L’histoire du court règne de Séleucos III tient en quelques lignes. On nous apprend qu’il échangea en montant sur le trône son nom d’Alexandre contre celui de Séleucos, et que les soldats le surnommèrent Kéraunos, sobriquet remplacé dans les inscriptions par le vocable plus respectueux de Soter. Quant aux données chronologiques, elles sont comme toujours faussées par l’habitude d’éliminer les fractions d’années. La durée du règne est évaluée à deux ou trois ans[1]. Pour être peu nombreux, les événements qui remplissent ce court règne n’en sont pas plus faciles à classer. Polybe n’en parle qu’il propos d’autre chose, et, si on l’en croyait, le premier acte de Séleucos III aurait été l’expédition contre Attale, dans laquelle il périt. Il est probable, en effet, que le jeune roi, moins résigné que ne l’avait été son père, songea tout d’abord à reconquérir l’Asie Mineure au N. du Taurus, dont la perte avait mutilé l’empire des Séleucides, et les hostilités ont pu commencer dès 226. Mais ici se pose une énigme. Ce n’est pas Andromachos, mais son fils Achœos, qui accompagne Séleucos dans l’expédition où le roi trouva la mort, et l’on apprend par Polybe que, cinq ou six ans plus tard, Andromachos était depuis longtemps détenu à Alexandrie, Ptolémée résistant toujours aux instances d’Achæos et des Rhodiens qui le suppliaient de rendre la liberté à son prisonnier[2]. Comment Andromachos était-il tombé aux mains de Ptolémée III ? Où, quand et à quel propos aurait-il eu à combattre les Égyptiens ? Il est facile d’imaginer, difficile de prouver une collaboration active de Ptolémée avec Attale. On ne sait pas davantage quand et à quel propos le régent de Macédoine, Antigone II Doson (depuis 230), a chassé les garnisons égyptiennes de la Carie, peut-être comme allié soit de Séleucos II, soit de Séleucos III[3]. La solution qui me paraît la meilleure est aussi la plus simple. Andromachos a dû prendre le commandement dans une première campagne dirigée contre Attale. Il y fut vaincu et fait prisonnier. Attale n’était pas cruel ; il n’oubliait pas non plus qu’Andromachos était le frère de sa mère Antiochis[4]. Embarrassé de son captif, il a sans doute pris le parti de le confier à la garde du bon Évergète, qui mettait volontiers sous clef les personnages dangereux pour la paix internationale. Tant que vécut Ptolémée III, Andromachos ne sortit pas d’Alexandrie. Ce fut donc le roi Séleucos en personne qui entreprit une nouvelle campagne, ayant pour lieutenant Achæos et un officier digne de le seconder, nommé Épigène[5]. Laissant son royaume à la garde d’une sorte de grand-vizir[6], Hermias de Carie, il franchit le Taurus, pour porter secours, dit Polybe, à sa propre cause, mais il mourut bientôt, tué en trahison par Apatourios le Galate et Nicanor. Le Gaulois au nom prédestiné se rencontre à point pour partager ta responsabilité de Nicanor. Eusèbe ne connaît pas Apatourios, mais c’est Nicanor qui est pour lui le Galate félon. Il nous apprend que le guet-apens eut lieu en Phrygie. Si l’armée syrienne était alors en Phrygie, c’est qu’elle avait fait reculer les troupes pergaméniennes, et Attale comptait peut-être plus alors sur la ruse que sur les chances d’une lutte loyale. Les assassins devaient faire partie de l’entourage du roi ou y avaient des complices, car Appien nous représente l’infortuné Séleucos III comme valétudinaire, appauvri, mal obéi de son armée, entouré d’amis qui cherchaient à l’empoisonner[7]. Il ne serait pas impossible que l’or d’Attale fût pour quelque chose dans l’impopularité et la mort d’un adversaire qui avait le malheur d’être obligé à l’économie. Complice ou innocent du forfait, le roi de Pergame crut sans doute que la mort du roi de Syrie allait décourager les assaillants. Mais le véritable chef d’État fut dès lors Achæos. Celui-ci, suivant l’expression de Polybe, sut commander les troupes et mener l’ensemble des affaires avec sagesse et grandeur d’âme[8]. Il fit mettre à mort les assassins du feu roi, et, refusant pour lui-même le diadème que lui offrait l’élan des foules, il le réserva pour l’héritier légitime, le frère du roi défunt, alors stratège de la Haute-Asie et résidant à Babylone ou à Séleucie sur le Tigre. |
[1] Eusèbe Arm., I, p. 253 Sch. Le titre de Σωτήρ (CIG., 4458) ne figure pas sur les monnaies ; à plus forte raison, le surnom de Κεραυνός. La chronologie est, comme toujours, en désarroi et l’objet de multiples supputations portant sur la conversion des années olympiques (deux, Appien, Syr., 66 ; ou trois, Eusèbe, Sulpice Sévère, S. Jérôme) en années juliennes.
[2] Polybe, IV, 48, 7 ; 51.
[3] Polybe, XX, 5, 11. Trogue-Pompée, Prol. 27.
[4] Strabon, XIII, p. 624.
[5] Il n’est guère probable que cet Épigène soit le même qui, précédemment, au service d’Attale, avait combattu Antiochos Hiérax (Inscription de Pergame).
[6] Polybe, V, 41. C’est le titre (abrégé en έπί τών πραγάτων) que portèrent après Hermias, et dans des circonstances semblables, les ministres Héliodore sous Séleucos IV, Lysias sous Antiochos II et Antiochos V, Philippe sous Antiochos V. Voyez G. Corradi, Ό έπί τών πραγμάτων (Saggi off. a G. Beloch, Roma, 1910, pp. 169-183).
[7] Appien, Syr., 66. Il semble bien dire que Séleucos fut en effet empoisonné, car il ne lui connaît pas d’autre genre de mort.
[8] Polybe, IV, 48. Ce n’est pas l’armée, mais plutôt la populace des villes, que Polybe désigne par ή τών όχλων όρμή.