[note 1] — Il est inutile de s’évertuer à corriger des
textes inconciliables. Josèphe affirme que Antiochos dit le Pieux, fils du
Cyzicène, antagoniste des deux frères Philippe et Démétrios Άκαιρος
ταχέως
άπέθανεν (et non pas au bout de dix ans, en 83, d’après
Appien) Λαοδίκη
γάρ έλθών
σύμμαχος τή
τών Γαλικηνών
βασιλίσση
Πάρθους
πολεμούση,
μαχόμενος
άνδρείως έπεσε
(XIII, 13, 4, § 311). Quel est ce pays où règne Laodice, et quelle Laodice ?
On a proposé Γαλαδηνών
(de Galaad, à l’E. du Jourdain), ou,
avec la fantaisie la plus arbitraire, Σαμηνών
(νομάδων
Άραβίων έθνος.
Steph. Byz.).
A. VON GUTSCHMID (Gesch.
Irans, p. 80) reconnaît dans cette Laodice une fille d’Antiochos
Grypos, mariée à Mithridate Ier Callinicos, premier roi de Commagène, mariage
qui est en effet attesté par une série d’inscriptions (Dittenberger, OGIS., 383-405). Il lirait volontiers Καλλινικηνών,
Callinicon sur l’Euphrate étant peu éloigné de la Commagène et se trouvant
sur le chemin des Parthes (?). Les
objections que l’on oppose à cette conjecture (cf.
AD. KUHN, p. 36, 6), à savoir
: 1° que le nom de ville ή
Καλλίνικος (Raqqa) n’apparaît que plus tard ; 2° que
Antiochos X, héritier des rancunes de famille, ne se serait pas allié avec
une fille d’Antiochos Grypos ; ces objections, dis-je, sont loin d’être
décisives. La première a été longuement discutée par DROYSEN (II, p. 142-743)
; l’autre est de pur sentiment. C’est donc une hypothèse intelligible, à
accepter faute de mieux, encore qu’il soit singulier que Josèphe ne fasse pas
mention du mari de Laodice. La source où il a puisé faisait peut-être valoir
précisément que le Séleucide secourait Laodice en raison de leur parenté.
En revanche, tout est confusion ailleurs. L’affirmation
d’Appien (Syr., 48. 69) est
nette : Antiochos le Pieux est détrôné par Tigrane, et son fils exclu par
Pompée. C’est la version qui tend à prévaloir (v.
g. Kuhn, Wilcken). Mais on s’aperçoit que, dans un autre passage (Mithrid., 106), il a confondu Antiochos
X, soi-disant privé de l’héritage paternel par Pompée, avec son fils
Antiochos XIII, et son témoignage en devient douteux. A plus forte raison
Justin s’est-il mépris en écrivant : Tigrane a
Lucullo victo, rex Syriæ Antiochus Cyziceni filius ab eodem Lucullo
appellatur (XL, 2, 2).
D’après Porphyre-Eusèbe (pp. 261/262 Sch.),
Antiochos X, vaincu par les deux fils de Grypos, se réfugie chez les Parthes,
d’où il revient plus tard solliciter en vain de Pompée sa réintégration ;
après quoi, il est candidat au trône d’Égypte (en 58), où il aurait régné μετά τών
θυγατέρων τοΰ
Πτολεμαίου, s’il
n’était pas mort de maladie sur ces entrefaites. Ici l’imbroglio est à son
comble et irrémédiable. Le Syncelle achève le cycle des méprises en disant : Άντίοχος ό
Κυζικηνός
φύγων Πάρθους
Πομπηίω προϋδωκεν
έαυτόν, ou plutôt, Malalas le continue
en mettant à la place du Cyzicène, ou de son fils Antiochos le Pieux,
Antiochos XII Dionysos fils de Crypos.
La version de Josèphe explique seule la disparition
complète d’Antiochos X le Pieux durant les querelles des lits de Crypos.
Autrement, où était-il ? Chez les Parthes ? Quand et pourquoi fut-il relâché
? En Cilicie ? On y rencontre plus tard ses enfants, mais de lui nulle trace.
Essayons de tendre un fil conducteur à travers les douze
ans d’anarchie qui vont de 95 à 83 a. C. C’est le conflit perpétuel entre les
deux branches de la dynastie, un enchevêtrement de compétitions traduites en
souverainetés nominales qui déguisent mal la dissolution des derniers débris
de l’empire séleucide. Il va sans dire que les données tirées des monnaies et
des chronographes sont confuses, parfois contradictoires, et que les
tentatives faites pour les combiner les rendent encore plus flottantes. Les
dates monétaires ne sont pas plus sûres que les autres, la frappe des
monnaies étant aux mains des partis qui, répétons-le, prétendaient faire, en
divers lieux, la vérité officielle.
Séleucos VI disparaît au cours de l’année 95, brûlé vif, disent les chronographes (I, pp. 132-3 Sch.), par le fils du Cyzicène.
Suit la lutte entre ce fils, Antiochos X, et les quatre frères de Séleucos
VI, qui se partagent le royaume ou se remplacent. Débarrassé, dès 95/4 a. C.,
de son adversaire Antiochos XI, Antiochos X voit surgir devant lui, à la fois
(?), Philippe (Ier), frère jumeau de Séleucos, et Démétrios III, intronisé à
Damas par Ptolémée Lathyros et bientôt en guerre avec son frère. Celui-ci,
interné chez les Parthes (en 88 ou 87 a. C. ?),
est remplacé par son frère Antiochos XII, qui n’avait peut-être pas attendu
ce moment pour entrer en ligne. Démétrios III étant mort en captivité,
restent en présence, d’une part, Antiochos X, de l’autre, Philippe et
Antiochos XII ; l’un régnant en Syrie, l’autre en Cœlé-Syrie, et en concorde
pour le moment.
On a vu quelle incertitude plane, par suite d’une
confusion de personnes, sur la fin d’Antiochos X. Admettons que, après avoir
eu affaire aux Parthes, — comme adversaire ou comme réfugié ? — il se soit
maintenu sur le trône jusqu’en 83, et que, expulsé par Tigrane, il ait trouvé
un asile en Cilicie, où l’on rencontre dix ans plus tard ses fils, Antiochos
XIII et Séleucos Kybiosactès (reges Syriæ, regis Antiochi filios pueros.
Cicéron, Verr., IV, 27). Il était certainement mort à l’époque (75 a. C.). Ce n’est pas lui, mais Antiochos
XIII, qui X et XIII annos in angulo Ciliciæ
latuerit (Justin, XL, 2, 3).
Une pareille confusion de personnes entre Philippe (Ier) et son fils continue les méfaits de
l’homonymie et nous laisse dans une incertitude semblable sur la fin de
l’adversaire d’Antiochos X. Eusèbe (I, pp.
2613, Sch.) met Philippe fils de Grypos
en rapports avec Gabinius (56 a. C.) et
fait de lui le dernier roi de Syrie. On ne peut guère douter qu’il s’agisse
d’un petit-fils, et non du fils, de Grypos. Mais Eusèbe ne connaît pas de
Philippe II. D’autre part, on a de Philippe des monnaies frappées à Antioche,
portant des dates qui vont de l’an XIX à l’an XXX. Sont-ce des années de
règne, qui conduiraient jusqu’en 65 a. C., ce qui est bien étrange ; ou des
années d’une ère que les Antiochéniens auraient fait partir de 113 a. C. (Schürer), ce qui n’est pas moins bizarre.
L’an 113 marque la date du triomphe momentané d’Antiochos IX sur Antiochos
VIII. Si les gens d’Antioche ont voulu faire de cet incident un événement, on
ne comprend guère qu’ils en imposent le souvenir au fils d’Antiochos Grypos.
En somme, on ignore ce qu’est devenu Philippe après que Tigrane eut mis en
disponibilité tous les rois ou prétendants séleucides. Il s’est sans doute
réfugié, comme Antiochos X, dans la région de la Cilicie que n’occupaient
encore ni les Romains, ni Tigrane. C’est de là, en tout cas, que son fils
Philippe (voyez ci-après) vint
revendiquer sa succession. Son frère, Antiochos XII, était mort avant lui.
Celui-ci, affublé de quatre prédicats, a mérité au moins, en ses trois ou
quatre ans de règne, que le surnom de Καλλίνικος
ne soit pas trop ridicule.
La défaite de Tigrane par les Romains rendit des
espérances aux derniers rejetons de la dynastie, dont il faut rechercher
l’identité sous les masques de revenants qui les défigurent. Dès 69/8 a. C.,
les Antiochéniens, avec la permission de Lucullus, proclament le fils
d’Antiochos X et de Cléopâtre Séléné, Antiochos XIII, dit l’Asiatique. On a
vu plus haut qu’il a été confondu par Justin, Eusèbe, voire une fois par
Appien, avec son père, et par des modernes avec Antiochos I de Commagène. La
méprise des auteurs anciens porte à croire que Antiochos XIII, dont, à défaut
de monnaies, on ne connaît que le sobriquet, portait le même prédicat
officiel que son père (Εύσεβής). Dépossédé
par Sampsicéramos, il fut officiellement dépouillé du titre de roi par Pompée
en 64 a. C. Quant à son rival Philippe II, il disparaît pour reparaître en 56
a. C., comme candidat au trône d’Égypte, si on veut bien le reconnaître dans
la personne du prétendant qu’Eusèbe (I, pp.
261/2 Sch.) nous donne pour son père, Philippe Ier, et cela avec une
précision inaccoutumée, en homme sûr de son fait et qui voudrait, ce semble,
réfuter une opinion adverse. Sans doute, Philippe Ier, qui devait être au moins
sexagénaire en 56, n’eût pas fait nu mari au goût de Bérénice ; mais la
politique a ses exigences, et il ne faut pas oublier que Diodore est seul à
nous garantir l’existence de Philippe II (FHG.,
II, p. XXIV, 34). Il est étonnant qu’une affirmation
aussi nette n’ait pas trouvé d’écho, ou même ait été démentie par
Porphyre-Eusèbe : mais l’aphorisme testis unus,
testis malus, n’est pas de mise en
histoire ancienne. Il suffit de noter que l’existence de Philippe II n’est
pas indiscutable.
[note 2] — D’après Appien (Syr.,
48), Tigrane aurait régné quatorze ans sur la
Syrie que horde l’Euphrate, sur les races de Syriens jusqu’à la frontière
d’Égypte, et en même temps sur la Cilicie, qui appartenait aux Séleucides.
Ces 14 ans, décomptés de 69 u. C., font remonter l’avènement du nouveau roi
de Syrie à 84 a. C. Justin (XL, 1, 4 ; 2, 3 éd.
Rülh) octroie à Tigrane 17 ans de règne très
tranquille en Syrie. La plupart des éditeurs corrigent X et VII annos en X
et IIII annos, et mon respect pour les
meilleurs mss. ne va pas jusqu’à repousser une correction à la fois
aussi facile et aussi nécessaire. Les dix-sept ans de Justin obligeraient à
remonter de 69 à 86, c’est-à-dire à introniser Tigrane, en possession tranquille, avant la mort d’Antiochos XII.
|