CHAPITRE VII. – NOTES COMPLÉMENTAIRES.

 

 

[note 1] — Eusèbe (I, p. 253 Sch.) entasse en quelques lignes des données chronologiques à première vue inconciliables avec les faits connus par ailleurs. Il attribue à Séleucos IV douze ans de règne, à partir de Ol. 148, 3 = 180/5 a. C., et soixante ans d’âge à sa mort, en Ol. 151, 1 = 176/5 a. C. En ce qui concerne la durée du règne, la contradiction apparente se résout facilement. Eusèbe incorpore au règne de Séleucos IV deux années de co-régence à partir de 189/8 a. C. Les soixante ans d’âge feraient remonter la naissance de Séleucos en 236 ou 235 a. C., ce qui est en contradiction avec la date du mariage de son père (221 a. C.). Comme Séleucos était le puîné, il est impossible de placer sa naissance avant 219 ou 218 ; il n’avait donc pas beaucoup dépassé la trentaine lors de son avènement.

 

[note 2] — Les dates, et jusqu’à un certain point la réalité, des victoires d’Eumène II sur les Galates, officiellement vantées dans les inscriptions de Pergame, sont, plus encore que celles d’Attale Ier, un locus desperatus. On signale au moins trois guerres entre Eumène et les Galates ou les Galates alliés aux Bithyniens : la première du vivant d’Hannibal (donc avant 183 a. C.), qui avait entraîné dans la coalition ceteros reges, bellicosas nationes [les Galates ?] (Corn. Nepos., Hannib., 10), peut-être celle que célèbre l’inscription n. 65, telle qu’elle est restituée par Fränkel. Mais le texte de Trogue-Pompée (Prol. 32) la confond avec la suivante en y mêlant Ortiagontem, Pharnacem Ponticum et Prusiam, adjuvante Prusiam Annibale Pœno ; et Justin (XXXII, 4, 6) sait que Hannibal procura à Prusias déconfit une victoire sur mer avec des bombes d’un nouveau genre, des serpents enfermés dans des cruches d’argile. La seconde guerre (en 181-179 ?) aurait été entre Eumène et Pharnace allié aux Galates, avec la complicité de Mithridate et de Séleucos IV. La troisième débuta en 168 par un soulèvement général des Galates soutenus par Prusias, et se termina par l’affranchissement des Galates, que le Sénat imposa à Eumène, humilié à plaisir par les Romains (Polybe, XXIX, 6 d. XXX, 14. 17). Eumène a pu débloquer Sardes (inscr. de Delphes ; Haussoullier in BCH., 1881, pp. 372 sqq.) et recevoir à cette occasion (?) le nom de Σωτήρ, ou remporter une victoire en Phrygie (inscr. Perg. n. 165) ; mais il n’est guère possible d’admettre qu’il ait élevé à Pergame l’autel colossal dédié à Zeus et Athéna Νικηφόρος (inscr. Perg., n. 69) et fait des Νικηφόρια un άγών στεφανίτης dans de telles conjonctures. IL semble bien que, cette fois encore, les Atialides ont grandi leur rôle de défenseurs de l’hellénisme contre les Gaulois aux dépens de la vérité. Je ne puis qu’indiquer en passant nombre de litiges concernant l’identité de Prusias (I ou II), la participation d’Attale II (comme frère du roi ou roi) à ces guerres, ou celle de Philétæros, etc.

 

[note 3] — On a vu plus haut que deux personnages, Ardys et Mithridate, ont été donnés par Tite-Live pour des fils d’Antiochos le Grand, et qu’il y a des raisons de contester son témoignage. Sur l’un comme sur l’autre, on ne peut que faire des conjectures. La plus simple est de supposer qu’ils sont morts avant leur père. Mais, une fois admis que Mithridate pourrait être le neveu à qui Antiochos III faillit donner le trône de Xerxès, on est autorisé à penser qu’il était tout prêt à prendre parti contre Eumène, le spoliateur de la dynastie des Séleucides.

 

[note 4] — Des fragments précités de Diodore XXX, 7, 21 et de Jean d’Antioche (FHG., IV, p. 558, fr. 58), il résulte que ce fils de Séleucos IV — totalement inconnu par ailleurs — fut assassiné par Andronicos (Diodore) ou par des anonymes, à l’instigation d’Antiochos IV, lequel fit disparaître ensuite ses complices (Jo. Antioch.). D’après II Maccabées, 4, 38, c’est pour avoir assassiné Onias, réfugié à Antioche, qu’Andronicos fut mis à mort : était-ce un prétexte, et déguisait-on ainsi le véritable motif ? Jean d’Antioche, qui, quelques lignes plus loin (fr. 59) appelle Démétrios Ier fils d’Antiochos Épiphane, ne mérite aucune confiance ; mais il est difficile de récuser le texte de Diodore, encore que ce ne soit qu’un Excerptum Vaticanum placé au juger. GUTSCHMID (Der zchute Griechenköning, in Rh. Mus., N. F. XV, pp. 316-318), combinant les trois textes avec la vision apocalyptique de Daniel (VII, 8), est obligé d’imputer à Antiochos la responsabilité de trois meurtres, car le prophète a vu trois cornes arrachées à la Bête qui en avait dix par la petite corne à la bouche arrogante. Entendez que Antiochos Épiphane a évincé Séleucos IV, dont il a dû machiner l’assassinat avec Héliodore (en 176/5 a. C.) ; puis Héliodore (en 175 ?) ; et enfin, un fils aîné du roi défunt, le jeune [Antiochos] (Jo. Antioch., loc. cit.), meurtre commis — par ordre, mais en l’absence du roi occupé à réprimer une révolte en Cilicie — par Andronicos, en même temps que celui d’Onias, en 171[1]. Antiochos, à son retour, aurait feint l’indignation et supprimé son complice, non pour le meurtre du jeune roi, mais comme ayant assassiné Onias à l’instigation de son concurrent Ménélas. L’enfant aurait donc régné environ quatre ans sous la tutelle d’Héliodore, qui de régent se fit roi, et d’Antiochos IV ensuite. R. BEVAN (II, p. 126, 1) propose d’attribuer à cet enfant problématique une médaille avec légende βασιλέως Άντιόχου, que d’autres rapportent à. un fils d’Antiochos III, l’Antiochos mort en 192.

La thèse de Gutschmid a été reprise, avec amendements de détail, par U. MAGO, Il primogenito di Seleuco IV Filopatore (Riv. Classici e neo-latini, n. 6. Aosta, 1906) et W. OTTO, art. Heliodoros, n. 5 (R.-E., VIII [1913], col. 13-15). Démétrios Ier, né vers 187 a. C., n’était pas le fils aîné de Séleucos IV, d’abord parce qu’il porte le nom inusité de Démétrios, ensuite, parce que Séleucos l’envoie relever de faction à Rome son oncle Antiochos Épiphane. Antiochos III et Philippe V de Macédoine n’avaient pas non plus éloigné ainsi le prince royal. Donc le fils aîné de Séleucos IV, comme successeur éventuel de son père, s’appelait Antiochos, et l’on ne voit pas pourquoi Héliodore, sûr de régner sous le nom de cet enfant de douze ou treize ans[2], ne l’aurait pas proclamé roi, sauf à le détrôner plus lard. Cela est si évident que W. Otto ne veut plus appeler Épiphane. Antiochos IV, mais Antiochos V. Que Héliodore se soit proclamé roi (pour mériter le titre de corne dans Daniel), la chose est peu probable : il se serait en ce cas débarrassé de son pupille (Mago), à moins que le jeune Antiochos ne se soit alors échappé (Otto) ? Héliodore fut non pas mis à mort, mais expulsé en 175 par Eumène et Attale (Appien, Syr., 45) Antiochos Épiphane remplaça donc Héliodore comme tuteur de son neveu, en prenant toutefois le diadème, à la condition expresse ou sous-entendue de le lui laisser après sa mort (Mago) ? Mais le tuteur, lorsqu’il eut un fils (en 173 ?), l’associa au trône dès le berceau, en 171 ou 170 a. C., après avoir fait disparaître le pupille.

Je ne tiens pas à me faire sur le sujet une opinion positive, à accepter ou récuser les visions de Daniel. Quand il s’agit d’Épiphane, si c’est bien lui qui est en cause, un Juif ne peut avoir qu’un médiocre souci de la vérité. 11 nie paraît e priori impossible d’admettre qu’un fils aîné, héritier légitime de Séleucos IV et roi à la mort de son père, soit resté anonyme et ait disparu aussi obscurément. On comprendrait mieux que la mort d’un enfant en bas âge, plus jeune que Démétrios, ait fait si peu de bruit ; mais alois on ne saisit pas bien quel intérêt avait Antiochos IV à le faire disparaître, puisque Démétrios restait pour revendiquer l’héritage paternel. NIESE (III, p. 93) estime que d’après le droit princier du temps la prise de possession d’Antiochos IV était absolument légitime (?), vu la minorité de Démétrios, mais que, Séleucos IV ayant laissé un fils plus jeune encore, ce prétendant possible fut assassiné, en l’absence d’Antiochos, par Andronicos, un serviteur zélé, qui commit sans doute un excès de zèle. C’est ce que j’ai lu de plus raisonnable sur la question.

La tradition juive affirme ou insinue que la mort violente de Séleucos IV ne fut pas une surprise pour Antiochos Épiphane. Cependant, il ne semble pas avoir été tout prêt à recueillir la succession, et il s’est écoulé un certain temps avant qu’il pût s’en emparer. Les computistes, en général, ne connaissent pas d’interrègne. Pour eux, comme en droit dynastique, le mort saisit le vif. Entre ceux qui font régner Antiochos IV onze ans au plus (de Ol. 151, 3 à Ol. 154, 1 = 174/3 à 164/3 a. C.) et ceux (I Maccabées, 1, 11. Joseph., XII, 9, 2) qui le font durer douze ans au moins (de Sel. 137 à Sel. 149 = 176/5 à 16I)/3), le désaccord n’est pas excessif à première vue. Cependant, si l’on songe que, pour les chroniqueurs juifs, l’année séleucide date du printemps antérieur au point de départ de l’ère commune (E. SCHÜRER, I4, pp. 32-40), et que Ol. 151, 3 commence en août 174, l’écart s’élargit et dépasse deux ans. Il y a place dans cet intervalle pour un interrègne, qui expliquerait au mieux ces divergences de calcul.

Quant à Héliodore, je n’ai dit sur ce personnage que ce que l’on croit savoir. Si l’on ne se résigne pas à ignorer ce qu’il est devenu par la suite, on peut bâtir des hypothèses aventureuses sur deux lignes d’Athénée (II, p. 54 c), lequel emprunte à un certain Héliodore une anecdote concernant une fantaisie d’Antiochos Épiphane. Le roi avait un jour fait débiter du vin, au lieu d’eau, par une fontaine. Cet Héliodore pourrait bien être le ministre syrien, et il a peut-être vu ce qu’il rapporte. Donc, il était rentré en grâce auprès d’Antiochos IV (son complice ?) ou bien, il a été exilé et a employé ses loisirs à écrire ses Mémoires (W. OTTO, art. Heliodoros).

 

[note 5] — Le texte est catalogué sous le n. 160 dans les Inschriften von Pernamon. L’en-tête est mutilé, et c’est dans les lignes disparues que se trouvaient les indications de lieu et de date. Ch. MICHEL (n. 550) intitule le document Décret d’Antioche de Syrie. M. HOLLEAUX (Un prétendu décret, etc.), croit pouvoir démontrer, par des raisons tirées de la forme, que le décret en l’honneur d’Eumène est dit aux Athéniens. DITTENBERGER (OGIS., n. 248) suspend son jugement, mais il penche pour la thèse de Holleaux, thèse surtout philologique. Grammatici certant.

 

 

 



[1] On a songé aussi à Démétrios Ier, dépossédé, à Ptolémée Philométor, détrôné momentanément par Antiochos Épiphane (à l’état de cornes arrachées), et même à l’assassin Andronicos, mis à mort par son complice.

[2] Démétrios Ier devait avoir alors (en 176/5 a. C.) onze à douze ans.