CHAPITRE XII. – NOTES COMPLÉMENTAIRES.

 

 

[note 1] — D’après I Macchabées, 10, 67, Démétrios II revint de Crète dans la terre de ses pères en Sel. 165 (148 a. C.). C’est là qu’il avait enrôlé le condottiere Lasthène et recruté des mercenaires (Joseph., XIII, 4, 3, § 86). Josèphe croit savoir qu’il s’embarqua en Crète pour la Cilicie, et, un peu plus loin (XIII, 5, 4, § 145) il dit que Démétrios, battu par Tryphon, se retira en Cilicie après sa défaite, ce qu’avait fait avant lui son adversaire Alexandre Bala (XIII, 4, 8, §§ 113-116). De ces trois assertions — dont Josèphe est seul garant — deux ne sont pas contradictoires, et je les ai acceptées telles quelles. Mais on sait, par des textes plus sûrs, que, après sa défaite par Tryphon, Démétrios II se réfugia à Séleucie, — et non en Cilicie. Le nom de Cilicie, erroné au § 145, devient suspect du même coup au § 86. Si Démétrios trouve asile à Séleucie, c’est donc que la ville était restée fidèle même au vaincu, et alors on ne voit pas pourquoi il n’aurait pas débarqué tout d’abord à Séleucie, rentrant ainsi dans la terre de ses pères, au moment où il avait intérêt à brusquer l’attaque et à surprendre l’adversaire. Aussi a-t-on proposé (BEVAN, II, p. 301) de remplacer, dans les deux passages de Josèphe, Κιλικίαν par Σελεύκειαν. Josèphe commet assez de bévues pour qu’on accepte ici et récuse là son témoignage, sans se soucier de le mettre d’accord avec lui-même. Son erreur, si erreur il y n, est vénielle et s’explique aisément. Des rois en quête de mercenaires n’en trouvaient nulle part autant qu’en Crète et en Cilicie. Ces deux noms s’associent d’eux-mêmes, et, d’autre part, il est certain que la Cilicie a été le refuge ordinaire des prétendants déconfits. Du reste, la fidélité des Séleuciens au vaincu est fort douteuse.

Lasthène, que Démétrios appelle son parent et même son père (Joseph., XIII, 4, 9, §§ 126-127), fut un de ces ministres à tout faire comme on en rencontre sous divers règnes. On perd sa trace par la suite : mais les dates ne permettent pas de le confondre avec son homonyme, le pirate crétois Lasthène, que battit en 68 a. C. le proconsul O. Metellus Creticus (FHG., III, p. 606, 12).

L’habitude d’enrôler des bandes de mercenaires dans l’armée des Séleucides était bien connue et depuis longtemps ; témoin, le curieux passage de Plaute, visant un Séleucos quelconque, dans le Miles gloriosus (v. 73-74) :

Nam rex Seleucus me opere oravit maxima

Ut sibi latrones cogerem et conscriberem.

 

[note 2] — L’histoire de la Bactriane et des régions voisines repose presque exclusivement — à part quelques textes d’auteurs servant de guides aux recherches — sur des inductions tirées de la numismatique. Les tetradrachmes frappés au nom d’Alexandre, d’Antiochos Nicator, etc., qualifiés βασιλεύοντες, ont longtemps intrigué et égaré les érudits. Le général russe Bartholomæi, qui découvrit en 1843 le tétradrachme au nom de Diodotos Soter, soupçonna la vérité ; mais Droysen fit prévaloir l’idée que les βασιλεύοντες du revers étaient des satrapes ou rois vassaux des rois pourtraits sur la face. Von Sallet a démontré, par le style de la frappe et l’absence du nom du roi sur la face, qu’il s’agit des rois-héros, ancêtres divinisés des princes qui sont alors régnants. L’opinion de Sallet est maintenant acceptée par tout le monde. Antiochos ΝΙΚΑΤΩΡ est, pour lui, Antiochos II, suzerain de la Bactriane naissante ; pour Droysen et Gutschmid, Antiochos III ; pour Gardner, Antiochos Ier ou Antiochos II, l’Héraklès assis étant copié sur les monnaies d’Antiochos II.

Quant aux monnaies courantes, l’interprétation des symboles prête à diverses conjectures. Ainsi, la présence, au revers d’un tétradrachme ΒΑΣΙΛΑΕΩΣ ΘΕΟΥ ΑΝΤΙΜΑΝΟΥ, d’un Poseidon debout, tenant le trident de la main droite et nue palme de la main gauche, suggère l’idée que cet Antimachos, coiffé du béret macédonien (causia) a dû régner dans la vallée du Cophène (Kaboul) et promener sa flotte sur les eaux de l’Indus. C’est aussi dans cette région que l’on rencontre le nom d’un usurpateur éphémère, Platon Épiphane, sur un tétradrachme daté de ΡΜΖ (147 Sel. = 166/5 a. C.). La plupart des nuits de ces potentats, répétons-le, ne sont connus que par les monnaies. Cependant, Justin (XLI, 6) relate les exploits d’Eucratide, assassiné par son fils ; Ménandre est cité par Strabon (XI, p. 516) — d’après un auteur de Παρθικά, Apollodore d’Artémita (FHG., IV, pp. 308-309) — comme ayant franchi l’Hypanis à l’E. et s’étant avancé jusqu’à l’Imaos ; Démétrios, fils d’Euthydème, comme ayant agrandi encore le royaume, si bien que les rois bactriens, non contents d’occuper la Patalène (île aux bouches de l’Indus), avaient pris possession, sur le littoral adjacent, des royaumes dits de Saraoste et de Sigerdis. D’après Apollodore, ces potentats hellènes avaient soumis plus de nations qu’Alexandre et poussé leurs conquêtes jusqu’aux frontières des Sèves et des Phrynéens.

Les monnaies surfrappées témoignent de conflits, révolutions et usurpations. Antialcidas offre une certaine ressemblance avec Hélioclès et pourrait être un fils ou descendant d’Eucratide. Une pièce d’Antialcidas a été refrappée avec un coin d’Eucratide ; Hélioclès a refrappé des pièces de Straton, et Straton des pièces d’Hélioclès. Apollodote parait avoir été le prédécesseur de Straton et contemporain d’Eucratide, dont on trouve la surfrappe sur une de ses pièces. Cunningham pense que le meurtrier d’Eucratide fut non pas Hélioclès, mais l’Apollodote dit ΦΙΛΟΠΑΤΩΡ. La filiation même d’Hélioclès est matière à conjectures. Il existe des pièces d’étalon attique portant à la face le buste de ΕΥΚΡΑΤΙΔΗΣ ΒΑΣΙΛΕΥΕ ΜΕΓΑΣ, et, au revers, les effigies accolées ΗΛΙΟΚΛΕΟΥΣ ΚΑΙ ΛΑΟΔΙΚΗΣ, celle d’Hélioclès sans diadème, celle de Laodice avec diadème. Qu’est-ce à dire ? Von Sallet, commence par démontrer que Hélioclès est bien fils d’Eucratide : il en conclut que la dite pièce est une médaille commémorative du mariage d’Hélioclès avec une princesse séleucide, qui pourrait être la fille d’Antiochos le Grand, promise d’abord à Démétrios fils d’Euthydème (?). Gardner objecte que Hélioclès a l’air d’un vieillard, qu’il n’a pas de diadème, et que, entre ΕΥΚΡΑΤΙΔΗΣ et ΠΑΙΟΚΛΕΟΥΣ, il est naturel de suppléer υίός ; d’où il suit que Hélioclès serait non pas le fils, mais le père d’Eucratide, — ce qui n’empêcherait pas d’admettre que Eucratide ait eu pour fils un Hélioclès.

Il faut attendre, sans trop y compter, de nouvelles lumières sur ces recoins obscurs de l’histoire.

 

[note 3] — La chronologie de ces Orientis inextricabilia bella, comme les appelle Orose (V, 4, 15), est encombrée de conjectures. En ce qui concerne les Parthes, la seule chose qu’on puisse affirmer, c’est que leurs conquêtes sont postérieures au règne d’Antiochos IV Épiphane. Saint-Martin dispose les faits comme suit : conquête de la Médie (158 a. C.), de l’Atropatène (156), de l’Élymaïde (154), de la Mésopotamie et Babylonie (154-152), de l’Arménie (151-150). Lassen place la conquête de la Médie sous Antiochos V (164-162), celle de l’Élymaïde en 147, celle de Babylone en 145. Schneiderwirth ne veut pas remonter au delà de 150 : toutes les conquêtes des Parthes s’échelonnent entre 150 et 140. Il pense que le royaume bactrien a été conquis par Mithridate Ier, avant sa ruine définitive par les Scythes. Les textes de Strabon (XI, pp. 515. 517) et de Justin (XLI, 6, 3) suggèrent, mais ne justifient pas cette assertion. Quand même il serait vrai que Mithridate s’empara sans combat de l’ancien royaume de Poros (Diodore, XXXIII, 18) et qu’il soumit toutes les nations entre l’Indus et l’Hydaspe (Orose, V, 4, 16), ces conquêtes éphémères n’entraînaient pas la ruine définitive du royaume bactrien. On sait par ailleurs que la Sogdiane, la Bactriane, la Parætacène, le pays des Paropamisades et la vallée de l’Indus restèrent en dehors de l’empire parthe, dont la frontière orientale n’allait pas au delà de l’Arachosie. Ce sont bien les Tartares qui, vers 140 a. C., ont mis fin au royaume grec de Bactriane. Gutschmid admet une possession temporaire de l’Asie et de la vallée du Cophène par les Parthes, vers 160 a. C., et la conquête de la Médie, Babylonie, Mésopotamie, entre 147 et 140, avant l’expédition de Démétrios II ; mais il place la soumission de l’Élymaïde durant la captivité du roi. La dernière mention de la souveraineté de Démétrios II à Babylone dans les documents cunéiformes est de 144 a. C.

C’est une question pour nous accessoire, mais qui a son importance, de décider lequel, de Mithridate I ou de Mithridate II, a pris le premier le titre de Roi des rois. W. Wroth propose maintenant de réformer l’opinion jusqu’ici générale en attribuant à Mithridate II les monnaies qui portent ce titre (cf. E. BABELON, Mélanges numismatiques, IVe série, [Paris, 1912], p. 287).

 

[note 4] — La chronologie de cos événements est un cas désespéré. Il y a désaccord dans les documents, à plus forte raison entre les exégètes, et sur la durée absolue des règnes et sur la place où ils doivent être intercalés. D’abord, la durée. Josèphe (XIII, 7, 1-2) assigne quatre ans au règne d’Antiochos VI, compté à partir de la mort de son père Alexandre Bala (143 a. C.), et trois ans à celui de Tryphon, sans doute à partir de la mort de son pupille. Des monnaies de Tryphon, datées de à (ce qui doit être le comput de ses années de règne : BABELON, Séleucides, p. CXXXVIII), on veut tirer la preuve que l’usurpateur a régné quatre ans. Enfin, on ne saurait passer sous silence des scrupules, nés de textes embarrassants, qui ont été levés par des corrections. D’après la leçon des mss., Tite-Live aurait écrit que Démétrios II fut vaincu a Diodoto quodam, qui Alexandri filio bimulo admodum regnum adserebat (Epit. 52), et plus loin, que Alexandri filius, rex Syriae, decem annos admodum habens, a Diodoto, qui Tryphon cognominabutur, tutore suo, per fraudem occisus est corruptis medicis etc. (Epit. 53) ; d’où il suit que l’entant aurait régné finit ans et ne serait mort qu’en 137 a. C. La correction puero substituée à bimulo a écarté cet obstacle. On se demande pourquoi les derniers éditeurs d’Orose ne l’ont pas déchargé d’une grossière erreur, à l’endroit où il dit que, après la capture de Démétrios, Diodotus quidam cum Alexandro [leg. Alexandri] filio regnum ejus et regium nomen usurpavit. Qui postea Alexandrum [leg. Alexandri] filium, quem participem periculi in perradendo regno habuerat, ne in obtinendo consortem haberet, occidit (V, 4, 17-18). La correction s’impose d’autant plus que Orose se renseigne dans Tite-Live.

Reste à savoir où situer les années de règne d’Antiochos VI et de Tryphon ; si celles-ci n’empiètent pas sur celles-là ; si elles s’accordent avec celles du règne de Démétrios II et celles du règne d’Antiochos VII, qui fut (dès le début ?) compétiteur de Tryphon ; enfin, s’il y a place, dans la chronologie générale, pour toutes ces additions.

Il y a d’abord un désaccord initial entre I Macchabées (13, 31-41 ; 14, 1) — qui place le meurtre d’Antiochos VI en 170 Sel. = 143/2 a. C., deux ou trois ans avant l’expédition de Démétrios II en Orient (141/0 a. C.) — et les auteurs, mieux renseignés par Posidonius, qui le mentionnent après, c’est-à-dire pendant la captivité de Démétrios (Justin, XXXV1, 1. Appien, Syr., 67-68. Joseph., XIII, 7, I). Le biblique H. CLINTON (Fast. Hellen., III, pp. 326-329), R. BEVAN (II, p. 230), et même E. SCHÜRER (I4, p. 172) acceptent la chronologie de I Macchabées : E. BABELON (p. CXXXVIII) s’y rallie, parce que les données des auteurs se concilient de cette façon avec celles des monnaies. Les plus anciennes d’Antiochos VI étant de 167 Sel. = 146/5 a. C., les plus récentes de 170 = 143/2 a. C., et les premières d’Antiochos VII, de 174 Sel. = 139/8 a. C., il y a justement place dans cet intervalle de sept ans pour trois années d’Antiochos VI et quatre de Tryphon, ordonnées d’après Josèphe. Le témoignage des monnaies n’est pas incontestable. Dans les guerres civiles, certains ateliers ont pu avancer ou retarder sur les dates réelles, suivant qu’ils appartenaient à tel ou tel parti, et faire à leur gré la vérité officielle. Les monnaies d’Antiochos VI datées de 14e a. C. sont vraisemblablement antérieures à son règne effectif. De même, les quatre années de Tryphon sont un total excessif : la lecture LΒ-LΔ, fût-elle certaine (?), ne saurait prévaloir contre d’autres indications.

Une autre querelle surgit à propos d’un fragment de Diodore (XXXIII, 28 Dindorf), rapproché de Cicéron, Acad., II, 2, 5, d’où il résulterait que Tryphon, déjà έξ ίδιώτου βασιλεύς, fit des avances au Sénat avant une ambassade de Scipion Æmilien, supposée antérieure à sa censure (142 a. C.). L’Eusèbe arménien (I, p. 255/6 Sch.) ajoute à la confusion en disant — sans faire mention de Tryphon — que Démétrios vainquit Antiochos VI en Ol. 160, 1 = 140/39 a. C., après quoi, maintenant paré du surnom de Nicator, il partit pour l’Orient en 139/8 a. C. et fut fait captif en 138/7 a. C. Ailleurs, dans le Canon (II, p. 128), il place l’usurpation de Tryphon en Ol. 160/4 = 137 a. C., et presque immédiatement après, en 137 ou 139 a. C., sa mort. Nous voici loin des quatre ans attribués plus haut à Tryphon. Ainsi, le premier règne de Démétrios II, compté à partir de la défaite d’Antiochos VI, — donc, sans concurrent ? — aurait duré trois ans, de 140 à 137 a. C. Le règne d’Antiochos VI est à placer avant 140 a. C., et il faut lui attribuer plus de quatre ans pour remonter à la date de la mort d’Alexandre Bala (145 a. C.). Comme Josèphe, et sans doute d’après lui, Eusèbe admet que l’usurpation de Tryphon n eu lieu pendant la captivité de Démétrios II ; mais Josèphe fait partir les quatre ans de règne d’Antiochos VI de la mort de son père, — conformément à la règle de droit dynastique, — ce qui revient à placer l’expédition de Démétrios contre, les Parthes et l’usurpation de Tryphon au plus tard en 141 a. C. Les trois ans qu’il alloue à Tryphon ne dépasseraient pas 139 ou, au maximum, 138 a. C. Entre son comput et celui d’Eusèbe, il y a, en gros, une différence de deux ans.

Dans ce chaos, c’est aux vraisemblances qu’il faut s’en tenir. Démétrios II n’aurait pas abandonné la partie en Syrie s’il n’avait plus eu devant lui que Tryphon : c’est bien sa captivité qui a enhardi l’usurpateur. Il est possible qu’il ait, avant son départ, remporté quelques succès sur Antiochos VI et Tryphon ; mais il n’en faut pas chercher la preuve dans le prédicat de Nicator, qu’il a pris (avec ceux de Théos et de Philadelphe) dès le début de son règne, titre assez justifié d’ailleurs par sa victoire sur Alexandre Bala. J’ai même pensé échapper à la plupart des objections en ordonnant les faits comme suit : règne d’Antiochos VI, d’après la vérité officielle, entre quatre et cinq ans (de 145 à 140), intervalle dans lequel figure le premier règne concurrent de Démétrios II. Le système d’Eusèbe, qui suppose Tryphon éclipsé durant trois ans, est inacceptable. En 140, expédition de Démétrios en Orient, provoquant immédiatement l’assassinat d’Antiochos VI et l’usurpation de Tryphon. Entre 140 et 138/7 a. C., il y a place pour les trois ou les quatre ans attribués par les sources à Tryphon.

 

[note 5] — D’après Diodore (XXXVI, 7, 4), en 102 a. C., Diodotos dit Tryphon prend le titre d’ αύτοκράτωρ et le costume romain, c’est-à-dire la toge prætexte et la tunique laticlave. C’était le costume des magistrats et sénateurs romains. Diodore ajoute que Tryphon se faisait précéder de licteurs porte-haches. On peut s’étonner qu’il n’ait pas songé à noter là une imitation des usages romains, et non de la pompe royale en général. Il se contente de dire que Tryphon τάλλα πάντα όσα ποιοΰσι καί έπικοσμούσι βασιλείαν έπετήδευε.

 

[note 6] — On a vu plus haut que l’année 164/3 a. C. était une année sabbatique. En conséquence, après quatre cycles de sept ans, l’année sabbatique tombait en 136/5, l’année de l’avènement de Jean Hyrcan et du siège de Dagon. En automne 135, on arrivait non pas au début, comme le dit Josèphe (XIII, 8, 1, § 234), mais à la fin de l’année sabbatique. Josèphe a dû commettre une et même plusieurs erreurs, en acceptant quelque récit d’auteurs profanes, qui se plaisent toujours à montrer les Juifs réduits à l’impuissance, en temps de guerre, par le respect stupide du repos sabbatique, et leurs adversaires exploitant cette faiblesse d’esprit. Les Gréco-romains n’ont jamais pu comprendre qu’une religion nationale pût entrer en conflit avec le patriotisme et prévaloir même sur l’instinct de conservation. C’est pour cela qu’ils ont fait aux Juifs une place à part, en dehors de toutes les nations, et, pendant trois siècles, étendu aux chrétiens, considérés comme étrangers à toute patrie, l’antipathie que leur inspirait la religion mère. Ils aimaient à citer, au risque de les inventer, des exemples de cette étroitesse d’esprit. Dion Cassius assure que Pompée, en 63 a. C., prit Jérusalem un jour de sabbat (XXXVII, 16) ; de même, en 37, C. Sossius (XLIX, 22). Josèphe lui-même raconte que Ptolémée Lathyros s’empara ainsi d’Asochis en Galilée ; mais il ajoute que ce fut par surprise (XIII, 12, 4, § 337), sans songer que être surpris ces jours-là était encore une preuve d’inintelligence. L’année sabbatique, qui imposait le devoir de suspendre tous travaux de culture tous les jours de l’année, n’interdisait pas aux Juifs de se défendre ; mais les Gentils ne connaissaient pas d’aussi près le Lévitique (25, 1-7) et se représentaient le peuple entier paralysé par ordre de son Dieu. Josèphe aurait dû se défier des renseignements qu’il a juxtaposés sans les coordonner. Il place ainsi le siège de Dagon (par Jean Hyrcan) en l’année soi-disant sabbatique 135/4 a. C., et le siège de Jérusalem par Antiochos VII en l’an I de Jean Hyrcan (c’est-à-dire 135/4), qu’il fait correspondre à l’an IV d’Antiochos VII (135) et place en Ol. 162 = 132-128 a. C. (§ 236). Dans ces anachronismes, le point commun est l’année 135/4 a. C., présumée sabbatique pour le siège de Dagon et non sabbatique pour le siège de Jérusalem. Voyez la discussion dans E. SCHÜRER, I, p. 259, qui place en cette année l’invasion d’Antiochos VII. Le siège de Jérusalem a pu traîner longtemps ; et &est ce qui explique, pour la prise, une date à chercher, d’après Josèphe lui-même, en Ol. 162, et placée par Eusèbe en Ol. 162, 3 = 130/29 a. C. L’hypothèse qui se concilie le mieux avec les diverses données est la conclusion de Schürer, le siège prolongé de 134 a. C. à 132 a. C.

 

[note 7] — J’ai supposé ici résolu un problème qui a donné lieu à des discussions. Il n’est pas douteux que Antiochos VII ait emmené avec lui les enfants de son frère. Justin (XXXVIII, 10, 10) l’affirme pour une fille — probablement une Laodice — de Démétrios II. D’autre part, Athénée (IV, p. 153 a) mentionne, d’après Posidonius, la mésaventure du roi Séleucos, qui, faisant campagne en Médie et guerroyant contre Arsace, fut prisonnier du Barbare, et, durant un long séjour chez Arsace, fut traité royalement. On sait par Appien (Syr., 68) que Démétrios II eut de Cléopâtre (Théa) deux fils, Séleucos (V) et Antiochos (VIII) dit Grypos, et que la dite Cléopâtre eut d’Antiochos VII un fils, Antiochos (IX) dit de Cyzique. Athénée n’a sans doute pas très bien rendu la pensée de Posidonius en supposant que Séleucos était alors roi (ce qu’il fut plus tard) et chef de l’expédition ; mais Eusèbe (I, p. 257 Schœne), s’y est complètement mépris, eu sens inverse, en disant, que Antiochos VII emmena avec lui son fils encore en bas âge, Séleucos, lequel fut fait prisonnier et traité en roi par le Parthe. Le chronographe insiste en dénombrant les enfants d’Antiochos VII : deux tilles du nom de Laodice, et trois fils, Antiochos, Séleucos et Antiochos dit le Cyzicène, soit cinq enfants. C’est beaucoup, si le mariage des parents est de 138/7 a. C. et l’expédition d’Orient de 130. Eusèbe a dei confondre en un seul bloc les enfants des deux frères et faire des cousins et cousines des frères et sœurs. Ce qui explique à demi et atténue un peu son erreur, c’est que Antiochos de Cyzique était frère utérin des enfants de Démétrios II et de Cléopâtre Théa. Plus loin (I, p. 258) Eusèbe commet ou quelque copiste lui fait commettre une bévue énorme, faisant d’Antiochos Cyzicène non plus un frère, mais un fils de Séleucos, ce qui n’ajoute pas d’autorité à son précédent témoignage. Pourtant, cette fois, Séleucos est bien fils de Démétrios.

Le respect superstitieux des textes conduit parfois à des hypothèses aussi laborieuses qu’invraisemblables. Le titre de roi donné à Séleucos dans le texte d’Athénée avait fait conjecturer jadis (Vaillant, Frœlich, etc.) que le Séleucos en question devait être Séleucos II Callinicos, un roi qui fut en effet battu par les Parthes, et aurait été — témoin, sa barbe — leur prisonnier. Mais il faut, pour cela, récuser Eusèbe de tout point. Il vaut mieux corriger ses erreurs. On voit très bien, si Antiochos VII avait l’intention de délivrer son frère et de lui laisser les provinces orientales du royaume, pourquoi il lui reconduit ses enfants ; tandis que emmener avec lui son tout jeune héritier dans une campagne aventureuse eût été une inconcevable imprudence. On peut donc considérer comme certain que Antiochos VII emmena en Orient les enfants de son frère, Séleucos et Laodice, et non pas ses enfants à lui. Sur son genre de mort, une variante du Syncelle. Fuyant devant les Parthes, Antiochos Sidétès είς πύρ έναλλόμενος θνήσκει (p. 291 d). Le chronographe combine diverses traditions : le saut d’Antiochos VII, et le feu dans lequel périt Séleucos VI, brûlé vif par Antiochos Cyzicène ! (p. 292 h).

Josèphe donne par deux fois à Antiochos VII le prédicat de Σωτήρ (XIII, 7, 1 ; 10, 1, § 222. 271) ; mais il en est le seul garant, et on ne peut le croire à l’abri de méprises.

 

[note 8] — Les monnaies tyriennes étaient, jusqu’en 126 a. C., datées d’après l’Ere des Séleucides. On lit encore sur les médailles les dates επρ, τπρ, ζπρ (185, 186, 187 Sel. = 128, 127, 126 a. C.). On a pu déterminer le point de départ de la nouvelle ère par des calculs rétrospectifs, fondés sur des textes on figurent des dates comparées. Tel, le curieux passage d’Eusèbe (II, p. 185 Sch.) : en Abr. 2295 = Ol. 264, 3, secundo anno Probi [277 p. C. = Ol. 264, 1], jacta Antiochenos CCCXXV annus fuit, juxta Tyrios CCCCII, juxta Laodicenos CCCXXIIII, juxta Edessenos DLXXXVIII, juxta Ascalonitas CCCLXXX. On en déduit les dates initiales de toutes ces ères locales, parmi lesquelles celle d’Édesse n’est autre que la séleucide. L’ère nouvelle de Tyr se raccorde, en 123 a. C., à la fin de la datation précédente. Voyez J. P. Six, L’Ère de Tyr (Numism. Chronicle, IIIe série, VI [1886], pp. 97-113).

La chronologie du second règne de Démétrios II est un peu moins confuse que celle de la première phase. Eusèbe (I, p. 258 Sch.), après avoir répété que Démétrios avait régné trois ans avant sa captivité, ajoute que, relâché par Arsace au bout de dix ans, en Ol. 162, 2 (131/0 a. C.), il régna encore quatre ans après son retour. Il faut sans doute imputer aux copistes l’incohérence de la suite, où les quatre ans de règne vont jusqu’à Ol. 164, 1 (124/3 a. C.). Les dates monétaires s’échelonnent entre Sel. 183 et 187 (130/29 à 126/5 a. C.), et Cléopâtre Théa bat monnaie à son nom dès 126/5. La date de la mort de Démétrios II est donc assurée : elle coïncide avec le début de l’ère de Tyr.

Ad. KUHN (Beitræge z. Gesch. der Seleukiden) débrouille comme suit la chronologie des règnes enchevêtrés dont il s’agit, à partir de la mort d’Antiochos VII (120 a. C.). Alexandre II Zabinas, instauré dès 129/8, d’après ses monnaies, est mis à mort ou s’empoisonne en l’an III d’Antiochos Grypos, donc en 123/2, car l’an I de Grypos, qui succède presque immédiatement à Démétrios II, — Séleucos V n’ayant occupé le trône, comme figurant, que quelques mois, — correspond à 125 a. C., et non, comme le dit Porphyre-Eusèbe (I, p. 257/8 Sch.), à Ol. 164, 2 (123/2 a. C.). Antiochos Grypos, d’après Josèphe, mourut à l’âge de 45 ans, après avoir régné 29 ans (de 125 à 96 a. C.), avec une interruption de trois ans, qu’il passa à Aspendos (de 113/2 à 111/0 a. C.). Il était donc né en 141/0 a. C. et avait de quinze à seize ans quand sa mère le substitua à son aîné Séleucos V. Antiochos IX Cyzicène est mort, d’après Eusèbe (I, p. 239 Sch.), en Ol. 171, 1 (96/5 a. C.), après 18 ans de règne. L’âge que lui donne à sa mort le chronographe — cinquante ans — est une faute de copiste (?) que l’on pense avoir réparée en substituant le chiffre μ' (40) au chiffre ν' (50). Antiochos IX n’a pu naître en 146 a. C., attendu que sa mère (Cléopâtre Théa) n’avait pas encore épousé son père (Antiochos VII) à cette date. Avec la correction ci-dessus, il est né en 136/5 a. C., plus jeune d’environ cinq ans que son demi-frère et rival. Son avènement est daté de Ol. 167, 1 (112/1 a. C.) par Eusèbe ; mais les monnaies le font remonter à 117/6 a. C. C’est qu’il a dû prendre le titre de roi en 117, mais n’a régné en fait qu’à partir de 112 jusqu’en 96/5 a. C.