CHAPITRE VI. – NOTES COMPLÉMENTAIRES.

 

 

[note 1] — DROYSEN (Hist. de l’Hellén., III, p. 332, 3) ne doute pas que Séleucos III ait laissé un fils en bas pige, un Antiochos qui fut roi un instant par droit de naissance et fut écarté comme trop jeune par les troupes restées en Syrie. Il songerait même, en avouant que c’est une conjecture risquée, à faire d’Antipater, neveu (Polybe, V, 79, 12 ; fratris filius, Tite-Live, XXXVII, 45, 4. 55, 3) et ambassadeur d’Antiochos III en 190 a. C., cet Antiochos lui-même, appelé Antipater avant son avènement, — comme son père s’était d’abord appelé Alexandre, — et résigné à sa déchéance. Contentons-nous de penser que, pour Polybe, Antipater était fils d’une sœur (inconnue) d’Antiochos III, et que Tite-Live l’a mal compris. L’existence de ce prétendu fils de Séleucos III n’a d’autre garant que l’interprétation arbitraire de l’inscription et des monnaies signalées plus haut. Les exégètes ont fait confusion soit avec un fils d’Antiochos III, soit plutôt avec un fils problématique de Séleucos IV, à propos duquel la question reviendra.

 

[note 2] — Polybe affirme nettement que Antiochos III épousa, à Séleucie sur le Zeugma, Λαοδίκην τήν Μιθριδάτου τοΰ βασιλέως θυγατέρα (V, 43, 1-1), et, non moins nettement, que Achæos έγημε δέ Λαοδίκην τήν Μιθριδάτου τοΰ βασιλέως θυγατέρα (VIII, 22, 11), celle-ci confiée précédemment à un citoyen de Selgé en Pisidie, Logbasis, qui l’avait élevée comme sa fille (V, 74, 5)[1]. Ce Logbasis ayant été un ami d’Antiochos Hiérax, comme le dit Polybe dans le membre de phrase qui précède la mention de Laodice, J. BELOCH (Gr. Gesch,, III, 2, p. 154) en conclut que Laodice épouse d’Achæos était une fille non pas de Mithridate II de Cappadoce Pontique, mais d’Antiochos Hiérax. Deux sœurs homonymes lui paraissent chose suspecte. Il se débarrasse assez lestement du témoignage contraire de Polybe, alléguant que ne comprend pas pourquoi Mithridate aurait fait élever sa fille à Selgé, tandis qu’on devine très bien pourquoi Achæos épousa la fille d’Hiérax, qui lui apportait une prétention légitime à la possession de l’Asie Mineure. Sans doute, Polybe n’est pas infaillible — et ses copistes non plus. Il a pu confondre une Laodice avec l’autre. Mais, pour récuser un témoignage aussi précis et corriger (au texte de VIII, 22,11), il faut d’abord supposer que Hiérax avait une fille, ce que nous ignorons complètement ; et ensuite, que cette fille, issue du mariage d’Hiérax avec la fille de Ziaélas, donc née au plus tût en 231, était déjà nubile vers 220. On ne voit pas bien Achæos croyant acquérir des droits sur l’Asie Mineure en épousant la fille d’un homme qu’il avait lui-même pourchassé comme usurpateur. Beloch ne lui prête ce calcul que parce que, plus tard, en effet, Achæos reprit à son compte le rôle d’Hiérax, ce à quoi sans doute il ne songeait pas alors. Il est au moins aussi satisfaisant, et plus simple, d’imaginer une circonstance dans laquelle Mithridate aurait confié sa fille à Hiérax comme otage ou gage d’alliance après brouille et réconciliation. Pour l’autre Laodice, il n’y a pas de doute : c’est bien du Pont que le navarque Diognétos amène à Séleucie sur le Zeugma la fiancée d’Antiochos III.

 

[note 3] — On a vu que la discussion porte sur les projets d’Attale et les péripéties de la campagne. Le peu que j’en ai dit est, en gros, d’accord avec les vues de M. Holleaux, qui réfute, dans le sens conservateur, les hypothèses aventurées de G. Radet, Attale évite autant qu’il le peut de rencontrer Achæos, et on ne comprend pas qu’il soit allé l’attaquer au loin, à Selgé en Pisidie. Si Attale était allé en Pisidie, comment Achæos le laisse-t-il se retirer — une retraite de plus de 400 kil. — sans le poursuivre ? C’est en Mysie, probablement ralliée à Achæos, et non en Pisidie, que se révoltent les Gaulois, rebutés par la fatigue des transports dans une région escarpée, et non en face de l’ennemi. La correction Μυρίνα pour Σμύρνα, proposée par Wilcken, rétablit la continuité topographique des progrès du ralliement des cités grecques d’Ionie dans le passage de Polybe, V, 77, 4. Mais elle a l’inconvénient de supprimer la mention de Smyrne avant celle de Téos et de Colophon, alors que la députation smyrniote à laquelle Attale répond φιλανθρώπως (77,6) paraît bien lui avoir été présentée avant celle des Téiens et Colophoniens.

 

[note 4] — Ce qui rend toute solution contestable, c’est, comme toujours, l’homonymie et l’absence de distinctions personnelles ainsi que de dates dans les textes. Le passage capital de Polybe (VIII, 25 = Ecc. Peiresc., pp. 26-29) est un fragment inséré à cette place par les diascévastes modernes. On ne sait à quel Antiochos, à quelle Antiochis et à quel Mithridate on a affaire, ni à quelle époque placer Xerxès. Les numismates (depuis Visconti jusqu’à Babelon) tiennent Xerxès pour un contemporain d’Antiochos IV Épiphane, et, par conséquent, l’Antiochis qu’il épouse pour une sœur d’Antiochos IV, fille — et non sœur — d’Antiochos III. On rencontre, en effet, dans les chroniques des Macchabées (II, 4, 30), mention d’une Antiochis, concubine d’Antiochos Épiphane, qui, elle aussi, pourrait être sa sœur et avoir eu de lui un bâtard appelé Mithridate. Antiochos IV aurait volontiers cédé ou imposé cette concubine-sœur au jeune Xerxès. Mais c’est là une hypothèse fondée sur deux postulats. BABELON (pp. CXCV. CCXXI. CCXXXI), qui tient pour cette Antiochis, trouve invraisemblable qu’il ait existé trois Antiochis, l’une sœur, les deux autres filles d’Antiochos III (l’une, reine de Cappadoce, l’autre concubine d’Antiochos IV), deux sur trois ayant en chacune un fils du nom de Mithridate. D’abord, ceux qui éliminent l’Antiochis d’Antiochos IV n’en connaissent plus que deux. Ensuite, nous l’avons assez répété, rien de plus commun que les homonymes, surtout les femmes, dans les familles royales — et même ailleurs. Enfin, rien n’autorise à rejeter le témoignage décisif de Jean d’Antioche, qui donne au mariage de Xerxès avec la sœur d’Antiochos une date approximative, — (FHG., IV, p. 557, 53), — mais nécessairement comprise entre 218 et 203 a. C.

Pour moi, comme pour Frœhlich, C. Müller, O. Blau, Th. Reinach, Niese, Bevan, etc., ce synchronisme tranche la question. L’Antiochis en cause est bien une sœur d’Antiochos le Crawl. Mais ici surgissent de nouvelles difficultés. Que la sœur et la fille d’Antiochos III — celle-ci mariée en 102 à Ariarathe IV du Cappadoce (Diodore, XXXI, 19, 7. Appien, Syr., 5) et mère du Mithridate qui fut ensuite Ariarathe V — aient porté le même nom et donné aussi un même nom à leurs fils, il n’y a rien là de singulier. Mais quel était le père du Mithridate fils κατά φύσιν de la sœur d’Antiochos III ? O. BLAU (Zwei Mithridate von Armenien, in Zeitschr. f. Num., VII [1880], pp. 33-30) imaginait que ce fils naturel dont le père est, inconnu devait être né d’un commerce incestueux entre Antiochos III — avant son mariage avec Laodice de Pont (221) — et sa sœur Antiochis. C’est une façon de transporter à Antiochos III la concubine-sœur d’Antiochos IV et d’embrouiller la question. 11 ?). Υίός κατά φύσιν ne signifie pas naturel au sens moderne du mot, c’est-à-dire illégitime ; le terme s’oppose à fils adoptif. On peut toujours chercher à ce Mithridate un père légitime chez les dynastes orientaux ; par exemple, un dynaste de la Petite-Arménie (Th. REINACH, Rev. Numism., VI [1888], p. 244). C’est probablement le dit Mithridate qu’on retrouve plus tard, vers 180 a. C., satrape d’Arménie et allié de Pharnace (Polybe, XXVI, 6, 3. 11).

Reste encore une énigme posée par un texte de Tite-Live (XXXIII, 19) qui mentionne, à la date de 197, deux fils d’Antiochos le Grand : præmissis terra cum exercitu filiis duobus, Ardye ac Mithridate. Le nom gréco-lydien d’Ardys ou Ardyès est, que je sache, un άπαξ dans la généalogie des Séleucides. Tite-Live n’aurait-il pas pris pour un fils d’Antiochos l’officier du même nom qui, en 220-219, prit part à la campagne contre Molon (Polybe, V, 53, 2) et au siège de Séleucie (V, 60, 4-8) ? L’écart des dates n’est pas favorable à cette conjecture. Il se peut que Mithridate soit le Mithridate signalé en Lycie par Agatharchide comme un prétendant (à quoi ?) dont les Lyciens encouragent les espérances (FHG., III, p. 194, 11), et que le susdit Mithridate, fils d’Antiochis, soit qualifié fils d’Antiochos comme bâtard ou comme adoptif. C’est ce qui a suggéré une des hypothèses relatées plus haut. En somme, le champ reste libre — et stérile — aux conjectures. Il en est une cependant qui mérite considération. M. HOLLEAUX (in Hermès, XLVII [1912], pp. 481-491) résout élégamment le problème par la simple addition d’une conjonction au texte de Tite-Live. Il n’y a plus de parenté à chercher si on lit : præmissis.... filius duobus [c’est-à-dire Antiochos et Séleucos], cum Ardye ac Mithridate. Il est rare de produire tant de lumière à si peu de frais.

 

[note 5] — M. HOLLEAUX (in BCH., XXXII [1908], pp. 266-270) fixe à 203 a. C. le moment où le titre de Μέγας apparaît sur les inscriptions. Antiochos III l’a plutôt reçu que pris spontanément, et il n’en a pas abusé. Ne le lui contestons pas, nous souvenant seulement que grand roi ne signifie pas grand homme.

 

[note 6] — Sur l’alliance équivoque et défiante de part et d’autre entre Antiochos III et Philippe V de Macédoine, voyez M. HOLLEAUX (Klio, XIII [1913], pp. 146-156). Antiochos et Philippe, celui-ci en guerre avec Attale Ier de Pergame, rivalisaient de bienveillance intéressée envers les cités grecques d’Asie Mineure. Dons de Philippe au Zeus Karios de Panamara : propagande pour le culte d’Artémis Leucophryène à Magnésie du Méandre, pour celui du Dionysos de Téos, etc. Messages d’Antiochos aux cités :  Plutarque, Reg. et Imp. apophth., s. v. Philippe ayant excité sournoisement les cités insulaires, entre autres, les villes crétoises, contre les Rhodiens (205-197 ? a. C.), Antiochos envoie en Crète un affidé, le Rhodien Hagésistratos, probablement arec mission de ménager une paix entre Crétois et Rhodiens (?). Philippe, de son côté, dans sa campagne d’Asie, ménageait les possessions égyptiennes, c’est-à-dire, les adversaires d’Antiochos, tandis qu’il traitait en maître les cités vassales du Séleucide, Hiéra-Comé, Mylasa, Alabanda, Stratonicée. Il jouait double jeu, se donnant à Alexandrie pour l’allié d’Égypte, et à Antioche pour l’allié de la Syrie. On sait que les deux rois ne se prêtèrent aucun appui dans leur lutte contre les Romains. Aussi Polybe (XV, 20, 5-6) considère que la Fortune suscita les Romains pour le châtiment de ces soi-disant alliés qui se trahissaient mutuellement. M. Holleaux constate (pp. 146, 2. 148) que l’histoire de la campagne de Philippe en Asie est encore mal connue, et que, en somme une histoire équitable de Philippe V reste encore à écrire (p. 144, 4). Espérons qu’il s’en chargera lui-même, en faisant la synthèse de ses travaux sur le sujet.

C’est sur un point très secondaire — intéressant seulement les mariages de Démétrios II l’Étolique — que porte la dissertation de G. CORRADI (Riv. di Filol. Class., XXXVII, pp. 373-379) : il ramène la naissance de Philippe V à 237 au lieu de 238 a. C.

 

[note 7] — Le siège de Gaza est compté parmi les plus opiniâtres et les plus célèbres de l’antiquité. Polybe vante l’énergie des assiégés et leur fidélité à Ptolémée. Nombre d’érudits modernes, et avant tout les éditeurs qui ont classé les fragments du livre XVI de Polybe, reportent le siège de Gaza (Polybe, XVI, 40) après la bataille de Panion (Polybe, XVI, 18-19 ; cf. XXVIII, 1,3), bien que Polybe lui-même (XVI, 18, 2) indique en passant, l’ordre des faits comme suit : τήν τε Γέζης πολιορκίαν καί τήν γενομένην παράταξιν Άντιόχου πρός Σκόπαν έν Κοίλη Συρία περί τό Πάνιον. Polybe fournit aussi des arguments aux deux opinions adverses : à ceux qui s’appuient, sur l’ordonnance artificielle de ses fragments, et à ceux qui font valoir la phrase précitée. Il faut donc avoir recours aux inductions tirées des faits connus aux alentours, entre 202 et 108, dates extrêmes proposées pour le siège et la bataille.

Une première observation, c’est que la fidélité des Gazéens au protectorat égyptien se comprend avant la bataille de Panion ; après une victoire aussi décisive des Syriens, elle eût été un dévouement désespéré et sans objet. Aussi me semble-t-il superflu de discuter cette question préalable. Le siège de Gaza est antérieur à la bataille de l’anion. Peut-on préciser les dates respectives de ces deux faits marquants ? Prenons, pour fixer les idées, un système cohérent, celui de NIESE (Gesell. d. Gr. St., II [1899], pp. 578-579). Il pose en principe (d’après Josèphe, A. J., XII, 135-137) que le succès de Scopas en Palestine et sa défaite à Panion étaient racontés par Polybe dans son XVI, livre, et (cette fois, arbitrairement) que ce XVI, livre comprenait l’histoire des années de 01. 144, 3-4 (202/1 à 201/0 a. C.). Le siège est mis devant Gaza en 201 et se prolonge pendant que Scopas fait une diversion en Palestine et est finalement battu à Panion, durant l’été de 200, par Antiochos. Le vainqueur achève en deux ans la soumission de la Cœlé-Syrie et se réconcilie avec Ptolémée, par les fiançailles de Cléopâtre, en 198. Ce système se heurte à des objections dont j’ai déjà formulé une partie ailleurs (Hist. des Lagides, I, p. 361, 1). Dans l’été de fan 200, Antiochos était en Asie Mineure et Scopas recrutait des mercenaires en Étolie (Tite-Live, XXXI, 43) : en 199, Scopas, profitant du moment où Antiochos est aux prises avec Attale, envahit la Palestine et la Cœlé-Syrie. Si rapidement que fût accouru Antiochos, c’est au plus tôt en 198 que s’est livrée la bataille de Panion, laquelle emporta du coup — et non pas en deux ans — la soumission de toutes les villes de la Cœlé-Syrie, comme le dit Tite-Live (XXXIII, 19, 8). Niese n’aurait pas récusé Eusèbe (Chron., II, p. 124 Sch.), qui donne pour la bataille de Panion la date Ol. 144, 3 ou 4 (et non 145, 3 ou 4), s’il l’avait bien lu.

BENZINGER (R.-E., VII, art. Gaza) met bien la défaite de Scopas en 198, mais la résistance désespérée des Gazéens à la suite.

 

[note 8] — Je ne reviendrais pas sur cette question fastidieuse, discutée dans l’Histoire des Lagides (I, pp. 383-387), si je croyais pouvoir supprimer ici un débat qui intéresse au moins autant l’histoire des Séleucides. Comme j’ai écarté assez rapidement, à l’époque, la thèse de M. HOLLEAUX (Sur un passage de Flavius Josèphe, dans la Rev. des Ét. Juives, XXXIX [1899], pp. 171-176), l’approbation qu’elle a rencontrée de la part de savants comme S. et Th. REINACH (C. R. de l’Acad. d. Inscr., 1900, p. 409. Josèphe, trad. fr., [1904], p. 81, 2) m’oblige à l’examiner de plus près.

Il est avéré que, perdue par Antiochos Ier, reconquise par Antiochos Ill, la Cœlé-Syrie a été, dans l’intervalle, au pouvoir des Lagides. Il est non moins certain que ceux-ci ne l’ont pas récupérée par la suite ; que, par conséquent, après comme avant la convention constituant en dot à Cléopâtre la Cœlé-Syrie, Samarie, la Judée, la Phénicie (Joseph., XII, 4, 1, § 154), ces régions sont restées sous le joug des Séleucides (Polybe, XXVIII, 1, 2-3). D’où l’on a conclu, depuis Droysen et Flathe jusqu’à nos jours, ou bien que la cession du territoire — soit définitive, soit à temps, avec retour à la mort de Cléopâtre (?) — avait été stipulée (Polybe, XXVIII, 17, 9 Dindorf. Appien, Syr., 4. Hieron., in Dan., II, 16), mais non exécutée ; ou bien qu’il s’agissait du revenu des dites provinces. Or Josèphe, après avoir affirmé la cession de ces territoires, convenue entre Ptolémée et Antiochos, ajoute que les deux rois se partageaient le produit des impôts (§ 155). A ce propos, il raconte l’histoire du Tobiade Joseph se faisant adjuger à Alexandrie la ferme des impôts de la région et garantissant aux souverains — Ptolémée et Cléopâtre — le versement de chacune de (leurs ?) deux parts (§§ 177-178). Il n’est fait aucune mention d’un co-partageant Séleucide. Holleaux en conclut qu’ici, et plus haut les άμφότεροι οί βασιλεΐς du § 154, sont non pas, comme on l’a toujours cru, Ptolémée et Antiochos, mais Ptolémée et son épouse Cléopâtre : d’où il suit que l’opinion que les revenus de la Koilé-Syrie furent attribués mi-partie an royaume d’Égypte, mi-partie au royaume d’Asie, doit être abandonnée (op. cit., p. 175).

Il se peut que l’idée soit neuve : Holleaux pense avoir été le seul jusqu’ici à ne pas faire de contresens sur ces textes. Mais autre chose est de décider quelle en peut être la valeur historique. Disons tout de suite que la nouvelle interprétation ne leur en accorde aucune.

L’argumentation de notre exégète n’est pas des plus simples, et l’on risque de se perdre dans cet échafaudage de postulats qui chevauchent les uns sur les autres. Le postulat initial, c’est que Josèphe a emprunté l’épisode du Tobiade Joseph à un chroniqueur samaritain (?), qui, lui, parlait d’une époque où la Cœlé-Syrie appartenait aux Lagides, el nit un couple quelconque, d’un caractère un peu trop légendaire, si tant est qu’il dit existé (op. cit., p. 176), régnait sur l’Egypte. Mais ce chroniqueur, ou plutôt romancier, non content d’imaginer le partage des revenus entre le roi et la reine, appelait cette reine Cléopâtre, bien qu’il n’y ait pas eu de Cléopâtre reine d’Égypte avant la fille d’Antiochos III[2]. Sur la foi de ce nom sans doute, Josèphe, sans défiance (op. cit., p. 10) ou même par ignorance (p. 168, 1), a ajouté un anachronisme plus grave à celui qu’avait commis son devancier. Il a cru que les événements susmentionnés s’étaient passés sous le règne de Ptolémée V Épiphane et a transcrit ou résumé le récit du chroniqueur. Et donc, sous peine de se contredire, — c’est le péché littéraire dont Holleaux veut l’absoudre, — il a dû entendre par les άμφότεροι οί βασιλεΐς du § 154, Ptolémée V et Cléopâtre.

On n’a pas, j’en conviens, une haute idée du savoir de Josèphe, quand on constate plus loin (§ 223) qu’il appelle Séleucos IV Soter ; mais, qu’il n’ait pas su que la Cœlé-Syrie n’avait plus appartenu aux Lagides après 196 a. C., c’est par trop d’ignorance chez un historien de la Judée. Le postulat est si énorme qu’il a obligé Th. Reinach, annotant la traduction de Josèphe, à introduire dans son approbation une réserve qui la suspend. Ce qui est pour lui démontré, c’est que le chroniqueur a visé Ptolémée et Cléopâtre et que Josèphe l’a copié mécaniquement ; mais il soupçonne qu’aux §§ 154-155 Josèphe a peut-être pris άμφοτέρους τούς βασιλεΐς pour Antiochos et Ptolémée. Ainsi reparaît la contradiction que Holleaux fait disparaître au profit de l’écrivain et au détriment de l’historien, dont il disqualifie le témoignage. Dès lors, l’opinion ou plutôt invention du chroniqueur importe peu. Il est même probable que Josèphe ne s’en est aucunement soucié et qu’il n’y songeait pas ou qu’il l’a rectifiée de lui-même avant de transcrire l’anecdote concernant le Tobiade, précisément parce qu’il savait que le pacte matrimonial de 193 stipulait le partage des revenus entre Ptolémée V et Antiochos III.

U. MAGO (Antioco IV. Epifane re di Siria, pp. 47-49), passant à côté des questions de détail, estime en gros que Antiochos III n’aurait pas cédé la Cœlé-Syrie au moment on il était le plus fort, et que, s’il en avait stipulé l’abandon, les Égyptiens l’auraient réclamée après sa défaite à Magnésie. L’observation est de poids. Il est moins sûr que le conflit de 170/168 a. C. ait été soulevé par l’Égypte et que le Séleucide n’ait attaqué que pour se défendre.

Il est probable, pour ne pas dire certain, que ce pacte malencontreux fut interprété différemment par les deux cours. Antiochos IV en fit un prétexte à son agression contre l’Égypte, et l’on put constater une fois de plus que les mariages royaux entre frère et sœur étaient préférables aux mariages avec des princesses étrangères, même et surtout φερνηφόροι. On a remarqué (BEVAN, I, p. 144, 1) que les femmes introduisent dans les familles royales des noms, et peut-être des prétentions successorales, empruntés à leurs ascendants. On rencontre ainsi un Lysimaque chez les Lagides, un Antipater, des Démétrios et des Philippe chez les Séleucides.

 

[note 9] — Tite-Live (XXXV, 13) énumère à la suite, comme faits se succédant à court intervalle, le mariage de Cléopâtre à Raphia, dans le courant de l’hiver, et la mission d’Antiochos en Syrie au début du printemps (inde principio veris), mission précédant de peu (paulo ante, XXXV, 15) la mort du prince : le tout rapporté au consulat de L. Cornélius Mérula et Q. Minucius Thermus (XXXIV, 55. XXXV, 20 : des Ides de mars 193 à mars 192 a. C.). Le désarroi du calendrier romain à l’époque (ci-après) et les déplacements de l’année civile ou consulaire rendent la chronologie de Tite-Live peu sûre : on peut contester l’attribution de telle partie de l’année — en temps vrai — à tel consulat. Mais ici, l’historien date par saisons. La date du mariage est contrôlée et confirmée par le commentateur de Daniel (Hiéron., In Dan., 11, 17), qui l’assigne à l’an 13 de Ptolémée Épiphane (Hist. des Lagides, I, p. 384, 1). Enfin, Appien (Syr., 12) assure que Antiochos III s’embarqua pour l’Eubée, ούδέ τοΰ παιδός αύτώ προσαγγεθέντος έν Συρία τεθνάναι. Il a pu se tromper sans doute, mais non pas retarder à ce point, entre Antioche et Éphèse, une nouvelle vieille d’un an entier. C’est donc au mépris des textes que l’on place, comme le fait encore WILCKEN (art. Antiochos, nn. 25-26), le mariage de Cléopâtre en 194/3 et la mort du prince au printemps de 193 a. C.

On ignore absolument si le mariage contracté par le prince avec sa sœur Laodice en 196/5 a. C. fut fécond ou stérile. Il se pourrait que la reine de Pont Nysa, épouse de Pharnace (le grand-père de Mithridate Eupator ?), qualifiée dans un décret athénien βασίλισσαν Νϋσαν βασιλέως Άντιόχου, fût la fille plutôt que la sœur du co-régent précité (F. DÜRRBACH, in BCH., XXIX [1905], pp. 169-103).

 

[note 10] — Comme les Chaldéens et les Hellènes, les Romains avaient un calendrier lunisolaire, et les Pontifes, chargés de remettre le calendrier d’accord avec l’année solaire au moyen d’intercalations d’un treizième mois de temps à autre, s’acquittaient assez mal de leur tâche, — par ignorance, et aussi, dit-on pour des raisons de circonstance, parfois même peu honorables. Il faut dire que la chose n’était pas facile, car l’obligation de n’intercaler que des mois lunaires entiers, commençant à la N. L., ne permettait jamais de compensations exactes. Au moment où nous sommes, le désarroi était tel que le consul M’. Acilius fit voter en 191 a. C. une lex Avina de intercalando permettant aux Pontifes de rectifier le calendrier au juger (Macrobe, I, 13, 21. — translata in sacerdotes intercalandi potestate, qui plerumque pro libidine sua subtrahebant tempora vel augebant. Solin., I, 43). C’était peut-être aggraver le mal. Au 1er mars 189, l’écart était de 128 jours ; il était encore de 178 jours en 107 a. C. Quand César, en 46 a. C., remplaça l’année lunisolaire par l’année solaire, il dut intercaler près de trois mois (80 j.) et faire une année initiale de 445 j. pour remettre les saisons en leur place (annus confusionis). En 190, le calendrier était en avance de plus de trois mois (117 j. au moins) sur le soleil. Mais les Romains ne réglaient plus la vie pratique sur un calendrier aussi notoirement désorganisé. C’est bien au printemps qu’ils ont mis en mouvement leur flotte, à qui rendez-vous avait été donné pour le 15 juillet, à Brundusium (Tite-Live, XXXVII, 4). La preuve est faite par l’éclipse de soleil, survenue officiellement le 14 juillet (Tite-Live, l. c.), réellement le 14 mars 190 a. C. Le mois de mars suivant tombe, par conséquent, en octobre-novembre 190. A l’époque, depuis 222 a. C., l’année consulaire commençait au 15 mars. L. Scipion commence donc l’expédition comme consul, — il l’était depuis quatre mois, — et l’achève comme proconsul.

 

[note 11] — Sur ce traité, voyez l’étude critique de Th. Mommsen. Le texte du traité, incomplet dans Polybe, assez mal traduit de Polybe et retouché par Tite-Live, n’est pas amélioré par des corrections inconsidérées, comme Excedito urbibus agris vicis castellis cis Taurum montem usque ad Halyn [Tanaim mss.] amnem (Tite-Live, XXXVIII, 38, 4), attendu que les régions sises entre le Taurus et l’Halys (c’est-à-dire la Cappadoce, la Galatie et la Bithynie) n’appartenaient plus à Antiochos, et que le roi n’avait donc pas à les restituer. Ce qui suit, et a [et ea mss.] valle Tauri usque ad juga qua in Lycaoniam vergit est inintelligible. Le soi-disant Tanaïs doit être un cours d’eau descendant du Taurus, dont parle ailleurs Tite-Live (fluvium Taurum. XXXVIII, 15, 7), coulant du N. au S. dans cette vallée qui tourne vers la Lycaonie et formant en Pamphylie la limite imposée au roi. Les Romains l’ont probablement appelé ainsi parce qu’ils connaissaient mal sa situation et son nom, qui doit être le Cestros. En effet, Perge, sur la rive droite du Cestros, est enlevée à Antiochos, tandis qu’Aspendos, à quelque distance de la rive gauche, lui reste. Il n’y a pas d’hypothèse intangible, et celle-ci n’est pas de tout point satisfaisante. Viereck et Cardinali rejettent les corrections de Mommsen. Il s’agit bien de l’obligation imposée en bloc à Antiochos d’évacuer l’Asie Mineure proprement dite, la région cis Taurum montem usque ad Halyn amnem, clause répétée par Appien (Mithridate, 62). La créance d’Eumène est de 127 tal. 1208 dr. dans Polybe (XXII, 23, 21).

 

[note 12] — Le cas du Ptolémée mentionné par Tite-Live à la date de 189 a. C. (XXXVII, 56, 4), à propos d’un domaine qui Ptolemaci Telmessii fuisset, propriété sise dans les dépendances de Telmesse (Τελμησσός en Lycie), est un problème insoluble, un prétexte à dissertations. On n’a aucun indice certain concernant sa personne, son origine, ses faits et gestes, à Telmesse ou ailleurs ; on ne sait même à quelle génération il appartient, car, si sa propriété est vacante, Tite-Live ne dit pas depuis combien de temps. Il est superflu de dire que les dernières conjectures ne sont pas nécessairement les meilleures. J’ai essayé plus haut d’exposer celles que j’estime les plus vraisemblables, à l’intention de ceux de nos lecteurs qui voudraient avoir une idée sommaire des discussions et mettre des noms d’érudits sur les divers systèmes.

Le renseignement que Tite-Live rattache à son nom est plus intéressant. Le Sénat excepte du partage entre Eumène et les Rhodiens le domaine qui avait appartenu à Ptolémée de Telmesse. Mais le Sénat n’entendait probablement pas en faire un terrain sans maître. On peut penser qu’il songeait soit à le rendre à son ancien possesseur, soit à y installer un nouveau propriétaire, une sorte de principicule qui serait comme un représentant et un correspondant de Rome, intéressé à surveiller et dénoncer toute menée suspecte dans la région.

Eumène s’occupa dès lors de coloniser ses nouvelles provinces. On cite comme fondées ou renforcées par tes Attalides, en Pisidie : Apollonia (Mordyæon), peuplée de Lyciens et de Thraces ; en Carie, Euménia ; en Lydie, Apollonis (du nom d’Apollonis, mère du roi) auparavant Dordys (BCH., XI, p. 86. Athen. Mittheil., XIII, p. 15-16) ; en Mysie, Stratonicea ad Caicum. Antiochos, de son côté, transplanta dans un nouveau quartier d’Antioche quantité d’Étoliens, d’Eubéens et de Crétois qui s’étaient compromis pour sa cause (Libanius, Orat., XI, p. 309).

 

[note 13] — On ignore l’emplacement de cet édifice et même ce qu’il faut entendre par Élymaïde, les historiens et géographes grecs localisant, à leur gré cette région dans une partie quelconque de l’ancien Élam, en Assyrie, en Babylonie, en Perse, généralement en Susiane, entre la Babylonie et la Perse (voyez WEISSBACH, art. Elymaïs, in R.-E., V, [1905], col. 2458-2467]. C’est vraisemblablement le même temple que l’on dit dédié à Bel au temps d’Antiochus III, et à Nana, Nanïa, Anaïtis, au temps d’Antiochos Épiphane, c’est-à-dire à un couple de divinités parèdres. La date de la mort d’Antiochos III (187/6 s. C.) étant maintenant assurée par les documents babyloniens, il est inutile de ressasser les données divergentes des textes qui, attribuant à Antiochos III 36 ou 37 ans de règne, font dépendre la date de sa mort de la date de la mort de Séleucos III, plus discutable que celle-ci.

 

 

 



[1] Je saisis l’occasion de réparer mon inadvertance commise plus haut, distraction qui s’est rectifiée d’elle-même. Cette Laodice n’était pas la future épouse d’Antiochos le Grand, mais bien d’Achœos. J’ai dû la confondre un instant ou ta troquer avec sa sœur Laodice, femme d’Antiochos III. Que l’obsession des homonymes soit mon excuse.

[2] Tite-Live, du reste, en a fait autant en parlant de l’ambassade romaine envoyée en 210 a. C. ad Ptolomæum et Cleopatram reges (XXVII, 4, 10), alors que la reine était Arsinoé Philopator. C’est une raison de penser que le chroniqueur samaritain partait aussi du couple des Ptolémées Philopators.