LA FRANCE SOUS PHILIPPE LE BEL

 

LIVRE CINQUIÈME. — RAPPORTS DU ROI AVEC LE SAINT-SIÈGE.

 

 

CHAPITRE PREMIER. — DIFFÉREND DE PHILIPPE LE BEL AVEC BONIFACE VIII.

 

Le monde formait une république chrétienne dont le pape était le chef. Libertés de l'Église gallicane. — Comment sont-elles violées ? — Politique des rois vis-à-vis de Rome. — On n'a pas d'histoire sincère du différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII. — Pourquoi ? — Philippe proteste contre toute intervention du pape en matière politique. — Bulle Clericis laïcos. — Premiers nuages dissipés. — Situation difficile de Boniface VIII en Italie. — Guerre contre les Colonna. — Boniface VIII prononce, comme particulier et non comme pape, entre le roi d'Angleterre et Philippe. — Grand jubilé de 1300. — Prédication de doctrines exagérées en faveur du pouvoir des papes. — Rôle que jouent les ambassadeurs flamands à Rome. — Excitations que reçoit Boniface VIII. — Arrestation de Bernard Saisset, évêque de Pamiers. — Ambassade de Nogaret. — Boniface VIII convoque un concile pour réformer le gouvernement de Philippe le Bel. — Fausses bulles. — Concile de Latran, bulle Unam sanctam, proclamant la suprématie du Saint-Siège. — Bulle Ausculta, dans le même sens. — Boniface VIII accusé de plusieurs crimes par Guillaume de Plasian. — Arrestation du nonce apostolique. — Appels au futur concile. — Boniface s'apprête à excommunier Philippe. — Examen du droit de déposition des rois par les papes. — Récit de l'arrestation de Boniface VIII à Anagni par Nogaret et de sa mort. — Philippe attaqua Boniface VIII comme ayant usurpé la tiare. — Conséquence de ce différend.

 

L'histoire de Philippe le Bel n'offre pas d'événements plus graves et d'un plus haut intérêt que ceux qui signalèrent ses rapports avec le Saint-Siège. Sa querelle avec Boniface VIII eut pour résultat de fixer les limites de l'autorité des papes et de la contenir dans de justes bornes ; mais cette grande entreprise fut accompagnée de scandales et de violences déplorables.

Jusque-là l'Europe occidentale avait formé mie vaste république chrétienne, dont le pape était le chef suprême. Home était redevenue la maitresse du monde. Jamais les décrets du sénat, appuyés par les aigles victorieuses des légions, n'avaient été plus respectés et plus redoutés que les bulles données au Vatican par le successeur de saint Pierre. Les papes auraient pu à bon droit prendre la devise des empereurs carlovingiens : Christus vincit, regnat, imperat. La théocratie gouvernait le monde. Grégoire VII avait inauguré cette ère de domination universelle ; son œuvre fut continuée par ses successeurs, particulièrement par Honorius III et par Innocent IV ; niais les progrès toujours croissants du pouvoir monarchique dans chacun des États européens vinrent mettre un obstacle à ces prétentions. Philippe-Auguste et saint Louis lui-même résistèrent plus d'une fois et revendiquèrent leur indépendance.

Cependant, dans tout le courant du treizième siècle, le droit d'intervention du Saint-Siège dans les rapports des princes entre eux fut universellement reconnu. En outre, les souverains pontifes avaient de nombreuses occasions de s'immiscer dans le gouvernement intérieur des Étals de l'Europe. Protecteurs naturels de l'Église, ils la défendaient contre les envahissements du pouvoir séculier ; ils exerçaient aussi un droit d'administration et de contrôle sur les différentes Églises. Ils intervenaient donc à chaque instant dans les affaires de France pour régenter les rois, protéger l'Église et la gouverner.

C'est à ce triple point de vue que je vais examiner les rapports de la papauté avec Philippe le Bel.

Il y avait sons l'ancienne monarchie une liberté religieuse, non pas telle que nous la comprenons au dix-neuvième siècle, où elle n'est autre chose que la tolérance, mais une sorte de liberté ecclésiastique, qu'on appelait les libertés de l'Église gallicane. Nos rois étaient les défenseurs inébranlables de ces libertés, qui formaient un des articles les plus importants de notre droit public, et pour lesquelles nos pères se passionnèrent. L'Église de France croyait trouver dans ces précieuses garanties un rempart contre les abus de la cour de Home. Quels étaient ces abus ? Quelles étaient ces garanties ? Je vais essayer de le dire en quelques mots ; cela est nécessaire pour mettre le lecteur à même d'apprécier la lutte qui va se dérouler sous ses yeux, lutte que l'on a inscrite parmi les plus beaux triomphes de l'Église gallicane.

On sait que dans le principe les évêques étaient élus par le peuple. Au dixième siècle encore, des laïques prenaient part à ces élections. Le clergé fut ensuite seul appelé à choisir le premier pasteur du diocèse ; enfin le droit de nomination fut réservé aux membres des chapitres institués auprès des cathédrales. De bonne heure les papes intervinrent dans les élections, qui n'étaient valables qu'après qu'ils les avaient confirmées. Ils finirent par s'attribuer le droit de nommer en certains cas directement les évêques et les abbés. De leur côté, les rois surveillaient les élections ecclésiastiques ; ils combattirent vivement les nominations faites par le Saint-Siège[1]. Saint Louis se distingua par sa fermeté à soutenir les immunités des églises de son royaume : il rendit mène un décret célèbre, connu sous le nom de Pragmatique sanction, qui avait pour but d'assurer la liberté des élections canoniques.

Des doutes ont été élevés sur l'authenticité de cet acte célèbre. Toutefois, en admettant que le texte de la Pragmatique que nous possédons ne soit pas authentique, il est certain que les doctrines exprimées dans ce document ont été celles que saint Louis prenait pour règle de conduite et qu'il se fit on devoir d'appliquer.

À la fin du treizième siècle, il y avait lutte entre la papauté et la royauté, au sujet du maintien des libertés gallicanes ; à chaque instant les souverains pontifes disposaient de proprio motu des bénéfices français : on trouve dès lors les réserves apostoliques, auxquelles on assigne communément une origine beaucoup plus récente. Quand un évêque mourait, le pape suspendait quelquefois le droit d'élection au chapitre et se réservait de pourvoir au remplacement du défunt. Le Gallia christiana n'indigne pas ces nominations directes, niais j'ai recueilli des documents qui ne laissent aucun doute sur leur fréquence. En 1298, Boniface nomma de son chef à l'évêché de Toulouse : nous avons la lettre dans laquelle il fit part au roi de son intention de se réserver la nomination à ces évêchés ; le mot de réserve y est même employé[2]. Il nomma aussi directement à l'archevêché de Bourges[3]. Il institua, sans l'aven du roi, un évêché à Pamiers[4].

Rome cherchait à rendre illusoires les élections faites suivant les canons. Les élus étaient tenus de faire confirmer par le pape, et on ne leur accordait la confirmation qu'a condition de renoncer aux pouvoirs qu'ils tenaient de l'élection et de se faire instituer de nouveau par le saint-père. C'est ce qui arriva, en 1295, à Robert de Courtenay, élu archevêque de Reims[5]. Les Églises de France payaient au Saint-Siège des sommes considérables. L'abbé de Saint-Denis écrivait au roi que son abbaye était ruinée par les redevances qu'il payait à la cour de Rome[6].

Les libertés de l'Église gallicane étaient donc à la fin du treizième siècle souvent violées par les papes. Les rois ne prenaient en main leur défense que lorsque les prétentions du Saint-Siège menaçaient leur autorité. Ils laissaient les souverains pontifes nommer d'office quelques prélats, car ils savaient en profiter polir faire élever aux plus riches bénéfices leurs conseillers les plus dévoués et peupler l'épiscopat de leurs créatures.

Toutefois les libertés gallicanes étaient un rempart contre les envahissements du pouvoir spirituel. Elles avaient pour effet de soustraire le clergé français à une influence étrangère, qui aurait pu ne pas toujours se renfermer dans le domaine de la religion. C'était un moyen de gouvernement et une institution purement politique.

Pendant plusieurs années, la meilleure intelligence régna entre Boniface VIII et Philippe le Bel. Philippe appartenait à cette race royale qui avait toujours obtenu les prédilections du Saint-Siège. Saint Louis avait jeté sur cette auguste famille un éclat de grandeur et de sainteté qui se reflétait sur ses descendants. Aussi les papes choisissaient parmi les Capétiens des princes pour remplacer les rois qu'ils déposaient.

Philippe le Bel ne trouva que de la bienveillance dans Martin IV, Honorius IV et -Nicolas IV. A Nicolas IV succéda Célestin V, qui, à peine sur le trime, en descendit volontairement et fut remplacé par le cardinal Benoit Gajetan, qui prit le nom de Boniface VIII[7]. C'était un vieillard appartenant à une des premières familles d'Italie, profondément versé dans la science du droit civil et canonique ; on lui savait de l'énergie, de la hauteur et une opiniâtreté indomptable[8]. Ses ennemis lui supposaient une ambition et une cupidité sans borne. Il avait connu personnellement Philippe le Bel pendant un séjour qu'il avait fait en France comme légal, et il s'était pris d'affection pour le jeune roi. Lui-munie, plus tard, a la veille de le frapper d'anathème, déclarait que simple cardinal, il était Français de cœur, ce qui lui avait souvent attiré les reproches de membres du sacré collège[9].

Nous touchons au grand différend de Boniface VIII avec Philippe le Bel. Avant d'aborder cette question, l'historien doit se recueillir et se demander s'il est assez maitre de lui, et s'il se sent assez dégagé des passions politiques et religieuses pour traiter avec impartialité un pareil sujet. C'est ici qu'il faut faire taire ses sympathies, pour ne chercher que la vérité, et se tenir eu garde contre les jugements portés par les hommes les plus éminents.

Deux historiens célèbres ont fait l'histoire de cette lutte mémorable : Pierre Dupuy[10] et Baillet[11]. Tons deux ont puisé aux sources originales. Il semble qu'il ne reste rien à dire, rien à apprendre après ces deux savants hommes ; que la cause a été suffisamment instruite et l'arrêt rendu sans appel. Il n'en est pas ainsi. Dupuy et Baillet étaient non-seulement des savants : c'étaient aussi des hommes de vertu ; niais ils vivaient dans un temps où la royauté jouissait en France presque de l'infaillibilité que l'Église gallicane refusait an pape. Dupuy était le champion officiel des droits du roi, tant au dedans qu'en Europe. Baillet était janséniste. Ils n'avaient ni l'un ni l'autre l'indépendance nécessaire, l'un pour oser condamner un roi, l'autre pour absoudre un pape. D'ailleurs la critique historique était encore dans l'enfance, et le travail de Dupuy renferme des confusions de dates qui intervertissent l'ordre des faits, et ne permettent pas de suivre dans son développement ce différend dont les causes ont été diversement appréciées.

Boniface VIII a en le sort réservé aux vaincus dans ce monde ; il a succombé, et tous se sont réunis pour le condamner. Français dévoués h la monarchie, gallicans jaloux de leurs libertés, étrangers indifférents, philosophes sceptiques, écrivains démocrates, tous ont été unanimes à le blâmer et à l'insulter. Les chroniqueurs contemporains, nome les ecclésiastiques, ne l'ont pas épargné[12] ; les historiens de l'Église n'ont osé le défendre 4. Grégoire VII a reçu le nom de Grand, et Boniface VIII, son imitateur, est mort misérable et laisse une mémoire déshonorée[13]. De nos jours seulement, une voix éloquente s'est élevée da Mont-Cassin en sa faveur[14] : l'histoire de Boniface VIII, par dom Tosti, n'est pas seulement une œuvre de science, c'est aussi une œuvre généreuse de réparation, dédiée à Dante, qui, le premier, quoique Gibelin, fil entendre cette sublime protestation, que nul n'ignore, contre l'attentat d'Anagni[15]. Mais la catastrophe qui mit fin au règne de Boniface a fait oublier à 'fusil les fautes qui la précédèrent : en rendant justice au pape, il a été injuste envers son adversaire. Quant à nous, c'est aux documents authentiques que nous avons demandé la lumière : nous avons fait une enquête longue et minutieuse, après laquelle seulement nous avons formé notre opinion. L'admiration que nous inspire le génie de Philippe le Bel ne nous a pas aveuglé sur ses défauts ; mais nous n'avons pas non plus innocenté Boniface VIII parce qu'il fut malheureux.

Boniface ne porta pas sur la chaire de saint Pierre des prétentions nouvelles : sa politique vis-à-vis des princes étrangers fut celle de ses prédécesseurs, et ressemble singulièrement au projet que Sully prête à Henri IV. Son but avoué était la conquête de la terre sainte : il voulait rétablir la paix entre les princes chrétiens et tourner leurs armes réunies contre les musulmans. Tons ceux qui troublaient la paix étaient à ses yeux des sacrilèges qui versaient le sang des fidèles, et retardaient par leurs querelles impies l'avènement de la domination de l'Église dans l'univers entier.

C'était en vue de ce grand résultat que son prédécesseur Nicolas IV avait tout mis œuvre pour rétablir entre Édouard d'Angleterre et Philippe le Bel la lionne harmonie sourdement compromise, et prévenir des hostilités qui ne devaient pas tarder à éclater. La prise de Saint-Jean d'Acre, en 1291, avait eu un douloureux retentissement en Europe. Boniface voulut porter du secours à la terre sainte ; la guerre qui s'engagea entre la France d'un côté, et l'Angleterre et la Flandre de l'autre, vint traverser ses projets. Il fit tous ses efforts pour y mettre un terme et se proposa pour médiateur[16]. Une trêve fut conclue par ses soins. Au moment où elle allait expirer (juin l'297), il la renouvela de sa propre autorité et chargea deux cardinaux, les évêques d'Albano et de Palestrina, d'en instruire Philippe le Bel.

Le roi refusa d'entendre lecture de la bulle pontificale avant d'avoir fait les protestations suivantes :

Que le gouvernement temporel de son royaume appartenait à lui seul ; qu'il ne reconnaissait en cette matière aucun supérieur ; qu'il ne se soumettrait jamais à âme qui vive à cet égard ; qu'il voulait exercer sa juridiction dans ses fiefs, défendre son royaume et poursuivre sou droit avec l'aide de ses sujets, de ses alliés et de Dieu ; que la trêve ne le liait pas. Quant au spirituel, il était, à l'exemple de ses prédécesseurs, disposé à recevoir humblement les avertissements du Saint-Siège, comme un vrai fils de l'Église[17].

Il accepta la médiation de Boniface, non comme pape, niais comme particulier : il obtint du pontife une bulle par laquelle il s'engageait à ne prononcer de jugement arbitral qu'en qualité de Benoît Gajetan, et après avoir reçu des lettres patentes du roi portant approbation de sa décision[18].

Cette conduite de Philippe le Bel dut donner à réfléchir à Boniface et lui faire comprendre la nécessité de ménager un prince aussi jaloux de son autorité et qui repoussait l'intervention du successeur de saint Pierre, devant laquelle les rois s'étaient jusqu'alors inclinés. Il sut se faire violence et se contenir pendant quelque temps ; mais les rapports entre le roi et le pape étaient trop fréquents pour que ces deux caractères altiers et dominateurs ne finissent pas par se choquer violemment.

En I2.9G, les plaintes qu'une partie du clergé de France porta au Saint-Siège contre ce qu'il appelait les exactions de Philippe le Bel furent d'autant plus favorablement accueillies à Rome qu'il en arrivait de semblables d'Angleterre, où Édouard employait, pour obtenir des subsides du clergé, des moyens bien autrement énergiques que ceux de son rival[19]. L'occasion était belle pour Boniface : il ne la manqua pas. La bulle Clericis laïcos, qui excommuniait à la fois ceux qui levaient des impôts sur le clergé et les ecclésiastiques qui les payaient, fut commune au monde chrétien — 1296, sans date de mois, mais avant le 18 août —[20]. Cette Indic, donnée dans un moment d'irritation, était trop exagérée pour être exécutable. Boniface VIII s'était trop avancé : il le comprit et alla au-devant des plaintes qu'il ne pouvait éviter de soulever. La bulle Ineffabilis amor corrigea ce que la précédente avait de trop absolu. Le roi pourra lever des subsides sur le clergé, avec le consentement du pape, qui, si le royaume était menacé, ordonnerait pour contribuer à sa défense jusqu'à la vente des vases sacrés[21]. Boniface demandait dans la mime bulle des explications sur la prohibition faite récemment par le roi d'exporter de l'or et de l'argent et des marchandises hors du royaume, prohibition qui menaçait de tarir nui des principaux revenus de Rome[22].

Cet édit, glue l'on représente unanimement comme une réponse de Philippe a la bulle Clericis laïcos, n'était pas dirigé contre le pape ; car il fut rendu au mois d'avril, peu de jours après la rédaction de cette bulle et avant qu'elle eut le temps d’être connue du roi de France. Il ne s'appliquait pas uniquement à l'argent ; il défendait aussi l'exportation des armes, des chevaux et autres objets : on voulait atteindre les Anglais et les Flamands avec lesquels on était en guerre ; de semblables édits furent promulgués sous le même règne en plusieurs occasions.

Dans la même bulle, Boniface menaçait Philippe de l'excommunication ; il le montrait haï de ses sujets, entouré d'ennemis qui n'attendaient que le moment d'envahir son royaume. Que deviendra-t-il s'il perd la bienveillance du saint-singe, qui l'a soutenu jusqu'alors (21 septembre.1296) ? Le roi et ses conseillers furent indignés de la liberté que prenait le pape : on résolut de repousser ces remontrances hautaines qui appartenaient à d'autres temps. Dupuy a publié une réponse qui fut, dit-on, expédiée à Rome[23] ; mais l'indécence du ton qui règne dans cette pièce et la violence des déclamations qu'elle renferme suffisent pour démontrer qu'elle n'a jamais été envoyée. Ce n'est qu'un projet de mémoire qui fut présenté au roi par quelque courtisan, et qui ne fut pas même- terminé, ainsi que l'atteste le litre du seul exemplaire contemporain qu'on en connaisse, titre que Dupuy a supprimé pour en substituer un autre de sa façon[24].

Le roi donna des explications satisfaisantes. En 1297, nouvelle défense d'exporter l'or et l'argent, nouvelles alarmes du pape, nouvelles menaces, nouvelles explications de Philippe. Sur ces entrefaites, les évêques de France écrivent à Boniface VIII pour lui demander d'accorder au roi un décime sur les églises[25]. Le clergé comprenait qu'il ne pouvait pas s'abstenir de contribuer à la défense de la patrie. Cette lettre contrastait singulièrement avec une protestation suscitée par Cîteaux, protestation dirigée non moins contre les évêques que contre le roi[26]. Cette hostilité des moines contre les évêques avait longtemps réussi, grâce à l'appui des papes, qui trouvaient de fidèles instruments, dans les réguliers ; mais le temps arrivait où moines, évêques et pape allaient plier devant le pouvoir royal.

Abandonné d'une partie du clergé gallican, Boniface fit de nouvelles concessions. Par la bulle Romana mater ecclesia, il permit même de lever, en cas de nécessité, des décimes ecclésiastiques sans le consentement du Saint-Siège, mais avec celui du clergé[27]. La bulle Noveritis nos alla plus loin ; elle abandonna à la direction du roi, pourvu qu'il frit majeur, et à son conseil, s'il était mineur, le soin de décider s'il y avait nécessité ou non, et le droit d'imposer les ecclésiastiques, même sans que le pape eût été consulté. Elle terminait en déclarant que le Saint-Siège n'avait jamais en l'intention d'attenter aux droits, libertés, franchises et coutumes du royaume, du roi et des hayons. Le pape écrivit n'élue aux prélats de hi province de Reims qu'il était prêt à consacrer à la défense du royaume les biens de l'Église romaine et sa propre personne[28].

Cette condescendance de Boniface VIII, cette douceur subite, ne doivent pas être entièrement attribuées à des sentiments de bienveillance envers Philippe le Bel : elles s'expliquent surtout par la situation difficile où se trouvait le pape dans ses propres Flats.

Boniface appartenait par sa famille au parti gibelin : pape, il devint guelfe. Cardinal, il avait pour ennemis les Colonna, chefs du parti des empereurs. Cependant les Colonna et les Orsini réunis avaient fait tomber sur Benoit Cajetan le choix du conclave réuni pour donner un successeur à Célestin V. Boniface parait avoir oublié ce service : il laissa les Colonna à l'écart et ne les fil point participer aux faveurs du nouveau règne. Au ressentiment de cette ingratitude se joignit chez les Colonna celui de l'injure que fun d'eux crut recevoir de Boniface, qui intervint dans ses affaires domestiques. Sciarra, pour se venger, attaqua sur le chemin d'Anagni le trésor pontifical et s'en empara. Deux cardinaux de celte famille s'étaient retirés dans des châteaux où ils complotaient avec les ennemis du pape : Boniface les somma de lui remettre ces places qui menaçaient sa sûreté. Ils refusèrent, et s'appuyant sur la renonciation de Célestin, nièrent la légitimité de son élection. Cités à Rome et mis en demeure de le reconnaitre pour pape, ils ne se présentèrent pas, et furent dégradés, eux et leurs parents et adhérents, excommuniés jusqu'à la quatrième génération, puis leurs biens furent confisqués[29]. Boniface, dépassant tontes les limites de la haine, étendit l'anathème stiltons ceux qui donneraient asile à ces malheureux, et frappa d'interdit les lieux où ils chercheraient un refuge contre son impitoyable colère. Il prêcha une croisade contre leurs partisans. Les Gibelins furent vaincus, leurs places prises, et Palestrina, où les deux cardinaux Colonna avaient cherché un abri, reçut un châtiment terrible : Boniface la lit raser. On passa la charrue sur le sol qu'elle avait occupé, on y sema du sel, pour la vouer à la stérilité ; une seule église resta debout qui attesta quelle vengeance tirait Boniface VIII de ceux qui osaient lui résister (1299). Mais il fallut trois années avant d'obtenir ce triomphe[30]. C'était justement en I297, au fort de sa querelle avec les Colonna, que Boniface rétracta la bulle Clericis laites et se réconcilia avec Philippe le Bel, afin de pouvoir se vouer tout entier à l'anéantissement du parti gibelin dans les États de l'Église.

Les historiens modernes en cherchant les causes du différend de Boniface et de Philippe le Bel se sont souvent trompés. La bulle Clericis laïcos a paru à la plupart d'entre eux l'origine de l'inimitié du roi contre le pape : les faits prouvent qu'après cette époque l'accord entre les deux cours, un instant troublé., fut plus grand que jamais. Le pape accorda de son propre mouvement un décline. et un an de revenu des bénéfices qui viendraient à vaquer en France pendant la durée de la guerre, ainsi que le droit de nommer un chanoine dans chacun des chapitres du royaume[31].

Dupuy a porté contre la bonne foi et l'équité de Boniface VIII la plus forte accusation à propos du jugement arbitral qu'il prononça, le 27 juin 1298, entre le roi de France et le roi d'Angleterre : il l'a accusé d'avoir sacrifié Philippe à l'Angleterre et an comte de Flandre.

Il suffit de lire cette sentence pour être assuré que la partialité de Boniface n'existe pas. Dans ce document, où tout est digne d'un pontife pacificateur, car il y est stipulé que chaque partie restituera ce qu'elle avait pris, et que les choses seront remises dans l'état on elles étaient avant la guerre. Il n'y est pas dit un mot de la Flandre.

Des documents récemment publiés prouvent, au contraire, la partialité du pape pour le roi de France. Les dépêches des ambassadeurs flamands en font foi. Le comte Gui de Dampierre, dépouillé de son comté par Philippe le Hel, pour s'être soulevé contre lui et avoir fait alliance avec l'Angleterre, avait appelé au pape : il envoya à Home des ambassadeurs, qui se mirent en instance pour faire comprendre leur maitre dans le traité de paix que le pape s'efforçait de conclure entre la France et l'Angleterre. Ils assiégèrent le pape de flatteries, lui disant qu'il était souverain du roi de France au spirituel et au temporel[32]. Boniface, cédant aux désirs exprimés par les ambassadeurs français, déclara aux Flamands, qui étaient pourtant appuyés dans leur demande par les envoyés du roi d'Angleterre[33], qu’il ne voulait pas s'exposer, à cause du comte de Flandre, à ne point rétablir la paix entre les deux rois. En effet, la sentence du mois de juin 1298 garda le silence sur le comte de Flandre. L'influence française triompha donc dans cette circonstance où le roi d'Angleterre fut obligé d'abandonner son allié[34]. Tout ce que le pape fit pour la Flandre ce fut de proroger dans une bulle spéciale le délai de l'appel porté par le comte Gui[35]. Je suis entré dans ces détails parce qu'il est important de préciser les phases de ce différend. Les derniers actes et le dénouement sont suffisamment connus, mais rien n'est plus obscur que les commencements de la lutte et surtout l'objet sur lequel elle s'est engagée.

Les bonnes relations continuèrent entre le pape et le roi ; quelques incidents vinrent toutefois y mêler de l'aigreur. Boniface avait mandé à Rome l'évêque de Laon pour rendre compte de son administration : le roi affecta de considérer le siège comme vacant et s'en appliqua les revenus par suite du droit de régale[36]. Autre grief : le cardinal de Sainte-Cécile avait fait en mourant un legs considérable pour l'entretien de pauvres étudiants en théologie (collège de Chollet). Le fisc s'empara de sa succession et refusait de s'en dessaisir[37]. Les plaintes des évêques contre les exactions des collecteurs des annates accordées an roi furent une nouvelle cause de -mécontentement réciproque[38].

L'année 1300 vit le grand jubilé institué par Boniface pour célébrer l'ouverture de chaque nouveau siècle, et ce pape au comble de sa gloire. Il parut successivement en habits pontificaux et revêtu des insignes de l'empire ; il fit porter devant lui l'épée, le sceptre et les autres insignes impériaux, et crier par un héraut : Il y a ici deux glaives ; Pierre, tu vois ton successeur, et vous, ô Christ, regardez votre vicaire[39]. Ces deux glaives figuraient le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, le pontificat et la royauté réunis dans la même main.

En contemplant la foule immense venue de toutes les parties de la terre baiser avec respect le seuil de Saint-Pierre, Boniface se crut le maitre du monde, ainsi qu'on ne cessait de le répéter autour de lui. Ce triomphe devait être de courte durée, mais rien ne faisait présager encore l'orage terrible qui allait éclater.

Un événement, auquel on n'a pas attaché d'importance, se produisit alors, qui changea en hostilité les dispositions déjà chancelantes de Boniface VIII, c'est l'alliance faite en 1299 à Vaucouleurs entre Philippe et le roi des Romains Albert, excommunié pour avoir détrôné Adolphe de Nassau ; alliance menaçante pour la papauté.

La nouvelle des négociations entre Philippe et Albert jeta la terrent' à Rome : un faux bruit qui en annonçait la rupture fut accueilli avec joie. Boniface conçut la pensée d'avoir une conférence avec les rois d'Angleterre et de France et le comte de Flandre, seul moyen, à ses yeux, d'établir la paix d'une manière solide : il ne songeait pas à les citer à Rome, car il connaissait assez Philippe et Édouard pour savoir qu'ils n'accepteraient jamais de sa part qu'une intervention officieuse : aussi avait-il déridé de se rendre sur un terrain neutre. Il avait utérin, lait des ouvertures dans ce sens à Philippe le Bel ; mais une grave maladie que lui causa un travail excessif, joint à son grand âge, le força de renoncer à ce projet[40].

Le grand jubilé l'avait enivré ; tout semblait se réunir pour le pousser à sa perle, en réveillant et en excitant en lui les désirs de domination qu'il nourrissait, moins pour lui-même que pour la papauté. Le cardinal d'Acquasparta, dans un sermon prêché à Saint-Jean de Latran au mois de janvier 1300, en présence du pape, devant le sacré collège et une nombreuse assistance, osa déclarer que le pape était souverain temporel et spirituel, comme vicaire de Jésus-Christ, et que le devoir de l'Eglise était de combattre avec le glaive spirituel et temporel ceux qui résisteraient à cette double autorité[41].

Les ambassadeurs flamands jugèrent le moment favorable pour se faire écouter, en flattant les idées de suprématie du pape et en excitant ses défiances contre Philippe le Bel. Ils lui avaient bien souvent dit qu'il était le maitre de tons et que le roi de France était fait pour lui obéir : la déclaration officielle faite par le cardinal d'Acquasparta les encouragea, et ils remirent à Boniface un mémoire où ils invoquaient son appui et son intervention, et essayaient de le rassurer sur l'énergie de cette puissance souveraine qu'ils lui attribuaient, en invoquant des livres saints[42]. Boniface n'était que trop disposé à prêter l'oreille à ces insinuations, qui s'accordaient avec ses désirs et ses espérances[43].

Cependant les griefs s'accumulaient contre Philippe, entre autres l'envahissement du comté de Mulgueil, appartenant l'évêque de Maguelone[44] ; le refus du vicomte de Narbonne de faire hommage à l'archevêque son seigneur[45]. Le pape fit entendre des paroles sévères[46] et envoya l'évêque de Pamiers, Bernard Saisset, inviter le roi à secourir la terre sainte[47]. L'évêque de Pamiers irrita Philippe, qui le laissa retourner dans son diocèse ; mais il fit faire secrètement contre lui une enquête dans laquelle déposèrent les prélats et les barons du Midi[48]. On l'accusait d'avoir voulu soustraire le Languedoc à la couronne, pour le réunir à l'Aragon ; son véritable crime était sa haine pour le roi : on lui imputait les plus étranges propos.

Il appelait Philippe bâtard, faux monnayeur, incapable de régner, indigne du trône. Saint Louis, assurait-il, avait annoncé que sa race finirait avec son fils. L'enquête qui contenait ces accusations fut envoyée à Rome, et Bernard arrêté à Pamiers par le vidame d'Amiens et cité à comparaître devant le roi. Il envoya à la cour l'abbé du Mas d'Asil prier le roi de le laisser aller à Rome, ajoutant qu'il pouvait quitter le royaume sans permission. Ceci prouve que, dès lors, les évêques devaient informer le gouvernement de leur voyage en cour de Rome[49].

Il fut traduit devant le roi et une assemblée de barons, à Senlis, le 1/id octobre 1301. Sa défense fut si hautaine, que l'assemblée se leva en poussant des cris de mort. Sur le point d'être massacré, il se mit sous la protection de l'archevêque de Narbonne, son métropolitain, qui était présent[50], avec les évêques de Béziers et de Maguelone : l'archevêque le prit sous sa garde et en répondit.

Ce procès était contraire aux lois de l'Église : un évêque ne devait pas être mis en jugement devant une cour laïque ; les conciles n'avaient même plus le droit de le juger sans l'intervention du pape, qui devait autoriser les poursuites.

Philippe envoya à Rome Pierre de Flote demander le châtiment de Saisset. L'ambassadeur déclara que son maitre n'avait pas voulu user de son droit de punir lui-même un homme que ses crimes rendaient indigne du sacerdoce et de la protection accordée aux membres du clergé ; mais qu'il avait désiré donner au souverain pontife une marque de déférence et de respect, en lui remettant le soin de venger l'injure faite à Dieu, comme auteur de toute puissance légitime, au roi comme fils de l'Église, et au royaume comme partie considérable de la chrétienté. Il requit ensuite Boniface de déclarer Bernard déchu de la dignité épiscopale, du privilège de cléricature, et de le remettre au roi pour qu'il pût en faire un sacrifice agréable à Dieu[51]. Il y avait beaucoup d'hypocrisie dans cette modestie apparente. Boniface affecta de prendre au sérieux les protestations du roi et se réserva de renvoyer Saisset, soit devant un concile provincial, soit devant un légat du Saint-Siège. Flote eut beau presser et demander une réponse, il n'obtint rien, et retourna en France la rage dans le cœur.

Boniface suspendit les privilèges accordés par lui-même et par ses prédécesseurs à la couronne de France, et convoqua, pour le Pr novembre 1302, un concile général à Rome, afin de mettre un terme aux oppressions que souffrait le clergé de France, et de travailler à la conservation des libertés de l'Église catholique, à la réformation du royaume, à la correction du roi et au bon gouvernement de la France[52]. Tous les prélats et tous les docteurs, les abbés, les supérieurs de maisons religieuses, furent sommés de se rendre à cette assemblée ; le roi fut invité à comparaître en personne ou à envoyer quelqu'un pour le défendre[53]. Le nonce Jacques de Normand fut chargé de porter en France une bulle destinée à Philippe le Bel, où Boniface proclamait la supériorité du Saint-Siège sur les rois.

Il est important de préciser en quoi consistait cette supériorité que revendiquait Boniface dans la bulle Ausculta fili. Il ne prétendait pas réunir le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel : non, il le déclara lui-même dans un consistoire, au mois de juillet 1302. « Nous savons, dit-il, qu'il y a deux pouvoirs établis par Dieu ; nous ne sommes pas assez dépourvu de raison et assez insensé pour croire le contraire[54] » ; mais il soutenait que le pouvoir spirituel était supérieur au pouvoir temporel. Cette doctrine fut de nouveau développée par le cardinal d'Acquasparta et dans une lettre écrite par l'ordre de Cîteaux[55]. « Il y a deux juridictions, la spirituelle et la temporelle ; l'une donnée par Dieu à saint Pierre, l'autre qui appartient à l'empereur et aux rois. Toutefois la juridiction spirituelle s'étend sur le temporel, car le pape a le droit de connaître de toutes les actions humaines en raison du péché. » En un mot, les rois n'étaient que de simples chrétiens, dont les fautes étaient des péchés, pour lesquels ils devenaient justiciables de l'Église. Cette doctrine menait, de déduction en déduction, au droit de déposer les rois. ; mais ce droit était tellement exorbitant que les souverains pontifes n'osèrent jamais l'inscrire dans les canons des conciles ni dans les constitutions apostoliques.

La bulle Ausculta fili n'était pas explicite à cet égard. Dieu, disait Boniface, avec les paroles de Jérémie, Dieu, en nous imposant le joug de la servitude apostolique, nous a établi au-dessus des rois et des empires, pour arracher, détruire, anéantir, dissiper, bâtir et planter en son nom ; très-cher fils, ne te laisse pas persuader que tu n'es pas soumis au chef suprême de l'Église, car une telle opinion serait folie[56] ; il accusait ensuite le roi de tyranniser ses sujets, d'opprimer l'Église, de scandaliser les grands. « Il l'avait souvent averti de se corriger et de mieux gouverner son royaume : il dépouille les églises sous prétexte de la régale ; il fait de mauvaise monnaie. Qu'il ne rejette pas sa faute sur ses conseillers, car on lui a ouvert les yeux et il les garde : qu'il les chasse au plus tôt. » Il l'invitait, en terminant, à tourner ses regards sur le misérable état de la terre sainte, et à se préparer à la croisade[57]. Une autre bulle, Secundum divin, enjoignait à Philippe de mettre Saisset en liberté et de le laisser venir à Rome[58]. Le roi le fit chasser de France et se mit en mesure d'obtenir une grande manifestation en sa faveur, contre les prétentions de Boniface, en convoquant les premiers états généraux.

En agissant ainsi, Philippe défendait sa couronne : son droit était évident, il n'avait qu'à le revendiquer et à l'exercer avec dignité. Sa cause était belle ; il eut le malheur de la souiller par le mensonge et par la violence, en suivant sans doute en cela les conseils des légistes qui l'entouraient. On répandit dans le public une bulle commençant ainsi :

« Boniface à Philippe, roi de France : Craignez Dieu et observez ses commandements.

« Apprenez que vous nous êtes soumis au spirituel et au temporel, etc.[59]. »

Boniface nia énergiquement être l'auteur de cette bulle, et son assertion fut confirmée par les cardinaux : le faux est évident. On publia une prétendue réponse d'une inqualifiable insolence :

« Philippe, par la grâce de Dieu, roi de France, à Boniface, prétendu pape, peu ou point de salut :

« Sache ta très-grande sottise, que nous ne sommes soumis à personne au temporel, etc.[60]. »

Ce fut avec ces moyens que réprime la morale que l'on agit sur l'opinion publique. Le dimanche après la Chandeleur (février 1302), le roi fit brûler solennellement la bulle Ausculta fili. J'ai raconté ce qui se passa aux états du 10 avril.

La défaite de l'armée française à Courtrai, au mois de juillet, donna de l'assurance à Boniface sans abattre Philippe. Au mois de décembre, Philippe envoya à Rome l'évêque d'Auxerre signifier à Boniface que, de concert avec le roi d'Angleterre, il avait renoncé à son arbitrage ; l'ambassadeur avait ordre de révoquer publiquement les pleins pouvoirs donnés jadis à Boniface VIII, si le pape continuait à s'occuper de cette affaire. Le roi fit accompagner l'évêque d'Auxerre par le comte de Saint-Pol, le sire d'Harcourt et Mouchet, pour lui prêter main-forte au besoin[61]. Peut-être Philippe méditait déjà quelque violence : ce qui le ferait croire, c'est que ce fut dans le château de Staggia, appartenant à Mouchet, que fut organisée l'expédition dirigée contre Boniface VIII à Anagni.

Publiquement, Philippe était plein de déférence envers le pape[62]. Sur ces entrefaites arrivèrent de graves nouvelles de Rome.

Le concile convoqué par Boniface s'était réuni le jour de la Toussaint 1302 ; plusieurs prélats français ayant répondu à l'appel du pape, malgré les défenses du roi[63], Philippe fit saisir leur temporel[64], et un décret rendu le 18 novembre, sans doute d'après l'avis du concile, consacra la doctrine de la supériorité des papes.

« Il y a deux glaives : le spirituel et le temporel ; tous deux sont dans la main de l'Église ; mais l'un est tenu par l'Église elle-même, l'autre par les rois, SED AD NUTUM ET PATIENTIAM SACERDOTIS. Toute créature humaine est soumise au pontife romain, et cette croyance est nécessaire au salut[65]. »

Boniface enjoignit aux prélats français qui n'avaient pas assisté au concile, de se rendre à Rome sous trois mois[66]. Philippe défendit à ces mêmes prélats de sortir du royaume, et fit garder les passages qui donnaient accès en Allemagne et en Italie[67]. Le cardinal de Saint-Marcellin (légat du Saint-Siège) convoqua un concile en France, à l'insu du roi[68]. Boniface récapitula tous les griefs qu'il avait contre Philippe et le somma de se disculper. Il l'accusait entre autres choses de fabriquer de fausse monnaie et d'avoir fait brûler la bulle Ausculta fili. La réponse de Philippe fut conciliante et modérée. Il exprimait le désir de maintenir, à l'imitation de ses ancêtres, l'union entre la France et le Saint-Siège. Il finissait en conjurant Boniface de ne pas le troubler dans l'exercice légitime de ses droits : il offrait de s'en rapporter à la décision du duc de Bretagne ou du duc de Bourgogne, qui lui étaient particulièrement agréables[69]. Le pape déclara cette réponse insuffisante, et s'en plaignit amèrement à l'évêque d'Auxerre et au frère du roi, Charles de Valois, qui avait résidé près de deux années en Italie avec le titre de défenseur du Saint-Siège, et que Philippe venait de rappeler.

Le 12 mars se tint au Louvre, en présence du •roi, une grande assemblée de barons, de prélats et de légistes.

Guillaume de Plasian lut un écrit où étaient accumulés les chefs d'accusation contre Boniface :

« Il est hérétique ; il ne croit pas à l'immortalité de l'âme ni à la vie éternelle : il a dit qu'il aimerait mieux être chien que Français ; il ne croit pas à la présence réelle dans l'eucharistie ; il prétend que la fornication n'est pas un péché. Il a approuvé un livre d'Arnaud de Villeneuve, lequel livre a été censuré et brillé ; il s'est fait élever des statues dans les églises pour se faire adorer ; il a un démon familier qui le conseille ; il consulte les devins ; il a prêché publiquement que le pape ne peut commettre de simonie ; il fait trafic des bénéfices ; il veut mettre la guerre partout ; il a dit que les Français sont des Patarins (hérétiques cathares). Il est sodomite ; il a commandé des meurtres ; il a forcé des prêtres à révéler les confessions ; il a nourri une haine cruelle contre le roi de France ; on l'a entendu dire, avant d'être pape, que s'il le devenait, il ruinerait la chrétienté ou il détruirait la fierté française ; il a empêché la paix entre la France et l'Angleterre ; il a pressé le roi de Sicile de faire mourir tous les Français[70] ; il a confirmé le roi d'Allemagne à condition de réduire la superbe des Français (superbiam Gallicanam), qui, prétendait-il, se vantaient de ne pas reconnaître de supérieur au temporel : en quoi ils mentaient par la gorge ; que si un ange lui disait que la France ne lui est pas soumise, à lui et à l'empereur, il lui crierait anathème ; il a causé la ruine de la terre sainte, ayant pris tout l'argent qui y était destiné, pour le donner à ses parents, dont il a fait des marquis, des comtes et des barons, et auxquels il a fait bâtir des châteaux ; il a expulsé la noblesse de Rome ; il a rompu des mariages ; il a créé cardinal un de ses neveux, qui n'est qu'un ignorant et qui était marié, et a forcé sa femme à prendre le voile dans un couvent ; il a fait périr en prison Célestin, son prédécesseur[71].

Le 13 avril, Boniface déclara Philippe excommunié, s'il persistait à ne pas se soumettre à ce que le Saint-Siège exigeait ; il chargea Nicolas de Bienfaite, archidiacre de Coutances, de porter au cardinal de Saint-Marcellin la bulle qui retranchait le roi de la communion de l'Église[72] ; mais le roi, averti de la mission de l'archidiacre, le fit arrêter à Troyes et jeter en prison ; on lui enleva la bulle, qui, du reste, ne devait être fulminée qu'au cas où Philippe resterait sourd à un dernier appel. En vain le légat protesta ; on ne l'écouta pas. On mit sous séquestre les biens des prélats absents du royaume ; il comprit qu'il se compromettait inutilement en restant plus longtemps, et il quitta la France[73].

Le 31 mai, Boniface, qui avait pardonné à Albert d'An-triche et l'avait reconnu comme roi des Romains, lança une bulle où il ordonnait aux nobles, aux Églises et aux communes des métropoles de Lyon, de Tarentaise, d'Embrun, de Besançon, d'Aix, d'Arles et de Vienne, de la Bourgogne, de la Lorraine, du Barrois, du Dauphiné, de la Provence, du comté de Forcalquier et de la principauté d'Oranges, du royaume d'Arles, provinces qui relevaient de l'Empire, de rompre les liens de vassalité et d'obéissance qu'ils avaient pu contracter au détriment de l'empereur, et les déliait des serments de fidélité qu'ils avaient pu prêter. C'était en quelque sorte démembrer la France que de faire revivre ces prétentions surannées le coup était dirigé contre Philippe le Bel, mais il ne l'atteignit pas[74].

Le 10 juin, une grande assemblée fut réunie au Louvre en présence du roi. Les comtes d'Évreux, de Saint-Pol et de Dreux, et Guillaume de Plasian demandèrent que l'Église fût gouvernée par un pape légitime. Tous les crimes, toutes les infamies furent de nouveau imputés à Boniface. Le roi fut supplié, en qualité de défenseur de la foi, de travailler à la convocation d'un concile général : il y consentit[75].

Le 24 juin, jour de la Nativité de saint Jean, il y eut une grande réunion de peuple dans le jardin du Palais ; maitre Bertrand de Saint-Denis fit un sermon en français, et prit pour texte ces paroles de saint Luc : « Il sera grand devant le Seigneur » (Luc, I, 15), paroles qu'il appliqua d'abord à saint Jean, puis au roi de France. Après le sermon, on donna lecture des chefs d'accusation contre Boniface, et on publia l'appel fait par le roi au futur concile[76].

J'ai fait connaître de quelle manière les adhésions à l'appel au futur concile furent recueillies par les agents du roi : on employa la violence et l'intimidation pour les obtenir. Les religieux étrangers qui osèrent résister furent bannis du royaume[77]. L'abbé de Cîteaux, qui refusa d'adhérer, fut arrêté par ordre du roi, et résigna ses fonctions pour ne pas exposer son ordre à la colère du roi[78].

Les historiens, même ceux qui sont favorables à Boniface VIII, racontent que, le jeudi 8 septembre, le pape devait publier une bulle par laquelle il déposait le roi. Cette bulle nous est parvenue ; elle ne renferme rien de pareil. Boniface y prononçait contre Philippe l'excommunication qu'il avait encourue, ce qui était bien différent d'une déposition. La bulle Petri solio excelso ne laisse aucun doute à cet égard. Elle débute par la promesse faite par Dieu à son Fils et à ses vicaires assis sur le trône de saint Pierre : « Tu es mon Fils, et je t'ai engendré : demande-moi et je te donnerai les peuples qui sont ton héritage, et l'univers entier, qui est ton bien. Tu les gouverneras avec une verge de fer et tu les briseras comme le vase du potier. » Cette puissance, Boniface ne veut l'exercer que pour diriger le roi dans la voie du salut : il lui dénonce les peines qu'il a méritées. Il a d'abord employé les doux remèdes, qui n'ont fait qu'accroître sa superbe : il se montrera plus sévère, pour voir si les atteintes d'un châtiment léger ne lui conseilleront pas de se corriger, à l'exemple de Nabuchodonosor ; si, au contraire, il s'endurcit, qu'il soit plongé avec Pharaon dans un abime de maux.

Suit une longue récapitulation de griefs : il a empêché les ecclésiastiques français de se rendre auprès du Saint-Siège ; il a outragé un cardinal qui allait de sa part lui offrir l'absolution, et l'a fait surveiller ; il a voulu rompre l'unité de l'Église et porté la main sur l'abbé de Cîteaux et sur d'autres religieux dévoués au chef de l'Église ; il a fait jeter en prison Étienne de Bienfaite, porteur de lettres du pape ; il a donné asile aux Colonna, malgré les sentences pontificales. Il se voit, lui, Boniface, obligé de sévir par un juste jugement.

Dans tout ceci, il n'est pas question de déposition ni du droit des papes de déposer les rois. Nous avons vu que la bulle Ausculta fili, la constitution Unam sanctam, les discours des plus ardents soutiens du pouvoir pontifical, n'avaient pas proclamé l'existence de ce droit. Qu'il me soit permis de rechercher brièvement si avant Boniface VIII ce droit avait été exercé. Immédiatement se présente à l'esprit la déposition de l'empereur Frédéric II par Innocent IV, et celle de don Pèdre d'Aragon par Martin IV, ainsi que la translation de la couronne de Naples à la maison d'Anjou par Clément IV. La question semble résolue par ces faits, qui sont attestés par des actes 'd'une sincérité incontestable ; mais il me semble qu'on n'a pas suffisamment examiné les motifs qui dirigèrent ou du moins qui furent invoqués par les trois papes que je viens de nommer. Ont-ils agi uniquement en qualité de papes et comme revêtus de la puissance spirituelle ? Je répondrai que non. Ils étaient, vis-à-vis de Manfred et de don Pèdre, dans une position toute particulière : la Sicile et l'Aragon étaient des fiefs du Saint-Siège ; c'est comme seigneurs suzerains et non comme souverains pontifes, et pour cause de trahison de la part de leurs vassaux, que Clément IV donna le trône de Sicile à Charles d'Anjou, et Martin IV celui d'Aragon à Charles de Valois : c'étaient là des actes purement _temporels, purement féodaux.

Quant à Frédéric II, on n'ignore pas quels étroits rapports unissaient depuis Charlemagne la papauté et l'empire. Ces deux puissances revendiquaient mutuellement une autorité l'une sur l'autre. L'empereur reconnaissait toutefois une sorte de suprématie de la part du pape ; il ne pouvait porter le titre d'empereur qu'après avoir été sacré par le pontife romain. Aucun pape n'avait jamais élevé pareille prétention sur un roi de France ; aussi lit-on avec étonnement le discours que Boniface tint dans un consistoire au mois de juillet 1302. Il dit que si Philippe ne laissait les prélats français aller à Rome, il le déposerait comme un petit garçon, et que ses prédécesseurs avaient déjà déposé trois rois de France ; ce qui était faux. Mais ce discours n'est rien moins qu'authentique ; il ne nous est parvenu que dans un manuscrit du quinzième siècle, et il a pu n'être pas fidèlement recueilli. Ce document est d'autant plus suspect qu'on y trouve une appréciation entièrement erronée des revenus du roi de France, et d'autres erreurs qu'on ne peut attribuer à Boniface VIII.

La publication de la bulle Petri solio excelso, en excommuniant Philippe, le plaçait dans la situation où s'étaient trouvés avant lui le roi Robert, Philippe Pr et surtout Philippe-Auguste. Sur ce point, Boniface VIII n'innovait rien. Quant aux deux glaives, auxquels il est si souvent fait allusion sous ce pontificat, ils sont souvent invoqués dans les lettres d'Innocent IV, de Grégoire IX et d'Innocent V. Qui plus est, les prédécesseurs de Boniface VIII prétendirent plus ouvertement que lui à la suprématie temporelle.

Grégoire IX n'écrivait-il pas à Frédéric II : « C'est un fait notoire et manifeste que Constantin, qui possédait la monarchie universelle, a voulu, du consentement du peuple de Rome et de l'empire romain tout entier ; que le vicaire du prince des apôtres, qui avait l'empire du sacerdoce et des âmes dans le monde entier, eût aussi le gouvernement des choses et des corps dans tout l'univers, persuadé que celui-là devait régir les choses terrestres, à qui Dieu avait confié sur la terre le soin des choses célestes.... Tu oublies que les prêtres du Christ sont les pères et les maitres de tous les rois et de tous les princes chrétiens.... D'où te vient cette audace de juger les décisions de notre conscience, dont le seul juge est au ciel, quand tu vois les tètes des rois et des princes se courber aux genoux des prêtres ?[79] » ' ? » Jamais. Boniface VIII n'alla aussi loin, mais il commit une faute grave : il réduisit en doctrine dans la constitution Unam sanctam les prétentions que ses prédécesseurs s'étaient contentés de formuler d'une manière spéciale.

II eut un autre tort, et c'est celui qui lui attira sans retour l'inimitié de Philippe le Bel ; il convoqua le concile de Latran pour réformer le gouvernement du roi de France. Les rois avaient bien pu accepter avec soumission des conseils paternels donnés dans le secret de la correspondance ; mais il leur était impossible de tolérer qu'un pape les mit solennellement en cause, et instruisit publiquement leur procès, quand on n'avait pas à leur reprocher de fautes contre la foi. La convocation du concile de Latran et la promulgation de la bulle Unam sanctam furent de la part de Boniface VIII des actes d'une grande imprudence, qui le précipitèrent à sa perte, et dont e mauvais succès, loin d'augmenter la puissance temporelle du Saint-Siège, l'affaiblit et réduisit, par suite d'une réaction inévitable, la papauté à la soumission de Benoît XI et de Clément V.

On sait comment, au mépris du droit des gens, Boniface, VIII fut arrêté dans Anagni, la veille même du jour où l'excommunication du roi de France allait être affichée publiquement. Quelle part Philippe le Bel eut-il à cet événement ? C'est un point qui n'a pas été encore examiné et que je vais essayer d'éclaircir. Le récit de la captivité de Boniface VIII généralement répandu ne me parait pas puisé à des sources entièrement digues de foi[80]. Il repose en partie sur Jean Villani, qui écrivait au milieu du quatorzième siècle[81], et qui a été souvent convaincu d'erreur, et sur l'Anglais Walsingham, historien encore plus récent[82].

On n'a pas tiré parti de la confession de Nogaret et du récit d'un des principaux conjurés, Rinaldo de Supino[83].

Nogaret raconte que le roi l'avait envoyé à la cour de Rome signifier au pape l'appel au futur concile, et le sommer de réunir ce concile ; mais le pape, qui ne se sentait pas en sûreté à Rome, au milieu d'une population qui lui était hostile, se retira dans sa ville natale, à Anagni. Nogaret n'osa l'y rejoindre ; ayant appris qu'il allait lancer l'excommunication contre le roi, il voulut le prévenir et résolut d'employer la force. Il s'était adressé au roi de Naples ; mais il parait ne l'avoir pas trouvé favorable à ses projets de violence ; il proposa ensuite aux Romains de lui prêter main-forte pour défendre l'Église opprimée par un usurpateur, un hérétique et un tyran[84]. Les Romains n'osèrent pas lui donner leur appui par peur du pape : il se tourna enfin vers les gibelins de la Romagne, et s'aboucha avec Rinaldo de Supino, ennemi mortel de Boniface, capitaine de la' ville de Ferento, et lui proposa de l'accompagner à Anagni, pour contraindre Boniface à la réunion d'un concile.

Le projet plut à Rinaldo et à ses amis ; mais ils ne voulurent pas s'engager sans obtenir une promesse formelle d'être mis à l'abri, parle roi de France, des suites spirituelles et temporelles de leur participation à une attaque contre la personne du pape. Nogaret les rassura en leur faisant lire et en leur donnant copie authentique du plein pouvoir que Philippe lui avait donné de traiter et conclure des alliances en son nom, s'engageant à ratifier tous les engagements qu'il prendrait : c'était un véritable blanc-seing[85]. Nogaret promit donc au nom du roi ce que demanda Rinaldo ; il stipula aussi que ses nouveaux alliés seraient payés de leur peine. Mais Rinaldo avait des scrupules. En vain Nogaret disait-il agir en bon catholique et ne travailler que pour le bonheur de l'Église, les Italiens savaient le danger qu'ils couraient en attaquant ouvertement un pape. Ils exigèrent que Nogaret marchât le premier avec l'étendard du roi de France, se contentant d'un rôle secondaire qui laissait à Nogaret et à Philippe l'honneur et le danger.

Nogaret dut en passer par ces exigences, quoique à regret, car cette dernière condition dérangeait ses plans. Cet hypocrite jetait les yeux sur l'avenir et voulait se ménager sinon une excuse, du moins un prétexte. Il s'était tracé le rôle de champion de la foi et de défenseur de l'Église : or, marcher sous la bannière fleurdelisée, c'était agir en soldat du roi de France, c'était se dépouiller de l'impunité. Il sut résoudre cette difficulté. Il avait promis de marcher sous la bannière du roi de France, mais il ne s'était pas interdit de déployer aussi l'étendard de l'Église romaine. Ce fut donc précédé du gonfanon de saint Pierre[86], porté par honneur avant la bannière de France, qu'il pénétra dans Anagni, dans la nuit du 6 au 7. Il avait avec lui une troupe de cavaliers et de fantassins, sous les ordres de Rinaldo et de Sciarra Colonna, auquel le désir de se venger faisait braver tous les périls. Le capitaine de la ville avait été gagné. La petite armée trouva les portes ouvertes et entra en criant : Vive le roi de France ! Mort au pape ![87]

Les neveux de Boniface se défendirent : on fit des barricades ; Nogaret et les siens durent faire la guerre des rues ; ils arrivèrent ainsi, après une série de combats, devant le palais. Pendant qu'une partie des assaillants cherchaient à enfoncer les portes, quelques-uns mirent le feu à la cathédrale, qui avait une communication avec la demeure du pape, et pénétrèrent dans le palais. Tout fut perdu dès lors pour Boniface. Il fut grand dans son malheur : il se revêtit des ornements sacerdotaux et monta sur son trône[88]. L'histoire n'a que de l'admiration pour les vieillards romains qui attendirent sur leurs chaises curules l'arrivée des Gaulois : l'action de Boniface était encore plus digne et plus grande.

Nogaret lui signifia l'appel au concile et le somma de le convoquer, lui promettant la protection du roi. Boniface ne daigna pas lui répondre. Sciarra Colonna le menaça : « Voici mon cou, voici ma tête » ; telle fut la réponse de Boniface, qui s'avança comme pour se livrer. Sciarra voulut le frapper ; Nogaret l'en empêcha. Comme il voulait s'en faire un mérite auprès du pape, il s'attira cette méprisante apostrophe : « Je nie console de me voir poursuivi par des patarins pour la cause de l'Église. » C'était une sanglante allusion au grand-père de Nogaret, qui avait été brûlé comme hérétique — en langue vulgaire patarin.

On prétend que Colonna le frappa de son gantelet au visage, qu'on l'attacha sur un âne, la tête tournée du côté de la queue ; et qu'on le promena dans Anagni au milieu des outrages ; mais ce sont là des récits que l'on doit rejeter[89]. Il parait certain que la personne de Boniface fut respectée[90]. Nogaret se contenta de le tenir comme en captivité et de l'obséder pour le faire consentir à la réunion d'un concile. Boniface fut inébranlable. Nogaret ne savait que faire, lorsqu'au bout de trois jours le peuple d'Anagni, honteux de sa trahison, vint réclamer Boniface[91]. Nogaret fut contraint de s'enfuir ; l'étendard du roi fut traîné dans la houe ; de la cavalerie venue de Rome poursuivit Nogaret, qui trouva un refuge à Ferento[92].

Boniface revint à Rome[93], où il mourut quelques jours après. Ainsi périt misérablement, après un règne de huit ans et dix mois, Boniface VIII, laissant la réputation d'un ambitieux qui avait reçu son châtiment. On ne saurait nier qu'il n'aimât à dominer. Il était doué d'une âme forte et peu commune : l'extérieur de sa personne révélait ces qualités. Quand, an dix-septième siècle, on déplaça son tombeau en reconstruisant Saint-Pierre de Rome, on trouva son corps dans un état de conservation parfaite[94]. Sa taille était élevée, son front large, ses mains belles ; son visage était empreint d'un air de sévérité et de hauteur[95].

Les historiens ecclésiastiques eux-mêmes ont avoué que ce pape avait plutôt les qualités d'un roi que d'un pontife[96]. Et cependant telle était l'autorité de la papauté, que Philippe n'osa l'attaquer de front. L'élection de Boniface VIII, du vivant de Célestin V, avait répandu dans beaucoup d'esprits des doutes sur la valeur de cet acte. Philippe profita de cette circonstance pour prétendre que Boniface n'était point pape : ce fut l'indigne, l'intrus qu'il poursuivit. Il est probable qu'il n'aurait jamais eu la témérité d'intenter un procès à un pape élu dans les conditions ordinaires, ou que, s'il l'avait fait, son entreprise aurait tourné contre lui.

Les ardeurs de la lutte donnèrent naissance à de nombreux écrits, dont les auteurs prirent en main la défense de l'indépendance des rois. Dans cette lutte se distinguèrent Jean de Paris[97], Guillaume d'Occam et surtout Pierre Dubois[98]. Ce dernier osa même proposer à Philippe le Bel la suppression du pouvoir temporel des papes, afin d'en investir le roi et de faciliter par-là, ce qui était l'objet de ses rêves, la monarchie universelle au profit de la France. Dubois développa ce projet hardi dans un mémoire qui fut remis à Philippe le Bel. Il espérait arriver à son but par des voies pacifiques. Il invitait le roi à suggérer au pape de céder son pouvoir temporel, moyennant une pension égale aux revenus du patrimoine de saint Pierre, transaction avantageuse au souverain pontife, qui ne jouissait pas en paix de ses domaines, par suite des révoltes perpétuelles de ses sujets. « Vieillard pacifique — c'est Dubois qui parle —, le pape ne peut réprimer par les armes les rébellions. Veut-il employer la force ? Il éprouvera des résistances, la guerre éclatera : des milliers d'hommes périront, dont les âmes descendront en enfer, âmes qu'il avait charge de défendre et de sauver. Il ne doit prétendre à d'autre gloire qu'à celle de pardonner, d'annoncer la parole de Dieu et de rappeler à la concorde les princes chrétiens. Mais quand il se montre auteur et promoteur de tant de guerres et d'homicides, il donne un exemple pernicieux : il fait ce qu'il déteste, ce qu'il blâme, ce qu'il accuse, ce qu'il empêche chez les autres.... Quel est l’homme qui oserait se donner pour capable de manier l'un et l'autre glaive dans de si vastes états ?[99] »

Le pouvoir temporel des papes ne fut pas seul attaqué : quelques-uns des arguments s'égarèrent contre la discipline et contre le dogme. Dubois osa bien proposer au roi l'abolition du célibat des prêtres ; on alla plus loin[100] : on fit circuler une fausse bulle attribuée à Boniface VIII, habilement talquée sur les constitutions apostoliques, qui relevait le clergé du vœu de chasteté et lui permettait le mariage[101]. Jean de Paris nia la transsubstantiation et professa sur le mystère de l'eucharistie une doctrine voisine de celle de Luther[102]. Mais le véritable résultat du différend de Philippe le Bel avec Boniface VIII fut la reconnaissance par tous de l'indépendance de la couronne.

 

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CHAPITRE DEUXIÈME. — CLÉMENT V ET LES TEMPLIERS.

 

Effet produit en France par la mort de Boniface VIII. — Élection de Benoit XI, qui absout Philippe le Bel. — Il meurt : soupçons invraisemblables auxquels cette mort a donné lieu. — Élection de Clément V. — Examen de la question si cette élection fut le fruit des intrigues de Philippe le Bel. Complaisance de ce nouveau pape envers le roi. — Nominations directes aux évêchés par le pape à la demande du roi. — Graves négociations entre le pape et le roi. — Dès 1305 il est question des Templiers. — Puissance incroyable de cet ordre militaire et religieux. — Projets de réforme qui échouent. — Les Templiers sont arrêtés par ordre du roi. — Indignation du pape. — Philippe le Bel fait répandre des pamphlets contre Clément V pour le forcer à abolir l'ordre du Temple. — Il joue le rôle de défenseur de la foi. — Il force Clément de faire le procès à la mémoire de Boniface VIII. — Il obtient, au moyen des états généraux, le procès, puis l'abolition des Templiers au concile de Vienne, par le pape, malgré l'avis du concile. — Examen des griefs imputés aux Templiers. — Condamnation et supplice du grand maitre. — Philippe s'enrichit par la suppression des Templiers.

 

Le déplorable triomphe que venait de remporter Philippe le Bel le mettait dans un singulier embarras. C'était lui, le roi très-chrétien, le, fils aîné de l'Église, le petit-fils de saint Louis, le descendant de ces rois auprès desquels le Saint-Siège avait toujours trouvé un appui dans l'adversité, qui avaient été l'objet de toutes les complaisances des papes, c'était lui qui venait de briser, par un attentat inouï, cette alliance qu'il semblait impossible de rompre, et dont dépendait, aux yeux de tous, la stabilité de l'Église romaine et de la royauté française.

Mariage est de bon devis

De l'Eglise et des fleurs de lis,

Quand l'un de l'autre partira

Chacun d'eux si s'en sentira[103].

Tel fut l'effet que produisit en France la nouvelle de l'arrestation et de la mort de Boniface. Une lettre confidentielle de Nogaret au roi fait connaître la situation difficile où se trouvait Philippe[104]. Les prélats les plus illustres de l'Église gallicane, tout ce que le clergé comptait d'hommes fameux par leur science ou leurs vertus, étaient partisans de Boniface : la plupart n'attendaient que le moment de se déclarer contre le roi, et ils repoussaient comme des calomnies les accusations portées contre le pape. Des princes, de hauts personnages, des amis du roi, partageaient cette opinion et trouvaient que Philippe avait sur la conscience un poids bien lourd[105]. Le passé n'était pas seul à donner des inquiétudes : l'avenir se présentait incertain et menaçant.

Aussitôt après la mort de Boniface, le conclave se réunit à Pérouse. Nogaret se transporta dans cette ville et protesta devant notaire contre toute élection qui serait contraire aux intérêts de son maître[106]. L'évêque d'Ostie fut élu et prit le nom de Benoit XI. Philippe ne pouvait espérer un choix plus favorable[107]. Le nouveau pape s'empressa de l'absoudre, sans qu'il l'eût demandé, de toutes les sentences d'excommunication qui avaient pu être portées contre lui, dans une bulle remarquable où éclatait l'antique tendresse du Saint-Siège pour les rois de France. « Ne sommes-nous pas, disait Benoit XI, le vicaire de Celui qui a proposé pour exemple cet homme qui, donnant un festin, dit à ses serviteurs : Allez par les chemins et forcez-les d'entrer, pour que ma maison soit remplie ! Nous avons aussi accompli la parabole du bon pasteur, qui court après la brebis égarée et la rapporte sur ses épaules. Comment ne te contraindrais-je pas d'entrer, et quelle ouaille est aussi grande, aussi noble, aussi illustre que toi ? »

Philippe lui envoya une ambassade pour le féliciter de son avènement ; Benoît annula toutes les bulles de Boniface, soit contre le roi, soit contre le royaume ; Il leva toutes les excommunications encourues. Les Colonna furent absous[108]. Il y eut un pardon général, dont ne furent exceptés que Nogaret et les auteurs de l'attentat d'Anagni[109]. Benoît XI mourut au mois d'août 1304, après sept mois de règne, laissant l'Église pacifiée et la concorde rétablie entre le Saint-Siège et la France. Il avait défait, à l'applaudissement général, tout ce qu'avait fait Boniface VIII, et, en tenant cette conduite, il n'avait cédé ni aux menaces de Philippe, ni à une haine personnelle contre Boniface : il avait agi selon les intérêts de la papauté.

Depuis le milieu du treizième siècle, la situation des papes était précaire en Italie. Le patrimoine de saint Pierre était envahi par les familles patriciennes, qui faisaient de chaque ville un repaire de tyrans. A Rome même, le pape n'était rien entre les deux factions des Colonna et des Orsini. Innocent III avait été réduit à s'échapper de Rome, où il était captif. Pérouse était devenue la résidence ordinaire des papes[110]. Boniface ne se sentait en sûreté qu'à Anagni. Un seul appui désintéressé, la France, qui ne refusa jamais aide au faible et ne vendit jamais son secours ! De cet ami fidèle, Boniface avait fait un ennemi. Philippe pouvait à son tour dire au Saint-Siège ce que Boniface lui avait dit dans un mouvement d'orgueil : « Si je t'abandonne, qui te soutiendra ? »

Cette bonne harmonie, Benoît XI eut la gloire de la rétablir. Il mourut inopinément : on a parlé de poison ; on a été plus loin : on a prononcé le nom de Philippe le Bel. Cette accusation ne se trouve pas dans les chroniqueurs contemporains, sauf dans un seul. Pour qui connaît la situation, c'est là une absurde calomnie. Philippe avait intérêt à ce que Benoît XI vécût. Où aurait-il trouvé un pontife plus ami que celui qui s'était empressé de le relever de toutes les censures portées par Boniface ? Il y a plus, la mort de Benoît était si peu utile au roi de France, qu'elle remit tout en question. Un nouveau pape, favorable à Boniface, pouvait être élu et chercher à le venger.

Le conclave se réunit à Pérouse : les cardinaux restèrent enfermés pendant dix mois sans pouvoir s'entendre. Enfin leur choix tomba sur Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux. Une vieille histoire, qu'on trouve dans Villani, raconte que les cardinaux, pressés par le peuple et par les ambassadeurs étrangers de prendre une résolution, et ennuyés eux-mêmes de leur longue captivité, firent un compromis : les partisans.de Boniface devaient présenter trois candidats, parmi lesquels choisirait le cardinal de Prato, chef du parti contraire. Au nombre des trois candidats fut Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, ennemi de Philippe le Bel, mais avide d'honneurs, de pouvoir et surtout d'argent. Un tel homme devait convenir à Philippe ; aussi le cardinal de Prato le lui recommanda comme facile à corrompre. Philippe alla trouver l'archevêque dans une abbaye près de Saint-Jean-d'Angély, et s'adressant à lui : « Sire archevêque, j'ai dans ma main de quoi vous faire pape, si je veux, et c'est pour cela que je suis venu. » Et il lui montra le compromis des cardinaux. Bertrand se jeta à ses pieds ; le roi lui posa cinq conditions, et réserva une sixième. Bertrand jura de les remplir, et, par l'ordre du roi, le cardinal de Prato le désigna comme pape.

J'ai résumé le récit de Villani, qui n'omet aucune circonstance de lieu et de temps. Cette histoire est invraisemblable, même par sa trop grande précision : on en a prouvé l'inexactitude et la fausseté[111]. Mais si Philippe n'a pas eu d'entrevue à Saint-Jean d'Angély, si l'élection de Clément V n'a pas été le résultat d'un compromis, faut-il en conclure que tout est faux dans le récit de Villani et que Clément n'a pas été élu par l'influence de Philippe le Bel[112] ? Je ne le crois pas. Le récit de Villani est une légende : or toute légende repose sur un fait que les détails merveilleux dénaturent souvent, mais dont la donnée première est conforme à la vérité. Le point de départ du récit de Villani est la soumission de Clément V à Philippe le Bel. Or, cette soumission ne saurait être mise en doute ; elle n'est que trop prouvée par les actes du pontificat de Bertrand de Got. D'ailleurs des historiens contemporains dignes de foi attribuent l'élection de Clément V à l'or de Philippe le Bel[113].

Le pontificat de Clément V ne fut en effet qu'une suite de concessions aux exigences insatiables du roi. Les décrets de Boniface VIII contre Philippe le Bel furent biffés sur les registres du Vatican[114]. La bulle Unam sanctam fut déclarée inapplicable à la France. J'ai lu avec attention la correspondance intime de Philippe et de Clément[115], et je déclare qu'on ne comprend la servile obéissance du pape que si l'on suppose des engagements antérieurs à son élection. Avant de montrer à quels actes politiques Philippe le contraignit de donner son adhésion, au mépris de la dignité et des droits du Saint-Siège, je vais faire voir en quelques mots ce que devinrent sous son pontificat les libertés de l'Église de France.

On ne vit plus d'élections d'évêques par les chapitres. Philippe commandait et il fallait obéir. Moyennant cette soumission, le roi permettait au pape de nommer directement aux évêchés. Clément pourvut ainsi aux sièges de Langres et d'Agen[116], d'Auxerre[117], de Bayeux, de Clermont. A propos de Langres, il écrivait au roi : « Nous voulons préposer à ce siège une personne agréable à Dieu, à nous, à toi et à l'Église ». Il se réserva la nomination de l'évêque de Bayeux, afin, disait-il, de donner à cette Église une preuve de son affection paternelle[118]. Le roi prétendait bien profiter de ce droit de nomination qu'il laissait au pape, pour placer ses propres créatures. En 1309, il demanda à Clément V de donner l'archevêché de Sens à son conseiller Philippe, évêque de Cambrai. Clément refusa, vu l'importance du siège. — Philippe renouvela trois fois sa demande et Clément céda à ses instances, mais il pria le roi de ne plus l'importuner sans extrême nécessité par de semblables demandes, contraires à ses intentions. La chancellerie romaine expédia une bulle solennelle — ad perpetuam rei memoriam — où le pape disait que, voulant mettre à la tête de l'Église de Sens un homme selon son cœur, qui pût en soutenir le fardeau et l'honneur, pour des causes graves et raisonnables qui auraient déterminé ceux auxquels il s'adressait, et par le conseil de ses cardinaux, il s'en était réservé la nomination[119]. On sait quelles étaient ces causes déterminantes. Clément V était sévèrement puni : chaque jour renouvelait son humiliation et sa faiblesse. —Philippe était sans pudeur. Dans la même lettre où il remerciait le pape d'avoir nommé son candidat à l'archevêché de Sens, il le priait de donner l'évêché de Cambrai à l'un de ses familiers, Guillaume de Trie[120]. Une autre fois, il demandait l'archevêché d'Orléans pour Pierre de Laon, son clerc. Les papes disposaient souvent des bénéfices ecclésiastiques avant qu'ils fussent vacants : on appelait cela des grâces expectatives. L'abus était ancien ; il donna lieu à Chartres à une scène scandaleuse entre deux expectants, l'un nommé par Benoît XI, l'autre par Clément V. Ce dernier ayant été investi d'un bénéfice au détriment de son compétiteur, celui-ci se précipita sur son rival dans le chœur de la cathédrale, lui arracha ses ornements, et interrompit par ses violences le service divin[121].

Le roi se fit concéder de nombreux décimes par le pape ; mais qu'étaient ces exigences en comparaison de celles qu'il lui imposa, et qui, au dire de Villani, ou plutôt suivant la rumeur publique, étaient le résultat d'un traité. Philippe envoya à Clément V, après son élection, des ambassadeurs qui traitèrent avec lui des questions, si graves, que le roi et le pape jurèrent de n'en parler à personne ; mais Philippe supplia Clément de lui permettre de faire connaître ce secret à trois ou quatre de ses conseillers. Dans la réponse qu'il fit à cette demande, Clément abandonna à sa discrétion le choix de ses confidents, « car nous sommes certain, disait-il, que tu ne révéleras ces choses qu'à des personnes que tu sauras être pleines de zèle et d'amour pour notre honneur et le tien. » Dans la même lettre, il l'invitait à assister à son couronnement[122]. J'ai acquis la preuve que ces négociations avaient un double objet : la condamnation de Boniface VIII et la suppression de l'ordre du Temple.

L'abolition de la milice du Temple est le grand scandale du pontificat de Clément V et une des iniquités du règne de Philippe le Bel. C'est un des mystères de l'histoire les plus obscurs. Les nombreuses pièces du procès donnent les motifs, mais non les causes véritables de cette mesure terrible, qui frappa l'Église et la noblesse. Il y a plusieurs causes, à mon sens, qui, réunies, décidèrent le roi à cet acte de rigueur. Les Templiers étaient riches et puissants ; leur puissance créait des dangers à la royauté ; leurs trésors excitaient la convoitise. Philippe devait être tenté de se les approprier et de relever ainsi les finances épuisées de l'État.

Fondé au commencement du douzième siècle, l'ordre du Temple avait pour objet la défense des lieux saints : moines et soldats, les Templiers réunissaient les deux forces qui se partageaient le monde, la croix et l'épée ; leur caractère sacré joint à leur brillante valeur, la noblesse de la plupart des frères, leur attiraient les respects de tous.

Ils avaient acquis, en moins de deux siècles, d'immenses richesses. Quand on étudie les actes qui constatent leur fortune, on a la révélation de leur puissance[123].

Dans toute la Normandie, province où les habitants des campagnes étaient libres et pouvaient disposer de leurs biens, les donations faites par les paysans aux chevaliers du Temple sont innombrables. Dans les chartes qui relatent ces libéralités, le motif allégué par les donateurs est le salut de leur âme ; le motif réel était le besoin de protection qu'ils ressentaient et qu'ils trouvaient auprès des Templiers, qui à l'influence morale du prêtre joignaient la puissance de l'homme de guerre[124]. Toutes les classes de la société participaient ik ce besoin. Pour le satisfaire, les propriétaires donnaient une partie de leurs biens ; les artisans et les ouvriers, qui ne possédaient que leur personne, s'engageaient et se soumettaient aux Templiers, non qu'ils abdiquassent entièrement leur liberté, qu'ils se fissent serfs, mais ils devenaient ce qu'on appelait les hommes de leurs nouveaux maîtres. Ils prêtaient hommage et payaient chaque année un faible cens de quelques deniers, eu signe de dépendance et de subjection. Quel mobile pouvait pousser des hommes libres à engager ainsi leur liberté ? Un grand nombre de chartes nous le font connaître, entre autres une où Guérin, pêcheur à Condé en Brie, homme libre et franc, se fait l'homme des Templiers de Choisy, pro commodo et utilitate sua, ut ei videbatur, et ad vitanda factura pericula[125]. Ces périls si redoutables étaient les poursuites des baillis seigneuriaux, et ce fut pour s'y soustraire que nombre d'ouvriers s'avouèrent les hommes du Temple.

Ces actes ne sont autre chose que l'ancienne recommandation, qui fut si fréquente à la fin de la deuxième race, époque où les hommes libres achetaient leur repos en se choisissant un maitre. Les mêmes causes, tant qu'elles subsistèrent, amenèrent les mêmes effets. Cette attraction des classes inférieures vers le Temple souleva des réclamations. Philippe fut obligé de donner l'ordre au bailli de Touraine de réprimer les Templiers qui accueillaient les hommes du chapitre de Saint-Martin de Tours[126], et cependant il les entourait de respect et de faveurs. En 1295, il amortit gratuitement leurs nouvelles acquisitions jusqu'à concurrence de la valeur de mille livres[127]. It exempta leurs hommes de corps des impôts extraordinaires[128]. En 1304, il leur donna des lettres d'amortissement général pour tous leurs biens, dans des termes de bienveillance et d'affection[129].

Mais avec la puissance était venu l'orgueil : le but de l'institution avait été souvent oublié. La conduite des Templiers en Orient[130] et leur rivalité avec les chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem fixèrent l'attention du Saint-Siège dès le milieu du treizième siècle[131]. Le pape Grégoire X voulut, pour secourir plus efficacement la terre sainte, réunir les deux ordres. Le concile de Lyon rejeta cette proposition, en prévision de l'opposition des rois de Castille et d'Aragon[132]. Ce projet fut repris en 1291. Le grand maitre du Temple consulté déclara cette cession impossible à cause de l'inimitié qui divisait le Temple et l'Hôpital.

On raconte qu'un templier enfermé dans une prison royale à cause de ses crimes, fit à un compagnon de captivité d'étranges confidences sur de graves désordres qui se passaient dans le Temple, et que le plus grand secret avait jusqu'alors dérobés à la connaissance du public. On parlait de pratiques hérétiques, d'apostasie et de mœurs dépravées. Le confident du templier révéla cette conversation, dont le bruit arriva jusqu'au roi, qui fit prendre des informations. Il eut à ce sujet un entretien à Lyon, lors des fêtes du couronnement, avec Clément V, qui refusa d'y ajouter foi[133].

En 1306, les Templiers rendirent au roi un service qu'il ne leur pardonna pas. Dans une émeute, causée par les brusques variations des monnaies, les Parisiens insultèrent Philippe, qui trouva un asile dans le Temple, où ils le tinrent assiégé pendant plusieurs jours. Le roi de France réduit à se mettre sous la protection des Templiers dans sa capitale ; c'était trop humiliant pour Philippe, qui put juger par lui-même de leurs richesses.et de leur puissance. Dès lors leur perte fut irrévocablement arrêtée. Le misérable état d'anarchie où se trouvait l'Italie, déchirée par les factions des Noirs et des Blancs, ne permettait pas à Clément V de songer à retourner en Italie. De Lyon, il se rendit à Cluny et de là à Bordeaux, en passant par Nevers, Bourges et Limoges : il allait d'abbaye en abbaye, avec toute sa cour. Ce voyage, pendant lequel il se faisait défrayer par les églises qu'il visitait, souleva les malédictions du clergé, qu'il ruinait[134]. L'archevêque de Bourges, le fameux Gille Colonna, fut réduit, après avoir reçu la visite du pape, à solliciter sa part dans les distributions de vivres faites aux chanoines de sa métropole[135]. La plupart des églises s'endettèrent et devinrent la proie des usuriers.

Les prélats se plaignirent ; Philippe accueillit leurs plaintes avec empressement et envoya au pape une ambassade menaçante, composée d'un maréchal de France et de deux chevaliers, lui faire des reproches. Clément s'humilia : il répondit que sa conscience l'absolvait personnellement de ce qu'on lui imputait, mais qu'il était homme et vivait au milieu des hommes. a Nous n'osons pas dire, ajouta-t-il, que notre maison soit plus pure que l'arche de Noé, oà sur huit Mus se trouva un réprouvé, ni plus sainte que la maison d'Abraham, ni que celle d'Isaac ; et cependant, ni Noé, ni Abraham, ni Isaac ne furent accusés. » IL s'étonnait, en terminant, de ce que ces plaintes eussent été portées par des prélats avec lesquels il avait été lié avant son élévation, et qu'il pouvait croire ses amis ; au lieu de publier leurs griefs ils auraient pu l'avertir, lui ou quelqu'un de ses cardinaux[136].

Clément V tomba gravement malade en 1306. Philippe lei ayant fait demander mie entrevue, il proposa Toulouse. Le roi objecta l'impossibilité où il était de s'éloigner du nord de la France et désigna Tours. Clément invoqua sa mauvaise santé, qui lai interdisait un long voyage : Philippe fut inflexible ; il consentit avec peine à fixer le rendez-vous à Poitiers[137].

Il ne fut pas même exact : il arriva enfin escorté de ses frères, de ses fils et de ses principaux barons. il renouvela ses instances pour obtenir la suppression des Templiers : il donna de nouveaux détails qu'il avait recueillis sur les crimes qu'il leur imputait. Clément fut ébranlé, mais n'accorda rien : il promit d'ordonner une enquête et pria le roi d'en faire une de son côté. Ils s'engagèrent à se communiquer le résultat de leurs informations et à ne prendre de décision que d'un commun accord.

Philippe se retira mécontent, et annonça hautement le projet de poursuivre la mémoire de Boniface VIII. Ce fut une arme qu'il tint suspendue au-dessus-de la tête de Clément V, pour lui arracher la suppression du Temple. Le pape était presque tenu en captivité à Poitiers. Des bruits sinistres circulèrent sur le compte du Temple. Les Templiers, qui en furent instruits, demandèrent audacieusement des juges au souverain pontife. Clément ne savait quel parti prendre : Philippe se lassa de ses irrésolutions et frappa un grand coup.

Le 13 octobre 1307, les Templiers furent arrêtés dans tout le royaume. Les lettres de cachet ordonnant leur arrestation étaient accompagnées de lettres plus amples, destinées à donner les motifs de cet acte extraordinaire. — « Une chose amère, une chose déplorable, une chose horrible à penser, terrible à entendre, exécrable de scélératesse, détestable d'infamie, une chose qui n'a rien d'humain, mais attestée par de nombreux témoignages, est venue à nos oreilles, non sans nous frapper d'une violente stupeur et d'une horreur indicible. Notre douleur a été immense à la nouvelle de crimes énormes contre la majesté divine, la foi orthodoxe, qui sont une honte pour l'humanité, un exemple de perversité, un scandale public. La raison se trouble en voyant une nature qui s'exile elle-même des bornes de la nature, qui oublie son principe, qui méconnait sa dignité, qui prodigue de soi, s'assimile aux bêtes dépourvues de sens ; que dis-je, qui dépasse la brutalité des bêtes elles-mêmes ![138] »

Cet exorde éloquent était suivi de l'énumération des crimes imputés aux Templiers.

Nul n'est admis dans leur ordre qu'après avoir renouvelé le supplice de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en le renonçant trois fois et en crachant sur le crucifix.

Après ce sacrilège, le nouveau Templier baise trois fois celui qui le reçoit, sur le derrière, sur le nombril, sur la bouche. Ils s'obligent ensuite par d'horribles serments à ne refuser à leurs frères aucune complaisance infatue.

Philippe ajoutait qu'il en avait conféré avec le pape.

Cette lettre, répandue dans le peuple et lue avidement, produisit l'impression désirée. Nul, ne douta de la culpabilité des Templiers, en voyant l'Église d'accord avec le pouvoir temporel pour frapper un ordre religieux.

Cet accord entre le roi et le pape, que Philippe annonçait, était-il réel ? Les historiens ecclésiastiques, s'inclinant devant l'autorité pontificale, n'ont pas osé absoudre ceux qu'un pape avait condamnés. Mais cette condamnation, bien que prononcée par Clément V, n'a pas été l'expression de sa volonté ; elle lui fut imposée par des moyens violents et par l'intimidation. Il avait bien promis de faire une enquête, mais il n'avait jamais consenti à l'arrestation des Templiers. Aussi, dès que la nouvelle lui parvint par la rumeur publique, il oublia sa dépendance pour se plaindre amèrement et reprocher an roi d'avoir violé ses engagements[139].

Les baillis et les sénéchaux avaient mis sous séquestre les biens des Templiers et commencé le procès contre les membres de l'ordre. Cette procédure était la violation de toutes les lois, car les Templiers, qu'on accusait d'hérésie, n'étaient justiciables que des tribunaux ecclésiastiques. Les agents du roi le reconnurent : ils s'adjoignirent les inquisiteurs de la foi, qui se montrèrent les complices dévoués du roi, et dont le chef, Guillaume de Paris, confesseur de Philippe, avait approuvé et même conseillé l'arrestation des Templiers. Les baillis et les inquisiteurs réunis procédèrent avec une révoltante iniquité. Les prisonniers furent sommés par trois fois, sous peine d'excommunication, de révéler leurs crimes ; on promit grâce et protection à ceux qui avoueraient ; on appliqua la torture à ceux qui soutinrent leur innocence : il fallait des aveux à tout prix. On obtenait par les supplices ceux que l'on n'avait pu acheter par les promesses. Les évêques aussi intervinrent.

Philippe écrivit aux princes étrangers pour les inviter à suivre son exemple ; nous avons les réponses de ces princes : elles servent à faire connaître le plus ou moins d'influence de Philippe en Europe. Le roi d'Angleterre a rassemblé ses prélats et ses barons ; ils n'ont pu ajouter foi à ce que leur mandait Philippe : on fera une enquête. Le roi des Romains s'étonne, il attend les ordres du pape, seul juge en pareille matière. Même réponse de l'archevêque de Cologne, mais accompagnée de protestations du plus entier dévouement. La lettre du duc de Brabant est tout à fait satisfaisante : « Nous avons bien entendu ce que mandé nous avez en droit de la besoigne des Templiers. Nous avons pris les Templiers demeuranz en nostre terre et les tenons en nostre povoir, et leurs biens sont mis en arrêt, tout ainsi comme mandé le nous avez[140]. » Le roi de Sicile, comte de Provence, ne fut pas moins soumis. Le comte de Flandre agit comme s'il n'avait rien reçu[141].

Clément suspendit les pouvoirs des inquisiteurs et des évêques, et demanda que le roi lui remît les personnes et les biens des Templiers. Philippe n'obéit pas, mais il envoya à Poitiers soixante-douze chevaliers du Temple, pour que le pape les examinât et se convainquît de la réalité des accusations qu'il portait. Ils avouèrent librement. Un Templier de la maison du pape fit des confidences. Clément ne douta plus, mais il ne voulut pas accorder à Philippe la suppression de l'ordre. Philippe le pressait d'aviser[142]. Des familiers du roi ayant répandu le bruit que le souverain pontife avait abandonné au roi la direction de cette affaire, Clément protesta[143]. En fin de compte, il ne prenait aucune décision. Philippe résolut de lui faire peur. On fit circuler des libelles hardis où l'on reprochait à Clément d'être vendu aux Templiers, et où l'on reconnaît la main du pamphlétaire officiel, de Pierre Dubois. L'un de ces pamphlets, que l'on supposait être une requête adressée par le peuple au roi, débutait ainsi :

« Le pueble du rosauine de France, qui tous diz (toujours) a esté et sera par la grave de Dieu dévost et obéissant à Sainte Église plus que nul autre, requiert que leur sires li rois de France, qui puet avoir acès à nostre père li pape, li monstre que les a trop fort corrociés et Brant esclandre commeu entre eus, pour ce que il ne fait semblant fors que de parole de faire punir, non pas la bougrerie des Templiers mais la renoierie aperte par leurs confessions faites devant son enquisetcour et devant tant de prélats et d'autres bonnes gens. » Viennent ensuite les plus injurieuses insinuations contre Clément. « Pour quoy le pueble ne set penser raison de cest délay ne de tele perversion de droit, fors que il cuident que ce soit voir (vrai) que l'on dit communémant : que grandemant d'or doné et promist leur nuist. » Suivent des reproches directs sur les grands biens qu'il avait donnés à son neveu et à ses amis, et des menaces[144].

Un autre libelle, dû à la même plume, ne craignit pas de toucher aux questions les plus graves : c'était une prétendue lettre du roi au pape. Clément y était accusé d'une coupable négligence pour les intérêts de la foi. Sa tiédeur encourageait les Templiers et affligeait l'Église de France. « Qu'il prenne garde, car il est soumis aux lois ecclésiastiques. » Le roi n'est pas un accusateur ni un dénonciateur, mais le ministre de Dieu, le champion de la foi catholique, le zélateur de la loi divine, armé, conformément à la tradition des saints pères, pour la défense de l'Église, dont il doit rendre compte à Dieu[145].

Un troisième pamphlet, encore plus audacieux, expliquait ce que prétendait faire Philippe en se proclamant le champion de la foi. On y posait en principe que l'hérésie était un crime qu'il appartenait aux princes de punir : on citait Moise, qui avait fait mettre à mort vingt-deux mille Israélites coupables d'avoir adoré le veau d'or, et cependant Moise n'était pas prêtre, le sacerdoce appartenait à son frère Aaron. En frappant les Templiers, le roi très-chrétien se rendra digne de cette béatitude que Dieu a promise par la bouche de son prophète, par ces paroles : Beati qui faciunt judicium et justitiam in omni tempore[146].

Clément résistait toujours. Philippe eut recours aux états généraux. Il joua avec une grande habileté ce rôle de défenseur de la foi qu'il avait pris et auquel il associait la nation, exécutant ainsi la menace qu'il avait fait adresser à Clément. Dubois avait dit : « Les Templiers sont des hérétiques ; l'hérésie est un crime contre Dieu, qui est la tête de l'Église. Le bras droit, c'est-à-dire le pouvoir ecclésiastique, doit veiller à ce que la tête soit respectée, sinon ce devoir incombe au bras gauche, c'est-à-dire au pouvoir temporel. Si ce dernier reste dans l'inaction, les membres inférieurs, c'est-à-dire le peuple, se lèveront pour la défense du chef[147]. »

La circulaire que le roi expédia aux communes pour les inviter à envoyer des députés aux états généraux, est un curieux monument de cette politique qui faisait prendre en main par le chef de l'État la défense de l'Église contre un de ses membres lm plus illustres, et qui tendait à substituer en matière de foi k pouvoir séculier à l'autorité ecclésiastique.

« Nos ancêtres, disait-il, se sont toujours distingués entre les princes par leur sollicitude à extirper de l'Église de Dieu et du royaume de France les hérésies et les autres erreurs, défendant comme un trésor inestimable, coutre les voleurs et les larrons, la foi catholique, cette perle précieuse. » Il déclarait ensuite vouloir marcher sur les traces de ses prédécesseurs et profiter de la paix terrestre que Dieu lui avait accordée pour faire la guerre aux ennemis publics et secrets de la foi. « Qui peut nier le Christ, par lequel et dans lequel nous vivons, qui s'est incarné pour nous, qui n'a pas craint de souffrir pour nous la mort la plus cruelle ? Aimons Notre-Seigneur, avec qui meus régnerons un jour ; vengeons sou injure ! Ô douleur ! l'erreur des Templiers, erreur si abominable, si amère, si détestable, vous est connue. Ils reniaient Jésus-Christ, et ils forçaient ceux qui entraient dans leur ordre à le renier ; ils crachaient sur la croix, instrument de notre rédemption, ils la foulaient aux pieds, et, en dérision des créatures de Dieu, ils se donnaient de sales baisers ; ils adoraient des idoles ; ils se permettaient entre eux ce que les brutes n'osent faire. La terre et le ciel sont ébranlés par le souffle de leurs crimes ; les quatre nombre de chefs d'accusation[148]. Clément chargea une commission, présidée par l'archevêque de Narbonne, d'instruire le procès de l'ordre entier. Elle interrogea le grand maitre, Jacques de Molay, et les autres chefs de l'ordre. Tons attribuèrent leurs aveux aux tortures auxquelles ils avaient été exposés. Les Templiers présents à Paris nommèrent un de leurs frères, Pierre de Boulogne, et huit autres chevaliers pour défendre l'ordre. On entendit, depuis le mois d'octobre 1309 jusqu'au mois de mai 1311, treize cent trente et un témoins[149]. Dans chaque province, des conciles se réunirent pour statuer d'après les enquêtes qui avaient été faites : ils condamnèrent les Templiers à différentes peines, les uns au feu, d'autres à la prison ; quelques-uns furent absous. On en brilla cinquante-neuf à Paris à la porte Saint-Antoine[150]. Mais les condamnations individuelles ne suffisaient pas au roi : il fatiguait le pape de ses obsessions pour obtenir la condamnation de l'ordre. Clément promit de convoquer un concile à Vienne en 1310 pour décider cette grave affaire, et finit par signifier qu'il ne rendrait aucun nouveau décret au sujet des Templiers. Il manifesta l'intention de donner aux Hospitaliers les biens du Temple ; Philippe combattit vivement cette mesure, et parla de nouveau du procès de Boniface. Clément, las de se trouver à la merci de Philippe[151] et dans l'impossibilité de se rendre à Rome, s'était fait céder par le comte de Provence la ville d'Avignon et y avait transféré le Saint-Siège. Ce fut dans cette ville qu'il convoqua tous ceux qui avaient quelque accusation à porter contre la mémoire de Boniface. Nogaret se chargea de soutenir l'accusation. De toutes parts arrivèrent des témoins : les parents et les amis de Boniface vinrent défendre sa mémoire. Le procès s'instruisit avec appareil. J'ai parlé des accusations portées par Nogaret contre Boniface ; la dignité de l'histoire serait souillée par le récit de ce qui se passa devant la cour pontificale à Avignon : on faisait de Boniface un monstre plus odieux que Tibère à Caprée ; les crimes les plus atroces étaient imputés à. un homme d'une naissance distinguée, les plus odieuses débauches à un vieillard, les plus sales blasphèmes à un pontife. L'infamie des témoins n'inspire que da dégoût et du mépris pour ces dépositions invraisemblables et payées. Ajoutez à cela des ergoteries d'avocat, des chicanes de procureur. Nogaret, qui avait arrêté Boniface VIII pour le faire juger par un concile, était devenu pour les besoins de sa cause l'intrépide champion des droits de la papauté. Aux défenseurs de Boniface, qui prenaient acte de ce qui avait été fait, pour prétendre qu'un pape ne pouvait être jugé que par un concile, il opposait la toute-puissance pontificale et soutenait qu'un pape pouvait juger et condamner un de ses prédécesseurs. Le procès dura près d'une année, étalant le misérable spectacle de violences, de ruses, de faux et de mensonges. Clément ne savait comment sortir avec honneur de cette difficulté ; il lui fallait déshonorer le Saint-Siège en déclarant Boniface hérétique, ou s'attirer la haine de Philippe par une sentence d'absolution. Il pria le comte de Valois d'obtenir du roi d'abandonner à sa discrétion la solution de cette affaire ; la demande du comte fut appuyée par une partie de la noblesse. Enfin, au mois de février 1311, Philippe s'en remit à la décision du pape au concile de Vienne. On fit désister les accusateurs, et le procès n'ayant plus d'objet, le pape déclara la mémoire de Boniface pure et sainte. Nogaret fut absous.

Mais ce n'était pas là une victoire pour Clément : Philippe ne renonçait à la poursuite contre Boniface VIII qu'à la condition de l'abolition des Templiers. Le concile de Vienne, qui devait statuer sur le sort de cet ordre, s'ouvrit vers la fin de l'année 1311.

La majorité des Pères fut défavorable à. l'abolition. Clément, surveillé par le roi qui était venu à, Vienne, prononça la suppression par voie de provision et publia cette sentence dans le concile, mais sans sa participation, en présence du roi, de son frère, de ses fils et de toute sa cour[152].

On a vu sous quel prétexte Philippe avait fait arrêter les Templiers ; il les accusait de mauvaises mœurs et d'hérésie ; il insistait surtout sur ce dernier point. On profita des interrogatoires faits en 1307 par 'ordre du roi, pour dresser les chefs d'accusation, qui furent remis en 1308 par Clément V aux commissaires qu'il chargea d'instruire le procès de l'ordre.

Suivant ces articles :

Chaque Templier, lors de sa réception, reniait le Christ. Ceux qui le recevaient lui déclaraient que le Christ n'était pas Dieu, mais un faux prophète, et lui ordonnaient de cracher sur le crucifix. Ils se baisaient sur la bouche, sur le nombril et sur le dos. Personne n'était admis à la réception d'un chevalier.

On leur recommandait de ne refuser à leurs frères aucune complaisance.

Ils ne croyaient pas au sacrement de l'autel.

Ils adoraient un chat.

Ils avaient des idoles en forme de têtes à une ou plusieurs faces, et ils les adoraient.

Ils faisaient toucher à ces idoles des cordelettes dont ils se ceignaient le corps.

Ceux qui refusaient de faire ces choses, ils les mettaient à mort ; et ils juraient de ne jamais rien révéler.

Tels sont en substance les crimes que l'on reprochait aux Templiers. Ils peuvent se réduire à trois principaux : reniement du Christ — idolâtrie — mauvaises mœurs. Des savants modernes ont vu dans les cérémonies impies attribuées aux Templiers des traces de manichéisme. La lecture des nombreuses dépositions qui nous sont parvenues ne permet pas d'adopter cette opinion. D'abord, il ne faut pas admettre sans examen tous les témoignages, dont la plupart furent obtenus par la torture. Cependant il est, je crois, hors de doute que les Templiers n'étaient reçus dans l'ordre qu'après avoir renié le Christ. Il y a unanimité pour ce fait, tant en France que dans les pays étrangers[153]. La plupart des accusés racontent que cette action leur avait fait horreur, mais qu'on leur avait répondu que c'était la règle. A certains on disait que c'était une coutume introduite par un grand maitre qui était tombé entre les mains des Sarrasins, et n'avait obtenu sa liberté qu'à cette condition[154]. A d'autres on avait assuré que c'était en mémoire de saint Pierre qui avait renié Jésus[155]. La plupart affirmèrent avoir renié de bouche seulement. Il est impossible de croire que cette renonciation ne fût pas une formule symbolique dont la signification primitive s'était perdue ; je demanderai la permission de risquer une explication nouvelle. Un des premiers devoirs des Templiers était l'obéissance passive. Chaque récipiendaire s'y engageait par serment ; on le mettait immédiatement à l'épreuve en obtenant de lui la plus grande marque de soumission qu'on pût demander, la renonciation à sa foi. Mais cette renonciation n'était évidemment que fictive ; car toutes les dépositions, même celles des Templiers qui paraissent avoir été subornés pour accuser l'ordre, sont unanimes à reconnaître comme étant en vigueur dans le Temple la pratique du christianisme[156]. De sales baisers faisaient partie du cérémonial de la réception d'un Templier. Il y a presque unanimité à cet égard ; cependant, tantôt c'est le récipiendaire qui les donne, tantôt c'est lui qui reçoit ; quelquefois ils sont réciproques. Ils n’étaient pas tous aussi sales que le porte l'acte d'accusation ; beaucoup baisaient la bouche, d'autres le dos. On doit voir dans cette cérémonie une marque d'humilité et de fraternité[157].

Passons aux idoles qui ont fait soupçonner les Templiers de manichéisme : peu de Templiers déclarent les avoir vues ; car elles n'étaient exposées que dans les chapitres généraux. Les unes étaient un crâne humain, d'autres une tête de bois argentée ou dorée ; toutes avaient une longue barbe ; on se prosternait devant elles et on les adorait. Cependant, des Templiers du Midi déclarèrent que, lors de leur réception, on leur avait fait adorer une idole barbue de cuivre doré, en forme de Boffomet ; mais ces dépositions sont suspectes, car selon l'un des témoins, le prêtre qui montrait cette idole prononçait le mot arabe : I allah. Cette accusation de mahométisme était absurde, puisque les mahométans ont toujours eu horreur du culte des images. Ces têtes n'étaient-elles pas des reliquaires ? La cordelette dont les Templiers se ceignaient joue un grand rôle dans les interprétations gnostiques que l'on prétend donner des doctrines du Temple. On peut la regarder comme un emblème de chasteté.

Reste l'accusation de mauvaises mœurs : il n'est pas vraisemblable que l'autorisation des plus criminels désordres ait été inscrite dans la règle du Temple, règle que nous possédons. Sans doute, un long séjour en Palestine fit contracter A quelques Templiers des mœurs orientales ; on peut même aller plus loin et reconnaître que de pernicieux conseils ont pu être donnés, pour éviter tout scandale extérieur et sauvegarder au milieu des païens la réputation de l'ordre. Je crois que c'est la seule opinion raisonnable sur cette question ; il y aurait beaucoup d'injustice à incriminer l'ordre du Temple tout entier, à cause des vices de quelques-uns de ses membres.

Il y avait certes de grands abus à corriger ; les Templiers étaient peut-être devenus inutiles et même dangereux[158] ; mais on ne pouvait avec équité les accuser d'hérésie. Or, l'hérésie fut le prétexte dont Philippe se servit pour abattre cette puissante famille militaire et religieuse, qui couvrait le monde de ses châteaux, dont les possessions étaient immenses, qui avait tout un peuple de vassaux et de clients dans toutes les classes de la société, et que ses richesses et sa puissance avaient rendue superbe. « Orgueil de Templier », disait le proverbe, et c'est tout ce qu'on leur reprocha tant qu'ils furent debout. Ils faisaient d'abondantes aumônes, et Jacques de Molay pouvait affirmer, sans être contredit, qu'ils nourrissaient des milliers de pauvres. Si l'on invoque contre le Temple les aveux de plusieurs de ses membres, on peut répondre que les tortures arrachèrent ces aveux ; les supplices attendaient ceux qui restaient fidèles à l'ordre, pendant qu'on promettait le pardon et des pensions à ceux qui avoueraient. La peur des tortures de l'inquisition fit trembler un grand nombre de chevaliers qui étaient allés sans crainte au combat ; plusieurs se repentirent de leur faiblesse, se rétractèrent, et donnèrent, en proclamant leur innocence sur le bûcher, la plus grande preuve de la sincérité de leurs dernières déclarations.

A partir du concile de Vienne, les Templiers durent être jugés selon leurs méfaits personnels ; le jugement du grand maître et de plusieurs autres fut réservé au pape, qui délégua trois cardinaux, devant lesquels Jacques de Molay et les commandeurs de Guienne et de Normandie avouèrent, dit-on, ce qu'on leur reprochait. Ils furent condamnés à une détention perpétuelle. Les cardinaux désirant donner au public le spectacle de la condamnation du grand maitre, firent dresser un échafaud devant Notre-Dame de Paris, et y firent lire les aveux des Templiers ; Jacques de Molay interrompit cette lecture et proclama que l'ordre du Temple était pur et saint. Un de ses compagnons fit la même déclaration. L'embarras fut grand. Les Templiers furent ramenés en prison. Jacques de Molay et son compagnon, qui avaient rétracté leurs aveux, furent brêlés sans jugement, par ordre du roi, dans une petite ile aujourd'hui réunie à la pointe de l'île de la Cité, et placée entre le jardin du Palais et le couvent des Grands-Augustins. L'abbé de Saint-Germain des Prés, qui avait toute juridiction sur cette île, se plaignit de cette violation de ses privilèges, et le roi lui accorda des lettres de non préjudice[159].

On raconte que Jacques de Molay ajourna Philippe le Bel et Clément V, ses bourreaux, à comparaître dans l'année au tribunal de Dieu[160] ; c'est là une légende merveilleuse, mais le poète Geoffroi de Paris nous a laissé des derniers moments du grand maître, dont il fut témoin, un admirable récit, qui jette une grande lumière sur cet homme, dont la mort fut si courageuse et si chrétienne ; de ce martyre, comme l'appelle Geoffroi de Paris, dont le supplice fut pour le peuple l'objet d'une poignante pitié[161]. Molay attesta son innocence et appela la vengeance du ciel sur ses persécuteurs. Chrétien digne des premiers âges, il pria qu'on lui déliât les mains pour pouvoir adresser une dernière prière ; et les yeux fixés sur l'église Notre-Dame, sanctuaire révéré de la Vierge, la mort le prit doucement. On comprend que les témoins de cette belle mort, voyant moins d'un an après Philippe et Clément V appelés à rendre compte à Dieu de leurs actes, aient vu là un effet du jugement de Dieu et de la malédiction de Jacques de Molay[162].

La France fut le seul pays où l'on se montra cruel pour les Templiers : partout ailleurs, on donna leurs biens aux Hospitaliers et l'on forma des ordres nouveaux où ils furent admis.

Les causes de la suppression de cet ordre, telles que je viens de les exposer pour la première fois et qui nous sont connues par des documents authentiques inédits ou peu connus, furent pour les contemporains un mystère impénétrable.

Francesco Amadi, qui vivait au quinzième siècle, mais qui reproduit évidemment le récit d'un contemporain, raconte que le trésorier du Temple prêta au roi 200,000 florins sans l'aveu du grand maitre, et qu'il fut pour cette faute chassé de l'ordre[163]. En vain Philippe demanda sa grâce, Jacques de Molay fut inflexible : de là, la haine du roi. Aimeri de Peyrac, abbé de Moissac, prétend que les Templiers avaient conspiré contre Philippe ; Walsingham attribue l'animosité du roi au désir d'établir un royaume d'Orient au profit d'un de ses fils[164].

La plupart des chroniqueurs français parlent avec effroi des impiétés et des débauches des Templiers : tous racontent avec émotion leur fermeté dans les supplices[165].

La participation de Clément à la suppression de cet ordre célèbre a surtout paru inexplicable : on a cru qu'il avait agi par conviction, en présence des preuves irrécusables des crimes des Templiers. J'ai montré qu'il ne fut en cette circonstance que l'instrument, on peut même dire la victime, de Philippe le Bel, qui l'obséda pendant près de six années pour lui arracher une condamnation, et qui n'y parvint qu'en le menaçant d'un scandale inouï, de la condamnation de Boniface VIII comme hérétique.

Quant aux biens des Templiers qui paraissent avoir excité la convoitise de Philippe le Bel, ils furent adjugés par Clément V à l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem[166], qui était dévoué au roi[167] ; mais Philippe ne s'en dessaisit qu'à regret. Il prétendit que les Templiers lui avaient volé deux cent mille livres tournois, qu'il avait déposées au Temple[168]. Les Hospitaliers promirent de restituer cette somme. Ce ne fut pas tout : on leur fit payer soixante mille livres pour les frais du procès, qui pourtant avaient déjà été prélevés sur les revenus du Temple[169] ; on leur fit donner quittance de tous les revenus échus depuis le séquestre des biens. Il y eut successivement plusieurs transactions de ce genre, et ce fut seulement en 1315 que Louis le Hutin délivra aux chevaliers de l'Hôpital les possessions des Templiers, après les avoir contraints de lui abandonner la moitié des meubles et même des ornements d'église[170], qui étaient d'une grande valeur. La part des Hospitaliers ne laissa pas que d'être fort belle, et il y aurait de l'exagération à dire, d'après saint Antonin, qu'au lieu de s'enrichir, ainsi qu'ils l'espéraient, ils s'appauvrirent en recevant les biens da Temple[171]. Plus des deux tiers des possessions de l'ordre de Malte en France, à la fin du siècle dernier, avaient cette origine[172].

 

 

 



[1] Au douzième siècle, Louis VII, ou plutôt Suger, eut avec Rome un grave différend au sujet de l'ordination de P. de la Châtre connue évêque de Bourges, en 1141. Dès lors le droit d'intervention de la couronne dans les élections fut reconnu. Voyez la Dissertation de Brial, Mém. de l’Acad. Des inscript., nouv. série, t. VI, p. 360 et suiv.

[2] Bibl. imp., cart. 170 (ancien Reg. XXXIX du Trésor des chartes).

[3] Dupuy, Preuves du différend, p. 76.

[4] D'abord en 1295. Rainaldi, t. IV, p. 193. Dupuy, Différend, p. 625. Mais cette bulle resta sans exécution jusqu'en 1207. Gallia, t. XIII, Instr., p. 98.

[5] Rain., p. 271, 272. Lettre du pape au roi.

[6] Bibl. imp., cart. 170, fol. 98.

[7] Rainaldi, t. IV, p. 80. — Bern. Guidonis, Histoire de France, t. XXI, p. 709.

[8] Petrarca, Familiares epistolæ, lib. ep. III.

[9] Dupuy, p. 78, d'après un manuscrit de la Bibl. de Saint-Victor. MM. 7, fol. 82 v°.

[10] Histoire du différend du pape Boniface VIII arec Philippe le Bel, suivi de preuves. In-folio.

[11] Histoire des démeslez du pape Boniface arec Philippe le Bel, roy de France, par feu Adrien Baillet. In-12. Paris, Barrois, 1718. Baillet a établi un parallèle plus ingénieux que vrai outre la querelle de Boniface VIII et de Philippe le Bel et le différend d'Innocent XI avec Louis XII. Il est à remarquer que les ouvrages de Dupuy et de Baillet ont paru après la mort de leurs auteurs.

[12] Guillelmos de Xangiaco, Chronique de Saint-Denis. — Bernard. Guidonis.

[13] Rainaldi, Annales ecclés., t. IV, p. 536. Fleury, Histoire ecclésiastique.

[14] Luigi Tosti, Storia di Bonifacio VIII. In-8°, 2 vol. Monte-Cassino, 1846. Je ne puis passer sons silence l'Histoire de la papauté pendant le quatorzième siècle, par l'abbé Christophe. In-8°, 3 vol. Paris, 1853. M. l'abbé Christophe a mis à profit le père Tosti.

[15] Purgatoire, XX.

[16] Rainaldi, Annales ecclés., t. IV, p. 189 et 190.

[17] Dupuy, p. 27. (Lettre des légats, 20 avril 1297.)

[18] Bibl. imp., cart. 170, fol. I. (13 juillet 1298). — Dupuy, p. 44.

[19] Voyez la plainte du clergé dans Kervyn, Recherches sur la part de l'ordre de Cîteaux au procès de Boniface VIII, p. 15, d'après un ancien manuscrit de l'abbaye des Dunes.

[20] Dupuy, p. 14. Rainaldi a publié une bulle du 15 des cal. de septembre où il est parlé de la bulle Clericis comme nuper edita.

[21] Cart. 170, fol. 12. Dupuy, p. 15. Rain., p. 210 (21 septembre 1296.)

[22] Dupuy, p. 13.

[23] Dupuy, p. 21.

[24] Voici le titre tel qu'il est dans le cart. 170 : Pulcherrime responsiones facto pro rege ad bullam precedentem (Ineffabilis) et ad puncta aligna in es contenta, et est totem notabilissinum licet non sit opus perfectum, fol. 15 r°

[25] Dupuy, p. 26, sans date.

[26] Cet acte est transcrit dans Kervyn, Recherches, p. 22.

[27] Rain., 137. Cette bulle n'est pas dans Dupuy.

[28] 3 juillet 1297. Dupuy, p. 39.

[29] Rain., 235. Martène, t. I, p. 1287.

[30] Pour la querelle de Boniface arec les Colonna on ne peut suivre un meilleur guide que Tosti, p. 200 et suiv. — Voyez aussi Rainaldi, années 1297, 1298 et 1299 ; Franciscus Pippinus ; Feretii de Vicence, apud Muratori, t. IX ; et Christophe, Histoire de la papauté, t. I, p. 85 et suiv.

[31] Rainaldi, t. IV, p. 236.

[32] Kervyn, p. 43, Lettre relatant l'audience du 25 juin 1298.

[33] Kervyn, p. 50.

[34] Kervyn, p. 47, 48.

[35] Rymer, t. I, p. 200. Kervyn, p. 50.

[36] Rain., p. 250.

[37] Rain., p. 200.

[38] Baillet, p. 98.

[39] Voyez Rainaldi, p. 286 ; chap. XXXVI ; Chronique de Gilles le Muisis, t. II, p. 188. (Collection des documents belges.)

[40] Dépêche des ambassadeurs flamands du 9 juillet 1299. Kervyn, p. 6 : et Cartul. 170, fol. 22 r° : 3 des cal. de janvier de la quatrième année. Voyez Notices et extraits, n° VIII.

[41] Dépêche du 17 janvier 1380. Kervyn, p. 70, d'après l'original conservé aux archives de Lille.

[42] Kervyn, p. 74, d’après les archives de Rupelmonde, n° 1025. A la dernière ligne on lit : Hœc scriptura data est die martis post diem Nativitatis Domini.

[43] En l’an 1300 Philippe envoya en ambassade à Rome l'archevêque de Narbonne, qui n'obtint rien. Baluze, t. II, p. 459.

[44] Vaissette, t. IV, p. 86 ; Gallia, t. VI, p. 8 ; Martène, t. IV, p. 225. Un concile réuni à Béziers supplia le roi de faire rendre justice à l'archevêque. Baluze, Concil. Narbon., p. 83.

[45] Un concile réuni à Béziers supplia le pape de faire rendre justice au prélat. Baluze, Concil. Narbon., p. 84.

[46] Anagaiæ, XV kal. aug. anno VI. Rain., p. 296.

[47] Rain., p. 298, 299 ; Dupuy, p. 9.

[48] Voyez cette enquête dans Dupuy, Différend, appendice consacré au procès de l'évêque de Pamiers ; et un abrégé dans Rainaldi, p. 314.

[49] Pour le récit du procès, voyez Martène, t. I, p. 1319 et suiv., et les originaux du procès au Trésor des chartes, carton J. 336, n° 1 à 22, reproduits en partie à la suite des Preuves du différend de Boniface VIII et de Philippe le Bel, de Dupuy. Bernard Saisset était d'un caractère hautain et difficile : il avait eu de longues querelles avec le comte de Foix ; voyez le travail de M. Combes intitulé : De contentionibus Bernardi Saisseti, primi Appamiarum episcopi, cum Rogerio Bernardo, comite Fuxensi. In-8°.

[50] Martène, t. I, p. 1320.

[51] Baillet, p. 114. Dupuy, p. 630.

[52] Rainaldi, p. 315.

[53] Bulle Salvator mundi. Baillet, Preuves, p. 42 (3 décembre 1301).

[54] Dupuy, p. 76.

[55] Kervyn, p. 13.

[56] Dupuy, p. 98.

[57] Dupuy, p. 98.

[58] Cartul. 170, fol. 32, décembre 1301. Boniface admonestait vertement le roi et le menaçait de l'excommunication.

[59] Voyez les raisons insuffisantes alléguées par Baillet pour essayer de prouver l'authenticité de cette bulle, Démêlez, p. 126. — Contre l'authenticité, conf. Marca, De concordia, t. IV, cap. XVI. Cette pièce est trop contraire aux usages de la chancellerie romaine pour être vraie ; la plus ancienne mention qu'on en commisse est dans une réponse de Dubois, le pamphlétaire aux gages de Philippe le Bel.

[60] Cette bulle n'est pas plus authentique que la précédente.

[61] Cartul. 170, fol. 27 v°. — Notices et extraits, n° XVI.

[62] Cartul. 170, fol. 28.

[63] Reg. XXVI du Trésor des chartes, n° 61.

[64] Mandement du roi ordonnant de saisir les biens des clercs absents du royaume_ Reg. XXXVI du Trésor des chartes, n° 34.

Les biens ainsi mis sous séquestre furent administrés par ordre du roi comme biens tombés en régale. Voyez, pour ce qui se passa à Nîmes, Gallia christiana, t. VI, p. 448. C'est donc bien à tort que M. Rabanis, dans son ouvrage intitulé Clément V et Philippe le Bel, affirme (p. 30) que les prélats qui se rendirent à Rome ne furent pas inquiétés.

[65] Dupuy, Preuves du différend, p. 54. Dupuy a daté à tort ce décret de l'an 1301.

[66] Dupuy, p. 89.

[67] Reg. XXXII du Trésor des chartes, n° 34. — Dupuy, p. 86.

[68] Dupuy, p. 89.

[69] Dupuy, p. 91.

[70] Allusion aux Vêpres siciliennes.

[71] Dupuy, p. 101.

[72] Bulle Per processus. Dupuy, p. 98.

[73] Voyez la bulle Petri solio excelso. Dupuy, p. 181.

[74] Bulle Juxta verbum propheticum. Cartul. 170, fol. 38 v°. Notices et extraits, n° XVII.

[75] Dupuy, p. 100 et 101.

[76] Joh. a Sancto Victore, Hist. de France, t. XXI, p. 641.

[77] Annales Colmar., an 1302. Voyez aussi la bulle Petri solio. Dupuy, p. 184.

[78] Contin. ciron. Guillelmi de Fracheto, Hist. de France, t. XXI, p. 25. Il s'appelait Jean de Pontoise : il fut remplacé par l'abbé de Jouy. On a beaucoup accusé la bonne foi de Philippe le Bel, parce que Dupuy a prétendu que l'abbé de Cîteaux avait adhéré et qu'il a publié un acte qui le constatait. On s'est trompé : l'abbé de Cîteaux paraît en effet parmi les membres de la grande assemblée du 13 juin où fut résolu l'appel, mais il n'est pas dit qu'il adhéra, et l'acte n'est-pas muni de son sceau. Le refus d'adhésion n'est pas exprimé, il est vrai, mais on ne peut accuser Philippe d'avoir supposé l'adhésion et surtout d'avoir produit un acte falsifié. Pour ces accusations, voyez Kervyn, p. 85.

[79] Lettre du 23 octobre 1236. Huillard-Bréholles, Introduction à l'histoire diplomatique de Frédéric II, p. COXXX.

[80] Dupuy, p. 21. Baillet, p. 277 et suiv. Baillet est infiniment plus complet que Dupuy : il fait d'ailleurs preuve de critique : cependant il s'est trop servi d'historiens qui, ayant vécu beaucoup plus tard, ne pouvaient donner des informations assez exactes. M. l'abbé Christophe, quoique ayant puisé à des sources plus nombreuses que ses devanciers, n'apporte aucun fait nouveau. Histoire de la papauté au quatorzième siècle, t. I, p. 145 et suiv.

[81] Villani, l. VIII, chap. LXIII, apud Muratori, Scriptores hist. ital., t. XIII.

[82] Thomas Walsingham, Historia Angliæ, cité par Dupuy, p. 193.

[83] Boniface l'avait dépouillé du château de Trévi qu'il tenait en fief. Arch. du Vatican, Miscellanea, capsula 73, n° 3 (9 novembre 1298).

[84] Allegationes excusatoriæ Guillelmi de Nogareto super facto Bonifaciano. Dupuy, p. 256.

[85] Dupuy, p. 609.

[86] Acte d'accusation de Nogaret. Dupuy, p. 441.

[87] Dupuy, p. 256.

[88] Tous les auteurs sont d'accord sur la fermeté de Boniface. Conf. Dupuy, p. 21. Baillet, p. 279 et suiv.

[89] Walsingham, apud Dupuy, p. 194.

[90] Le fait est affirmé par saint Antonin, archevêque de Florence, t. III, tit. XX, cap. VIII. Les violences qui furent commises, notamment le pillage du trésor pontifical, doivent surtout être attribuées à Colonna. Voyez le mémoire adressé à Benoît XI, dans Baluze, Vitæ paparum Avenion., t. I, p. 15.

[91] Récit de Nogaret. Dupuy, p. 248.

[92] Récit de Rinaldo de Supino. Dupuy, p. 608.

[93] Où il tomba entre les mains des Orsini qui le tinrent prisonnier en l'entourant de démonstrations de respect et de dévouement. Bain., t. IV, p. 355 et 356. Feretti de Vicence, apud Muratori, t. VIII, p. 1008. Il mourut le 11 octobre.

[94] Voyez le procès-verbal dans Rainaldi, p. 359 (en 1605). Conf. Sponde, Annales ecclesiastici, anno 1303, n° 16. Sponde, évêque de Pamiers et continuateur de Baronius, avait été témoin oculaire de l'exhumation de Boniface.

[95] La découverte du corps de Boniface VIII encore intact dément, ainsi que l'a fait remarquer Baillet (Démêlez, p. 296), le récit d'historiens qui prétendaient qu'il s'était rongé les mains de rage avant de mourir.

[96] Mansi, ad Rainaldam, t. IV, p. 356.

[97] Richer, Défense de la doctrine des anciens, p. 48.

[98] A la fin du recueil de Dupuy sur le différend, p. 663. Sur Dubois, voyez Notices et extraits des manuscrits, t. XX, 2e part., p. 166 et suiv.

[99] Summaria et brevis doctrina. Bibl. imp., n° 6622, fol. 7. Voyez le Mémoire de M. de Wailly sur cet opuscule, t. XVIII des Mém. de l'Acad. des inscript., p. 9 et 10 du tirage à part.

[100] De Wailly, Mém. de l'Acad., t. XVIII, p. 1+67.

[101] Voyez cette bulle dans Kervyn, Recherches, p. 84 et 85.

[102] Baluze, Vitœ paparum, t. 1, fol. 3.

[103] Baillet, p. 188, d'après un ancien manuscrit de l'abbaye de Saint-Victor.

[104] Cartul. 170, fol. 37. Voyez Notices et extraits, n° 18.

[105] Cartul. 170, fol. 37, pièce commençant ainsi : Redis est veritas. Voyez Notices et extraits, n° 18.

[106] Dupuy, p. 237.

[107] Dans la bulle où il informait Philippe de son avènement, il lui promettait tout ce qu'il pouvait désirer de lui et de le favoriser tanquam filio benedictionis, w cal. apr. anno t (1304). Invent. de Dupuy, Bulles, n° 5. (L'original est actuellement en déficit.)

[108] Dupuy, t. I, p. 207. 2 avril 1304. Bulle Quanta nos, o fili.

[109] Bulle Sanctœ matris Ecclesiœ. Dupuy, p. 208.

[110] Voyez la preuve de tout ceci dans Rabanis, Clément V et Philippe le Bel, p. 125 et suiv. ; et Christophe, Histoire de la papauté au quatorzième siècle, t. I, p. 62 et suiv.

[111] Villani, l. VIII, cap. LXXX. Rabanis, Clément V et Philippe le Bel. Quant à l'influence du cardinal de Prato sur l'élection de Clément V, elle est attestée par Dino Composai, apud Muratori, VIII, p. 237.

[112] Les événements les plus importants du pontificat de Clément V ont été rendus souvent incompréhensibles par la mauvaise chronologie adoptée par Dom et par Baluze : ces deux savants avaient compté les années du pontificat à partir de l'élection, tandis que Clément ne les comptait qu'à partir de son couronnement. Ce fait, qui entraîne de graves conséquences et permet de rectifier un grand nombre d'erreurs, a été démontré par M. de Wailly dans une dissertation intitulée : Des recherches sur la véritable date de quelques bulles de Clément V. In-8°. L'erreur que je viens de signaler avait déjà été combattue au siècle dernier par Dom Vaissette, t. IV, p. 559.

[113] Chronique de Dino Compagni, apud Muratori, t. VIII, p. 517. — Feretti de Vicence, apud Muratori, t. IX, p. 1014. Conf. Christophe, Histoire de la papauté, t. I, p. 179.

[114] Rainaldi publie les bulles de Boniface VIII en indiquant les parties effacées par ordre de Clément V à la requête de Philippe le Bel. Il est curieux d'étudier les passages dont la suppression fut réclamée par le roi, comme attentatoires à ses droits et à son honneur. Il se montra très-sévère, et donna par là à Clément V une idée de ce qu'il était disposé à tolérer de sa part, c'est-à-dire peu ou point de conseils.

[115] Cette correspondance se trouve dans le n° 170 du fonds des Cartulaires de la Bibliothèque impériale, qui n'est autre que l'ancien Registre XXIX ou C du Trésor des chartes. La plupart des lettres de Clément ont été publiées par Baluze (Vitæ paparum Avenionensium, t. II) ; cependant ce savant en a omis plusieurs d'un intérêt capital, qui éclairent la conduite de Clément et du roi dans l'affaire des Templiers, et qu'il a sans doute supprimées non par égard pour Philippe le Bel, mais par crainte de Louis XIV.

[116] II kal. febr. anno I. Cart. 170, fol. 53.

[117] II non. april. anno II. Cart. 170, fol. 174.

[118] VI kal. sept. anno I. Cart. 170, fol. 60 v°.

[119] Cart. 178, fol. 174 r°. VIII kal. maii anno IV. Ex certis et magnis rationabilibus causis.

[120] Trésor des chartes, Reg. XLII, n° 65 (fin de 1308) ; sans date. Cart. 170, fol. 110.

[121] Lettre de Philippe à Clément V. Sans date. Cart. 170,. n° 108 v°.

[122] Cart. 170, fol. 161. Baluze, t. II, p. 62.

[123] Voyez ces actes confondus avec ceux de Malte. A. I. série S.

[124] Entre autres, carton S. 4996. Commanderie de Renneville.

[125] Charte de l'an 1261. Carton J. 772 ; dans ce carton il y a plusieurs actes de ce genre.

[126] Or. A. I, K. 37, n° 18.

[127] J. 426, n° 10. Voyez les originaux des privilèges accordés par les rois à partir de l'an 1152. J. 422.

[128] Or. K. 36, n° 31.

[129] K. 37 B. n° 25.

[130] Voyez Michaud, Histoire des croisades, 5e édit., t. V, p. 555. Mas-Latrie, Histoire de Chypre, t. III, p. 662. En 1283, le roi Henri de Lusignan allant à Beyrouth, ses chevaux furent enlevés par des Arabes apostés par les Templiers. Sanudo, Liber secretorum, p. 229.

[131] Cart. 170, fol. 164. Mémoire du grand maître du Temple.

[132] Lettre à l'archevêque de Narbonne, 18 août 1291. Vaissette, p. 115 ; Preuves, col. 97. Rainaldi, t. IV, an 1291, n° 7.

[133] Cart. 170, fol. 87. — Baluze, t. II, p. 74.

[134] Chronique métrique de Geoffroi de Paris, vers 3159.

[135] Chronique métrique de Geoffroi de Paris, vers 3172 et suiv.

[136] Baluze, t. II, p. 58. VI kal. aug. anno I (1306).

[137] Apud Pessacum, V idus febr. anno II. Cart. 170, fol. 75 et 75.

[138] Voyez cette lettre dans Mesnard, Histoire de Nismes, t. I, preuves, col. 195. Elle est datée de Pontoise, du jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix, jour même où l'arrestation des Templiers fut décidée.

[139] Cart. 170, fol. 5 v°. Pièce inédite. Dupuy (Condamnation der Templiers, p. 100) la cote sous l'année 1306, ce qui est absurde, puisqu'elle aurait précédé l'arrestation des Templiers.

[140] Cartul. 170, fol. XXXXIX et suiv. — Notices et extraits, n° 24.

[141] Bibl. imp., chartes Colbert, n° 33.

[142] Cartul. 170, fol. 69 (15 novembre 1307).

[143] Reg. LII du Trésor des chartes, n° VIIIXXXI (1er décembre 1307).

[144] Cartul. 170, fol. 119, publié dans Notices et extraits, n° 28.

[145] Notices et extraits, n° 29. — Dupuy, Condamnation des Templiers, p. 95.

[146] Notices et extraits, n° 27.

[147] Trésor des chartes, J. 414, n° 34.

[148] Dupuy, Procès des Templiers, p. 46 et 47.

[149] Procès des Templiers, publié par M. Michelet. 2 vol. in-4°.

[150] Dupuy, Procès des Templiers, p. 52 et 53.

[151] Memor. Johannis a Sancto Victore, Hist. de France, t. XXI, p. 647.

[152] Rainaldi, Annales ecclés., t. IV, sub anno 1311.

[153] Le grand maître l'avoua : voyez la lettre des cardinaux en date de la fin d'août 1308. Cartul. 170, fol. 126 v°.

[154] Déposition de Geoffroi de Gonneville, qui avait été reçu en Angleterre. Dépositions des Templiers de Paris reçues par Guillaume de Paris, inquisiteur. Trésor des chartes, Templiers, II, n° 18. Conf. Dupuy, p. 87 et 88.

[155] Dupuy, p. 89.

[156] Il n'y a rien de plus pur que la règle de l'ordre du Temple approuvée au concile de Troyes en 1128, et publiée par Maillard de Chambure. Paris, 1840, in-8°. Conf. Bulletin de la Commission d'histoire de Belgique, t. I, p. 47. Cette édition est faite d'après un manuscrit conservé aux archives de Dijon.

[157] Voyez le Procès der Templiers, publié par M. Michelet dans la Collection des documents inédits. Il n'y a rien d'aussi fastidieux que la lecture de ces pièces, qui ne jettent aucun jour sur la question.

[158] Dans un mémoire adressé en i306 au roi d'Angleterre, Dubois proposait la suppression des deux ordres du Temple et de Malte, qui étaient divisés, pleins de mauvaise foi et inutiles. De recuperatione terræ sanctæ, apud Bongars, Gesta Dei per Francos, p. 320 et 321.

[159] Mars 1313. Or. Arch. de l'Emp., K. 39, n° 12. — Copie de temps, Reg. XXXIX, n° 1298 ; et Olim, t. II, p. 599.

[160] On a nié (Sismondi, Histoire des Français, t. IX, p. 293) ce fait, qui n'était, dit-on, attesté que par des auteurs qui vivaient longtemps après. Un des plus anciens historiens qui en parle serait Paul Émile ; c'est une erreur.

[161] Chronique de G. de Paris, Buchon, p. 219. Voyez aussi la Relation d'Amadi. Mas-Latrie, Histoire de Chypre, t. II, p. 169.

[162] L'historien italien Feretti de Vicence raconte une curieuse anecdote où il est question d'un Templier napolitain qui, mené devant Clément, lui reprocha son injustice. Conduit longtemps après au supplice, il s'écria : Audi, papa trux... Ego quidem ab hoc nefando tuo judicio ad Deum vivum et verum, qui est in cadis, appello, teque admoneo, ut intra diem et annum coram eo pariter cum Philippo tanti sceleris auctore comparere studeas meis objectionibus responsurus, turque ezcusationis causam editurus. Deinde obticuit et magnifice supplicium tulit. Muratori, Rerum italicarum scriptores, t. IV, p. 1017. Conf. Lacabane, Dissertations sur l'histoire de France au quatorzième siècle, t. I, p. 2. On comprend que cet appel au jugement de Dieu, ce cri suprême de l'innocence, dut être prononcé plusieurs fois.

[163] Mas-Latrie, Histoire de Chypre, preuves, t. II, p. 690. Ces emprunts faits au Temple ne sont pas invraisemblables. En 1297, le roi se fit remettre 2.500 livres tournois, sur l'argent destiné à la croisade qui était déposé au Temple et s'engagea à en répondre pour les Templiers. A. I, or. K. 36, n° 51 bis. 29 mai 1297.

[164] Baluze, Not. ad vitæ pap. Aven., t. II, p. 589.

[165] Geoffroy de Paris, vers 6070 et suiv., édit. Buchon.

[166] Chronique de G. de Fracheto, Historiens de France, t. XXI, p. 37.

[167] Voyez une lettre du grand maître Foulque de Villaret à Philippe le Bel, dont il se dit l'homme lige, et qu'il proclame lucerna ardens que orthodoxorum plebem ducit, regit et illuminat. Or. Trésor des chartes, J. 442, n° 13.

[168] Prima compositio. Or. A. I, J. 368, n° 3. Félibien, Histoire de Paris, t. III, preuves, n° 320 (21 mars 1312, vieux style).

[169] Seconda comp. Félibien, Histoire de Paris, t. III, preuves, p. 320.

[170] Tertia comp. Or. Trésor des chartes, J. 368 n° 4. Les biens des Templiers avaient été administrés pendant le séquestre par des commissaires nommés par le roi et par le pape. Voyez un compte du séquestre des maisons du Temple du bailliage de Troyes, en 1308. Or. Bibl. imp., Mélanges de Clérambault, t. IX, fol. 223 et suiv. — Le roi avait ordonné au prévôt des marchands de Paris de veiller à la garde des biens des Templiers à Paris. Or. Arch. de l'Emp., K. 37, n° 39.

[171] Apud Rainaldi, t. IV, p. 547.

[172] Voyez les archives de l'ordre de Malte aux Arch. de l'Emp., série S. Dubois, dans le même mémoire où il proposa, en 1306, à Édouard d'Angleterre l'abolition des Templiers et des Hospitaliers, proposition qu'il fit aussi sans aucun doute à Philippe le Bel, évaluait à 800,000 livres le revenu de ces deux ordres. Ce calcul est sans doute exagéré, mais il montre quelle haute idée des hommes éclairés avaient de la richesse de ces deux ordres religieux. De recuperatione terræ sanctæ, apud Bongars, Gesta Dei per Francos, t. II, p. 320 et 321.