CHAPITRE III. – NOTES COMPLÉMENTAIRES.

 

 

[note 1] —Cet Alexandre était fils de Cratère, frère utérin d’Antigone Gonatas. Il n’avait pas hérité de la fidèle et proverbiale amitié de sou père pour Antigone. Sa rébellion, qui faillit enlever l’hégémonie de la Grèce à Antigone, est connue par une ligne de Trogue-Pompée (Prol. 27 : Ut Antigonus... cura fratris sui Crateri filio Alexandro bellum habuit), par des anecdotes où l’on vante l’amour conjugal de sa femme Nicæa (Plutarque, Aratos, 17. Polyen, IV, 6. Tite-Live, XXXV, 26), et des inscriptions. Elle intéresse de très près l’histoire d’Athènes et de la Ligue Achéenne, moins celle des Séleucides, encore que Antiochos II ait dû voir avec plaisir Antigone ainsi occupé. En disant, un peu brusquement, qu’elle obligeait Antigone à reconquérir le Péloponnèse, j’ai voulu couler court à de longues explications et faire allusion au siège de Corinthe, clef du Péloponnèse. Voyez, sur le sujet, et ses rapports avec les batailles de Cos et Andros, Th. SOKOLOW (Beitr. z. alt. Gesch., III [1903], pp. 119-130). J. BELOCH (Gr. Gesch., III, 2 [1904], pp. 436-440). G. DE SANCTIS (Klio, IX [1909], pp. 1-9).

 

[note 2] — L’histoire de la Bactriane se fonde à peu près exclusivement sur les études de numismatique. Nombreux sont les essais publiés depuis Th. BAYER (Historia regni Græcorum Bactriani, Petropoli, 1738) jusqu’à nos jours, sur un sujet que complique encore l’histoire parallèle des Arsacides. On a beaucoup glosé sur le passage où Strabon (XI, p. 515) dit que des troubles avaient éclaté dans les régions trans-Tauriques et provoqué la défection de la Bactriane, parce que les rois de Syrie et de Médie, qui possédaient aussi ces régions, étaient en lutte l’un contre l’autre. Ce texte a suggéré diverses hypothèses : le roi de Médie serait Ptolémée III Évergète en conflit avec Séleucos II, ou, plus tard encore, Antiochos Hiérax. Justin, en effet (XLI, 4, 7) et Appien (Syr., 65) attribuent à la guerre entre Séleucos II et Hiérax la révolte des Parthes, que Justin mentionne même avant celle de la Bactriane, à la date de 250 a. C. (L. Manlio Vulsone, M. Atilio Regulo consulibus). Ces conjectures ont contre elles nombre d’indices chronologiques, qui assignent à la défection de la Bactriane, et même à l’invasion consécutive des Parthes, des dates antérieures au règne de Séleucos II. En fait de roi de Médie, il n’y en avait plus d’autre à l’époque que le dynaste ou roitelet de Médie Atropatène, Artabazane, comparse insignifiant et jusque-là vaguement tributaire des Séleucides. On ne voit pas qu’il ait pu tenir tête au roi de Syrie, et, au surplus, l’Atropatène ne confine pas à la Bactriane, puisqu’elle est au N.-W. de la Médie. Les rois de Syrie et de Médie seraient donc les Séleucides en général, ou ici, puisque le pluriel βασιλέας ne se comprendrait guère pour limiter une date, Antiochos II et son fils Séleucos associé au trône. Mais ces deux rois n’étaient pas en conflit ? L’idée de conflit peut être écartée du texte de Strabon par une correction πρός άλλοις (Coray) au lieu de άλλήλοις. Les rois en question étaient occupés ailleurs, et rien n’empêche que Strabon ait visé Antiochos II et son fils, celui-ci chargé plus spécialement des provinces orientales et résidant peut-être en Médie. Ce n’est là qu’une solution possible, et possible grâce à une correction. J’incline à croire que la leçon άλλήλοις peut se défendre et que, comme Justin et Appien, Strabon, à tort ou à raison, vise ici le conflit des deux frères, Séleucos II et Antiochos Hiérax.

 

[note 3] — On vient de dire qu’il y a un rapport de cause à effet, ou tout au moins de concomitance, entre la révolte de la Bactriane et le soulèvement des Parthes. Strabon, après avoir parlé d’Euthydème proclamant l’indépendance de la Bactriane, dit : Ensuite (έπειτα) Arsace le Scythe se jeta sur la Parthyée et s’en empara. Justin, après mention de la défection des Parthes, jusque-là sujets des Séleucides (?), relate celle de Théodote : Eodem tempore etiam Theodotus, mille urbium Bactrianorum præfectus, deficit regemque se appellari jussit (XLI, 4). L’Ère des Arsacides est un comput établi après coup, sur des données que nous n’avons plus. Celles dont nous disposons, discutées par DROYSEN (III, pp. 347-359), sont les textes précités de Strabon, de Justin, d’Appien, des mentions éparses dans Arrien (ap. Phot.), Suidas (s. v. Άρσάκης), le Syncelle (p. 539 Bonn.), et les dates quelque peu discordantes fournies par Eusèbe pour la défection des Barthes, c’est-à-dire, tantôt Ol. 132, 3 = 250/49 a. C. (II, p. 120 Sch.), tantôt Ol. 133, 1 = 248/7 a. C. (I, p. 207. II, p. 121). On n’est pas obligé d’admettre que le début de l’ère coïncide exactement avec l’événement qu’elle commémore.

Les estimations variaient de 256 à 245 a. C. jusqu’au jour où les documents babyloniens vinrent établir la concordance entre l’ère des Arsacides et l’ère des Séleucides. Droysen doutait encore de la lecture d’une tablette où G. Smith avait déchiffré le synchronisme 144 Arsac. = 208 Sel. Mais, depuis, J. A. STRASSMAIER (Zeitschr. f. Assyriol., VIII [1893], pp. 106-113) a multiplié ces exemples, au point que le doute n’est plus possible. Ainsi, 132 Sel. = 68 Ars. ; 174 Sel. — 111 Ars. ; 176 Sel. = 112 Ars. ; etc. Comme les Chaldéens faisaient partir l’Ère séleucide du 1er Nisan, au printemps de 311 a. C., l’équation 132 Sel. = 68 Ars. donne pour l’année initiale de l’ère arsacide 248/7 a. C. Le fait que des dates particulières correspondent, l’une, prise en 111 Ars., à 174 Sel. ; l’autre, prise en 112 Ars., à 176 Sel., indique que les deux computs ne parlaient pas du même mois ; que, par conséquent, l’année arsacide commençait à l’équinoxe d’automne, six mois plus tard que l’année séleucide, et que le point de départ de l’Ère arsacide correspond à sept.-oct. 247 a. C. (Cf. Ed. MEYER, Zeitschr. f. Assyriol., IX [1894], pp. 325-328, et Ed. MAHLER, pp. 42-61).

Sur la nationalité ou origine ethnique des Parthes (Παρθυκΐοι-Παρθοι Parthara-Partva-Parthi), le débat est entre ceux qui, d’accord avec les textes anciens, les tiennent pour des Touraniens (Rawlinson, Gardner), et ceux (Droysen, Scheiderwith, Spiegel, etc.), qui font des Parthes des Iraniens plus ou moins mélangés de Scythes. La solution de Fr. Spiegel, à savoir que les Parthes étaient des Iraniens, et leurs rois, les Arsacides, des Touraniens, est une hypothèse conciliante, mais qui ne s’impose pas.

 

[note 4] — Les enfants de Laodice répudiée furent-ils formellement déshérités, comme le dit le commentaire de Daniel (12, 5), au profit de l’enfant de Bérénice ? La Cœlé-Syrie fit-elle partie de la dot de la φερνηφόρος, l’occupation de cette province par les Lagides étant récente (de 280, et non 295 a. C.) et encore mal assurée ? Autant de questions sur lesquelles il est superflu d’accumuler des hypothèses.

 

[note 5] — Il me faut revenir, malgré que j’en aie, sur deux ou trois problèmes connexes, agités à plusieurs reprises dans l’Histoire des Lagides, questions d’identité encombrées d’homonymes, qui ont fait couler beaucoup d’encre et sont toujours pendantes. J’avais songé d’abord à les diviser, en les associant à d’autres litiges où ils font fonction d’arguments. C’est ainsi que j’ai été amené déjà à signaler en passant le texte vers lequel convergent toutes les discussions, l’inscription d’Ériza ou Durdurkar en Phrygie, publiée en 1885 par P. Paris et M. Holleaux (BCH., IX [1885], pp. 324-330. XIII [1889], pp. 523-529. Michel, 40. Dittenberger, OGIS., 224). C’est le décret du roi Antiochos instituant le culte de sa sœur la reine Laodice, nommant archiprêtresse de ce culte en Phrygie Bérénice, fille d’un Ptolémée fils de Lysimaque apparenté au roi (lig. 5 —lig. 30-31)[1], et réglementant les prérogatives des desservantes du dit culte.

En l’absence de la date, qui est mutilée, un large champ s’est ouvert aux conjectures. De quel Antiochos et, par conséquent, de quelle Laodice s’agit-il ? Où trouver pour père à Bérénice un Ptolémée qui soit à la fois fils de Lysimaque et parent de la dynastie ? Comme le dit W. W. TARN (Journ. of Hellen. Stud., XXX, p. 222), Ptolemy son of Lysimachus has a tremendous literature of his own. Je vais essayer de résumer brièvement les données du problème et d’énumérer les solutions intervenues.

L’honneur que fait Antiochos à ce Ptolémée indique que ce n’était pas un particulier quelconque : il y a donc chance de rencontrer sa trace ailleurs. En fait de Ptolémées certifiés fils de Lysimaque par des textes, nous ne connaissons que deux personnages, supposés provisoirement distincts : 1° un fils du roi Lysimaque et d’Arsinoé II ; 2° Ptolémée fils de Lysimaque, dit de Telmesse. Du premier, on sait que — échappé sans doute au massacre de ses frères cadets, Lysimaque et Philippe, égorgés à Cassandria par Ptolémée Kéraunos, dont il avait soupçonné le dessein (Justin, XXIV, 2-3), — il disputa la succession de son père au dit Kéraunos in Macedonia cum Monunio Illyrio (Trogue-Pompée, Prol. 24). On ne sait rien de plus sur lui : mais il y a tout lieu de penser que, au temps où, comme prétendant, il a dû prendre le titre de roi, il a été le Πτολεμαΐος τοΰ βασιλέων Λυσιμάχου ou βασιλεύς Πτολεμαΐος τοΰ Λυσιμάχου, ou encore Πτολεμαΐος Λυσιμάχου, auteur d’offrandes à Délos (Inventaire de Callistratos, lig. 10, 12-I3, 24-25, 20-30, ap. HOLLEAUX, in BCH., XXVIII, p. 409, 5). Le second (que l’on a voulu identifier avec le premier : cf. ci-après), Ptolémée dit de Telmesse, est mentionné dans une inscription datée de Dystros an VII de Ptolémée Evergète, c’est-à-dire, février (?) 240 a. C. (V. Bérard, in BCH., XXIV [1890], pp. 162-167. Dittenberger, OGIS., 55. Michel, 547). A cette date, les citoyens de Telmessos en Lycie (auj. Makri) honorent pour ses bienfaits leur seigneur Ptolémée fils de Lysimaque, à qui la ville a été remise par le roi Ptolémée. Cinquante ans plus tard (190/89 a. C.), les Romains, partageant les dépouilles d’Antiochos III vaincu entre Eumène II et les Rhodiens, exceptent du partage — sans doute pour la rendre à son ex-propriétaire (?) — une enclave, agrum qui Plolemæi Telmessii fuisset (Tite-Live, XXXVII, 56, 4-5). Comme on rencontre à l’époque dans les comptes de Délos une φιάλη Πτολεμαίου τοΰ Λυσιμάχου (BCH., VI [1882], p. 30. Dittenberger, SIG., 588, lig. 91), on peut conjecturer que cet ex-voto témoigne de la reconnaissance du Telmessien de 240, vieilli, septuagénaire peut-être, (ou de son héritier, voyez ci-après). C’est donc entre ces deux Ptolémées qu’il faudrait discerner le père de la prêtresse Bérénice, l’un étant, comme oncle maternel de la reine Bérénice, l’autre pouvant être apparenté aux Séleucides.

Mais ici interviennent les postulats qui introduisent dans le débat deux ou trois Ptolémées, que l’on s’efforce d’identifier aux précédents à l’aide de conjectures portant tantôt sur l’existence réelle, tantôt sur la filiation de ces personnages. Le Lysimaque père de Ptolémée de Telmesse étant inconnu, on a proposé de faire de ce Ptolémée 1° Le fils d’un haut fonctionnaire égyptien, Λυσίμαχος Πτολεμαίου Σωστατεύς (BCH., IX, p. 132), lequel, fils d’un Ptolémée, a pu avoir un fils de même nom ; 2° Le fils susnommé du roi Lysimaque : 3° Un fils (postulé) de Lysimaque, frère cadet de Ptolémée Évergète. Ce sont trois hypothèses à examiner.

La première peut être écartée sans plus ample discussion, la seule vraisemblance invoquée (M. L. Strack, P. M. Meyer) étant une coïncidence chronologique supposée entre les inscriptions précitées. La seconde (Holleaux) n’est qu’une des conjectures accumulées sur la tête de ce fils de roi en disponibilité. La révélation, faite par les papyrus (Revenue Laws, 1896), d’une co-régence inaugurée à Alexandrie en 267/6 a. C. et cessant en 259/8, a suscité comme un concours de devinettes. Que pouvait bien être le co-régent Ptolémée ? La solution la plus simple, à savoir, que Philadelphe s’était associé son fils aîné et légitime héritier, Ptolémée Évergète (Mahaffy, Grenfell, Wiedemann, Strack, Breccia) a paru insuffisante[2], parce qu’on ne voit pas alors, du moins tout de suite, pourquoi la co-régence aurait cessé en 239/8. La raison, a-t-on dit, doit être que le co-régent lui-même a disparu en cette année. Serait-ce peut-être un frère aîné d’Évergète (De Sanctis, Levi, Pozzi) ? L’une et l’autre hypothèse ont contre elles la rancune bien connue de Philadelphe contre son ex-épouse Arsinoé I (répudiée vers 277), antipathie entretenue par Arsinoé Il et telle qu’il aurait déshérité ses enfants si son mariage avec Arsinoé II n’avait pas été stérile. Il lit même adopter officiellement par celle-ci les enfants du premier lit (voyez ci-dessus, Ptolémée Évergète fils θεών Άδελφών). Mais n’aurait-il pas eu peut-être d’Arsinoé II (épousée en 277 ?) un fils associé tout jeune au trône et mort en 239/8 (Krall, Wilcken, v. Willamowitz) ? Ou bien, à défaut d’héritier né de sa très chère Arsinoé (morte en 270 et d’autant plus vénérée), n’avait-il pas sous la main le bis d’Arsinoé II et de Lysimaque, Ptolémée, dont il pouvait faire son fils en l’adoptant ? Donc, Philadelphe, suivant l’exemple de son père qui l’avait fait roi en déshéritant son frère allié Ptolémée Kéraunos, Philadelphe aurait assuré sa succession à ce fils de Lysimaque en l’adoptant et l’associant au trône. Cette idée (WILHELM, Gött. gel. Anz., 1898, pp. 209-210, H. v. PROTT, in Rh. Mus., LIII [1898], pp. 470-474) parut un trait de lumière et rallia quantité de suffrages (Haussoullier, P. M. Meyer, v. Willamowitz, [Breccia], Beloch), comme révélant enfin l’origine du rebelle d’Éphèse, le Ptolémée qui succomba précisément eu 239.8 a. C., à la date où cesse la co-régence. Le co-régent et le rebelle ne font qu’un, Ptolémée fils du roi Lysimaque selon la nature, mais officiellement filius Ptolemæi regis (Trogue-Pompée, Prol. 26, Athénée, XIII, p. 593 a). On a beau invoquer les intrigues des partis à la cour d’Alexandrie, qui expliqueraient aussi bien ou mieux une disgrâce momentanée d’Évergète en 239, je n’ai pu réussir à me persuader que le régent fa fils de Lysimaque, et surtout que, sur quelque menace venue d’Alexandrie (?), l’héritier adoptif ait commis une aussi folle équipée. Je considère, après bien d’autres (Droysen, Strack, Niese, Dittenberger, Sokoloff, Bevan, Levi, Pozzi), le Ptolémée d’Éphèse comme un billard de Philadelphe, et comme absurde, ou peut s’en faut, que ce binard ait été quand même le co-régent (Gercée, Haeberlin, Bevan). Il est pour moi hors de cause, sans rapport aucun avec les deux Ptolémées, l’un authentiquement, l’autre très probablement, fils de Lysimaque, qui restent seuls en présence.

Mais les deux Ptolémées se résoudraient en un seul, si l’on acceptait la deuxième hypothèse concernant Ptolémée de Telmesse, celle de M. HOLLEAUX (BCH., XXVIII, pp. 409-410), à savoir, que le fils du roi Lysimaque serait (le premier) Ptolémée de Telmesse, celui dont les Telmessiens célèbrent les louanges en 240. L’argument décisif, c’est que, dans l’inscription de Makri, on peut lire, à la lig. 21, έπί[γονον] qualifiant Ptolémée, là où d’autres proposent έπι[μελητή]ν. Έπίγονος doit signifier fils de Diadoque : donc, ici, fils du roi Lysimaque. Ce scrupule de puriste, s’exerçant sur une restitution contestable, oblige à supposer deux Ptolémées de Telmesse[3], et il ne me semble pas contrebalancer les raisons qui font reconnaître dans le Ptolémée de l’inscription de Telmesse un fils de Lysimaque frère d’Évergète (Mahaffy, Grenfell, Niese, Stachelin, Wilhelm, Dittenberger, Sokoloff, Laqueur).

De ce Lysimaque, on sait qu’il a été victime de Sosibios an début du règne de son neveu Philopator (Polybe, XV, 25, 2), vers 220 a. C. Aucun texte ne parle de sa descendance, et l’existence d’un fils de lui, nommé Ptolémée, est un postulat, mais un postulat qui échappe à bien des objections faites à d’autres systèmes. Lien n’empêche d’admettre qu’il eût un fils, adolescent en 240, vieillard à l’époque du traité l’Apamée. On comprend que le fief lycien’ ait été attribué par Évergète, dès qu’il fut roi (246), à un prince de la famille royale. Sans doute, son neveu était bien jeune en 240 pour mériter les éloges des Telmessiens ; niais la ville avait pu être sagement administrée en son nom, et, au surplus, l’adulation n’y regarde pas de si près. Je ne disconviens pas néanmoins que ces hommages seraient mieux placés sur la tête d’un gouverneur de cinquante à soixante ans, et je reconnais que la thèse de M. Holleaux, avec ou sans le qualificatif έπίγονος, est très défendable. J’y reviendrai tout à l’heure. Ceci posé, Ptolémée de Telmesse était bien apparenté à Antiochos II, qui épousait sa tante vers 250 ; mais il n’avait probablement pas encore dix ans à l’époque. C’est dire qu’il ne peut être le père de la prêtresse Bérénice. Aussi avait-on considéré comme chose acquise que Bérénice devait être fille ou du Ptolémée fils du roi Lysimaque, déguisé en Ptolémée de Telmesse, ou du rebelle d’Éphèse, distingué du précédent. Mais l’objection tombe et tout est remis en question si l’on fait descendre l’inscription non datée de Durdurkar jusqu’au règne d’Antiochos le Grand (223-187 a. C.), époux, lui aussi, d’une Laodice (Radet, Sokoloff, Laqueur, Pozzi). La raison majeure alléguée, c’est que Antiochos II n’aurait pas institué le culte de Laodice après l’avoir répudiée. C’est le contre-pied du sentiment qui, à mon sens, a dît pousser Antiochos II à essayer de consoler par des hommages la reine déchue et à réhabiliter ses enfants. Aussi, à l’appui d’une opinion que je ne partage pas, je pourrais suggérer que peut-être Antiochos III, épousant en 191 Enbœa à Chalcis, avait, pour décréter l’apothéose de sa Laodice — morte ou vivante (?) — les mêmes motifs que nous prêtons à Antiochos II. A l’époque, Ptolémée de Telmesse, neveu d’Évergète, a pu avoir une fille d’âge largement adulte, dont Antiochos aurait fait la prêtresse Bérénice.

L’hypothèse est plus hardie que probante. Pour l’accepter, il faut admettre d’abord que le titre d’άδελφί, donné dans le décret de Laodice est protocolaire, ce à quoi je no puis acquiescer ; ensuite, faire état d’une parenté lointaine entre ce Ptolémée et Antiochos III, d’une affinité née en 198 des fiançailles de Cléopâtre (Syra) avec Ptolémée V Épiphane[4]. Après toutes les éliminations faites ci-dessus, reste, comme seul père possible de l’άρχιέρεια de Phrygie au temps d’Antiochos II, Ptolémée fils du roi Lysimaque. Aussi bien, ce fut jusqu’à ces derniers temps l’opinion commune. Mais pourquoi Antiochos II ne l’appelle-t-il pas fils βασιλέως Λυσμάχου ? Le souvenir de l’inimitié qui avait mis en conflit Lysimaque et Séleucos Nicator, des tragédies qui avaient commencé à Coroupédion et s’étaient continuées à Lysimachia, à Cassandria, explique, ce semble, que Antiochos ait évité de le réveiller et ait préféré associer une vague formule de réconciliation à la mention sèche : Πτολεμαΐος Λυσιμάχου, laquelle n’était nullement amphibologique pour les contemporains.

Puisqu’il est si facile d’aventurer des hypothèses, je cède à la tentation d’en proposer une qui relie entre eux des fragments détachés des systèmes énumérés précédemment, en abandonnant, au besoin, ceux pour lesquels j’ai manifesté des préférences. Il se peut que, sous l’influence de l’ambitieuse Arsinoé II, influence tournée en adoration après la mort de la déesse Philadelphe (270), Ptolémée II ait adopté son fils et l’ait associé au trône en 267/6 a. C. Mais, le sentiment national ayant protesté contre la disgrâce de l’héritier légitime, le co-régent fut écarté en 259/8, et aussitôt le bâtard installé à Éphèse, s’attendant à être dépossédé de même, s’insurgea ; ou, inversement, sa défection, exaspérant le parti national, entraîna la déposition du co-régent. Celui-ci aurait été alors éloigné d’Alexandrie et pourvu de moyens d’existence en Lycie, la mieux défendue et la plus paisible des possessions égyptiennes en Asie ; — par exemple, à Telmesse. C’est là qu’il était avec sa fille Bérénice lorsque Antiochos Il nomma celle-ci prêtresse de Laodice dans la province limitrophe, en Phrygie. A ce moment, le Séleucide, gendre de Philadelphe, avait intérêt à se montrer aimable pour le favori du Lagide. Mais, en 246, Ptolémée Évergète, devenu roi et poursuivant de sa rancune relui qui avait failli usurper son héritage, remplaça à Telmesse le fils du roi Lysimaque par le fils de son frère Lysimaque, mi antre Ptolémée ; et par la suite, entre ces deux Telmessiens homonymes jusque dans leur filiation, la confusion devint pour ainsi dire inévitable. Six ans plus lard, en 240, les Telmessiens étaient sûrs de plaire à Ptolémée Évergète en dépassant, dans l’éloge de leur jeune seigneur, les politesses qu’ils avaient sans doute faites à son prédécesseur pour plaire à Philadelphe. Mais longtemps après, en 197, Antiochos III, maître de la Lycie, dut expulser de son fief le prince égyptien et confisquer ses propriétés, son ager : d’où la restitution qui lui est faite ? en 189 par les vainqueurs d’Antiochos.

Dans cette esquisse synthétique, il n’est fait emploi — sauf le bâtard d’Éphèse — que de deux figurants, l’un certifié, l’autre présumé, avec motifs à l’appui, fils de Lysimaque. Qu’on me dispense de ressasser encore le pour et le contre. Prenons que ce soit un roman. Il ne s’agit pas ici d’atteindre au vrai, qui exige des preuves : le vraisemblable se contente de probabilités.

 

[note 6] — Sur ce sujet, le résumé le plus concis des travaux des orientalistes, de 1868 à nos jours, serait un hors-d’œuvre envahissant. Je me borne à l’indispensable, à la donnée première. Dans l’inscription de Shabbaz Chari, datée de l’an XIII de Piyadasi (vers 250 a. C.), le roi se félicite de voir sa bonne doctrine se propager chez ses voisins. Parmi ces voisins sont : Antiyaka roi des Yavanas et, au nord (?) de cet Antiyaka, Touramaya, Antikena, Maka, Alikasandara..., c’est-à-dire, Antiochos, roi des Ioniens, Ptolémée, Antigone (Gonatas), Magas (de Cyrène) et Alexandre (d’Épire ?). Sur ces cinq souverains, deux étaient morts à l’époque : Magas en 258, et Alexandre d’Épire en 260. Cela n’oblige pas à modifier la chronologie des inscriptions hindoues. Piyadasi Açoka pouvait ignorer ces détails, qui lui importaient peu. Le compte rendu du troisième concile de Patalipoutra, vers 24.2, mentionne l’envoi du missionnaire Rakchita à Alassada (Alexandrie ?), capitale du royaume des Yavanas. Açoka était un bouddhiste zélé, mais tolérant. Dans l’Inde, il existait officiellement une doctrine de plus, sans qu’il y eût une religion de moins (S. LÉVI, in Rev. Crit., 1893, p. 280).

 

 

 



[1] L’expression ne peut être évidemment une périphrase pour συγγενής. Un titre est une médaille dont le relief s’efface à l’analyse. Il se peut que, si le titre existait à l’époque, cette définition de la parenté réelle ait été voulue.

[2] E. Pozzi (op. cit., p. 344, 2) ne peut s’expliquer que j’aie encore adhéré à cette opinion en 1907 (Hist. des Lagides, IV, p. 310), trois ans dopo la esauriente dimostrazione del Beloch.

[3] Le dédoublement est ici obligatoire : il était déjà envisagé comme probable avec Ptolémée de Telmesse neveu d’Évergète. L’alternance usuelle des noms dans les familles a fait penser à un petit-fils (ou neveu ?), plutôt qu’à un fils, du premier Ptolémée.

[4] Pour attribuer à Antiochos III les inscriptions de Sigée et d’Ériza, et les placer vers 213 a. C., SOKOLOFF (Beitr. z. alt. Gesch., IV, p. 108) parait faire abstraction de la question de parenté.