HISTOIRE DES LAGIDES

TOME TROISIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XXV. — LES IMPÔTS.

 

 

Si l’on cherche dans l’histoire des Lagides le point de vue duquel on puisse embrasser le plus commodément l’ensemble de leurs actes comme de leurs institutions, on n’en trouvera pas de plus favorable que l’étude de leur régime fiscal. Les Lagides ont été, dans le sens le plus prosaïque et le plus commercial du mot, des pasteurs des peuples. Les meilleurs d’entre eux ont mêlé à leurs calculs un peu de sollicitude, qui était encore de l’intérêt bien entendu : les autres n’ont songé qu’à tondre le troupeau, et ils l’ont fait avec d’autant moins de scrupule qu’ils n’ont jamais cessé de se considérer comme des conquérants de race supérieure exploitant un pays barbare au profit de la civilisation hellénique.

Aussi le mécanisme fiscal, perfectionné de façon à atteindre toutes les sources de revenus, est-il des plus compliqués et met-il en jeu l’activité d’innombrables scribes embrigadés dans une savante hiérarchie de bureaux. Pour mieux dire, tous les fonctionnaires, du petit au grand, appartiennent à l’administration financière ou collaborent avec elle, soit pour la répartition et la perception de l’impôt, soit pour le contrôle, soit pour l’ordonnancement des dépenses, soit pour la juridiction en matière fiscale[1]. Si l’on songe que, par les taxes sur les mutations et ventes, par les taxes sur les professions, la fiscalité s’insinue dans le détail de la vie privée ; que, par les monopoles et par le droit illimité qu’elle attribue à la personne du souverain, elle a fait à peu près disparaître la notion de propriété privée ; on s’aperçoit qu’elle détermine la forme même de la société égyptienne, qu’elle règle la condition, les droits et devoirs de toutes les classes, et qu’à vouloir la suivre dans tous ses détours on risque de ne plus savoir où poser la limite entre l’administration financière et les autres formes de l’ingérence gouvernementale.

Avant d’examiner de près cet outillage, il est juste de faire observer que, par une conséquence inévitable de la centralisation, le budget de l’État avait à supporter de lourdes charges. Les historiens et surtout les collecteurs d’anecdotes ne parlent guère que de la cour et du faste des rois[2] ; mais l’entretien d’une armée de mercenaires et d’une flotte de guerre, d’un personnel administratif extrêmement nombreux, d’un clergé à grasses prébendes, de travaux d’art destinés à mettre l’agriculture à l’abri des caprices du fleuve ou à ouvrir des voies au commerce, tout cela devait absorber des sommes plus considérables encore que n’en exigeaient les prodigalités de quelques monarques imprévoyants ou obligés d’acheter à prix d’argent leur sécurité menacée par des intrigues politiques. Les Lagides ont surveillé de près la réfection ou construction des levées, canaux, écluses, qui étaient les organes vitaux de l’Égypte. Chaque colonie fondée par eux représente ou un port creusé, ou une voie établie, enfin des aménagements de toute sorte, un accroissement d’activité et de dépenses utiles[3].

Ce n’est pas à dire que toutes ces dépenses fussent imputées directement sur les revenus annuels du Trésor. L’armée territoriale était entretenue par des concessions de terres. Le clergé avait, lui aussi, pour subvenir aux frais du culte et assurer la subsistance de ses membres, des dotations en biens-fonds assignées aux temples et à leurs desservants, sans compter le casuel et les cadeaux des gens pieux[4]. Mais, en théorie, ces biens eux-mêmes appartenaient au roi, qui perçoit en moins ce que les prêtres consomment ; et, en outre, les rois Lagides, une fois assurés de la soumission du clergé, ont montré pour la religion nationale une sollicitude qui se traduisait par des libéralités de plus en plus larges. Les décrets de Canope et de Memphis louent la munificence du roi envers les dieux, les temples, les prêtres, et les ruines des temples ptolémaïques témoignent encore aujourd’hui du zèle avec lequel les Ptolémées ont veillé à l’entretien et à l’embellissement des édifices sacrés. Dans les dépenses faites pour travaux publics, — dépenses allégées pour le Trésor, mais non pour les indigènes, par la pratique des corvées, — il faut sans doute compter pour beaucoup la construction d’Alexandrie. Alexandrie était l’orgueil des Ptolémées. Chaque règne ajoutait à la série de palais, de temples, de théâtres, de gymnases et hippodromes, de monuments votifs, qui faisaient de la ville une des merveilles du monde[5]. Il ne fallait pas qu’Alexandrie cédât la palme à Antioche, où les Séleucides mettaient aussi leur amour-propre à bâtir de beaux quartiers ornés d’œuvres d’art. Stimulés par la rivalité des rois de Pergame, les princes les plus crapuleux songeaient à accroître les collections de la Bibliothèque et du Musée. En même temps, la construction du Phare et de la grande digue de l’Heptastade, des quais, des arsenaux et magasins, montre que les intérêts commerciaux de la capitale n’étaient point oubliés.

En regard des dépenses incombant au fisc, il faut faire état de ses recettes, en examinant les sources de revenus et les moyens employés pour les capter. Le sujet est si vaste que nous avons dû en répartir la matière entre plusieurs chapitres où elle s’est insinuée d’elle-même, comme un ciment qui pénètre dans tous les interstices. Tout ce qui a été dit sur le Domaine royal, les biens du clergé, les dotations des clérouques, les monopoles royaux, vise à la fois les recettes et les dépenses : dépenses par aliénation pratique de parties du Domaine, recettes par recouvrement des taxes qui maintiennent la notion de propriété éminente du souverain et par les bénéfices des monopoles. Les chapitres concernant l’administration générale du royaume et particulièrement l’administration des finances, l’organisation et l’entretien de l’armée, visent des charges incombant au Trésor, autrement dit, le budget des dépenses. Pour le moment, nous n’avons à nous occuper que des recettes comprises sous la dénomination globale d’impôts, défalcation faite des revenus que le Trésor tire de l’exploitation de ses propriétés et de ses droits régaliens. Encore devrons-nous replacer çà et là dans cet exposé, pour mémoire, quelques-unes des taxes mentionnées antérieurement à propos de la condition sociale et du statut personnel des contribuables.

Comme on vient de le dire, l’énumération des revenus du Domaine et des bénéfices réalisés par les monopoles nous a montré une partie des sources qui alimentaient le Trésor royal. Les autres sont les impôts proprement dits ou tributs (φόροι - φορολογίαι - τέλη - vectigalia)[6], c’est-à-dire des contributions obligatoires levées sur les particuliers considérés comme propriétaires ou devant à l’État une part des produits de leur travail en échange de sa protection. Ces impôts sont en nombre tel qu’on se demande comment le contribuable égyptien pouvait suffire aux exigences tracassières du fisc. Il semble que l’État ait taxé toutes les matières imposables à mesure qu’il les découvrait, sans méthode, sans principes économiques d’aucune sorte, sans nul souci des incidences et répercussions de l’impôt, s’ingéniant à superposer des taxes sur le même objet ou la même personne, comme pour dissimuler le total ainsi perçu par fractions.

C’est dire que, si nous voulons établir une classification, nous n’avons pas à la chercher dans les textes. Nous aurons même quelque peine à faire entrer les diverses espèces de textes dans la classification usuelle des impôts en directs et indirects[7]. Le souci de la clarté étant plus impérieux que l’ordre logique, nous nous permettrons parfois de rapprocher des taxes qu’une analyse plus exigeante distribuerait dans des compartiments différents.

 

§ I. — IMPÔTS DIRECTS.

L’impôt direct est celui qui est prélevé sur les personnes nominativement désignées et sur les propriétés privées, capital ou revenu. L’impôt sur les personnes peut être et est généralement gradué d’après l’âge, le sexe, la condition sociale et la profession. L’impôt sur les propriétés est proportionnel à la valeur du capital ou du revenu : valeur indiquée par la qualité et la surface du sol possédé, s’il s’agit de l’impôt foncier ; par estimation en argent, s’il s’agit de taxes sur les propriétés bâties ou mobilières.

Pour calculer le produit probable de l’impôt ou pour le répartir, si le total exigible est fixé d’avance[8], il faut disposer de statistiques où soient inscrites les personnes et les propriétés, avec les indications d’après lesquelles se règle le tarif des cotes individuelles. Ces statistiques ne peuvent être tenues au courant que par des retouches constantes, et le moyen le plus simple, sinon le plus sûr, d’obtenir les renseignements nécessaires est d’obliger les contribuables à les apporter eux-mêmes aux agents du gouvernement. Ainsi avait raisonné le Pharaon Amasis quand il avait enjoint à tout Égyptien, sous peine de mort en cas de désobéissance et de fraude, de faire chaque année aux autorités déclaration de ses moyens d’existence[9]. Cette loi, qu’Hérodote, Diodore et Plutarque ont cru dirigée contre les fainéants dangereux, était avant tout une loi de finances, ordonnant le recensement annuel de la population et des fortunes.

Il est infiniment probable que les bureaux n’avaient pas laissé tomber cette prescription en désuétude quand les Lagides réorganisèrent l’administration des finances. On pourrait aussi affirmer à priori que le système du recensement en vigueur dans l’Égypte romaine n’y avait pas été importé par les Romains, dont on peut dire qu’en matière de finances ils ont été les disciples des Ptolémées. Mais le hasard a voulu que, pour le recensement des personnes à l’époque ptolémaïque, la preuve de fait, le témoignage écrit, ait échappé longtemps aux recherches et n’était encore représenté l’an dernier que par une seule cédule de date incertaine, connue seulement depuis 1894. On lit sur ce papyrus extrait du pectoral d’une momie : De l’an VII, 4 Choiak. Asklépiade ; Femme, Patrophila ; Fils, Apollophane, d’environ 15 ans ; Apollodore, d’environ 13 ans ; Artémidore, d’environ 10 ans ; Ptolémée, d’environ 5 ans. Nourrice, Cosmia. Cultivateurs salariés : Chazaros, Rhagesobaal, Ieab, Cratéros, Sitalcès, Natanbaal. Berger, Potamon. Bouvier, Horos. (Total) 15 personnes. Suit une déclaration dans laquelle Asklépiade détaille ce qu’il possède d’artabes de blé, orge, olyre, fèves, lentilles[10], etc. Le papyrus, un peu tronqué à la fin, n’aurait pas suffi à contenir l’estimation des terrains, bâtiments, bétail, appartenant à l’exploitation ; mais on doit supposer que cet inventaire était rédigé sur une autre feuille.

De la déclaration concernant les personnes, il résulte que chaque famille ou groupe de personnes soumises à un même chef avait son dossier administratif. D’autre part, la déclaration portant sur les denrées en magasin permet de conjecturer que ce dossier était remanié tous les ans, et non plus, comme sous la domination romaine, tous les quatorze ans, par périodes d’indiction. Cette espèce de recensement annuel de la population suppléait à l’absence probable de registres officiels de l’état civil à l’époque ptolémaïque[11].

Quant aux déclarations concernant les propriétés meubles ou immeubles, l’administration égyptienne en faisait un usage constant et en exigeait à tout propos. On a vu que le papyrus des Revenus les multiplie et les place sous la double garantie du serment royal — serment consigné par écrit — et d’un contrôle exercé par tous les intéressés, le contribuable et l’État envers le fermier, le fermier et l’État envers le contribuable. Tous les impôts de quotité, proportionnels au revenu, nécessitaient des déclarations de ce genre : l’impôt sur les successions notamment était dans ce cas[12], et aussi les taxes douanières. En outre, comme il a été dit plus haut, le recensement des personnes était accompagné d’un inventaire des propriétés. C’est un inventaire de ce genre que nous a conservé un papyrus du IIIe siècle avant notre ère. Un Hellénomemphite, obéissant à un édit royal, déclare posséder une maison avec dépendances, dont il donne les dimensions exactes, l’orientation par rapport aux propriétés voisines et l’usage, spécifiant qu’un des bâtiments est sa boulangerie ; le tout évalué par lui 40.000 dr.[13] Il est évident que ce minutieux inventaire devait servir à établir le rôle des contributions à exiger du déclarant, et que celui-ci n’aurait pas distingué entre sa boulangerie et la maison habitée ou louée par lui, si l’une et l’autre avaient dû être taxées au même tarif. Des papyrus du IIIe siècle a. C. nous ont conservé des fragments de déclarations et estimations de propriétés dont quelques-unes au moins rentrent dans la catégorie précitée[14].

Les déclarations enregistrées devaient être centralisées dans les bureaux du basilicogrammate, spécialement chargé de tenir au courant le cadastre[15]. L’Égypte, où la tradition place le berceau de la géométrie, avait de temps immémorial un cadastre, qui parait avoir été soigneusement tenu à jour par l’administration fiscale. On en rapportait l’institution au légendaire Sésostris. Ce roi, dit Hérodote rapportant ce que les prêtres lui ont appris, partagea la contrée entre tous les Égyptiens, donnant à chacun un égal carré de terre, et il établit en conséquence ses revenus, fixant la redevance à payer annuellement. Si le fleuve entamait le lot d’un habitant, celui-ci allait le trouver et lui signalait le dégât. Le roi envoyait alors des agents pour inspecter le champ et mesurer de combien il était diminué, afin que l’impôt fût perçu au tarif fixé en proportion de ce qui restait. Il me semble que la géométrie a été inventée à cette occasion et qu’elle passa de là dans l’Hellade[16].

Le cadastre était l’œuvre capitale de l’administration et l’objet de ses constantes préoccupations. Du haut en bas de l’échelle hiérarchique, tous les fonctionnaires travaillaient à faire de ce régulateur universel de la machine fiscale l’image exacte du pays, terres et habitants. Pour les terrains, les géomètres en avaient fixé la contenance, et les résultats de leurs opérations y étaient consignés, soit en chiffres, soit peut-être, ce que nous ne saurions affirmer[17], en figurations graphiques. Sur ce premier fonds s’amassaient des retouches incessantes : le classement des terrains d’après leur condition juridique (terre royale, sacrée, clérouchique) et leur capacité de rendement ; l’enregistrement des mutations de propriété et des hypothèques, qui servait par surcroît à les authentiquer et à leur donner une valeur légale ; enfin le recensement des personnes, avec mention de leur condition sociale, jointe à celle de leurs propriétés et tenures[18].

Des extraits, copies ou minutes, du cadastre général, divisé en circonscriptions ou σφραγΐδες[19], se trouvaient à la disposition des agents du fisc, des fermiers, et sans doute de tous les intéressés, dans les bureaux des comogrammates et topogrammates[20], qui avaient constamment besoin d’y recourir pour établir les rôles des contributions et pour fournir les renseignements nécessaires à la solution de toutes les affaires contentieuses. Les retouches faites d’après les déclarations annuelles auraient évidemment amené peu à peu le cadastre à l’état de chaos, s’il n’y avait eu de temps à autre des révisions faites pour le remettre en harmonie avec la répartition actuelle des propriétés et fournir au contrôle ultérieur un point de repère nouveau, mis au net par élimination des surcharges accumulées. La question est de savoir si ces révisions étaient annuelles ou périodiques ou opérées, suivant les besoins, sur ordonnances spéciales ; si elles portaient en même temps sur les registres des biens-fonds et sur les listes des personnes, ou si les modifications plus lentes de la propriété immobilière permettaient d’espacer davantage la réfection du cadastre territorial[21].

Ces problèmes ne comportent pas actuellement de solutions certaines. On rencontre souvent, dans les papyrus de Tebtynis, une date prise comme point de repère pour l’établissement des rôles de contributions : l’an XII/I, c’est-à-dire l’an XII de Philométor et l’an I d’Évergète, correspondant à l’an 170/69 avant notre ère[22]. Si l’on songe aux troubles et insurrections qui se prolongèrent à travers les règnes de Philopator et d’Épiphane, au désarroi général que dut produire l’agression d’Antiochos Épiphane, entraînant la captivité de Philométor et une révolution à Alexandrie ; si l’on met en ligne, d’autre part, le fait que, vers cette époque, un tribunal accepta le témoignage des Anciens d’un village comme tenant lieu de titres de propriétés brûlés par des insurgés[23], on est en droit de conclure que, sinon partout, du moins dans certains nomes, il y eut cette année-là une réfection du cadastre, sans doute nécessitée par la perte de documents indispensables. C’étaient là des circonstances exceptionnelles, et il n’est pas probable qu’il y ait eu des époques fixées d’avance pour des révisions périodiques, comme il y en eut plus tard sous la domination romaine. C’était aux diœcètes d’en ordonner quand le besoin s’en faisait sentir, et là où il y avait urgence. Au temps où le Fayoum était peu à peu conquis sur le lac et n’avait sans doute pas encore de cadastre, on consultait, pour taxer les tenures, les baux dressés par les rédacteurs de contrats, et on exigeait du contribuable le serment royal écrit[24].

C’est sur le cadastre et ce que nous appelons aujourd’hui les matrices cadastrales, c’est-à-dire sur l’évaluation des terres en surface et l’estimation en qualité, qu’était établi l’impôt foncier[25].

Suivant la méthode, d’ailleurs assez confuse, indiquée plus haut, cet impôt foncier était divisé et déguisé sous des formes et des noms divers, si bien que l’on ne rencontre pas ou ne reconnaît pas de nom commun qui désigne l’impôt foncier en général. On est toujours en présence de taxes spéciales, dont aucune n’épuise les exigences du fisc en ce qui concerne les contributions à lever sur le sol et ses produits[26].

Nous savons que l’impôt foncier était une quote-part du revenu présumé de la terre et que l’administration fixait le montant de l’impôt d’après la qualité des terres, sauf à les dégrever lors de la perception, si, par suite de circonstances accidentelles, le revenu réel était trop au dessous de l’estimation préalable. Mais nous ne pouvons que deviner les règles suivies pour l’assiette de l’impôt. Il n’est pas possible que l’estimation de la qualité du terrain, et par suite, le taux de l’impôt, ait varié pour chaque parcelle et pour chaque année : le fisc dut établir des catégories fixes de sols d’après des caractères constants et communs à chaque espèce. En Égypte, la fécondité du sol dépend avant tout de l’irrigation ; les terres recouvertes annuellement par l’inondation du Nil se distinguaient à première vue de celles qui, situées à un niveau plus élevé, avaient besoin d’irrigation artificielle[27]. Il est donc probable que, pour les terrains de grande culture, à récolte annuelle, la classification était surtout topographique ou régionale[28]. Les terrains plantés en arbres fruitiers, vignes, palmiers, ou voués à la culture maraîchère, étaient classés à part et taxés d’après la nature de leurs produits. De quelque façon qu’ait été faite l’estimation du revenu probable, l’impôt foncier était proportionné à la surface, et l’unité imposable était l’aroure.

Sur le domaine royal, il ne saurait être question d’impôt foncier : les fermages ou loyers dont nous avons parlé plus haut en tiennent lieu et sont tarifés d’après les mêmes principes. Cependant le fisc imposa par surcroît aux cultivateurs royaux des taxes qui ont le caractère spécifique de l’impôt foncier, c’est-à-dire proportionnelles à la surface, comme la τετρακαιεικοστή (ή κδ') ou 1/24 d’artabe de blé par aroure, concurremment avec le τριχοίνικον ou taxe de 3 chœnices, soit 1/12 d’artabe par aroure[29]. Enfin, le Domaine tirait encore un revenu de ses pâturages, en prélevant un droit sur le bétail qu’il permettait aux particuliers d’y faire paître[30].

Les biens des temples ou terre sacrée, administrés le plus souvent par les fonctionnaires royaux, étaient soumis au même régime. En principe, la terre sacrée était franche d’impôts ; mais, comme elle était théoriquement détachée du domaine royal, elle était assimilée aux terres έν άφέσει, aux lots des clérouques, et, comme telle, devait payer une redevance constatant le droit de propriété inhérent à la souveraineté, à moins qu’elle n’en fût expressément dégrevée[31].

L’impôt foncier proprement dit paraît avoir été assez modéré, au taux de ½ à 3 artabes par aroure suivant la qualité du sol. Mais, à cette assiette, uniforme pour chaque catégorie de terrains, pouvaient s’ajouter, sur le rapport des agents locaux, des majorations que l’administration avait le droit de décréter au même titre que les dégrèvements ; de sorte que la fixité théorique de l’impôt était pratiquement illusoire. Le fisc avait la prétention de proportionner très exactement ses exigences au revenu du contribuable, et l’échelle de ses tarifs comprend des nombres fractionnaires allant jusqu’aux minimes fractions de l’artabe[32]. L’impôt foncier perdait ainsi son caractère fixe et devenait en réalité un impôt variable sur le revenu. Il n’était pas sans exemple que l’impôt absorbât le. revenu tout entier, ou même au delà. On rencontre tel contrat de location dans lequel le bailleur s’engage à supporter les exigences éventuelles du fisc, même si elles dépassent la rente de laquelle il consent à les déduire[33]. En pareil cas, le propriétaire se déclarait responsable de l’impôt, qui, perçu en règle générale sur le locataire, était toujours, en fin de compte, supporté par le propriétaire, sauf les risques que pouvait faire courir au cultivateur une mauvaise année[34].

L’impôt sur les terres arables était, sauf exception, payé en nature. Celui que supportaient les cultures spéciales, palmeraies, vignobles, jardins, était payable en argent et beaucoup plus lourd. Un maraîcher qui cultive des concombres paie 40 dr. par aroure[35]. Dans les nombreuses listes de taxes et de versements que nous possédons figurent des impôts sur les vignobles qui sont payés en argent et ne se confondent pas, par conséquent, avec l’άπόμοιρα ou prélèvement du sixième sur la récolte. On y rencontre aussi mention des arbres fruitiers et des palmiers[36] ; mais comme, pour eux, l’έκτη était exigible en argent, il est moins facile de discerner à quel genre de taxe on a affaire. D’après la Pierre de Rosette, comme on l’a vu plus haut, les vignobles des temples acquittaient la taxe en nature, à raison d’un kéramion par aroure, et il se pourrait que ce fût là le tarif moyen, le kéramion étant remplacé par sa valeur en argent pour les profanes.

La propriété bâtie avait échappé à l’impôt, paraît-il, jusqu’au temps du roi Takhos, qui, obligé d’entretenir à grands frais une armée de mercenaires, s’avisa, entre autres expédients, de taxer les maisons d’habitation et les barques de pêcheurs[37]. L’impôt sur les habitations était assis non directement sur la surface, ni sur les portes et fenêtres, mais, comme notre contribution mobilière, sur le revenu ou loyer. tin certain Polycrate, contemporain de Philadelphe ou d’Évergète Ier, écrit à son père : Je suis allé chez le géomètre et je suis inscrit au bureau de la ferme pour un terrain d’habitation rapportant 17 dr. ½, afin que nous payions le vingtième de cette somme, et non plus de 30 dr. comme auparavant[38]. D’après ce texte, l’impôt était de 5 % ; mais il s’agit ici d’un terrain propre à l’habitation ou des dépendances d’une maison ; la maison elle-même pouvait être taxée à un tarif plus élevé.

Le fisc n’avait garde d’oublier le matériel d’une exploitation agricole, particulièrement le bétail, gros et menu, depuis les chevaux et les bœufs jusqu’aux pigeons. Le φόρος ΐππων, payable en argent, existait certainement au IIIe siècle avant notre ère[39], et c’est par hasard sans doute que le φόρος βοών n’est attesté qu’à l’époque romaine[40]. Le τέλος ζευγών[41] pouvait être une taxe sur les attelages, ou plutôt sur les voitures. Les moutons payaient un φόρος προβάτων, à tant par tête[42] : de même les volailles[43], à moins que l’estimation n’en ait été faite en bloc comme pour les colombiers, taxés au tiers du revenu présumé[44]. Ce tarif élevé était motivé sans doute par le fait que les pigeons vivent sur le commun et peuvent même commettre des dégâts, notamment à l’époque des semailles, sur des terres qui n’appartiennent pas à leur maitre. Du reste, la fiente de pigeon était un engrais très recherché, qui procurait aux propriétaires un supplément de bénéfices.

Les esclaves, comme propriété comparable au bétail, étaient aussi matière à taxe de corps, mentionnée et à l’époque ptolémaïque et à l’époque romaine[45].

Le capital agricole et l’exploitation de la terre étaient, comme on l’a vu, taxés de diverses manières. Les autres professions et industries étaient aussi mises à contribution par le fisc, au moyen d’un impôt levé sur tous les métiers, à titre de licence ou autorisation d’exercer la profession pour laquelle l’artisan, l’industriel ou le commerçant était inscrit.

Il faut mettre à part le clergé, qui a son régime spécial, peut-être aussi rigoureux, mais autre que le droit commun. Au lieu de payer une licence ou patente unique, les prêtres en payaient plusieurs. D’abord, un droit d’ordination ou d’investiture[46], probablement gradué d’après le rang occupé dans la hiérarchie par le récipiendaire et d’après la classe à laquelle appartenait le temple. Peut-être même le roi faisait-il acheter les dignités sacerdotales et l’avancement dans la hiérarchie en mettant à prix la candidature, bénéfice indépendant du droit fixe appelé τελεστικόν[47]. Pour les prêtres ou sacristains de catégorie inférieure, comme les pastophores, le τελεστικόν paraît avoir été remplacé par un droit d’examen dont le nom étonne un peu, appliqué à des choix de cette espèce[48]. L’État faisait acheter aussi l’autorisation d’exercer divers offices lucratifs, comme celui de prophète, l’entretien et la sépulture des animaux sacrés[49]. Sous un nom ou sous un autre, c’était toujours la main mise de l’État sur la collation des dignités et offices, l’usurpation de pouvoirs et de revenus dont les prêtres disposaient autrefois à leur gré. S’il leur laissait la liberté de choisir leur chef, c’était encore à titre onéreux. On rencontre une taxe qualifiée έπιστατικόν λεσωνείας[50], et une autre ύπέρ λεσωνείας[51], qui, de quelque façon qu’on les interprète, étaient prélevées sur la bourse des corporations sacerdotales. Enfin, le fisc obligeait les prêtres à lui payer des taxes sur les victimes[52] et sur les autels probablement à propos de chapelles particulières ouvertes au public[53].

On voit que la profession sacerdotale n’était pas précisément libre et qu’il n’entrait pas que du respect dans le régime spécial auquel elle était soumise. Toutes les autres étaient frappées d’une taxe spéciale à laquelle on peut donner le nom générique de χειρωνάξιον (chrysargyrum) ou taxe sur les professions manuelles. Le tarif était naturellement différent pour chaque profession ; mais pour chacune d’elles il paraît avoir été fixe, c’est-à-dire indépendant du chiffre des affaires, en quoi il se distingue d’un impôt sur le revenu[54]. On savait déjà par Strabon que les rois d’Égypte tiraient leurs revenus des travailleurs pacifiques cultivant la terre et les industries[55] ; mais c’est aux papyrus et ostraka que nous devons des renseignements précis sur la question. Les plus précis datent de l’époque romaine et il serait imprudent de transporter les tarifs qu’on y rencontre au temps des Ptoléméen[56] ; mais on ne saurait douter que l’impôt sur les métiers ait eu son échelle de tarifs croissant des métiers infimes aux industries de luxe, à l’époque des Lagides. Le χειρωνάξιον était payable par acomptes mensuels ; les nombreuses quittances que nous possédons vont du lie siècle avant notre ère jusqu’au IVe siècle après J.-C.

Taxés en tant qu’individus, les professionnels payaient encore en tant que membres d’une association ou syndicat. Ces associations avaient des scribes auxquels elles allouaient sans doute des honoraires à l’amiable[57] ; mais elles devaient en outre acheter le droit d’exister en payant annuellement à l’État des κοινωνικά en nature, qui servaient peut-être d’appoint au traitement des fonctionnaires de l’endroit[58].

Nous entrons ici dans la série des impôts collectifs, qui servaient à rétribuer les services locaux et dont le produit est ainsi consommé sur place. Tels étaient les frais d’opérations cadastrales, qui paraissent avoir été uniformément répartis à raison de ½ artabe de froment par propriétaire[59] ; le θησαυροφυλακικόν ou θησαυροφυλακιτικόν pour l’entretien des magasins, caves et greniers royaux[60], taxe pour laquelle Kerkéosiris payait 24 artabes d’orge, équivalant à 14 3/12 artabes de froment ; le γραμματικόν pour les frais de bureau[61] ; le ίατρικόν ou abonnement aux soins médicaux, à raison de 2 artabes par personne et par an[62]. L’existence d’une taxe spéciale pour la police à l’époque ptolémaïque[63], de taxes pour l’entretien des postes de vigies[64], pour la police des marchés[65], pour les percepteurs[66] sous l’Empire ; l’appoint exigé en sus de l’άπόμοιρα pour les οίνολόγοι[67] ; tout cela donne à penser que tous les agents locaux, commissionnés soit par l’État, soit par les communes, sitologues, œnologues, auxiliaires, scribes et gardes de toute espèce, particulièrement les gardes des récoltes, recevaient soit des rations, soit des suppléments de traitement aux frais des communes.

Parmi les taxes collectives, il en est qui sont accidentelles, encore que prévues par des règlements : ce sont les frais de déplacement, de réception et d’hospitalité nécessités par les voyages du roi, des fonctionnaires ou des militaires en service actif[68]. Naturellement, ces frais étaient en raison de la dignité du personnage à héberger. Un papyrus du me siècle avant notre ère nous donne le compte des préparatifs faits pour la visite et le voyage d’un diœcète ou ministre des finances au Fayoum. Chrysippe, le haut personnage en question, aura pour sa table 10 λευκομετώπους, 5 oies grasses, et 50 volailles : il emportera comme viatique 50 oies, 200 volailles et 100 pigeonneaux. Il aura besoin pour cela de 5 ânes de selle et 40 ânes pour porter les bagages. On n’a pas oublié de réparer les routes pour la circonstance[69]. Le domaine royal lui-même pouvait être mis à contribution : un économe s’attire une dénonciation de quatre éleveurs d’oies au service du roi pour avoir exigé d’eux 12 oies, c’est-à-dire plus que, à leur sens, ils n’étaient obligés de donner είς τά ξένια[70]. Nous avons encore un fragment de correspondance échangée, sous le règne de Ptolémée Soter II (112 a. Chr.), entre de hauts fonctionnaires égyptiens, à propos de l’excursion que doit faire au Fayoum un sénateur romain, L. Mummius, et de la réception qu’il convient de préparer à un personnage aussi considérable. Des instructions partent d’Alexandrie à l’adresse de l’Intendant des Revenus ou administrateur général du nome, qui les communique à ses subordonnés. Il faut que le sénateur trouve des véhicules et des appartements tout préparés ; qu’on lui rende les honneurs et fournisse les ξένια spécifiés dans la circulaire ; qu’on lui montre les curiosités du lieu, le Labyrinthe et le repas des crocodiles sacrés ; enfin « que l’on déploie sur tous les points de la ville la plus grande sollicitude et tout l’empressement possible pour que le visiteur soit satisfait[71]. Il est probable que, cette fois, le domaine royal y mettait du sien.

Les voyages de la cour ne devaient pas être moins coûteux. L’ingénieur Cléon, informé que Philadelphe va venir au Fayoum, se hâte de parachever les écluses et de faire égaliser les terrassements aux alentours, comme nous avons vu travailler aux routes que devait suivre le diœcète[72]. C’étaient là du moins des dépenses utiles. Une quittance sur ostrakon, du IIe siècle avant notre ère, a trait aux frais occasionnés par la παρουσία τής βασιλίσσης[73]. Les déplacements et tournées des fonctionnaires entraînaient des frais analogues ; comme les dieux, tous les détenteurs de l’autorité étaient sur leurs administrés. On voit figurer sur les papyrus des comptes de dépenses de cette nature : tant pour le coucher de l’archyphylacite ; tant pour ses appariteurs, l’huissier, les éphodes, les mastigophores ; tant pour les soldats réservistes, lorsqu’ils sont venus de la part de l’épistate des phylacites pour l’affaire des moutons[74]. D’autres ont donné de l’argent pour le coucher d’Eurémon, venu de la part du stratège, par sommes de 120 à 150 dr., jusqu’à concurrence de 4 tal . 150 dr.[75]. On pense bien que les militaires, officiers et soldats, n’étaient pas plus discrets ; ils savaient ajouter aux droits que leur donnaient leurs billets de logement[76]. Une inscription bien connue[77] nous a conservé les doléances adressées à Évergète II par les prêtres d’Isis à Philæ. Ils ont été rançonnés par des légions de pèlerins gradés, qui trouvaient moyen de faire ainsi leurs dévotions sans bourse délier, stratèges et épistates et thébarques et basilicogrammates et épistates des phylacites et tous autres fonctionnaires, avec leur escorte et le reste de leur domesticité. Tous ces gens-là obligent les prêtres à leur fournir des présences, si bien que les desservants risquent de ne plus avoir de quoi offrir des sacrifices pour les rois et leurs enfants. En réponse à la pétition, les rois (Évergète II et les deux Cléopâtres) chargent Lochos, stratège de la Thébaïde, de veiller à ce que personne ne moleste plus les plaignants.

Évergète II paraît avoir entrepris sérieusement — et peut-être inutilement — de réprimer ces abus et, en général, toutes les exactions commises par les fonctionnaires au détriment des contribuables. Ses bonnes intentions s’étalent tout au long dans les quarante-six décrets qui se trouvent réunis sur une copie faite dans les bureaux du comogrammate de Kerkéosiris[78]. Amnistie pour les délits passés ; remises d’arriérés d’impôts ; précautions de toute sorte et défenses itératives pour la protection des taillables et corvéables ; instructions réglant la perception des taxes, les monopoles, la juridiction applicable aux deux catégories de sujets, Égyptiens et Hellènes ; rien ne manque à ce document, qui fait honneur à Évergète II et suffirait à le réhabiliter aux yeux des historiens, si l’on pouvait tenir pour pures calomnies les témoignages accablants des auteurs anciens qui ont à jamais flétri sa mémoire[79].

Les contribuables n’étaient pas obligés seulement de donner à l’État une part de leur capital ou de leur revenu : ils lui devaient encore, le cas échéant, une part de leur temps et de leur travail. La corvée ou travail non rétribué[80] est une des formes de l’impôt direct, forme négative au point de vue de la comptabilité, en ce sens qu’elle représente une économie de dépenses pour le Trésor. Les prêtres ont raconté à Hérodote comment les Pharaons constructeurs des Pyramides avaient écrasé leur peuple de corvées durant six cents ans, et comment 120.000 Égyptiens périrent en creusant le canal de Nécho[81]. Les Lagides, sans limiter théoriquement leur pouvoir, paraissent avoir pris pour règle de ne recourir à la corvée que pour la construction, réfection et entretien des canaux d’irrigation, et pour le labourage des terres royales lorsque l’opération devait être menée avec rapidité et que les cultivateurs royaux n’y suffisaient pas. Ils ont, en tout cas, maintenu le principe que l’État seul a le droit d’exiger la corvée pour un service public, et non pas les fonctionnaires pour leur service particulier[82].

Étaient exemptés de la corvée personnelle les fonctionnaires ou officiers royaux, y compris les employés des monopoles, les citoyens des villes grecques, et en général tous ceux qui n’étaient ni Égyptiens de race ni exerçant une profession manuelle. Mais cela ne veut pas dire qu’ils fussent dispensés de fournir en argent l’équivalent du travail que d’autres exécuteraient à leur place. Les nombreuses quittances délivrées pour les canaux[83], pour les digues[84], pour le cube de terrassement[85], doivent être en majeure partie des reçus de sommes versées pour dispense de travail personnel. Nous possédons d’autre part des estimations et relevés de travaux faits pour les digues et canaux, où les ναύβια sont comptés par milliers pour chaque tâche et payés à raison de 1 tétradrachme pour 60 ναύβια[86]. En pratique, le remplacement des prestations par un rachat en argent était un système plus commode, qui permettait de mettre tout le monde à contribution et de faire exécuter les travaux par des salariés. Le ναύβιον put devenir ainsi une taxe comme une autre, à tarif fixe et imposée également à tous, ou du moins à tous les propriétaires[87], et la question est de savoir si l’administration n’a pas trouvé plus commode encore de maintenir la corvée pour les indigènes, tout en faisant payer le ναύβια qui devait la remplacer. Les relevés de travaux ne disent pas, en général, si les ouvriers étaient payés ou non, et il y a là une marge pour les conjectures. En tout cas, le papyrus le plus anciennement connu, la charta Borgiana[88], qui date du règne de Commode (191 p. Chr.), donne les noms de 481 habitants de Ptolémaïs Hormou qui ont travaillé, du 10 au 14 Méchir, à la digue de Teplunis ; de 69 autres qui ont travaillé, du II au 15, au canal Phogémis. Deux autres équipes comprenaient respectivement l’une 92 hommes, l’autre 35. Toutes les professions y étaient représentées : on y rencontre jusqu’à des barbiers. Les prêtres avaient fourni des esclaves pour les remplacer. La corvée à exécuter n’était plus estimée par ναύβια, mais par journées de travail, la mesure étant de cinq jours pleins. Il s’agissait sans doute de ménager l’irrigation en temps utile, car les travaux étaient dirigés par un inspecteur des semailles[89]. A Soknopaiou Nésos, une localité riveraine du Lac, où les variations du niveau de la nappe d’eau rendaient les travaux d’endiguement particulièrement nécessaires, les corvées avaient lieu d’ordinaire au début de la montée et de la descente du Nil, c’est-à-dire (à l’époque romaine) dans les mois d’Athyr-Choiak, et surtout de Pachon à Mésori[90]. Le caractère d’utilité publique, qui justifie la corvée, paraît avoir été reconnu aussi à des travaux exécutés au profit de temples, sans doute en vertu de droits seigneuriaux concédés aux corporations sacerdotales[91].

La corvée n’était pas toujours absolument gratuite ou payée des deniers des corvéables. Les travailleurs en service gratuit recevaient des rations alimentaires, et l’État pouvait compenser les prestations exigées par des réductions de taxes sur d’autres chapitres. Ainsi, en 254/3 a. Chr., le canal de Tebetnos à Kerkéesis s’étant trouvé engorgé, l’inspecteur Alexandre conseille à son chef l’ingénieur Cléon de rabattre 200 dr. sur des habitants de Kerkéesis et de leur faire exécuter le travail nécessaire[92].

En échange de la corvée, l’État accordait sans doute aux riverains l’usage gratuit de l’eau amenée par les canaux. Les taxes payées à des entrepreneurs d’irrigation[93] ne grevaient que la γή άβροχος et ne rémunéraient que le travail des machines élévatoires.

Sur la corvée appliquée à la culture du domaine royal nous sommes renseignés par une longue ordonnance qui date du règne conjoint de Philométor et d’Évergète II[94]. C’est une circulaire du diœcète Hérode, commentant un édit antérieur et en réglementant l’application. A travers les ambages d’un style redondant et ampoulé, on sent l’embarras du haut fonctionnaire qui veut revenir sur des instructions devenues inopportunes et cependant n’avoir pas l’air de se déjuger. L’édit qu’il s’agit d’interpréter avait pour but d’assurer l’ensemencement des terres royales par des réquisitions et des corvées imposées à tous les habitants des régions où, paraît-il, cette culture avait été délaissée. Les fonctionnaires chargés de l’appliquer avaient pris à la lettre le mot tous et prétendu contraindre jusqu’aux familles des militaires en service et des matelots des brigades fluviales, sans épargner ni les petits bénéficiers à 5 et 7 aroures qui n’arrivaient pas à cultiver leurs lots et s’endettaient pour vivre, ni les prolétaires. Ils avaient requis également les employés chargés de la perception des taxes affermées[95], au risque de désorganiser le service. Hérode le prend avec eux sur le ton dédaigneux[96]. Il reconnaît que, absorbé par la direction suprême, il a pu donner des instructions trop sommaires ; mais il dégage sa responsabilité en déclarant qu’un peu de sens commun aurait suffi pour comprendre que tous voulait dire tous ceux qui, pourvus d’une aisance relative, peuvent supporter les prestations exigées par l’édit et dans la mesure de leurs moyens. Aucun de ceux-là ne doit être exempté ; mais, en revanche, aucun de ceux qui ne peuvent pas cultiver ne doit être personnellement requis. Il n’y a de réquisition générale que pour les animaux : qu’ils appartiennent aux bénéficiers, aux cultivateurs des terres sacrées, aux fonctionnaires, voire au stratège lui-même, tous doivent être mis au service du roi, sauf, une fois la tâche accomplie, à rendre le même service aux cultivateurs qui auront besoin d’aide.

Il semble bien que nous avons affaire ici non pas à une constitution établissant un régime permanent, mais à une mesure exceptionnelle motivée par des circonstances spéciales. Ces circonstances n’étaient pas sans précédent, car Hérode invoque l’exemple donné en pareil cas par Hippalos, un de ses prédécesseurs[97]. Pour qu’il y eût une telle urgence à réquisitionner tous les habitants d’une région[98], il faut que les terres du Domaine aient été délaissées par ceux qui avaient l’habitude de les cultiver, et cela, probablement par suite des exigences du fisc. Afin d’éviter le retour d’une pareille grève, le gouvernement avait voulu en faire sentir les inconvénients à la population tout entière, et il avait décrété la corvée sans exemption[99]. Mais les réclamations des militaires en garnison dans les villes l’avaient fait réfléchir, et l’on trouverait aisément dans les troubles de l’an 164 des raisons qui ont dû décider l’administration fiscale à se radoucir[100]. C’est le moment où la mésintelligence des deux rois aboutit à une rupture. Une sédition dans l’armée, gagnant peut-être la population des campagnes, eût singulièrement compliqué les choses. Il est permis de supposer que la rupture était alors consommée ou bien près de l’être, et que la transaction ordonnée par le diœcète avait été suggérée par Ptolémée cadet, resté maître de la place, mais inquiet des suites de l’aventure. Le début de la première lettre d’Hérode à Théon dissimule mal l’intention de ne pas ébruiter un éclat tout récent, qui n’était peut-être pas irréparable : Le roi Ptolémée se porte bien, ainsi que Ptolémée le frère et la reine Cléopâtre la sœur et les enfants[101], et leurs affaires vont comme d’habitude. On n’éprouve le besoin de rassurer les gens que quand ils sont alarmés. Hérode, dans l’hypothèse, ouvrait par un mensonge officiel la série des raisonnements louches et des objurgations artificieuses dont est rempli le document tout entier. La première circulaire n’ayant pas suffi à apaiser les garnisaires de la capitale, qui protestaient contre les saisies déjà opérées, Hérode revient à la charge un mois après et apostrophe vertement Théon, le fonctionnaire stupide qui n’a pas encore compris : mais, cette fois, son indignation le dispense de parler des rois, dont il devenait difficile de masquer les discordes.

En résumé, les autorités sont invitées à procéder au recrutement des travailleurs en s’inspirant de l’esprit de justice et d’humanité. Le roi entend ne contraindre que ceux qui peuvent, mais ne veulent pas travailler pour lui. Les faveurs arbitraires et les vexations illicites seront punies. Enfin, le Trésor fera, à titre de prêt gratuit (?), les avances nécessaires à ceux qui en feront la demande[102]. Ce langage tranche singulièrement avec le ton de la plupart des documents administratifs : il a fallu un vif désir ou un besoin urgent de popularité pour rudoyer, au lieu des contribuables et corvéables, des fonctionnaires de haut grade comme des hypodiœcètes et des épimélètes.

 

§ II. — IMPÔTS INDIRECTS.

Tandis que l’impôt direct frappe les personnes et leur avoir personnel, l’impôt indirect pèse sur les objets de consommation et les atteint généralement à certaines étapes de la circulation qui va du producteur au consommateur. Nous avons vu que bon nombre de ces impôts étaient perçus soit au moment de la production, soit au moment de la vente, en vertu de monopoles d’État. Il nous reste à examiner les impôts indirects qu’on peut appeler impôts de circulation, et dont le type le plus commun est fourni par les douanes, péages et octrois[103].

Un réseau de postes douaniers enserrait toutes les frontières de l’Égypte et s’échelonnait aussi le long du Nil. La configuration du pays, borné de tous côtés, sauf au midi, par la mer ou le désert, permettait de l’isoler facilement et d’en faire un entrepôt étroitement surveillé. Parlant du commerce de l’Égypte avec l’Inde et la Troglodytique, commerce auquel la domination romaine avait imprimé une activité nouvelle, Strabon ajoute : Comme les marchandises les plus précieuses viennent de ces régions en Égypte et de là sont réexpédiées dans les autres contrées, on en tire double taxe, droit d’entrée et droit de sortie, et ces droits sont d’autant plus élevés que les marchandises ont plus de valeur. Et cela constitue des monopoles, car Alexandrie est à peu près le seul entrepôt pour ces espèces commerciales, et c’est elle qui les fournit aux consommateurs du dehors[104].

La douane frontière, installée dans les ports de la mer Rouge et sur la Méditerranée, aux bouches du Nil[105], avait des tarifs très élevés. Nous ne connaissons guère que les tarifs d’importation. On croyait jusqu’ici, sur la foi du Périple de la mer Érythrée[106], qu’un bureau des douanes romaines, protégé par un poste militaire sous les ordres d’un centurion percepteur, levait à Leuké-Komé, sur la côte arabique de la mer Rouge, une taxe montant au quart de la valeur des marchandises importées. On supposait donc que les Romains continuaient un régime datant des Ptolémées, lesquels auraient installé à Leuké-Komé, entrepôt des produits de la Péninsule arabique et de l’Inde, la perception de cette taxe énorme de 25 % sur les marchandises devant être importées en Égypte, et même, pour protéger le commerce égyptien, sur celles à destination de Pétra et de la Syrie. Mais cette hypothèse, passée en opinion courante[107], résiste mal aux objections d’ordre historique. On sait que Leuké-Komé faisait partie du royaume des Nabatéens, et rien n’indique qu’elle ait jamais été au pouvoir des Lagides. Il n’est pas certain non plus que la douane de Leuké-Komé ait été romaine : l’έκατοντάρχης du Périple pouvait être un officier indigène, et non pas un centurion romain. Le texte allégué se comprend fort bien, sans exégèse forcée ni conjectures arbitraires, si la taxe de 25 % était perçue sur les marchandises importées à Leuké-Komé — et non pas à importer en Égypte — pour le compte du roi nabatéen de Pétra. Il faut donc rayer de la liste des taxes d’importation en Égypte le tarif de Leuké-Komé. La douane égyptienne pour les marchandises venant de Leuké-Komé devait être à Bérénice, et nous ignorons à quel tarif elles étaient soumises ou si peut-être elles n’étaient pas accaparées par un monopole royal.

Pour les marchandises venant d’Éthiopie, la douane était à la frontière S., c’est-à-dire à Syène[108]. En sus des droits que prélevait sur les importations la douane proprement dite, on rencontre à Syène des taxes spéciales, comme l’ένόρμιον άγωγίων pour l’usage du port, quelque chose comme un droit de quai, et la πεντηκοστή έξαγωγής ou taxe de 2 % sur toute marchandise sortant du territoire de la ville[109]. Même tarif, dit πεντηκοστή είσαγωγής, pour Thèbes[110]. Nous sommes là en présence de taxes locales, qui rentrent dans la catégorie des octrois. Suivant un système néfaste, qui fut jadis universel, l’Égypte avait aussi des péages qui formaient à l’intérieur des barrières fiscales arrêtant au passage et exploitant le transit des marchandises. Rien n’était plus facile que d’en établir sur la grande artère fluviale qui était le grand chemin de l’Égypte. Strabon signale un de ces postes de publicains et de garde-fleuve à Schédia, lieu ainsi nommé du pont ou barrage établi tout exprès sur le bras du fleuve. On y faisait payer indifféremment les bateaux qui remontaient et ceux qui descendaient le canal[111]. A Hermopolis, à l’endroit où s’amorce le bras qui alimentait le lac Mœris, il y avait une schedia ou barrière du même genre, où l’on prélevait un droit sur les marchandises qui descendaient de la Thébaïde[112]. Ainsi, une fourniture importée par la mer Rouge à destination du Fayoum aurait payé, en sus des frais de transport, d’abord peut-être 25 % de sa valeur à Bérénice ; ensuite, un droit d’escorte pour la traversée du désert ; puis une série de taxes de 2 % à Syène ou à Koptos, à Hermopolis, et enfin, au lieu d’arrivée, à Crocodilopolis-Arsinoé, où la marchandise avait affaire à la fois à la douane et à l’octroi.

Les villes et même les bourgs pouvaient, en effet, prélever sur le transit des marchandises un octroi qui, comme les douanes et péages, grevait aussi bien les exportations que les importations. Des quatorze quittances délivrées à la porte du bourg de Soknopaiou Nésos (Dimeh) dans le Fayoum, — à l’époque impériale, — Wilcken a conclu qu’un marchand voulant transporter du blé à dos de chameau de ce bourg à Memphis devait payer à l’octroi du lieu, d’abord 2 % de la valeur de la marchandise ; ensuite 1 % de la valeur des chameaux, plus une somme pour escorte dans le désert ; et finalement une somme pour le port de Memphis, sans doute une part de l’octroi de Memphis, sorte de prime concédée par la capitale aux régions qui l’alimentaient[113]. Nous ignorons, du reste, si ces mesures fiscales ou économiques dataient de l’époque des Lagides, ou s’il faut en attribuer l’invention à l’administration romaine. La taxe sur les marchés, qui parait avoir été affectée au salaire des agoranomes[114], devait être une taxe fixe pour location des places et droit de vendre au marché, taxe distincte de l’octroi et de l’impôt sur les ventes, dont il sera question plus loin.

Le transport des marchandises était affaire privée ; mais, les routes et canaux étant la propriété de l’État, celui-ci prélevait des droits sur ceux qui en faisaient usage pour leur commerce. La route ouverte par Philadelphe entre Koptos et Bérénice, à travers le désert, était loin d’être sûre, surtout pour des gens dont le bagage pouvait tenter la cupidité des écumeurs de grand chemin. Des postes militaires installés à chaque extrémité fournissaient aux caravanes des escortes dont le service était rémunéré au tarif fixé par l’administration. En outre, les voyageurs payaient des taxes également variées pour l’usage de la route et des citernes échelonnées sur le parcours. Ces deux espèces de taxes formaient ensemble le droit d’expédition. Pour l’escorte, le tarif variait suivant la qualité des personnes ; pour le droit d’usage, suivant la nature des moyens de transport, voitures, ânes, chameaux. Ainsi, un matelot ne payait que 5 dr., tandis qu’une hétaïre n’était escortée qu’au prix de 408 dr. Une voiture était taxée à 4 dr. Un chamelier entrepreneur de transports devait être muni pour chaque bête d’un ticket d’une obole, estampillé moyennant un droit de 2 oboles, et il avait à payer pour chaque voyageur transporté une taxe fixée au tarif de 1 dr. pour un homme, de 4 dr. pour une femme. Nous devons ces renseignements à une inscription de l’an 90 p. Chr., qui reproduit une partie du tarif arrêté par L. Antistius Asiaticus, préfet de Bérénice. Comme la pierre a été trouvée à un endroit qui était probablement la limite du terroir de Koptos, il est à présumer qu’il y avait un tarif semblable à Bérénice et que les mêmes taxes étaient exigées ; de sorte que les frais se trouvaient doublés, au bénéfice de l’une et l’autre tête de ligne. La perception des taxes était affermée, et le contrôle appartenait à l’arabarque, fonctionnaire de l’administration des finances qui avait autorité sur toute la région désertique bordant la mer Rouge[115].

Les tarifs ont dû varier avec le temps, mais on ne saurait douter que les droits de circulation sur la grande route de Koptos à Bérénice aient été établis en même temps que la voie elle-même et qu’ils remontent au temps des premiers Lagides. Il en allait de même, on peut presque l’affirmer, partout où se rencontraient des conditions analogues, des voies publiques traversant des régions désertes. Nous avons signalé déjà des taxes d’έρημοφυλακία entre le nome Arsinoïte et Memphis à l’époque impériale. Un papyrus de la même époque fait mention d’une taxe pour bulletins de chameaux, qui parait avoir été exigée, par les fermiers de l’έρημοφυλακία, des voyageurs circulant sur la route allant du nome Prosopite au nome Arsinoïte[116].

Enfin, l’État se faisait lui-même entrepreneur de transports par eau, surtout en temps d’inondation, alors que les villages se trouvaient isolés par des espaces submergés. Il prêtait aux habitants des bateaux et percevait de ce fait un ναΰλον πλοίου. Cet usage est attesté pour l’époque des Ptolémées, où la dite taxe était affermée, et pour l’époque romaine, où elle paraît avoir été mise en régie[117]. Enfin, bien que les canaux fussent entretenus par des taxes spéciales comme le χωματικόν et la corvée, le roi faisait encore payer un droit d’usage en prélevant sur les transports par eau la moitié du bénéfice, si les bateaux appartenaient à des particuliers, et les 3/4 s’il en était le propriétaire[118].

Le fisc égyptien, fertile en idées lucratives, rejetait même sur les contribuables les frais de transport des produits de l’impôt. Pour les contributions en nature, il ne les acceptait que convoyées à ses magasins et avec un έπίμετρον de 2 %[119] ; pour les contributions en argent, il frappait ses quittances d’une surtaxe pour le coût des corbeilles[120], c’est-à-dire des paniers à transporter le numéraire, et d’une autre pour la descente, autrement dit le transport des dites corbeilles à la caisse centrale d’Alexandrie[121]. L’existence de ces surtaxes, perçues sur les fermiers, est attestée pour l’époque ptolémaïque.

On pourrait faire rentrer cette espèce dans la catégorie des droits prélevés sur les écritures officielles, contrats, pièces de procédure, autorisations diverses : droits que représente assez bien, ce semble, dans la fiscalité moderne le papier timbré. Aux frais de justice proprement dits[122], comprenant la taxe pour assistance judiciaire, s’ajoutait, autant qu’on en peut juger par un renseignement insuffisant, une surtaxe d’un décime additionnel[123]. Les frais de bureau en général ou frais d’administration, payés tantôt en argent, tantôt en nature, devaient être cotés sous la rubrique vague et compréhensive de γραμματικόν[124].

C’est la garantie assurée à l’avoir des particuliers par l’intervention de l’État et de ses scribes dans les transferts du droit de propriété qui justifie à nos yeux les prélèvements opérés par lui sur les successions et les ventes. Le fisc saisit la matière imposable au moment où elle change de maitre, et c’est en quelque sorte, par surcroît, un impôt de circulation.

En Égypte, où le roi était théoriquement unique propriétaire des personnes et des choses, la possession ou quasi-propriété n’était qu’une concession royale, une faveur dont le roi était libre de fixer les conditions et le prix. Il peut l’avoir accordée à un individu à titre viager ou à une famille à titre héréditaire, avec ou sans le droit d’aliéner. Pendant de longs siècles, la loi paraît avoir interdit aux possesseurs de biens immobiliers de les aliéner : ces biens constituaient la dotation de la famille et n’en devaient point sortir. Les transactions dont ils étaient l’objet ne pouvaient être que des échanges ou transmissions entre membres de la même famille. Un pareil régime est incompatible avec un certain degré d’activité économique. Avant qu’il ne fût complètement aboli, il y fut dérogé par des exceptions qui permettaient la vente proprement dite, la vente contre argent, exceptions consenties contre le paiement d’une taxe. Ce droit fut institué, au taux du décime, par le fondateur de la XXVIe dynastie, Psammétik Ier, le roi novateur et philhellène, qui, comme plus tard Amasis, avait besoin d’argent pour entretenir ses mercenaires grecs[125]. Peut-être ne fit-il que généraliser à son profit un système que les prêtres appliquaient déjà sur les neter hotep ou biens du clergé. Le droit était perçu, sous forme d’enregistrement, sur les actes de vente, lesquels n’étaient valides qu’à cette condition, et payé, en règle générale, par l’acheteur[126]. Les Lagides maintinrent le tarif du dixième, avec exemption pour les contrats et quittances concernant les biens sacrés[127], jusqu’au jour où Ptolémée Épiphane, en quête de popularité, le réduisit de moitié et en fit un vingtième[128]. Évergète II, vers la fin de son règne, remit en vigueur l’ancien tarif[129]. Le nom énigmatique donné à ce droit d’enregistrement (τέλος έγκύκλιον)[130], nom que l’on à voulu expliquer par la périodicité de la ferme y afférente[131], — c’est-à-dire par un caractère commun à toutes les fermes d’impôts, — signifie peut-être tout simplement impôt de circulation, le mot grec étant ici formé comme le mot latin qui a donné le terme français, mais avec le sens spécial qui est resté au latin circulator. Les ventes aux enchères, sujettes aux droits, étaient faites, on peut le supposer, par des agents en tournée, qui, comme nos officiers ministériels, notaires, huissiers, commissaires-priseurs, se transportaient sur les lieux et faisaient ainsi pour le compte de l’État ce que les marchands forains et charlatans faisaient pour leur propre bénéfice[132].

La cession de lots de terre, par arrangement à l’amiable ou contrainte, entre clérouques était naturellement assimilée à une vente et entraînait la perception d’un droit d’autant plus justifié que la transaction nécessitait, tout comme une vente, des retouches au cadastre[133]. De même les donations entre vifs ; sans quoi, il eut été facile d’échapper à l’impôt en déguisant les ventes sous forme de donations[134].

Il arrivait parfois, peut-être même souvent, que le Trésor faisait vendre, pour se couvrir, les biens de fermiers d’impôts insolvables ou de leurs cautions. On s’est demandé si, en pareil cas, il avait intérêt à percevoir sur les acheteurs un droit dont le montant se serait trouvé, par la force des choses, défalqué du prix de vente. Il semblait avoir abaissé, pour ces licitations, le droit d’enregistrement à un tarif bien inférieur. C’est du moins la conclusion que l’on a cru pouvoir tirer des papyrus dits de Zoïs[135]. Il y est question de ventes (?) de biens sur lesquels le Trésor avait pris hypothèque et de droits de 1/60, plus une surtaxe de 1 %, payés par la dame Zoïs, qui a racheté (?) au prix de 10 talents 4.000 dr., payables en 4 annuités, un jardin appartenant à sa mère. Mais il est possible aussi que Zoïs n’ait fait que louer pour quatre ans le susdit jardin, devenu propriété de l’État, et que les taxes précitées, à tarif réduit, aient été le coût de l’enregistrement du contrat de location[136]. Quoi qu’il en soit, nous possédons maintenant un acte de vente de biens hypothéqués pour caution par le répondant d’un fermier en déficit, et il y est dit que l’acheteur a payé le vingtième et autres frais, tout se passant comme à l’ordinaire[137]. Le vingtième a été également payé pour la vente d’un bien confisqué au profit de la cassette royale[138].

Les petites ventes de gré à gré, non pas toutes, mais celles qui portaient sur certaines marchandises sujettes à l’impôt, étaient frappées de taxes diverses, dont la plus connue est le cinquantième, soit 2 %. D’après le Ps.-Aristote, le roi Takhos avait établi une taxe sur les ventes de blé, au taux de une obole par artabe[139]. Comme il était pratiquement impossible de contrôler le commerce de détail, il est probable que les commerçants passibles de l’exercice se libéraient de la surveillance en payant au Trésor une redevance annuelle calculée approximativement sur leur chiffre d’affaires, redevance qui s’ajoutait à leur patente et se confondait peut-être avec la taxe donnant droit de vendre au marché[140].

Le même raisonnement qui avait fait établir l’impôt sur les ventes, considéré comme le prix d’une faveur octroyée, s’appliquait aussi bien, sinon mieux, à la transmission de la propriété par héritage. L’hérédité peut être un droit naturel, mais un droit qui ne s’exerce nulle part sans la protection de l’État. Pour des possessions dont l’État gardait théoriquement la propriété éminente, ce n’était même pas un droit, mais une tolérance qui pouvait être mise à prix. Il est possible cependant que le fisc égyptien n’ait pas usé de cette logique, c’est-à-dire, n’ait pas eu occasion d’en user, avant l’époque des Lagides. La loi ne reconnaissant pas aux Égyptiens le droit de tester, ceux-ci avaient pris l’habitude de partager leur succession de leur vivant, et il n’y avait plus adition d’hérédité à leur décès[141]. Que le partage fût fait avant ou après la mort du père de famille, le fisc percevait les droits de mutation sur les donations, échanges ou ventes fictives que comportaient les arrangements entre cohéritiers. Il le percevait même plus avantageusement sur quantité de contrats séparés que sur une succession dévolue en bloc[142]. Le droit prélevé en bloc sur les successions a dû s’introduire dans la législation fiscale en même temps que le testament dans les coutumes importées par les Gréco-Macédoniens[143]. On appelait ce droit άπαρχή, c’est-à-dire les prémices. De même qu’un colon nouvellement installé ou un fonctionnaire nommé devait offrir au maitre une couronne en guise de remerciement, de même l’héritier devait acheter le droit qu’il n’avait pas en abandonnant à l’État les prémices de son héritage. Les Lagides ont pu emprunter le mot άπαρχή, aux souvenirs d’Athènes, qui, au Ve siècle, prélevait sur la caisse fédérale des Hellénotames une άπαρχή de 1/60 pour le Trésor d’Athéna[144]. Peut-être même ont-ils prétendu, en leur qualité de rois-dieux, lui conserver son sens religieux et considérer la taxe comme destinée à défrayer les cultes dynastiques[145].

Parmi les documents qui nous renseignent sur l’άπαρχή, un papyrus de Turin nous apprend que le droit de mutation était exigible, sous peine d’amende et de déchéance, même sur les successions en ligne directe, du père au fils. Au cours du procès intenté par Hermias aux choachytes de Thèbes, ceux-ci invoquent contre Hermias un cas de déchéance, alléguant qu’il n’a pas payé les droits sur la succession de son père et a encouru de ce chef une grosse amende[146]. Mais on ne nous dit pas quel était le tarif de l’άπαρχή, ni si elle était prélevée sur toutes les successions, ou seulement sur les héritages régis par le droit grec[147]. Nous savons, d’autre part, que l’héritier devait faire reconnaître son droit en déclarant sous serment la valeur globale de la succession dans un délai déterminé[148] et n’était envoyé en possession qu’après avoir payé la taxe.

Il est hors de doute qu’Auguste a pris dans son domaine d’Égypte l’idée d’importer à Rome la taxe en question, fixée par lui au tarif de 5 % (vicesima hereditatium). Mais, comme il a modifié la portée de l’institution en exemptant des droits tous ceux qui, d’après la loi romaine, auraient pu hériter ab intestat, nous ne saurions affirmer qu’il a adopté le taux usité en Égypte[149]. En tout cas, la résistance que lui opposa longtemps l’opinion dut le porter à abaisser plutôt qu’à hausser les exigences du fisc.

On ne rencontre pas, dans l’Égypte ptolémaïque, de disposition analogue aux lois d’Auguste qui adjugèrent au fisc les successions tombées en déshérence (bona vacantia - caduca). Mais ces lois ne firent que multiplier, à titre de pénalité, les cas de déshérence, et il n’est pas douteux que les rois d’Égypte, propriétaires de tout le pays, l’aient été à plus forte raison des biens sans maitre.

 

§ III. — REVENUS EXTRAORDINAIRES.

Nous avons déjà rencontré çà et là quantité de taxes et impôts qui pourraient être classés sous la rubrique des revenus extraordinaires, en ce sens que l’État, tout en multipliant les occasions de les percevoir, affectait de leur conserver un caractère exceptionnel. Telles sont les surcharges de l’impôt foncier connues sous les noms d’έπιγραφή, d’είσφορά[150], et surtout les dons soi-disant volontaires offerts au roi, à titre de couronne et sous divers prétextes, par tous ceux qui bénéficiaient des faveurs royales, cultivateurs du domaine, clérouques, prêtres et fonctionnaires. Il faut dire que les hauts fonctionnaires prenaient leur revanche sur le dos des contribuables en se faisant allouer non seulement, comme on l’a vu, des frais de tournée, mais des couronnes recouvrables par les agents du fisc, et on se doute bien que les petits employés imitaient de leur mieux leurs supérieurs[151]. Tout retombait, en fin de compte, sur le fellah.

Le système des couronnes servait aussi à ménager l’amour-propre des dynastes et villes autonomes alliés de l’Égypte et à déguiser en dons volontaires le tribut qu’ils payaient à leur suzerain. On n’appelait tribut que les contributions fournies par les possessions coloniales administrées par des fonctionnaires égyptiens, comme Lesbos, la Thrace, la Lycie, probablement la Carie et Cilicie[152].

Une source de revenus proprement extraordinaires, quoique prévus, provenait de l’exercice de la juridiction pénale. Les amendes et confiscations ont dû fournir en tout temps, et surtout aux époques troublées par des discordes intérieures, un appoint notable aux recettes du Trésor. Les rébellions qui agitèrent le pays, depuis le règne de Philopator et durant plus d’un siècle, entraînèrent une série de proscriptions et de confiscations. On a vu comment Ptolémée Aulète et sa fille Cléopâtre firent naître, au besoin, des occasions d’exercer ces vengeances lucratives. Le roi rendait parfois, par décrets d’amnistie, les biens confisqués. L’inscription de Rosette fait valoir les mesures gracieuses prises en ce sens par Ptolémée Épiphane, remises d’arriérés d’impôts et restitution aux bannis de leurs biens propres. Philométor, et surtout Évergète II, lui qui avait si rudement écrasé ses adversaires et brisé toute opposition, se montrèrent assez prodigues de ces actes philanthropiques. Cependant, le roi avait parfois la rancune tenace. On voit Évergète II excepter de l’amnistie générale octroyée à la fin de son règne (118 a. C.) les gens de Panopolis, pour des méfaits qui n’étaient peut-être pas de date récente[153].

Les amendes édictées par décision administrative au profit du Trésor étaient distinctes des dommages-intérêts alloués à titre de pénalité aux personnes lésées. Lorsque l’État était lui-même la personne lésée, — ce qui, vu l’étendue de ses propriétés et monopoles, devait être assez fréquent, — il encaissait à la fois l’amende et les dommages-intérêts[154]. Si l’auteur du délit ou contravention était un de ses bénéficiers, il commençait par saisir et mettre sous séquestre le lot du délinquant. Un cultivateur royal, Horos fils de Connos, dénonçant au comogrammate de Kerkéosiris un vol de moutons sacrés confiés à sa garde, lui donne les noms des voleurs, qui sont des clérouques de Bérénicis Thesmophoros à 7 et 20 aroures, et il termine sa pétition en disant : Je demande que copie de la présente soit envoyée à qui de droit, afin que, après enquête sur les coupables, les animaux soient restitués et eux punis comme il convient, et, avant tout, que leurs lots soient mis en séquestre par le domaine royal[155]. Les lots ainsi saisis comme gages jusqu’au paiement des amendes pouvaient être définitivement confisqués, c’est-à-dire repris au possesseur actuel et transférés à un autre, qui avait alors à payer un στέφανος. Il est question dans plusieurs documents de ce genre de punition : par exemple, dans un rapport de l’an 118/7, où l’on voit que des lots de 7 aroures étaient séquestrés depuis trois ans en raison d’un incendie de récoltes imputé à leurs possesseurs[156]. Un autre document[157] contient une liste de κατόχιμοι κλήροι retirés depuis trois et quatre ans à leurs titulaires qui avaient commis divers délits, comme d’avoir détourné des moutons appartenant à la κεχωρισμένη πρόσοδος, ou, tout simplement, n’avaient pas versé au Trésor l’or coronaire.

La plupart de ces cas délictueux étant prévus par les règlements, il suffisait à l’administration de les constater pour être en droit d’infliger les amendes, souvent tarifées d’avance. Les règlements concernant les monopoles abondent en prévisions et tarifs de ce genre, soit pour l’amende simple, soit pour amende et dommages-intérêts[158].

Les papyrus nous renseignent d’un peu plus près sur les amendes et dommages-intérêts relevant de la juridiction civile. L’amende est bien ici une surtaxe prélevée par le fisc proportionnellement à l’indemnité convenue par arrangement à l’amiable entre les parties et prévue dans les contrats. Pour intéresser le roi à l’exécution des clauses y énoncées, les contractants ont soin de fixer d’avance le montant de la surtaxe ou amende en même temps que l’indemnité ; si bien que le tout est exigible même sans jugement et que, en cas de litige, les juges n’ont qu’à faire appliquer les conventions intervenues[159]. Le tarif de la surtaxe était fort élevé : d’après les textes dont nous disposons, il allait à 40 % du principal, et le roi exigeait le paiement en argent, tandis que l’έπίτιμον était payable en monnaie de cuivre[160]. On rencontre même telle obligation dont le signataire s’engage, en cas de retard dans la restitution d’un prêt, à verser au Trésor une somme égale à l’έπίτιμον. Il faut dire que l’acte date probablement du règne de Ptolémée Aulète[161].

Le bénéfice réalisé par le Trésor sur les justiciables n’était pas, tant s’en faut, une garantie de bonne et loyale jurisprudence.

 

 

 



[1] Dans une circulaire adressée à l’hypodiœcète Dorion, il est dit que tous les fonctionnaires doivent s’occuper des semailles, c’est-à-dire de la production de la matière imposable (Pap. Par., n. 63, lig. 10-11).

[2] Ils ne nous renseignent aucunement sur ce que nous appellerions la liste civile des rois, (voyez ci-après, ch. XXVI), les apanages, le domaine des reines, ce qui leur était attribué pour leurs dépenses particulières. Diodore (I, 52) dit seulement que le roi Mœris, un roi légendaire, avait donné à sa femme, pour ses parfums et sa toilette, les pêcheries du lac Mœris rapportant un talent par jour. Cf. les villages de Syrie, qui Παρυσάτιδος ήσαν είς ζύνην δεδομέναι (Xénophon, Anabase, I, 4, 9). Les rois de Perse avaient alloué aussi ταΐς γαμεταΐς είς ζώνας la ville d’Antylla près Alexandrie (Athénée, I, p. 33 f, d’après Hérodote, II, 98). Avec ou sans la règle de Dittenberger, on peut croire que les villes neuves devaient des στέφανοι à leurs éponymes.

[3] Cf. Lumbroso, ch. XVI, Des dépenses de l’État (pp. 275-283). On trouvera plus loin, à propos des adjudications de travaux publics, des banques et magasins royaux, quelques indications sur le mécanisme financier concernant les dépenses ; mais nous ne nous occuperons, en fait, que des recettes. Observons seulement que, — sauf exception, — le fisc égyptien ne semble pas avoir affecté des recettes spéciales à tel chapitre particulier des dépenses. Je considère comme une exception anormale le fait qu’en l’an II d’Évergète Ier (246/5 a. C.), au moment où la guerre de Syrie a pu jeter le désarroi dans les finances, l’administration décide que les travaux publics seront payés sur les recettes de l’huile (Pap. Par., III, n. 43, col. 1).

[4] Voyez ci-dessus, ch. XXIII, §§ II et III.

[5] Cf. Strabon, XVII, p. 798.

[6] Φορολογία dans Rev. Laws, col. 33 ; Mon. Rosett., lig. 12 : φόροι, expression courante. Les termes spéciaux abondent, mais aucun, pas même φόρος, n’a le sens à la fois général et exclusif d’impôt.

[7] La classification d’après les textes serait en σιτικαι et άργυρικαί πρόσοδοι (Mon. Rosett., lig. 11) ; mais, comme certains impôts peuvent être payés soit en nature, soit en argent, elle n’est même pas utilisable. Il en était déjà ainsi sous la domination des Perses, qui avaient introduit leur monnaie en Égypte (Hérodote, III, 91).

[8] Wilcken (Ostr., I, p. 196) trouve peu probable que les Ptolémées, avec le système des adjudications annuelles des fermes de l’impôt et l’aléa des récoltes, aient eu un budget arrêté à l’avance. Mais les bureaux du diœcète et de l’éclogiste devaient calculer approximativement les recettes probables et formuler en conséquence la moyenne des sommes à exiger pour chaque espèce d’impôt. Cf. la mention τής πραγματευθείσης σιτικής διαγραφής έπί Είρηναίου τοΰ έκλογιστοΰ (Tebt. Pap., n. 72, I. 448) — τής πεπραγματευμένς πρός Παρθένιον σιτικής διαγραφής (ibid., n. 61 b, 1.37). En somme, tous les impôts étaient des impôts de quotité, et les surcharges des impôts de répartition.

[9] Loi imitée par Solon (Hérodote, II, 177). Diodore (I, 77, 5) ajoute la déclaration par écrit (c’est-à-dire écrite sous la dictée du déclarant). D’après Révillout (Quirites, pp. 51 sqq.), Amasis établit le cens quinquennal, qui servit par surcroît à constituer l’état civil, à légaliser les mariages, etc. Mais ce recensement ne parait plus avoir été pratiqué depuis la réforme du droit opérée par les rois Égyptiens révoltés contre les Perses (Précis, p. 1061, 2). Les Hieratic Papyri from Kahun and Gurob, edited by F. L. Griffith, London, 1898, nous ont rendu des états de personnes ou déclarations (ouapîti) de la XIIe et XIIIe dynastie, comprenant toute la famille, femmes, enfants en bas âge, servantes et serfs, et indiquant les fonctionnaires devant qui la déclaration est faite. Cf. Maspero, Journal des Savants, 1897, pp. 16-23.

[10] Mahaffy, in BCH., XVIII [1894], p. 145 sqq. Cf. Wilcken, Ostr., I, pp. 436, 456-7, 823. Il est probable que la date an VII se rapporte au règne d’Évergète Ier et correspond ici au 23 janv. 240 a. C. Les noms sémitiques sont en majorité dans le groupe des γεωργοί μισθωτοί. En 1905, les Pap. Petr. (III, n. 59 a-d) ont fait connaître diverses listes de recensement dressées pour la perception de quelque taxe, listes sans date dont une (n. 59 d) enregistre les noms des habitants de six maisons. C’est peut-être, au jugement des éditeurs, le plus ancien exemple connu d’une κατ' οίκίαν άπογραφή. Cf. les άναγραφάς (terme impropre pour άπογραφάς) τών κατοικούντων à Alexandrie (Diodore, XVII, 52). On possède un certain nombre d’άπογραφαί κατ' οίκίαν de l’époque impériale (cf. BGU., n. 60, 115-118, 120, 126, 128-129, 138, 430), notamment le Pap. Reinach, n. 46, du 23 août 189, La déclarante, Stotoétis, de Soknopaiou Nésos, fait enregistrer sur place les personnes et les biens de la famille, en l’état de l’année précédente, année du recensement ; et le bulletin est transmis au bureau du basilicogrammate par le comogrammate, qui en garde copie. Autre bulletin de recensement, très mutilé ; de 215/6 p. C., avec serment d’Aurélie déclarante par la τύχη de l’empereur Caracalla (ibid., n. 49).

[11] Cf. Wilcken, Ostr., I, pp. 437-438. Archiv. f. Ppf., II, p. 392. On verra plus loin quelle incertitude règne sur le sens de λαογραφία, à l’époque ptolémaïque. Ce mot qui, de par l’étymologie, devrait signifier recensement de la population, désigne à l’époque romaine une capitation. Beloch (Bevölkerung, p. 255) admet l’existence de registres constatant les naissances et les décès. Wilcken se borne à constater qu’on n’en a pas la preuve. La preuve n’est faite que pour l’époque romaine ; par exemple, dans Fayûm Towns, n. 28 et 29 : déclaration de naissance (n. 28), de décès (n. 29, de l’an 31 p. C.). Il est évident que la famille royale, les corporations sacerdotales ou autres au service des temples, devaient tenir registre des naissances et décès. Dans le roman de Setna, la princesse Ahura fait inscrire son fils nouveau-né sur le registre de la double maison de vie. De même, en l’an XX de Cléopâtre unie à Ammon (33/2 a. C.), la naissance de Pséptah, fils du prophète Ptah Pséamen et de Nofrého (Révillout, Précis, p. 1065). On a un fragment d’un pareil registre tenu par les choachytes, du temps du roi Trupn (Tryphon), c’est-à-dire Évergète II, années 132-130 a. C. (Spiegelberg, Berl. dem. Pap., taf. 26, p. 12). A Rome et dans l’empire romain, il n’y eut pas de registres officiels des naissances avant Marc-Aurèle, qui, pour reconnaître la condition sociale des individus, primus jussit apud præfectos ærarii Saturni unumquemque civium natos liberos profileri infra tricesimum diem nomine imposito. Per provincial tabulariorum publicorum usum instituit, apud quos idem de originibus fieret (Capitolin, Ant. Phil., 9). Du reste, l’état civil chez nous ne sert pas au recensement, qui se fait par déclarations périodiques.

[12] L’héritier qui négligeait de faire la déclaration était déchu de son droit et condamné à une forte amende (Pap. Taur., I, p. 7). Voyez ci-après, § II.

[13] Pap. Brit. Mus., n. 50, in Kenyons Catal., I, p. 49. Cf. Révillout, Rev. Égyptol., III, pp. 186 sqq. Précis, p. 631, 1 (traduction). Wilcken, I, p. 487.

[14] Description de la maison de l’embaumeur Pétosiris, cour, entrée commune avec les voisins, le tout mesuré en πήχεις et orienté (Pap. Petr., II, n. 41, sans date). Déclarations de Pasis et de Pétéarmotis (Pap. Petr., III, n. 72, a-b, du règne d’Évergète Ier). Le déclarant emploie la formule : άπογράφομαι. Wilcken fait remarquer que, au temps des Romains, l’administration n’accepte plus d’estimation faite par le contribuable ; elle veut savoir seulement si les propriétés déclarées sont ou non hypothéquées. Contre les fraudes et dissimulations, l’État avait prévu des sanctions pénales, d’autant plus sévères que, après όρκος βασιλικόν, le parjure était un crime de lèse-majesté. Sur le contrôle des déclarations voyez Wilcken, I, pp. 470-477. A noter le droit pour enregistrement de l’όρκος. Un contribuable paie, par exemple, τήν πεντηκοστήν καί τό γράφιον τών όρκων (Dittenberger, OGIS., n. 46, 12). Sur les formules de serment royal, voyez ci-après, ch. XXVI.

[15] La déclaration susvisée de l’Hellénomemphite est enregistrée par un έπιμελητής : d’autres sont faites au basilicogrammate, à l’économe, au stratège (par un militaire : Pap. Petr., III, n. 72 d), ou même au τελώνιον. J’imagine que la plupart étaient faites aux κωμογραμματεΐς ou τοπογραμματεΐς, et transmises par eux aux bureaux du cadastre. Celle de Pétéarmotis (ci-dessus, note précédente) est adressée en double à l’économe et au topogrammate. Dans un papyrus de l’an 118 a. Chr. (Tebt. Pap., n. 12), le basilicogrammate mande le comogrammate Menchès χάριν τής εύθυμετρίας τής κώμης καί τοΰ σχοινισμοΰ. Il y a discussion sur le point de savoir si la révision du cadastre immobilier avait lieu tous les ans (Wilcken) ou, comme sous l’Empire, par périodes ou indictions de 14 ans (Rudorff, Marquardt, Gardthausen, Mitteis in Archiv. f. Ppf., I, p. 187). Il est infiniment probable que les Romains ont emprunté et non pas imposé à l’Égypte leur indiction, qui ne procédait pas d’habitudes romaines. Le déclarant Pétéarmotis dit bien : άπογράφομαι είς τό κε L : mais il s’agit d’un troupeau de moutons et non d’immeubles (Pap. Petr., III, n. 72 b, du 30 Tybi an XXV = 16 mars 222 a. C.). De plus, il semble qu’il y ait eu, après des époques de troubles, non plus révision, mais réfection du cadastre. L’an XII/I de Philométor et Évergète (170/169 a. C.), souvent invoqué comme point de repère, parait avoir été une année critique de cette espèce (Cf. Grenfell, in Tebt. Pap., n. 61 b, p. 218).

[16] Hérodote, II, 109. Cf. Diodore, I, 81, 2.

[17] Cf. Wilcken, Ostr., I, p. 480. Un papyrus de Turin nous a conservé un plan des mines d’or d’Éthiopie au temps de Séti Ier et de Ramsès II (Lepsius, Auswahl, pl. 22).

[18] Cf., pour Alexandrie, les άναγραφαί τών κατοικούντων (Diodore, XVII, 52). Sur la statistique des personnes, voyez W. Levison, Die Beurkundung des Civilstandes in Altertum, Bonn, 1898, pp. 68-82. Wilcken, Ostr., I, p. 452 sqq. Sur l’enregistrement des contrats, voyez ci-après, ch. XXVIII.

[19] Cf. Wilcken, I, p. 210, 1. F. Mayence et S. de Ricci, Pap. Bruxell., I (in Musée Belge, VII, 2 [1904], pp. 101-117, de l’époque impériale). Wilcken se demande si les σφραγΐδες ne seraient pas des catégories de terrains taxés au même tarif. Ces terrains pouvaient former des surfaces continues de même niveau, la fertilité dépendant, en Égypte, du niveau qui les faisait participer plus ou moins aux bienfaits de l’inondation annuelle.

[20] Je ne vois pas pourquoi J. C. Naber (in Archiv. f. Ppf., I, p. 322), après avoir mentionné les registres du comogrammate, semble contester qu’il y eût un tertium exemplar chez le basilicogrammate.

[21] Voyez sur ces questions épineuses les opinions quelque peu divergentes de Wilcken, Άπογραφαί (in Hermes, XXVIII [1893], p. 230 sqq. Ostr., I, pp. 456 sqq.), et de L. Mitteis (in Hermes, XXX [1895], pp. 592-605. XXXIV [1899], pp. 91-98. Archiv. f. Ppf., I [1901], pp. 183-199). La discussion porte principalement sur les documents de l’époque impériale et dépasse ainsi notre sujet. Il y avait au chef-lieu de chaque nome, sous l’Empire, une βιβλιοθήκη έγκτήσεων, tenue par des βιβλιοφύλακες, qui était à la fois cadastre, bureau d’enregistrement et des hypothèques pour les propriétés immobilières, et des succursales de la bibliothèque dans les principales localités. Wilcken tient pour la révision annuelle, et Mitteis soutient la thèse opposée, en ce qui concerne le cadastre des immeubles.

[22] Cf. Grenfell, in Tebt. Pap., n. 61 b, l. 195 ; 72, l. 111.

[23] Pap. Amherst, II, 30. Cf. L. Wenger, in Archiv. f. Ppf., II, pp. 43-44. La date est, en gros, du IIe siècle a. Chr.

[24] Voyez Pap. Petr., II, n. 29, b-d. III, n. 104-106 (début du règne de Ptolémée III). Il s’agit de lots confisqués et de substitution des γεωργοί aux bénéficiers.

[25] L’arpentage des récoltes sur pied est dit κατά φύλλον γεωμετρία (Tebt. Pap., n. 38, 3. 61 b, 5, 24. 75, 5). Taxe de 168 dr. pour καινή μέτρησις (Pap. Petr., II, n. 28, col. 1).

[26] Wilcken (I, pp. 194-215) propose comme nom générique de l’impôt foncier ή έπιγραφή, et comme espèces les taxes ύπέρ τόπου, ύπέρ άμπελώνων, ύπέρ φοινικώνων. Grenfell (in Tebt. Pap., pp. 38-40), se fondant sur les nouveaux documents, rejette l’opinion de Wilcken, et, restituant à γραφή le sens étymologique d’impôt supplémentaire, estime que le nom générique de l’impôt foncier, payé d’ordinaire en nature, serait plutôt ή άρταβιεία ou τά όρταβίεια. Nous avons dit et répéterons encore plus loin que, dans le papyrus 63 du Louvre, έπιγραφή a bien nettement le sens de surcharge ou corvée. Il n’y a pas non plus de termes distincts pour désigner le Domaine royal en biens-fonds, d’une part, et le Trésor ou caisse centrale, d’autre part : τό βασιλικόν comprend les deux et encore l’État, au sens moderne du mot. βασιλικός θησαυρός s’applique aussi bien et mieux aux magasins destinés à recevoir les contributions en nature — par opposition à βασιλική τράπεζα — qu’au Trésor central. Tous les impôts sont βασιλικαί πρόσοδοι, et tous les fonctionnaires sont si οί τά βασιλικά πραγματευόμενοι, encore que l’expression s’applique plus spécialement aux agents des finances.

[27] Les locataires de ces terrains s’engageaient sur le bail à irriguer le sol, soit par leurs propres moyens, soit en payant une taxe à des entrepreneurs.

[28] Cf. Wilcken, Ostr., I, p. 209.

[29] Tebt. Pap., n. 36 ; 61 b, lig. 319 ; 93 etc. : Grenfell, ad loc. cit., pp. 227-8, 413. L’emploi de diverses artabes, à 36 et à 40 chœnices, donne lieu à des difficultés, qui jadis ont pu se traduire par des exactions. Les γεωργοί avaient encore à payer, tout comme les clérouques, d’autres taxes qui n’étaient proportionnelles ni à la surface, ni au revenu de leur culture, comme l’άλοητόν pour l’usage des aires à battre (Tebt. Pap., n. 48, 17. 105, 23) ; un κοσκινευτικόν (Tebt. Pap., n. 61, 72, 92) pour criblage dans les magasins royaux ; le θησαυροφυλακικόν, pour l’entretien des magasins ; le γραμματικόν pour les bureaux ; la γεωμετρία pour l’arpentage annuel, et même le στέφανος ou pourboire de prise de possession (voyez Tebt. Pap., n. 93-95), appelé aussi, ce semble, et peut-être exclusivement sur le domaine royal, droit d’entrée (Wilcken, I, pp. 190-191). Enfin, les βασιλικοί γεωργοί pouvaient être grevés de redevances spéciales, comme ceux de Kerkéosiris, qui payaient 5 artabes de blé au cimetière des crocodiles pour les sacrifices, l’allumage des lampes et l’huile de cèdre, sans préjudice des jours de service gratuit au susdit sanctuaire (Tebt. Pap., n. 88, an. 115/4 a. C.).

[30] Wilcken, I, pp. 191-192. Smyly, in Pap. Petr., III, p. 274. Cf. la scriptura romaine.

[31] La Pierre de Rosette (lig. 30-31) relate l’exemption accordée par Épiphane de la taxe de 1 artabe par aroure de terre sacrée, et de 1 kéramion de vin par aroure de vignoble sacerdotal. Wilcken (pp. 758-762) avait cru pouvoir identifier le κεράμιον avec le μετρητής όκταχοΰς (26 lit. 26) ; mais on rencontre dans un document nouveau (Pap. Petr., III, n. 70) des κεράμια de contenance variable (de 5 à 8 χοΰς) et un métrète de 6 χοΰς, moitié du métrète ordinaire. C’est, comme pour l’artabe et pour les monnaies, l’anarchie métrologique.

[32] Cf. Wilcken, I, pp. 207. 210. Les fractions vont jusqu’au ¼ de chœnice ou 1/114 d’artabe. Les comptes des Tebt. Pap., offrent des sommes de fractions bizarres, par ex. 39/48 et 41/96 d’artabe. Sur le calcul des fractions dans l’arithmétique égyptienne, qui opère toujours par addition de fractions ayant pour numérateur invariable l’unité, voyez Fr. Hultsch, Die Elemente der Ægyptischen Theilungsrschnung (Abh. d. Sachs. Ges., XVII, 1 [1897], pp. 1-192).

[33] Tebt. Pap., n. 105, lig. 48-50 : contrat du 10 nov. 103 a. C.

[34] Du temps d’Amasis, c’était contractuellement qu’on décidait si les impôts devaient être payés par le quasi-propriétaire, par le locataire ou par les deux (Révillout, Précis, p. 1288).

[35] Pap. Petr., II, n. 44, lig. 9. Il n’est pas évident, comme le reconnaît Wilcken (p. 207), qu’il s’agisse de l’impôt foncier, et non du fermage. Peut-être la somme de 40 dr. comprend-elle le fermage et l’impôt foncier, dont le propriétaire était responsable. Les taux mentionnés par Wilcken (de 20 à 180 dr. par aroure pour les palmeraies, de 20 à 350 dr. pour les vignobles, de 20 à 75 dr. pour cultures diverses) datent de l’époque romaine, et l’énorme écart signalé entre les taux pour palmeraies et vignobles s’explique par la qualité des crûs. Il semble, du reste, que le montant des taxes, soit à établir, soit à recouvrer, pouvait être débattu à l’amiable. Un certain Thoteus écrit à Apollonios : J’offre (ύφίσταμαι) de ma palmeraiepour l’an XXVI (222/1 a. C ?) — en cuivre πρός άργύριον, 600 dr. (Pap. Par., III, n. 68 b. Cf. n. 69 a).

[36] Pap. Petr., II, n. 13, col. 17 (à verser τώ πράκτορι πρός τά άμπελικά de l’an XXX de Philadelphe) ; 28 (p. 97) ; 29 a ; 43 a (longue liste de contribuables, sous la rubrique ΦΟΡΟΣ ΑΜΠΕΛΩΝΩΝ). La seconde colonne (43 b), intitulée ΕΚΤΗΣ ΚΑΙ ΔΕΚΑΤΕΣ, a été attribuée ci-dessus (p. 251, 1) à l’άπόμοιρα, soit à plein tarif, soit réduite au 1/10. Le Pap. Petr., II, n. 27, col. 1, a trait à l’έκτη, en nature pour les vignes, en argent pour άκροδρύων καί στεφάνων. Cf. Wilcken, I, p. 135. Sur l’impôt foncier ύπέρ φοινικώνων, voyez Wilcken, I, pp. 313-319.

[37] Ps. Aristote, Œcon., 2, 2, 25. D’après Polyen (III, 11, 5), Takhos, conseillé par Chabrias, aurait pris tout l’or et l’argent que possédaient les gens aisés, à titre d’avance ou d’emprunt forcé, qui fut remboursé par la suite. Évidemment, il voulait convertir ces métaux en monnaie ou les troquer contre des espèces métalliques pour payer ses mercenaires. En tout cas, les nouveaux impôts devaient être transitoires : ils devinrent définitifs. Nous avons encore des quittances (de l’époque romaine) πλοίων άλιευτικών (Wilcken, I, p. 391).

[38] Pap. Petr., II, n. 11, col. 2. Cf. Wilcken, I, p. 363. Le terme ένοίκιον signifie loyer, et on ne le rencontre avec le sens de taxe sur les loyers que sous l’Empire : il est alors réservé pour les maisons proprement dites, la taxe sur les dépendances étant cotée à part, comme taxe (ύπέρ) προσόδων οίκοπέδων (Wilcken, I, pp. 192, 365, 390). Le produit de l’impôt sur les maisons est mentionné dans la stèle de Pithom (lig. 26) comme ayant été donné au temple par Philadelphe.

[39] Pap. Petr., II, n. 39 e, p. 129. Les chevaux, je suppose, comme bêtes de trait, les bœufs pour le labour.

[40] Cf. Wilcken, I, p. 352. Le δίπλωμα όνων, ou permis de circulation sur les routes pour les ânes (Wilcken, I, p. 360-1), peut être d’invention romaine, comme l’impôt sur les chameaux, πιττάκιον ou σύμβολον καμήλων (pp. 350, 395) et le tarif d’escorte sur la route de Koptos à Bérénice (pp. 347-351). Cf. ci-après, § II.

[41] Cf. Wilcken, I, pp. 219-220. L’unique référence est Ostr., n. 1028 (de Thèbes), quittance de l’époque ptolémaïque.

[42] Wilcken, I, p. 286 : époque romaine.

[43] Wilcken, I, p. 279 : quittance du IIe siècle a. C.

[44] Wilcken, I, p. 279 : époque ptolémaïque et romaine.

[45] Petr. Pap., II, n. 39 b-c. Wilcken (I, p. 304) éprouve quelque scrupule à appeler σωματικόν l’impôt sur les esclaves, parce qu’une quittance ύπέρ σωματικών est délivrée par des λαογράφοι ou recenseurs de la population ; que la capitation introduite comme tribut de guerre, à titre exceptionnel et provisoire, par Takhos était perçue άπό τοϋ σώματος (p. 248), et que les mots σωματίζειν, σωματισμός, ne semblent pas se rapporter nécessairement aux déclarations de possesseurs d’esclaves (p. 465, 2) : mais il n’est pas douteux qu’il y ait eu un impôt sur les esclaves et que ceux-ci aient été qualifiés σώματα. Wilcken (I, pp. 230-249) a démontré que les documents alors connus, concernant l’impôt de recensement ou capitation à taux variable suivant les régions, impôt levé sur toute la plèbe égyptienne des deux sexes, dataient de l’époque romaine : mais il reconnaissait que les Ptolémées, pratiquant le recensement, pouvaient bien avoir aussi établi la capitation, et que les documents nouveaux nous renseigneraient peut-être sur ce point. Les Oxyr. Pap. (II, pp. 207-214) n’ont fait que confirmer son opinion ; mais les Tebt. Pap., parmi lesquels trois (n. 103, 121, 189) mentionnent la λαογραφία, fournissent un nouvel aliment au débat (cf. Grenfell-Hunt, ibid., pp. 445-448). Ils ne suffisent pas cependant pour le trancher. La λαογραφία ptolémaïque, payée en forme de σύνταξις (n. 103) et versée τοΐς παρά τοΰ στρατηγοΰ έληλυθόσι χάριν λαογραφίας, parait être une a cotisation imposée pour couvrir les frais de recensement, et non pas une capitation générale et permanente. Cf. la taxe (capitation ou λαογραφίας) dont sont exempts les ίερά έθνη (Pap. Petr., III, n. 59 b). Smyly opine pour la capitation (poll-tax).

[46] Inscr. Rosett., lig. 16.

[47] Voyez Wilcken, Ostr., I, pp. 397-8. Cf. pp. 65-66. Archiv. f. Ppf., II, p. 13. Il y eut là, je suppose, influence des mœurs grecques. Cf. H. Herbrecht, De sacerdotii apud Græcos emptione et venditione. Argentorati, 1885. E. F. Bischof, Kauf und Verkauf von Priestertümer bei den Griechen (Rhein. Mus., LIV [1899], pp. 9-17). Depuis, les Tebt. Pap. ont fourni un certain nombre de textes concernant la vente des offices dans les temples (voyez n. 5, lig. 80-82) et les émoluments des prêtres chargés des ίβίων τροφαΐς καί ίερακείοις (n. 5, lig. 69-70), les ίβιοταφεΐς et κροκοδιλοταφεΐα (Voyez l’Index VII b). Le gouvernement se réservait le droit, en cas de pénurie du Trésor, de prélever une part de ces καρπεΐαί (Grenfell, in Tebt. Pap., p. 41).

[48] Wilcken, Ostr., I, p. 185. Archiv. f. Ppf., III, p. 238. W. Otto, p. 245.

[49] Wilcken, ibid., pp. 65-6. Tebt. Pap., Index VII b-c.

[50] Tebt. Pap., n. 5, lig. 62 sqq. Pour l’époque romaine, voyez les textes cités par W. Otto, p. 238 (BGU., n. 337. 471, etc.).

[51] La taxe ύπέρ λεσωνείας n’est attestée que pour l’époque romaine (BGU., n. 337, lig. 17) ; mais on sait que le T. de Soknopaios avait déjà un λεσώνις au temps des Lagides, et on peut conclure d’une époque à l’autre. Il y a discussion sur la nature de ces taxes. D’après Wilcken (Ostr., I, p. 366), dont l’opinion est adoptée par Grenfell-Hunt, ce sont des sommes prélevées par l’État sur les prêtres pour faire un traitement à leur président. W. Otto (pp. 238-240) estime que, par les taxes susdites, les prêtres achetaient le droit de nommer eux-mêmes leur président. On ne voit pas, en effet, pourquoi le lise se serait chargé de servir un traitement, comme intermédiaire officieux. Le plus simple serait de considérer ces taxes comme le prix de l’investiture, un τελεστικόν de grand-prêtre : mais il parait bien que les sommes ainsi désignées ont été payées par la corporation, et non par le titulaire, et il y a lieu de rechercher pourquoi la communauté les prend à sa charge.

[52] Wilcken, Ostr., I, p. 377. Taxe de 20 dr. 3 ob. sur une victime, dans un papyrus du me siècle e. C. (Mahaffy in Petr. Pap., II, p. 37 d. III, n. 112 a, col. II). Sous l’Empire, on rencontre une quittance ύπέρ σφρ(αγισμοΰ) μόσχων θυομένων. Le rituel exigeant des victimes sans tare, celles-ci devaient être examinées et marquées du sceau après examen (Hérodote, Il, 38. Plutarque, Is. et Osir., 31. Clément Alex., Stromates, VI, 36, p. 758). Cf. le rapport d’un ίαιρομοσχοσφραγιστής dans Pap. Grenf., II, n. 64 et BGU., n. 250, l. 4. Le vétérinaire sacerdotal payait alors un droit qui était peut-être compté dans l’ίερεΐον au temps des Ptolémées (Wilcken, I, pp. 395-6).

[53] Wilcken, I, pp. 352-3. La preuve n’est faite que sous l’Empire ; mais il est question, dans un document de l’an 241 a. C. (Pap. Petr., II, n. 12[1]), de βωμοί que certains propriétaires ont adossés à leur maison pour s’affranchir de l’obligation de loger des soldats. C’est sans doute ce privilège des autels — ou tel autre analogue — que l’État faisait payer. Quant au θεωρικόν ou contribution pour les fêtes, dont les 2/3 auraient été payés par le clergé (Wilcken, I, pp. 373-4), il me semble que c’était plutôt le prix de la tolérance romaine qu’une taxe imaginée au temps où les Lagides multipliaient hommages et subventions à la religion nationale. Le clergé contribuait aussi aux dépenses de police, particulièrement nécessaire, comme on l’a vu, dans les grands temples (Pap. Petr., III, n. 109 a, col. IV ; 112 a, col. I).

[54] Voyez la démonstration de Wilcken (I, pp. 321-333), que rien n’est venu infirmer depuis. La taxe analogue établie, à titre d’expédient transitoire, par le roi était, au contraire, un impôt fixé à 1/10 du revenu. Liste des professions dans Lumbroso (p. 104) et, beaucoup plus complète (179 espèces), dans Wilcken (pp. 688-695). Wessely (Karanis, pp. 26-28) a dressé la liste des artisans de Soknopaiou Nésos et Karanis (une quarantaine de métiers) à l’époque romaine. Les prostituées n’y figurent pas ; mais il est plus que probable que l’έταιρικόν ou πορνικόν τέλος existait en Égypte, comme à Athènes et à Syracuse, avant l’époque romaine, et que Caligula l’importa de l’Égypte à Rome (Suétone, Gaius, 40). La taxe était, suivant une coutume attestée ailleurs, quantum quæque uno concubitu mereret (cf. Wilcken, I, p. 217). Alexandre Sévère lenonum vectigal et meretricum et exsoletorum in sacrum ærarium inferri vetuit (Lampride, Al. Sev., 24). Cf. Ch. Lécrivain, L’origine de l'impôt dit lustratis collatio ou chrysargyre (Mél. Boissier, pp. 331-334). En tout cas, les άφροδίσια ou revenus des prostitutions sacrées faisaient partie des revenus des temples. C’était un monopole que reconnaît et protège un édit d’Évergète II.

[55] Strabon, XVII, p. 787.

[56] Le tarif le plus élevé est celui des parfumeurs, qui paient 720 dr. par an. L’État participait encore à leurs bénéfices en leur vendant les matières premières monopolisées. Les teinturiers sont taxés à 288 dr. et les fripiers à 144 dr. ; mais il s’agit de drachmes du temps de Dioclétien.

[57] Cf. γραμματεύς γεωργών (Fayûm Towns, n. 18 a, lig. 1) ; et τών κατοίκων ίππέων (Tebt. Pap., n. 32, lig. 15-16. Strack, n. 105) ; φυλακών (Fayûm Towns, n. 42 a, lig. 115), etc.

[58] Sur les κοινωνικά, cf. Tebt. Pap., n. 5, lig. 59. Grenfell, ad loc., p. 38. Ce n’en est pas moins au roi que l’impôt est payé pour tant d’artabes de blé (Tebt. Pap., n. 119, lig. 11-12. Cf. n. 100, lig. 11).

[59] Tebt. Pap., n. 93, lig. 3. 8. 13, etc. Ce document est une liste de contribuables, cultivateurs royaux, et à chaque nom reviennent les mêmes taxes. Cf. Index X.

[60] Tebt. Pap., n. 61 b, lig. 317 : taxe payable après la récolte. Les contribuables sont encore les flaatltxol yeberot. Ce document (61 a et 61 b), qui comprend 670 lignes (le plus long papyrus connu, après le papyrus des Revenus), est un rapport dressé dans les bureaux du comogrammate Menchès sur l’exploitation agricole de Kerkéosiris en l’an 118/7 a. C. De même, le n. 93 (vers 112 a. C.).

[61] Le γραμματικόν est souvent mentionné, mais non défini dans les Tebt. Pap. (cf. Index X, et Grenfell, ad n. 61 b, lig. 342-5, p. 230). L’impôt est payé en nature par des clérouques (ci-dessus, p. 169). Peut-être est-ce la taxe qui s'appelle γραφείου sous l’Empire (Wilcken, I, p. 353).

[62] Pap. Petr., II, p. 36 et n. 39 e. III, n. 110 b. 111. Cf. Diodore, I, 82, Hérodote, II, 84. Wilcken, I, pp. 375-377. Le tarif ci-dessus n’est attesté que pour les colons militaires. Le συνηγορικόν ou abonnement à l’assistance judiciaire n’était sans doute payé que par la clientèle des tribunaux (Wilcken, I, p. 302).

[63] Wilcken, I, p. 402. Pap. Petr., III, n. 32, 54, 70, 108, 109, 112.

[64] Wilcken, I, pp. 292-3. Cf., sous l’Empire, des taxes κυνηγετικών δοράτν et κυνηγίδων pour la chasse à l’hippopotame (?), et ύπέρ ποταμοφυλακίδων (Wilcken, I, pp. 228-230, 282-385).

[65] Wilcken, I, p. 131 (époque romaine).

[66] Wilcken, I, p. 394 (époque romaine).

[67] Wilcken, I, pp. 269-270 : Ostr., n. 711, du IIIe siècle a. C.

[68] Cf. Tebt. Pap., un. 121, 122, 179, 180, 182, 253. Grenfell, ibid., p. 50.

[69] Pap. Grenfell, II, n. 14 b. Lettre du 4 Choiak an XXII (d’Évergète = 20 janv. 225 a. C.), reçue le 7 Choiak par le destinataire. Faut-il traduire (à rebours) λευκομετώπους par culs-blancs ou bécassines ?

[70] Pap. Petr., II, n. 10, 1. III, n. 32 a (IIIe siècle a. Chr.).

[71] Tebt. Pap., n. 33, du 17 Méchir an V (5 mars 112 a. C.). Cf. P. Foucart, Un sénateur romain en Égypte sous le règne de Ptolémée X (Mél. Boissier [Paris, 1903], pp. 197-207). C’est à propos d’une visite du roi Saïtapharnès à Olbia et des δώρα τής παρόδου par lui réclamés (CIG., 2058) que nous connaissons le nom, devenu si célèbre depuis, de ce potentat.

[72] Pap. Petr., II, n. 13, col. 18 a.

[73] Wilcken, Ostr., I, p. 276. 11, n. 1481 (de Thèbes, en date du 16 Payni an X, probablement de la reine mère Cléopâtre = 1er juillet 107 a. C.). Vers 113 a. C., le bourg de Kerkéosiris est taxé à 80 artabes de blé en supplément πρός τήν τοΰ βασιλέως παρουσίαν (Tebt. Pap., n. 48 : cf. n. 116, l. 57).

[74] Tebt. Pap., n. 179 (fin du IIe siècle a. Chr.).

[75] Tebt. Pap., n. 480 (an XXII de Ptolémée XI ou XIII). Dans les villages, ce sont les autorités locales, le comarque et les πρεσβύτεροι, qui recueillent ces dons soi-disant volontaires. Ils recevaient parfois des horions (cf. Tebt. Pap., n.48).

[76] Je ne parle pas ici des cantonnements à demeure, imposés aux propriétaires de maisons, dont il sera question plus loin, au chap. XXVII.

[77] CIG., n. 4896. Strack, n. 103. Dittenberger, OGIS., n. 137-139.

[78] Tebt. Pap., n. 5, de l’an 118 a. Chr. Ce document, largement et savamment commenté par les éditeurs, ne compte pas moins de 264 lignes en 10 colonnes, plus quelques fragments. Cf. l’édit antérieur (de 140/39 a. Chr.), rendu sur la plainte des prêtres d’un temple inconnu (Tebt. Pap., n. 6).

[79] Les apologies tentées par Mahaffy (Empire, pp. 385 sqq.) et Grenfell (Tebt. Pap., pp. 20 et 554) ne m’ont pas décidé à récuser, en invoquant les φιλάνθρωπα, tous les témoignages (from Polybius to Mr. Révillout !) relatifs aux forfaits d’Évergète II. Elles ont rendu Niese (III, p. 266, 4) fort perplexe en ce qui concerne le meurtre d’Eupator, à propos duquel Laqueur (Quæst. epigr. et papyrol., p. 52) réfute le principal argument de Grenfell, tiré de la place d’Eupator dans le protocole. La psychologie n’exige pas que les hommes, les despotes surtout, soient tout d’une pièce. Constantin ne passe pas pour un monstre : il n’en a pas moins mis à mort son fils Crispus et sa femme Fausta. Ses fils ont fait disparaître leurs oncles et n’ont épargné qu’à regret leurs cousins, Gallus et Julien.

[80] Il n’y a pas de nom propre pour la corvée en général, qui rentre dans la catégorie des λειτουργίαι (Pap. Par., n. 66, col. 1, lig. 15), mais seulement des noms particuliers pour chaque espèce de travail. Cf. Révillout, Documents relatifs aux travaux publics, dans les Mélanges, pp. 370-395.

[81] Hérodote, II, 124-128, 158. C’est encore la corvée obligatoire qui, il y a un demi-siècle, a fourni la main-d’œuvre au percement de l’isthme de Suez.

[82] Évergète II défend aux stratèges et à tous fonctionnaires, entre autres exactions, de έλκεΐν τινάς τών κατοικούντων έν τήι χώρα εΐς λειτουργίας ίδίας (Tebt. Pap., n. 5, lig. 178 sqq.).

[83] Wilcken, I, pp. 180-181 (époque impériale).

[84] Wilcken, I, pp. 333-342. Fayûm Towns, n. 42, 77, etc. Pap. Reinach, n. 45 (documents d’époque impériale, sauf Ostr., n. 1021, de Tybi an IV d’un règne anonyme). On rencontre encore un διάχωμα, de sens inconnu, mentionné à côté (et, par conséquent, distinct) du χωματικόν (Smyly, in Pap. Petr., III, p. 277).

[85] Wilcken, I, pp. 259-263. Pap. Reinach, n. 57 (ép. rom.). Le mot ναύβιον s’est rencontré pour la première fois dans le Pap. Par., n. 66, et il reste énigmatique comme sens et comme étymologie. On y a vu une fraction du talent (Brunet de Presle) ou une somme quelconque (Mahaffy). Révillout (Mélanges, p. 370-395) affirme que ναύβιον est la solde quotidienne ou ration allouée en nature aux corvéables et prélevée peut-être sur des réserves de blé appelées άωίλια (p. 386). Wilcken avait pris d’abord ναύβιον pour une transcription de l’égyptien nbt (corbeille ou coffre à transporter les gravats) ; mais les comptes donnent des fractions de ναύβια, et il se peut que le démotique nbt soit une transcription de ναύβιον. On rencontre des textes qui taxent au même prix (4 dr. pour 60) les ναύβια et les άωίλια ou λώια (cf. Pap. Petr., II, n. 4 (11), ceux-ci étant des volumes mesurés en trois dimensions par les géomètres. De là la conclusion à laquelle s’arrête Wilcken, à savoir que ναύβια et λώια sont synonymes. Les Tebt. Pap., n. 5, 15. 76, 8. 119, 52, mentionnent simplement τό ναύβιον comme taxe, sans le définir. La question a été reprise et résolue d’une façon plausible par Smyly, On the meaning of Naubia and Aoilia (in Pap. Petr., III, Appendix, pp. 339-347). Il conclut que le ναύβιον représente un volume défini de remblais (of material built up), peut-être un cube de 3 coudées de côté, soit 27 coudées cubiques. Les άωίλια seraient aussi des volumes, mais de déblais, curages, excavations, dont le prix variait considérablement, de 40 à 75 pour un salaire de 4 dr., l'άωίλιον étant un cube de 2 coudées (coudée royale à 7 palmes = 0m,525) de côté. L’objection que me suggère un compte d’époque romaine, où on lit que des travaux d’άνασκαφή ont été mesurés en ναύβια (Pap. Reinach. n. 52 bis), se tourne en confirmation si άνασκαφή est ici l’antithèse de κατασκαφή. Dans les travaux payés (et non corvées), le prix est en général de 4 dr. pour 60 ναύβια, et le travail moyen, de 2 1/2 va46ta, correspondant à un salaire de 1 ob. par tête et par jour.

[86] Pap. Petr., I, n. 22-23.111, n. 37 a (an XXVIII de Philadelphe, 258/7 a. C.). Révillout, Mél., pp. 376-381. Dans le Pap. Par., n. 66 (P. Petr., III, pp. 340343), les travaux faits pour l’habitation du stratège ont demandé 1.200 ναύβια. Ce document, d’époque incertaine (romaine ou fin de l’époque ptolémaïque), est adressé à l’économe de Péri-Thèbes. C’est un compte de travaux et dépenses pour canaux, digues, écluses et terrassements divers. Sur la surveillance des digues par les χωματοφύλακες et les travaux d’entretien dirigés par les ingénieurs, les plus anciens documents sont les Petr. Pap., II, n. 4 (11) et 6, du temps de Philadelphe.

[87] La taxe ύπέρ χωματικοΰ parait avoir été sous l’Empire (I et II s. p. Chr.), de 6 dr. 4 ob. par tête, sans distinction de riverains ou non, propriétaires ou non (Wilcken, Ostr., I, p. 335). En revanche, il semble que le ναύβιον de l’époque ptolémaïque ait été proportionnel au nombre d’aroures possédées par le contribuable (Tebt. Pap., n. 76), peut-être à partir d’un minimum de 30 ναύβια ou 2 dr. par tête (Pap. Par., n. 66).

[88] Publié par Nicolas Schow à Rome en 1788 (Charta papyracea græce scripta Mus. Borg. Velitr. : cf. les leçons de Wilcken, I, p. 339-340).

[89] En 191 p. Chr., Méchir correspondait — s’il s’agit de l’année vague — au mois de décembre, et, s’il s’agit de l’année fixe, au mois de février, qui est bien l’époque des semailles pour les céréales. Wilcken (I, p. 342) fait observer que la taxe de 6 dr. 4 obol. représente assez bien les cinq jours de travail dont elle dispensait, au taux de 1 dr. 2 ob. par jour. Cf. les certificats délivrés aux corvéables qui ont accompli leur tâche de cinq jours (Fayûm Towns, n. 79. Goodspeed, n. 25 : 161 p. Chr.). Estimation de travaux pour διώρυγς et περιχώματα, dimensions en σχοίνια et cubage en άωίλια, dans Pap. Petr., II, n. 36. III, n. 45. Sur les travaux publics et spécialement l’entretien des canaux, la manœuvre des vannes, les transports de matériaux, les adjudications aux entrepreneurs, les différends avec les ouvriers, les grèves, on trouve des indications intéressantes, encore qu’énigmatiques à cause de la mutilation des textes, dans la correspondance de l’ingénieur Cléon, contemporain de Ptolémée Philadelphe, et de son successeur ou auxiliaire Théodore (Petr. Pap., II, n. 4, 5, 6, 9, 13, 14, 15, 42 b-c), en tout, une cinquantaine de fragments. Ordres et rapports concernant l’irrigation (ibid., n. 37), sept pièces provenant peut-être du même bureau. Ces textes ont été groupés, révisés et augmentés de fragments inédits, dans les Pap. Petr., III, pp. 78144 : n. 37-42 A-G (Public Works) ; 42 H (Corresp. of Cleon) ; 43 (The Affairs of Theodoros) ; 44-45 (Irrigation) ; 46-49 (Bricks, Stone-cutters, Carpenters). Il est à désirer qu’ils soient mis en œuvre dans une monographie, à laquelle on joindrait la nomenclature des canaux connus à l’époque ptolémaïque (Pap. Par., n. 66. BGU., n. 993, etc.). Sur les χωματικά έργα de l’époque romaine, entre 49 et 197 p. Chr. au Fayoum, voyez Wessely, Karanis und Soknopaiou Nesos (in Denkschr. d. Wien. Akad., 1902, pp. 7-10).

[90] Wessely, Karanis, p. 10. L’inondation commence en juin et le reflux en novembre, Payni et Athyr de l’année fixe.

[91] Cf. Wilcken, I, p. 338, d’après l’expression έπ' άγαθώ Σοκνοπαίου, qui figure sur plusieurs quittances de Soknopaiou Nésos.

[92] Pap. Par., II, n. 4 (11) ; cf. Smyly, in Pap. Petr., III, p. 274.

[93] Il est possible que l’État ait affermé les entreprises d’irrigation artificielle (compagnies de τελώναι, suivant Révillout, Précis, p. 1283) et créé ainsi un impôt qui retombait par incidence sur les cultivateurs de γή άβροχος.

[94] Pap. Par., n. 63. Le papyrus contient, sur 7 colonnes (213 lignes), — défalcation faite de la suite, où ont été copiés d’autres documents : — 1° Lettre d’envoi d’Hérode à Théon, épimélète de la partie basse du nome Salle, datée du 24 Mésoré an VI (21 sept. 164 a. C.) ; 2° Copie de la circulaire adressée à l’hypodiœcète Horion (l. 20-192), sans date ; 3° Réprimande à Théon, en date du 20 Thoth an VII (22 oct. 164 a. C.). Cf. la traduction de Lumbroso, Papiro 63° del Louvre (Atti d. R. Accad. di Torino, 12 déc. 1869, pp. 207-224), les retouches au texte de la circulaire et traduction de Révillout (Mélanges, pp. 253-264. Précis, pp. 648-653), et la publication nouvelle du texte avec traduction — et un peu trop de polémique — par Mahaffy, dans Pap. Par., III, pp. 15-14. L’hypothèse de Letronne, qui rapportait le document à l’an VI de Ptolémée Soter II (112/1 a. C.), a été définitivement réfutée par Brunet de Presle (Pap. Par., pp. 32-42). Les souverains sont bien les trois Philométors. Pourtant, les dates ans VI et VII posent une question litigieuse, non plus de chronologie, mais de droit monarchique. On me permettra d’insérer ici les explications que j’ai eu tort de supprimer plus haut. Nous savons que, une fois l’association dissoute, Philométor compta ses années de règne à partir de son avènement, c’est-à-dire, du 1er Thoth an I (7 oct. 181 a. C.), et que Évergète II lui succédant compta les siens à partir de l’association, officiellement 1er Thoth an XII de Philométor (5 oct. 170 a. C.), son règne autonome commençant en l’an XXV de son règne fictif (29 sept. 146 a. C.). Le débat porte sur la période de règne commun. Il s’agit de savoir si, durant l’association, les deux frères eurent un comput commun, l’aîné adoptant en fait celui du cadet. Pour cette période, nous n’avons pas de documents datés en partie double, comme sous Soter 11 et Alexandre. Par contre, nous possédons, outre ceux du Pap. Par., n. 63, la stèle d’un Apis mort le 6 Phamenoth an VI (Brugsch, in Zeitschr. f. Aeg. Spr., XXII [1884], p. 126), c’est-à-dire le 6 avril 164 a. C. La démonstration serait faite, si les troubles anarchiques qui amenèrent l’expulsion de Philométor en 164 ne diminuaient pas la valeur de ces preuves, et si, d’autre part, on ne rencontrait pas dans un contrat (Révillout, Mélanges, p. 290) et dans une pétition (Pap. Par., n. 23) mention des années XV et XVII de Philométor, au lieu de an IV et an VI des rois associés. Il se pourrait donc que, vers la fin de l’an VI, le second Philométor et futur Évergète, seul maître en fait, n’eût conservé du régime commun que la façade et eût imposé son comput à lui, celui qu’emploient Hérode et le rédacteur de l’épitaphe d’Apis, inscription gravée après les funérailles, peut-être même assez longtemps après.

[95] L’expression (l. 97-98) est assez obscure. La traduction débiteurs de taxes pour la ferme de (Révillout) ou subject to the fish tax, etc. (Mahaffy) est littérale ; mais les fermes étaient si nombreuses — et ici on les comprend toutes — que, si l’on entend par ύποτελεΐς ceux qui paient les taxes, on ne voit pas quels seraient les άτελεΐς. Il me semble que, dans sa langue amphigourique, Hérode veut désigner ceux qui sont responsables des taxes, c’est-à-dire les agents de perception au service des fermiers.

[96] Ils sont παιδαριώδεις, παντάπασιν άλόγητοι, etc. On n’est pas plus poli.

[97] Ίππαλος (lig. 165) était évidemment un diœcète : Hérode emploie la périphrase pour faire valoir sa dignité, comme plus haut (l. 80).

[98] Les lettres du diœcète sont adressées à un administrateur du nome Saïte : mais la mesure est plus générale, car Hérode dit avoir adressé les mêmes instructions (l. 212).

[99] Wilcken (Ostr., I, p. 102), revenant sur une opinion (cf. Lumbroso, p. 89) qu’il avait lui-même partagée, trouve que les expressions employées s’appliquent aussi bien à des locations forcées qu’à la corvée. Il ne me parait pas qu’on puisse interpréter ainsi l’έπιγραφή (l. 71. 135. 153. 200) ; mais on devine l’arrière-pensée de forcer désormais les habitants à affermer les terres domaniales pour échapper à la corvée.

[100] En novembre 114 a. C., on voit des cultivateurs réquisitionnés se réfugier dans un temple (Tebt. Pap., n. 26).

[101] La mention τά τέκνα est la raison qui avait décidé Letronne à placer le document en l’an VI de Ptolémée Soter II : mais on sait aujourd’hui que, en 164, Philométor était marié depuis une dizaine d’années, et, au surplus, c’était une formule d’usage.

[102] Il y a ici une difficulté qui avait fortement embarrassé Lumbroso. Dans une phrase de dix-huit lignes, passablement désarticulée, le diœcète dit que, si l’on se met à l’œuvre avec le même zèle et le même ensemble qu’au temps d’Hippalos, il restera bien peu de terre en friche, et que la tâche sera facilitée aux travailleurs par les avances du Trésor (l. 168-112). Lumbroso — avec l’approbation de A. Peyron — faisait de cette fin de phrase une phrase indépendante et entendait par là qu’une partie du Domaine serait laissée exprès à l’état de pâturage, où les gens pourraient, en dédommagement de leur peine, conduire leurs troupeaux. Révillout, rapportant aussi ταύτης à la γή άγεώργητος, traduit : et de ce peu on pourra facilement charger ceux qui sont appelés, etc. ». L’interprétation de Mahaffy : and this the persons summoned by the decree will be able to accomplish with ease, me parait conforme — si discrète soit-elle — à celle que j’adopte.

[103] Le grec n’a pas de mot spécifique pour cette sorte d’impôt. Il emploie d’ordinaire le mot τελώνιον, ou simplement τέλος. Le latin a le terme portorium, traduit étymologiquement en grec par λιμενικόν (CIL., III, 447). L’idée de transport, circulation, se retrouve dans le latin vectigal, qui a un sens aussi peu précis que τέλος. Cette idée nous permettra d’englober dans les impôts indirects les droits de mutation, qui chez nous sont classés à part, sous la rubrique enregistrement.

[104] Strabon, XVII, p. 798. Cf. Lumbroso, p. 312.

[105] Erant omnibus ostiis Nili custodiæ exigendi portorii causa diapositæ ([Cæs.,] Bell. Alex., 13). Il y avait naturellement des postes militaires dans ces stations. A plus forte raison sur le rivage de la mer Rouge. La perception des taxes y était surveillée par de hauts fonctionnaires : sous les Ptolémées ; à l’époque romaine, un στρατηγός, etc. (CIG., n. 5075. Dittenberger, OGIS., n. 202). Cf. Wilcken, Ostr., I, pp. 399. 584.

[106] Périple, § 19 : écrit au temps de Vespasien. Dernière édition, avec traduction et commentaire, par B. Fabricius, Der Periplus des Erythräischen Meers, Leipzig, 1883. Cf. Ameilhon, Hist. du Commerce et de la Navigation des Égyptiens sous le règne des Ptolémées, Paris, 1766.

[107] Représentée, entre autres, par Ameilhon (op. cit.) ; Letronne ; Lumbroso, Recherches, p. 312 ; Wilcken, Ostr., I, p. 399 (qui fait observer que l’huile importée pour Alexandrie ou Péluse était taxée de même à 25 %). Rostowzew (in Wochenschr. f. klass. Philol., 1900, p. 116) veut que la τετάρτη ait été levée sur les marchandises exportées vers Pétra, et non sur celles importées en Égypte. Leuké-Komé, douane romaine, à τεσσαρακοστή, (quadragesima) au lieu de τετάρτη, d’après O. Hirschfeld, Untersuch., p. 20, 2, et Th. Mommsen, R. G., V3, p. 479, 1 ; douane nabatéenne, d’après Schwanbeck, C. Müller, B. Fabricius, cités par Wilcken, maintenant converti à leur opinion qu’il justifie par une discussion approfondie des arguments contraires (in Archiv. f. Ppf., III, 2, pp. 196-200). Dans la nouvelle édition de son livre (Die kaiserl. Verwaltungsbeamten [Berlin, 1905], p. 80), Hirschfeld maintient sa correction et son interprétation.

[108] Il importe peu que sous l’Empire, au temps où Syène n’était plus sur la frontière, les μισθωταί ίεράς πύλης Σοήνς n’aient été ni fermiers ni douaniers, comme on le croyait depuis Letronne (Wilcken, Ostr., I, pp. 611-613). Il a dû y avoir une douane à Syène aussi longtemps que la ville fut place frontière.

[109] Wilcken, I, pp. 273-4, 276-8 (époque romaine).

[110] Wilcken, I, pp. 278-9 (époque romaine).

[111] Strabon, XVIII, p. 800. Cf. A. Schiff, Inschriften aus Schedia (Festschr. O. Hirschfield, [Berlin, 1903], pp. 313-390). Schédia parait avoir été fondée en même temps qu’Alexandrie, au point où se détache du bras Canopique, dit μέγας ποταμός ou Άγαθός δαίμων, le canal qui mettait Alexandrie en communication avec le Nil. On y a trouvé des dédicaces de garnisaires remontant au IVe siècle a. C. Dédicace d’un Κλεοπατόρειον (de Cléopâtre III) par les άποτεταγμένοι έπί Σχεδία στατιώται au temps de Ptolémée Soter II (Strack, n. 37, in Archiv. f. Ppf., II, p. 555).

[112] Agatharch. in Photius Bibl., p. 447 b Bekker.

[113] Wilcken, I, pp. 354-360. Le διαπύλιον, à tarif variable suivant la nature des marchandises, existait aussi à Athènes (Hesychius, s. v.).

[114] Wilcken, I, pp. 131-132 (époque romaine). A Athènes, on percevait un άγοράς τέλος, mais, à ce qu’il semble, seulement sur les métèques et étrangers (cf. Démosthène, In Eubulid., 31-32). C’est à un Béotien que Dicéarque réclame un anchois pour άγοράς τέλος (Aristophane, Acharniens, 896).

[115] Inscription publiée par G. Hogarth dans Fl. Petrie, Koptos (London, 1896), pp. 27-33, et par P. Jouguet (BCH., XX [1896], pp. 169-177), datée du 15 Pachon (10 mai) de l’an IX de Domitien. Nous adoptons ci-dessus les conclusions de Wilcken (I, pp. 347-351), qui n’admet pas que les moyens de transport aient été fournis par l’État et que les taxes sur les animaux et véhicules aient été des prix de location. En effet, 4 dr. pour location d’une voiture de Koptos à Bérénice eût été un prix dérisoire. Il est encore question dans un édit de Gratien du vectigal Arabarchiæ per Ægyptum et Augustamnicam constitutum, et de la défense de circuler gratuitement : Super traductione animalium, quæ sine præbitione solita (c’est-à-dire, l’άποστόλιον) minime permittenda est (Cod. Theod., IV, 12, 9. Cod. Justin., IV, 61, 9).

[116] Pap. Grenf., II, n. 58 (de 175 p. Chr.). Wilcken, I, pp. 394-5. Les propriétaires d’ânes et chameaux devaient déclarer ces animaux aux autorités par άπογραφή et payer pour eux une capitation (Wessely, Karanis, pp.33-40).

[117] Wilcken, I, pp. 386-387. Actenstücke, n. XII.

[118] Fait attesté par Pap. Petr., III, n. 107 c-e (cf. Smyly, ad loc., p. 262), pour les canaux entre Crocodilopolis du Fayoum et Ptolémaïs.

[119] Tebt. Pap., n. 91. 92 (vers la fin du IIe siècle a. C.). Transport des grains au magasin royal de Kerkéosiris, et de là, par bêtes de somme, à Alexandrie.

[120] Wilcken, I, p. 394, d’après le Pap. Par., n. 62, col. V, 17. VI, 3 (règne d’Évergète II), publié à nouveau et commenté par Grenfell dans l’Appendix I des Rev. Laws (pp. 177-186).

[121] Wilcken, I, p. 379, d’après le même texte. Ces τάλλα άναλώματα étaient une formule commode et élastique. L’ensemble des surtaxes diverses montait à 12 ob. ou 2 dr. par mine, soit 2 %, l’équivalent de l’έπίμετρον ajouté au mesurage des grains (Tebt. Pap., n. 92). Sur ceux-ci, l’État percevait encore un droit pour usage banal de l’aire à battre (Tebt. Pap., n. 48, lig. 17).

[122] Je suis tenté de croire que Caligula emprunta à l’Égypte, entre autres mesures fiscales, la taxe de 2 ½ % sur les procès : pro litibus atque judiciis ubicumque conceptis, quadragesima summæ de qua litigaretur (Suétone, Caligula, 40. Cf. Dion Cassius, LIX, 28).

[123] Conjecture de Wilcken (I, p. 302-304), fondée sur le Pap. Leid., F, où il restitue la leçon συνηγορικόν [au lieu de ώνητικόν : cf. Lumbroso, p. 310] καί έπιδέκατον (lig. 3), et plus loin (lig. 17) περί [τοΰ έπιδ]εκάτου τ[ής ]κρίσ[εως]. Du reste, le mot έπιδέκατον n’est pas réservé à cette surtaxe : il comporte d’autres applications. En général, toutes les formes d’enregistrement entrainaient des frais supplémentaires : par exemple, la prestation de serment (Dittenberger, OGIS., n. 46, lig. 13). Les Pharaons, au dire de Diodore (I, 76), ne voulaient pas d’avocats ; ceux-ci étaient tolérés par les Lagides, mais à la condition que leur éloquence ne fût pas mise au service des fraudeurs. Un édit curieux (de Philadelphe) frappe d’amende et d’interdiction l’avocat qui plaiderait contre le fisc (Pap. Amh., II, 33). Cf. ci-après, ch. XXIX.

[124] Le γραμματικόν figure, avec quantité d’autres taxes, dans les Pap. Petr., II, n. 39, d-f. III, n. 109. Cette taxe ne dispensait sans doute pas des frais de bureau pour les actes non officiels. Cf. le diobole (?) perçu pour frais de rédaction sur les actes, au temps des Pharaons (Révillout, Précis, p. 447).

[125] Révillout (Précis, pp. 219. 289 sqq.) pense que la vente fut peut-être autorisée déjà par Bocchoris ; Psammétik aurait imaginé ou renouvelé le droit de mutation. C’est en l’an XXX de Psammétik (vers 634 a. Chr.) que nous trouvons pour la première fois la mention d’un droit de transmission du dixième à payer au temple d’Amon, propriétaire éminent de la terre (ibid., p. 289 : cf. p. 517).

[126] Nous verrons cependant plus loin (ch. XXVIII) un contrat de vente dont le décime est payé à frais communs par le vendeur et l’acheteur. Des documents du temps d’Amasis montrent que la δεκάτη était alors payée par le vendeur, qui d’ordinaire se faisait rembourser par l’acquéreur (Révillout, Précis, p. 420).

[127] Rev. Laws, col. 20. Cf. .1. C. Naber, in Archiv. f. Ppf., I, p. 20.

[128] Pap. Petr., II, n. 46 c. III, n. 57 b (de l’an IV d’Épiphane, 202/1 a. Chr.).

[129] En l’an XLIV (127/6 a. Chr.). Cf. Révillout, Mélanges, p. 323. Wilcken, Ostr., I, p. 184. Révillout soupçonne que le relèvement de la taxe a été décrété par Cléopâtre II au cours de ses deux ans de règne et maintenu par Évergète. Voyez, entre autres documents, Pap. Par., n. 5, de 114 a. C. BGU., n. 994-998.

[130] Sur l’εΐδος ou τέλος έγκύκλιον, voyez Wilcken, I, pp. 182-185. Cf. Lumbroso, pp. 303-305. 322.

[131] Les explications embarrassées de A. Peyron (redemptio annui tributi, in Pap. Taur., p. 138), de Lumbroso (annualité, périodicité : Recherches, p. 322), de Révillout (période de location. Proceed. of Soc. of Bibl. Arch., XIV, p. 61), ne sont soutenables qu’au point de vue philologique. Il n’y a rien de périodique dans la taxe, perçue au jour le jour, au hasard des ventes.

[132] Wilcken (I, p. 184-185) propose de traduire τέλος έγκύκλιον par impôt sur la circulation des valeurs (Verkehrsteuer-Umlauf der Werte). Je ne crois pas que cette abstraction économique soit venue à l’idée des administrateurs égyptiens. Il se trouve précisément que le plus ancien exemple du mot circulator, employé par Asinius Pollion dans une lettre à Cicéron (Ad Fam., X, 32, 3), est complété par le mot auctionum. Il s’agit d’un honorable citoyen romain, circulatorem auctionum, notissinium hominem Hispali, que Balbus a fait illégalement jeter aux bêtes. Pollion a peut-être créé ici un néologisme importé du jargon administratif d’Alexandrie. Du vendeur à la criée au charlatan, la transition est naturelle. Sénèque (Epist., 29, 5) parle de circulatores philosophi qui dissertent du haut de leur véhicule. J’ai vu moi-même un notaire de campagne, faisant en plein air une vente mobilière, debout sur sa voiture pour dominer le cercle des amateurs, à la façon d’un charlatan.

[133] Cf. Wilcken, I, p. 183. Même l’abandon de l’usage par le tenancier ou le locataire nécessitait (au temps d’Amasis) un droit de mutation du dixième (Révillout, Précis, p. 410, 1).

[134] Voyez BGU., n. 993, acte de donation mortis causa, du 9 janv. 127 a. C., enregistrée à Hermonthis le 17 sept. Au point de vue fiscal, la différence entre vente et donation est si insignifiante que le droit sur la vente d’une clientèle entre choachytes est appelé par le trapézite τέλος δόσεως (Pap. Par., n. 5, col. 50, lig. 4). La constitution de dot par le mari, suivant un usage égyptien que nous étudierons ci-après (ch. XXVIII), était une véritable donatio propter nuptias. Il parait bien qu’un des derniers Ptolémées institua un droit proportionnel sur ce genre de donation (cf. Fayûm Towns, II, n. 22).

[135] Publiés par A. Peyron, Papiri greco-egizj di Zoide. Ces deux documents sont datés des années XXXI et XXXIII, probablement de Philométor (151/0 et 149/8 a. C.), peut-être d’Évergète II (140/39 et 138/7 a. C.).

[136] Voyez les commentaires de Letronne, Peyron, Franz, Lumbroso (pp. 303-305). Wilcken (I, p. 525, 3) conteste qu’il s’agisse d’une vente, κυρωθήναι δέ τήι Ζωίδι είς Lδ' ne pouvant signifier qu’une location pour quatre ans. Naber (in Archiv. f. Ppf., II, pp. 37-38) s’attache à réfuter les arguments de Wilcken au profit de l’opinion courante. Les deux thèses ne sont peut-être pas inconciliables. Le prix de location (10 talents 4.000 dr.) étant presque égal au montant de l’hypothèque prise par le Trésor, j’imagine que la location était une vente à terme et que, au bout de quatre ans, Zola devait être propriétaire du jardin.

[137] Pap. Petr., II, n. 46 c. III, n. 57 b : an. 201 a. C.

[138] BGU., n. 992.

[139] Aristote, Œcon., 2, 2. Nous ne connaissons pas assez bien le rapport de valeur entre l’obole et le prix de l’artabe pour fixer la proportion adoptée par le fisc. Le tarif athénien était de 1 %, et de même la taxe romaine (centesima rerum venatium) établie par Auguste sur les ventes aux enchères (auctiones).

[140] Cf. Wilcken, Ostr., I, pp. 342-344. Les textes pour la πεντεκοστή sont d’époque romaine.

[141] Révillout (Précis, pp. 12 sqq.) cite des contrats de transmission sous forme d’inventaire (ampa) remplaçant le testament, lequel n’a jamais existé en droit égyptien. Les ampa devaient être validés par un fonctionnaire royal (dja) et payer les droits de mutation. Plus tard, rampa fut remplacé par la vente fictive, sujette aux mêmes droits. Le même auteur signale (ibid., pp. 120 etc.) comme une habitude chez les Égyptiens, habitude inaugurée par les nobles de la XIIe dynastie et imitée plus tard par les tenanciers, de se dépouiller de leur vivant au profit de leurs enfants, leur cédant la nue propriété et ne retenant pour eux-mêmes que l’usufruit.

[142] Certains actes de partage du temps de Psammétik mentionnent l’exemption du dixième à payer au T. d’Anion (Révillout, Précis, pp. 289. 293. 298. 301-302. 305). Ce sont, d’après Révillout, des échanges d’immeubles exactement compensés. Cette condition prêtait aux chicanes, et l’on voit le fisc exiger la filme de gens qui avaient cru pouvoir contracter en dehors du dixième.

[143] La taxe n’est pas prélevée seulement sur les successions testamentaires : ce n’est pas un impôt sur les testaments. A propos de l’acte déjà cité (BGU., n. 993), qui porte au bas un reçu de la banque d’Hermonthis pour droits de mutation, P. Jouguet (Rev. des Ét. anc., 1905, p. 273) se demande s’il n’y aurait pas eu dans la manière de lever l’impôt, un changement dû aux troubles de ce temps, parce que le bordereau a été établi par l’économe et le topogrammate, et non par le τελώνης. Le fait n’est pas nécessairement exceptionnel. Enfin, l’acte n’est pas un testament, mais une συγγραφή δόσεως (col. IV, lig. 2), valable après la mort du donateur (col. II, lig. 12) et qui paie les droits à l’échéance.

[144] Cf. l’άπαρχή, du 1/12 de la récolte en orge et 1/6 de la récolte en blé allouée à la Déméter d’Éleusis (Isocrate, Paneg., 31. CIA., IV, n. 27 b, etc.).

[145] Il y a là une question embarrassante. A propos de la succession du Cyrénéen Ptolémée, ses filles, plaidant contre leur oncle, Callimède (Pap. Grenf., I, n. 17), invoquent comme preuve de leur droit le fait qu’elles ont payé les droits revenant à la déesse Bérénice, lorsqu’elles sont arrivées à l’âge de puberté. Il s’agit très probablement d’un cadeau plus ou moins volontaire, de quelque dévotion particulière aux femmes de Cyrène envers la déesse Bérénice de Cyrène, fille de Magas. Mais ce pourrait être une première forme ou un équivalent de l’άπαρχή fiscale, auquel cas on en conclurait que la taxe fut introduite par Philopator et théoriquement affectée — comme l’άπόμοιρα de Philadelphe — au culte qu’il venait de fonder en l’honneur de sa mère Bérénice. Cf. Naber, in Archiv. f. Ppf., III, 1, p. 9.

[146] Pap. Taur., I, p. 7 (de l’an 117 a. Chr.). Cf. Peyron, ad loc., pp. 164-166. Lumbroso, pp. 307-710. Wilcken, I, pp. 345-346. Ce papyrus ayant été publié en 1828, on n’est pas peu étonné de lire dans Robiou (Mém., p. 154) : rien n’indique un droit de mutation sur les héritages s.

[147] De la comparaison entre les procès de Callimède et de Hermias, Naber (in Archiv. f. Ppf., III, pp. 6-10) tire les conclusions suivantes. En droit égyptien, l’héritier entre en possession sans formalités (donc, avant d’avoir payé la taxe ?) : en droit grec, il devait attendre l’envoi en possession, qui n’était accordé qu’après déclaration et versement du montant de l’άπαρχή. L’argument invoqué par les filles de Ptolémée de Cyrène contre leur oncle Callimède est précisément qu’il a pris possession avant d’avoir payé les droits.

[148] Pap. Amherst, II, n. 72 (époque romaine).

[149] Depuis que Rabirius Postumus avait été ministre des finances de Ptolémée Aulète, les Romains devaient connaître à merveille les méthodes fiscales des Lagides. En l’an 40 a. C., les triumvirs voulurent imposer les successions testamentaires, mais le peuple se fâcha (Appien., B. Civ., V, 67). Plus tard, en l’an 6 p. C., Auguste déclara qu’il avait trouvé ce projet d’impôt έν τοΐς τοΰ Καίσαρος ύπομνήμασι et fit passer la loi (Dion Cassius, LV, 24-25). La taxe ne frappait que les citoyens romains, exempts de l’Impôt foncier. En Égypte aussi, l’είκοστή τών κληρονομιών (Wilcken, I, p. 363) ne s’applique qu’aux citoyens romains : ce n’est pas l’άπαρχή locale.

[150] Évergète II recommande de ne lever sur les biens consacrés aux dieux μηδέ κοινωνικά, μηδέ στεφάνους, μηδέ τά άρταβίεια (Tebt. Pap., n. 5, lig. 59). Le στέφανος était particulièrement obligatoire pour les bénéficiers de la couronne et, en général, les privilégiés. Nous avons déjà rencontré ci-dessus quantité de στέφανοι, outre le στέφανος κατοίκων (Ostr., II, n. 353). On peut assimiler au στέφανος προσλήψεως (Tebt. Pap., n. 6i b. 64 b. 72) un τέλ(ος) έμ(βαδικόν) — restitution proposée par Wilcken pour Ostr., II, n. 358 — perçu comme taxe fiscale, à l’instar de l’έμβαδικόν (Ostr., II, n. 1024. 1080. 1237. 1262. 1358) que les locataires de propriétés privées versaient aux propriétaires en sus de la rente. Pour les prêtres, le καταπλοΰς είς Άλεξανδρειαν annuel était évidemment l’occasion d’une offrande de ce genre (cf. Lumbroso, p. 314).

[151] Cf. les πράκτορες τοΰ άναπεφωνημένου Νουμηνίω στεφάνου en 124 a. C. (Fayûm Towns, II, n. 14), et Tebt. Pap., n. 95, I. 8, où les éditeurs proposent de lire [σ]τε(φάνου) δι(οικητοΰ) : n. 101, στεφάνος de 1 talents 4800 dr. versé par des clérouques de Kerkéosiris et encaissé en banque pour le compte du stratège Parthénios en 120 a. C.

[152] Cf. Tebt. Pap., n. 8 (201 a. C ?). Les Rhodiens, par exemple, envoyaient un cadeau annuel aux Romains (Suidas, s. v. Στεφανικόν). Cf. les Libyens allant couronner Alexandre le Grand à Babylone (Arrien, VII, 15, 4) : le Séleucide Démétrios Ier faisant remise aux Juifs de divers tributs et des couronnes (I Maccabées, 10, 29 ; 11, 35 ; 13, 37-39). Les 2239 talents et 50 mines d’argent encaissés par les économes, lors de la grande πομπή, devaient être des couronnes offertes à Philadelphe (Wilcken, I, p. 298). Celle du roi de Sidon et des Nésiotes pesait 1000 statères d’or (Strack, in Archiv. f. Ppf., I, n. 3, p. 201). On sait que, chez les Romains aussi, l’aurum coronarium devint un cadeau obligatoire, an profit des généraux et gouverneurs sous la République, de l’empereur sous l’Empire.

[153] Tebt. Pap., n. 5, l. 153. Cf. ci-dessus (tome II) la prise de Panopolis par Philométor en 166 a. C. (Diodore, XXXI, 17 b Dindorf). Comme Philométor avait octroyé des φιλάνθρωπα par la suite, il est probable que les Panopolitains avaient de nouveau pris part aux troubles qui prolongèrent la guerre civile en Thébaïde vers l’an 123 a. C.

[154] Cf. Pap. Amherst, II, n. 31 (amende de 10 talents de cuivre par aroure de χέρσος usurpé sur le Domaine), de 112 a. C. : texte traduit ci-après, pp. 366-7. L’expression dommages-intérêts rend mal έπίτιμον (que Wilcken traduit par Bussgeld), d’autant que l’on rencontre souvent έπίτιμον καί τό βλάβος ou même έπίτιμον au sens de πρόστιμον (Tebt. Pap., n. 156) : mais je n’en trouve pas d’autre pour distinguer entre le fisc et les contractants.

[155] Tebt. Pap., n. 53 (vers 110 a. Chr.). Les moutons étaient peut-être des animaux destinés aux sacrifices (Grenfell, ad loc.) ou de même qualité.

[156] Tebt. Pap., n. 61 b, lig. 285-293.

[157] Tebt. Pap., n. 73, lig. 326-264 (cf. 64 b, lig. 6-29).

[158] Par exemple, à la col. 40, 6 du Papyrus des Revenus, l’amende est de 1000 dr. pour le Trésor, et les dommages-intérêts pour la ferme, quintuples.

[159] Tous les documents visés contiennent des clauses précisant d’abord l’έπίτιμον et ensuite ίεράς βασιλεΰσι άργυρίου έπισήμου δραχμάς. Sur έπίτιμον au sens dérivé de contrebande (devant des dommages-intérêts au fermier ?), voyez Tebt. Pap., n. 38-39. Nous reviendrons sur ces questions au ch. XXVIII.

[160] Wilcken, I, pp. 289. 366-368. Les textes de l’époque ptolémaïque sont Pap. Taur., IV, l. 25. VIII, l. 35, 87. Pap. Grenf., II, n. 25. 26. 28. 30. 33. Tebt. Pap., n. 5, l. 133. 203. 105. 110. 156. Ostr., n. 342. 351. 1232. 1515. Amende fiscale sans mention d’έπίτιμον dans Pap. Leid., C et O. La proportion dépend du rapport de valeur entre la monnaie d’argent et la monnaie de cuivre (5 talents de cuivre d’une part, 100 dr. d’argent de l’autre), rapport supposé ici f : 120. Elle serait plus que doublée avec le rapport 1 : 375 ou même 1 : 500, et dépasserait alors l’έπίτιμον, ce qui, même en Égypte, est invraisemblable.

[161] Tebt. Pap., n. 106.