LEÇONS D’HISTOIRE  ROMAINE - RÉPUBLIQUE ET EMPIRE

 

VI. — LE PREMIER SIÈCLE DE L’EMPIRE[1].

 

 

Dès qu’on parle d’Empire et de Césars, l’imagination évoque aussitôt, des scènes odieuses et terribles. Elle voit un peuple libre asservi, les institutions les plus vénérables abolies ou faussées, la toge cédant aux armes et la grandeur de Rome servant de piédestal  à des despotes dont quelques-uns portent au front une flétrissure éternelle. Il n’est pas de sujet sur lequel la déclamation se soit, plus exercée, et les souvenirs tous récents de notre propre histoire se joignent aux réminiscences classiques pour affermir dans notre esprit cette idée que l’établissement du régime impérial fut un crime et sa longue durée la preuve de l’irrémédiable abaissement des caractères. L’histoire se trouve ainsi merveilleusement simplifiée, et l’Empire peut se définir d’un mot : c’est l’agonie d’un peuple vieilli et découragé qui ne demande plus à ses maîtres, suivant l’énergique expression de Juvénal, que du pain et les jeux du Cirque.

En histoire, il est rare qu’une idée simple ne soit pas une idée fausse. Les peuples sont des organismes vivants : les vicissitudes de leur existence sont toujours l’effet de causes multiples qui agissent toutes ensemble et ne se laissent pas ramener à une impulsion unique. L’analyse doit démêler, mais non pas séparer ces forces associées. Il faut que l’historien renonce à la chimérique ambition d’enfermer dans une courte formule et de caractériser d’un mot le mouvement d’une époque. A plus forte raison cette prudence est-elle de rigueur quand il s’agit non pas seulement d’un peuple, mais d’un agrégat de nationalités diverses comme celui qui composait l’empire romain. On doit commencer par enregistrer des faits, aussi exacts et aussi nombreux que possible : puis, an lieu de les isoler, sous prétexte de les mieux voir, il faut s’attacher à en montrer l’enchaînement, la cohérence, l’action réciproque, sans se préoccuper de satisfaire les esprits impatients qui se hâtent pour leur compte et pressent les autres de conclure.

I

Un fait qui s’impose tout d’abord à l’attention, c’est que, le tumulte des guerres civiles une fois apaisé, le régime nouveau, le nouvel ordre de choses, comme dit Virgile, fut accepté d’un bout de l’empire à l’autre, non seulement sans protestations, mais avec une véritable reconnaissance pour l’homme qui rendait la paix à l’univers. Ici les preuves surabondent. Les plus faibles sont, sans aucun doute, les documents officiels. Le marbre et le bronze célèbrent volontiers les vertus des puissants, et la vérité vraie est le moindre souci de ceux qui prétendent imposer à la postérité des éloges rédigés sous l’œil du maître. Le plus suspect de tous les témoignages pourrait bien être celui d’Auguste lui-même. Arrivé à l’âge de soixante-seize ans et sentant sa fin prochaine. Auguste, avant de partir pour la Campanie où il mourut, écrivit lui-même un abrégé de sa vie, une sorte d’autobiographie qui devait être et fut en effet gravée sur des piliers de bronze à la porte de son mausolée. Des copies et des traductions en furent faites en divers lieux par les soins des gouverneurs ou des municipalités, et c’est une de ces copies bilingues que nos érudits ont déchiffrée sur les murs d’un temple élevé à Ancyre en l’honneur du divin Auguste et de Rome. Ce monument d’Ancyre est donc une histoire expurgée du règne, un tableau sans ombres où nous n’aurons pas la naïveté de chercher un portrait ressemblant du vieil empereur. Mais nous n’en sommes pas réduits à nous contenter des documents officiels, et celui-ci même contient des faits significatifs, confirmés par les auteurs, des faits qui montrent à quelle profondeur le régime naissant avait déjà plongé ses racines.

Il n’est pas nécessaire de cataloguer au complet la longue série des honneurs décernés par le Sénat où le peuple au prince, qui les refuse de temps à autre pour faire parade de modestie. Parmi ces honneurs, Octave devenu Auguste — c’est-à-dire quelque chose de plus qu’un homme — acceptait de préférence ceux qui lui apportaient un surcroît d’autorité ou de prestige. C’est ainsi que, en politique avisé, il accumula entre ses mains, pour s’en servir à toute heure, la puissance proconsulaire, qui lui donnait le commandement des armées dans toute l’étendue de l’empire, la puissance tribunitienne, qui lui conférait, avec l’inviolabilité personnelle, le droit d’initiative parlementaire devant le Sénat et les comices. De plus, il exerçait, aussi souvent qu’il le jugeait à propos, les fonctions des censeurs, avec l’autorité indéfinie et l’irresponsabilité que l’usage y avait attachées. Enfin, à la mort de Lépide, il avait revêtu la dignité de souverain Pontife, qui faisait de lui le chef de la religion nationale (12 av. J.-C.). On comprend qu’il ait pu se donner le facile mérite de refuser la dictature et le pouvoir absolu qui lui fut offert en bloc à plusieurs reprises.

Le maître une fois élevé de la sorte au-dessus de toute résistance possible et mis hors de pair, il était naturel que l’adulation devint inventive et adoptât d’une manière continue les allures de l’enthousiasme. Cependant, il ne faut pas s’y tromper : tout n’est pas factice dans cet élan d’un peuple qui court au-devant de la servitude et oblige tous les corps constitués, le Sénat et les collèges sacerdotaux, à lui en montrer le chemin.

Et d’abord, il y a lieu de se poser la question préalable, qu’un discoureur naïf développera plus tard dans le Discours sur la servitude volontaire ou le Contr’un. Celui qui vous maîtrise tant, s’écrie La Boétie en face d’un tyran idéal, n’a que deux yeux, n’a que deux mains, n’a qu’un corps.... D’où a-t-il pris tant d’yeux dont il vous épie, si vous ne les lui donnez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne les prend de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, d’où les a-t-il s’ils ne sont des vôtres ? Comment a-t-il aucun pouvoir sur vous que par vous autres mêmes ?... Soyez résolus de ne servir plus et vous voilà libres. Je ne veux pas que vous le poussiez ou l’ébranliez ; mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse à qui on a dérobé sa base, de son poids même fondre en bas et se rompre ! Hé ! sans doute : cela est de toute vérité, et l’histoire peut prendre à son compte cette belle harangue, avec l’indignation en moins. Tout en ce monde, y compris les volontés humaines, obéit à des lois ; quand nous ne pouvons dégager ces lois de l’analyse des faits, nous les résumons en disant qu’il n’y a pas d’effet sans cause. Une tyrannie créée et indéfiniment supportée par des hommes qui la maudiraient au fond du cœur est un non-sens, une pure impossibilité. La durée même du régime inauguré par Auguste est une preuve qu’il répondait aux exigences de la société d’alors, à des intérêts, à des besoins que le régime précédent n’avait pas satisfaits ou ne pouvait plus satisfaire.

La conclusion est ici d’autant plus forcée que l’on chercherait vainement des raisons accessoires, des motifs accidentels, des jeux du hasard on l’impulsion inconsciente de l’habitude. L’habitude, la coutume des ancêtres (mos majorum), — ce mot qui fut pendant des siècles toute la constitution de Rome, — Auguste l’avait contre lui : il le savait si bien qu’il passa sa vie à chercher avec elle des accommodements. Le serment de haine à la royauté qui avait poursuivi dans sa fuite le dernier des Tarquins tenait toujours, et César avait été assassiné pour n’en avoir pas assez tenu compte. Octave n’était pas même d’illustre naissance. Antoine s’égayait aux dépens des aïeux de son rival — le bisaïeul, un affranchi, un cordier de Thurium, le grand-père, un changeur, — et tout le monde savait que C. Octavius, le père de l’empereur, avait été le premier à tirer la famille de son obscurité. L’héritier de César avait-il au moins sur ceux qu’il dominait l’ascendant du génie, cette primauté de nature qui se place d’autant plus facilement à son rang que les sociétés sont plus nivelées, plus désabusées et plus lasses des classifications artificielles ? Auguste était un homme médiocre, incapable de grandes pensées, dépourvu de ces dons heureux qui commandent l’admiration ou la sympathie. Il n’était ni brave, ni éloquent, ni généreux : il se tenait volontiers loin des champs de bataille, et il fit faire ses coups d’État par des subalternes qu’il aurait pu désavouer au besoin. Lorsque, ii vingt, ans, il voulut prendre de force le consulat, c’est un simple centurion qui se présenta pour lui à la barre du Sénat et qui montra, comme argument décisif, la poignée de son sabre. Il n’avait même pas droit à cette estime qui récompense — au moins quelquefois — la loyauté du caractère et l’observance ininterrompue du devoir. Jeune, il s’était montré perfide et sans pitié : plus tard, il réussit, mieux à se donner l’apparence que le renom de la vertu. Il fut clément par calcul, sobre par souci de sa santé, qui résistait, mal aux excès, et il est telle forme de la tempérance qu’il ne sut jamais observer, Oléine alors que l’age et le titre si ambitionné par lui de restaurateur des mœurs auraient dû la lui imposer. J’imagine que l’opinion ne l’excusait pas en songeant que Livie — au dire des mauvaises langues — s’était faite elle-même l’intendante de ses plaisirs séniles, et il est probable que plus d’un dut sourire en l’entendant se plaindre si haut des déportements de sa fille et de sa petite-fille, les deux Julies. Il restait fermé et cauteleux jusque dans son intérieur. Il rédigeait d’avance, dit Suétone, jusqu’à ses conversations particulières, même celles qu’il voulait avoir avec Livie, quand elles devaient rouler sur un sujet grave, et il parlait alors en lisant, de peur que l’improvisation ne lui fit dire trop ou trop peu. Il ne s’oublia qu’un moment, sur son lit de mort, lorsque peigné, fardé et se regardant au miroir, il eut un accès de sincérité et demanda à ses amis s’il avait assez bien joué la farce de la vie.

Ajoutons, pour montrer tout ce qui lui manquait, que ce protecteur des arts et des lettres avait peu de goût pour l’art et la littérature. Il bain beaucoup et força, pour ainsi dire, ses amis a : mais c’était afin de pouvoir se vanter d’avoir laissé une ville de marbre à la place d’un amas de briques. Dans ses résidences, il se souciait peu de tableaux et de statues, dit son biographe ; il préférait y aligner des terrasses, y planter des bosquets, et il les ornait à sa façon de curiosités paléontologiques. Il aimait cependant les meubles précieux et les vases de Corinthe ; mais on peut croire sans irrévérence qu’il les estimait surtout parce que ces objets coûtaient fort cher et qu’il en avait acquis bon nombre sans bourse délier. Il jugeait des œuvres littéraires par leur utilité. Ce qu’il recherchait le plus curieusement, dit encore Suétone, dans les auteurs grecs et latins, c’était les préceptes et les exemples utiles pour la vie publique ou privée. Il en transcrivait mot pour mot des extraits et les envoyait le plus souvent à ses agents, ou aux généraux et gouverneurs de provinces, ou aux magistrats de la Ville, quand ils avaient besoin d’un avertissement. Il y a même des écrits qu’il lut en entier au Sénat et que souvent il fil connaître au peuple par édit. comme le discours de Q. Metellus sur l’urgence d’accroître le nombre des enfants et celui de Rutilius sur la limitation des bâtiments. Si Plutarque était venu un siècle plus tôt, il aurait tenu lieu à Auguste de toute une bibliothèque. Le prince s’intéressa néanmoins, et très vivement, à la composition de l’Énéide : nous le voyons pousser le poète au travail et protéger l’œuvre inachevée contre les scrupules de l’auteur mourant. C’est qu’il s’agissait d’une épopée dynastique, où l’Empire apparaît comme un retour aux traditions nationales, la résurrection de droits consacrés par les plus glorieux souvenirs. Du reste, il savait, le cas échéant, s’imposer l’ennui de condescendre à la mode et d’écouler la lecture d’ouvrages présentés par leurs auteurs : il y gagnait d’être informé avant le public et de pouvoir arrêter au passage les idées dangereuses ou les mots indiscrets.

Voilà l’homme qui réussit non seulement à transformer à son profit les institutions républicaines, mais à prendre dans l’histoire la place que les peuples reconnaissants n’accordent qu’à leurs bienfaiteurs, On ne s’étonnerait pas d’apprendre qu’il fut craint, respecté, adoré même comme un dieu ; on est quelque peu surpris de constater qu’il a été aimé, ou, si l’expression parait aventurée, que des millions d’hommes ont identifié avec sa personne leurs espérances, leur besoin de justice, de paix et de sécurité. Pour surprendre l’espèce d’attraction exercée par le prince sur tout ce qui gravite autour de lui, il faut observer l’homme du peuple, le prolétaire qui n’aspire pas aux fonctions publiques et n’espère pas se faire payer comptant ses hommages. Le Tityre de Virgile, qui sacrifie douze fois l’an à son dieu vivant, n’est qu’un berger de salon, et il manie trop bien la louange pour n’être pas suspect ; mais il nous donne de sa dévotion reconnaissante une raison qui est empruntée à la réalité : il vénère celui qui a dit aux pâtres et aux laboureurs : Paissez comme auparavant vos bœufs, enfants : attelez les taureaux. Horace nous montre également le paysan offrant des prières et des libations au Génie du prince, qu’il associe à ses Lares domestiques. On ne s’arrêterait pas à ces effusions poétiques. si elles n’avaient plutôt suivi que devancé le sentiment populaire. Nous savons qu’Auguste n’eut pas besoin de se chercher des adorateurs, et que les plus humbles furent les plus sincères.

Il ne parle pas, dans la longue épitaphe qu’il s’est composée lui-même, des temples qui lui furent élevés dans les provinces et de ceux qu’il empêcha d’édifier à Rome même : il ne dit mot non plus des confréries d’Augustales qui commençaient à s’organiser de toutes parts, recrutant leurs adhérents dans les classes pauvres et particulièrement dans la catégorie des affranchis. En homme pratique, il a jugé à propos de ne pas étaler ses bonnes fortunes de dieu, sachant bien que les nouvelles religions ont besoin pour éclore d’un peu d"ombre et de silence. Mais il tient à démontrer, sous une autre forme, que le menu peuple lui avait voué une affection toute spontanée, dont les manifestations prolongent et dépassent les honneurs officiels. Il fut plus d’une fois malade, et — autant qu’on peut être sûr de quelque chose avec ce grand acteur — de maladies non simulées. Alors s’élevait de toutes parts un cri d’inquiétude et un concert de prières. Le Sénat, dit Auguste, décréta que les consuls et les prêtres feraient des vœux tous les cinq ans pour ma santé. En exécution de ces vœux, des jeux ont été célébrés de mon vivant tantôt par les quatre amplissimes collèges, tantôt par les consuls. Et même, tous les citoyens, soit individuellement, soit au nom de leurs municipes, ont constamment offert des sacrifices dans tons les temples pour ma santé. Suétone nous donne sur ce sujet quelques détails complémentaires. On éleva par souscription à Antonins Musa, le médecin qui l’avait guéri d’une dangereuse maladie, une statue que l’on plaça à côté de celle d’Esculape. Quelques pères de famille enjoignirent à leurs héritiers, par testament, d’offrir au Capitole un sacrifice solennel dont le motif, annoncé publiquement, serait de remercier les dieux de ce qu’ils avaient laissé Auguste vivant.

On n’en était pas encore, sous Auguste, aux testaments dictés par la peur. Quand nous lisons, dans les chroniques du siècle passé, que, en 1774, il fut dit à Notre-Dame de Paris, aux frais des particuliers, 6.000 messes pour la guérison de Louis XV, nous ne doutons pas que le roi de France ait été alors véritablement le Bien-Aimé. Nous pouvons d’autant plus faire fond sur cette mesure de la popularité, qu’en 1757, après l’attentat de Damiens, le nombre des messes dites à pareille intention ne dépassa pas 600. Je me crois en droit d’interpréter de la même façon les nombreux sacrifices — plus coûteux en général que des messes — offerts par les citoyens romains aux dieux de l’époque pour les supplier de ne pas l’appeler si tôt à eux leur impérial collègue. Que l’on mette en regard de cet élan populaire les sept ou huit conspirations qui furent tramées contre le prince et déjouées à temps par sa police. Aucune n’est l’œuvre d’un parti ; aucune surtout — autant que nous pouvons en juger — n’a eu pour but le renversement d’un régime abhorré. Celui-ci poursuit une vengeance particulière ; celui-là veut proclamer empereur le jeune Agrippa, fils de Julie ; cet autre est un esclave atteint d’aliénation mentale qui se croit destiné à l’empire et, pour y arriver, forme le projet d’égorger le prince et le Sénat. Le moins insignifiant de tous, Cinna, doit sa pâle renommée à Sénèque et à Corneille, et il fait piètre figure à côté de celui qui l’accable de sa clémence. Graciés ou livrés au bourreau, ces mécontents restèrent isolés ; le peuple romain ne songea pas un instant à les prendre pour des libérateurs trahis par le succès.

II

C’en est assez, je pense, pour établir les deux propositions qui constituent le problème à élucider à savoir, qu’Auguste n’était pas de la race des grands hommes, et que cependant il a pris dans le cœur de ses contemporains, dans l’histoire de Rome, dans celle de l’humanité, une place d’honneur d’où il serait puéril de chercher à le précipiter. Énoncé en ces termes, le problème ne comporte qu’une solution : c’est que, si l’homme était mesquin, son œuvre a été grande parce que les circonstances y ont collaboré, qu’il est venu en son temps, à son heure, et qu’il a fait précisément ce qu’il fallait faire. Il a produit ainsi, comme on dirait en mécanique, son maximum d’effet utile, sans ces déperditions de force qu’occasionnent parfois les inspirations soudaines et contradictoires des hommes de génie. Enfin, pour expliquer que ce personnage grandi au-dessus de sa taille réelle ait été, par surcroît, aimé et béni, il faut encore admettre que son œuvre, assidûment continuée pendant quarante-quatre ans, a été bonne, non pas au sens absolu — c’est-à-dire chimérique — du mot, mais au sens pratique : en d’autres termes, que l’intervention de ce pouvoir, illégal à l’origine, a éliminé plus d’abus, redressé plus d’injustices, apaisé plus de souffrances qu’il n’en a causé ou préparé lui-même.

Sachons voir les choses de près, sans nous laisser détourner de notre tâche par des aphorismes tout faits on des considérations tirées d’un idéal de mora- lité trop haut pour le terre-à-terre des choses humaines. Il est inutile de refaire après tant d’autres le lamentable tableau des désordres qui, en moins d’un siècle, avaient transformé la sage République romaine en une société anarchique où tous les partis faisaient également fi de l’intérêt général. A la fin, il n’y avait même plus de partis ; chacun songeait à soi : la désagrégation du corps social était complète. Quelles qu’aient été les causes de cette rapide décadence des institutions ; qu’il faille l’attribuer à l’aveugle résistance des optimates ou à l’incapacité d’une démocratie dont les Gracques avaient exalté l’orgueil et attisé les rancunes ; le fait est que depuis longtemps la République n’était plus qu’un vain mot. A partir du jour ou Sylla avait fait entrer ses légions dans Rome, l’avenir n’avait plus de secrets pour les gens clairvoyants : on sentait que le despotisme militaire serait le châtiment et le remède des discordes civiles. Il plut à Sylla de déposer le pouvoir, à Pompée de le dissimuler, à César de le prendre et de le garder. L’Empire était fait bien avant la date à laquelle l’histoire enregistre sa naissance.

Il y a un axiome que les brouillons oublient et dont les ambitieux se souviennent : c’est qu’un gouvernement est fait pour gouverner, c’est-à-dire pour assurer l’ordre, l’expédition réfléchie des affaires publiques, le respect des droits de chacun. Tout régime qui méconnaît cette vérité élémentaire, fût-il en théorie le plus parfait de tous, est condamné à disparaître. Or, dans les dernières années de la République, il n’y a plus, vrai dire, de gouvernement, plus de règles fixes, rien qui assure même l’avenir le plus prochain. L’autorité du Sénat, qui n’avait d’autre appui constitutionnel qu’une longue tradition de respect et d’obéissance, est annihilée par la souveraineté populaire ; et, le peuple, selon le vent qui souffle, l’orateur qui parle ou le candidat qui paie, veut les choses les plus contradictoires. Personne, du reste, ne prend au sérieux cette souveraineté du peuple, dont on fait si grand bruit. Le peuple n’est plus guère que la populace urbaine, autrement dit, la minorité des citoyens, car la cité comprend maintenant toute l’Italie et on ne peut voter qu’il Rome. Aussi, les élections sont vénales et les dignités adjugées au plus offrant : les lois s’improvisent par les moyens les plus expéditifs, au mépris des formalités d’usage, et la République agonisante en arrive à la pire forme de l’anarchie, le régime des lois illégales. Le jour où César passa le Rubicon, il était impossible aux honnêtes gens de savoir de quel côté était le droit, et nos érudits agitent encore aujourd’hui cette question, qui ne pouvait être tranchée que par la force.

Mais je ne veux indiquer qu’en passant cet ordre d’idées, et je renonce à faire valoir les arguments qu’en ont tirés les apologistes du césarisme. Je me contente de dire que le souvenir de cette triste époque profita grandement au restaurateur de la paix publique. Il suffit, en l’an 19 avant notre ère, qu’Egnatius Rufus excitât des troubles sur le Forum pendant une absence d’Auguste pour que le Sénat et le peuple cherchassent le moyen d’ajouter encore aux pouvoirs illimités du prince. Nous pouvons considérer sur ce point la démonstration comme faite. Il est avéré que les Romains ont accepté l’Empire avec toutes ses conséquences, les uns comme un pis-aller, les autres comme un progrès, tous comme une garantie d’ordre et de sécurité.

Cependant, je ne sais si, établi sur la base étroite de la cité romaine, l’Empire eût duré longtemps. A une génération qui a souffert de l’anarchie succède une génération qui sent, vivement les inconvénients du despotisme et qui courrait volontiers, au nom de la liberté, de nouvelles aventures. Il y avait, dans la constitution impériale si patiemment édifiée par Auguste, une lacune par où l’imprévu pouvait rentrer. Le prince, qui prétendait n’être que le premier citoyen de la République, n’avait pas osé déclarer héréditaire le pouvoir dont il était investi. Lui-même était censé ne le détenir qu’à titre provisoire. De temps à autre, il faisait mine de le rendre au Sénat et au peuple, déclarant avoir assez fait pour la République et ne plus aspirer qu’au repos : il se faisait donner ainsi comme une investiture nouvelle et reprenait la direction des affaires pour un temps limité, généralement pour dix ans. Il assure même, du ton le plus sérieux, dans ce Monument d’Ancyre déjà cité, que, depuis le jour on il a déposé ses pouvoirs lie triumvir constituant, il a été sans doute le premier en dignité, mais sans avoir plus d’autorité que ceux qui ont été ses collègues de magistrature. Un peu plus, il certifierait que rien n’est changé aux coutumes d’autrefois et que l’Empire n’existe pas.

Auguste a-t-il dépassé en cela la mesure de la prudence ? Aurait-il pu, dans un pays où, depuis les origines de la cité, aucun pouvoir public n’avait été héréditaire, accoutumer les esprits à l’idée de voir le fils occuper, par droit de naissance, la place du père ? Il ne le crut pas, et nous pouvons nous fier là-dessus à son jugement. Il se contenta d’associer à l’empire le successeur de son choix et de faire que la transmission du pouvoir fut, à sa mort, un fait accompli. Cet artifice réussit encore plus d’une fois après lui ; mais il n’en est pas moins vrai que l’absence — c’est-à-dire la négation — du principe d’hérédité enlevait l’Empire un élément de stabilité. La mort de l’empereur pouvait être la fin du régime. On le vit bien ù la mort de Caligula, alors que le Sénat, mais le Sénat seul, eut un instant l’illusion de croire qu’il pourrait rétablir la République. Il fut vite détrompé : les prétoriens tirèrent de la cachette où il s’était réfugié tout tremblant le dernier rejeton de la famille impériale, le vieux Claude, et, plutôt que de retomber sous le joug d’une aristocratie déconsidérée, le peuple acclama un prince dont la niaiserie était proverbiale. Néanmoins, si l’Empire n’avait eu pour point d’appui que les sympathies changeantes du peuple romain, il est douteux qu’il eut pu résister indéfiniment aux retours d’opinions auxquels les idoles populaires sont particulièrement exposées.

Mais ce n’est pas sur le sol privilégié de l’Italie que l’Empire a posé ses plus fortes assises. L’établissement du principat a été la revanche des peuples conquis sur la race conquérante, la prise de possession du pouvoir non pas, comme on le répète si souvent, par le mandataire de la démocratie, mais par le protecteur des provinciaux jusque-là taillables et corvéables à merci. Cette vérité devient de plus en plus évidente à mesure qu’on analyse les divers rouages de l’administration impériale. On constate, à n’en pouvoir douter, que ce qui a fait la force et la durée de l’Empire, c’est que ce régime, parfois pesant aux fils de Romulus, a constamment travaillé à effacer la distance qui séparait jadis les citoyens des sujets de Rome, et cela, en retranchant aux privilèges des uns, en ajoutant aux droits des autres, en substituant partout à l’arbitraire des règles fixes. Les provinciaux savent désormais que leur maître est aussi celui des Romains, qu’ils peuvent en appeler à lui des abus de pouvoir commis par les fonctionnaires, et que, en retour de leur fidélité, sa bienveillance leur est acquise. Déjà les précurseurs d’Auguste avaient compris la nécessité de rompre avec l’habitude de gouverner au profit exclusif du peuple romain. Les Gracques s’engageaient à conférer le droit de cité aux Italiens et à fonder des colonies romaines en dehors de l’Italie ; Pompée s’était montré prodigue du titre de citoyen ; César avait fait entrer dans la cité la Gaule Cisalpine tout entière, et il préparait l’assimilation des provinces qu’il jugeait suffisamment pénétrées de civilisation romaine. Auguste imagina un moyen plus lent, mais plus sûr, de transformer peu à peu les provinciaux en citoyens qui lui fussent entièrement dévoués. Il eut soin de recruter ses légions en dehors de l’Italie et d’établir de tous cités ses vétérans munis du droit de cité. L’armée devint ainsi une fabrique de citoyens marqués de l’estampille impériale.

On put juger bientôt de l’efficacité du système. Les légions provinciales commencèrent par faire des empereurs hors de Rome. Ce jour-là, dit Tacite, fut divulgué le secret de l’empire. Ce n’était déjà plus un secret pour qui savait prévoir. A partir de Trajan, les empereurs eux-mêmes sont presque tous des provinciaux. Le peuple romain a pour maîtres des Espagnols, des Africains, des Illyriens, et, à la fin, de véritables Barbares, qui éprouvent à l’égard de Rome une antipathie mal dissimulée et transportent ailleurs le siège de l’empire. Il s’est produit là un mouvement de réaction contre la suprématie de Rome, mouvement provoqué, dirigé, utilisé par les empereurs. Comme les plébéiens au temps de Servius Tullius, les provinciaux étaient les clients dévoués du chef de l’État.

III

C’est qu’ils avaient grandement souffert sous la République. Je ne voudrais rien exagérer. Certes, on a vanté avec raison l’habileté déployée par le Sénat romain pour habituer les vaincus au joug du vainqueur. Il respectait du mieux qu’il pouvait leurs coutumes et évitait de leur imposer des taxes hors de proportion avec leurs ressources. Il lui est même arrivé de ménager l’amour-propre de petits peuples impuissants, mais irritables, comme les Hellènes, qui se déshabituèrent ainsi d’appeler les Romains des Barbares. Mais, on l’a dit plus haut, l’autorité du Sénat fut réduite à néant par les meneurs populaires, et le Sénat lui-même, envahi par la corruption des mœurs nouvelles, ne songea plus à entraver les opérations lucratives de ses membres, qui allaient refaire dans les provinces leur fortune entamée par les dépenses des élections. Il lutta même, pour leur assurer l’impunité, contre les gens de finance qui voulaient, eux aussi, pouvoir pressurer les provinces sans avoir de comptes à rendre à d’autres qu’à leurs pareils. L’acharnement que mirent les sénateurs et les chevaliers à se disputer le droit exclusif de siéger dans les jurys criminels n’a pas d’autre cause. De 133 à 44 avant notre ère, on ne compte pas moins de douze lois ou projets de lois judiciaires, qui faisaient passer le tableau des jurés (album judicum), comme un trophée, tantôt dans un camp et tantôt dans l’autre, et six ou sept lois sur les concussions (repetundarum). On cherchait des juges complaisants ; on en trouva dans tous les partis. Les concussionnaires eurent soin désormais de prélever sur leurs victimes, en plus de ce qu’ils voulaient garder, la part des tribunaux. Au bout de quelques années de ce système, les provinciaux n’osèrent plus se plaindre, à moins que quelque débutant, en quête de causes retentissantes, ne leur offrit de prendre l’initiative des poursuites. On sait que Cicéron, pour faire aboutir le procès de Verrès, dut déployer une singulière énergie. Le parti des honnêtes gens fournit au coupable des défenseurs, des témoins à décharge, et garda rancune à l’accusateur. Sans doute, tous les gouverneurs de provinces n’étaient pas des Verrès ; mais il est bien probable qu’il n’y avait plus parmi eux de Fabricius. Le procès de Verrès n’a fait tant de bruit dans le monde que parce que Cicéron s’est chargé de ne pas le laisser oublier. Il y en eut d’aussi graves et de plus scandaleux. Il était, du reste, admis en principe que gouverneurs et généraux devaient tirer de leurs fonctions gratuites quelque bénéfice pécuniaire. C’était la conquête et l’exploitation de la conquête qui alimentaient les grandes fortunes de l’aristocratie romaine.

Voici comment les choses se passaient d’ordinaire. Le gouverneur, proconsul ou propréteur, allant prendre possession de sa province, emmenait avec lui sa cohorte prétorienne, c’est-à-dire des amis dont les uns étaient ses légats et les autres seraient ses préfets ; des employés de toute sorte, scribes, hérauts, médecins, haruspices ; enfin, ses domestiques. Il lui était seulement interdit, pour simplifier son train de maison, d’emmener sa femme. Le Sénat lui avait assigné au départ une certaine somme pour les frais de voyage et l’entretien de tout son personnel (ornatio provinciæ-vasarium). Verrés, par exemple, avait à ce titre reçu du Trésor la somme de 2.235.417 HS (sestercia), près de 500.000 francs. Il était rare que cet argent fût employé à l’usage auquel il était destiné. Les magistrats préféraient de beaucoup se faire héberger et transporter gratis, aux frais des villes échelonnées sur leur itinéraire. Une fois dans leur province, ils se mettaient à l’œuvre. La lecture des Verrines et du Discours contre L. Pison nous renseigne sur les ingénieuses spéculations auxquelles se livraient les mandataires du peuple romain. On devine ce que se permettaient en ce genre des despotes armés de tous les pouvoirs — y compris la juridiction civile et criminelle — et pressés de faire fortune. Les plus habiles étaient ceux qui, au lieu de prendre, savaient se faire donner. Ils menaçaient la bourse de leurs administrés, en ordonnant, par exemple, des travaux dispendieux auxquels ils renonçaient quand un nombre suffisant de cadeaux leur avait persuadé qu’on pouvait les ajourner sans inconvénient ; ou en assignant pour quartiers d’hiver à leurs troupes des villes riches qui s’empressaient d’éloigner à prix d’argent ces hôtes redoutés. Ils se faisaient offrir par les communes le blé d’honneur, le vin d’honneur, jusqu’à des statues et des temples, tout cela converti en espèces sonnantes. Ces habitudes étaient si bien prises que les magistrats les plus honnêtes en profitaient, comme malgré eux. Cicéron fut dans sa province de Cilicie un gouverneur modèle ; il s’en vante à tout propos, et il y aurait injustice à ne pas le croire sur parole. Sa province n’était pas des plus riches ; il y fut discret ; et cependant, sans enfreindre aucun règlement (salvis legibus), comme il le dit lui-même, il se retira avec un bénéfice net de 2.200.000 HS, presque un demi-million de francs. Notons que son désintéressement fut fort admiré, et que, étant donné les mœurs de l’époque, il méritait de l’être.

Le gouverneur repu, il fallait contenter ses amis. Pendant ce temps, les fermiers généraux ou publicains et les hommes d’affaires travaillaient de leur mieux à épuiser le pays. Le proconsul aurait dit protéger les contribuables contre leurs exactions ; mais, le plus souvent, il s’était enlevé le droit d’être sévère et sentait le besoin d’être prudent. Fût-il même intègre et bien intentionné, il lui était difficile de sévir. A moins d’être épris de justice idéale, il ne se croyait pas autrement obligé de prendre parti contre ses compatriotes en faveur d’étrangers qui, au point de vue du droit strict, appartenaient corps et biens au peuple romain. Parfois même, derrière les publicains, le proconsul rencontrait des amis qui faisaient fructifier leurs capitaux par l’intermédiaire de prête-noms. C’est ainsi que Cicéron eut le déplaisir d’être mêlé, plus qu’il n’eût voulu, aux affaires de son jeune et austère ami M. Brutus. Brutus, comme plus tard Sénèque, menait de front la philosophie et la banque. Il avait, sous le nom d’un certain Scaptius, prêté de l’argent, au taux rémunérateur de 4 p. 100 par mois, à la ville de Salamine en Cypre, qui dépendait de la province de Cilicie. Au bout d’un an, en 52, l’année qui précéda le proconsulat de Cicéron, Scaptius réclama le remboursement du capital et des intérêts, c’est-à-dire à peu près le double de la somme prêtée. Le Conseil municipal de Salamine, pris au dépourvu, ne put, se libérer. Alors Scaptius alla trouver le proconsul de Cilicie, Appius Claudius, qui le nomma préfet et lui donna quelques escadrons de cavalerie. Les cavaliers devaient jouer le même rôle que les dragons de Louvois dans les Cévennes. Bien qu’ils fissent leur métier en conscience, la municipalité de Salamine délibérait toujours. Scaptius impatienté mit un cordon de troupes autour de la curie et y bloqua si étroitement les conseillers que cinq d’entre eux moururent d’inanition. Sur ces entrefaites, Appius Claudius fut remplacé par Cicéron, qui retira à Scaptius son titre de préfet et ses garnisaires. Les Salaminiens offrant de rembourser le capital et les intérêts au taux légal de 12 p. 100 par an, le proconsul leur donna raison ; mais — le trait est caractéristique — il n’osa pas braver jusqu’au bout la mauvaise humeur de Brutus et les conseils indélicats d’Atticus ; il laissa le soin de régler l’affaire à son successeur.

Par ce que toléraient les honnêtes gens, on peut juger de ce que faisaient les autres. L’oppression engendrait la haine. Il est difficile d’exprimer, disait Cicéron dans une harangue adressée au peuple romain à propos de la loi Manilia (66 av. J.-C.), à quel point nous sommes détestés des nations étrangères, à cause des fantaisies et des violences de ceux que nous avons envoyés pour les gouverner dans ces dernières années. On se demande, avait-il dit quelques instants auparavant, si, dans ces derniers temps, vos soldats ont détruit plus de villes ennemies par les armes qu’ils n’ont ruiné de villes alliées en y prenant leurs quartiers d’hiver.

Évidemment, l’amour des provinciaux était acquis d’avance à qui saurait les protéger. Or, on en était, arrivé à ce point qu’il était impossible de remédier è un pareil état de choses sans détruire la constitution républicaine. L’expérience avait été faite ; on avait essayé de réagir contre le mal et voté successivement nombre de lois, de plus en plus sévères, pour assurer la répression des abus. Mais, comme les magistrats chargés de gouverner les provinces n’avaient point à Rome de supérieur hiérarchique en mesure de leur appliquer des peines disciplinaires et de les révoquer à temps, ces lois n’avaient pu établir d’autre mode de répression que les poursuites judiciaires intentées après l’expiration de leur mandat. Les coupables n’avaient affaire qu’aux jurys, et là, ils étaient assurés de rencontrer des amis, parfois des complices, en tout cas, des Romains peu disposés à prendre fait et cause pour des étrangers. Cicéron, défendant M. Fonteius, ex-préteur de la Gaule Narbonnaise, accusé de concussion (69), n’imagine pas de meilleur moyen de sauver son client que de dauber sur les Gaulois, cette race insolente qui fut jadis la terreur de Rome et du monde civilisé.

Les choses ne changèrent que le jour où les Romains eurent un maître, un maître intéressé à ne pas s’aliéner l’affection de peuples dévoués à sa cause. Auguste comprit parfaitement que la force de l’Empire était là, et il s’attacha avec une prédilection marquée à réorganiser l’administration des provinces. Dès que les gouverneurs sentirent sur eux l’œil du maître, tout alla d’autre sorte. Le monde romain n’a pas connu de temps plus serein que les deux siècles qui vont du principat d’Auguste à la fin de des Antonins, Bige heureux où se trouvaient réunies les deux conditions de la félicité, la prospérité matérielle et la médiocrité de l’intelligence. Au delà, c’est le déclin de l’Empire : le système a produit tout son effet utile, et ses vices vont se manifester. L’action du pouvoir central s’exagère ; la machine administrative se complique et s’alourdit : le règne de la bureaucratie commence.

En somme, malgré ses origines troubles et son caractère équivoque, en dépit des folies d’un Caligula et d’un Néron, l’Empire fondé par Auguste a longtemps cherché et réalisé dans une certaine mesure le bonheur du plus grand nombre, ce qui est le devoir et la fonction propre du gouvernement. N’oublions pas que les peuples sont moins prodigues de leur sympathie que de leur admiration, et que l’Empire a vécu de leur reconnaissance.

 

 

 



[1] Leçon du 4 déc. 1885.