HISTOIRE DES LAGIDES

TOME TROISIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XXIV. — LES MONOPOLES ROYAUX.

 

 

Outre la terre labourable, le domaine royal comprenait des propriétés diverses, dont les unes, comme des palmeraies, des vignobles, des maisons, auraient pu être des propriétés particulières, tandis que d’autres appartenaient au roi par leur nature spéciale. Même dans les pays où la législation reconnaît aux particuliers le droit de posséder en toute propriété la surface du sol, l’État se réserve la propriété des richesses minérales contenues clans le sous-sol, comme aussi des cours d’eau navigables ou flottables, des lacs et du rivage de la mer. Les produits de ces possessions inaliénables appartenaient naturellement au roi et ont dû être les premiers objets compris dans le système des monopoles.

Monopole signifie droit exclusif de vendre, lequel suppose le droit exclusif soit de produire les articles monopolisés, soit d’acheter la production obtenue par d’autres moyens. Mais le monopole n’est pas toujours et nécessairement aussi complet que l’exige le sens étymologique du mot. Nous rencontrerons au cours de cette étude des monopoles imparfaits, pour lesquels le roi retient en principe le droit exclusif de produire ou d’acheter et de vendre, mais en concède une partie à d’autres privilégiés, ou encore se fait producteur et commerçant dans des conditions qui suppriment en fait la libre concurrence. Enfin, nous appellerons encore monopoles les droits régaliens abandonnés en échange de taxes, comme le droit de pêche auquel nous faisions allusion tout à l’heure en parlant de la propriété revendiquée par l’État sur les fleuves et lacs.

D’après ces motifs de classification, il me paraît logique de recenser en premier lieu les monopoles qui supposent l’État producteur unique, exploitant directement ou par l’intermédiaire de la ferme son propre domaine, c’est-à-dire les parties du sol ou du sous-sol qui sont par définition propriété d’État.

 

§ I. — MONOPOLES DE PRODUCTION OU DE VENTE.

I. L’Égypte produisait en abondance du sel comestible, extrait soit de mines de sel gemme, soit de lacs et marais salants. Pline signale une mine de sel découverte aux environs de Péluse par un roi Ptolémée qui campait dans la région[1] : mais la principale exploitation était celle des marais salants. D’après le même auteur, qui n’est pas une autorité très sûre, car il ne distingue pas très bien entre le sel et le nitre, on extrayait du sel par évaporation d’un lac situé près de Memphis : ce sel impur était de couleur rougeâtre[2]. La majeure partie du sel consommé en Égypte devait provenir des lagunes bordant la mer[3].

Nous sommes insuffisamment renseignés sur la façon dont l’État exploitait le monopole du sel. L’exploitation devait être affermée et le sel vendu à des marchands de gros qui le revendaient au détail. Mais nous avons des quittances de versements faits en paiement de ou taxe du sel, taxe donnée comme annuelle et qui, vu la modicité des sommes versées, ne semble pas représenter soit la redevance d’un fermier, soit la licence d’un marchand en gros. Il se peut que l’άλική ait été une taxe supplémentaire perçue sur les consommateurs, d’après la quantité de sel qu’ils devaient consommer dans l’année, à l’estimation du fisc[4].

Un article que l’Égypte produisait et exportait en grande quantité était le nitre ou natron (égyptien, hsmn), étiquette sous laquelle on confondait divers sels de soude et de potasse[5] employés dans une foule d’industries, notamment par les embaumeurs, les teinturiers et foulons, les verriers, les apothicaires[6]. On le tirait des étangs du nome Nitriote et des deux nitrières de Momemphis[7], par le procédé d’évaporation usité pour le sel marin. Le produit, au dire de Pline, était de qualité inférieure, comparé au nitre de Macédoine et de Lydie, — surtout celui de Memphis, — mais très abondant. Il n’est pas douteux que le nitre ait été comme le sel, et autrefois comme aujourd’hui, objet de monopole[8]. Nous connaissons par les papyrus de Zoïs un fermier de la νιτρική pour le nome de Memphis[9], et nous avons encore d’autres comptes où figurent des sommes importantes versées pour la νιτρική[10].

II. La vallée du Nil, terrain d’alluvion, ne renfermait ni minerais métalliques, ni carrières ; mais les confins de l’Égypte et de l’Éthiopie, et surtout le littoral rocheux qui borde la mer Rouge, fournissaient en abondance du granit, des basaltes, des marbres, de l’albâtre, du jaspe, des pierres précieuses et des métaux. Diodore nous a conservé, probablement d’après Agatharchide, la description des procédés et du personnel employés à l’extraction de l’or dans une mine située à l’extrémité de l’Égypte, entre l’Arabie et l’Éthiopie, c’est-à-dire dans les montagnes dites aujourd’hui Djebel Allaki[11]. Les mineurs travaillant pour le roi étaient des forçats à la chaîne. L’État fournissait les ouvriers et les soldats qui les gardaient ; le matériel de l’exploitation devait appartenir aux entrepreneurs, car il est à présumer que, suivant son habitude constante, l’État avait préféré le système de la ferme contrôlée à la régie directe. Les mines de cuivre de l’île de Cypre ajoutaient un appoint considérable aux produits métalliques exploités par le Domaine[12].

Mines et carrières, au point de vue du régime et même du nom (μέταλλα-metalla), c’est tout un. Les carrières de porphyre n’ont été exploitées que sous l’Empire ; mais celles de Syène continuaient à fournir le granit prodigué dans les monuments de l’époque ptolémaïque, et celles de Myos-Hormos, Alabastronpolis, Ancyronpolis, étaient aussi en activité[13]. L’État monopolisait de même non seulement l’extraction des pierres précieuses tirées du sol de l’Égypte, mais encore la vente de celles qui venaient de l’Éthiopie, de l’Arabie et surtout de l’Inde[14]. Le commerce de l’ivoire tombait sous le régime du monopole par le fait que le roi était seul en état d’organiser la chasse aux éléphants[15].

III. Les parfums, dont certains atteignaient des prix exorbitants, peuvent être assimilés comme valeur aux pierres précieuses susmentionnées. La production en Égypte de ces substances et la vente de celles qui venaient du dehors étaient une proie toute désignée au monopole royal[16]. L’Égypte, au dire de Pline, était renommée pour ses parfumeurs et droguistes. Ces fabricants tiraient les matières premières soit de l’Égypte, soit des régions d’alentour, l’Éthiopie, la Syrie, l’Arabie et l’Inde, dont le commerce amenait les produits à Alexandrie[17]. On sait que le luxe antique faisait une consommation prodigieuse d’aromates, huiles, pommades, opiats, etc. Ce goût était encouragé, à Alexandrie particulièrement, par les reines, qui, en paraissant ne songer qu’à leur plaisir, stimulaient du même coup la clientèle d’une industrie nationale[18]. Pline ne cesse de déplorer ces goûts dispendieux, qui n’étaient pas restés confinés dans le monde féminin. Il raille ces parfums à 400 deniers la livre, que ne sentent pas les personnes qui les portent, mais qui donnent aux autres des distractions malsaines[19]. Il calcule que l’empire romain s’appauvrit chaque année de cent millions de sesterces au profit de l’Arabie, de l’Inde et de la Chine[20].

En Égypte, l’État s’attribuait le monopole de la vente des parfums ou épices importés du dehors et réglementait à son profit la production indigène. Strabon n’a peut-être pas pris garde à ces usages lorsqu’il raconte qu’Eudoxe de Cyzique, revenant de l’Inde avec une cargaison de parfums et de pierres précieuses, se vit déçu dans ses espérances, car le roi retint pour lui le chargement tout entier. Pareille déception lui fut infligée au retour d’un second voyage par le successeur d’Évergète II. On lui appliquait le règlement, et, comme l’État avait fait les frais de ses deux expéditions, il n’y a pas lieu de le plaindre d’avoir été de nouveau dépouillé de tout ; d’autant qu’il avait été convaincu d’avoir détourné quantité d’objets, autrement dit, qu’il avait voulu faire de la contrebande[21].

Pour justifier les assertions qui précèdent, nous ne disposons pas de nombreux exemples. Les auteurs qui vantent le fameux silphium de Cyrénaïque, valant son poids d’argent[22], oublient de nous dire s’il était matière à monopole. Cependant, Solin attribue la disparition du silphium au fait que les Cyrénéens en ont arraché les plants à cause de l’excès intolérable de l’impôt[23], et il est à présumer que cet impôt, forme atténuée du monopole, ne datait pas seulement de l’époque romaine. Mais les papyrus nous fournissent un exemple topique de monopole appliqué à un article d’importation qui était de première utilité comme requis pour les cérémonies du culte et entrant dans la préparation de quantité de parfums, notamment dans les ingrédients antiseptiques employés par les embaumeurs[24]. La myrrhe, parfum naturel, venait d’Arabie et du pays des Trogodytes, et c’est en Égypte que s’en approvisionnait le commerce méditerranéen[25]. Le Trésor avait le monopole de la vente. Une circulaire d’Apollonios, — évidemment un fonctionnaire de l’administration centrale, — adressée en l’an III a. C. aux épistates du district de Polémon (dans le nome Arsinoïte) et autres préposés aux finances, fixe le prix de la myrrhe répartie entre les villages à 40 dr. d’argent ou 3 talents 2.000 dr. de cuivre la mine (environ 450 gr.), plus les frais de transport, à raison de 200 dr. pour un talent (environ 32 kilog.). Le tarif doit être affiché par ordre dans chaque village et contresigné par le comogrammate : ce sont des précautions prises contre les agents du fisc, qu’Apollonios menace de peines sévères s’ils s’avisent de majorer les prix[26]. Ceux-ci étaient d’autant plus tentés de le faire qu’ils devaient verser au πράκτωρ le prix total de la marchandise et le récupérer par la vente au détail. On est fondé à croire que le régime auquel nous savons qu’était soumis le commerce de la myrrhe était appliqué à des articles analogues, par exemple, à l’encens[27] et, en général, à toutes les matières premières de la parfumerie et de la droguerie, ou du moins à toutes celles qui venaient de l’étranger[28]. Nous rencontrerons plus loin le système de la vente tarifée adopté par le monopole des huiles.

Pour les produits nés en Égypte, l’État ou bien en laissait la culture libre, en prélevant sur eux un fort impôt, ou bien se réservait le monopole de la culture et de la vente. Je croirais volontiers que ces cultures spéciales sont comprises dans les produits des jardins et vergers[29] — palmeraies et, en général, toutes les terres dont la récolte consiste en fruits d’arbres ou plantes arborescentes, — jardins assimilés aux vignobles comme soumis à la taxe de l’άπόμοιρα[30]. Le Domaine possédait une palmeraie de grand- rapport dans une lie de Thébaïde qui était encore propriété réservée sous l’Empire[31]. On a vu que Cléopâtre s’était fait transférer par Antoine la propriété des jardins de Jéricho, qui produisaient le célèbre baume de Judée, monopole royal par excellence[32]. Les jardins, royaux ou privés, devaient être les lieux d’élection de l’apiculture. Le miel, qui dans l’antiquité remplaçait le sucre, était une denrée également indispensable aux pharmaciens, fabricants de sirops et d’hydromel, pâtissiers, parfumeurs, etc. La cire n’était pas moins demandée : elle entrait dans une foule de préparations médicales, industrielles et artistiques[33]. On ne saurait affirmer que la production du miel et de la cire fût monopole royal ; mais, en fait, le Domaine était à peu près seul en état d’en approvisionner le commerce. Nous rencontrons des μελισσουργοι mentionnés dans des édits royaux, à côté d’autres ouvriers qui paraissent être pour la plupart au service du roi[34].

IV. Le monopole de la pêche appartenait théoriquement au roi, non seulement sur le lac Mœris, incorporé au Domaine, mais sur tous les cours d’eau dont il avait, comme chef de l’État, la propriété éminente. Ce monopole s’était converti en une taxe de 25 %, affermée à la manière ordinaire et payable en métal argent. Cette taxe ne rapportait pas moins de 25 talents par an pour le seul nome de Périthèbes, sous le règne d’Évergète II[35]. Il n’est dit nulle part que la vente du poisson fût réservée aux fermiers : la fixité même de la taxe indique qu’elle était prélevée simplement sur les pêcheurs. La majeure partie des produits de la pêche se consommait sous forme de poisson salé[36]. Le Trésor y avait double bénéfice, en ce sens qu’à la taxe de 25 % s’ajoutait le prix du sel, dont il avait le monopole.

Il n’a été question jusqu’ici que des monopoles fondés en principe sur l’exploitation du domaine royal entendu au sens large et comprenant Le surcroît fourni par l’importation des articles dont le Domaine devait être le seul producteur. Il faut maintenant passer en revue les monopoles plus ou moins complets portant sur la production ou la manipulation industrielle de matières qui n’appartiennent pas par leur origine au domaine royal.

V. Pour être lucratifs, ces monopoles devaient s’adresser aux objets de grande consommation. Le fisc dut songer tout d’abord aux boissons. La boisson nationale des Égyptiens était la bière obtenue par la fermentation de l’orge (ζύθος ou ζύτος : égyptien hkt). La difficulté de conserver et d’entreposer une liqueur aussi facilement altérable rendait à peu près impossible le monopole de la fabrication ou de la vente. Le monopole fut remplacé par des taxes sur les brasseurs et sur les débitants de bière. La taxe sur les débitants n’a rien qui la distingue des autres formes de patente : c’est la taxe sur les brasseurs qui constitue la ferme spéciale de la ζυτηρά[37]. On doit supposer que les brasseries étaient soumises à l’exercice et l’impôt levé au prorata de la production. L’État acceptait des fermiers les paiements en cuivre sans agio : seulement, il les obligeait à faire leurs versements mensuels en comptant les mois à 35 jours en saison d’hiver et à 25 jours dans le semestre d’été ; sans doute parce que la consommation — et par conséquent, la production — était plus forte en été qu’en hiver[38]. Il pouvait y avoir des brasseries royales sur les terres du Domaine ou destinées à fournir des rations aux fonctionnaires et aux soldats, et il est probable que les temples fabriquaient aussi la bière consommée par leur personnel[39]. Le système des redevances ou taxes était, à ce point de vue, plus élastique et plus commode que celui du monopole. Le produit de la ζυτηρά paraît avoir été assez considérable. Il est fait mention dans les papyrus de sommes élevées, comme 45 tal. 5.100 dr. (pour une région et un laps de temps inconnus)[40], et de 5 tal. de cuivre payés par deux brasseurs associés pour le mois de Phaophi[41], ce qui porterait leur redevance annuelle à 60 talents.

Le vin, boisson de luxe, offrait une prise plus facile au monopole. La vigne, quoique connue de temps immémorial en Égypte, y était assez rare pour qu’Hérodote ait cru qu’il n’y en avait point et que la bière était le seul breuvage fabriqué dans le pays[42]. En fait, la culture de la vigne était restée confinée dans les dépendances des temples, et une bonne partie des raisins était offerte en nature aux dieux. Les vins consommés en Égypte — du moins, les vins fins, qui pouvaient supporter et rémunérer le transport — étaient importés de la Syrie et de l’Archipel par les marchands grecs, qui avaient leur principal entrepôt à Naucratis[43]. Les vignobles plantés principalement dans le Delta et le Fayoum paraissent dater des Lagides. Ceux-ci, après avoir respecté d’abord la coutume en vertu de laquelle cette culture, monopolisée par les temples, n’était autorisée que moyennant une redevance d’un sixième du produit versée aux corporations sacerdotales, s’approprièrent cette redevance, sous couleur de l’affecter au culte d’Arsinoé Philadelphe[44]. Du même coup, la viticulture, sans devenir un monopole d’État au plein sens du mot, fut soumise à la surveillance des agents du Trésor et la taxe affermée par leurs soins.

Nous sommes amplement renseignés sur le mode de perception de l’άπόμοιρα par le célèbre Papyrus des Revenus, qui est une codification des règlements édictés par Ptolémée Philadelphe en l’an XXIII de son règne ou plutôt un extrait d’une législation générale sur l’ensemble du système des fermes et tarifs fiscaux[45]. La taxe sur les vignobles et celle sur les vergers[46] — l’une et l’autre assimilées sous le nom commun d’άπόμοιρα — sont fixées au même taux, le sixième (έκτη) de la récolte. La taxe sur les vignobles peut être abaissée, pour des clérouques militaires ou pour des plantations encore jeunes, à des taux inférieurs[47]. Elle est payée en nature, soit au fermier, soit à l’économe royal, exceptionnellement en argent, et en ce cas, à l’économe, qui en fait l’estimation[48]. La taxe sur les vergers était toujours payée en argent, l’État n’ayant pas l’emploi des fruits[49]. Au moment de la vendange, le cultivateur était tenu de laisser inspecter sa récolte par le fermier ; il ne devait faire le vin qu’en présence du susdit officiellement invité et ne se servir pour le mesurer que des mesures contrôlées par les agents du Trésor, sous peine de payer le double de la taxe normale[50]. En cas de contestation entre le vigneron et le fermier, l’économe, dûment renseigné par les déclarations et serments des parties, servait d’arbitre. Si le fermier se refusait encore à un accommodement, le Trésor se substituait à lui et percevait le montant de la taxe sans le porter au crédit du fermier récalcitrant[51]. Le vin prélevé sur la récolte était entreposé dans les celliers que l’économe avait dû aménager dans chaque village. Les vignerons devaient le livrer dans un délai fixe, passé lequel le transport se faisait à leurs frais ; ils avaient dû se pourvoir de jarres en poterie de bonne qualité, dont l’administration leur avait avancé le prix, sans doute pour le compte du fermier [52]. L’économe, après vérification, leur délivrait des reçus en bonne forme ; puis, assisté de son greffier, en présence du fermier, il procédait à la vente publique, encaissait l’argent et apurait les comptes[53]. S’il y avait bénéfice pour le fermier, sa dette à l’État une fois payée, la banque royale lui versait le surplus ; s’il y avait déficit, le fermier et ses cautions avaient pour s’acquitter un délai qui ne dépassait pas le premier trimestre de l’année suivante[54].

La perception de la taxe sur les vergers était régie par des dispositions analogues. Comme il était plus difficile d’estimer la valeur de la récolte, l’administration laissait un peu plus de latitude aux intéressés. En cas de désaccord persistant, le fermier était autorisé à saisir toute la récolte et à rembourser le cultivateur, au fur et à mesure de la vente, jusqu’à concurrence du prix auquel celui-ci l’avait estimée, en gardant pour lui le surplus réalisé ; mais si le produit de la vente n’atteignait pas l’estimation du fermier, l’économe obligeait celui-ci à combler la différence à ses dépens[55].

 

§ II. — MONOPOLES DE FABRICATION.

Sur les vignobles et vergers, l’État se contentait de percevoir un droit fixe, sans prétendre limiter la production et contrôler les procédés de culture, et de faire concurrence par la vente au commerce libre. Il en est autrement pour le monopole de l’huile, la production et la vente de cette denrée étant complètement soustraites à l’initiative privée.

Le monopole absolu, établi ou en tout cas réglementé définitivement par Philadelphe, ne portait pas sur l’huile d’olive, qui n’était pas encore un produit indigène et payait au fisc les droits de douane ou d’entrepôt[56], mais sur les huiles de grande consommation : huiles de sésame (σήσαμον - sesamum orientale, Indicum) ; de croton ou ricin (κρότων - ricinus communis)[57], dénommée kiki (κίκι) en égyptien ; de κνήκος, safran bâtard ou carthame ; de graines de cucurbitacées et de lin. L’huile de sésame était l’huile fine ; celle de croton, que Hérodote trouvait puante et bonne seulement pour l’éclairage, servait à toute espèce d’usages, même à la cuisine des gens du commun[58]. L’huile de lin ne servait qu’à l’éclairage, et c’est elle que le Papyrus appelle de temps à autre έπελλύχνιον. Il n’est pas question de monopole pour les autres espèces d’huiles, qui se trouvaient sans doute taxées d’autre façon, notamment les huiles employées en parfumerie[59].

Le Papyrus des Revenus nous initie aux combinaisons imaginées par une fiscalité oppressive, à prétentions économiques, pour répartir et limiter dans chaque nome la production des graines oléagineuses, en tenant compte de la qualité des terrains ; pour combler l’insuffisance prévue dans certains nomes avec l’excédent également prévu de certains autres ; pour assurer par des dispositions spéciales l’approvisionnement des capitales comme Alexandrie et Memphis ; pour surveiller la récolte, la fabrication, la vente, par le contrôle mutuel des agents du Trésor et des fermiers[60]. Le rôle presque passif de ces fermiers serait une superfétation si l’État n’avait voulu rejeter sur eux les risques de perte et simplifier le mécanisme qu’exige la régie directe en traitant avec un petit nombre de débiteurs solvables. Nous allons essayer de donner un aperçu sommaire de ces règlements compliqués, sans nous astreindre à signaler à tout propos les précautions de toute sorte, déclarations sous serment rédigées en double et scellées, les formalités minutieuses et contrôles superposés, ainsi que les pénalités édictées, en cas de contravention, contre les cultivateurs, les fermiers et les agents du Trésor[61]. Ce sont des applications de règles générales sur lesquelles nous reviendrons à propos du système des fermages.

La providence du dieu-roi, instruite par une longue expérience, sait tout ce qu’il faut savoir pour équilibrer la production et la consommation, de sorte que l’Égypte se suffise à elle-même. Étant donné la quantité, par espèces, des huiles nécessaires à la consommation, elle sait combien chaque aroure de terre, suivant les lieux, peut produire de ces graines[62]. Elle fixe, en conséquence, nome par nome, le nombre d’aroures qui seront consacrées aux deux principales espèces de cultures, celles de sésame et de croton[63]. Elle dresse de ces cultures ainsi réparties un tableau statistique porté à la connaissance des amateurs lors des adjudications des fermes de l’huile[64]. Dans celui qui termine le papyrus des Revenus, il y a, d’un nome à l’autre, des différences énormes. Ainsi, le nome Saïte avec Naucratis, qui fournit de l’huile de sésame et de l’huile de croton à Alexandrie, doit ensemencer 10.000 aroures de sésame, et, en surplus, de quoi expédier 3.000 artabes de graines à Alexandrie, et environ 22.000 aroures en croton, dont près de moitié pour la consommation d’Alexandrie. Il en est de même, proportion gardée, des nomes Libyque, Prosopite, Sébennyte, qui sont également mis à contribution par Alexandrie, et du nome du Lac (Arsinoïte), qui défraie la consommation de Memphis. En revanche, d’autres nomes, en assez grand nombre, ne suffisent pas à leur propre consommation et ont besoin de combler le déficit par importation[65]. Le Trésor a tout prévu et se charge de faire la péréquation.

Comme il accapare toute la récolte, c’est lui qui fait l’avance des semences au cultivateur et charge les administrateurs du domaine royal, les nomarques ou toparques, de les distribuer en temps voulu[66]. Cette culture obligatoire étant, en somme, une espèce de corvée, il semble que les cultivateurs qui en étaient chargés étaient groupés par équipes de dix, sous la direction d’un dizenier[67]. Au moment de récolter, le cultivateur doit avertir les autorités, qui convoquent le fermier et font avec lui l’inspection des champs. Un état est dressé en partie double, signé, certifié, scellé, qui spécifie la contenance des diverses cultures[68]. Les agents du Trésor sont intéressés à vérifier si le cultivateur a bien ensemencé toute la surface à lui assignée, car, en cas de déficit, ils sont frappés d’amendes à l’État et de dommages-intérêts à payer au fermier[69].

La récolte une fois faite, le fermier l’achète au cultivateur, au tarif fixé par le gouvernement, à savoir : 8 dr. l’artabe de 30 chœnices pour le sésame ; 4 dr. pour le croton ; 1 dr. 2 ob. pour le cnécos ; 4 ob. pour la coloquinte, et 3 ob. pour le lin. Ces prix s’appliquent aux graines épurées et prêtes pour le moulin. Si le cultivateur ne veut pas épurer lui-même sa récolte, il doit ajouter au tout venant, simplement passé au crible, 7 % pour le sésame et le croton, et 8 % pour le cnécos[70]. Mais, par une disposition singulière, les prix d’achat portés au tarif sont diminués d’une taxe de 2 dr. par artabe de sésame et de 1 dr. par artabe de croton, taxe que le cultivateur doit reverser au fermier, de sorte que le prix réel de sa récolte se réduit pour lui à 6 dr. l’artabe de sésame et 3 dr. l’artabe de croton. Il est bien entendu qu’il n’a pas le droit de vendre à d’autres qu’au fermier et qu’il ne peut par conséquent espérer de surenchère[71]. Les privilégiés exempts de la taxe, comme possesseurs de terres έν δωρεά ou έν συντάξει, ne profitent guère de leur immunité, car le fermier ne leur achète leur récolte qu’au prix réel ou très légèrement majoré : soit 6 dr. l’artabe pour le sésame, et 3 dr. 2 ob. pour le croton. Les paiements sont faits en monnaie de cuivre acceptée au pair, pour sa valeur nominale de 24 oboles au statère[72]. Les fermiers ne peuvent faire enlever les récoltes qu’après en avoir donné reçu au comarque du village[73].

C’est alors que la providence gouvernementale, qui n’a pas cessé un instant de contrôler toutes les opérations précédentes, intervient pour opérer la répartition des graines entre les nomes, combler le déficit des uns avec l’excédent des autres et prélever la part faite aux capitales. Il est entendu que les graines transportées par les soins de l’administration paient la taxe non pas aux fermiers des nomes auxquels on les emprunte, mais aux fermiers des nomes qui les reçoivent, et par l’entremise des agents du Trésor[74]. Quant aux produits spécialement destinés à la consommation des capitales, ils sont exemptés de la taxe et soustraits à l’ingérence des fermiers[75].

La fabrication de l’huile s’opérait dans les ateliers de l’État. Il y en avait dans chaque village, sauf dans ceux qui constituaient des bénéfices έν δωρεά[76]. Les libertés précédemment accordées sont supprimées. Les particuliers qui possèdent des meules ou mortiers et des pressoirs sont invités à les déclarer, dans un délai de trente jours, aux fermiers et agents du Trésor, qui les feront transporter aux manufactures royales : et de fortes amendes sont édictées en cas de contravention[77]. Les huileries installées dans les domaines sacerdotaux pourront continuer à fabriquer l’huile nécessaire aux temples, à la condition de faire inspecter tout leur matériel par les fermiers et les agents du Trésor, qui les mettront sous scellés et n’en permettront l’usage qu’en leur présence. Ces huileries ne peuvent manufacturer que la quantité d’huile que les prêtres ont déclarée nécessaire pour la consommation de l’année, et la fabrication doit être achevée dans un délai de deux mois à partir de la déclaration. La tolérance précitée ne s’applique pas à l’huile de croton, qui devait cependant être consommée en grande quantité, ne fût-ce que pour l’éclairage des sanctuaires[78]. Celle-ci sera fournie aux temples, à prix fixe, par les fermiers[79]. Défense expresse est faite de vendre au dehors de l’huile fabriquée dans les temples, sous peine de confiscation de l’huile, aggravée d’amendes énormes, qui peuvent aller jusqu’à 100 dr. par métrète[80].

Les précautions que prend le fisc contre la fabrication clandestine s’étendent à ses propres ateliers, où les instruments fournis par l’administration doivent être sous scellés en temps de chômage. Les ouvriers doivent être des gens du pays : défense est faite d’enrôler ou même de loger des ouvriers venus d’un autre nome : ceux qui auraient été recrutés de cette façon doivent être renvoyés chez eux, sans quoi ils seraient arrêtés et les patrons frappés d’une amende de 3.000 dr. par ouvrier[81]. Le gouvernement, qui avait fixé la répartition des cultures dans les divers nomes, entendait aussi disposer de la main-d’œuvre sur laquelle il avait compté. Il ne voulait pas que des migrations inopportunes dérangeassent ses calculs. Peut-être faut-il chercher une raison accessoire dans l’article qui défend à l’économe aussi bien qu’au fermier de faire une convention quelconque, sous aucun prétexte, au sujet du rendement de l’huile[82] ; c’est-à-dire, de s’entendre pour s’approprier le surplus, qui appartient au Trésor[83], ou même accuser un déficit sur le rendement normal. Les administrateurs auraient pu embaucher au rabais et tenir à leur dévotion des ouvriers recrutés dans d’autres départements. Les ouvriers doivent travailler sous la surveillance des fermiers et des agents de l’administration, sans chômer un seul jour ; et ils sont tenus de traiter, par journée de travail et par mortier, au moins 1 artabe de sésame, 4 de croton et 1 de cnécos. Cependant, ils ne sont pas payés à la journée, mais à la tâche[84].

Le salaire était médiocre, sans doute, mais il était alloué plus tard aux ouvriers sur les bénéfices de la vente, un supplément de solde de 2 dr. 3 ob. par métrète d’huile contenant 12 choûs, et au fermier une indemnité de 1 dr., également par métrète, pour le temps passé à surveiller la fabrication. Ces gratifications ont été abaissées par les corrections du diœcète à 1 dr. 4 ob. pour les ouvriers et 5 ob. pour le fermier. L’argent des recettes et dépenses passe toujours par les mains de l’économe, qui encourt de fortes- amendes et des dommages-intérêts au cas où il frustrerait de leur dû les travailleurs ou les fermiers : 3.000 dr. au Trésor, la solde convenue aux ouvriers, et à la ferme le double du dommage causé[85].

L’huile fabriquée dans les ateliers de l’État est vendue par ses agents pour le compte du fermier. Afin d’assurer un prompt écoulement du produit, l’État ne s’adresse pas directement aux consommateurs, mais aux marchands et revendeurs, qui se chargeront du commerce de détail. Les noms de ces intermédiaires et les quantités d’huile, par espèces, qui doivent leur être fournies sur leur demande, dans un délai de moins d’un mois, sont enregistrés dans les bureaux des économes. La vente en gros a lieu tous les mois aux enchères, celles-ci étant ouvertes pendant dix jours et les offres affichées dans la métropole et les villages. Si les marchands étaient taxés d’office pour les quantités à soumissionner, le seul intérêt qu’il eussent à enchérir était de ne pas attendre le moment où ils auraient été forcés d’acheter à n’importe quel prix. Les quantités vendues étaient transportées aux frais de la ferme et débitées contre remboursement tous les cinq jours[86]. Le bénéfice que peuvent espérer les marchands ne saurait être prélevé sur leur clientèle, car l’État a fixé les prix de l’huile revendue au détail et ses agents avaient ordre de ne pas tolérer d’infraction au tarif officiel. Le 16 Payni an V d’Évergète (2 août 242 a. Chr.), Horos adresse une admonestation à Armaïs, qui, parait-il, laissait vendre de l’huile à des prix supérieurs au tarif et n’en avait pas averti ses chefs. Il exige un rapport, qui sera soumis au diœcète Théogène[87]. Limité de ce côté, le revendeur n’a de marge variable que sur les cours de la vente aux enchères. Il en est de même, en sens inverse, du bénéfice du fermier, égal à. la différence entre la somme fixe qu’il s’est engagé à verser au Trésor et le prix de vente. L’État est ainsi garanti contre tout risque de perte. Comme tout est tarifé par lui, il peut augmenter ses propres bénéfices de diverses façons, dont la plus simple est de hausser le prix de la vente au détail et par là le taux des adjudications soumissionnées par les fermiers de l’huile.

Un régime particulier est institué pour les fournitures destinées à la consommation d’Alexandrie. Dans les nomes chargés d’approvisionner la capitale (nomes Saïte, Libyque, Prosopite, Sébennyte, Thébaïde), une surface déterminée était mise à part dont le produit était convoyé directement à la manufacture d’Alexandrie et ne payait aucune taxe aux fermiers du lieu de production. Si la récolte réservée à la consommation locale était insuffisante, l’État se chargeait de combler le déficit, et, suivant la règle, les quantités importées par ses soins payaient la taxe aux fermiers des nomes susdits[88].

Le monopole royal de production et de fabrication reportant pas sur les huiles d’olive, le règlement prévoit l’importation d’huiles étrangères entrant par Alexandrie ou par Péluse, et il en surveillait de très près la vente. Les habitants d’Alexandrie avaient le droit d’introduire sans payer de taxe une provision d’huile suffisant à leur consommation personnelle durant trois jours, à condition de la déclarer[89]. Les huiles importées par les marchands devaient être emmagasinées et mises sous scellés dans les entrepôts de l’État[90]. En thèse générale, ces huiles étaient destinées à la consommation de la capitale, et elles n’étaient exemptes de taxes qu’à cette condition. Il était interdit d’en importer dans l’intérieur du pays. Cette défense pouvait néanmoins être levée — pour les particuliers, non pour les commerçants — moyennant le paiement d’une forte taxe de 12 dr. par métrète (c’est-à-dire 25 %), encaissée à Alexandrie ou à Péluse pour le compte des fermiers des nomes où devait être importée l’huile étrangère. La contrebande était punie de la confiscation de l’huile et d’une amende de 100 dr. par métrète[91].

Ingénieux à prévoir et à poursuivre la fraude, le fisc se préoccupait aussi d’empêcher que l’huile ne fût altérée par des mélanges ou remplacée dans la consommation par des substances analogues[92]. Il prétendait contrôler jusqu’à l’usage de la graisse, non pas sans doute dans les cuisines particulières, mais dans les auberges et casernes, et surtout chez des commerçants qui auraient pu falsifier l’huile avec des graisses animales. De là l’article suivant : Les cuisiniers emploieront la graisse chaque jour en présence du fermier de l’huile, et ils n’en vendront à qui que ce soit sous aucun prétexte ni n’en feront fondre : sinon chacun d’eux paiera au fermier, pour chaque jour, 50 dr.[93].

Enfin, le code du monopole règle l’emploi des huiles ou graines restées en magasin au moment où le Trésor met les fermes en adjudication. Le nouveau fermier doit acheter ce stock à son prédécesseur dans un délai de trois jours. Au cas où il y aurait un excédent en sus de la quantité normale, ce surplus est acheté par le Trésor au tarif prévu pour les achats faits en vue d’approvisionner Alexandrie[94].

Telle est, en raccourci, cette législation despotique, qui mérita largement d’être impopulaire, car on n’y voit poindre aucun souci des classes pauvres : c’est au contraire, sur les articles les plus communs qu’elle fait peser les plus lourdes taxes. A ce point de vue, le diœcète Apollonios, qui aggrave encore l’impôt levé sur le pauvre, peut passer pour un agent zélé du fisc, mais on ne lui doit point d’autre éloge. Il faut dire que l’ordonnance de Philadelphe représente très probablement une tentative faite pour accaparer la production et le commerce des huiles en Égypte, dans le but d’exclure l’importation étrangère, qui avait pour conséquence une exportation de numéraire. C’était une expérience économique improvisée avec une certaine brutalité et qui ne fut peut-être pas poursuivie longtemps. Il y a lieu de croire que, par la suite, le gouvernement se ravisa et, sans abolir le monopole, rouvrit la frontière à l’importation des huiles pour rendre à la culture du blé les terres occupées, avec moindre profit, par la culture des graines oléagineuses[95].

En dehors de ses monopoles proprement dits, l’État tirait encore des bénéfices soit de la tolérance qu’il accordait à des monopoles autres que les siens, soit de la concurrence qu’il faisait à l’industrie privée.

La fabrication du papier avait dû être jadis un monopole des temples, et il semble bien qu’elle soit devenue un monopole royal. En tout cas, les dimensions fixes des différents formats supposent des règlements précis[96], et la défense d’exporter le papier, édictée, dit-on, pour entraver l’accroissement de la bibliothèque de Pergame[97], se comprend mieux, soit comme fait, soit comme légende, si le roi avait le monopole de cette industrie. Ne fût-ce que pour assurer l’approvisionnement de la grande Bibliothèque et de leur bureaucratie paperassière, les rois n’ont pas dû compter uniquement sur l’industrie privée. Du reste, le papyrus étant devenu un article du commerce international, il fallait, pour suffire à l’énorme développement de la consommation, de grandes manufactures et un outillage que peu de particuliers sans doute eussent été en état d’installer[98]. En l’absence de documents, il n’y a place ici que pour des hypothèses.

Nous ne sommes guère mieux renseignés sur la part que revendiquait l’État dans la fabrication des étoffes : mais nous savons au moins qu’il existait des manufactures royales placées sous la direction d’un haut fonctionnaire. On a vu comment un sénateur romain, Q. Ovinius, fut mis à mort par César Octavien, sous prétexte qu’il s’était déshonoré en acceptant de la reine Cléopâtre le poste de directeur des ateliers de filature et tissage de la laine[99] D’autre part, il est question, dans des fragments mutilés du Papyrus des Revenus, d’όθόνια ou toiles de lin, de laines et filasses, évidemment comme matière à taxe ou à monopole[100] ; et l’on sait par la Pierre de Rosette que les temples devaient livrer annuellement au Trésor, à titre d’impôt, des fournitures de toiles de lin, un impôt dont l’arriéré est remis au clergé par le gracieux Épiphane[101]. Les papyrus de Tebtynis nous montrent Évergète II passant aussi aux profits et pertes, comme son grand-père, l’arriéré des taxes sur les toiles dues par le clergé jusqu’à l’an L du règne (121/0 a. C.)[102]. Enfin il est question, dans les ostraka, d’un impôt sur les toiles payé en argent à la banque de Thèbes, au IIe siècle avant notre ère, par le fermier Apollonios, en plusieurs versements montant à la forte somme de 17 talents 2080 dr.[103].

De ces faits réunis, on peut conclure, avec une vraisemblance approchant de la certitude, que l’on se trouve en présence de deux monopoles superposés : un ancien monopole des temples pour la fabrication des toiles de lin[104] toléré moyennant un prélèvement en nature à fournir au Trésor, et un monopole royal, englobant le premier, qui accaparait la fabrication des autres étoffes, notamment des étoffes et tapis de laine, c’est-à-dire une industrie nouvelle. On sait, en effet, que les traditions sacerdotales attachaient l’idée de pureté aux vêtements de lin et considéraient comme impurs les tissus de matières animales. Les prêtres ne portaient que des habits blancs en toile de lin, et les profanes eux-mêmes n’endossaient un manteau de laine que par dessus une tunique de lin[105]. Les fragments du Papyrus des Revenus permettent de reconnaître çà et là des règlements tout à fait analogues à ceux qui établissent le monopole des huiles. On devine que la régie fixait le nombre d’aroures à ensemencer en lin, ce qu’elle eût fait quand même si le lin n’avait été utilisé que pour son huile ; que la vente libre et l’importation étaient interdites, et que les prix soit des matières premières, soit des tissus, étaient tarifés par l’administration[106]. Il s’agit donc ici d’un monopole complet, sauf une concession faite à l’industrie des prêtres, auxquels le monopole des huiles reconnaît aussi un privilège à peu près équivalent. Parmi les filateurs et tisseurs, dont nos documents relatent plusieurs variétés, on peut croire que les λίνυφοι et βασσουργοί travaillaient dans les ateliers sacerdotaux, les autres[107], dans les manufactures royales ou dans des ateliers privés, mais soumis à l’exercice et rigoureusement surveillés. Telle était sans doute la fabrique de toile de lin dont les propriétaires demandent au roi la permission de remplacer leur matériel en mauvais état[108].

Dans un papyrus qui parait dater du règne d’Épiphane, il est question de la ferme de la pourpre en Lycie[109] ; mais rien n’indique qu’il s’agisse d’un monopole royal. La quittance pour τέλος βαφέων délivrée en Égypte à l’époque ptolémaïque[110] montre qu’il s’agit simplement d’une taxe sur l’industrie des teinturiers. Nous ignorons si cette industrie y avait pris une grande extension ; mais Pline assure qu’elle pratiquait la teinture en impression sur étoffes[111], tandis que la pratique courante était partout ailleurs de teindre les filés avant le tissage. Il est possible que, sans prohiber la concurrence, le Trésor ait eu des ateliers de teinture et que cette invention, qui tranche sur la routine familière aux petits fabricants, ait été faite par ses ouvriers. Ce serait, en tout cas, une façon d’expliquer que le procédé soit resté ce qu’il semble être aux yeux de Pline, un secret industriel. Il ne pouvait être nulle part mieux gardé que dans les manufactures royales.

 

§ III. — LE MONOPOLE DE LA MONNAIE.

Enfin, il est un monopole qui, en tout pays, échoit à l’État et reste inséparable de la souveraineté : c’est la fabrication de la monnaie, commune mesure de toutes les valeurs[112].

Pendant une longue série de siècles, les Égyptiens se contentèrent de peser les métaux — or, électron, argent, cuivre — employés comme instruments d’échange. On voit, sur les monuments pharaoniques, des lingots en forme de barres, d’anneaux ou de disques troués, placés dans un des plateaux d’une balance, tandis que sur l’autre des poids en forme d’animaux font équilibre. La pratique du commerce dut amener nécessairement à comparer la valeur des métaux et à établir, sinon à fixer, le rapport des poids acceptés comme équivalents d’une espèce à l’autre[113]. Mais la monnaie proprement dite, — c’est-à-dire, des unités de poids métalliques garanties, comme poids et comme titre, par l’État, façonnées et poinçonnées dans ses ateliers, — la monnaie, dis-je, ne fut introduite en Égypte qu’au vie siècle par la conquête et la domination des Perses. En Égypte, devenue province perse, circulèrent, comme en Asie et dans les pays helléniques, les dariques du Grand-Roi en or pur, et, concurremment avec les sicles royaux en argent, des monnaies d’argent que le satrape d’Égypte, comme les autres gouverneurs de provinces, paraît avoir été autorisé à frapper[114]. Néanmoins, les Égyptiens, figés dans leur routine, n’acceptaient qu’avec défiance la monnaie ou ne l’acceptaient qu’au poids, comme les lingots indigènes. On a trouvé en Égypte quantité de monnaies étrangères coupées avec des cisailles, dont les fragments étaient mêlés à des morceaux de métal brut, tous évidemment destinés à passer par la balance[115].

La première monnaie nationale fut frappée en Égypte par Cléomène de Naucratis et à Naucratis même, entre 330 et 323, au type d’Aphrodite et au poids macédonien. La réputation de rapacité faite au satrape n’était pas de nature à recommander sa monnaie aux Égyptiens.

L’organisation d’un système monétaire égyptien[116] date des Ptolémées. Le premier Lagide, préoccupé de développer les relations commerciales de l’Égypte, avait adopté le système attico-macédonien, et il le conserva tant qu’il ne fut que satrape. Devenu roi indépendant, il se rallia au système phénicien, déjà en usage à Cypre, qui avait l’avantage d’être connu dans tout le bassin de la Méditerranée.

Les monnaies ptolémaïques ne commencent à se distinguer des autres monnaies aux types d’Alexandre émises par les divers satrapes de l’empire que sous le règne d’Alexandre IV (317-311). Ptolémée frappa des tétradrachmes d’argent sur lesquels l’effigie d’Alexandre déifié est coiffée non plus de la peau de lion, mais d’une peau d’éléphant, peut-être en souvenir de l’assaut donné aux éléphants de Perdiccas par Ptolémée en 321[117]. On voit apparaître sur le revers le foudre et l’aigle, symboles qui, combinés, formeront le blason de la dynastie. Après la mort d’Alexandre IV (311), Ptolémée s’essaie au rôle de roi et de dieu en frappant de grands bronzes, des médailles plutôt que des monnaies, à son effigie diadémée, et il signale la vacance du trône en laissant les monnaies anépigraphes, en supprimant l’inscription traditionnelle ΒΑΣΙΛΕΩΕ ΑΛΕΞΑΝΔΡΟΥ. Il revient cependant bientôt[118] au système prudent qu’il avait un instant abandonné, et le nom d’Alexandre reparaît sur ses monnaies : mais la proue de navire qui figure au revers rappelle les succès de sa flotte et le protectorat qu’il exerce sur les Cyclades.

Enfin roi en 306/5, Ptolémée n’hésite plus à mettre son effigie diadémée, son nom et son titre de roi sur les monnaies, frappées désormais au poids de l’étalon phénicien. Cependant, il ménage encore la transition. Sur les monnaies d’or qui portent son nom, il place au revers un char monté par Alexandre, et sur celles qui sont à l’effigie d’Alexandre figure au revers la signature ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ ou ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ ΒΑΣΙΛΕΩΕ avec l’aigle kéraunophore. Ptolémée tient à rappeler qu’il est le successeur d’Alexandre et qu’il règne par droit de conquête. Du reste, les espèces frappées à l’effigie d’Alexandre paraissent avoir été surtout destinées à circuler hors d’Égypte, de façon à ne pas déranger les habitudes du commerce international [119]. Enfin, Ptolémée adopte pour la monnaie du royaume d’Égypte les types qui resteront invariables comme le nom dynastique, l’effigie du roi à l’avers et l’aigle kéraunophore au revers. On sait que ses successeurs, trouvant l’esprit conservateur des Égyptiens d’accord avec l’intérêt dynastique, laissèrent à demeure sur leurs monnaies — sauf de rares exceptions[120] — l’effigie de l’ancêtre et la légende impersonnelle ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ ΒΑΣΙΛΕΩΕ[121]. De temps à autre, ils ravivaient les souvenirs d’une façon plus précise, en émettant des monnaies ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ ΣΩΤΗΡΟΣ et de magnifiques octadrachmes d’or au type d’Arsinoé Philadelphe pour célébrer le dixième anniversaire du mariage des reines, l’ίερός γάμος inauguré par la grande Arsinoé[122]. S’ils ont préparé par là des embarras inextricables aux numismates futurs, dont ils n’avaient nul souci[123], ils ont habitué leurs sujets à révérer en eux l’immuable et perpétuelle dynastie. Ils ont pu, à l’abri et sous le sceau du vénérable ancêtre, altérer le poids et le titre des monnaies : c’était toujours la monnaie du roi Ptolémée, et sa valeur était censée aussi immuable que le type.

L’organisateur du système monétaire égyptien, Ptolémée Soter, dut fixer, d’après des habitudes prises, la valeur relative des trois métaux, or, argent et cuivre, monnayés au même poids. L’étalon du système, la drachme d’argent du poids d’environ 3 gr. 57, fut considéré comme équivalant à 120 dr. de cuivre, tandis que la drachme d’or valait 12 ½ drachmes d’argent[124]. La frappe de différents métaux à égalité de poids obligea à chercher des multiples et sous-multiples qui, d’un métal à l’autre, fussent aisément comparables. A partir du règne de Philadelphe, l’octadrachme d’or[125] fut, en espèces, l’équivalent des monnaies de compte, de la mine (100 dr.) d’argent, et de deux talents de cuivre : le tétradrachme valait une demi-mine d’argent ou un talent (6.000 dr.) de cuivre. Pour le métal argent, l’étalon du système fut le tétradrachme, équivalent un peu diminué du shekel, sicle ou tétradrachme égyptien. Pour le cuivre, il semble qu’il y ait eu dès le début des tâtonnements et qu’on se soit décidé à diminuer le poids, c’est-à-dire la valeur réelle de cette monnaie encombrante, destinée principalement ou exclusivement au commerce intérieur. Les grosses pièces de 94 à 102 gr. frappées par Philadelphe représentaient sans doute la valeur de la drachme d’argent. Plus tard, on rencontre des octadrachmes (32 gr. 7 à 30 gr. 3), et tétradrachmes de cuivre qui, à moitié poids environ, devaient avoir une valeur nominale de 1 obole et ½ obole d’argent[126] C’était déjà abandonner le principe de la comparaison des valeurs réelles et entrer dans le système de la monnaie fiduciaire.

La monnaie devant être un instrument d’échange, l’État, qui se réserve le privilège de la fabriquer, ne doit pas fausser cet instrument en essayant de donner artificiellement à la monnaie une valeur notablement supérieure à la valeur commerciale du métal. Une légère majoration suffit pour couvrir les frais de fabrication et le rémunérer du service qu’il rend à la société en garantissant le titre et le poids des espèces. Il opérait généralement ce prélèvement en diminuant le poids des espèces-monnaies par rapport aux poids de même nom. C’est ainsi que la drachme-monnaie pesait environ 16 centigr. de moins que la drachme-poids. Mais la valeur commerciale des métaux est sujette à des fluctuations perpétuelles, et il n’est pas de système monétaire polymétallique qui puisse rester d’accord avec le cours des marchés[127] Il est inévitable que tantôt l’une, tantôt l’autre des espèces métalliques ait une valeur réelle supérieure ou inférieure à sa valeur nominale ; auquel cas le désordre se fait sentir, à la longue, par la disparition progressive de la monnaie forte, remplacée par la monnaie dépréciée. Lorsque l’écart entre la valeur nominale et la valeur réelle est devenu notoire, la compensation s’opère d’elle-même par le fait que la monnaie dépréciée n’est plus acceptée pour sa valeur nominale, ou l’État intervient pour rétablir l’équilibre, et l’histoire enseigne qu’il le fait toujours en diminuant soit le poids, soit le titre de la monnaie forte.

On voit déjà la désorganisation se manifester durant le règne de Philadelphe. S’il est vrai que le rapport de valeur entre l’argent et le cuivre ait été de 1 : 120, et le rapport des poids réduit à 1 : 60, c’est sans doute que la monnaie de cuivre, comme aujourd’hui la nôtre, devait rester une monnaie d’appoint, représentant simplement les’ fractions des espèces en argent. Mais, admise dans le commerce international, comme il semble qu’elle le fut[128], elle ne pouvait manquer d’expulser du royaume la monnaie d’argent, échangée contre une valeur inférieure en cuivre. Sans doute la valeur du métal argent avait diminué par le fait des conquêtes d’Alexandre, mais l’exploitation des mines de Cypre avait aussi abaissé la valeur du cuivre. En tout cas, l’exagération de la valeur nominale du cuivre se fit bientôt sentir dans l’intérieur du pays, et Philadelphe ne voulut plus accepter le paiement en cuivre, pour certains impôts spécifiés, que moyennant une soulte ou change de 9 à 10 %. Dans le Papyrus des Revenus, le roi dispose que l’adjudication du monopole de l’huile sera faite πρός χαλκόν, et qu’il acceptera 24 oboles de cuivre pour un statère d’argent[129]. De même pour la ferme de l’άπόμοιρα. D’autres taxes, en revanche, comme la τετάρτη άλιέν et la νετρεκή πλύνου, étaient affermées πρός άργύριον, et, payables en argent, ne pouvaient être payées en cuivre qu’avec une soulte ou change. Une quittance, délivrée au milieu du file siècle pour un versement de 80 dr. d’argent provenant de la τετάρτη ίχθυϊκών άλιέων[130], montre que le trapézite a exigé 87 dr. ½ de cuivre, c’est-à-dire une soulte de 9 1/3 %. Dans le vocabulaire du siècle suivant, le cuivre accepté pour sa valeur nominale est dit au pair, et l’autre, cuivre pour argent ou, en termes plus clairs, cuivre dont le change[131].

Au IIe siècle, un changement de système était intervenu qui date du règne de Ptolémée V Épiphane ou peut-être de la fin du règne de Ptolémée IV Philopator. Tandis qu’auparavant l’étalon monétaire était la drachme ou le statère d’argent, la monnaie courante et mesure ordinaire de la valeur est la monnaie de cuivre. C’est en drachmes et talents de cuivre que sont faites les estimations officielles[132] ; la monnaie d’argent, de plus en plus rare, n’est plus pour ainsi dire qu’une marchandise dont le prix reste flottant[133]. Dès lors, il devenait inutile de frapper la monnaie de cuivre au même poids que la monnaie d’argent ; et, en effet, la drachme de cuivre devient peu à peu une fraction infinitésimale, comme valeur effective (environ 1/5 de notre centime), de la drachme d’argent ; et, en même temps, la valeur nominale du métal cuivre s’exagère au point que le rapport des deux métaux, en poids, s’abaisse à 1/28 ou même 1/21[134]. Une série de pièces émises par la grande Cléopâtre, au poids de 15 à 20 gr. de cuivre pour la grosse pièce, et de 7 à 10 gr. pour la petite (la grosse pièce valant 80 dr. et la petite 40), ne sont plus guère que des jetons[135] En somme, la monnaie de cuivre n’était plus comparable à la monnaie d’argent : c’était une monnaie fiduciaire, dont la valeur intrinsèque contrastait étrangement avec les noms empruntés à l’échelle pondérale des monnaies d’argent.

Nous ne saurions dire si les rois, en abaissant ainsi la valeur réelle de la monnaie de cuivre, avaient cru pouvoir lui conserver sa valeur nominale et la même puissance d’achat, ou s’ils avaient voulu simplement mettre à la disposition du paysan une monnaie commode pour les transactions portant sur des valeurs minimes, transactions faites jusque là par troc et en nature. Il n’était pas en leur pouvoir d’empêcher le jeu des lois économiques. Aussi voit-on la valeur des denrées alimentaires, la plus stable qui soit en tout pays, s’exprimer en sommes énormes de monnaie de cuivre. Au milieu du Ile siècle, le prix de l’artabe de blé, qui était jadis d’environ 9 oboles d’argent, va de 250 à 400 dr. de cuivre ; il monte plus tard à des sommes doubles, quadruples, quintuples[136], ce qui ne peut guère s’expliquer que par une altération progressive des monnaies. Un χοΰς de vin (3 lit. 1/4) pouvait coûter de 260 à 800 dr. ; une pareille mesure de bière, 40 dr. ; d’huile de ricin, 660 dr. Au temps de Philométor, une vache est payée 3 talents ½, autrement dit 21.000 dr. de cuivre[137] ; une maison est estimée 120 talents[138].

Il est difficile, pour ne pas dire impossible, de se représenter l’état chaotique d’une circulation monétaire dans laquelle roulaient pêle-mêle les anciennes pièces et les nouvelles : les anciennes pièces d’argent fin et les nouvelles plus ou moins altérées[139] ; les anciennes pièces de cuivre, dont la valeur nominale, vu le poids des nouvelles, devait être au moins doublée ; enfin des pièces de systèmes différents et concurrents, la drachme ptolémaïque ne valant que les 4/5 de la démotique[140]. Ajoutons que les indigènes ne comptaient point par drachmes, mais par deben, shekels et katis ou kites (½ shekel), fidèles à un système décimal qui était, au fond, supérieur au système officiel. Il est plus malaisé encore de comprendre comment les particuliers et surtout l’État, qui a besoin de règles fixes pour sa comptabilité, pouvaient débrouiller ce chaos, à moins qu’on n’eût recours, comme jadis, à la balance. Cela paraît d’autant plus probable qu’à l’époque romaine la balance n’a jamais cessé d’être en usage, au moins pour les gros paiements. Il semble, en tout cas, que, la monnaie de cuivre étant la mesure courante des valeurs, l’État aurait dû cesser de stipuler des paiements en argent et de prélever un change sur la monnaie de cuivre. Or, c’est précisément l’époque où l’on rencontre à tout propos les expressions techniques χαλκός ίσόνομός et χαλκός οΰ άλλαγή. Il est impossible, d’autre part, que le change exigé par les trapézites royaux ait suivi les fluctuations énormes signalées plus haut. La monnaie de cuivre n’est pas non plus arrivée brusquement aux valeurs infimes de la fin du régime ptolémaïque. Il a dû se produire une dépréciation croissante par rapport à l’argent, dépréciation compensée dans une certaine mesure, et irrégulièrement, par l’abaissement du titre de la monnaie d’argent.

Il faut espérer que de nouveaux documents jetteront plus de lumière sur ces questions épineuses aujourd’hui encombrées de conjectures discordantes.

 

 

 



[1] Pline, XXXI, § 78. Quel Ptolémée, c’est pour Pline chose indifférente.

[2] Pline, XXXI, § 74 : rubet Memphi (§ 86). Pline appelle sal le sel Hammoniaque (§ 79), les sels de potasse extraits des cendres de végétaux (§ 83), et diverses substances, comme le flos salis, robigo salis, que Ægyptus invenit (§ 90), substance crocei coloris aut rufi, peut-être identique à la salsugo noirâtre (XXXV, § 91) en qui on croit reconnaître des sulfates métalliques (cf. H. Blümner, Technologie, IV, p. 517), etc. Sur le sel et les salines de l’oasis d’Ammon, voyez Arrien, III, 4, 3. Dinon ap. Athénée, II, p. 67 b. Ces auteurs disent que les prêtres en envoyaient au roi, à titre de cadeau — peut-être de tribut.

[3] Pline assure qu’on n’avait pu besoin, ni en Égypte ni en Crète, d’ouvrir des rigoles pour amener l’eau de la mer, et circa Ægyptum ipso mari influente in solum, ut credo, Nilo Sucosum (XXXI, § 81) ; mais il dit ailleurs : salinis mare infundunt, Nilum autem modo nitrariis (§ 109).

[4] Voyez Wilcken, Ostr., I, pp. 141-144. L’expression είς τόν ένιαυτόν, dans Ostr., n. 312. D’après le Pap. Petr., II, n. 39 f. III, n. 109, col. 5, Olympichos, un homme qui ne peut être un petit épicier, paie en moyenne 3 dr. par an pour άλική. Des femmes aussi paient la taxe. L’άλική ίερών (Ostr., n. 1227) me parait avoir été une taxe payée par les temples plutôt qu’aux temples.

[5] Cf. H. Blümner, Technologie, IV, p. 388, L Dans ces sels divers doit être compris l’alun (νίτρον, alumen), laudatissimum in Ægypto (Pline, XXXV, § 184).

[6] Voyez l’énumération de Pline (XXXI, §§ 106-122 ; XXXVI, § 191, etc.). Sur la verrerie de luxe, fabriquée à Alexandrie, voyez Strabon, XVI, p. 758.

[7] Cf. Strabon, XVII, p. 803.

[8] En 1893, le monopole du sel — sel marin et natron — a produit plus de 3 millions de francs de bénéfice net à la régie égyptienne (Wilcken, Ostr., I, p. 142, 3).

[9] A. Peyron, Pap. di Zoide ; pp. 5-17. 27. Cf. ci-après, ch. XXVIII.

[10] Pap. Par., n. 67. Pap. Petr., II, n. 27 a. Les Ostraka n. 329 et 1497 portent νιτρική πλύνου, c’est-à-dire une taxe sur le natron employé au lessivage par les foulons et les teinturiers (Wilcken, Ostr., I, pp. 264-265). Il y aurait donc eu, comme pour le sel, des taxes supplémentaires accroissant les bénéfices du monopole. Mais je soupçonne qu’il s’agit peut-être d’un impôt sur la potasse obtenue par lessivage des cendres, en dehors du monopole. Cf. Pline, XVI, § 31 : cremati quoque roboris cinerem nitrosum esse certum est, et XXXI, § 83, où il est question encore de cendres harundinis et junci utilisées en Ombrie. Les joncs et les roseaux ne manquaient pas en Égypte, et le fisc a dû songer à étendre son monopole aux lessives.

[11] Diodore, III, 11-13. Cf. Lumbroso, Rech., pp. 117-119. Robiou, Mémoire, p. 129. H. Blümner, Technologie, IV, pp. 7-8. 13-14. 128-130.

[12] Il y avait des mines de cuivre en Libye, en Thébaïde, dans la péninsule du Sinaï. Cf. Lumbroso, p. 287, 4. Blümner, IV, pp. 57-58. On sait maintenant, par les papyrus du Fayoum (Pap. Petr., III, n. 43, 3 : cf. BGU., p. 153, 3), qu’on en exploitait aussi aux environs de Philotéris, dans la μερίς Θεμίστου. Sur l’exploitation des mines du Sinaï à l’époque pharaonique, voyez R. Weil, Recueil des inscr. égypt. du Sinaï (Paris, 1904) et la recension de Maspero (Rev. Crit., 1905, 2, pp. 307-309).

[13] Sur les procédés d’extraction employés dans les carrières, notamment à Syène, voyez H. Blümner, Technologie, III, pp. 75-80. En ce qui concerne le porphyre, voyez Letronne, Recueil, I, pp. 136-146. Cf. J. de Morgan, V. Bouriant et G. Legrain, Les carrières antiques de Ptolémaïs (Mém. de la Miss. archéol. du Caire, t. VIII [1894], pp. 353-379). Sur les dénominations et distinctions incertaines des espèces de matériaux, granit, syénite, basalte, etc., voyez Blümner, III, pp. 11-26.

[14] H. Blümner (III, pp. 227-278), utilisant des renseignements puisés pour la plupart dans Pline, a fait le dénombrement des pierres précieuses connues dans l’antiquité. Il signale, comme produits égyptiens ou de pays limitrophes, le soi-disant diamant de Cypre (p. 232), le rubis de Libye ou Éthiopie, apud Troglodytas (p. 235), la topaze de l’île Ophindès dans la mer Rouge (p. 238) et le cristal de roche dans une île voisine (p. 250), l’émeraude de Koptos (p. 240), — exploitation que Letronne (Recueil, I, p. 451) est tenté de croire délaissée à l’époque des Lagides, — une sorte d’opale qui nasci dicitur in Ægypto et Arabia (p. 246), le chrysolithe d’Éthiopie (p. 247), l’améthyste en Égypte et à Cypre (p. 251), le jaspe de Cypre (p. 255), la calcédoine de Thébaïde (p. 257), l’agate en Égypte et à Cypre (p. 260), la sardoine pailletée d’or en Égypte (p. 263), l’onyx d’Arabie (p. 266), l’obsidienne d’Éthiopie (p. 274), la malachite d’Arabie (p. 277). L’Inde fournissait des pierreries de toute espèce et de qualité supérieure. Les grosses perles (uniones) se péchaient au golfe Persique, in Rubri maris profunda (Pline, IX, § 106. XII, § 2). On sait que les mines de pierres précieuses, par exemple, celles du mont Smaragdus, étaient exploitées sous l’Empire pour le compte de l’empereur (Letronne, loc. cit.) et que, en thèse générale, le monopole de production entraîne la main mise sur l’importation.

[15] Sur la fondation de Ptolémaïs Épithéras et la chasse aux éléphants, cf. Strabon, XVI, p. 770. XVII, p. 789.

[16] Cf. l’inscription de Sotérichos, envoyé par le stratège de la Thébaïde (Strack, n. 109. Michel, n. 1233 — du 4 oct. 130 a. C.).

[17] Terrarum omnium Ægyptus adcommodatissima unguentis (Pline, XIII, § 26). Cette réputation datait de loin. Homère vante déjà les drogues médicinales de l’Égypte (Odyssée, IV, 230). Pline énumère les parfums fabriqués en Égypte avec des produits soit indigènes ou acclimatés, soit importés : le ladanum, per Ptolemæos iralatis plantis (XII, § 76) ; le cinnamome, in Æthiopia Trogodylis connubio permixta (§ 86) ; le myrobalanum, Trogodylis et Thebaidi et Arabiæ commune (§ 100) ; le cypros, optimum e Canopica in ripis Nili nata (§ 109) ; le malobathrum, fertiliore ejusdem Ægypto (§ 129) ; une certaine résine de mélèze, laudatur Hammoniaca maxume, mox Ægyptia (§ 134). Il cite, parmi les parfums composés qui ont été à la mode, l’œnanthinum in Cypro, deinde in Ægypto propositum ; le cyprinum in Cypro, deinde in Ægypto, ubi Mendesium et metopium subito gratius factum est, le metopium ayant pour excipient l’huile d’amandes amères expressum in Ægypto (§ XIII, §§ 5-8).

[18] Athénée, XV, p. 689 a.

[19] Summa commendatio eorum ut transeunte femina odor invitet etiam aliud agentes exceduntque quadringenos denarios libræ (XIII, § 20).

[20] Pline, XIII, § 84.

[21] Strabon, II, pp. 98-99.

[22] Pline, XIX, § 38.

[23] Ob intolerandam vectigalia nimietatem (Solin., c. 27, 49). Cf. A. Rainaud, De natura Cyrenaicæ Pentapolis (Paris, 1894), pp. 118-131. Il est possible que le silphium ait échappé au monopole au temps où il n’était pas cultivé et où il fallait aller le recueillir sur la frontière du désert, en affrontant le danger de rencontres avec les Nomades. En tout cas, le silphium était grevé de droits de douane très lourds, car les Carthaginois encourageaient la contrebande qui se faisait à Charax (Strabon, XVII, p. 836), et le commerce s’approvisionnait de préférence chez eux (Pollux, VI, § 67). Cf. Lumbroso, p. 313. Il se peut aussi que, comme l’a cru jadis Lumbroso (p. 312), le prix exorbitant des bois de thuya, qui étaient un produit de l’Oasis et du S. de la Cyrénaïque (Pline, XIII, § 102), ait été dû à des droits onéreux imposés par les Lagides à la sortie soit de la matière première, soit du bois travaillé. Mais cette conjecture ne peut plus s’appuyer aujourd’hui sur les textes qui l’ont suggérée, le τελος θυιών étant reconnu maintenant pour tut impôt sur les pressoirs. Cf. la ξυλική, perçue en Lycie (Tebt. Pap., n.8, lig. 26). La défense faite aux particuliers de couper du bois sur leurs propriétés à l’encontre des règlements existants (Tebt. Pap., n. 5, lig. 205) ne me parait pas constituer un monopole, mais une précaution contre le déboisement d’un pays où les arbres ont toujours été rares et où c’était un crime capital de couper un arbre appuyant une digue (Révillout, Obligat., p. 134). On a peut-être affaire à des bois sacrés (Révillout, Précis, p. 4) dont les particuliers auraient eu la jouissance, non la propriété.

[24] Hérodote, II, 86 : l’encens en est exclu.

[25] Pline, XII, §§ 51, 66-71. Athénée, XV, p. 689 e. Per se unquentem facit sine oleo (Pline, XIII, § 17). Trogodylica silvestrium prima, sequens Minæa (XII, § 69). Dans un tarif de l’époque impériale, le μύρον έκ Τρωγωδυπκής est taxé à 67 dr. 1 ob. ; le μόρος έκ Μειναΐας (Arabie), au tiers seulement (Wilcken, in Archiv. f. Ppf., III, 2 [1904], pp. 185 sqq.).

[26] Tebt. Pap., n. 35. Apollonios envoie des appariteurs pour surveiller l’application de son ordonnance.

[27] Cf. Grenfell, in Tebt. Pap., p. 130.

[28] Cf. une liste de parfums, quantités et prix malheureusement illisibles (liste commerciale ou fiscale ?), dans Pap. Par., II, n. 34. On y rencontre un νεονχώαν inédit et un Έφετρικόν. A l’époque romaine, il semble que l’État ait remplacé le monopole de la vente par la concurrence de fabrication. Les cachets à la marque άρωματικής τών κυρίων Καισάρων doivent provenir des officines impériales. Le fisc percevait des taxes d’importation et de transit sur les matières premières. Cf. le tarif commenté par Wilcken (in Archiv f. Ppf., loc. cit.), qui rejette le monopole admis par Rostowzew.

[29] Sur la distinction entre παράδεισοι, φοινικώνες, κήποι, etc., voyez les opinions divergentes de Mahaffy (Rev. Laws, pp. XXXIII. LIV) et de Grenfell (ibid., pp. 94-96). Mahaffy pense que les παράδεισοι étaient plantés — exclusivement ou principalement — en vignes portées par des treilles ou des arbres. Il fait rentrer les άμπιλώνες dans les παράδεισοι, dont il élimine les κήποι et les φοινικώνες. Pour Grenfell, tous les arbres à fruit sont compris dans les παράδεισοι, sauf la vigne ; ce qui parait tout à fait d’accord avec les textes (Wilcken, Ostr., I, p. 157, 2).

[30] En Judée, sous les Séleucides, les ξύλινοι καρποι étaient taxés à la moitié de la récolte (I Maccabées, 10, 30).

[31] Strabon, XVII, p. 818. Cf. le jardin à palmiers de Babylone (Pline, XIII, § 41). Le fruit du palmier dit άδιψος était employé en parfumerie à peu prés aux mêmes usages que le μυροβάλανον (Pline, XII, § 103). A l’époque romaine, il était grevé de taxes comprenant à la fois un impôt foncier de 30 dr. par aroure et un tiers de la récolte (Wilcken, Ostr., I, pp. 258-259).

[32] Pline, XII, § 111. Le fisc romain le vendait 300 deniers le setier (½ litre), et les revendeurs trois fois autant (§ 123).

[33] Cf. H. Blümner, II, pp. 151-163. IV, pp. 442-464.

[34] Tebt. Pap., n. 5, lig. 140, 157, 173. Avec les βασιλικοι γεωργοι, les ouvriers des manufactures royales, πόκφοι, τανυφάνται, έλαιουργοί, κικιουργοι (voyez ci-après), les brasseurs, les éleveurs de porcs et d’oies. Je me refuse à admettre, avec Grenfell, que tout ce personnel soit au service du monopole. Nous reviendrons plus loin sur la ζυτηρά. Les βασιλικοί χηνοβοσκοί qui se plaignent à l’économe Phaiès des fournitures indûment exigées d’eux (Pap. Petr., II, n. 10, 1, vers 240 a. C.) sont des fermiers du Domaine, taxés pour leur industrie spéciale : de même les ύοφορβοί. Nous savons qu’on élevait aussi des oies dans les domaines sacerdotaux, et rien n’indique qu’il y eût monopole, soit du roi, soit des temples. La chair d’oie était le régal des prêtres (Hérodote, II, 37) et des fonctionnaires, qui prélevaient des oies comme ξένια (voyez ci-après). Sur l’incubation artificielle pratiquée par les χηνοβοσκοί égyptiens, voyez Diodore, I, 74. Les porcs, dont on ne mangeait pas la chair (sauf dans des sacrifices rituels, Hérodote, II, 47), étaient employés à piétiner et enterrer les semences.

[35] Révillout, in Rev. Égypt., VII, p. 39 sqq. Mélanges, pp. 300-304. Voyez Wilcken, Ostr., I, pp. 137-141. Les objections de Wilcken contre le monopole ne me paraissent pas infirmées par les observations de Grenfell (Tebt. Pap., p. 49), qui suppose les bénéfices de la vente du poisson par l’État s’ajoutant à la τετάρτη άλιέων. Les pêcheurs payaient encore une taxe pour leur barque : mais ce pouvait être un prix de location.

[36] Sur la fabrication des conserves de poisson au lac Mœris, qui rapportait au roi un talent par jour, au moment du reflux de l’inondation (Hérodote, II, 149. Cf. III, 91), voyez Diodore, I, 52. Il est question de la τετάρτη τοΰ ταρΐχου dans un papyrus de l’an 235 a. C. (Pap. Petr., I, n. 28, 2. III, n. 58 c. Wilcken, I, p. 397). Il s’agit toujours de poissons d’eau douce, les Égyptiens orthodoxes s’abstenant des poissons de mer, et les prêtres, de toute espèce de poissons (Plutarque, Is. et Osir., 7). D’après un bordereau de taxes levées sur les « filets » employés au canal de Ptolémaïs Hormou (Pap. Petr., II, n. 39 c. III, n. 107 a, sans date), le tarif parait avoir été de 50 ou même 75 %. Il s’agirait alors d’un monopole (?).

[37] Voyez la discussion dans Wilcken (Ostr., I, pp. 369-373), qui réserve le nom de ζυτηρά (ώνή) à l’impôt sur la production, impôt qualifié parfois φόρος (Pap. Grenf., II, n. 39) au lieu de τέλος. P. Grenfell (Tebt. Pap., p. 49) n’ose pas affirmer que la ζυτηρά fût un monopole, mais il trouve que there is not the least difficulty in supposing that the beer-manufacture was a government monopoly, et c’est la solution qu’il estime la plus probable (ibid., p. 142). Le fait qu’un fermier de la νιτρική, monopolisée est en même temps fermier de la ζυτηρά (Tebt. Pap., n. 40) ne prouve ni pour ni contre. En tout cas, Wilcken me parait avoir démontré, contre Wessely, que la ζυτηρά n’est pas un impôt sur la consommation de la bière, mais sur la fabrication.

[38] Pap. Par., n. 62, col. IV, lig. 4-7. Wilcken (p. 371) déclare qu’il ne croit pas à cette explication, donnée par Lumbroso (p. 306), mais qu’il n’en a pas d’autre à proposer. Il n’est cependant pas impossible que les bureaux aient imaginé d’égaliser les versements en faisant varier les échéances.

[39] Wilcken (p. 371) se demande si la somme portée en décompte par les prêtres de Soknopœos ύπέρ ζυτηράς Σοκνοπαίου Νήσου (BGU., n. 1, l. 2) était une taxe payée par eux comme brasseurs, ou, au contraire, une taxe levée par eux sur leurs paroissiens et reversée au Trésor.

[40] Pap. Par., n. 67.

[41] Pap. Grenf., II, n. 39. Cf. Wilcken, p. 372.

[42] Hérodote, II, 77. Cf. Plutarque, Is. et Osir., 6.

[43] Hérodote, III. Voyez D. Mallet, op. cit., pp. 345-354.

[44] L’άπόμοιρα s’ajoute à l’impôt foncier et à un οΐνου τέλος (Pap. Par., n. 67, lig. 12), qui frappait sans doute les 5/6 restant au producteur (cf. Wilcken, I, pp. 270-271). Le versement relaté pour οΐνου τέλος par le papyrus susdit monte à 13 talents 5.000 dr.

[45] Cf. Wilcken, in Archiv f. Ppf., III, 2 [1904], pp. 194-195. Le document lui-mente est une copie datée de l’an XXVII (259/8 a. C.). On avait d’abord pensé que l’ordonnance en question avait été rédigée spécialement pour les clérouques du Fayoum (Mahaffy, R. L., p. XXXVIII), mais on s’accorde maintenant à la considérer comme une loi générale, applicable à toute l’Égypte.

[46] Les arbres à fruits, connus par d’autres textes, sont assimilés aux παράδεισοι (Wilcken, I, pp. 134-135). Voyez des spécimens d’estimation de la taxe en nature pour la vigne, en argent pour les άκρόδρυα (Pap. Petr., II, n. 27, 1. III, n. 69 a. 117 g).

[47] De 1/6 à 1/10 (δεκάτη), d’après Wilcken (Ostr., I, p. 160) interprétant comme deux fractions distinctes la rubrique έκτης καί δεκάτης (Pap. Petr., n. 43 b), que Grenfell traduisait par 1/16, soit 6 1/4 pour 100. L’έκτη normale serait pour les palmeraies (?), la δεκάτης pour les vignobles mentionnés à la colonne précédente (n. 43 a). Le règlement d’Henchir Mettich, visé plus haut, exempte de redevance durant cinq ans les vignobles et figueries nouvellement plantés, pendant dix ans les olivettes. Remise de l’arriéré de l’άπόμοιρα par Évergète II (Tebt. Pap., n. 5, lig. 18).

[48] L’exception devint peu à peu la règle, si bien que la perception en nature semble tombée en désuétude après le règne d’Épiphane (Grenfell, in Rev. Laws, p. 121). Wilcken (Ostr., I, p. 159, 2) conteste l’interprétation de Grenfell (Rev. Laws, p. 103), qui suppose l’estimation en argent (adæratio) substituée de droit à la livraison en nature, quand la livraison n’a pas été effectuée dans les délais voulus. Le fait est que des prix comme 5 à 6 dr. par métrète de 8 choûs (un peu plus de 26 litres), inférieurs à la valeur courante du vin, seraient loin d’être une pénalité. Wilcken pense, avec raison, à mon sens, que c’est le prix du transport effectué aux frais du contribuable négligent. La taxe pour l’an XXII, exigée dans des conditions imprévues, dut être le plus souvent payée en argent, avec un δοκιμαστικόν en sus pour frais d’estimation. Un vigneron s’en acquitte en l’an XXVI (260/59 a. C.) et paie 20 dr. pour κεράμιον τήι Φιλαδέλφωι (Pap. Leid., Q).

[49] Rev. Laws, col. 24, 25, 27, 31. L’άπόμοιρα des vergers s’appelle aussi έκτη άκροδρύων, quand il n’y a dans les jardins que des arbres fruitiers (Wilcken, I, pp. 134, 161).

[50] Rev. Laws, col. 25. C’est, je suppose, la raison pour laquelle un vigneron, à la date du 4 Payni an VII (d’Évergète Ier ? = 22 juillet 240 a. C.), écrit : Dorothée à Théodore. Sache que je vendangerai le 9 Payni. Tu feras donc bien d’envoyer quelqu’un pour surveiller le moût qui te revient, ou écris-moi comment tu t’arranges (Pap. Petr., II, n. 40 b).

[51] Rev. Laws, col. 26-28.

[52] Ce sont ces jarres qui servaient de mesures, si bien que, dans la langue courante, on évalue toujours les quantités de vin en κεράμια. Le fait singulier que le Papyrus des Revenus adopte pour mesure exclusive le métrète et ignore le κεράμιον s’explique, suivant Wilcken (I, pp. 758-761), par l’identité du κεράμιον et du μετρήτης όκτάχους. Ce κεράμιον normal à 8 choûs correspond exactement à l’amphore romaine à 8 conges (26 lit. 26), que les Romains ont dû emprunter à l’Égypte.

[53] L’État aurait pu fournir à l’armée le vin de ses celliers ; mais il préférait en acheter (cf. Wilcken, I, p. 610). Il fournissait de même aux officiers l’argent nécessaire pour acheter le sel au prix coûtant. Cf. Wilcken, I, p. 144. C’était une simplification d’écritures et économie de transports.

[54] Rev. Laws, col. 31-34. Il y a discussion à propos du texte mutilé : έάν μέν έπιγένημα π[ερι]ήι, [έπιδιαγρ]αψάτω, entre Mahaffy-Grenfell, d’une part, et Wilcken (p. 533) de l’autre. D’après le Pap. Par., n. 62, col, 5, 3, les fermiers άναπληρώσοντες τάς ώνάς auront droit à une gratification supplémentaire de 600 dr. par talent (10 %), en sus de l’έπιγένημα éventuel. Wilcken soutient que άναπληροΰν τάς ώνάς signifie remplir toutes les obligations du cahier des charges, et que, tel étant ici le cas, il faut lire προσδιαγραψάτω, sous-entendu όψώνιον. Mais il aurait dû suffire, dans l’hypothèse, que le fermier eût rempli ses obligations : l’έπιγένημα est ici de trop (cf. ci-après, ch. XXVI).

[55] Rev. Laws, col. 29. C’est une sorte d’άντίδοσις. Le cultivateur, une fois remboursé, payait l’έκτη à l’économe. Spécimen d’estimation de ce genre dans Pap. Par., III, n. 70 a col. II.

[56] Comme le vin, l’huile d’olive était importée par les Grecs. Plutarque (Solon, 2) raconte que Platon vendit de l’huile en Égypte pour payer ses frais de voyage. En exemptant du monopole l’huile d’olive, peut-être l’État voulait-il encourager la culture de l’olivier en Égypte (Wilcken, Ostr., I, p. 188, 5), but visé aussi par la défense d’importer l’huile étrangère dans les nomes. Du reste, le nome Arsinoïte seul put fournir de l’huile d’olive (Strabon, XVII, p. 809).

[57] Ne pas confondre ce croton, appelé ricinus par les Latins a simililudine seminis (Pline, XV, § 25), parce que la graine ressemble à la tique, espèce d’araignée sangsue (ricinus), avec le croton médicinal (croton Tiglium), qui produit une huile purgative et révulsive très énergique. L’huile du ricinus communis est aussi purgative. On se demande si, pour la consommer (Strabon, XVII, p. 824), les Égyptiens savaient, comme les Chinois, la débarrasser de son principe médicinal (Grenfell, in R. Laws, p. 125).

[58] Le croton ou kiki était appelé aussi σήσαμον άγριον, σέσελι ou σίλλι κύπριον (Hérodote, II, 94. Pline, XV, § 25. Dioscoride, IV, 16, 4). Huile δυσώδης, τώ λύχνω προσηνές, όδμήν δέ βαρέαν παρέχεται (Hérodote, loc. cit.). — Cibis fœdum, lucernis exile (Pline, l. c.). Les fellahs de la Haute-Égypte et les Nubiens se frottent encore aujourd’hui le corps de l’huile qu’ils extraient du ricin commun : elle les préserve contre les moustiques et empêche leur peau de se gercer au soleil (Maspero, Hist. anc., I, p. 54, 2).

[59] Sur les diverses espèces d’huiles, aromatiques et autres, voyez Pline, XV, §§ 24-32. Les huiles de cèdre et de raifort servaient aux embaumements. Au temps de Pline, le raifort payait moins d’impôt et rapportait plus que le blé, nullumque copiosius oleum (XIX, § 79). Oleum plurumum in Ægypto e raphani semine aut gramine herbave quod chortinon appellant, item e seaima et urtica quod cnidinum (cnecinum ?) appellant (XV, § 30).

[60] Le Bas-Empire, ayant emprunté à l’Égypte le système des redevances en nature (annona), s’est aussi préoccupé d’assigner certaines régions à l’approvisionnement de Rome, de Milan et de Constantinople.

[61] On a vu plus haut que l’ordonnance de Philadelphe, sorte d’Édit perpétuel, a été révisée par les bureaux du diœcète et porte des corrections de détail qui, en général, aggravent les charges des cultivateurs et fermiers au profit du Trésor. Il n’y a pas à tenir compte, dans une analyse aussi succincte, de ces remaniements qui pouvaient varier d’une année à l’autre, la taxe étant affermée tous les ans.

[62] D’après les estimations du Dr. Wright, reproduites par Grenfell (R. L., p. 125), la graine de sésame donne, au poids, de 49 à 51 % d’huile ; le ricin, environ 25 %. Mais le papyrus ne connaît que les volumes et ne dit pas à quelle proportion il estime le rendement par artabe, pas plus qu’il ne nous apprend quel rendement en artabes — rendement moyen, tout au moins — il attend des surfaces ensemencées. Il y avait évidemment des estimations préalables toutes faites, car les quantités requises sont évaluées tantôt en aroures et tantôt en artabes (cf. Grenfell, p. 171). Wilcken (Ostr., I, p. 740) conjecture qu’il fallait, pour produire 1 métrète d’huile, 5 artabes de croton, 8 de carthame, 7 de graine de lin, 12 de coloquinte.

[63] Les autres huiles servent d’appoint. La culture du lin est réglementée aussi, mais en vertu du monopole des matières textiles. Pap. Par., II, n. 28, col. V.

[64] Les fermiers ou adjudicataires de la vente sont désignés par des périphrases : οί πριάμενοι τάς ώνάς ou τήν ώνήν ήγορακότες, et, d’une façon plus générale, englobant les associés et les cautions, οί πραγματευόμενοι περί τάς ώνάς. Le chef responsable de la société est l'άρχώνης. Sur la procédure des adjudications, voyez ci-après, ch. XXVI.

[65] Rev. Laws, col, 60-72. Par exemple, le nome Héliopolite n’ensemençait que 500 amures de sésame et pas du tout de croton. Il recevait des autres nomes 2000 artabes de sésame (col. 63-64).

[66] Rev. Laws, col. 41 et 43. La distribution peut être faite en nature (col. 43), ou en argent, à raison de 4 dr. par aroure de sésame et 2 dr. par aroure de ricin, c’est-à-dire aux deux tiers du prix coûtant, l’aroure correspondant à l’artabe. Le ricin, qui ne supporte pas l’hiver de nos climats, n’avait pas besoin d’être semé tous les ans en Égypte. On se demande pourquoi la distribution doit être faite au moins 60 jours avant la récolte (col. 43). Il eût été plus simple de prélever la graine sur la récolte prochaine, comme le font les propriétaires privilégiés et bénéficiers έν δωρεά ou en συντάξει, qui sont invités à garder par devers eux la provision nécessaire pour les semailles.

[67] Voyez, dans un papyrus de Payni (juillet-août) an XXIV (d’Évergète Ier ou d’Épiphane ?), des cultivateurs du nome Arsinoïte parlant de leur récolte et de celle faite έκ τής Δωρίωος (Pap. Gizeh Mus., n. 10271, in Archiv. f. Ppf., II, p. 81). Suivant l’usage égyptien (cf. Révillout, Précis, pp. 5, 22, 29), les ouvriers et cultivateurs des grands domaines travaillaient par brigades de 10 hommes sous un chef et un sous-chef commandant à 5 hommes. Les γεωργοι sont ici évidemment des cultivateurs royaux. Cependant, dès cette époque, le Domaine trouvait son compte à cultiver de préférence les céréales. Un siècle plus tard, il avait à peu près renoncé à la culture des graines oléagineuses. Bien que le nome du Lac dût fournir un nombre respectable d’artabes de sésame et de croton pour la consommation de Memphis (Rev. Laws, Col. 69. 71), les nombreux relevés des cultures domaniales fournis par les Tebt. Pap. ne mentionnent ni sésame, ni croton. On n’y rencontre même la rubrique (γή) έλαιοφόρος que pour des parcelles appartenant aux temples (n. 82, 11. 12, 19. 23 ; 87, l. 4) ou aux clérouques (n. 83, l. 74. 19) de Magdola. De même pour les άμπελώνες ou γή άμπελΐτις sur les terres des temples (n. 64 a, l. 2 ; 82, l. 4-10) ou des clérouques (n. 80, l. 22. 32 ; 83, l. 77-78 ; 240), sauf peut-être une exception de basse époque (n. 121, l. 132). Remise d’arriéré pour έλαϊκά φορυία (n. 5, l. 195).

[68] Rev. Laws, col. 42.

[69] Rev. Laws, col. 41. Le fermier reçoit le montant de la taxe qu’il aurait perçue sur la récolte des terrains qui auraient dû être ensemencés.

[70] Rev. Laws, col. 39. Si le fermier achète toute la récolte, le cultivateur n’a pas d’excédent à ajouter. C’est une façon, jugée plus intelligible pour le peuple, de dire que le prix sera diminué de 7 à 8 %. Il y avait une partie de la récolte que l’État s’appropriait à titre d’impôt foncier, impôt qui pouvait aller jusqu’à 3 artabes de sésame par aroure (Wilcken, Ostr., I, p. 189).

[71] Rev. Laws, col. 39. Le texte ajoute : άργύριον δέ μή πρασσέσθωσαν. Je ne pense pas que, comme le veut Grenfell (p. 127), la taxe soit ici payable en nature. Le cultivateur aurait dû, dans l’hypothèse, prélever sur sa récolte, qui est vendue en entier, une part qui lui servirait à payer la taxe ? Ce serait un calcul bien compliqué. Le texte veut dire que, payé en monnaie de cuivre, il a le droit de s’acquitter aussi en monnaie de cuivre au taux de 24 oboles pour 1 statère (col. 58, lig. 6-5 ; 60, lig. 14-15).

[72] Rev. Laws, col. 43. La distinction entre les produits taxés et non taxés doit avoir eu pour but d’établir une distinction nominale entre les ύποτελεϊς et les άτελεΐς (P. Grenfell, p. 127). Ce serait une façon de ne pas laisser croire à un fellah égyptien qu’il pût jamais être exempt de taxe. On le lui faisait comprendre en lui retenant le tiers du prix d’achat. Mais il était encore utile de spécifier le montant de la taxe pour les décomptes et transferts de la dite taxe, dont il est si souvent question.

[73] Rev. Laws, col. 40. Ils ne payaient les cultivateurs qu’après διαλογισμός ou δειγματισμός avec les magasins royaux. On a une requête de cultivateurs demandant une avance d’argent pour pouvoir continuer la récolte, à savoir le prix de 300 artabes de croton à 4 dr. après en avoir fourni déjà 2630 (Pap. Gizeh, n. 10271).

[74] Rev. Laws, col. 43. 57. Grenfell (pp. 132. 165) pense qu’il y a là innovation datant de l’an XXVII (date des corrections du diœcète Apollonios), et que, sous l’ancien régime, chaque nome produisait assez pour sa propre consommation. La répartition ne porte que sur le sésame et le croton. Les autres produits en excédent ne circulent qu’à l’état d’huile manufacturée par les soins de l’économe. Il y a là des questions de détail à débattre, le texte étant loin d’être clair.

[75] Col. 58, lig. 4-6.

[76] Rev. Laws, col. 44. Sans doute parce que les bénéficiers n’étaient pas obligés de cultiver pour le compte de l’État. On a vu plus haut que leurs produits leur étaient achetés néanmoins, à leur gré, et probablement transportés à l’huilerie voisine.

[77] Rev. Laws, col. 49. Le fermier a le droit de faire des perquisitions chez ceux qu’il soupçonne de détenir des instruments ou de l’huile, pourvu qu’il soit accompagné des agents du Trésor dûment avertis par lui (col. 55). Pour éviter les perquisitions abusives, la loi permet aux personnes soupçonnées à tort un recours contre le fermier (ibid.).

[78] Il y avait 42 luminaires dans l’Asklépiéon de Memphis. Cf. l’άντίγραφον τών λύχνων : Pap. dém. Louvre, n. 2423. Le reclus Héréios veut assurer à perpétuité l’entretien de ces lampes par une rente au capital de 25 deben, soit 500 dr. égyptiennes.

[79] Rev. Laws, col. 50. 52. Le τέλος θυϊών έλαιουργι[κών] payé (sous l’Empire) par les prêtres de Soknopaiou Nésos (cf. textes cités par Wessely, Karanis, p. 3) était non pas une taxe sur les bois de thuya, mais une taxe sur les mortiers de l’huilerie du temple, soit pour usage, soit pour inspection de ces engins. Wilcken, qui s’y était trompé (Ostr., I, p. 374), en est convenu depuis (Archiv. f. Ppf., I, p. 552).

[80] Rev. Laws, col. 46-47. On voit, par les requêtes des Jumelles, que les temples devaient fournir à leurs employés des rations d’huile de sésame et de ricin. F. Robiou (Mém. sur l’économ. polit. des Lagides, p. 176) traduit à tort έλαιον (sous-entendu σησάμινον — exprimé Pap. Par., n. 31) par huile d’olive.

[81] Rev. Laws, col. 44. C’est une mesure spéciale, et peut-être nouvelle, car, sous les Pharaons, il n’y avait fellah ni citadin qui ne pût à son gré quitter son travail et son village, passer du domaine où il était né dans un domaine différent, voyager d’un bout du pays à l’autre. Il n’avait de châtiment à redouter que s’il sortait sans autorisation de la vallée du Nil pour séjourner quelque temps à l’étranger (Maspero, Hist. anc., I, p. 308). On rencontre ailleurs des règlements semblables, mais édictés pour protéger des industries locales. Par exemple, au XVIIe siècle, dans le Hallamshire, il était interdit à la corporation des couteliers d’embaucher d’autres ouvriers que ceux du district (P. Mantoux, La révolution industrielle au XVIIIe siècle [Paris, 1905], p. 219).

[82] Rev. Laws, col. 47.

[83] Col. 60, lig. 16-11. Cf. col. 58, lig. 8-9. Cette règle, édictée à propos de l’huile destinée à Alexandrie, devait être générale et figurer ailleurs dans quelque lacune du texte. Grenfell (p. 142) pense que c’est une real correction, altering the previous law, le surplus devant primitivement profiter au fermier.

[84] Rev. Laws, col. 46. Les lacunes du texte ne nous permettent pas de restituer le tarif par artabe de graine traitée : on voit seulement que les prix étaient différents pour chaque espèce.

[85] Rev. Laws, col. 43. Les bénéfices égalent la différence entre le prix de vente et le prix de revient, défalcation faite de la fourniture des jarres, du transport et autres menus frais (col. 55). Le texte dit que ces suppléments (diminués par le correcteur) seront alloués à l’έλαιουργός et aux κοπεΐς. Pour Grenfell (p. 139), κοπεΐς comprend les moissonneurs (the men who cut the crop) : le passage d’Hérodote (II, 94) auquel il se réfère donne cependant bien le sens de broyeurs. L’έλαιουργός est le maître-ouvrier et les κοπεΐς les servants du moulin. Le salaire des moissonneurs a été compris dans le prix d’achat de la récolte. Sur le sens de iztyévvin.ci (surplus, excédent) qui signifie ou peut signifier tantôt le surplus du rendement, tantôt le bénéfice ou excédent du prix de vente sur le prix de revient, voyez Grenfell, pp. 131, 139, 153, 158, 167-168.

[86] Rev. Laws, col. 47-48. 55. Ces marchands peuvent sans doute spéculer sur les cours et hâter ou différer leurs achats, bien qu’obligés il acheter les quantités pour lesquelles ils ont soumissionné. Les textes sont ici assez énigmatiques. Il est dit d’abord que l’économe et son contrôleur débiteront l’huile (aux enchères ?) tous les cinq jours, dans chaque village, et en recevront le prix (col. 48, lig. 3-12) : plus loin, il est question d’enchères publiques poursuivies durant les dix derniers jours de chaque mois (lig. 13-18). L’économe ne peut cependant pas être partout à la fois, et il semble bien que le régime des enchères n’était pas le même pour les petits marchands de province et les commissionnaires qui approvisionnaient Alexandrie (cf. col. 47, lig. 18 ; 55, lig. 15). Les quittances pour τιμή έλαίου (Wilcken, Ostr., I, p. 189, 1) ont trait à ces achats. Une certaine provision devait rester en magasin.

[87] Pap. Petr., II, n. 38 b. Le tarif est ou était de 48 dr. pour le métrète d’huile de sésame, et de 30 dr. pour les autres espèces (col. 40). Le correcteur a mis ces espèces au même prix que l’huile de sésame, soit une majoration d’environ 36 %. Cette mesure doit avoir eu un but non seulement fiscal, mais protectionniste pour la culture du sésame. En admettant (d’après col. 55, 8) que 5 artabes de croton à 3 dr. donnent un métrète d’huile à 30 dr., et en tenant compte des frais de fabrication, on a calculé que la ferme rapportait au Trésor, en moyenne, 1/3 de bénéfice net, et cette proportion, qui équivaut au taux moyen de la location des terres arables, peut être considérée comme un minimum.

[88] Rev. Laws, col. 58. 60-61. La règle est répétée à chaque article dans le tableau des cultures réparties entre les nomes (col. 61-72). On voit, par un article précédent (col. 53, lig. 17-26), que l’État achetait aussi pour Alexandrie des huiles fabriquées dans les nomes, à des prix fixés d’avance et inférieurs aux prix de revente. C’est sans doute le système qu’il appliquait aux nomes éloignés, pour éviter le transport plus coûteux des matières premières. Le tarif est de 31 dr. 4 ob. 1/4 pour l’huile de sésame ; 21 dr. 2 ob. pour le kiki ; 18 dr. 4 ob. pour le cnécos, et 12 dr. pour la coloquinte.

[89] Rev. Laws, col. 50. Le surplus payait la taxe de 12 dr. par métrète, comme l’huile emportée hors la ville pour consommation particulière (col. 52).

[90] Rev. Laws, col. 54. Il s’agit surtout des huiles importées έκ Συρίας par Péluse, pour la consommation de Péluse et d’Alexandrie. Elles étaient déclarées à Péluse et acheminées sur Alexandrie sans payer de taxe, avec un σύμβολον ou laissez-passer (col. 52). Je suppose qu’elles étaient vendues par l’État, qui les achetait aux marchands et fixait lui-même son bénéfice, étant seul acheteur et seul vendeur en gros.

[91] Rev. Laws, col. 52. P. Grenfell (p. 149) fait remarquer que l’État a dû importer lui-même des huiles étrangères dans l’intérieur du pays, car la banque royale de Thèbes a payé 800 dr. pour le transport de 80 métrètes έλαίου ξενικοΰ (Wilcken, Actenstücke, pp. 59-60). On voit, dans un compte de rations pour carriers, figurer des fournitures έλαίου Συρίου (Pap. Petr., III, n. 41). La répression de la contrebande n’allait pas évidemment sans visites domiciliaires. Hérondas, au temps de Ptolémée III, parle du commerce clandestin et de la frayeur qu’inspirent les traitants (VI, 63-64). Cf. ci-après (ch. XXIX) les poursuites intentées pour contrebande, notamment par le fermier des huiles à Kerkéosiris, Apollodore, contre un certain Thrace et le recéleur Pétésouchos, chez qui perquisition a été faite (Tebt. Pap., n. 38, ann. 113 a. C.), et contre d’autres fraudeurs, qui ont reçu les enquêteurs à coups de trique (ibid., n. 39, ann. 114 a. C.).

[92] La falsification des huiles par mélanges avec des qualités inférieures était chose courante et prévue dans les contrats. Cf. l’acte du 21 Tybi an III de Soter II (8 févr. 114 a. C.), par lequel un cultivateur s’engage à fournir à un marchand du blé et des huiles de tekem (κίκι) pures, sans mélange de mauvais liquide, d’aucun mauvais liquide au monde (Révillout, Précis, p. 1302). Il semble qu’on ne soit plus sous le régime du monopole.

[93] Rev. Laws, col. 50, lig. 14-19. Le correcteur a modifié le texte, en remplaçant καθ' έκάστης ήμέραν par καθ' έκαστον ών άν πριήται, c’est-à-dire, par chaque quantité vendue.

[94] Rev. Laws, col. 53, lig. 4-17. On ne dit pas quelles quantités de graines et d’huile devaient rester en magasin, et, les prix payés par le nouveau fermier ayant disparu, nous ne pouvons les comparer à ceux payés par l’État. Ceux-ci (par métrète à 12 choûs de sésame, 31 dr. 4 1/4 ob. ; de croton, 21 dr. 2 ob. ; de cnécos, 18 dr. 4 ob. ; de coloquinte, 12 dr.) étant probablement les prix de revient, on voit que l’écart entre les prix de revient et les prix de vente au détail ressort à environ 33 % pour le sésame ; 30 % pour le croton (et même 56 %, d’après le nouveau tarif) ; 37 % pour le cnécos (60 % d’après le nouveau tarif).

[95] Cf. Smyly, in Pap. Petr., III, n. 75 : répartition des cultures dans le nome Arsinoïte pour l’an XIII d’Évergète Ier (235/4 a. C.). Sur 180.000 aroures, 316 seulement sont destinées au sésame et au croton.

[96] Le grand format, de 13 doigts (0m 24) de haut, s’appelait précisément βασιλική (charta regia) ou ίερατική, plus tard Augusta, qualité quæ hieratica appellabatur, antiquitus religiosis tantum voluminibus dicata. Puis venaient des formats de dimension et de qualité décroissantes : la nouvelle hieratica, l'amphitheatrica, a confecturæ loco (l’amphithéâtre de Nicopolis près Alexandrie), la Saitica, la Tæniotica, fabriquée dans la banlieue d’Alexandrie, l’emporetica ou papier d’emballage, de 6 doigts (0m 11) seulement (Pline, XIII, §§ 74-76 : cf. Strabon, XVII, p. 800). Les chartæ Thebaicæ de Stace (Silves, IV, 9, 26) ne sont que synonymes de papiers d’Égypte. Alexandrie garda, même sous l’Empire, le monopole industriel — sinon officiel — de la fabrication du papier. Le papetier romain Fannius ne faisait que retravailler la charta amphitheatrica (Pline, XIII, § 75). Un contemporain de Constantin vante Alexandrie quod omni mundo sola chartas emittit (ap. Mai, Class. Auct., III, p. 398). Aurélien vectigal ex Ægypto urbi Romæ vitri chartæ lini stuppæ constituit (Vopiscus, Aurel., 45).

[97] Pline, XIII, § 70 : d’après Varron, auquel il impute, quelques lignes plus haut (§ 69), une erreur grossière, en faisant dater l’invention du papier de la fondation d’Alexandrie.

[98] Sur les procédés de fabrication du papier, voyez H. Blümner, Technologie, I, p. 308-325. Lumbroso (p. 90) assimile le monopole du papyrus au monopole du tabac chez les modernes. Si la fabrication fut monopolisée, la culture du papyrus ne dut pas l’être, car le roseau servait à une foule d’usages, même alimentaires : on en faisait des barques, des nattes, des cordes, etc. (Pline, XIII, § 72. Cf. Diodore, II, 80), et Strabon (XVII, p. 800) dit que certains spéculateurs restreignaient la production pour faire monter les prix.

[99] Orose, IV, 19, 21.

[100] Col. 103, lig. 1-2. Parmi les dons faits par Ptolémée III aux Rhodiens éprouvés par un tremblement de terre figurent 3.000 pièces de grosse toile et 3.000 de toile fine (Polybe, V, 88, 3).

[101] Inscr. Rosett., lig. 17. 29.

[102] Tebt. Pap., n. 5, lig. 63-64.

[103] Wilcken, Ostraka, I, pp. 266-269. Dans un acte de vente démotique de l’an XXXV de Philométor (147/6 e. C.), un des contractants est dit receveur du tribut sur les étoffes (Révillout, Le procès d’Hermias, p. 76).

[104] Surtout, ou peut-être exclusivement, des toiles destinées à envelopper les momies : conjecture d’Ameilhon, adoptée par Letronne (Recherches, I, p. 281) et Lumbroso (p. 109). En effet, la pureté du tissu, qui était ici de rigueur (Hérodote, II, 81), se trouvait garantie par les fabriques sacerdotales, et les embaumeurs eux-mêmes se rattachaient aux corporations sacerdotales (Diodore, II, 91). Cf., dans l’inscription d’Abydos, la donation de Ramsès II au temple, dans laquelle sont compris des têtes de vassaux, obligés à travailler les étoffes et les vêtements (Révillout, Précis, p. 131, 1). Sur la fabrique d’étoffes du T. d’Amon à Thèbes et la culture du lin, voyez Précis, p. 403 sqq.

[105] Hérodote, II, 37. 81. Plutarque, Is. et Osir., 4. Apulée, De Magia, 66. Cf. αίγυπτία λινουλκός χλαΐνα (Ion ap. Athénée, X, p. 451 d). Cet usage s’est transmis de proche en proche jusqu’au rituel catholique, qui exige l’aube (alba) en toile de lin pour le prêtre officiant. La chemise moderne, qui fut jadis en toile de lin, a pris la place de la καλάσιρις égyptienne.

[106] Voyez les fragments des Rev. Laws (col. 87-107) commentés par Wilcken (loc. cit.), dont j’adopte les conclusions. Comme la fabrication du papier, celle des toiles de lin resta, sous l’Empire, le monopole industriel de l’Égypte. Cf. Treb. Pollion, Gallien., 6, 4.

[107] Tous ces noms, dans Tebt. Pap., n. 5. Cf. Grenfell, ibid., pp. 40-41.

[108] Pap. Magdola, n. 36. Cf. P. Jouguet et G. Lefebvre, ad loc., in BCH., XXVII [1903], p. 201.

[109] Tebt. Pap., n. 8, lig. 30-31. Le revenu affermé est qualifié φόρος. Il est bon de rappeler que le Bas-Empire, qui a tant emprunté à l’Égypte, monopolisa les mêmes industries et eut ses procuratores gynæciorum, linifiorum, baphiorum, branbaricariorum sive argentariorum (Voyez la Notitia Dignitatum).

[110] Wilcken, Ostr., I, p. 171 (n. 1516 : de 141/0 a. C.).

[111] Le procédé décrit par Pline (XXXV, § 150) produisait des étoffes multicolores par immersion dans un seul bain, grâce à l’impression préalable de mordants divers : mirumque, cum sit unus in cortina color, ex illo alius atque alios fit in veste accipientis medicamenti qualitate mutatus. Sur les procédés et couleurs de teinture dans l’antiquité, voyez H. Blümner, Technologie, I, pp. 215-253.

[112] Une bibliographie complète concernant la numismatique gréco-égyptienne, envisagée au point de vue métrologique et économique, serait fort ample, la question étant de celles qui se posent à chaque pas dans l’exégèse des documents. Après Lettonne et Lumbroso, E. Révillout y est revenu à maintes reprises, notamment dans ses Lettres sur les monnaies égyptiennes, publiées dans la Rev. Égyptol., II-III (1881-1882), réunies depuis en volume (1895) et dans ses Mélanges (1895). Ses thèses ont été visées et révisées dans quantité d’études spéciales, parmi lesquelles nous citerons : J.-G. Droysen, Zum Finanzwesen der Ptolemäer (SB. der Berlin. Akad., 1882, pp. 207-236). B. P. Grenfell, The silver and copper coinage of the Ptolemies (in Rev. Laws, Appendix III, pp. 193-240), Oxford, 1896. Grenfell-Hunt-Smyly, The ratio of silver and copper under the Ptolemies (in Tebt. Pap., Appendix II, pp. 580-603), London, 1902. Fr. Hultsch, Die Gewichte des Alterthums (Abh. d. Sachs. Ges., XVIII, 2 [1898], pp. 1-205). — Die ptolemäischen Münz- und Rechnungswerte (ibid., XXII, 3 [1903], pp. 1-60). — Art. Drachme, dans la R.-E. de Pauly-Wissowa (1905). M. C. Soutzo, Nouvelles recherches sur le système monétaire de Ptolémée Soter (Rev. Numism., 1904, pp. 373-393). J. N. Svoronos, Les monnaies de Ptolémée II qui portent date (Rev. Belge de Numism., 1901, pp. 263-298). — Τά νομίσματα τοΰ κράτους τών Πτολεμαίων, Athènes, 1904, ouvrage historique et descriptif, embrassant toute la matière : I. Είσαγωγή, άπονομή καί κατάταξεις (paginé en chiffres grecs, de α' à φς' [1-506], incommodes pour tout le monde). II. Περιγραφή τών νομισμάτων, pp. 1-322. III. 64 πίνακες τών νομισμάτων. La découverte récente de 108 pièces de monnaies des premiers Ptolémées à Toukh-el-Garamous apportera peut-être des données nouvelles ; mais cet appoint n’est connu jusqu’ici que par la communication de M. Maspero (C.-R. de l’Acad. des Inscr., 29 sept. 1905, pp. 535-537). Je m’aventure à regret, je l’avoue, dans un sujet où les spécialistes même tâtonnent et que cependant je n’ai pas cru devoir éliminer tout à fait d’une étude générale sur les institutions ptolémaïques.

[113] Pour l’époque pharaonique, Hultsch (Metrol2., pp. 377-379) estime le rapport du cuivre à l’argent à 1 : 80 et donne comme tout à fait problématique le rapport de 1 : 12 4/5, pour l’argent et l’or (1 : 13, d’après Hérodote, dans l’empire perse : III, 95). Révillout (Précis, p. 72 sqq.) appelle abusivement pièces de monnaie les disques ou barres métalliques en usage au temps des Aménophis et parle même de deux étalons monétaires en circulation.

[114] Voyez les monnaies attribuées par E. Babelon (Les Perses Achéménides [Paris, 1893], pp. 52-55, et Introd., p. LXVI) au satrape d’Égypte Bagoas. Le fait rapporté par Hérodote (IV, 166), à savoir, que le satrape d’Égypte Aryandès fut mis à mort par Darius pour avoir usurpé le privilège royal en frappant de la monnaie d’argent, a été expliqué d’une façon plausible (Mommsen-Brandis-Hultsch-Babelon-Svoronos) dans un sens un peu différent. Aryandès aurait pu légalement émettre des monnaies locales ; mais, en frappant de la monnaie d’argent fin, Aryandès se fit soupçonner de vouloir évincer la monnaie royale et encourager le nationalisme égyptien. Dans les documents de l’époque persane, il est très souvent question de katis fondus dans le T. de Ptah à Memphis, où devait être la Monnaie. Cette habitude persista sous les Lagides. Révillout (Précis, pp. 1289 sqq.) cite un contrat enregistré le 20 Épiphi an XV de Ptolémée III (4 sept. 232 a. C.), où les sommes sont stipulées en deben fondus des parts de la double maison de Ptah, ou du temple de Ptah. Je suppose que la frappe des monnaies indigènes resta, à Memphis, annexée au temple de Ptah, comme celle de la monnaie à Rome au temple de Juno Moneta.

[115] Cf. Svoronos, Τά νομίσματα κτλ., I, p. 47. Les monnaies importées en Égypte par le commerce international, aux VIe et Ve siècles, ne circulaient qu’entre commerçants et mercenaires étrangers. Elles provenaient des principaux ports du bassin de la mer Égée et paraissent avoir été imitées par les Grecs de Naucratis. Le roi Takhos notamment dut en faire provision pour payer ses auxiliaires. Sur les trouvailles monétaires faites en Égypte, voyez A. de Longpérier, Rev. Numism., 1861, pp. 407-428 (Œuvres, t. II, p. 508-526). W. Greenwell, Num. Chronicle, X (1890), pp. 1-12. H. Weber, ibid., XIX (1899), pp. 269-287. E. Babelon, op. cit., pp. H. Dressel, Zeitschr. f. Numism., XXII (1900), pp. 231-258.

[116] La Cyrénaïque conservait son système local, la drachme cyrénéenne ne valant que 6/10 de la drachme ptolémaïque.

[117] Cf. Diodore, XVIII, 33-36.

[118] Au bout d’un an, suivant Svoronos (I, p. 57). Monnaies d’Alexandrie avec ΑΛΕΣΑΝΔΡΕΙΟΝ ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ (ibid., p. 58), de Cyrène avec ΚΥΡΑΝΑΙΟΝ ΠΤΟΛΕΜΑΙΟΥ (pp. 65-66). Après ces essais, Ptolémée s’efface jusqu’en 305. Monnaies des rois de Cypre et de Ménélaos qualifié ΒΑ(σιλεύς), ibid., pp. 6675). Indices de protectorat ptolémaïque et d’hommages sur les monnaies des villes grecques (Corinthe, Sicyone, Cos, Rhodes, etc.), ibid., pp. 15-102.

[119] Svoronos, I, pp. 103-104. Comme exemple de la ténacité de ces habitudes, Svoronos (p. 141) cite le fait qu’aujourd’hui encore, dans les régions au S. de l’Égypte, les indigènes préfèrent à toute autre monnaie les thalers autrichiens à l’effigie de Marie-Thérèse !

[120] Il faut ranger parmi ces exceptions les monnaies ou médailles des reines — notamment la série assez nombreuse à l’effigie d’Arsinoé Philadelphe — et celles qui portent les effigies accolées du couple régnant. Mais la monnaie-type, le tétradrachme, est toujours à l’effigie de Ptolémée Soter (Svoronos, I, p. 468).

[121] Le prédicat divin ligure parfois, à la suite du nom royal, sur les monnaies frappées en dehors de l’Égypte. L’effigie peut être remplacée par celle d’une divinité (Ammon, Dionysos, Sérapis, etc.).

[122] Svoronos, I, pp. 298, 300, 314, 335-338, 390, 406, 426, 440. L’effigie de la souveraine régnante est simplement substituée à celle de la Philadelphe, la légende restant ΑΡΣΙΝΟΗΣ ΦΙΛΑΔΕΛΦΟΥ. Svoronos pense que les Romains ont emprunté à l’Égypte l’usage des decennalia, dont le premier exemple à Rome est le vœu de 112 a. Chr. (Tite-Live, XLII, 28).

[123] Je ne puis que renvoyer au grand ouvrage de J. N. Svoronos pour la discussion des problèmes chronologiques qui se posent à propos des différentes ères employées pour la datation des monnaies, soit en Égypte même (ère des Lagides, de Ptolémée Philadelphe, d’Arsinoé Philadelphe), soit en Syrie, à Cypre et dans les autres possessions égyptiennes. On sait que les Lagides, après quelques essais, ont renoncé à se servir d’ères quelconques et ont simplement daté les monnaies d’après leurs années de règne ; ce qui, à défaut de titre personnel dans l’épigraphe, rend extrêmement laborieux et discutable le classement chronologique des émissions. En tout cas, un principe affirmé avec énergie par Svoronos, c’est que le droit de battre monnaie n’a jamais été partagé — sauf une exception pour Ptolémée Alexandre Ier usurpant le privilège de son aîné Ptolémée Soter II — entre les rois associés, entre le roi d’Alexandrie et le roi de Cypre ou de Cyrène.

[124] Les Grecs ayant conservé l’homonymie des poids et des monnaies, il en résulte des équivoques que les Romains et les modernes se sont attachés à éviter. La drachme-monnaie égyptienne était un peu inférieure en poids à la drachme-poids (3 gr. 73) phénicienne, et même à la drachme-monnaie asiatique (3 gr. 65). Cf. Hultsch, Metrol2., p. 118. Le rapport des métaux argent et cuivre avait été évalué par Letronne (Pap. Par., pp. 188-192) à 1 : 60, estimation encore acceptée en 1882 par Hultsch (Metrol2., p. 617). Mais, comme il est certain que ce rapport fut, bientôt après la période initiale, de 1 : 120 (ainsi qu’il appert des nombreux contrats démotiques publiés par Révillout, dont quelques-uns cités in extenso ci-après), on n’admet plus qu’il ait pu y avoir sur le cuivre une baisse de moitié. Le rapport 1 : 120 lui même est aujourd’hui contesté par Grenfell-Smyly (Tebt. Pap., pp. 592-591), en raison des équivalences anormales et instables rencontrées dans les papyrus des IIe et Ier siècles avant notre ère. Le débat n’est pas près d’être clos. Fr. Hultsch, Die Ptolemäischen Münz- und Rechnungawerte, admet le rapport initial de 1 : 120 au début de l’ère des Lagides. Il établit comme suit les rapports qui indiquent une dépréciation progressive du cuivre comparé à l’argent. De 1 : 120 à 1 : 133 3/4 jusque vers la fin du IIe siècle ; puis, sous Soter II, baisse rapide qui fait monter le rapport à 1 : 375 et même 1 : 500, étape dépassée encore sous l’Empire (de 1 : 480 à 1 : 560). Les causes économiques sont d’ordre international et hors de notre sujet.

[125] L’octadrachme d’or, à poids faible (27 gr. 90 au lieu de 29), était un peu moindre que notre pièce de 100 fr. (32 gr. 29).

[126] La drachme d’argent (3 gr. 57) valant 120 fois son poids de cuivre (428 gr.), l’obole d’argent aurait valu six fois moins, soit 71 gr. de cuivre, et le χαλκοΰς ou 1/8 de l’obole, 9 gr. de cuivre. Letronne (Pap. Par., p. 190) pensait que l’obole alexandrine était divisée non plus en 8 attiques, comme à Athènes, mais en 10, et il alléguait un passage de Pline : efficit obolus X chalcos (XXI, § 185), qui, appliqué au système attique, est une erreur.

[127] On sait qu’aujourd’hui la dépréciation de l’argent, qui en un siècle a perdu moitié de sa valeur comparée à celle de l’or, est un gros souci pour les États bimétallistes, et que la monnaie de bronze ou de nickel, exclue du commerce international, a une valeur nominale absolument fictive.

[128] Ptolémée III Évergète envoie aux Rhodiens, entre autres cadeaux, χαλποΰ νομίσματος χίλια (Polybe, V, 89, i) : Ptolémée V Épiphane accorde aux Achéens une subvention de διακόσια τάλαντα νομίσματος έπισήμου χαλκοΰ (XXIII, 9, 3). Le rapport de valeur commerciale entre le cuivre et l’argent est aujourd’hui d’environ 1 : 200, tandis que le rapport de valeur nominale pour la monnaie est de 1 : 20.

[129] Les banques prélevaient encore, pour frais de change, des suppléments énumérés dans un fragment de papyrus (Pap. Petr., III, n. 67, p. 191).

[130] Ostr., n. 331. Wilcken, I, p. 720.

[131] Sur le sens de l’expression χαλκός πρός άργύριον, qui ne s’est pas rencontrée jusqu’ici avant le règne d’Épiphane, voyez la réfutation de Grenfell par Wilcken (Ostr., I, pp. 120-122). A part les arguments tirés des textes, il est évident que, entendue avec Grenfell au sens de χαλκός οΰ άλλαγή, l’expression serait d’une langue barbare. Sur χαλκός ίσόνομος opposé à χαλκός οΰ άλλαγή, voyez Lumbroso (Rech., pp. 43-46), Révillout (Rev. Égypt., III [1882], pp. 8082), Mahaffy (in Pap. Petr., II, n. 27, 5. III, n. 67 c).

[132] Il n’y a pas à dissimuler que les résultats obtenus par Révillout, au cours de ses nombreuses études numismatiques et métrologiques, sont fortement contestés, et que toutes les solutions proposées de divers côtés sont encore provisoires. Mahaffy ne peut pas croire qu’un acte de prêt de l’an XIII d’Épiphane (juill. 192 a. C.), contresigné par six témoins, n’ait porté que sur une somme insignifiante de 300 dr., si la monnaie était la dr. de cuivre (Pap. Petr., II, n. 47). Mais on est aussi en droit de s’étonner que, à une époque où il pouvait au moins y avoir doute, les contractants n’aient pas écrit άργυρίον. Un moyen de concilier les opinions en conflit serait d’admettre que l’État usait de l’estimation en dr. de cuivre, mais que les particuliers ont conservé durant quelque temps les vieilles habitudes.

[133] Dans un même document, datant du règne de Ptolémée Aulète (Tebt. Pap., n. 120), on trouve trois tarifs différents pour la dr. d’argent valant 450, 487 1/2, 495 dr. de cuivre. Au dernier siècle avant l’ère chrétienne, le tarif varie de 375 à 500 dr. (ibid., p. 580).

[134] Voyez les calculs de Smyly (Tebt. Pap., pp. 592-597). Il a commencé par récuser l’opinion courante (Letronne, Révillout, Brugsch, Griffith), qui admettait entre l’argent et le cuivre un rapport fixe, en valeur et en poids, de 1 : 120. Partant de ce fait que l’on ne trouve pas dans les papyrus de somme inférieure à 5 dr. de cuivre, et supposant que les plus petites pièces connues, du poids de t gr. environ (comme notre centime), soient des pièces de 5 dr., il conclut que si, par exemple, 500 dr. de cuivre, pesant 100 gr., étaient échangées contre une drachme d’argent de 3 gr. 57, le rapport des poids avoisine 1 : 28. Le rapport serait 1 : 21, si la drachme d’argent est estimée à 375 dr. de cuivre, pesant 75 gr. Comme poids de métal, notre sou ou pièce de 5 centimes aurait valu 25 dr.

[135] Voyez K. Regling (Zeitschr. f. Num., XXIII (1901), p. 115), qui interprète les marques Π et Μ par les chiffres 80 et 40. Ses conclusions sont adoptées par Grenfell-Smyly et Hultsch.

[136] Cf. Tebt. Pap., p. 584. Sur la question des prix, abordée en passant par la plupart des érudits, je ne puis que renvoyer aux études signalées plus haut (p. 189, 1). Il ne faut pas trop se fier à l’estimation des artabes de blé dans les contrats de prêt, les prix à payer par l’emprunteur qui ne rendrait pas le blé à l’échéance pouvant être majorés à titre de pénalité. Ainsi, dans un contrat du 22 déc. 104 a. C., Dionysios emprunte du blé à 50 % pour six mois (!), et, faute de s’acquitter à l’échéance, il paiera 3000 dr. de Cuivre par artabe (Pap. Reinach, n. 26).

[137] Pap. Par., n. 58, soit environ 42 francs (?) : 245 fr. suivant Letronne (Pap. Par., p. 191), qui raisonne d’après l’ancien talent de cuivre, estimé par lui à 70 fr.

[138] Pap. Par., n. 22, lig. 18-19 : soit 720.000 dr., et la maison appartenait aux Jumelles et à leur belle-mère Néphoris, qui n’étaient pas des gens riches. Comme valeur en métal, ce chiffre formidable se réduirait à 1.440 francs de notre monnaie.

[139] Dans un contrat du 15 oct. 110 a. C. (Pap. Reinach, n. 14), l’emprunteur s’oblige éventuellement à payer au fisc 60 dr. sacrées τοΰ καλαΐου νομΐσματος. Il semble que le fisc ne voulait plus recevoir la nouvelle monnaie. Les drachmes d’argent ptolémaïque circulaient encore sous l’Empire, assimilées comme valeur au denier romain. Cf. Th. Mommsen, in Archiv. f. Ppf., I, p. 275.

[140] Il y a là une question de haute importance pour les numismates et intéressante pour l’histoire, mais dans laquelle il serait imprudent de s’aventurer ici. De même que, chez nous, l’habitude de compter par sous, deniers ou liards, écus, pistoles, etc., a bravé même les interdictions légales, en Égypte, la coutume a obligé les rois à émettre une série de monnaies démotiques, série très ample en monnaie de cuivre, bornée pour l’argent au deben (ci-devant outen) de 20 dr. et au shekel de 4 dr. ; toutes espèces ayant, comparées à la drachme ptolémaïque, une valeur majorée de 25 %. Voyez là-dessus Fr. Hultsch, Die Ptol. Münz- und Rechnungswerte.