de graves nouvelles de Rome. Le
concile convoqué par Boniface s'était réuni le jour de la Toussaint 1302 ;
plusieurs prélats français ayant répondu à l'appel du pape, malgré les
défenses du roi[63], Philippe fit saisir leur
temporel[64], et un décret rendu le 18
novembre, sans doute d'après l'avis du concile, consacra la doctrine de la
supériorité des papes. « Il
y a deux glaives : le spirituel et le temporel ; tous deux sont dans la main
de l'Église ; mais l'un est tenu par l'Église elle-même, l'autre par les
rois, SED
AD NUTUM ET PATIENTIAM SACERDOTIS. Toute créature humaine est soumise au pontife romain, et cette
croyance est nécessaire au salut[65]. » Boniface
enjoignit aux prélats français qui n'avaient pas assisté au concile, de se
rendre à Rome sous trois mois[66]. Philippe défendit à ces mêmes
prélats de sortir du royaume, et fit garder les passages qui donnaient accès
en Allemagne et en Italie[67]. Le cardinal de Saint-Marcellin
(légat
du Saint-Siège)
convoqua un concile en France, à l'insu du roi[68]. Boniface récapitula tous les
griefs qu'il avait contre Philippe et le somma de se disculper. Il l'accusait
entre autres choses de fabriquer de fausse monnaie et d'avoir fait brûler la
bulle Ausculta fili. La réponse de Philippe fut conciliante et
modérée. Il exprimait le désir de maintenir, à l'imitation de ses ancêtres,
l'union entre la France et le Saint-Siège. Il finissait en conjurant Boniface
de ne pas le troubler dans l'exercice légitime de ses droits : il offrait de
s'en rapporter à la décision du duc de Bretagne ou du duc de Bourgogne, qui
lui étaient particulièrement agréables[69]. Le pape déclara cette réponse
insuffisante, et s'en plaignit amèrement à l'évêque d'Auxerre et au frère du
roi, Charles de Valois, qui avait résidé près de deux années en Italie avec
le titre de défenseur du Saint-Siège, et que Philippe venait de rappeler. Le 12
mars se tint au Louvre, en présence du •roi, une grande assemblée de barons,
de prélats et de légistes. Guillaume
de Plasian lut un écrit où étaient accumulés les chefs d'accusation contre
Boniface : « Il
est hérétique ; il ne croit pas à l'immortalité de l'âme ni à la vie
éternelle : il a dit qu'il aimerait mieux être chien que Français ; il ne
croit pas à la présence réelle dans l'eucharistie ; il prétend que la
fornication n'est pas un péché. Il a approuvé un livre d'Arnaud de
Villeneuve, lequel livre a été censuré et brillé ; il s'est fait élever des
statues dans les églises pour se faire adorer ; il a un démon familier qui le
conseille ; il consulte les devins ; il a prêché publiquement que le pape ne
peut commettre de simonie ; il fait trafic des bénéfices ; il veut mettre la
guerre partout ; il a dit que les Français sont des Patarins (hérétiques
cathares). Il est
sodomite ; il a commandé des meurtres ; il a forcé des prêtres à révéler les
confessions ; il a nourri une haine cruelle contre le roi de France ; on l'a
entendu dire, avant d'être pape, que s'il le devenait, il ruinerait la
chrétienté ou il détruirait la fierté française ; il a empêché la paix entre
la France et l'Angleterre ; il a pressé le roi de Sicile de faire mourir tous
les Français[70] ; il a confirmé le roi
d'Allemagne à condition de réduire la superbe des Français (superbiam
Gallicanam),
qui, prétendait-il, se vantaient de ne pas reconnaître de supérieur au
temporel : en quoi ils mentaient par la gorge ; que si un ange lui disait que
la France ne lui est pas soumise, à lui et à l'empereur, il lui crierait
anathème ; il a causé la ruine de la terre sainte, ayant pris tout l'argent
qui y était destiné, pour le donner à ses parents, dont il a fait des
marquis, des comtes et des barons, et auxquels il a fait bâtir des châteaux ;
il a expulsé la noblesse de Rome ; il a rompu des mariages ; il a créé
cardinal un de ses neveux, qui n'est qu'un ignorant et qui était marié, et a
forcé sa femme à prendre le voile dans un couvent ; il a fait périr en prison
Célestin, son prédécesseur[71]. Le 13
avril, Boniface déclara Philippe excommunié, s'il persistait à ne pas se
soumettre à ce que le Saint-Siège exigeait ; il chargea Nicolas de Bienfaite,
archidiacre de Coutances, de porter au cardinal de Saint-Marcellin la bulle
qui retranchait le roi de la communion de l'Église[72] ; mais le roi, averti de la mission
de l'archidiacre, le fit arrêter à Troyes et jeter en prison ; on lui enleva
la bulle, qui, du reste, ne devait être fulminée qu'au cas où Philippe
resterait sourd à un dernier appel. En vain le légat protesta ; on ne
l'écouta pas. On mit sous séquestre les biens des prélats absents du royaume
; il comprit qu'il se compromettait inutilement en restant plus longtemps, et
il quitta la France[73]. Le 31
mai, Boniface, qui avait pardonné à Albert d'An-triche et l'avait reconnu
comme roi des Romains, lança une bulle où il ordonnait aux nobles, aux
Églises et aux communes des métropoles de Lyon, de Tarentaise, d'Embrun, de
Besançon, d'Aix, d'Arles et de Vienne, de la Bourgogne, de la Lorraine, du
Barrois, du Dauphiné, de la Provence, du comté de Forcalquier et de la
principauté d'Oranges, du royaume d'Arles, provinces qui relevaient de
l'Empire, de rompre les liens de vassalité et d'obéissance qu'ils avaient pu
contracter au détriment de l'empereur, et les déliait des serments de
fidélité qu'ils avaient pu prêter. C'était en quelque sorte démembrer la
France que de faire revivre ces prétentions surannées le coup était dirigé
contre Philippe le Bel, mais il ne l'atteignit pas[74]. Le 10
juin, une grande assemblée fut réunie au Louvre en présence du roi. Les
comtes d'Évreux, de Saint-Pol et de Dreux, et Guillaume de Plasian
demandèrent que l'Église fût gouvernée par un pape légitime. Tous les crimes,
toutes les infamies furent de nouveau imputés à Boniface. Le roi fut supplié,
en qualité de défenseur de la foi, de travailler à la convocation d'un
concile général : il y consentit[75]. Le 24
juin, jour de la Nativité de saint Jean, il y eut une grande réunion de
peuple dans le jardin du Palais ; maitre Bertrand de Saint-Denis fit un
sermon en français, et prit pour texte ces paroles de saint Luc : « Il
sera grand devant le Seigneur » (Luc, I, 15), paroles qu'il appliqua d'abord
à saint Jean, puis au roi de France. Après le sermon, on donna lecture des chefs
d'accusation contre Boniface, et on publia l'appel fait par le roi au futur
concile[76]. J'ai
fait connaître de quelle manière les adhésions à l'appel au futur concile
furent recueillies par les agents du roi : on employa la violence et
l'intimidation pour les obtenir. Les religieux étrangers qui osèrent résister
furent bannis du royaume[77]. L'abbé de Cîteaux, qui refusa
d'adhérer, fut arrêté par ordre du roi, et résigna ses fonctions pour ne pas
exposer son ordre à la colère du roi[78]. Les
historiens, même ceux qui sont favorables à Boniface VIII, racontent que, le
jeudi 8 septembre, le pape devait publier une bulle par laquelle il déposait
le roi. Cette bulle nous est parvenue ; elle ne renferme rien de pareil.
Boniface y prononçait contre Philippe l'excommunication qu'il avait encourue,
ce qui était bien différent d'une déposition. La bulle Petri solio excelso
ne laisse aucun doute à cet égard. Elle débute par la promesse faite par Dieu
à son Fils et à ses vicaires assis sur le trône de saint Pierre : « Tu
es mon Fils, et je t'ai engendré : demande-moi et je te donnerai les peuples
qui sont ton héritage, et l'univers entier, qui est ton bien. Tu les
gouverneras avec une verge de fer et tu les briseras comme le vase du potier. »
Cette puissance, Boniface ne veut l'exercer que pour diriger le roi dans la
voie du salut : il lui dénonce les peines qu'il a méritées. Il a d'abord
employé les doux remèdes, qui n'ont fait qu'accroître sa superbe : il se
montrera plus sévère, pour voir si les atteintes d'un châtiment léger ne lui
conseilleront pas de se corriger, à l'exemple de Nabuchodonosor ; si, au
contraire, il s'endurcit, qu'il soit plongé avec Pharaon dans un abime de
maux. Suit
une longue récapitulation de griefs : il a empêché les ecclésiastiques
français de se rendre auprès du Saint-Siège ; il a outragé un cardinal qui
allait de sa part lui offrir l'absolution, et l'a fait surveiller ; il a
voulu rompre l'unité de l'Église et porté la main sur l'abbé de Cîteaux et
sur d'autres religieux dévoués au chef de l'Église ; il a fait jeter en
prison Étienne de Bienfaite, porteur de lettres du pape ; il a donné asile
aux Colonna, malgré les sentences pontificales. Il se voit, lui, Boniface,
obligé de sévir par un juste jugement. Dans
tout ceci, il n'est pas question de déposition ni du droit des papes de
déposer les rois. Nous avons vu que la bulle Ausculta fili, la
constitution Unam sanctam, les discours des plus ardents soutiens du
pouvoir pontifical, n'avaient pas proclamé l'existence de ce droit. Qu'il me
soit permis de rechercher brièvement si avant Boniface VIII ce droit avait
été exercé. Immédiatement se présente à l'esprit la déposition de l'empereur
Frédéric II par Innocent IV, et celle de don Pèdre d'Aragon par Martin IV,
ainsi que la translation de la couronne de Naples à la maison d'Anjou par
Clément IV. La question semble résolue par ces faits, qui sont attestés par
des actes 'd'une sincérité incontestable ; mais il me semble qu'on n'a pas
suffisamment examiné les motifs qui dirigèrent ou du moins qui furent
invoqués par les trois papes que je viens de nommer. Ont-ils agi uniquement
en qualité de papes et comme revêtus de la puissance spirituelle ? Je
répondrai que non. Ils étaient, vis-à-vis de Manfred et de don Pèdre, dans
une position toute particulière : la Sicile et l'Aragon étaient des fiefs du Saint-Siège
; c'est comme seigneurs suzerains et non comme souverains pontifes, et pour
cause de trahison de la part de leurs vassaux, que Clément IV donna le trône
de Sicile à Charles d'Anjou, et Martin IV celui d'Aragon à Charles de Valois
: c'étaient là des actes purement _temporels, purement féodaux. Quant à
Frédéric II, on n'ignore pas quels étroits rapports unissaient depuis
Charlemagne la papauté et l'empire. Ces deux puissances revendiquaient
mutuellement une autorité l'une sur l'autre. L'empereur reconnaissait
toutefois une sorte de suprématie de la part du pape ; il ne pouvait porter
le titre d'empereur qu'après avoir été sacré par le pontife romain. Aucun
pape n'avait jamais élevé pareille prétention sur un roi de France ; aussi
lit-on avec étonnement le discours que Boniface tint dans un consistoire au
mois de juillet 1302. Il dit que si Philippe ne laissait les prélats français
aller à Rome, il le déposerait comme un petit garçon, et que ses
prédécesseurs avaient déjà déposé trois rois de France ; ce qui était faux.
Mais ce discours n'est rien moins qu'authentique ; il ne nous est parvenu que
dans un manuscrit du quinzième siècle, et il a pu n'être pas fidèlement
recueilli. Ce document est d'autant plus suspect qu'on y trouve une
appréciation entièrement erronée des revenus du roi de France, et d'autres
erreurs qu'on ne peut attribuer à Boniface VIII. La
publication de la bulle Petri solio excelso, en excommuniant Philippe,
le plaçait dans la situation où s'étaient trouvés avant lui le roi Robert,
Philippe Pr et surtout Philippe-Auguste. Sur ce point, Boniface VIII
n'innovait rien. Quant aux deux glaives, auxquels il est si souvent fait
allusion sous ce pontificat, ils sont souvent invoqués dans les lettres
d'Innocent IV, de Grégoire IX et d'Innocent V. Qui plus est, les
prédécesseurs de Boniface VIII prétendirent plus ouvertement que lui à la
suprématie temporelle. Grégoire
IX n'écrivait-il pas à Frédéric II : « C'est un fait notoire et
manifeste que Constantin, qui possédait la monarchie universelle, a voulu, du
consentement du peuple de Rome et de l'empire romain tout entier ; que le
vicaire du prince des apôtres, qui avait l'empire du sacerdoce et des âmes
dans le monde entier, eût aussi le gouvernement des choses et des corps dans
tout l'univers, persuadé que celui-là devait régir les choses terrestres, à
qui Dieu avait confié sur la terre le soin des choses célestes.... Tu oublies
que les prêtres du Christ sont les pères et les maitres de tous les rois et
de tous les princes chrétiens.... D'où te vient cette audace de juger les
décisions de notre conscience, dont le seul juge est au ciel, quand tu vois
les tètes des rois et des princes se courber aux genoux des prêtres ?[79] » ' ? » Jamais. Boniface
VIII n'alla aussi loin, mais il commit une faute grave : il réduisit en
doctrine dans la constitution Unam sanctam les prétentions que ses
prédécesseurs s'étaient contentés de formuler d'une manière spéciale. II eut
un autre tort, et c'est celui qui lui attira sans retour l'inimitié de
Philippe le Bel ; il convoqua le concile de Latran pour réformer le
gouvernement du roi de France. Les rois avaient bien pu accepter avec
soumission des conseils paternels donnés dans le secret de la correspondance
; mais il leur était impossible de tolérer qu'un pape les mit solennellement
en cause, et instruisit publiquement leur procès, quand on n'avait pas à leur
reprocher de fautes contre la foi. La convocation du concile de Latran et la
promulgation de la bulle Unam sanctam furent de la part de Boniface
VIII des actes d'une grande imprudence, qui le précipitèrent à sa perte, et
dont e mauvais succès, loin d'augmenter la puissance temporelle du
Saint-Siège, l'affaiblit et réduisit, par suite d'une réaction inévitable, la
papauté à la soumission de Benoît XI et de Clément V. On sait
comment, au mépris du droit des gens, Boniface, VIII fut arrêté dans Anagni,
la veille même du jour où l'excommunication du roi de France allait être
affichée publiquement. Quelle part Philippe le Bel eut-il à cet événement ?
C'est un point qui n'a pas été encore examiné et que je vais essayer
d'éclaircir. Le récit de la captivité de Boniface VIII généralement répandu
ne me parait pas puisé à des sources entièrement digues de foi[80]. Il repose en partie sur Jean
Villani, qui écrivait au milieu du quatorzième siècle[81], et qui a été souvent convaincu
d'erreur, et sur l'Anglais Walsingham, historien encore plus récent[82]. On n'a
pas tiré parti de la confession de Nogaret et du récit d'un des principaux
conjurés, Rinaldo de Supino[83]. Nogaret
raconte que le roi l'avait envoyé à la cour de Rome signifier au pape l'appel
au futur concile, et le sommer de réunir ce concile ; mais le pape, qui ne se
sentait pas en sûreté à Rome, au milieu d'une population qui lui était
hostile, se retira dans sa ville natale, à Anagni. Nogaret n'osa l'y
rejoindre ; ayant appris qu'il allait lancer l'excommunication contre le roi,
il voulut le prévenir et résolut d'employer la force. Il s'était adressé au
roi de Naples ; mais il parait ne l'avoir pas trouvé favorable à ses projets
de violence ; il proposa ensuite aux Romains de lui prêter main-forte pour
défendre l'Église opprimée par un usurpateur, un hérétique et un tyran[84]. Les Romains n'osèrent pas lui
donner leur appui par peur du pape : il se tourna enfin vers les gibelins de
la Romagne, et s'aboucha avec Rinaldo de Supino, ennemi mortel de Boniface,
capitaine de la' ville de Ferento, et lui proposa de l'accompagner à Anagni,
pour contraindre Boniface à la réunion d'un concile. Le
projet plut à Rinaldo et à ses amis ; mais ils ne voulurent pas s'engager
sans obtenir une promesse formelle d'être mis à l'abri, parle roi de France,
des suites spirituelles et temporelles de leur participation à une attaque
contre la personne du pape. Nogaret les rassura en leur faisant lire et en
leur donnant copie authentique du plein pouvoir que Philippe lui avait donné
de traiter et conclure des alliances en son nom, s'engageant à ratifier tous
les engagements qu'il prendrait : c'était un véritable blanc-seing[85]. Nogaret promit donc au nom du
roi ce que demanda Rinaldo ; il stipula aussi que ses nouveaux alliés
seraient payés de leur peine. Mais Rinaldo avait des scrupules. En vain
Nogaret disait-il agir en bon catholique et ne travailler que pour le bonheur
de l'Église, les Italiens savaient le danger qu'ils couraient en attaquant
ouvertement un pape. Ils exigèrent que Nogaret marchât le premier avec
l'étendard du roi de France, se contentant d'un rôle secondaire qui laissait
à Nogaret et à Philippe l'honneur et le danger. Nogaret
dut en passer par ces exigences, quoique à regret, car cette dernière
condition dérangeait ses plans. Cet hypocrite jetait les yeux sur l'avenir et
voulait se ménager sinon une excuse, du moins un prétexte. Il s'était tracé
le rôle de champion de la foi et de défenseur de l'Église : or, marcher sous
la bannière fleurdelisée, c'était agir en soldat du roi de France, c'était se
dépouiller de l'impunité. Il sut résoudre cette difficulté. Il avait promis
de marcher sous la bannière du roi de France, mais il ne s'était pas interdit
de déployer aussi l'étendard de l'Église romaine. Ce fut donc précédé du
gonfanon de saint Pierre[86], porté par honneur avant la
bannière de France, qu'il pénétra dans Anagni, dans la nuit du 6 au 7. Il
avait avec lui une troupe de cavaliers et de fantassins, sous les ordres de
Rinaldo et de Sciarra Colonna, auquel le désir de se venger faisait braver tous
les périls. Le capitaine de la ville avait été gagné. La petite armée trouva
les portes ouvertes et entra en criant : Vive le roi de France ! Mort au
pape ![87] Les
neveux de Boniface se défendirent : on fit des barricades ; Nogaret et les
siens durent faire la guerre des rues ; ils arrivèrent ainsi, après une série
de combats, devant le palais. Pendant qu'une partie des assaillants
cherchaient à enfoncer les portes, quelques-uns mirent le feu à la
cathédrale, qui avait une communication avec la demeure du pape, et
pénétrèrent dans le palais. Tout fut perdu dès lors pour Boniface. Il fut
grand dans son malheur : il se revêtit des ornements sacerdotaux et monta sur
son trône[88]. L'histoire n'a que de
l'admiration pour les vieillards romains qui attendirent sur leurs chaises
curules l'arrivée des Gaulois : l'action de Boniface était encore plus digne
et plus grande. Nogaret
lui signifia l'appel au concile et le somma de le convoquer, lui promettant
la protection du roi. Boniface ne daigna pas lui répondre. Sciarra Colonna le
menaça : « Voici mon cou, voici ma tête » ; telle fut la réponse de
Boniface, qui s'avança comme pour se livrer. Sciarra voulut le frapper ;
Nogaret l'en empêcha. Comme il voulait s'en faire un mérite auprès du pape,
il s'attira cette méprisante apostrophe : « Je nie console de me voir
poursuivi par des patarins pour la cause de l'Église. » C'était une
sanglante allusion au grand-père de Nogaret, qui avait été brûlé comme
hérétique — en langue vulgaire patarin. On
prétend que Colonna le frappa de son gantelet au visage, qu'on l'attacha sur
un âne, la tête tournée du côté de la queue ; et qu'on le promena dans Anagni
au milieu des outrages ; mais ce sont là des récits que l'on doit rejeter[89]. Il parait certain que la
personne de Boniface fut respectée[90]. Nogaret se contenta de le
tenir comme en captivité et de l'obséder pour le faire consentir à la réunion
d'un concile. Boniface fut inébranlable. Nogaret ne savait que faire,
lorsqu'au bout de trois jours le peuple d'Anagni, honteux de sa trahison,
vint réclamer Boniface[91]. Nogaret fut contraint de
s'enfuir ; l'étendard du roi fut traîné dans la houe ; de la cavalerie venue
de Rome poursuivit Nogaret, qui trouva un refuge à Ferento[92]. Boniface
revint à Rome[93], où il mourut quelques jours
après. Ainsi périt misérablement, après un règne de huit ans et dix mois,
Boniface VIII, laissant la réputation d'un ambitieux qui avait reçu son
châtiment. On ne saurait nier qu'il n'aimât à dominer. Il était doué d'une
âme forte et peu commune : l'extérieur de sa personne révélait ces qualités.
Quand, an dix-septième siècle, on déplaça son tombeau en reconstruisant
Saint-Pierre de Rome, on trouva son corps dans un état de conservation
parfaite[94]. Sa taille était élevée, son
front large, ses mains belles ; son visage était empreint d'un air de
sévérité et de hauteur[95]. Les
historiens ecclésiastiques eux-mêmes ont avoué que ce pape avait plutôt les
qualités d'un roi que d'un pontife[96]. Et cependant telle était
l'autorité de la papauté, que Philippe n'osa l'attaquer de front. L'élection
de Boniface VIII, du vivant de Célestin V, avait répandu dans beaucoup
d'esprits des doutes sur la valeur de cet acte. Philippe profita de cette
circonstance pour prétendre que Boniface n'était point pape : ce fut
l'indigne, l'intrus qu'il poursuivit. Il est probable qu'il n'aurait jamais
eu la témérité d'intenter un procès à un pape élu dans les conditions
ordinaires, ou que, s'il l'avait fait, son entreprise aurait tourné contre
lui. Les
ardeurs de la lutte donnèrent naissance à de nombreux écrits, dont les
auteurs prirent en main la défense de l'indépendance des rois. Dans cette
lutte se distinguèrent Jean de Paris[97], Guillaume d'Occam et surtout
Pierre Dubois[98]. Ce dernier osa même proposer à
Philippe le Bel la suppression du pouvoir temporel des papes, afin d'en
investir le roi et de faciliter par-là, ce qui était l'objet de ses rêves, la
monarchie universelle au profit de la France. Dubois développa ce projet
hardi dans un mémoire qui fut remis à Philippe le Bel. Il espérait arriver à
son but par des voies pacifiques. Il invitait le roi à suggérer au pape de
céder son pouvoir temporel, moyennant une pension égale aux revenus du
patrimoine de saint Pierre, transaction avantageuse au souverain pontife, qui
ne jouissait pas en paix de ses domaines, par suite des révoltes perpétuelles
de ses sujets. « Vieillard pacifique — c'est Dubois qui parle —, le pape
ne peut réprimer par les armes les rébellions. Veut-il employer la force ? Il
éprouvera des résistances, la guerre éclatera : des milliers d'hommes
périront, dont les âmes descendront en enfer, âmes qu'il avait charge de
défendre et de sauver. Il ne doit prétendre à d'autre gloire qu'à celle de
pardonner, d'annoncer la parole de Dieu et de rappeler à la concorde les
princes chrétiens. Mais quand il se montre auteur et promoteur de tant
de guerres et d'homicides, il donne un exemple pernicieux : il fait ce qu'il
déteste, ce qu'il blâme, ce qu'il accuse, ce qu'il empêche chez les
autres.... Quel est l’homme qui oserait se donner pour capable de manier l'un
et l'autre glaive dans de si vastes états ?[99] » Le
pouvoir temporel des papes ne fut pas seul attaqué : quelques-uns des
arguments s'égarèrent contre la discipline et contre le dogme. Dubois osa
bien proposer au roi l'abolition du célibat des prêtres ; on alla plus loin[100] : on fit circuler une fausse
bulle attribuée à Boniface VIII, habilement talquée sur les constitutions
apostoliques, qui relevait le clergé du vœu de chasteté et lui permettait le
mariage[101]. Jean de Paris nia la
transsubstantiation et professa sur le mystère de l'eucharistie une doctrine
voisine de celle de Luther[102]. Mais le véritable résultat du
différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII fut la reconnaissance par
tous de l'indépendance de la couronne. * * * * * * * * * *
CHAPITRE DEUXIÈME. — CLÉMENT V ET LES TEMPLIERS.
Effet produit en
France par la mort de Boniface VIII. — Élection de Benoit XI, qui absout
Philippe le Bel. — Il meurt : soupçons invraisemblables auxquels cette mort a
donné lieu. — Élection de Clément V. — Examen de la question si cette
élection fut le fruit des intrigues de Philippe le Bel. Complaisance de ce
nouveau pape envers le roi. — Nominations directes aux évêchés par le pape à
la demande du roi. — Graves négociations entre le pape et le roi. — Dès 1305
il est question des Templiers. — Puissance incroyable de cet ordre militaire
et religieux. — Projets de réforme qui échouent. — Les Templiers sont arrêtés
par ordre du roi. — Indignation du pape. — Philippe le Bel fait répandre des
pamphlets contre Clément V pour le forcer à abolir l'ordre du Temple. — Il
joue le rôle de défenseur de la foi. — Il force Clément de faire le procès à
la mémoire de Boniface VIII. — Il obtient, au moyen des états généraux, le
procès, puis l'abolition des Templiers au concile de Vienne, par le pape,
malgré l'avis du concile. — Examen des griefs imputés aux Templiers. —
Condamnation et supplice du grand maitre. — Philippe s'enrichit par la
suppression des Templiers.
Le
déplorable triomphe que venait de remporter Philippe le Bel le mettait dans
un singulier embarras. C'était lui, le roi très-chrétien, le, fils aîné de
l'Église, le petit-fils de saint Louis, le descendant de ces rois auprès
desquels le Saint-Siège avait toujours trouvé un appui dans l'adversité, qui
avaient été l'objet de toutes les complaisances des papes, c'était lui qui
venait de briser, par un attentat inouï, cette alliance qu'il semblait
impossible de rompre, et dont dépendait, aux yeux de tous, la stabilité de
l'Église romaine et de la royauté française. Mariage
est de bon devis De
l'Eglise et des fleurs de lis, Quand
l'un de l'autre partira Chacun
d'eux si s'en sentira[103]. Tel fut
l'effet que produisit en France la nouvelle de l'arrestation et de la mort de
Boniface. Une lettre confidentielle de Nogaret au roi fait connaître la
situation difficile où se trouvait Philippe[104]. Les prélats les plus illustres
de l'Église gallicane, tout ce que le clergé comptait d'hommes fameux par
leur science ou leurs vertus, étaient partisans de Boniface : la plupart
n'attendaient que le moment de se déclarer contre le roi, et ils repoussaient
comme des calomnies les accusations portées contre le pape. Des princes, de
hauts personnages, des amis du roi, partageaient cette opinion et trouvaient
que Philippe avait sur la conscience un poids bien lourd[105]. Le passé n'était pas seul à
donner des inquiétudes : l'avenir se présentait incertain et menaçant. Aussitôt
après la mort de Boniface, le conclave se réunit à Pérouse. Nogaret se
transporta dans cette ville et protesta devant notaire contre toute élection
qui serait contraire aux intérêts de son maître[106]. L'évêque d'Ostie fut élu et
prit le nom de Benoit XI. Philippe ne pouvait espérer un choix plus favorable[107]. Le nouveau pape s'empressa de
l'absoudre, sans qu'il l'eût demandé, de toutes les sentences
d'excommunication qui avaient pu être portées contre lui, dans une bulle
remarquable où éclatait l'antique tendresse du Saint-Siège pour les rois de
France. « Ne sommes-nous pas, disait Benoit XI, le vicaire de Celui qui
a proposé pour exemple cet homme qui, donnant un festin, dit à ses serviteurs
: Allez par les chemins et forcez-les d'entrer, pour que ma maison soit
remplie ! Nous avons aussi accompli la parabole du bon pasteur, qui court
après la brebis égarée et la rapporte sur ses épaules. Comment ne te
contraindrais-je pas d'entrer, et quelle ouaille est aussi grande, aussi
noble, aussi illustre que toi ? » Philippe
lui envoya une ambassade pour le féliciter de son avènement ; Benoît annula
toutes les bulles de Boniface, soit contre le roi, soit contre le royaume ;
Il leva toutes les excommunications encourues. Les Colonna furent absous[108]. Il y eut un pardon général,
dont ne furent exceptés que Nogaret et les auteurs de l'attentat d'Anagni[109]. Benoît XI mourut au mois
d'août 1304, après sept mois de règne, laissant l'Église pacifiée et la
concorde rétablie entre le Saint-Siège et la France. Il avait défait, à
l'applaudissement général, tout ce qu'avait fait Boniface VIII, et, en tenant
cette conduite, il n'avait cédé ni aux menaces de Philippe, ni à une haine
personnelle contre Boniface : il avait agi selon les intérêts de la papauté. Depuis
le milieu du treizième siècle, la situation des papes était précaire en
Italie. Le patrimoine de saint Pierre était envahi par les familles
patriciennes, qui faisaient de chaque ville un repaire de tyrans. A Rome
même, le pape n'était rien entre les deux factions des Colonna et des Orsini.
Innocent III avait été réduit à s'échapper de Rome, où il était captif.
Pérouse était devenue la résidence ordinaire des papes[110]. Boniface ne se sentait en
sûreté qu'à Anagni. Un seul appui désintéressé, la France, qui ne refusa
jamais aide au faible et ne vendit jamais son secours ! De cet ami fidèle,
Boniface avait fait un ennemi. Philippe pouvait à son tour dire au
Saint-Siège ce que Boniface lui avait dit dans un mouvement d'orgueil : « Si
je t'abandonne, qui te soutiendra ? » Cette
bonne harmonie, Benoît XI eut la gloire de la rétablir. Il mourut inopinément
: on a parlé de poison ; on a été plus loin : on a prononcé le nom de
Philippe le Bel. Cette accusation ne se trouve pas dans les chroniqueurs
contemporains, sauf dans un seul. Pour qui connaît la situation, c'est là une
absurde calomnie. Philippe avait intérêt à ce que Benoît XI vécût. Où
aurait-il trouvé un pontife plus ami que celui qui s'était empressé de le
relever de toutes les censures portées par Boniface ? Il y a plus, la mort de
Benoît était si peu utile au roi de France, qu'elle remit tout en question.
Un nouveau pape, favorable à Boniface, pouvait être élu et chercher à le
venger. Le
conclave se réunit à Pérouse : les cardinaux restèrent enfermés pendant dix
mois sans pouvoir s'entendre. Enfin leur choix tomba sur Bertrand de Got,
archevêque de Bordeaux. Une vieille histoire, qu'on trouve dans Villani,
raconte que les cardinaux, pressés par le peuple et par les ambassadeurs
étrangers de prendre une résolution, et ennuyés eux-mêmes de leur longue captivité,
firent un compromis : les partisans.de Boniface devaient présenter trois
candidats, parmi lesquels choisirait le cardinal de Prato, chef du parti
contraire. Au nombre des trois candidats fut Bertrand de Got, archevêque de
Bordeaux, ennemi de Philippe le Bel, mais avide d'honneurs, de pouvoir et
surtout d'argent. Un tel homme devait convenir à Philippe ; aussi le cardinal
de Prato le lui recommanda comme facile à corrompre. Philippe alla trouver
l'archevêque dans une abbaye près de Saint-Jean-d'Angély, et s'adressant à
lui : « Sire archevêque, j'ai dans ma main de quoi vous faire pape, si je
veux, et c'est pour cela que je suis venu. » Et il lui montra le compromis
des cardinaux. Bertrand se jeta à ses pieds ; le roi lui posa cinq
conditions, et réserva une sixième. Bertrand jura de les remplir, et, par
l'ordre du roi, le cardinal de Prato le désigna comme pape. J'ai
résumé le récit de Villani, qui n'omet aucune circonstance de lieu et de
temps. Cette histoire est invraisemblable, même par sa trop grande précision
: on en a prouvé l'inexactitude et la fausseté[111]. Mais si Philippe n'a pas eu
d'entrevue à Saint-Jean d'Angély, si l'élection de Clément V n'a pas été le
résultat d'un compromis, faut-il en conclure que tout est faux dans le récit
de Villani et que Clément n'a pas été élu par l'influence de Philippe le Bel[112] ? Je ne le crois pas. Le
récit de Villani est une légende : or toute légende repose sur un fait que
les détails merveilleux dénaturent souvent, mais dont la donnée première est
conforme à la vérité. Le point de départ du récit de Villani est la
soumission de Clément V à Philippe le Bel. Or, cette soumission ne saurait
être mise en doute ; elle n'est que trop prouvée par les actes du pontificat
de Bertrand de Got. D'ailleurs des historiens contemporains dignes de foi
attribuent l'élection de Clément V à l'or de Philippe le Bel[113]. Le
pontificat de Clément V ne fut en effet qu'une suite de concessions aux
exigences insatiables du roi. Les décrets de Boniface VIII contre Philippe le
Bel furent biffés sur les registres du Vatican[114]. La bulle Unam sanctam
fut déclarée inapplicable à la France. J'ai lu avec attention la
correspondance intime de Philippe et de Clément[115], et je déclare qu'on ne
comprend la servile obéissance du pape que si l'on suppose des engagements
antérieurs à son élection. Avant de montrer à quels actes politiques Philippe
le contraignit de donner son adhésion, au mépris de la dignité et des droits
du Saint-Siège, je vais faire voir en quelques mots ce que devinrent sous son
pontificat les libertés de l'Église de France. On ne
vit plus d'élections d'évêques par les chapitres. Philippe commandait et il
fallait obéir. Moyennant cette soumission, le roi permettait au pape de
nommer directement aux évêchés. Clément pourvut ainsi aux sièges de Langres
et d'Agen[116], d'Auxerre[117], de Bayeux, de Clermont. A
propos de Langres, il écrivait au roi : « Nous voulons préposer à ce
siège une personne agréable à Dieu, à nous, à toi et à l'Église ». Il se
réserva la nomination de l'évêque de Bayeux, afin, disait-il, de donner à
cette Église une preuve de son affection paternelle[118]. Le roi prétendait bien
profiter de ce droit de nomination qu'il laissait au pape, pour placer ses
propres créatures. En 1309, il demanda à Clément V de donner l'archevêché de
Sens à son conseiller Philippe, évêque de Cambrai. Clément refusa, vu l'importance
du siège. — Philippe renouvela trois fois sa demande et Clément céda à ses
instances, mais il pria le roi de ne plus l'importuner sans extrême nécessité
par de semblables demandes, contraires à ses intentions. La chancellerie
romaine expédia une bulle solennelle — ad perpetuam rei memoriam — où
le pape disait que, voulant mettre à la tête de l'Église de Sens un homme
selon son cœur, qui pût en soutenir le fardeau et l'honneur, pour des causes
graves et raisonnables qui auraient déterminé ceux auxquels il s'adressait,
et par le conseil de ses cardinaux, il s'en était réservé la nomination[119]. On sait quelles étaient ces
causes déterminantes. Clément V était sévèrement puni : chaque jour
renouvelait son humiliation et sa faiblesse. —Philippe était sans pudeur.
Dans la même lettre où il remerciait le pape d'avoir nommé son candidat à
l'archevêché de Sens, il le priait de donner l'évêché de Cambrai à l'un de
ses familiers, Guillaume de Trie[120]. Une autre fois, il demandait
l'archevêché d'Orléans pour Pierre de Laon, son clerc. Les papes disposaient
souvent des bénéfices ecclésiastiques avant qu'ils fussent vacants : on
appelait cela des grâces expectatives. L'abus était ancien ; il donna lieu à
Chartres à une scène scandaleuse entre deux expectants, l'un nommé par Benoît
XI, l'autre par Clément V. Ce dernier ayant été investi d'un bénéfice au
détriment de son compétiteur, celui-ci se précipita sur son rival dans le
chœur de la cathédrale, lui arracha ses ornements, et interrompit par ses
violences le service divin[121]. Le roi
se fit concéder de nombreux décimes par le pape ; mais qu'étaient ces
exigences en comparaison de celles qu'il lui imposa, et qui, au dire de
Villani, ou plutôt suivant la rumeur publique, étaient le résultat d'un
traité. Philippe envoya à Clément V, après son élection, des ambassadeurs qui
traitèrent avec lui des questions, si graves, que le roi et le pape jurèrent
de n'en parler à personne ; mais Philippe supplia Clément de lui permettre de
faire connaître ce secret à trois ou quatre de ses conseillers. Dans la
réponse qu'il fit à cette demande, Clément abandonna à sa discrétion le choix
de ses confidents, « car nous sommes certain, disait-il, que tu ne révéleras
ces choses qu'à des personnes que tu sauras être pleines de zèle et d'amour
pour notre honneur et le tien. » Dans la même lettre, il l'invitait à
assister à son couronnement[122]. J'ai acquis la preuve que ces
négociations avaient un double objet : la condamnation de Boniface VIII et la
suppression de l'ordre du Temple. L'abolition
de la milice du Temple est le grand scandale du pontificat de Clément V et
une des iniquités du règne de Philippe le Bel. C'est un des mystères de
l'histoire les plus obscurs. Les nombreuses pièces du procès donnent les
motifs, mais non les causes véritables de cette mesure terrible, qui frappa
l'Église et la noblesse. Il y a plusieurs causes, à mon sens, qui, réunies,
décidèrent le roi à cet acte de rigueur. Les Templiers étaient riches et
puissants ; leur puissance créait des dangers à la royauté ; leurs trésors
excitaient la convoitise. Philippe devait être tenté de se les approprier et
de relever ainsi les finances épuisées de l'État. Fondé
au commencement du douzième siècle, l'ordre du Temple avait pour objet la
défense des lieux saints : moines et soldats, les Templiers réunissaient les
deux forces qui se partageaient le monde, la croix et l'épée ; leur caractère
sacré joint à leur brillante valeur, la noblesse de la plupart des frères,
leur attiraient les respects de tous. Ils
avaient acquis, en moins de deux siècles, d'immenses richesses. Quand on
étudie les actes qui constatent leur fortune, on a la révélation de leur
puissance[123]. Dans
toute la Normandie, province où les habitants des campagnes étaient libres et
pouvaient disposer de leurs biens, les donations faites par les paysans aux
chevaliers du Temple sont innombrables. Dans les chartes qui relatent ces
libéralités, le motif allégué par les donateurs est le salut de leur âme ; le
motif réel était le besoin de protection qu'ils ressentaient et qu'ils
trouvaient auprès des Templiers, qui à l'influence morale du prêtre
joignaient la puissance de l'homme de guerre[124]. Toutes les classes de la
société participaient ik ce besoin. Pour le satisfaire, les propriétaires
donnaient une partie de leurs biens ; les artisans et les ouvriers, qui ne
possédaient que leur personne, s'engageaient et se soumettaient aux
Templiers, non qu'ils abdiquassent entièrement leur liberté, qu'ils se
fissent serfs, mais ils devenaient ce qu'on appelait les hommes de leurs
nouveaux maîtres. Ils prêtaient hommage et payaient chaque année un faible
cens de quelques deniers, eu signe de dépendance et de subjection. Quel
mobile pouvait pousser des hommes libres à engager ainsi leur liberté ? Un
grand nombre de chartes nous le font connaître, entre autres une où Guérin,
pêcheur à Condé en Brie, homme libre et franc, se fait l'homme des Templiers
de Choisy, pro commodo et utilitate sua, ut ei videbatur, et ad vitanda
factura pericula[125]. Ces périls si redoutables
étaient les poursuites des baillis seigneuriaux, et ce fut pour s'y
soustraire que nombre d'ouvriers s'avouèrent les hommes du Temple. Ces
actes ne sont autre chose que l'ancienne recommandation, qui fut si fréquente
à la fin de la deuxième race, époque où les hommes libres achetaient leur
repos en se choisissant un maitre. Les mêmes causes, tant qu'elles
subsistèrent, amenèrent les mêmes effets. Cette attraction des classes
inférieures vers le Temple souleva des réclamations. Philippe fut obligé de
donner l'ordre au bailli de Touraine de réprimer les Templiers qui
accueillaient les hommes du chapitre de Saint-Martin de Tours[126], et cependant il les entourait
de respect et de faveurs. En 1295, il amortit gratuitement leurs nouvelles
acquisitions jusqu'à concurrence de la valeur de mille livres[127]. It exempta leurs hommes de
corps des impôts extraordinaires[128]. En 1304, il leur donna des
lettres d'amortissement général pour tous leurs biens, dans des termes de
bienveillance et d'affection[129]. Mais
avec la puissance était venu l'orgueil : le but de l'institution avait été
souvent oublié. La conduite des Templiers en Orient[130] et leur rivalité avec les
chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem fixèrent l'attention du Saint-Siège dès
le milieu du treizième siècle[131]. Le pape Grégoire X voulut,
pour secourir plus efficacement la terre sainte, réunir les deux ordres. Le
concile de Lyon rejeta cette proposition, en prévision de l'opposition des
rois de Castille et d'Aragon[132]. Ce projet fut repris en 1291.
Le grand maitre du Temple consulté déclara cette cession impossible à cause
de l'inimitié qui divisait le Temple et l'Hôpital. On
raconte qu'un templier enfermé dans une prison royale à cause de ses crimes,
fit à un compagnon de captivité d'étranges confidences sur de graves
désordres qui se passaient dans le Temple, et que le plus grand secret avait
jusqu'alors dérobés à la connaissance du public. On parlait de pratiques
hérétiques, d'apostasie et de mœurs dépravées. Le confident du templier
révéla cette conversation, dont le bruit arriva jusqu'au roi, qui fit prendre
des informations. Il eut à ce sujet un entretien à Lyon, lors des fêtes du
couronnement, avec Clément V, qui refusa d'y ajouter foi[133]. En
1306, les Templiers rendirent au roi un service qu'il ne leur pardonna pas.
Dans une émeute, causée par les brusques variations des monnaies, les
Parisiens insultèrent Philippe, qui trouva un asile dans le Temple, où ils le
tinrent assiégé pendant plusieurs jours. Le roi de France réduit à se mettre
sous la protection des Templiers dans sa capitale ; c'était trop humiliant
pour Philippe, qui put juger par lui-même de leurs richesses.et de leur
puissance. Dès lors leur perte fut irrévocablement arrêtée. Le misérable état
d'anarchie où se trouvait l'Italie, déchirée par les factions des Noirs et
des Blancs, ne permettait pas à Clément V de songer à retourner en Italie. De
Lyon, il se rendit à Cluny et de là à Bordeaux, en passant par Nevers,
Bourges et Limoges : il allait d'abbaye en abbaye, avec toute sa cour. Ce
voyage, pendant lequel il se faisait défrayer par les églises qu'il visitait,
souleva les malédictions du clergé, qu'il ruinait[134]. L'archevêque de Bourges, le
fameux Gille Colonna, fut réduit, après avoir reçu la visite du pape, à
solliciter sa part dans les distributions de vivres faites aux chanoines de
sa métropole[135]. La plupart des églises
s'endettèrent et devinrent la proie des usuriers. Les
prélats se plaignirent ; Philippe accueillit leurs plaintes avec empressement
et envoya au pape une ambassade menaçante, composée d'un maréchal de France
et de deux chevaliers, lui faire des reproches. Clément s'humilia : il
répondit que sa conscience l'absolvait personnellement de ce qu'on lui
imputait, mais qu'il était homme et vivait au milieu des hommes. a Nous
n'osons pas dire, ajouta-t-il, que notre maison soit plus pure que l'arche de
Noé, oà sur huit Mus se trouva un réprouvé, ni plus sainte que la maison
d'Abraham, ni que celle d'Isaac ; et cependant, ni Noé, ni Abraham, ni Isaac
ne furent accusés. » IL s'étonnait, en terminant, de ce que ces plaintes
eussent été portées par des prélats avec lesquels il avait été lié avant son
élévation, et qu'il pouvait croire ses amis ; au lieu de publier leurs griefs
ils auraient pu l'avertir, lui ou quelqu'un de ses cardinaux[136]. Clément
V tomba gravement malade en 1306. Philippe lei ayant fait demander mie
entrevue, il proposa Toulouse. Le roi objecta l'impossibilité où il était de
s'éloigner du nord de la France et désigna Tours. Clément invoqua sa mauvaise
santé, qui lai interdisait un long voyage : Philippe fut inflexible ; il
consentit avec peine à fixer le rendez-vous à Poitiers[137]. Il ne
fut pas même exact : il arriva enfin escorté de ses frères, de ses fils et de
ses principaux barons. il renouvela ses instances pour obtenir la suppression
des Templiers : il donna de nouveaux détails qu'il avait recueillis sur les
crimes qu'il leur imputait. Clément fut ébranlé, mais n'accorda rien : il
promit d'ordonner une enquête et pria le roi d'en faire une de son côté. Ils
s'engagèrent à se communiquer le résultat de leurs informations et à ne
prendre de décision que d'un commun accord. Philippe
se retira mécontent, et annonça hautement le projet de poursuivre la mémoire
de Boniface VIII. Ce fut une arme qu'il tint suspendue au-dessus-de la tête
de Clément V, pour lui arracher la suppression du Temple. Le pape était
presque tenu en captivité à Poitiers. Des bruits sinistres circulèrent sur le
compte du Temple. Les Templiers, qui en furent instruits, demandèrent
audacieusement des juges au souverain pontife. Clément ne savait quel parti
prendre : Philippe se lassa de ses irrésolutions et frappa un grand coup. Le 13
octobre 1307, les Templiers furent arrêtés dans tout le royaume. Les lettres
de cachet ordonnant leur arrestation étaient accompagnées de lettres plus
amples, destinées à donner les motifs de cet acte extraordinaire. — « Une
chose amère, une chose déplorable, une chose horrible à penser, terrible à
entendre, exécrable de scélératesse, détestable d'infamie, une chose qui n'a
rien d'humain, mais attestée par de nombreux témoignages, est venue à nos
oreilles, non sans nous frapper d'une violente stupeur et d'une horreur
indicible. Notre douleur a été immense à la nouvelle de crimes énormes contre
la majesté divine, la foi orthodoxe, qui sont une honte pour l'humanité, un
exemple de perversité, un scandale public. La raison se trouble en voyant une
nature qui s'exile elle-même des bornes de la nature, qui oublie son
principe, qui méconnait sa dignité, qui prodigue de soi, s'assimile aux bêtes
dépourvues de sens ; que dis-je, qui dépasse la brutalité des bêtes
elles-mêmes ![138] » Cet
exorde éloquent était suivi de l'énumération des crimes imputés aux
Templiers. Nul
n'est admis dans leur ordre qu'après avoir renouvelé le supplice de
Notre-Seigneur Jésus-Christ, en le renonçant trois fois et en crachant sur le
crucifix. Après
ce sacrilège, le nouveau Templier baise trois fois celui qui le reçoit, sur
le derrière, sur le nombril, sur la bouche. Ils s'obligent ensuite par
d'horribles serments à ne refuser à leurs frères aucune complaisance infatue. Philippe
ajoutait qu'il en avait conféré avec le pape. Cette
lettre, répandue dans le peuple et lue avidement, produisit l'impression
désirée. Nul, ne douta de la culpabilité des Templiers, en voyant l'Église
d'accord avec le pouvoir temporel pour frapper un ordre religieux. Cet
accord entre le roi et le pape, que Philippe annonçait, était-il réel ? Les
historiens ecclésiastiques, s'inclinant devant l'autorité pontificale, n'ont
pas osé absoudre ceux qu'un pape avait condamnés. Mais cette condamnation,
bien que prononcée par Clément V, n'a pas été l'expression de sa volonté ;
elle lui fut imposée par des moyens violents et par l'intimidation. Il avait
bien promis de faire une enquête, mais il n'avait jamais consenti à
l'arrestation des Templiers. Aussi, dès que la nouvelle lui parvint par la
rumeur publique, il oublia sa dépendance pour se plaindre amèrement et
reprocher an roi d'avoir violé ses engagements[139]. Les
baillis et les sénéchaux avaient mis sous séquestre les biens des Templiers
et commencé le procès contre les membres de l'ordre. Cette procédure était la
violation de toutes les lois, car les Templiers, qu'on accusait d'hérésie,
n'étaient justiciables que des tribunaux ecclésiastiques. Les agents du roi
le reconnurent : ils s'adjoignirent les inquisiteurs de la foi, qui se
montrèrent les complices dévoués du roi, et dont le chef, Guillaume de Paris,
confesseur de Philippe, avait approuvé et même conseillé l'arrestation des
Templiers. Les baillis et les inquisiteurs réunis procédèrent avec une
révoltante iniquité. Les prisonniers furent sommés par trois fois, sous peine
d'excommunication, de révéler leurs crimes ; on promit grâce et protection à
ceux qui avoueraient ; on appliqua la torture à ceux qui soutinrent leur
innocence : il fallait des aveux à tout prix. On obtenait par les supplices
ceux que l'on n'avait pu acheter par les promesses. Les évêques aussi
intervinrent. Philippe
écrivit aux princes étrangers pour les inviter à suivre son exemple ; nous
avons les réponses de ces princes : elles servent à faire connaître le plus
ou moins d'influence de Philippe en Europe. Le roi d'Angleterre a rassemblé
ses prélats et ses barons ; ils n'ont pu ajouter foi à ce que leur mandait
Philippe : on fera une enquête. Le roi des Romains s'étonne, il attend les
ordres du pape, seul juge en pareille matière. Même réponse de l'archevêque
de Cologne, mais accompagnée de protestations du plus entier dévouement. La
lettre du duc de Brabant est tout à fait satisfaisante : « Nous avons bien
entendu ce que mandé nous avez en droit de la besoigne des Templiers. Nous
avons pris les Templiers demeuranz en nostre terre et les tenons en nostre
povoir, et leurs biens sont mis en arrêt, tout ainsi comme mandé le nous avez[140]. » Le roi de Sicile, comte de
Provence, ne fut pas moins soumis. Le comte de Flandre agit comme s'il
n'avait rien reçu[141]. Clément
suspendit les pouvoirs des inquisiteurs et des évêques, et demanda que le roi
lui remît les personnes et les biens des Templiers. Philippe n'obéit pas,
mais il envoya à Poitiers soixante-douze chevaliers du Temple, pour que le
pape les examinât et se convainquît de la réalité des accusations qu'il
portait. Ils avouèrent librement. Un Templier de la maison du pape fit des
confidences. Clément ne douta plus, mais il ne voulut pas accorder à Philippe
la suppression de l'ordre. Philippe le pressait d'aviser[142]. Des familiers du roi ayant
répandu le bruit que le souverain pontife avait abandonné au roi la direction
de cette affaire, Clément protesta[143]. En fin de compte, il ne
prenait aucune décision. Philippe résolut de lui faire peur. On fit circuler
des libelles hardis où l'on reprochait à Clément d'être vendu aux Templiers,
et où l'on reconnaît la main du pamphlétaire officiel, de Pierre Dubois. L'un
de ces pamphlets, que l'on supposait être une requête adressée par le peuple
au roi, débutait ainsi : « Le
pueble du rosauine de France, qui tous diz (toujours) a esté et sera par la grave de
Dieu dévost et obéissant à Sainte Église plus que nul autre, requiert que
leur sires li rois de France, qui puet avoir acès à nostre père li pape, li
monstre que les a trop fort corrociés et Brant esclandre commeu entre eus,
pour ce que il ne fait semblant fors que de parole de faire punir, non pas la
bougrerie des Templiers mais la renoierie aperte par leurs confessions faites
devant son enquisetcour et devant tant de prélats et d'autres bonnes gens. »
Viennent ensuite les plus injurieuses insinuations contre Clément. « Pour
quoy le pueble ne set penser raison de cest délay ne de tele perversion de
droit, fors que il cuident que ce soit voir (vrai) que l'on dit communémant : que
grandemant d'or doné et promist leur nuist. » Suivent des reproches directs
sur les grands biens qu'il avait donnés à son neveu et à ses amis, et des
menaces[144]. Un
autre libelle, dû à la même plume, ne craignit pas de toucher aux questions
les plus graves : c'était une prétendue lettre du roi au pape. Clément y
était accusé d'une coupable négligence pour les intérêts de la foi. Sa
tiédeur encourageait les Templiers et affligeait l'Église de France. « Qu'il
prenne garde, car il est soumis aux lois ecclésiastiques. » Le roi n'est pas
un accusateur ni un dénonciateur, mais le ministre de Dieu, le champion de la
foi catholique, le zélateur de la loi divine, armé, conformément à la
tradition des saints pères, pour la défense de l'Église, dont il doit rendre
compte à Dieu[145]. Un
troisième pamphlet, encore plus audacieux, expliquait ce que prétendait faire
Philippe en se proclamant le champion de la foi. On y posait en principe que
l'hérésie était un crime qu'il appartenait aux princes de punir : on citait
Moise, qui avait fait mettre à mort vingt-deux mille Israélites coupables d'avoir
adoré le veau d'or, et cependant Moise n'était pas prêtre, le sacerdoce
appartenait à son frère Aaron. En frappant les Templiers, le roi
très-chrétien se rendra digne de cette béatitude que Dieu a promise par la
bouche de son prophète, par ces paroles : Beati qui faciunt judicium et
justitiam in omni tempore[146]. Clément
résistait toujours. Philippe eut recours aux états généraux. Il joua avec une
grande habileté ce rôle de défenseur de la foi qu'il avait pris et auquel il
associait la nation, exécutant ainsi la menace qu'il avait fait adresser à
Clément. Dubois avait dit : « Les Templiers sont des hérétiques ;
l'hérésie est un crime contre Dieu, qui est la tête de l'Église. Le bras
droit, c'est-à-dire le pouvoir ecclésiastique, doit veiller à ce que la tête
soit respectée, sinon ce devoir incombe au bras gauche, c'est-à-dire au
pouvoir temporel. Si ce dernier reste dans l'inaction, les membres
inférieurs, c'est-à-dire le peuple, se lèveront pour la défense du chef[147]. » La
circulaire que le roi expédia aux communes pour les inviter à envoyer des
députés aux états généraux, est un curieux monument de cette politique qui
faisait prendre en main par le chef de l'État la défense de l'Église contre
un de ses membres lm plus illustres, et qui tendait à substituer en matière
de foi k pouvoir séculier à l'autorité ecclésiastique. « Nos
ancêtres, disait-il, se sont toujours distingués entre les princes par leur
sollicitude à extirper de l'Église de Dieu et du royaume de France les
hérésies et les autres erreurs, défendant comme un trésor inestimable, coutre
les voleurs et les larrons, la foi catholique, cette perle précieuse. »
Il déclarait ensuite vouloir marcher sur les traces de ses prédécesseurs et
profiter de la paix terrestre que Dieu lui avait accordée pour faire la
guerre aux ennemis publics et secrets de la foi. « Qui peut nier le
Christ, par lequel et dans lequel nous vivons, qui s'est incarné pour nous,
qui n'a pas craint de souffrir pour nous la mort la plus cruelle ?
Aimons Notre-Seigneur, avec qui meus régnerons un jour ; vengeons sou injure
! Ô douleur ! l'erreur des Templiers, erreur si abominable, si amère, si
détestable, vous est connue. Ils reniaient Jésus-Christ, et ils forçaient
ceux qui entraient dans leur ordre à le renier ; ils crachaient sur la croix,
instrument de notre rédemption, ils la foulaient aux pieds, et, en dérision
des créatures de Dieu, ils se donnaient de sales baisers ; ils adoraient des
idoles ; ils se permettaient entre eux ce que les brutes n'osent faire. La
terre et le ciel sont ébranlés par le souffle de leurs crimes ; les quatre nombre
de chefs d'accusation[148]. Clément chargea une
commission, présidée par l'archevêque de Narbonne, d'instruire le procès de
l'ordre entier. Elle interrogea le grand maitre, Jacques de Molay, et les
autres chefs de l'ordre. Tons attribuèrent leurs aveux aux tortures
auxquelles ils avaient été exposés. Les Templiers présents à Paris nommèrent
un de leurs frères, Pierre de Boulogne, et huit autres chevaliers pour
défendre l'ordre. On entendit, depuis le mois d'octobre 1309 jusqu'au mois de
mai 1311, treize cent trente et un témoins[149]. Dans chaque province, des
conciles se réunirent pour statuer d'après les enquêtes qui avaient été
faites : ils condamnèrent les Templiers à différentes peines, les uns au feu,
d'autres à la prison ; quelques-uns furent absous. On en brilla
cinquante-neuf à Paris à la porte Saint-Antoine[150]. Mais les condamnations
individuelles ne suffisaient pas au roi : il fatiguait le pape de ses
obsessions pour obtenir la condamnation de l'ordre. Clément promit de
convoquer un concile à Vienne en 1310 pour décider cette grave affaire, et
finit par signifier qu'il ne rendrait aucun nouveau décret au sujet des
Templiers. Il manifesta l'intention de donner aux Hospitaliers les biens du
Temple ; Philippe combattit vivement cette mesure, et parla de nouveau du
procès de Boniface. Clément, las de se trouver à la merci de Philippe[151] et dans l'impossibilité de se
rendre à Rome, s'était fait céder par le comte de Provence la ville d'Avignon
et y avait transféré le Saint-Siège. Ce fut dans cette ville qu'il convoqua
tous ceux qui avaient quelque accusation à porter contre la mémoire de
Boniface. Nogaret se chargea de soutenir l'accusation. De toutes parts
arrivèrent des témoins : les parents et les amis de Boniface vinrent défendre
sa mémoire. Le procès s'instruisit avec appareil. J'ai parlé des accusations
portées par Nogaret contre Boniface ; la dignité de l'histoire serait
souillée par le récit de ce qui se passa devant la cour pontificale à Avignon
: on faisait de Boniface un monstre plus odieux que Tibère à Caprée ; les
crimes les plus atroces étaient imputés à. un homme d'une naissance
distinguée, les plus odieuses débauches à un vieillard, les plus sales
blasphèmes à un pontife. L'infamie des témoins n'inspire que da dégoût et du
mépris pour ces dépositions invraisemblables et payées. Ajoutez à cela des
ergoteries d'avocat, des chicanes de procureur. Nogaret, qui avait arrêté
Boniface VIII pour le faire juger par un concile, était devenu pour les
besoins de sa cause l'intrépide champion des droits de la papauté. Aux
défenseurs de Boniface, qui prenaient acte de ce qui avait été fait, pour
prétendre qu'un pape ne pouvait être jugé que par un concile, il opposait la
toute-puissance pontificale et soutenait qu'un pape pouvait juger et
condamner un de ses prédécesseurs. Le procès dura près d'une année, étalant
le misérable spectacle de violences, de ruses, de faux et de mensonges.
Clément ne savait comment sortir avec honneur de cette difficulté ; il lui
fallait déshonorer le Saint-Siège en déclarant Boniface hérétique, ou
s'attirer la haine de Philippe par une sentence d'absolution. Il pria le
comte de Valois d'obtenir du roi d'abandonner à sa discrétion la solution de
cette affaire ; la demande du comte fut appuyée par une partie de la
noblesse. Enfin, au mois de février 1311, Philippe s'en remit à la décision
du pape au concile de Vienne. On fit désister les accusateurs, et le procès
n'ayant plus d'objet, le pape déclara la mémoire de Boniface pure et sainte.
Nogaret fut absous. Mais ce
n'était pas là une victoire pour Clément : Philippe ne renonçait à la
poursuite contre Boniface VIII qu'à la condition de l'abolition des
Templiers. Le concile de Vienne, qui devait statuer sur le sort de cet ordre,
s'ouvrit vers la fin de l'année 1311. La
majorité des Pères fut défavorable à. l'abolition. Clément, surveillé par le
roi qui était venu à, Vienne, prononça la suppression par voie de provision
et publia cette sentence dans le concile, mais sans sa participation, en
présence du roi, de son frère, de ses fils et de toute sa cour[152]. On a vu
sous quel prétexte Philippe avait fait arrêter les Templiers ; il les
accusait de mauvaises mœurs et d'hérésie ; il insistait surtout sur ce
dernier point. On profita des interrogatoires faits en 1307 par 'ordre du
roi, pour dresser les chefs d'accusation, qui furent remis en 1308 par
Clément V aux commissaires qu'il chargea d'instruire le procès de l'ordre. Suivant
ces articles : Chaque
Templier, lors de sa réception, reniait le Christ. Ceux qui le recevaient lui
déclaraient que le Christ n'était pas Dieu, mais un faux prophète, et lui
ordonnaient de cracher sur le crucifix. Ils se baisaient sur la bouche, sur
le nombril et sur le dos. Personne n'était admis à la réception d'un
chevalier. On leur
recommandait de ne refuser à leurs frères aucune complaisance. Ils ne
croyaient pas au sacrement de l'autel. Ils
adoraient un chat. Ils
avaient des idoles en forme de têtes à une ou plusieurs faces, et ils les
adoraient. Ils
faisaient toucher à ces idoles des cordelettes dont ils se ceignaient le
corps. Ceux
qui refusaient de faire ces choses, ils les mettaient à mort ; et ils
juraient de ne jamais rien révéler. Tels
sont en substance les crimes que l'on reprochait aux Templiers. Ils peuvent
se réduire à trois principaux : reniement du Christ — idolâtrie — mauvaises
mœurs. Des savants modernes ont vu dans les cérémonies impies attribuées aux
Templiers des traces de manichéisme. La lecture des nombreuses dépositions
qui nous sont parvenues ne permet pas d'adopter cette opinion. D'abord, il ne
faut pas admettre sans examen tous les témoignages, dont la plupart furent
obtenus par la torture. Cependant il est, je crois, hors de doute que les
Templiers n'étaient reçus dans l'ordre qu'après avoir renié le Christ. Il y a
unanimité pour ce fait, tant en France que dans les pays étrangers[153]. La plupart des accusés
racontent que cette action leur avait fait horreur, mais qu'on leur avait
répondu que c'était la règle. A certains on disait que c'était une coutume
introduite par un grand maitre qui était tombé entre les mains des Sarrasins,
et n'avait obtenu sa liberté qu'à cette condition[154]. A d'autres on avait assuré que
c'était en mémoire de saint Pierre qui avait renié Jésus[155]. La plupart affirmèrent avoir
renié de bouche seulement. Il est impossible de croire que cette renonciation
ne fût pas une formule symbolique dont la signification primitive s'était
perdue ; je demanderai la permission de risquer une explication nouvelle. Un
des premiers devoirs des Templiers était l'obéissance passive. Chaque
récipiendaire s'y engageait par serment ; on le mettait immédiatement à
l'épreuve en obtenant de lui la plus grande marque de soumission qu'on pût demander,
la renonciation à sa foi. Mais cette renonciation n'était évidemment que
fictive ; car toutes les dépositions, même celles des Templiers qui
paraissent avoir été subornés pour accuser l'ordre, sont unanimes à
reconnaître comme étant en vigueur dans le Temple la pratique du christianisme[156]. De sales baisers faisaient
partie du cérémonial de la réception d'un Templier. Il y a presque unanimité
à cet égard ; cependant, tantôt c'est le récipiendaire qui les donne, tantôt
c'est lui qui reçoit ; quelquefois ils sont réciproques. Ils n’étaient pas
tous aussi sales que le porte l'acte d'accusation ; beaucoup baisaient la
bouche, d'autres le dos. On doit voir dans cette cérémonie une marque
d'humilité et de fraternité[157]. Passons
aux idoles qui ont fait soupçonner les Templiers de manichéisme : peu de
Templiers déclarent les avoir vues ; car elles n'étaient exposées que dans
les chapitres généraux. Les unes étaient un crâne humain, d'autres une tête
de bois argentée ou dorée ; toutes avaient une longue barbe ; on se prosternait
devant elles et on les adorait. Cependant, des Templiers du Midi déclarèrent
que, lors de leur réception, on leur avait fait adorer une idole barbue de
cuivre doré, en forme de Boffomet ; mais ces dépositions sont
suspectes, car selon l'un des témoins, le prêtre qui montrait cette idole
prononçait le mot arabe : I allah. Cette accusation de mahométisme
était absurde, puisque les mahométans ont toujours eu horreur du culte des
images. Ces têtes n'étaient-elles pas des reliquaires ? La cordelette dont
les Templiers se ceignaient joue un grand rôle dans les interprétations
gnostiques que l'on prétend donner des doctrines du Temple. On peut la
regarder comme un emblème de chasteté. Reste
l'accusation de mauvaises mœurs : il n'est pas vraisemblable que
l'autorisation des plus criminels désordres ait été inscrite dans la règle du
Temple, règle que nous possédons. Sans doute, un long séjour en Palestine fit
contracter A quelques Templiers des mœurs orientales ; on peut même aller
plus loin et reconnaître que de pernicieux conseils ont pu être donnés, pour
éviter tout scandale extérieur et sauvegarder au milieu des païens la
réputation de l'ordre. Je crois que c'est la seule opinion raisonnable sur
cette question ; il y aurait beaucoup d'injustice à incriminer l'ordre du
Temple tout entier, à cause des vices de quelques-uns de ses membres. Il y
avait certes de grands abus à corriger ; les Templiers étaient peut-être
devenus inutiles et même dangereux[158] ; mais on ne pouvait avec
équité les accuser d'hérésie. Or, l'hérésie fut le prétexte dont Philippe se
servit pour abattre cette puissante famille militaire et religieuse, qui
couvrait le monde de ses châteaux, dont les possessions étaient immenses, qui
avait tout un peuple de vassaux et de clients dans toutes les classes de la
société, et que ses richesses et sa puissance avaient rendue superbe. « Orgueil
de Templier », disait le proverbe, et c'est tout ce qu'on leur reprocha
tant qu'ils furent debout. Ils faisaient d'abondantes aumônes, et Jacques de
Molay pouvait affirmer, sans être contredit, qu'ils nourrissaient des
milliers de pauvres. Si l'on invoque contre le Temple les aveux de plusieurs
de ses membres, on peut répondre que les tortures arrachèrent ces aveux ; les
supplices attendaient ceux qui restaient fidèles à l'ordre, pendant qu'on
promettait le pardon et des pensions à ceux qui avoueraient. La peur des
tortures de l'inquisition fit trembler un grand nombre de chevaliers qui
étaient allés sans crainte au combat ; plusieurs se repentirent de leur
faiblesse, se rétractèrent, et donnèrent, en proclamant leur innocence sur le
bûcher, la plus grande preuve de la sincérité de leurs dernières
déclarations. A
partir du concile de Vienne, les Templiers durent être jugés selon leurs
méfaits personnels ; le jugement du grand maître et de plusieurs autres fut
réservé au pape, qui délégua trois cardinaux, devant lesquels Jacques de
Molay et les commandeurs de Guienne et de Normandie avouèrent, dit-on, ce
qu'on leur reprochait. Ils furent condamnés à une détention perpétuelle. Les
cardinaux désirant donner au public le spectacle de la condamnation du grand
maitre, firent dresser un échafaud devant Notre-Dame de Paris, et y firent
lire les aveux des Templiers ; Jacques de Molay interrompit cette lecture et
proclama que l'ordre du Temple était pur et saint. Un de ses compagnons fit
la même déclaration. L'embarras fut grand. Les Templiers furent ramenés en
prison. Jacques de Molay et son compagnon, qui avaient rétracté leurs aveux,
furent brêlés sans jugement, par ordre du roi, dans une petite ile
aujourd'hui réunie à la pointe de l'île de la Cité, et placée entre le jardin
du Palais et le couvent des Grands-Augustins. L'abbé de Saint-Germain des
Prés, qui avait toute juridiction sur cette île, se plaignit de cette
violation de ses privilèges, et le roi lui accorda des lettres de non
préjudice[159]. On
raconte que Jacques de Molay ajourna Philippe le Bel et Clément V, ses
bourreaux, à comparaître dans l'année au tribunal de Dieu[160] ; c'est là une légende
merveilleuse, mais le poète Geoffroi de Paris nous a laissé des derniers
moments du grand maître, dont il fut témoin, un admirable récit, qui jette
une grande lumière sur cet homme, dont la mort fut si courageuse et si
chrétienne ; de ce martyre, comme l'appelle Geoffroi de Paris, dont le
supplice fut pour le peuple l'objet d'une poignante pitié[161]. Molay attesta son innocence et
appela la vengeance du ciel sur ses persécuteurs. Chrétien digne des premiers
âges, il pria qu'on lui déliât les mains pour pouvoir adresser une dernière
prière ; et les yeux fixés sur l'église Notre-Dame, sanctuaire révéré de la
Vierge, la mort le prit doucement. On comprend que les témoins de cette belle
mort, voyant moins d'un an après Philippe et Clément V appelés à rendre
compte à Dieu de leurs actes, aient vu là un effet du jugement de Dieu et de
la malédiction de Jacques de Molay[162]. La
France fut le seul pays où l'on se montra cruel pour les Templiers : partout
ailleurs, on donna leurs biens aux Hospitaliers et l'on forma des ordres
nouveaux où ils furent admis. Les
causes de la suppression de cet ordre, telles que je viens de les exposer
pour la première fois et qui nous sont connues par des documents authentiques
inédits ou peu connus, furent pour les contemporains un mystère impénétrable. Francesco
Amadi, qui vivait au quinzième siècle, mais qui reproduit évidemment le récit
d'un contemporain, raconte que le trésorier du Temple prêta au roi 200,000
florins sans l'aveu du grand maitre, et qu'il fut pour cette faute chassé de
l'ordre[163]. En vain Philippe demanda sa
grâce, Jacques de Molay fut inflexible : de là, la haine du roi. Aimeri de
Peyrac, abbé de Moissac, prétend que les Templiers avaient conspiré contre
Philippe ; Walsingham attribue l'animosité du roi au désir d'établir un
royaume d'Orient au profit d'un de ses fils[164]. La
plupart des chroniqueurs français parlent avec effroi des impiétés et des
débauches des Templiers : tous racontent avec émotion leur fermeté dans les
supplices[165]. La
participation de Clément à la suppression de cet ordre célèbre a surtout paru
inexplicable : on a cru qu'il avait agi par conviction, en présence des
preuves irrécusables des crimes des Templiers. J'ai montré qu'il ne fut en
cette circonstance que l'instrument, on peut même dire la victime, de
Philippe le Bel, qui l'obséda pendant près de six années pour lui arracher
une condamnation, et qui n'y parvint qu'en le menaçant d'un scandale inouï,
de la condamnation de Boniface VIII comme hérétique. Quant aux biens des Templiers qui paraissent avoir excité la convoitise de Philippe le Bel, ils furent adjugés par Clément V à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem[166], qui était dévoué au roi[167] ; mais Philippe ne s'en dessaisit qu'à regret. Il prétendit que les Templiers lui avaient volé deux cent mille livres tournois, qu'il avait déposées au Temple[168]. Les Hospitaliers promirent de restituer cette somme. Ce ne fut pas tout : on leur fit payer soixante mille livres pour les frais du procès, qui pourtant avaient déjà été prélevés sur les revenus du Temple[169] ; on leur fit donner quittance de tous les revenus échus depuis le séquestre des biens. Il y eut successivement plusieurs transactions de ce genre, et ce fut seulement en 1315 que Louis le Hutin délivra aux chevaliers de l'Hôpital les possessions des Templiers, après les avoir contraints de lui abandonner la moitié des meubles et même des ornements d'église[170], qui étaient d'une grande valeur. La part des Hospitaliers ne laissa pas que d'être fort belle, et il y aurait de l'exagération à dire, d'après saint Antonin, qu'au lieu de s'enrichir, ainsi qu'ils l'espéraient, ils s'appauvrirent en recevant les biens da Temple[171]. Plus des deux tiers des possessions de l'ordre de Malte en France, à la fin du siècle dernier, avaient cette origine[172]. |
[1]
Au douzième siècle, Louis VII, ou plutôt Suger, eut avec Rome un grave
différend au sujet de l'ordination de P. de la Châtre connue évêque de Bourges,
en 1141. Dès lors le droit d'intervention de la couronne dans les élections fut
reconnu. Voyez la Dissertation de Brial, Mém. de l’Acad. Des inscript.,
nouv. série, t. VI, p. 360 et suiv.
[2]
Bibl. imp., cart. 170 (ancien Reg. XXXIX du Trésor des chartes).
[3]
Dupuy, Preuves du différend, p. 76.
[4]
D'abord en 1295. Rainaldi, t. IV, p. 193. Dupuy, Différend, p. 625. Mais cette
bulle resta sans exécution jusqu'en 1207. Gallia, t. XIII, Instr.,
p. 98.
[5]
Rain., p. 271, 272. Lettre du pape au roi.
[6]
Bibl. imp., cart. 170, fol. 98.
[7]
Rainaldi, t. IV, p. 80. — Bern. Guidonis, Histoire de France, t. XXI, p.
709.
[8]
Petrarca, Familiares epistolæ, lib. ep. III.
[9]
Dupuy, p. 78, d'après un manuscrit de la Bibl. de Saint-Victor. MM. 7, fol. 82
v°.
[10]
Histoire du différend du pape Boniface VIII arec Philippe le Bel, suivi de
preuves. In-folio.
[11]
Histoire des démeslez du pape Boniface arec Philippe le Bel, roy de France,
par feu Adrien Baillet. In-12. Paris, Barrois, 1718. Baillet a établi un
parallèle plus ingénieux que vrai outre la querelle de Boniface VIII et de
Philippe le Bel et le différend d'Innocent XI avec Louis XII. Il est à
remarquer que les ouvrages de Dupuy et de Baillet ont paru après la mort de
leurs auteurs.
[12]
Guillelmos de Xangiaco, Chronique de Saint-Denis. — Bernard. Guidonis.
[13]
Rainaldi, Annales ecclés., t. IV, p. 536. Fleury, Histoire
ecclésiastique.
[14]
Luigi Tosti, Storia di Bonifacio VIII. In-8°, 2 vol. Monte-Cassino,
1846. Je ne puis passer sons silence l'Histoire de la papauté pendant le
quatorzième siècle, par l'abbé Christophe. In-8°, 3 vol. Paris, 1853. M. l'abbé
Christophe a mis à profit le père Tosti.
[15]
Purgatoire, XX.
[16]
Rainaldi, Annales ecclés., t. IV, p. 189 et 190.
[17]
Dupuy, p. 27. (Lettre des légats, 20 avril 1297.)
[18]
Bibl. imp., cart. 170, fol. I. (13 juillet 1298). — Dupuy, p. 44.
[19]
Voyez la plainte du clergé dans Kervyn, Recherches sur la part de l'ordre de
Cîteaux au procès de Boniface VIII, p. 15, d'après un ancien manuscrit de
l'abbaye des Dunes.
[20]
Dupuy, p. 14. Rainaldi a publié une bulle du 15 des cal. de septembre où il est
parlé de la bulle Clericis comme nuper edita.
[21]
Cart. 170, fol. 12. Dupuy, p. 15. Rain., p. 210 (21 septembre 1296.)
[22]
Dupuy, p. 13.
[23]
Dupuy, p. 21.
[24]
Voici le titre tel qu'il est dans le cart. 170 : Pulcherrime responsiones
facto pro rege ad bullam precedentem (Ineffabilis) et ad puncta aligna in es
contenta, et est totem notabilissinum licet non sit opus perfectum, fol. 15
r°
[25]
Dupuy, p. 26, sans date.
[26]
Cet acte est transcrit dans Kervyn, Recherches, p. 22.
[27]
Rain., 137. Cette bulle n'est pas dans Dupuy.
[28]
3 juillet 1297. Dupuy, p. 39.
[29]
Rain., 235. Martène, t. I, p. 1287.
[30]
Pour la querelle de Boniface arec les Colonna on ne peut suivre un meilleur
guide que Tosti, p. 200 et suiv. — Voyez aussi Rainaldi, années 1297, 1298 et
1299 ; Franciscus Pippinus ; Feretii de Vicence, apud Muratori, t. IX ; et
Christophe, Histoire de la papauté, t. I, p. 85 et suiv.
[31]
Rainaldi, t. IV, p. 236.
[32]
Kervyn, p. 43, Lettre relatant l'audience du 25 juin 1298.
[33]
Kervyn, p. 50.
[34]
Kervyn, p. 47, 48.
[35]
Rymer, t. I, p. 200. Kervyn, p. 50.
[36]
Rain., p. 250.
[37]
Rain., p. 200.
[38]
Baillet, p. 98.
[39]
Voyez Rainaldi, p. 286 ; chap. XXXVI ; Chronique de Gilles le Muisis, t.
II, p. 188. (Collection des documents belges.)
[40]
Dépêche des ambassadeurs flamands du 9 juillet 1299. Kervyn, p. 6 : et Cartul.
170, fol. 22 r° : 3 des cal. de janvier de la quatrième année. Voyez Notices
et extraits, n° VIII.
[41]
Dépêche du 17 janvier 1380. Kervyn, p. 70, d'après l'original conservé aux
archives de Lille.
[42]
Kervyn, p. 74, d’après les archives de Rupelmonde, n° 1025. A la dernière ligne
on lit : Hœc scriptura data est die martis post diem Nativitatis Domini.
[43]
En l’an 1300 Philippe envoya en ambassade à Rome l'archevêque de Narbonne, qui
n'obtint rien. Baluze, t. II, p. 459.
[44]
Vaissette, t. IV, p. 86 ; Gallia, t. VI, p. 8 ; Martène, t. IV, p. 225. Un
concile réuni à Béziers supplia le roi de faire rendre justice à l'archevêque.
Baluze, Concil. Narbon., p. 83.
[45]
Un concile réuni à Béziers supplia le pape de faire rendre justice au prélat.
Baluze, Concil. Narbon., p. 84.
[46]
Anagaiæ, XV kal. aug. anno VI. Rain., p. 296.
[47]
Rain., p. 298, 299 ; Dupuy, p. 9.
[48]
Voyez cette enquête dans Dupuy, Différend, appendice consacré au procès
de l'évêque de Pamiers ; et un abrégé dans Rainaldi, p. 314.
[49]
Pour le récit du procès, voyez Martène, t. I, p. 1319 et suiv., et les
originaux du procès au Trésor des chartes, carton J. 336, n° 1 à 22,
reproduits en partie à la suite des Preuves du différend de Boniface VIII et
de Philippe le Bel, de Dupuy. Bernard Saisset était d'un caractère hautain
et difficile : il avait eu de longues querelles avec le comte de Foix ; voyez
le travail de M. Combes intitulé : De contentionibus Bernardi Saisseti,
primi Appamiarum episcopi, cum Rogerio Bernardo, comite Fuxensi. In-8°.
[50]
Martène, t. I, p. 1320.
[51]
Baillet, p. 114. Dupuy, p. 630.
[52]
Rainaldi, p. 315.
[53]
Bulle Salvator mundi. Baillet, Preuves, p. 42 (3 décembre 1301).
[54]
Dupuy, p. 76.
[55]
Kervyn, p. 13.
[56]
Dupuy, p. 98.
[57]
Dupuy, p. 98.
[58]
Cartul. 170, fol. 32, décembre 1301. Boniface admonestait vertement le roi et
le menaçait de l'excommunication.
[59]
Voyez les raisons insuffisantes alléguées par Baillet pour essayer de prouver
l'authenticité de cette bulle, Démêlez, p. 126. — Contre l'authenticité,
conf. Marca, De concordia, t. IV, cap. XVI. Cette pièce est trop
contraire aux usages de la chancellerie romaine pour être vraie ; la plus
ancienne mention qu'on en commisse est dans une réponse de Dubois, le
pamphlétaire aux gages de Philippe le Bel.
[60]
Cette bulle n'est pas plus authentique que la précédente.
[61]
Cartul. 170, fol. 27 v°. — Notices et extraits, n° XVI.
[62]
Cartul. 170, fol. 28.
[63]
Reg. XXVI du Trésor des chartes, n° 61.
[64]
Mandement du roi ordonnant de saisir les biens des clercs absents du royaume_
Reg. XXXVI du Trésor des chartes, n° 34.
Les biens ainsi mis sous séquestre furent administrés
par ordre du roi comme biens tombés en régale. Voyez, pour ce qui se passa à
Nîmes, Gallia christiana, t. VI, p. 448. C'est donc bien à tort que M.
Rabanis, dans son ouvrage intitulé Clément V et Philippe le Bel, affirme
(p. 30) que les prélats qui se rendirent à Rome ne furent pas inquiétés.
[65]
Dupuy, Preuves du différend, p. 54. Dupuy a daté à tort ce décret de
l'an 1301.
[66]
Dupuy, p. 89.
[67]
Reg. XXXII du Trésor des chartes, n° 34. — Dupuy, p. 86.
[68]
Dupuy, p. 89.
[69]
Dupuy, p. 91.
[70]
Allusion aux Vêpres siciliennes.
[71]
Dupuy, p. 101.
[72]
Bulle Per processus. Dupuy, p. 98.
[73]
Voyez la bulle Petri solio excelso. Dupuy, p. 181.
[74]
Bulle Juxta verbum propheticum. Cartul. 170, fol. 38 v°. Notices et
extraits, n° XVII.
[75]
Dupuy, p. 100 et 101.
[76]
Joh. a Sancto Victore, Hist. de France, t. XXI, p. 641.
[77]
Annales Colmar., an 1302. Voyez aussi la bulle Petri solio.
Dupuy, p. 184.
[78]
Contin. ciron. Guillelmi de Fracheto, Hist. de France, t. XXI, p. 25. Il
s'appelait Jean de Pontoise : il fut remplacé par l'abbé de Jouy. On a beaucoup
accusé la bonne foi de Philippe le Bel, parce que Dupuy a prétendu que l'abbé
de Cîteaux avait adhéré et qu'il a publié un acte qui le constatait. On s'est
trompé : l'abbé de Cîteaux paraît en effet parmi les membres de la grande
assemblée du 13 juin où fut résolu l'appel, mais il n'est pas dit qu'il adhéra,
et l'acte n'est-pas muni de son sceau. Le refus d'adhésion n'est pas exprimé,
il est vrai, mais on ne peut accuser Philippe d'avoir supposé l'adhésion et
surtout d'avoir produit un acte falsifié. Pour ces accusations, voyez Kervyn,
p. 85.
[79]
Lettre du 23 octobre 1236. Huillard-Bréholles, Introduction à l'histoire
diplomatique de Frédéric II, p. COXXX.
[80]
Dupuy, p. 21. Baillet, p. 277 et suiv. Baillet est infiniment plus complet que
Dupuy : il fait d'ailleurs preuve de critique : cependant il s'est trop servi
d'historiens qui, ayant vécu beaucoup plus tard, ne pouvaient donner des
informations assez exactes. M. l'abbé Christophe, quoique ayant puisé à des
sources plus nombreuses que ses devanciers, n'apporte aucun fait nouveau. Histoire
de la papauté au quatorzième siècle, t. I, p. 145 et suiv.
[81]
Villani, l. VIII, chap. LXIII, apud Muratori, Scriptores hist. ital., t.
XIII.
[82]
Thomas Walsingham, Historia Angliæ, cité par Dupuy, p. 193.
[83]
Boniface l'avait dépouillé du château de Trévi qu'il tenait en fief. Arch. du
Vatican, Miscellanea, capsula 73, n° 3 (9 novembre 1298).
[84]
Allegationes excusatoriæ Guillelmi de Nogareto super facto Bonifaciano.
Dupuy, p. 256.
[85]
Dupuy, p. 609.
[86]
Acte d'accusation de Nogaret. Dupuy, p. 441.
[87]
Dupuy, p. 256.
[88]
Tous les auteurs sont d'accord sur la fermeté de Boniface. Conf. Dupuy, p. 21.
Baillet, p. 279 et suiv.
[89]
Walsingham, apud Dupuy, p. 194.
[90]
Le fait est affirmé par saint Antonin, archevêque de Florence, t. III, tit. XX,
cap. VIII. Les violences qui furent commises, notamment le pillage du trésor
pontifical, doivent surtout être attribuées à Colonna. Voyez le mémoire adressé
à Benoît XI, dans Baluze, Vitæ paparum Avenion., t. I, p. 15.
[91]
Récit de Nogaret. Dupuy, p. 248.
[92]
Récit de Rinaldo de Supino. Dupuy, p. 608.
[93]
Où il tomba entre les mains des Orsini qui le tinrent prisonnier en l'entourant
de démonstrations de respect et de dévouement. Bain., t. IV, p. 355 et 356.
Feretti de Vicence, apud Muratori, t. VIII, p. 1008. Il mourut le 11 octobre.
[94]
Voyez le procès-verbal dans Rainaldi, p. 359 (en 1605). Conf. Sponde, Annales
ecclesiastici, anno 1303, n° 16. Sponde, évêque de Pamiers et continuateur
de Baronius, avait été témoin oculaire de l'exhumation de Boniface.
[95]
La découverte du corps de Boniface VIII encore intact dément, ainsi que l'a
fait remarquer Baillet (Démêlez, p. 296), le récit d'historiens qui
prétendaient qu'il s'était rongé les mains de rage avant de mourir.
[96]
Mansi, ad Rainaldam, t. IV, p. 356.
[97]
Richer, Défense de la doctrine des anciens, p. 48.
[98]
A la fin du recueil de Dupuy sur le différend, p. 663. Sur Dubois, voyez Notices
et extraits des manuscrits, t. XX, 2e part., p. 166 et suiv.
[99]
Summaria et brevis doctrina. Bibl. imp., n° 6622, fol. 7. Voyez le
Mémoire de M. de Wailly sur cet opuscule, t. XVIII des Mém. de l'Acad. des
inscript., p. 9 et 10 du tirage à part.
[100]
De Wailly, Mém. de l'Acad., t. XVIII, p. 1+67.
[101]
Voyez cette bulle dans Kervyn, Recherches, p. 84 et 85.
[102]
Baluze, Vitœ paparum, t. 1, fol. 3.
[103]
Baillet, p. 188, d'après un ancien manuscrit de l'abbaye de Saint-Victor.
[104]
Cartul. 170, fol. 37. Voyez Notices et extraits, n° 18.
[105]
Cartul. 170, fol. 37, pièce commençant ainsi : Redis est veritas. Voyez Notices
et extraits, n° 18.
[106]
Dupuy, p. 237.
[107]
Dans la bulle où il informait Philippe de son avènement, il lui promettait tout
ce qu'il pouvait désirer de lui et de le favoriser tanquam filio
benedictionis, w cal. apr. anno t (1304). Invent. de Dupuy, Bulles,
n° 5. (L'original est actuellement en déficit.)
[108]
Dupuy, t. I, p. 207. 2 avril 1304. Bulle Quanta nos, o fili.
[109]
Bulle Sanctœ matris Ecclesiœ. Dupuy, p. 208.
[110]
Voyez la preuve de tout ceci dans Rabanis, Clément V et Philippe le Bel,
p. 125 et suiv. ; et Christophe, Histoire de la papauté au quatorzième
siècle, t. I, p. 62 et suiv.
[111]
Villani, l. VIII, cap. LXXX. Rabanis, Clément V et Philippe le Bel.
Quant à l'influence du cardinal de Prato sur l'élection de Clément V, elle est
attestée par Dino Composai, apud Muratori, VIII, p. 237.
[112]
Les événements les plus importants du pontificat de Clément V ont été rendus
souvent incompréhensibles par la mauvaise chronologie adoptée par Dom et par
Baluze : ces deux savants avaient compté les années du pontificat à partir de
l'élection, tandis que Clément ne les comptait qu'à partir de son couronnement.
Ce fait, qui entraîne de graves conséquences et permet de rectifier un grand
nombre d'erreurs, a été démontré par M. de Wailly dans une dissertation
intitulée : Des recherches sur la véritable date de quelques bulles de
Clément V. In-8°. L'erreur que je viens de signaler avait déjà été
combattue au siècle dernier par Dom Vaissette, t. IV, p. 559.
[113]
Chronique de Dino Compagni, apud Muratori, t. VIII, p. 517. — Feretti de
Vicence, apud Muratori, t. IX, p. 1014. Conf. Christophe, Histoire de la
papauté, t. I, p. 179.
[114]
Rainaldi publie les bulles de Boniface VIII en indiquant les parties effacées
par ordre de Clément V à la requête de Philippe le Bel. Il est curieux
d'étudier les passages dont la suppression fut réclamée par le roi, comme
attentatoires à ses droits et à son honneur. Il se montra très-sévère, et donna
par là à Clément V une idée de ce qu'il était disposé à tolérer de sa part,
c'est-à-dire peu ou point de conseils.
[115]
Cette correspondance se trouve dans le n° 170 du fonds des Cartulaires de la
Bibliothèque impériale, qui n'est autre que l'ancien Registre XXIX ou C du
Trésor des chartes. La plupart des lettres de Clément ont été publiées par
Baluze (Vitæ paparum Avenionensium, t. II) ; cependant ce savant en a
omis plusieurs d'un intérêt capital, qui éclairent la conduite de Clément et du
roi dans l'affaire des Templiers, et qu'il a sans doute supprimées non par
égard pour Philippe le Bel, mais par crainte de Louis XIV.
[116]
II kal. febr. anno I. Cart. 170, fol. 53.
[117]
II non. april. anno II. Cart. 170, fol. 174.
[118]
VI kal. sept. anno I. Cart. 170, fol. 60 v°.
[119]
Cart. 178, fol. 174 r°. VIII kal. maii anno IV. Ex certis et magnis
rationabilibus causis.
[120]
Trésor des chartes, Reg. XLII, n° 65 (fin de 1308) ; sans date. Cart.
170, fol. 110.
[121]
Lettre de Philippe à Clément V. Sans date. Cart. 170,. n° 108 v°.
[122]
Cart. 170, fol. 161. Baluze, t. II, p. 62.
[123]
Voyez ces actes confondus avec ceux de Malte. A. I. série S.
[124]
Entre autres, carton S. 4996. Commanderie de Renneville.
[125]
Charte de l'an 1261. Carton J. 772 ; dans ce carton il y a plusieurs actes de
ce genre.
[126]
Or. A. I, K. 37, n° 18.
[127]
J. 426, n° 10. Voyez les originaux des privilèges accordés par les rois à
partir de l'an 1152. J. 422.
[128]
Or. K. 36, n° 31.
[129]
K. 37 B. n° 25.
[130]
Voyez Michaud, Histoire des croisades, 5e édit., t. V, p. 555.
Mas-Latrie, Histoire de Chypre, t. III, p. 662. En 1283, le roi Henri de
Lusignan allant à Beyrouth, ses chevaux furent enlevés par des Arabes apostés
par les Templiers. Sanudo, Liber secretorum, p. 229.
[131]
Cart. 170, fol. 164. Mémoire du grand maître du Temple.
[132]
Lettre à l'archevêque de Narbonne, 18 août 1291. Vaissette, p. 115 ; Preuves,
col. 97. Rainaldi, t. IV, an 1291, n° 7.
[133]
Cart. 170, fol. 87. — Baluze, t. II, p. 74.
[134]
Chronique métrique de Geoffroi de Paris, vers 3159.
[135]
Chronique métrique de Geoffroi de Paris, vers 3172 et suiv.
[136]
Baluze, t. II, p. 58. VI kal. aug. anno I (1306).
[137]
Apud Pessacum, V idus febr. anno II. Cart. 170, fol. 75 et 75.
[138]
Voyez cette lettre dans Mesnard, Histoire de Nismes, t. I, preuves, col.
195. Elle est datée de Pontoise, du jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix,
jour même où l'arrestation des Templiers fut décidée.
[139]
Cart. 170, fol. 5 v°. Pièce inédite. Dupuy (Condamnation der Templiers, p. 100)
la cote sous l'année 1306, ce qui est absurde, puisqu'elle aurait précédé
l'arrestation des Templiers.
[140]
Cartul. 170, fol. XXXXIX
et suiv. — Notices et extraits, n° 24.
[141]
Bibl. imp., chartes Colbert, n° 33.
[142]
Cartul. 170, fol. 69 (15 novembre 1307).
[143]
Reg. LII du Trésor des chartes, n° VIIIXXXI (1er décembre 1307).
[144]
Cartul. 170, fol. 119, publié dans Notices et extraits, n° 28.
[145]
Notices et extraits, n° 29. — Dupuy, Condamnation des Templiers,
p. 95.
[146]
Notices et extraits, n° 27.
[147]
Trésor des chartes, J. 414, n° 34.
[148]
Dupuy, Procès des Templiers, p. 46 et 47.
[149]
Procès des Templiers, publié par M. Michelet. 2 vol. in-4°.
[150]
Dupuy, Procès des Templiers, p. 52 et 53.
[151]
Memor. Johannis a Sancto Victore, Hist. de France, t. XXI, p. 647.
[152]
Rainaldi, Annales ecclés., t. IV, sub anno 1311.
[153]
Le grand maître l'avoua : voyez la lettre des cardinaux en date de la fin
d'août 1308. Cartul. 170, fol. 126 v°.
[154]
Déposition de Geoffroi de Gonneville, qui avait été reçu en Angleterre.
Dépositions des Templiers de Paris reçues par Guillaume de Paris, inquisiteur. Trésor des chartes, Templiers, II, n° 18. Conf.
Dupuy, p. 87 et 88.
[155]
Dupuy, p. 89.
[156]
Il n'y a rien de plus pur que la règle de l'ordre du Temple approuvée au
concile de Troyes en 1128, et publiée par Maillard de Chambure. Paris, 1840,
in-8°. Conf. Bulletin de la Commission d'histoire de Belgique, t. I, p.
47. Cette édition est faite d'après un manuscrit conservé aux archives de
Dijon.
[157]
Voyez le Procès der Templiers, publié par M. Michelet dans la Collection
des documents inédits. Il n'y a rien d'aussi fastidieux que la lecture de ces
pièces, qui ne jettent aucun jour sur la question.
[158]
Dans un mémoire adressé en i306 au roi d'Angleterre, Dubois proposait la
suppression des deux ordres du Temple et de Malte, qui étaient divisés, pleins
de mauvaise foi et inutiles. De recuperatione terræ sanctæ, apud
Bongars, Gesta Dei per Francos, p. 320 et 321.
[159]
Mars 1313. Or. Arch. de l'Emp., K. 39, n° 12. — Copie de temps, Reg. XXXIX, n°
1298 ; et Olim, t. II, p. 599.
[160]
On a nié (Sismondi, Histoire des Français, t. IX, p. 293) ce fait, qui
n'était, dit-on, attesté que par des auteurs qui vivaient longtemps après. Un
des plus anciens historiens qui en parle serait Paul Émile ; c'est une erreur.
[161]
Chronique de G. de Paris, Buchon, p. 219. Voyez aussi la Relation
d'Amadi. Mas-Latrie, Histoire de Chypre, t. II, p. 169.
[162]
L'historien italien Feretti de Vicence raconte une curieuse anecdote où il est
question d'un Templier napolitain qui, mené devant Clément, lui reprocha son
injustice. Conduit longtemps après au supplice, il s'écria : Audi, papa
trux... Ego quidem ab hoc nefando tuo judicio ad Deum vivum et verum, qui est
in cadis, appello, teque admoneo, ut intra diem et annum coram eo pariter cum
Philippo tanti sceleris auctore comparere studeas meis objectionibus
responsurus, turque ezcusationis causam editurus. Deinde obticuit et magnifice
supplicium tulit. Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. IV, p.
1017. Conf. Lacabane, Dissertations sur l'histoire de France au quatorzième
siècle, t. I, p. 2. On comprend que cet appel au jugement de Dieu, ce cri
suprême de l'innocence, dut être prononcé plusieurs fois.
[163]
Mas-Latrie, Histoire de Chypre, preuves, t. II, p. 690. Ces emprunts
faits au Temple ne sont pas invraisemblables. En 1297, le roi se fit remettre
2.500 livres tournois, sur l'argent destiné à la croisade qui était déposé au
Temple et s'engagea à en répondre pour les Templiers. A. I, or. K. 36, n° 51
bis. 29 mai 1297.
[164]
Baluze, Not. ad vitæ pap. Aven., t. II, p. 589.
[165]
Geoffroy de Paris, vers 6070 et suiv., édit. Buchon.
[166]
Chronique de G. de Fracheto, Historiens de France, t. XXI, p. 37.
[167]
Voyez une lettre du grand maître Foulque de Villaret à Philippe le Bel, dont il
se dit l'homme lige, et qu'il proclame lucerna ardens que orthodoxorum
plebem ducit, regit et illuminat. Or. Trésor des chartes, J. 442, n°
13.
[168]
Prima compositio. Or. A. I, J. 368, n° 3. Félibien, Histoire de Paris,
t. III, preuves, n° 320 (21 mars 1312, vieux style).
[169]
Seconda comp. Félibien, Histoire de Paris, t.
III, preuves, p. 320.
[170]
Tertia comp. Or. Trésor des chartes, J. 368 n° 4. Les biens des
Templiers avaient été administrés pendant le séquestre par des commissaires
nommés par le roi et par le pape. Voyez un compte du séquestre des maisons du
Temple du bailliage de Troyes, en 1308. Or. Bibl. imp., Mélanges de
Clérambault, t. IX, fol. 223 et suiv. — Le roi avait ordonné au prévôt des
marchands de Paris de veiller à la garde des biens des Templiers à Paris. Or.
Arch. de l'Emp., K. 37, n° 39.
[171]
Apud Rainaldi, t. IV, p. 547.
[172]
Voyez les archives de l'ordre de Malte aux Arch. de l'Emp., série S. Dubois,
dans le même mémoire où il proposa, en 1306, à Édouard d'Angleterre l'abolition
des Templiers et des Hospitaliers, proposition qu'il fit aussi sans aucun doute
à Philippe le Bel, évaluait à 800,000 livres le revenu de ces deux ordres. Ce
calcul est sans doute exagéré, mais il montre quelle haute idée des hommes
éclairés avaient de la richesse de ces deux ordres religieux. De
recuperatione terræ sanctæ, apud Bongars, Gesta Dei per Francos, t.
II, p. 320 et 321.