CHAPITRE XIII. – NOTES COMPLÉMENTAIRES.

 

 

[note 1] — Le texte de Porphyre-Eusèbe est formel, et je voudrais exposer les raisons pour lesquelles on l’accepte ou le récuse. D’abord, le chronographe se contredit lui-même en disant, quelques lignes plus loin (I, p. 260 Sch.), que, à la mort de son rival, Άντίοχος ό Κυζικηνός προαγαγών έκ τής Άντιοχείας τήν δύναμιν — ένικήθη. Antiochos IX était donc à Antioche, et personne ne dit qu’il y fût entré tout récemment. Appien (Syr., 69) sait que le Cyzicénien, après avoir chassé Grypos, βασιλεύς τοΐς Σύροις έγένετο, titre qui convient mal à un roi de Damas. Diodore (XXXIV, 34) considère évidemment le Cyzicène comme régnant dans la capitale de la Syrie. Les monnaies phéniciennes de l’époque se partagent, au gré des circonstances, entre les cieux rivaux. Tel monétaire combine l’effigie du Grypos avec le nom du Cyzicène (BABELON, p. CLXII). Sans doute, Sidon, Sycaminos en 113/2 a. C., Ascalon en 109/8, échangent l’effigie d’Antiochos VIII contre celle d’Antiochos IX ; mais, en 107/6, Tyr reconnaît Antiochos VIII. En somme, ces villes, indépendantes de fait, se tournent vers qui leur plaît ou s’impose pour le moment. Josèphe, parlant du roi venu au secours des Samaritains assiégés par Hyrcan, l’appelle tantôt le Cyzicène (XIII, 10, 2-3), tantôt Άντίοχον τόν έπικληθέντα τόν Άσπένδιον (B. Jud., I, 2, 7), c’est-à-dire Grypos.

L’inscription de Paphos découverte en 1888 (Michel, 49. Dittenberger, OGIS., 217) a jeté dans le débat un document important. C’est une lettre en date du 2[8] Gorpiaios (août) d’une année qui est l’an III (Lγ’) ou l’an 203 (Lγσ’), lettre adressée par le βασιλεύς Άντίοχος à Ptolémée Alexandre, alors régent de Cypre (de 114 à 108 a. C.), pour  lui annoncer qu’il a fait libres à tout jamais les Séleuciens de Piérie et lui communiquer le texte de la charte octroyée. De quel Antiochos s’agit-il ? WILCKEN (Hermès, XXIX, pp. 436-460) pense avoir démontré que c’est bien d’Antiochos VIII Grypos, par les arguments suivants : — 1° la lettre étant datée de l’an III, et l’ère de l’indépendance de Séleucie ayant pour point de départ l’automne 108 a. C. (d’après le Chronicon Paschale, ad Ol., 167, 4 = 109/8 a. C.), il y a coïncidence entre 108 a. C. et l’an III de la restauration d’Antiochos Grypos (111 a. C.). Cette solution indubitable, fondée sur l’hypothèse, invraisemblable à mon sens, d’un comput régnai recommencé en 111 par Antiochos Grypos, est écartée par la leçon Lγσ', qui, donnant la date de août 203 Sel. (109 a. C.), s’accorde tout aussi bien ou mieux avec la date initiale de l’ère de Séleucie ; — 2° L’auteur de la lettre dit que les Séleuciens ont embrassé le parti de son père ; qu’ils lui sont restés fidèles jusqu’au bout et lui ont témoigné à lui-même leur affection dans les circonstances les plus difficiles. Ce père doit être celui d’Antiochos Grypos. — Il n’est aucunement sûr que Séleucie n’ait pas abandonné, au contraire, le père d’Antiochos Grypos, Démétrios II, lorsqu’il fut devenu partout impopulaire. Justin (XXXIX, 1, 3) écrit : Antiochenses priori - - mox Apameni ceteraeque civitates - - a Demetrio defecere. Dans ces autres cités sont probablement comprises Séleucie de Piérie et Laodicée, membres de la tétrapole syrienne organisée en 149/8 a. C. et peut-être dissoute en 128/7 par Démétrios II (cf. KUHN, p. 13). C’est, selon toute apparence, par Séleucie que Alexandre Zabina pénétra en Syrie pour combattre Démétrios Il. D’autre part, il est certain que Antiochos VII Sidétès, père d’Antiochos Cyzicène, pour combattre Tryphon, prit son point d’appui à Séleucie, où il épousa sa belle-sœur Cléopâtre Théa, et qu’il partit de Séleucie pour l’expédition d’où il ne revint pas. Il est donc vrai, à la lettre, que la ville resta fidèle jusqu’au bout au roi qui l’avait proclamée ίερά καί άσυλος. —3° Antiochos Grypos était rami de Ptolémée Alexandre, tandis que le Cyzicène était allié de Ptolémée Lathyros. C’est donc bien Grypos qui adresse sa lettre βασιλεϊ Πτολεμαίωι τώι καί Άλεξάνδρωι τώι άδελφώι. L’argument se retourne contre la thèse. Quand Lathyros, expulsé d’Alexandrie (108/7 a. C.) et traqué par sa mère, passe de Cypre en Syrie, il se réfugie à Séleucie (106 a. C., Diodore, XXXIV-V, 39 a). Il n’y eût pas cherché un asile, si la ville avait tenu pour Grypos. Quant à l’expression -ci ;) c’est une forme protocolaire, qui pouvait être employée par l’un ou par l’autre Antiochos ; d’autant que, en 109/8 a. C., il n’y avait pas d’hostilités entre le Cyzicène et le roi de Cypre. L’inscription de Paphos ne prouve donc pas que Séleucie fût en 109 a. C. au pouvoir d’Antiochos Grypos, encore moins que celui-ci régnât à Antioche, Séleucie ayant souvent pris parti contre la capitale. Tout indique que le Cyzicène, vainqueur de Grypos en 113/2 a. C., est rentré à Antioche el s’est maintenu dans une ville qui gardait à Démétrios II une rancune étendue à sa postérité. C’est le Cyzicène qui a fortifié la citadelle d’Apamée (Joseph., XIV, 3, 2, § 39) ; lui qui a célébré des Jeux magnifiques à Daphné (Athénée, V, p. 210 e) ; lui qui a, dit-on, fondu l’or de la statue de Zeus (Clément Alex., Protrept., IV, 52), et qui, pour combattre Séleucos VI fils de Grypos, est parti d’Antioche (Eusèbe, I, p. 260), où son fils, Antiochos X Eusèbe, a régné après lui.

Ad. WILHEM (Gött. gel. Anzeigen, 1898, pp. 212-215) et DITTENBERGER (ad loc.), tout en rectifiant la datation proposée par Wilcken, acceptent ses conclusions ; sauf que (Paton, Dittenberger) la seconde partie du texte pourrait bien être non pas une lettre des Séleuciens aux Paphiens, mais une lettre d’Antiochos aux Séleuciens, communication officielle de sa lettre à Ptolémée.

Le débat est, en somme, de peu d’importance. Il n’y eut sans doute pas, entre les deux Séleucides, de partage convenu, respecté de part et d’autre. Chacun des deux rivaux revendiquait des droits sur le royaume entier et possédait au jour le jour tout ce qu’il pouvait prendre. Il n’est nullement étonnant que, régnant à. Antioche, le Cyzicène soit, à un certain moment (ci-après), intervenu en Palestine.

 

[note 2] — La Cilicie Trachée. — En 103 a. C., le préteur M. Antonins amorça la conquête de la région, et on en fit une provincia en 102, à charge de la soumettre définitivement. La souveraineté des Séleucides ne pouvait plus être que nominale sur le reste, refuge des rois détrônés et des prétendants déconfits, qui cherchent des recrues parmi les pirates. La province romaine de Cilicie ne date que de 64 a. C., de la dissolution du royaume des Séleucides.

 

[note 3] — Antiochos IX Cyzicène et les Juifs. — Sous ce titre, Th. REINACH (Rev. des Ét. juives, XXXVIII, pp. 161-171) discute le récit de Josèphe, très mal informé des rapports qui existèrent entre Jean Hyrcan et Antiochos de Cyzique, attendu qu’il attribue à Antiochos Grypos, et non au Cyzicène, les deux tentatives faites pour débloquer Samarie assiégée par Jean Hyrcan. C’est à son opinion que je me suis rallié. Ce qui est intéressant et ce que fait ressortir l’auteur, c’est que Antiochos IX, sommé à deux reprises par les Romains (en 106 et 105 ou 104 a. C.) d’évacuer la Palestine ; ne tint aucun compte des injonctions du Sénat, lequel se résigna à le laisser faire. J’ai peut-être eu tort de dire le Cyzicène aussi indolent que son rival, encore que l’indolence engendre parfois la force d’inertie.