HISTOIRE DES LAGIDES

TOME TROISIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XXII. — ADMINISTRATION ET POLICE DU ROYAUME.

 

 

Le palais représente le cerveau de la monarchie ; il en faut maintenant examiner le corps, qui est géographiquement un présent du Nil, politiquement, un organisme façonné par de longs siècles de régime autoritaire.

Tout d’abord apparaît dans l’Égypte ptolémaïque la distinction, qui put être atténuée, mais non effacée, entre la race conquérante et les indigènes. Cette distinction ne se traduit pas seulement par la différence de statut personnel entre les individus ; elle se révèle aussi par la création, sur le sol égyptien, de cités grecques qui gardent le caractère de colonies isolées dans un milieu hétérogène. De ces colonies, une au moins était antérieure à Alexandrie ; c’était Naucratis. Alexandrie fut, comme on l’a vu, une ville mixte, où vivaient côte à côte Gréco-Macédoniens, Égyptiens, Juifs, étrangers de toute race, et où les rois ne purent ni ne voulurent importer les institutions des républiques à la mode grecque. Ptolémaïs, fondée par Ptolémée Soter pour surveiller la Thébaïde, fut comme la patrie des Hellènes installés ou appelés dans la Haute-Égypte. En dehors de ces trois localités privilégiées, sur lesquelles nous reviendrons plus loin, il n’y a que des villes égyptiennes ou des colonies de population mêlée, gouvernées à la mode égyptienne, c’est-à-dire par des représentants du pouvoir central. Nous ferons aussi une place, en dernier lieu, aux corporations et associations à la mode grecque, qui, soit dans les villes grecques, soit ailleurs, ont été comme des images réduites de la cité et ont joui d’une certaine autonomie. Ces collèges ne figurent pas dans les cadres administratifs ; mais ils sont une partie intéressante de l’organisme social, et le droit d’association qui leur est reconnu est au premier chef d’ordre politique.

Pour dresser la carte administrative de l’Égypte ptolémaïque, on est obligé de rapprocher des renseignements parfois discordants, de dates très diverses, dont quelques-uns remontent au temps des Pharaons et d’autres ne sont réellement probants que pour l’époque romaine. On risque donc de commettre des anachronismes, mais limités sans aucun doute aux menus détails.

Au point de vue géographique, dont nous n’avons pas à nous occuper spécialement, et aussi conformément aux traditions historiques symbolisées par la double couronne des Pharaons, l’Égypte comprenait deux parties distinctes : la vallée du Nil, depuis la première cataracte jusqu’à la naissance de la plaine alluviale du Delta, ou Haute-Égypte (ή άνω Αΐγυπτος-ή άνω χώρα -Ægyptus Superior), dite aussi royaume du Sud, et le Delta ou Basse-Égypte (ή κάτω Αΐγυπτος-ή κάτω χώρα-Ægyptus Inferior), formant le royaume du Nord[1]. Sur cette surface de médiocre étendue vivaient, pressés le long du fleuve nourricier, environ sept millions d’hommes, troupeau résigné et laborieux, dont le travail patient faisait rendre à la terre de quoi entretenir l’appétit dévorant des êtres vénérés et redoutés, dieux, rois, prêtres et morts, qui peuplaient pour lui la catégorie de l’idéal[2]

 

§ I. — LES PROVINCES.

L’unité administrative de l’Égypte est le nome (νομός)[3] portion de territoire désignée par un adjectif formé avec le nom de la ville éponyme qui en était le chef-lieu. La division en nomes n’était ni arbitrairement tracée, ni introduite par les Lagides[4]. Chaque chef-lieu avait son individualité propre, son histoire, ses cultes locaux non seulement distincts, mais parfois antagonistes des cultes en honneur dans les nomes limitrophes[5]. Juvénal parle quelque part des haines religieuses qui, de temps immémorial, existaient entre Koptos et Tentyra et provoquaient de temps à autre des rixes sanglantes[6]. De même, il y avait guerre entre nome Kynopolite et nome Oxyrhynchite au sujet de leurs animaux sacrés[7]. Nous avons rencontré aussi, cette fois à l’époque ptolémaïque, la mention d’hostilités, pour des motifs mal connus, entre Crocodilopolitains et Hermonthites.

Ce n’est pas à dire que le nombre des nomes soit resté invariable ou que la liste des chefs-lieux n’ait jamais été remaniée. Le gouvernement eut à tenir compte des fluctuations qui, en modifiant l’état des diverses régions et l’importance relative des villes, rendaient certaines retouches nécessaires. Ainsi, Akoris (Tehneh) était dans le nome Hermopolite sous les Lagides : à l’époque romaine, Ptolémée le classe dans le nome Kynopolite, limitrophe du précédent au Nord[8]. Le nome Ménélaïte dans le Delta, qui avait pour éponyme un frère de Ptolémée Soter[9], devait être de création relativement récente, et nous savons que le nome du Lac ou Arsinoïte date de Philadelphe[10]. Enfin, les oscillations de la frontière, du côté de l’Éthiopie, pouvaient aussi faire varier le nombre des nomes. Diodore et Strabon assurent que l’Égypte avait été partagée au temps du fabuleux Sésostris en 36 nomes, dont 10 pour le Delta, 10 pour la Thébaïde, et 46 pour la région intermédiaire[11]. Pline compte environ 46 nomes, y compris les trois oasis ; mais il nous avertit lui-même que sa liste n’a rien d’officiel, car certains auteurs y changent des noms et substituent d’autres nomes[12]. Les auteurs et les monnaies de l’époque romaine nous fournissent ainsi 76 noms de nomes et nous laissent le soin de démêler quels sont les noms qui se sont substitués à d’autres.

On aurait pu s’attendre à trouver des données plus nettes dans les documents de l’époque ptolémaïque. Les nomes sont représentés sur des monuments figurés, à Edfou notamment, par des figures d’hommes ou de femmes qui viennent apporter leurs présents aux rois. On constate ainsi que leur nombre varie entre 35 et 47. Une liste d’Edfou, datant du règne de Ptolémée Alexandre Ier, va même au delà, ce qui peut s’expliquer soit par une division réelle du territoire en un plus grand nombre de nomes à l’époque, soit par une analyse iconographique attribuant plusieurs figures à un même nome[13]. Mais la statistique n’a pas trop à compter avec la fantaisie des artistes. Ce qui est plus déconcertant, c’est que le célèbre papyrus des Revenus contient des listes de nomes qui diffèrent de toutes les listes connues jusqu’ici et ne s’accordent même pas entre elles[14]. Les divergences portent sur l’ordre d’énumération et sur deux ou trois noms : mais le nombre est le même de part et d’autre. Les 24 nomes recensés appartiennent à la Basse et Moyenne Égypte : ceux de la Haute-Égypte sont compris en bloc sous la rubrique Thébaïde. On peut sans doute expliquer cet état indivis de la Thébaïde comme une simple apparence, une abréviation de la copie du décret royal faite pour la Basse-Égypte[15] ; mais si l’on songe que la Haute-Égypte avait été sous les Pharaons, à partir de la XXIe dynastie, et resta sous les Lagides en état d’hostilité latente envers le pouvoir central ; que, sous le premier Évergète, le gouvernement de la Thébaïde était confié à Lysimaque, un frère du roi[16] ; que plus tard fut instituée une épistratégie de la Thébaïde, maintenue par les Romains ; on trouvera l’explication insuffisante. Il est probable que, vu les nécessités de la défense intérieure et extérieure, la Thébaïde constituait alors un commandement militaire qui absorbait ou reléguait au second plan des circonscriptions maintenues peut-être, pour l’administration civile, à l’état de τόποι[17].

Suivant Strabon, la plupart des nomes avaient été partagés en toparchies, et celles-ci en autres fractions, dont les plus petites étaient les aroures. Cette division exacte et minutieuse était rendue nécessaire par les perpétuelles confusions de bornages que produisaient les crues du Nil. Plus loin, Strabon affirme que comme dans le pays entier, la population était divisée dans chaque nome en trois classes correspondant à trois parties égales du territoire[18]. Même avec les documents dont nous disposons aujourd’hui, il n’est guère possible de répondre d’une façon précise aux questions que soulève sans les résoudre le texte de Strabon.

Et d’abord, observons que le géographe parle de l’état de l’Égypte pharaonique, et non pas de l’Égypte romaine : il n’y a pas lieu d’en tirer des conclusions fermes pour l’époque des Lagides, où le régime pouvait différer du précédent et du suivant. En combinant les renseignements fournis par Strabon avec les termes épars dans les documents, Letronne, dès 1823, proposait la division suivante ; le nome, la toparchie, le bourg[19]. C’est celle à laquelle, tout compte fait, il nous faudra revenir, après avoir indiqué les raisons (surtout l’incertitude du sens de τόπος) qui ont paru militer en faveur d’autres systèmes. Lorsque Lumbroso reprit la question, il se trouvait en présence d’opinions très divergentes, fondées généralement sur l’ordre variable de préséance entre les scribes ou greffiers des τόποι et des κώμαι dans les énumérations hiérarchiques[20]. Les uns en avaient conclu que le τόπος et par conséquent la toparchie était une subdivision de la bourgade[21]. D’autres, remarquant l’incompatibilité de ce système avec le texte de Strabon, qui fait de la τοπαρχία une subdivision immédiate du nome et en suppose l’absence dans certains nomes, distinguaient entre la toparchie au sens de Strabon, la toparchie des toparques, et le τόπος[22]. Enfin, rejetant cette distinction et frappés de rencontrer le plus souvent côte à côte les topogrammates et comogrammates, comme des frères jumeaux, d’autres tiraient de l’ordre variable signalé plus haut la conclusion que ces deux ordres de petits fonctionnaires avaient une importance à peu près égale et qu’entre eux la différence doit être cherchée dans la diversité des compétences[23]. Aussi Lumbroso s’arrête à l’idée que les κώμαι et τόποι ne représentent pas des divisions et des subdivisions, mais des divisions parallèles, des districts consistant les uns en villages habités, les autres en terrains de culture ou fermes établies en pleine campagne[24]. Dans ce système, le nome aurait été divisé en villages administrés par des greffiers de village chargés de la statistique des personnes, et en terroirs dont le cadastre était tenu à jour par des τοπογραμματεΐς, les uns et les autres dépendant au même titre de leur supérieur commun, le greffier royal, et occupés à des besognes tout à fait analogues. L’importance respective des κώμαι et τόποι aurait déterminé le rang de ces fonctionnaires.

La concurrence de diverses hiérarchies de fonctionnaires dont les attributions s’entrecroisent et qui tous peuvent collaborer à la grande affaire du gouvernement, la perception de l’impôt, rendra peut-être à jamais inextricable le lacis de courroies qui reçoivent et transmettent le mouvement dans la machine administrative de l’Égypte ptolémaïque, compliquée probablement par le désir de superposer aux offices remplis par des indigènes des contrôleurs de race grecque et de multiplier les places au profit de la race conquérante[25].

Il nous faut renvoyer à l’étude de l’administration financière la distinction entre les topogrammates et comogrammates ; mais il résulte de leurs rapports, mieux connus par les nouveaux documents, que le topogrammate est le supérieur du comogrammate, et que, par conséquent, son ressort, que nous appellerons provisoirement τόπος, est plus étendu que la κώμη[26].

A côté de ces agents ou scribes de l’administration financière, on rencontre des κωμάρχαι (ou κώμαρχοι), qui sont comme les maires des villages, assistés de πρεσβύτεροι τών γεωργών, tous gens de petite envergure et à peu près aussi corvéables que le vulgaire[27]. Les comarques devaient être plus responsables encore que les paysans du loyer de la terre domaniale. Lorsque les récoltes avaient manqué ou que les semailles n’avaient pas été faites à temps, l’administration s’en prenait à la négligence des cultivateurs et du comarque[28]. On s’attend à rencontrer aussi des τοπάρχαι ou τόπαρχοι, et, en effet, ce titre figure dans les papyrus[29] ; mais il est relativement rare, ce qui ne laisse pas d’étonner, si l’on persiste à croire que, les toparchies étant de petits districts, les toparques devaient être nombreux. D’autre part, la rareté du titre serait plus singulière encore si le toparque, mis à la tête d’une grande division du nome, était un fonctionnaire d’ordre relevé. Le toparque Polémon auquel s’adressent les autorités locales du village de Kerkéosiris n’a aucun grade aulique ajouté à sa fonction et ne fait pas figure de haut personnage. Les τοπαρχίαι — au sens de fonctions de toparques — sont mentionnées dans un autre document parmi les offices que certains agents des finances cumulent avec leur fonction propre et usurpent sans nomination régulière[30]. On sait aussi que les trois subdivisions du nome Arsinoïte, qui semblent répondre aux toparchies de Strabon, portaient officiellement le nom de μεδίδες (Ήρακλείδου au N.-O., Θεμίστου au S.-E., Πολέμωνος au S.)[31], et l’on n’hésiterait pas à reléguer les toparchies parmi les petites circonscriptions si l’on n’apprenait par ailleurs que le nome de Périthèbes, avant d’être un nome distinct, avait constitué la toparchie de Dorion, et que le nome Pathyrite, le nome Latopolite, peut-être même la plupart des nomes, comprenaient seulement chacun deux toparchies, celle dite d’en haut et celle d’en bas[32].

De ces données discordantes et d’époques diverses, on n’a pu tirer que des conclusions précaires, qui perpétuent les discussions. Ce qui complique la question relative aux τόποι considérés comme synonymes de toparchies[33], c’est que — comme le terme φίλοι quand il s’agit des dignitaires — le mot τόπος a gardé son sens courant de lieu quelconque et particulièrement de lieu-dit, portion de terroir d’une ville ou bourgade. C’est dans ce dernier sens qu’il est constamment employé dans les textes avec lesquels Wessely a dressé la topographie du Fayoum, tandis que les κωμαι y sont toujours désignées comme parties d’une μερίς, et non d’une toparchie[34]. Cependant, il est surabondamment démontré qu’il y avait au Fayoum des topogrammates, et aussi des toparques[35], dont le titre contient évidemment la définition d’un ressort commun appelé τόπος. Mais, sans doute pour éviter les confusions entre ce sens technique et le sens banal de τόπος, il semble que ce terme ait été remplacé dans la langue administrative par celui de τοπαρχία. A part quelques exceptions contestables[36], le mot τόπος ne désigne jamais la toparchie : tout au plus peut-on reconnaître la subdivision ainsi dénommée dans l’expression vague de τόποι employée au pluriel et limitée par l’addition de κάτω ou άνω (N. et S.)[37]. Le fait que ces deux adverbes suffisent à distinguer les toparchies d’un même nome indique bien que le nome était ordinairement divisé en deux toparchies[38]. Le nome Arsinoïte, vu son étendue et son importance économique, faisait exception sous ce rapport. La division en toparchies, et même en nombreuses toparchies, y fut appliquée non pas au nome, mais à chacun de ses trois arrondissements. C’est ce qui explique que, pour abréger les indications topographiques, les scribes aient rattaché directement les villes et bourgades du Fayoum aux μερίδες. Enfin, d’après le texte précité de Strabon, disant que la plupart des nomes étaient divisés en toparchies, il y avait des nomes, sans doute les moins étendus, qui n’étaient point divisés de cette façon. Le fait, que nous ne pouvons plus vérifier, a son importance. Si, comme il y a bien des raisons de le penser, la hiérarchie des comarques, toparques, nomarques, parallèle à celle des scribes appelés comogrammates, topogrammates, basilicogrammates, était celle des administrateurs du domaine royal, il en faudrait conclure que le domaine royal n’avait point de propriétés dans les nomes susdits — ce qui parait difficile à admettre — ou n’en avait pas assez pour constituer des toparchies[39]. Mais nous savons si peu de chose sur la compétence de ces chefs de bourgade, de toparchie, de nome, éclipsés dans nos documents par l’activité paperassière et l’ingérence concurrente des scribes, qu’il suffit d’indiquer ici des questions sur lesquelles nous reviendrons, mais dont la solution risque d’être indéfiniment ajournée.

Le nome dans son ensemble est administré et gouverné par un haut fonctionnaire, qui réunit entre ses mains tous les pouvoirs, civils et militaires, et porte le nom de stratège[40]. Le stratège des Lagides est le successeur du nomarque d’autrefois, lui-même successeur des anciens feudataires à peu près indépendants qui détenaient à titre héréditaire le gouvernement des provinces. Il était le chef responsable de tous les services, et non pas seulement le général commandant les troupes dans les limites du nome ; mais, comme l’administration fiscale fonctionnait avec une régularité mécanique sous la direction suprême du diœcète d’Alexandrie, il avait surtout à s’occuper de la police et de la justice criminelle. Pour maintenir l’ordre et assurer l’exécution des lois, il avait la gendarmerie des φυλακΐται ou gardiens, commandés par des άρχιφυλακΐται, placés eux-mêmes sous les ordres d’un président des gardiens du nome. Certains de ces brigadiers de gendarmerie cumulaient avec leur office militaire celui d’έπιστάτης de la bourgade où ils étaient cantonnés[41]. Pour surveiller les travaux intéressant l’agriculture, comme l’irrigation et la réfection des digues, et spécialement pour administrer le domaine royal, il avait, au moins dans certains nomes, un auxiliaire appelé νομάρχης. Ce titre, que l’on rencontre parfois associé à celui de στρατηγός, a été considéré comme appartenant au stratège lui-même, en tant que fonctionnaire civil[42] ; mais un texte où on lit τόν νομάρχην μετά τοΰ στρατηγοΰ ne permet plus cette interprétation[43]. Du reste, on dispose maintenant de textes où le titre de nomarque est nettement distingué de celui de stratège et coté au-dessous. Un certain Phanias a d’abord été nomarque, après quoi, il a été classé έν τοΐς πρώτοις φίλοις et fait stratège[44].

Le titre de nomarque a dû être, à l’origine, la traduction ou l’équivalent du titre porté par les gouverneurs des nomes à l’époque pharaonique. C’est bien ainsi que l’entend Hérodote, quand il dit qu’Amasis obligea les Égyptiens à déclarer leurs moyens d’existence τώ νομάρχη[45]. Arrien donne même le titre de nomarques aux deux hauts fonctionnaires chargés par Alexandre d’administrer l’Égypte entière[46]. Il trouve insuffisant celui de stratèges, qui, de son temps et depuis longtemps, ne désignait plus que les préfets des nomes. Lorsque les Lagides instituèrent les στρατηγοί, il se peut qu’ils aient voulu réserver à ces Macédoniens, encore peu initiés aux coutumes du pays, le haut commandement militaire et les décharger de l’administration civile en laissant subsister à côté d’eux des nomarques ou administrateurs du nome. A mesure que les stratèges étendaient leur ingérence, en vertu de leurs pouvoirs illimités, et se substituaient aux administrateurs, le rôle des nomarques se restreignit de plus en plus, et il parait s’être confiné — quand il n’était pas assumé par le stratège lui-même — dans la gérance du domaine royal, régi par des règlements spéciaux et placé en dehors du droit commun. Le nomarque avait pour aides et subordonnés immédiats les toparques[47]. En tout cas, la fonction resta théoriquement assez relevée, la première après celle du stratège, bien qu’elle ait été répartie entre plusieurs nomarques dans le nome Arsinoïte, où irrigation et dessèchement devaient occuper un nombreux personnel[48] Là, en effet, on rencontre, dès le début de la colonisation, des nomarques préposés à l’administration non plus du nome entier, mais de fractions du nome.

En fait de juridiction, le stratège avait l’initiative et le pouvoir exécutif ; mais il se déchargeait du soin de juger sur le président du nome, qui fixait la jurisprudence ou portait les édits royaux à la connaissance des justiciables[49]. Cette division du travail, avec subordination de l’autorité judiciaire au gouverneur, se reproduisait dans les subdivisions du nome, où l’on rencontre divers épistates qui semblent relever non pas de l’épistate du nome, mais du stratège. L’épistate du nome n’est pas un chef de service ayant autorité sur des subordonnés, mais l’auxiliaire du stratège. C’est au stratège que s’adressent directement la plupart des auteurs de pétitions pour affaires judiciaires, en le priant de faire citer les défenseurs ou inculpés par l’épistate de leur localité[50].

Le nombre des nomes pouvait s’accroître par division, et, en revanche, des nomes distincts, mais limitrophes, pouvaient être réunis sous l’autorité d’un même stratège. Des remaniements de ce genre ont été opérés en Thébaïde, la région la plus difficile à gouverner, un pays où il fallait à la fois diviser pour régner et ne pas affaiblir les représentants du pouvoir central. Ce fut sans doute Ptolémée Philométor qui, cherchant à prévenir de nouvelles rébellions de Thèbes, se décida à disloquer ce corps récalcitrant. L’ancien territoire ou nome de Thèbes parait avoir été partagé en deux districts, la ville de Thèbes étant constituée en préfecture militaire confiée à un Θηβάρχης ou άρχων Θηβών, et sa banlieue en nome de Péri-Thèbes (ό περί Θήβας[51]) gouverné, à la mode ordinaire, par un stratège. Le reste de l’ancienne province formait le nome Pathyrite, dit aussi Hermonthite, du nom de son autre chef-lieu, une ville dont les Lagides firent une rivale heureuse de Thèbes. En revanche, au premier siècle avant notre ère, on voit un même stratège gouverner les deux nomes limitrophes d’Hermonthis et de Latopolis[52]. D’autre part, l’unité de l’ancien royaume de la Haute-Égypte, dont la mitre blanche associée à la couronne rouge du nord perpétuait le souvenir, fut conservée par la création, constatée dès le règne d’Évergète II, d’un grand commandement militaire ou épistratégie, sorte de vice-royauté de laquelle relevaient tous les stratèges de la région et les forces navales de la mer Rouge[53]. Les Romains adoptèrent plus tard ce système et l’étendirent à l’Égypte entière, divisée en trois épistratégies (Delta-Heptanomide-Thébaïde) qu’administraient, sous l’autorité du præfectus Aegypti, des procurateurs impériaux.

L’épistratège de la Thébaïde peut être assimilé aux gouverneurs des possessions coloniales, qui étaient de véritables vice-rois. Le goût de la centralisation avait dû, en effet, tenir compte non seulement des distances, mais des susceptibilités du patriotisme local, qui acceptait la dépendance, mais avec les formes extérieures de l’autonomie. La Cyrénaïque, de tout temps rebelle à l’annexion pure et simple, était tantôt constituée en royaume distinct, tantôt gouvernée par un Libyarque[54] ; Cypre, par un stratège généralissime qui était en même temps navarque et archiprêtre[55] ; la Cœlé-Syrie, également par un stratège[56] ; les Iles et autres possessions disséminées, par des chefs de garnison, sous la direction générale du navarque commandant la flotte de la mer Égée. Le Nésiarque du κοινόν τών Νησιωτών n’était pas un fonctionnaire royal, mais il était évidemment à la dévotion du roi et peut-être nommé par lui[57].

Dans ces provinces extérieures, le gouvernement égyptien n’assumait qu’une sorte de protectorat, qu’il cherchait à se faire payer le plus cher possible. La perception du tribut était le principal souci du gouverneur, et ses troupes ne lui servaient guère qu’à assurer le versement régulier de cette taxe. Il laissait les villes grecques et phéniciennes s’administrer à leur guise et légiférer pour elles-mêmes. Là où il n’y avait pas de villes autonomes, il administrait directement le pays au moyen de délégués permanents ou commissionnés pour une tâche déterminée.

 

§ II. — LES VILLES GRECQUES.

Dans l’Égypte proprement dite, il n’y avait que deux villes relativement autonomes, organisées à la mode grecque : Naucratis dans le Delta et Ptolémaïs en Thébaïde. Il est douteux que, même à. l’époque romaine, des villes à demi hellénisées, comme Hermopolis-la-Grande (Achmounein) et Lycopolis (Sioût) aient joui de l’autonomie municipale ; à plus forte raison sous le régime des Lagides, qui n’ont fait à l’élément hellénique que les concessions indispensables[58]

Dans les colonies fondées pour peupler le nome Arsinoïte et établir les vétérans d’une armée de mercenaires, les colons, juxtaposés à une population indigène, jouissaient de privilèges qui leur constituaient un statut personnel distinct ; mais ils ne formaient pas un groupe autonome, pouvant exprimer une volonté collective[59]. C’est le régime appliqué sans aucun doute aux Hellènes domiciliés à Memphis, et même, comme nous le verrons, à la population grecque d’Alexandrie.

Naucratis était une ville fondée vers le milieu du vue siècle avant notre ère par des négociants milésiens, qui avaient d’abord élevé une factorerie fortifiée près de la Bouche Bolbitine du Nil et, plus tard, encouragés par les rois philhellènes de la XXVIe dynastie, s’installèrent à demeure, sur la roule de Memphis, dans une localité égyptienne dont ils firent une colonie grecque[60]. Fermée aux Égyptiens, ouverte à tous les trafiquants grecs, cette cité parait avoir été une sorte de dodécapole en miniature, un agrégat de colons pour qui elle n’était qu’un séjour temporaire et qui, groupés en associations particulières, gardant leur attache à leur patrie d’origine, n’avaient guère en commun que certains cultes et des règlements de police ou des articles de droit commercial. Hérodote rapporte que le grand téménos appelé Hellénion avait été construit par les Ioniens de Chios, de Téos, de Phocée et de Clazomène, par les Doriens de Rhodes, de Cnide, d’Halicarnasse et de Phasélis, et par les Éoliens de Mitylène, et que les citoyens de ces neuf villes avaient seuls le droit de nommer les préposés au marché. Les Milésiens, Samiens et Éginètes avaient gardé leurs cultes particuliers et n’étaient admis dans l’Hellénion que par tolérance[61]. Athénée, qui était de Naucratis, a recueilli quelques passages d’auteurs concernant sa ville natale. Un certain Hermias, d’époque inconnue, parle de magistrats appelés τιμοΰχοι, de banquets servis au Prytanée, de règlements concernant le cérémonial de ces solennités et les repas de noces[62].

Ces renseignements sont antérieurs à l’époque des Lagides, et c’est à peu près tout ce que nous savons sur la charte municipale de Naucratis. Une inscription du temps de Ptolémée Philopator, où un certain Comon se qualifie οίκονόμος τών κατά Ναύκρατιν[63], pourrait faire supposer que les Lagides ont mis les autorités locales sous la tutelle d’un administrateur des finances. Mais il est possible que Comon ait été un receveur municipal, ou que, fonctionnaire royal, il ait été tout simplement un intendant militaire et n’ait eu à s’occuper que de la garnison casernée à Naucratis. Cependant, une inscription qui parait être du temps de Philométor atteste que la ville des Naucratites jouissait encore d’une certaine autonomie, car elle décerne des honneurs à un prêtre à vie d’Athéna qui cumulait avec son sacerdoce les fonctions de notaire de la cité[64]. On ne voit pas, du reste, pourquoi une colonie grecque n’aurait pas eu de constitution à la grecque ou quel intérêt les Lagides auraient eu à la supprimer. En tout cas, si Naucratis, agrégat de groupes hétérogènes, n’avait pas un gouvernement local unifié, il est probable que ces groupes mêmes, constitués en κοινά, pouvaient s’entendre pour prendre des décisions communes[65].

Strabon, qui ne dit rien de la charte de Naucratis, remarque, au contraire, que Ptolémaïs avait une constitution politique à la mode grecque[66]. Le texte de Strabon ne suffit pas à démontrer que cette constitution fût antérieure à l’époque romaine, et la question de savoir si Ptolémée Soter, fondateur de Ptolémaïs[67], avait réellement doté sa colonie d’institutions libres a été longtemps débattue[68]. Là comme ailleurs, les colons de race hellénique n’avaient pas éliminé la population indigène préexistante : on peut même penser que Ptolémée Soter, comme les autres Diadoques, avait drainé au profit de son œuvre improvisée une partie des habitants des villes voisines, de Thèbes et d’Abydos. Mais, d’autre part, Ptolémaïs était aussi un poste avancé de la race conquérante, et celle-ci ne s’attachait réellement au sol qu’à la condition d’y importer ses habitudes et d’y reformer le moule traditionnel de la vie à la mode hellénique, la cité. Des décrets honorifiques rendus par la corporation des artistes de Dionysos fixés à Ptolémaïs, au temps de Philadelphe ou du premier Évergète, nous ont appris qu’il y avait dans la cité, et probablement à la tête de la cité, un prytane à vie[69]. On en pouvait conclure aussi qu’une ville où une corporation d’acteurs votait et faisait graver sur pierre des motions semblables devait avoir, à plus forte raison, son assemblée délibérante. En effet, des décrets de la cité de Ptolémaïs retrouvés tout récemment permettent d’affirmer que Ptolémaïs possédait, au temps de Ptolémée III Évergète, un Conseil et une έκκλησία, gérant les affaires de la ville[70]. Dès lors, il n’y a pas de raison de supposer que la charte municipale n’a pas été octroyée dès le début à la cité, c’est-à-dire au groupe de colons de race grecque, par son fondateur. Le culte de ce fondateur, dû probablement à l’initiative des habitants, suffirait, à défaut d’autre preuve, à montrer que Ptolémaïs était née avec le tempérament et les mœurs de la race grecque.

Alexandrie n’appartenait à aucun nome : c’était la ville (πόλις) par excellence, et on appelait ses habitants les πολιτικοί, le reste de l’Égypte n’étant censé peuplé que de provinciaux[71]. Le nom d’Alexandrie figure parfois, associé à celui de l’Égypte, dans les définitions de la royauté des Lagides, ou même seul lorsqu’il s’agit de distinguer entre le roi d’Égypte, dit roi d’Alexandrie, et les rois ou vice-rois de Cyrène et de Cypre. La région circonvoisine  formait un nome dont le chef-lieu était Hermoupolis-la-Petite (Damanhoûr).

La constitution alexandrine était un compromis entre les coutumes grecques ou gréco-macédoniennes et les exigences soit des races diverses comprises dans la cité, soit du pouvoir central, qui ne pouvait se désintéresser du gouvernement de sa capitale. Il est d’autant plus difficile de débrouiller ce chaos que nos renseignements datent pour la plupart de l’époque romaine et qu’on ne peut écarter à priori la possibilité de changements apportés par le nouveau régime à l’état de choses antérieur.

D’abord, il faut considérer comme une cité à part, ou du moins comme une fraction hétérogène et inassimilable, la colonie juive, qui occupait à elle seule un des cinq quartiers d’Alexandrie[72] Les Juifs, ne reconnaissant d’autre droit que la Loi mosaïque, ne pouvaient être justiciables des tribunaux ordinaires : ils avaient à leur tête un chef de la nation, qui, assisté d’un Sénat ou Sanhédrin, était à la fois l’administrateur et le grand juge de la communauté[73]. Les ordres royaux n’avaient force de loi auprès des fils d’Abraham que contrôlés et conciliés avec la Thora par interprétation de l’ethnarque[74]. C’est ce que Josèphe ne se lasse pas d’appeler le droit de cité sur le pied d’égalité avec les Hellènes, droit octroyé par Alexandre et confirmé par tous ses successeurs[75]. Cette autonomie privilégiée, par où s’affirmait le caractère étranger de la race, excitait la jalousie et la haine des autres parties de la population ; mais elle ne déplaisait pas au gouvernement, qui, en retour de la protection accordée aux Juifs, pouvait compter sur leur fidélité. On peut juger des services rendus par eux à la dynastie d’après l’inaltérable patience avec laquelle les despotes alexandrins ont supporté les manies de ce clan exotique, qui se refusait nettement à les reconnaître pour dieux et les tenait, au fond, pour des blasphémateurs.

La communauté juive d’Alexandrie a pris dans l’histoire des religions une place éminente ; elle a exercé sur les destinées de l’humanité une influence dont les effets sont encore présents. C’est dans son sein, au contact des Hellènes, que s’est opérée la fusion des doctrines philosophiques de la Grèce avec les dogmes mosaïques, fusion progressive, patiemment poursuivie à travers des adaptations de toute sorte, apocryphes et autres, d’où est sortie enfin, toute armée et aguerrie par des siècles de luttes, la théologie chrétienne.

Quant aux Égyptiens, ils étaient sans doute peu nombreux à Alexandrie, et la plupart d’entre eux, ceux qui ne voulaient pas rester dans la condition de métèques, s’étaient hellénisés en adoptant la langue, les mœurs des Grecs, et en contractant avec eux des alliances de famille. Entre la race indigène et la race conquérante il n’y avait point d’obstacle insurmontable à la fusion. On rencontre dans les papyrus des noms de Grecs dont la mère est égyptienne et qui ont eux-mêmes un surnom, ou plutôt un nom usuel, égyptien[76]. Entre les Juifs et les Grecs, deux groupes de tempérament accentué, la race indigène, passive et façonnée de longue date à la servitude, était incapable de constituer un groupe intermédiaire. Elle se laissa absorber en détail par la moins intolérante des deux communautés. L’Égyptien, comme tel, restait en dehors de la cité alexandrine ; il n’y pouvait entrer qu’en dépouillant sa nationalité[77]. A la longue, l’immigration des mercenaires et des marchands, d’une part ; de l’autre, l’accroissement de la population égyptienne, favorisé par la politique des rois qui, comme Évergète II, voulaient dompter l’esprit séditieux des Alexandrins, modifièrent la proportion des éléments ethniques dans la capitale. Strabon nous a conservé sur ce point les observations de Polybe. Polybe, qui avait visité la ville, flétrit le désordre qui y régnait alors. Il dit que trois races habitent la ville : l’élément égyptien et indigène, vif et insociable ; l’élément mercenaire, grossier, nombreux et turbulent, car depuis longtemps la coutume était d’entretenir des soldats étrangers, et ceux-ci, grâce à l’incapacité des rois, avaient appris à commander plutôt qu’à obéir ; en troisième lieu, l’élément alexandrin, qui n’était pas non plus facile à gouverner, pour les mêmes raisons, tout en étant de qualité supérieure aux autres. En effet, pour être de sang mêlé, les Alexandrins n’en étaient pas moins Hellènes d’origine, et ils n’avaient pas oublié les mœurs communes aux Hellènes. Mais cette partie de la population était en voie de disparaître, surtout par le fait d’Évergète Physcon, sous le règne duquel Polybe alla à Alexandrie. En effet, pour réprimer les séditions, Physcon avait à plusieurs reprises lâché ses soldats sur le peuple et autorisé le massacre..... Cet état de choses resta tel, sinon pire, sous les derniers rois[78].

On est un peu étonné que Polybe, visitant Alexandrie, n’y ait pas vu de Juifs ou les ait confondus avec les Égyptiens. Ce qui ressort clairement de ses observations, c’est que les Alexandrins proprement dits, seuls citoyens de la capitale, étaient alors en minorité dans une population bariolée où l’élément indigène s’infiltrait de plus en plus.

La cité alexandrine — ou, pour parler plus exactement, la cité grecque d’Alexandrie — se composait d’un certain nombre de tribus (φυλαί), subdivisées en dèmes. Ce nombre a dû aller en augmentant à mesure que l’accroissement de la population obligeait à élargir les cadres primitifs. D’après un fragment de Satyros, un érudit qui avait écrit un ouvrage sur les dèmes d’Alexandrie, la tribu Dionysia fut créée par Ptolémée Philopator[79]. On ignore si les neuf noms de tribus énumérées dans ce texte — ou que des correcteurs savent en extraire par substitution du mot φυλαί à δήμοι — représente la totalité des tribus existant après l’addition faite par Philopator. Ils suffisent en tout cas à montrer que les héros ou héroïnes éponymes de ces tribus appartiennent tous au cycle des légendes dionysiaques, Dionysos étant officiellement, avec Héraklès et même avant lui, l’ancêtre de la dynastie des Lagides[80].

Au moment où l’Égypte passa sous la domination romaine, Alexandrie n’avait pas de Conseil : cet organe essentiel de l’autonomie municipale ne lui fut même concédé que sous Septime Sévère[81]. Comme il paraissait inadmissible qu’Alexandrie, créée de toutes pièces, pensait-on, par Alexandre, eût été moins bien traitée que Naucratis et Ptolémaïs, on supposait, depuis Niebuhr, que le Conseil alexandrin avait été supprimé par Évergète II, lors des représailles sanglantes qui avaient fait disparaître la majeure partie de la population hellénique. Mais on ne rencontre aucune trace de l’existence d’une assemblée délibérante à Alexandrie, aucun indice d’une autonomie quelconque appartenant en propre à la cité grecque. L’ingérence des Alexandrins dans les révolutions de palais qui ont marqué le début du règne d’Épiphane n’est pour Polybe que l’effervescence tumultueuse d’une foule anonyme en proie à la furie égyptienne. Rien non plus ne fait pressentir que la cité grecque ait eu un rôle à part et un moyen d’exprimer sa volonté dans les soulèvements populaires qui ont amené l’intronisation d’Évergète II, puis l’expulsion de Philométor, celle d’Évergète et le rappel de ce même Évergète. Il n’est jamais question que d’émeutes et de mouvements spontanés de la multitude ou de séditions de la garde prétorienne des Macédoniens[82].

Faute de preuves directes, la question doit être résolue par des considérations d’ordre politique, qui influent encore de nos jours sur le régime appliqué aux capitales modernes. Il ne faut pas oublier qu’Alexandrie — la séditieuse Alexandrie[83] — était la résidence des rois, et que pour eux l’autonomie de la capitale eût été un danger permanent. S’ils ne purent conjurer ce danger par le système opposé, il est à croire qu’ils se sont du moins efforcés d’y parer en ne tolérant pas dans Alexandrie un petit gouvernement à côté du leur. La population grecque d’Alexandrie avait ses tribus et ses dèmes, mais point de représentants de ces groupes dans un Conseil élu. Elle eut aussi des magistrats, mais des magistrats nommés par le roi et administrant la ville en son nom[84]. On comprend mieux que, sous un tel régime, les Grecs alexandrins aient porté envie à ces Juifs privilégiés, qui avaient leur συνέδριον et jouissaient de la confiance des rois logés dans leur quartier.

Les magistratures urbaines, nous les connaissons par un passage de Strabon, qui, après avoir parlé des sages gouverneurs envoyés de Rome en Égypte par les Césars, ajoute : En fait de magistrats indigènes dans la cité, il y a l’exégète, qui porte la pourpre, représente les traditions nationales et veille aux intérêts de la ville : puis l’hypomnématographe et l’archidicaste ; en quatrième lieu, le stratège de nuit. Ces magistratures existaient au temps des rois ; mais, par suite du mauvais gouvernement des rois, la prospérité même de la ville avait disparu dans l’anarchie[85]. Strabon, qui ne se pique d’érudition qu’en matière de géographie, ne parait pas très bien renseigné sur la place qu’occupent dans la nouvelle organisation ces débris de l’ancien régime. Il expédie la question en quelques lignes, et il ne se demande même pas ou ne songe pas à nous apprendre comment ces magistrats étaient nommés, s’ils étaient de son temps ou avaient été sous les Ptolémées élus par la cité, ou en quoi ils la représentaient. Il pourrait fort bien avoir pris pour des magistrats alexandrins des fonctionnaires royaux résidant à Alexandrie. C’est le cas, ce semble, pour l’hypomnématographe. Il est peu probable qu’il y ait eu, à côté ou au dessous du secrétaire royal, un maître des requêtes proprement alexandrin, et que Strabon ait parlé de ce dernier sans faire attention à l’autre. Sous les Lagides, le secrétaire royal était chargé du service des pétitions ; à l’époque romaine, il remplissait des fonctions analogues, l’office d’un avoué impérial introduisant devant le tribunal du préfet d’Égypte les instances dont il avait été saisi par les intéressés[86]. Cet office, il l’exerçait à Alexandrie, mais non pas comme représentant des Alexandrins et au seul bénéfice de la clientèle alexandrine.

L’archidicaste ou Grand-Juge n’était pas non plus un magistrat alexandrin, mais le président d’une Haute-Cour de justice, probablement chargée à l’origine de réviser en appel les jugements rendus par les tribunaux indigènes appliquant le droit égyptien et pourvue plus tard d’une compétence universelle. Il avait hérité d’une partie au moins des attributions des grands-vizirs du temps des Pharaons. Suivant Diodore[87], dont le témoignage paraît confirmé par les travaux des égyptologues, le tribunal suprême était jadis une Cour de Vérité, composée de trente délégués des trois grandes villes égyptiennes, Thèbes, Memphis, Héliopolis, et siégeant dans la capitale, c’est-à-dire, suivant les époques, à Thèbes ou à Memphis, plus tard peut-être Saïs[88]. Les juges étaient nommés, en proportion égale, par les villes susdites, et les Pharaons, pour laisser toute indépendance à cet aréopage, lui abandonnaient même le choix de son président. Celui-ci portait au cou une chaîne d’or à laquelle était suspendue une petite figurine en pierres précieuses représentant la Vérité.

Il y a dans ce tableau, que j’abrège, plus d’un trait qui n’inspire qu’une médiocre confiance, et particulièrement l’élection — démocratique ou académique, comme on voudra — du président, aussitôt remplacé comme juré, dans la délégation de la ville à laquelle il appartenait, par un suppléant envoyé de la dite ville. La Cour de Vérité composée comme l’imagine Diodore eût été complètement autonome, indépendante du pouvoir royal et tirant son autorité du suffrage populaire. En .réalité, il n’y avait rien là de démocratique. Les juges étaient délégués non par les habitants des villes, mais par les trois corporations sacerdotales groupées autour des grands temples de Thèbes, de Memphis et d’Héliopolis, et c’est par hasard que la répartition géographique de ces sanctuaires se trouve correspondre à la division ultérieure de l’Égypte en Haute, Moyenne et Basse-Égypte. Le grand-juge de l’époque pharaonique devait être un représentant du roi, et tel aussi, au temps des Lagides, l’archidicaste. Nous ignorons, du reste, comment était composé le tribunal de l’archidicaste, et jusqu’à quel point il ressemblait à l’ancienne Cour de Vérité. Nous savons seulement qu’il n’y a pas d’exemple en Égypte de procès tranché par un juge unique, et c’est ce qui permet de conclure à l’existence d’une Cour présidée par l’archidicaste.

On connaît depuis longtemps des noms d’archidicastes de l’époque romaine[89] ; mais, jusqu’à ces derniers temps, on n’avait guère pour attester l’existence de ce titre à l’époque ptolémaïque que le témoignage de Strabon. Nous ne sommes guère mieux renseignés aujourd’hui, car l’inscription qui nous a conservé le titre d’archidicaste accolé au nom de Dionysios fils de Timonax[90] ne nous apprend rien sur la fonction. C’est cependant la fonction qu’on peut reconnaître, à défaut du titre, dans un papyrus mutilé où il est question d’un préposé [πρός τή έπιμελεία] τών χρηματιστών καί τών άλλων [κριτηρίων], lequel a statué sur la validité d’un contrat égyptien provenant d’Hermoupolis et daté du 22 Payni an XXVI de Ptolémée Aulète (24 juin 55 a. C)[91]. Le fonctionnaire visé ici était évidemment compétent pour connaître de cas litigieux qui lui étaient renvoyés par les tribunaux, aussi bien de ceux qui appliquaient le droit grec que des autres. Dans le cas présent, c’était un contrat égyptien qui lui fut soumis en traduction grecque. Ce curateur des tribunaux, dont la compétence est ainsi définie par analyse, portait vraisemblablement le titre d’archidicaste[92], et on voit bien que ce n’était pas alors un magistrat alexandrin, mais un fonctionnaire royal siégeant à Alexandrie.

Au temps des Romains, Alexandrie était la résidence d’un δικαιοδότης (juridicus Alexandreæ)[93], qui était certainement un délégué du pouvoir central, nommé par l’empereur lui-même, le plus haut fonctionnaire après le préfet d’Égypte. L’office propre de ce dispensateur de la justice était de trancher, par application des principes d’équité, les litiges nés entre parties de nationalités différentes, comme le faisait à Rome le préteur pérégrin, et de protéger tout particulièrement les intérêts des citoyens romains domiciliés en Égypte. Le besoin d’une juridiction de ce genre avait dû se faire sentir de tout temps dans une population si mêlée, mais nous ne saurions dire si le juge romain recueillait l’héritage de fonctionnaires royaux à ce préposés, ou si sa compétence avait été prélevée sur celle de l’archidicaste. La question dépasse les limites chronologiques de notre sujet. S’il fallait proposer ici une solution fondée sur des raisons d’ordre général, en dehors de toute controverse, nous ferions observer que le fonctionnaire romain a dû prendre pour lui le premier rôle, c’est-à-dire la juridiction étendue à l’Égypte entière, et ne laisser à l’archidicaste qu’une juridiction municipale, valable pour la cité grecque d’Alexandrie. C’est alors seulement, à l’époque romaine, que l’archidicaste a été en fait, comme le dit Strabon, un magistrat alexandrin, tandis que le juridicus romain était le ministre de la justice résidant à Alexandrie, comme l’avait été jadis l’archidicaste de l’époque ptolémaïque[94].

Peut-être avons nous chance de rencontrer des magistrats ou fonctionnaires urbains dans l’exégète et le stratège de nuit.

Dans toutes les villes où l’on rencontre des έξηγηταί, ces interprètes ont pour mission de conserver et d’appliquer à des cas particuliers les traditions religieuses ou des lois considérées comme empruntant leur autorité à la religion. Ce sont, en un mot, les jurisconsultes du droit sacré. Tels étaient les exégètes d’Athènes, d’Éleusis, d’Olympie, de Sparte[95], qui cumulaient les fonctions réparties à Rome entre le collège des Pontifes et celui des Augures[96]. Le premier exégète qui ait fait office de théologien à Alexandrie fut précisément un délégué du collège hellénique, l’Eumolpide Timothée, que Ptolémée Soter avait fait venir d’Éleusis pour présider aux cérémonies, c’est-à-dire pour fonder une tradition religieuse dans la nouvelle cité. Nous savons que Timothée collabora à l’institution du culte de Sérapis et probablement d’une succursale des mystères ; mais il serait imprudent d’affirmer que l’exégète de Strabon fût son successeur et eût hérité de ses fonctions par une transmission ininterrompue, laquelle reparaît dans deux textes de date inconnue, à placer vers le milieu du IIe siècle[97]. La compétence vague que Strabon attribue à l’exégète en disant qu’il s’occupe des choses utiles à la ville peut encore s’entendre de fonctions religieuses ; mais il est singulier que, sous l’Empire, — suivant une opinion, il est vrai discutable, — cette sollicitude se soit appliquée ou étendue au soin matériel de l’approvisionnement de la capitale[98]. Si l’on rapproche le texte de Strabon de l’énumération que fait le Pseudo-Callisthène des fonctions et prérogatives du prêtre d’Alexandre, lequel, au dire de cet auteur, portait la pourpre et était le curateur annuel de la ville[99], on est conduit à admettre que l’exégète alexandrin était en même temps le prêtre du culte dynastique alexandrin.. Mommsen n’en doute pas, et il affirmerait presque que ce même dignitaire, éponyme pour toute l’Égypte, était encore par surcroît épistate ou prêtre-président du Musée[100]. Enfin le Pseudo-Callisthène assure que le prêtre du culte dynastique avait mission de draguer le fleuve, de surveiller la culture du domaine royal et la fabrication de l’huile, ce qui rentrerait tout à fait dans la catégorie des attributions utilitaires indiquées par Strabon et le service de l’annone dont on veut qu’ait été chargé l’exégète de l’époque impériale.

Ce qui ressort de ces discussions, ressassées sur des données insuffisantes, c’est que les magistratures urbaines, nées ou réduites à l’état de sinécures, pouvaient se combiner avec des fonctions plus actives exercées au nom du gouvernement central et entretenaient quand même une sorte de participation de la ville à la vie politique et administrative[101]. Strabon n’a pas l’air de se douter qu’il y ait rien de commun entre l’épistate du Musée et l’exégète d’Alexandrie : on trouve cependant ces deux titres accidentellement réunis sur la tête de Chrysermos. Il est d’ailleurs tout à fait admissible que le prêtre du culte dynastique ait été régulièrement, sous les Lagides, έξηγητής comme desservant et έξηγητής comme ordonnateur de la liturgie propre à ce culte, enregistrant au fur et à mesure dans la liste des dieux les couples royaux et ratifiant peut-être les innovations qui tendaient à élargir la part faite au couple régnant[102]. Je laisse à d’autres le soin de rechercher si le culte des Césars s’est greffé directement sur le culte des Lagides, si l’ίερεύς έξηγητής de l’époque romaine est le prêtre de la religion impériale, et s’il n’est pas devenu de ce fait l’άρχιερεύς Άλεξανδρείας καί Αίγυπτου πάσης[103].

Nous arrivons enfin au quatrième magistrat signalé par Strabon comme alexandrin et datant de l’époque des rois, le stratège nocturne, qui parait avoir servi de modèle à Auguste pour la création de son Préfet des Vigiles[104]. Le témoignage de Strabon a été confirmé depuis peu par une inscription qui atteste l’existence d’un stratège de la ville au temps des Lagides. Malheureusement les trois mots gravés sur le granit : Πτολεμαΐος στρατηγός πόλεως, ne nous apprennent rien sur les fonctions de ce stratège, et — ce qui est plus grave — ni la date, ni la provenance de cette inscription ne sont assurées. Il est seulement probable qu’elle date du temps des derniers Lagides et que la ville en question est bien Alexandrie[105] Enfin, étant admis que ce stratège est bien celui que vise Strabon, l’épithète νυκτερινός, épithète extra-officielle et probablement employée par Strabon à titre de définition, autorise à penser que ce fonctionnaire avait des attributions analogues à celles du Préfet des Vigiles à Rome. Il devait avoir sous ses ordres un corps de νυκτοφύλακες organisés militairement et chargés de la police de sûreté[106]. Du moins, c’est ce qui lui restait, au temps de Strabon, d’une compétence peut-être plus étendue à l’origine et la raison pour laquelle le géographe lui donne le titre de νυκτερινός.

Telle se présente à nous, en surface, la carte administrative de l’Égypte ptolémaïque et de ses possessions coloniales. On a pu s’apercevoir déjà que les Lagides n’ont aucunement cherché à helléniser leur royaume, beaucoup plus commodément gouverné à la mode égyptienne. Ils ont plutôt tenu en défiance et un peu noyé sous l’afflux de la population indigène les rares foyers de vie et de civilisation helléniques qu’ils avaient considérés au début comme des points d’appui pour leur domination. Lorsqu’ils se furent rendu compte que leur puissance militaire reposait sur les mercenaires étrangers qui les protégeaient jusque dans leur capitale, et qu’ils n’avaient à demander à l’Égypte que de l’argent pour les payer, pour entretenir le luxe de leur cour et leur goût pour les bâtiments, leur unique souci fut de perfectionner la machine fiscale et d’éliminer de la masse docile du troupeau tout élément de résistance à un gouvernement tourné en exploitation.

 

§ III. — LES COLLÈGES GRECS EN ÉGYPTE.

On sait que dans la Grèce décadente et dans les provinces les plus cultivées de l’empire romain, le besoin de vivre en société agissante, de prendre part à des délibérations, d’exercer des fonctions électives, a cherché à se satisfaire en créant et multipliant des associations que le gouvernement jugeait inoffensives. Ce besoin était surtout ressenti par les classes inférieures de la population, exclues des charges municipales. De là ce nombre croissant de sociétés privées et de corporations, groupées autour d’un culte commun et comprises sous la dénomination générale de collèges[107].

En Égypte, depuis les temps les plus reculés, les prêtres (we-eb) s’étaient constitués en corporations autonomes, et, à côté d’eux, sous leur dépendance, des subalternes chargés d’offices divers formaient comme des annexes du corps principal. Il semble que les prêtres proprement dits ou archi-prêtres[108], ceux qui exerçaient le sacerdoce à titre héréditaire, avaient enrôlé à leur service des confréries de laïques, chargés d’accomplir à tour de rôle les besognes cultuelles. Ces espèces de sacristains, décorés du nom de prêtres de l’heure, apparaissent sous le Moyen Empire, au temps de la XVIIIe dynastie, partagés en quatre tribus qui se relayent de mois en mois, la tribu sortante remettant à la suivante et celle-ci acceptant après vérification un inventaire de tout le matériel du temple[109]. Que cette division quadripartite et le roulement de service actif en vue duquel elle avait été instituée aient été transportés des prêtres à leurs auxiliaires ou de ceux-ci aux prêtres, toujours est-il qu’il y eut fusion entre les deux catégories de desservants et que, au temps des Lagides, les uns et les autres sont incorporés aux quatre tribus sacerdotales dans chaque temple, la tribu contenant désormais tous les degrés de la hiérarchie et étant une représentation complète du corps tout entier. On sait qu’à l’époque où fut rendu le décret de Canope (238 a. C.), il fut créé en l’honneur de la jeune Bérénice, tout récemment décédée, une cinquième classe de prêtres, — à laquelle nous avons cru devoir assigner une destination spéciale, le soin du culte dynastique, classé comme service à part, — et que cette nouvelle tribu (φυλή) devait être représentée, comme les quatre autres, par cinq délégués au Conseil (βουλή) de l’ordre, qui se renouvelait tous les ans par élection. On retrouve, à l’époque romaine, les cinq tribus sacerdotales, formant une communauté régie par cinq πρεσβύτεροι. Dès lors, il n’est pas téméraire de conclure que cette organisation sacerdotale est restée à peu près la même sous tous les régimes. Elle a pu subir des modifications de détail, mais elle paraît avoir conservé en tout temps les traits caractéristiques qui permettent de la comparer à celle des confréries grecques : un culte, un patrimoine social et un gouvernement autonome. Nous avons eu déjà l’occasion de signaler l’importance du sacerdoce d’Amon-Râ à Thèbes et les velléités d’indépendance qu’il manifesta à plusieurs reprises. Dès que le pouvoir royal s’affaiblissait, il relevait la tête et essayait de reprendre un rôle politique. On ne s’étonne pas trop de le voir, au moment où Cléopâtre observait avec inquiétude la lutte entre les républicains et les Césariens et s’occupait trop peu de ses sujets, adopter le style des décrets helléniques pour décerner des honneurs et des actions de grâces à Callimaque, intendant de Péri-Thèbes. Les prêtres vantent ses bienfaits et ceux de leurs dieux ; ils érigent des statues et fondent des anniversaires, c’est-à-dire, en fait, des honneurs égaux à ceux des souverains, sans un mot pour les souverains dont le nom figure tout juste dans la datation du document[110].

En dehors des prêtres ou laïques assimilés, il y avait en Égypte des corps de métier, mais non plus des corporations ayant une vie propre et une volonté collective. Diodore admirait de confiance les règlements qui, dans l’Égypte pharaonique, faisaient de chaque profession une tache héréditaire et obligatoire pour toute la vie. Un artisan égyptien, dit-il, qui prendrait part aux affaires publiques ou exercerait plusieurs métiers à la fois encourrait une forte amende[111]. C’est ainsi que les dilettantes parlent du bon vieux temps où ils n’auraient pas voulu vivre. Si les Égyptiens n’ont pas, comme le croit Diodore, constitué de castes héréditaires, il est certain qu’ils avaient l’instinct inné de la routine atavique, signe infaillible de la paresse intellectuelle entretenue par l’habitude de l’obéissance passive. Les corps de métiers ne se proposaient d’autre but que de conserver les traditions professionnelles et de s’enseigner mutuellement à vivre comme les ancêtres[112]. Leurs cadres n’étaient remplis que d’une poussière d’hommes, incapable de s’agglomérer et de faire masse. Les règlements dont parle Diodore, règlements imposés par l’autorité, étouffaient toute initiative : c’est la négation même de l’autonomie que revendiquaient les associations à la mode grecque[113].

Sur les corporations indigènes dans l’Égypte ptolémaïque nous avons fort peu de renseignements. La plupart des textes relatifs au sujet datent de l’époque romaine ou byzantine, et il est prudent de n’en pas faire usage. Nous connaissons par le célèbre procès d’Hermias contre les choachytes de Thèbes les trois corporations qu’on pourrait appeler des pompes funèbres : les prosecteurs qui pratiquaient sur les cadavres les incisions et ablations nécessaires, les embaumeurs qui préparaient les momies, et les conservateurs préposés à la garde et au culte des morts[114]. Ces trois corporations collaboraient à la sépulture des défunts et leurs règlements devaient concorder, au moins pour le partage des soixante-dix jours nécessaires aux diverses opérations. Les paraschistes avaient quinze jours pour disséquer le cadavre ; les taricheutes, vingt jours pour le saler, et les choachytes, trente-cinq jours pour le momifier avec des aromates, achever sa toilette funèbre et l’ensevelir. Paraschistes et taricheutes n’étaient que des artisans : les choachytes possédaient des salles d’ensevelissement (kesau), des catacombes, des chapelles funéraires. Ils avaient, chacun pour son compte, une clientèle de défunts avec qui ils avaient passé des contrats à longue échéance, clientèle qu’ils pouvaient acheter, vendre, léguer, hypothéquer, comme une propriété de rapport[115].

Les monopoles sacerdotaux et royaux dont il sera question plus loin groupaient naturellement les ouvriers employés dans les ateliers des manufactures, et les règlements spéciaux faits pour eux devaient leur donner une certaine conscience de leur solidarité[116]. Enfin, la perception de taxes appelées κοινωνικά, γραμματικόν, έπιστατικόν, taxes payées non seulement par les corporations sacerdotales, mais par des colons, des miliciens indigènes, et, tout au bas de l’échelle sociale, par des cultivateurs royaux ; la mention de scribes, greffiers ou secrétaires au service des dites catégories d’habitants[117] ; tous ces faits semblent indiquer que, dans les compartiments tracés au sein des masses populaires par les coutumes nationales se glissait peu à peu, au contact des Grecs, le goût des associations organisées, capables de protéger l’individu au nom de l’intérêt commun. L’État, qui leur faisait payer le droit d’avoir des secrétaires et des présidents, reconnaissait par là même leur existence légale[118]. Il avait intérêt jusqu’à un certain point à favoriser ce travail d’assimilation, qui tendait à élever le niveau intellectuel du peuple égyptien[119].

Néanmoins, soit qu’on les considère comme des syndicats ou des sociétés de secours mutuels, ce ne sont pas là des associations qu’on puisse appeler des collèges. Il leur manque le signe caractéristique, le lien religieux manifesté par un culte commun[120]. Nous laisserons de côté également les colonies juives, qui formaient, en Égypte comme ailleurs, des groupes compacts, isolés de l’entourage par les observances mosaïques, c’est-à-dire par une religion qui, commune à tous les groupes, n’appartenait en propre à aucun. C’étaient des fractions d’une race partout semblable à elle-même, plutôt que des confréries formées de volontés libres et librement associées sous des statuts particuliers à chaque association[121].

Ce qui nous intéresse ici, ce sont les associations grecques, images réduites de la cité, imitées de celles de la mère patrie et groupées comme elles autour d’un culte symbolique, qui fournissait un prétexte tout trouvé aux réunions de la confrérie, un cadre à sa hiérarchie intérieure et un but apparent à l’emploi de ses fonds.

Étant donné le milieu dans lequel elles se sont créées et le despotisme ombrageux qui les surveillait, les associations ou confréries grecques d’Égypte ne pouvaient âtre que de pâles copies des thiases, éranes, orgéons, hétæries, qui florissaient et pullulaient sous l’œil bienveillant des autorités locales dans les cités grecques d’Europe et d’Asie-Mineure. Le seul collège qui ait joui des faveurs de la cour ne les avait méritées qu’en se mettant sous la dépendance absolue et à la solde de l’État, en renonçant même au droit de recruter ses propres membres, d’élire son président et son prêtre, bref, en naissant ou devenant institution d’État : c’était le Musée d’Alexandrie, contrefaçon des Μουσεΐα philosophiques de la Grèce[122]. Pour rencontrer des associations autonomes, il faut regarder plus bas, dans la plèbe alexandrine ; mais nous n’y distinguons plus guère que des noms ou des désignations encore plus vagues, comme les θίασοι παντοδαποί qui figuraient à la pompe de Callixène[123]. Plutarque dit bien que Philopator vivait au milieu des femmes, des thiases et des bombances[124], mais nous ne savons même pas si les compagnons de ripaille que le roi recrutait dans toute la ville et qu’on appelait les Bouffons[125] constituaient une association organisée, ou si c’était une bande de parasites ayant pour tout règlement la consigne d’amuser le prince. On peut en dire autant des Άμιμητόβιοι et des Συναποθανούμενοι qui, plus tard, se groupaient autour d’Antoine et de Cléopâtre[126]. Sous le couvert des bombances, les passions politiques qui fermentaient dans la grande ville se préparaient des organes prêts à entrer en jeu à l’occasion. C’est ainsi que Ptolémée Aulète fut expulsé, ou, en tout cas, banni d’Alexandrie, par l’action soudaine des Simaristes et autres hétæries affublées de noms semblables[127]. Ces clubs s’appelaient indifféremment θίασοι, σύνοδοι, κλΐναι, et, sous prétexte de sacrifices et de banquets, on y mettait en commun des rancunes politiques, jusqu’au jour où les Romains balayèrent tous ces ferments de discorde et préparatifs de révolte[128].

En fait de corporations alexandrines ayant laissé un indice quelconque d’activité collective, nous n’avons à signaler que deux corps de métiers organisés en sociétés autonomes : les Broyeurs de dourah ou millet au temps de Philopator, avec leurs πρεσβύτεροι et leur ίερεύς[129], et le synode des déchargeurs d’Alexandrie, qui consacre à Délos deux anathèmes en l’honneur de dignitaires de la cour d’Évergète II[130]. Comme ces έγδοχεΐς se qualifient πρεσβύτεροι, la corporation devait comprendre une section plus ou moins autonome de νεώτεροι. C’étaient des associations professionnelles à la mode égyptienne autant que grecque, dans lesquelles l’élément égyptien devait être fortement représenté.

Hors d’Alexandrie, les associations n’étaient pas tentées de s’occuper d’autre chose que de leurs intérêts ou de leurs plaisirs, sauf pour faire preuve de loyalisme monarchique en associant à leur culte les noms des dieux-rois. A Ptolémaïs, les artistes de Dionysos et des dieux Adelphes décernent des récompenses honorifiques à ceux qui ont bien mérité de leur corporation et fait preuve de zèle pour le roi et ses parents[131]. C’est dans l’armée surtout, l’armée active des mercenaires en garnison, que s’étale et s’affiche le dévouement à la dynastie. Les unités tactiques étaient par elles-mêmes des corps organisés et fournissaient aux officiers l’occasion de se concerter, même pour des choses étrangères au service. C’est ainsi que les ilarques et commandants des μάχιμοι détachés à la cour ont pu manifester leur attachement à Ptolémée Épiphane en un temps où il pouvait douter de la fidélité des troupes indigènes[132]. Mais un régiment ou une compagnie n’est pas une corporation autonome. Il y faut des statuts librement consentis et un culte particulier. Au temps de Philométor, les officiers en garnison à Syène ont constitué une réunion dans le temple de l’île de Sétis pour célébrer des fêtes annuelles en l’honneur du roi Ptolémée, de la reine-sœur et de leurs enfants[133]. Une autre stèle du temps d’Évergète II nous a conservé les noms de près d’une trentaine de ces Βασιλισταί. La confrérie a un président et un ίερεύς τής συνόδου, et, lors des fêtes, qui ont lieu le 9 de chaque mois ainsi qu’aux autres jours éponymes, les membres apportent leur cotisation[134]. Vers la fin du règne d’Évergète, on rencontre à Thèbes et à Hermonthis une corporation militaire d’Amis du Roi, qui ajoutent même à leur titre celui de zélés[135]. Le bariolage des nationalités dans les corps de mercenaires fournissait des cadres tout faits à autant de κοινά qui saisissaient toutes les occasions de se recommander à l’attention des chefs et du gouvernement en votant des témoignages de satisfaction et des actions de grâces à leurs protecteurs. Les inscriptions nous ont conservé un certain nombre de ces espèces de décrets rendus par des κοινά de garnisaires stationnés dans les possessions extérieures de la monarchie[136].

Les groupes quasi-militaires des appariteurs ont suivi ou donné l’exemple. Dès les premières années du règne de Philopator, on voit un haut personnage, Dorion, du grade de συγγενής et stratège de Memphis, porter le titre de ίερεύς τοΰ πλήθους τών μαχαιροφόρων, et ce sont ces subalternes qui, réunis dans un sanctuaire d’Apollon avec des civils Iduméens comme eux, lui décernent éloges et honneurs[137] Il y a bien quelque analogie aussi entre un collège et une promotion d’éphèbes comme celle qui consacre un terrain (?) au grand dieu Souchos en l’honneur de Ptolémée Alexandre, le 20 Méchir an XIX (4 mars 95 a. C.). Elle avait un secrétaire président, Ptolémée fils de Ptolémée. Une autre promotion d’éphèbes, peut-être de la même localité, avait fait au même dieu, pour le même motif, une libéralité du même genre, trois ans auparavant[138]. Il paraît qu’au Fayoum, les jeunes Grecs ne répugnaient pas à prendre pour patron le dieu-crocodile.

Enfin, il y eût, en Égypte comme en Grèce, des sociétés qui n’avaient pas d’autre prétention que d’offrir à leurs membres des occasions de se récréer en commun et des funérailles décentes. Le thiase de Pathyris auquel un certain Néchoutès emprunte quelques artabes de blé par contrat notarié était peut-être un syndicat d’affaires[139] ; mais les papyrus de Fayoum nous laissent entrevoir un coin de la vie privée des gens paisibles qui se réunissaient pour faire de bons dîners, fût-ce sous forme de repas funèbres[140]. Nous avons un fragment de la comptabilité d’un de ces cercles pour une période d’environ trois mois[141] :

Le 17 Athyr, pour le repas funèbre de Kalatytis. Une cruche de vin à 6 choûs, 2.000 dr. ; pains de dîner, 6 miches, 190 dr. ; total 2,190 dr. Il y a 22 personnes, dont 18 membres du cercle et 4 invités, c’est-à-dire T... fils de Nouménis, Kamès fils d’Arphaésis, Téos fils de Pétéchon, Papnebtynis, fils de Sokeus. Total, 22 personnes à 100 dr., 2,200 dr. Dans la maison (pour les domestiques ?)...

Du 20. Une cruche de vin à 6 choûs, 2.000 dr. ; une couronne, 120 dr. ; total 2,120 dr. Il y a 18 convives, plus (noms mutilés de cinq invités) ; total, 23 personnes à 100 dr., 2.300 dr. Dans la maison, 180 dr.

Du 25 Tybi. Une cruche de vin, 2.000 dr. ; couronne... Il y a 21 personnes à 100 dr., 2,100 dr. Pour dépense (supplémentaire), 20 dr.

Supposons qu’il s’agit de pique-nique et qu’au pain et au vin fournis par le restaurant du cercle les convives ajoutent leurs provisions particulières ; sans quoi, la chère eût été des plus maigres. La dépréciation de la drachme indique l’époque, le règne de Ptolémée Aulète.

Les cotisations des membres d’un cercle de ce genre, installé à Magdola et qualifié thiase, apparaissent dans un papyrus encore incomplètement déchiffré et qui n’appartient peut-être pas à l’époque ptolémaïque. Un certain Maron annonce que, si tous les membres du thiase (οί συνθεάσιτοι [sic]) veulent bien se réunir, il fournira des cruches de vin. D’autres sont inscrits pour une somme d’argent, pour des guirlandes, pour de l’huile de toilette ou d’éclairage. Enfin, un extrait du règlement nous apprend que certaines contraventions, comme la médisance, l’adultère, la chasse, entraînaient pour les délinquants des amendes tarifées[142].

C’est sous ces traits imprécis, de loin et en gros, que s’offrent à notre curiosité mal satisfaite les manifestations de l’instinct de sociabilité importé par les Grecs en Égypte et communiqué par eux dans une certaine mesure à une population qui, ne ressentant pas au même degré la privation d’activité politique, n’avait pas un si grand besoin de s’agiter, de parler et de légiférer à tout propos. Elle était habituée non pas à faire, mais à subir les règlements dont sa bourse, comme nous aurons tout le temps de le constater, était à peu près l’unique objet.

 

 

 



[1] La division de l’Égypte en trois parties (Delta-Heptanomide-Thébaïde) ne date que des Romains. Voyez Wilcken (Ostr., I, pp. 423-427. Archiv f. Ppf., III, p. 323), contre P. Meyer (Heerwesen, p. 65) et Dittenberger (OGIS., n. 103, 4), qui attribuent à Ptolémée Épiphane la division de l’Égypte en trois épistratégies. Pour la géographie administrative de l’Égypte ancienne aux diverses époques, voyez les seize cartes dressées par G. Parthey (Zur Erdkunde des alten Aegypten, in Abh. d. Berlin. Akad., 1858), celles de Lepsius (Denkm., I, Bl. 1-6. 1853), dressées par H. Kiepert, de Brugsch (Geogr. Inschr., 1857), de Robiou, (1875), enfin celles publiées dans l’Archeol. Report de l’Egypt Exploration Fund (1898-1902). Pour le Fayoum, celles de Wessely (ci-après). Cartes et listes des nomes de l’Égypte pharaonique par Maspero, dans l’Atlas de Géogr. Historique de F. Schrader (1896).

[2] Sur la population de l’Égypte, comme race, voyez Maspero, Hist. anc., pp. 45-49 ; comme nombre, Lombroso, pp. 70-74. J. Beloch, Die Bevölkerung der gr.-röm. Welt., Leipzig, 1886. Die auswärtigen Besitzungen der Ptolemäer, in Archiv f. Papf., II, pp. 229-256, mémoire reproduit et remanié dans Griech. Gesch., III, 2 (1904), pp. 248-286. Beloch évalue à 30.000 kil. carrés la surface cultivable de l’Égypte, à 15.000 celle de la Cyrénaïque, à 9.600 celle de Cypre. En comprenant tout ce que l’Égypte possédait au temps de Philopator, il estime la surface totale tributaire des Ptolémées à 125.000 kil. carrés, et la population à 10 millions d’habitants, dont 6 ou 7 millions en Égypte et le reste au dehors. Actuellement (d’après le recensement de 1897), l’Égypte, de Wadi-Halfa à la Méditerranée, contient 9.654.300 habitants, à raison d’au moins 360 par kil. carré, densité supérieure à celle de la population en Belgique, le pays le plus peuplé de l’Europe, qui a environ même surface avec un peu moins de 7 millions d’habitants. Ce n’est pas à leur surface que se mesure le rôle historique de pays comme l’Égypte, la Judée ou la Grèce. Les 18.000 (Diodore, I, 31) ou 20.000 (Hérodote, I, 177. Pline, V, § 60. Mela, I, 9) villes (πόλεις) du temps d’Amasis, et les 33.333 au temps de Philadelphe (Théocrite, XVII, 82), appartiennent à la statistique littéraire, qui transformait en villes de simples villages, des κωμοπόλεις.

[3] Il faut distinguer par l’accentuation νομός (nome ou prairie) de νόμος (loi). Autrement, la confusion prête à des quiproquos singuliers, des expressions comme κατά νόμος ou κατά νομός ayant des sens tout différents. Lumbroso (in Archiv f. Ppf., III, pp. 353-4) en cite des exemples curieux.

[4] Hérodote, II, 164. Hérodote indique la répartition des castes dans des nomes dont certains ne se retrouvent plus sur les listes postérieures. Sous les Pharaons, le nome s’appelait nouît (domaine) à l’époque féodale, hospou (district) plus tard. Le nombre en varia sensiblement au cours des siècles ; les monuments hiéroglyphiques et les auteurs classiques le fixent tantôt à 36, tantôt à 40 ou même à 50 (Maspero, op. cit., I, p. 77).

[5] Cf. Hérodote, II, 41-42. 59. 99.137. 155. 169. Diodore, I, 56. Les nomes avaient été probablement, à l’origine, des domaines féodaux, comme nos anciennes provinces. Le nom est antérieur à l’État centralisé.

[6] Juvénal, XV, 33-44. Tentyra et Apollonopolis abominaient le crocodile, qui était, au contraire, le grand dieu (Sobk) de Crocodilopolis (Strabon, XVII, pp. 814. 817). Les animaux-totems figurent sur les monnaies des nomes.

[7] Plutarque, Is. et Osir., 72. Lumbroso (in Archiv f. Ppf., I, pp. 66-67) cite les textes où les nomes sont considérés comme autant d’έθην, populi (Diodore, I, 90, 2. Agatharch., § 22. Sénèque, Q. Nat., IV, 2. Pomponius Mela, I, 9, 58).

[8] Pap. Reinach, p. 60.

[9] Strabon, XVII, p. 801.

[10] Pausanias (V, 21, 15) l’appelle νεώτατος τών έν Αίγύπτω, ce qui exclurait toute addition postérieure. Mais Pausanias veut dire que le Fayoum était la région colonisée en dernier lieu ; il ne s’occupe pas des listes administratives. La province a repris son ancien nom, Fayoum étant le copte Phiom, l’égyptien Pa-iam ou Pa-iom, signifiant le Lac (Wiedemann, Aeg. Gesch., p. 258).

[11] Diodore, I, 54. Strabon, XVII, p. 787. Suivant une tradition désapprouvée par Strabon (pp. 787. 811), il y avait dans le Labyrinthe autant de palais ou αύλαί περίστολοι, όσοι πρότερος ήσαν νομοί. Recensement de 66 divinités de nomes dans des papyrus cités par Eisenlohr (Bædek., Ob.-Aeg., pp. 11-12).

[12] Pline, V, §§ 49-50. Le géographe Ptolémée enregistre 47 noms, et les monnaies de l’épopée romaine en donnent un pareil nombre, mais qui ne sont pas toujours les mêmes. Comme il n’y a pas de monnaies des nomes avant l’époque romaine, il est inutile de renvoyer ici aux études de numismatique sur le sujet, celles de Tôchon d’Annecy [1822], Parthey, Langlois, Birch, de Bougé, Frœhner, etc. Cf. Marquardt, Staalsverw., I2, p. 447, 3, et St. Poole, Coins of Alexandria and the Nomes (London, 1892).

[13] Cf. Dümichen, Gesch. d. alten Aegypten, Berlin, 1879, pp. 26-30.

[14] Revenue Laws, col. 31 et 60-72. Dans la seconde liste, — peut-être plus ancienne que la première, — le nome Νιτριώτης (n. 4) remplace le nome [Γυναικο]πολίτης (n. 3) ; le nome Ήλιοπολίτης (n. 9) est substitué au Δέλτα (n. 7) : le nome Μενελαΐτης (n. 6) a disparu, et le nombre de 24 est complété par dédoublement du Μεμφίτης (n. 17. 24). Les numéros d’ordre sont différents, sauf pour le nome Σεθρωΐτης, qui occupe le douzième rang dans les deux listes, et le Μεμφίτης (n. 17), dont une partie est aussi au dix-septième rang dans la seconde énumération. La répartition géographique est tout autre dans Strabon, et aussi les noms. On ne trouve dans les listes ptolémaïques ni le Μομεμφίτης (Strabon, XVII, p. 803), ni le Φαγρωριοπολίτης (XVII, p. 805). Cf. les trois listes (du Papyrus et de Strabon) confrontées dans Mahaffy, Rev. Laws, Introd., p. XLV-LI.

[15] Cf. Wilcken, Ostraka, I, p. 424.

[16] Spiegelberg, reproduisant l’inscription citée plus haut, propose, sans motif appréciable, d’en faire descendre la date vers la fin de la dynastie (Demot. Inschr., p. 54).

[17] On rencontre, en l’an XXXI de Philadelphe (255/4 a. C.), un Dorion ό τοπαρχήσας τόν Περιθήβας τόπον (Pap. Brit. Mus., n. 5849 C, etc., voyez les trois documents cités par Wilcken, Ostr., I, p. 65, 1). Aussi Paul M. Meyer (Heerwesen, p. 158, n. 193) tient pour l’indivision de la Thébaïde maintenue jusqu’au règne d’Épiphane.

[18] Strabon, XVII, p. 787. C’est un retour, peut-être anachronique, à la division tripartite de la population et du sol sous les Pharaons, d’après Diodore, I, 21. 73.

[19] Letronne, Recherches, pp. 312. 397. Cf. Lumbroso, p. 243 (qui recense les hypothèses émises par Letronne, Peyron, Rudorff, Droysen, Verges), Reinisch, in Paulys R.-E., I, p. 248. Marquardt, Staatsverw., I2, p. 445. U. Wilcken, Obss. ad histor. Ægypti prov. Rom., Berolin., 1885. En Judée, la τοπαρχία est l’équivalent de νομός. Cf. I Maccabées, 10, 30 ; 11, 28 et 34. Joseph., A. Jud., XVII, 11, 5. B. Jud., I, 1, 5. II, 18, 10. III, 3, 5. Pline, V, § 70. Bien des κώμαι ont nom de ville, comme κώμη Νειλούπολις, Έρμούπολις, etc., au Fayoum, où tant de villes sont homonymes d’autres plus connues (Wessely, Topogr., p. 5). C’est pour des localités de ce genre qu’a été créé le mot lewp.6itolcç (Strabon, XII, pp. 537, 557, 568. Marc., I, 38), par opposition à πόλις ou μητρόπολις, chef-lieu du nome.

[20] C’est un argument qui subsiste encore aujourd’hui. Nous avons signalé plus haut quantité d’interversions dans les canons des cultes et sacerdoces dynastiques. Il en va de même pour la hiérarchie des fonctionnaires. Les scribes alignent les titres au juger, mêlant souvent les agents de divers services, intervertissant les rangs ou omettant certaines charges ; et cela, dans des documents officiels. Voyez, par exemple, Rev. Laws, col. 37. Pap. Petr., II, n. 42 a, etc.

[21] Thèse de A. Peyron (1826), Rudorff, Droysen, fondée sur l’édit de Capiton (CIG., 4956). Letronne faisait valoir l’ordre contraire dans Pap. Par., n. 63, 1. 145.

[22] Thèse de Ad. Schmidt (1842), Franz, Reinisch, Marquardt.

[23] Thèse de Verges (1842), adoptée par Lumbroso.

[24] Lumbroso, Recherches, p. 243-246. Rev. Égyptol., V, p. 37. Solution approuvée par Mahaffy, Par. Pap., II, p. 27.

[25] Cf. Mahaffy (On the Fl. Petr. Pap., I, pp. 9. 10. 28), qui signale l’enchevêtrement des juridictions en Angleterre comme indéchiffrable pour un étranger.

[26] Le basilicogrammate Horos adresse une ordonnance du diœcète Irénée (Tebt. Pap., n. 26. 27. 172, lig. 189, etc.). On voit, dans les nouveaux papyrus, le topogrammate contresigner un bon du comogrammate, lequel bon passe ensuite par les bureaux de fonctionnaires de plus en plus élevés avant d’arriver au banquier d’Hermonthis (Pap. Amherst, II, n. 31, an. 112 a. Chr.). Il semble bien aussi que le comogrammate de Kerkéosiris, Menchès, dont les paperasses remplissent tant de pages des Tebt. Pap., soit inférieur au topogrammate Marrés, dont les exactions motivent les plaintes des gens de Kerkéosiris (v. g. Tebt. Pap., n. 41, vers 119 a. C.). Enfin il est dit dans Tebt. Pap., n. 24, lig. 66-67, que certains topogrammates commandent à deux comogrammates au moins dans chaque ressort ; mais il s’agit de gens qui sont dénoncés comme ayant usurpé des fonctions officielles, et il n’est pas sûr qu’ils n’aient pas de même élargi indûment leur compétence. Le comogrammate Senthès est en même temps βασιλικός γεωργός (Pap. Petr., III, n. 31), presque un paysan. Plus nette encore est la supériorité du toparque sur le comarque. Horos, comarque de Kerkéosiris, et les πρεσβύτεροι s’engagent envers le toparque Polémon à verser au Trésor la contribution du village en blé (Tebt. Pap., n. 48, vers 113 a. C.). Nous ne savons à peu près rien sur les άμφοδάρχαι ou chefs de quartiers, que Wilcken (Ostr., I, p. 432) suppose être des subdivisions de la κώμη. Il n’en est pas question dans les Tebt. Pap. Part. I.

[27] Plusieurs fois mentionnés dans les Pap. Petr. et Tebt. (voyez les Index). On voit, en l’an XXVIII de Philadelphe (258/7 a. C.), le comarque Pasis diriger des travaux de corvée à Philotéris, avec le comogrammate et le concours des autres scribes de chaque localité (Pap. Petr., I, n. 22 (2). III, n. 37 a), c’est-à-dire, comme l’indique le contexte, des comogrammates de la région. Les κώμαρχοι sont nommés avant les κωμογραματεΐς dans une circulaire où les titres sont énumérés en ordre descendant (Pap. Petr., II, n. 42 a) : mais les mots κωμάρχοις κωμογραμματεΰσι forment probablement une expression composée signifiant comarques chargés du greffe, cumul qui devait être fréquent dans les petites localités (cf. Mahaffy, ad loc.).

[28] Tebt. Pap., n. 67, lig. 73. Cf. n. 61, l. 176 ; 66, l. 57 ; 68, l. 84.

[29] Rev. Laws, col. 37. 41. 42. 87. Pap. Petr., II, I. III, n. 26. 75. Tebt. Pap., n. 30. 48. 189. Cf. Révillout, Mélanges, p. 279. Précis, p. 665, 1. On ne connaît que trois noms de toparques : Hermias (? CIG., III, 4976) ; Polémon (Tebt. Pap., n. 48, lig. 6), et mention de l’extoparque Dorion. Mention générale des toparques, à propos de rentes à recevoir, dans Pap. Petr., II, n. 22.

[30] Tebt. Pap., 24, lig. 63 (an. 117 a. C.).

[31] Cette division tripartite date d’Évergète Ier (cf. P. Meyer, p. 52), et les noms doivent avoir été empruntés aux œkistes de la colonisation. C’était un usage général, appliqué aux nomarchies, aux corps militaires comme aux groupes de colons.

[32] Du Pathyrite, toparchie κάτω (Pap. Par., n. 16), άνω (Pap. Grenf., I, n. 33), De même, ή κάτω τοπαρχία τοΰ Λατοπολίτου (Petr. Pap., II, n. 23 a). Nous ne connaissons pas aux toparchies d’autre nom que celui du nome. Les Papyrus Reinach nous font connaître un Μωχίτης (τόπος) dont faisait partie la κώμη Άκώρεως, dans le nome Hermopolite, et qui pourrait être une toparchie (?) : mais il est fort probable que c’est une étiquette régionale, et non administrative. On a proposé d’entendre par toparchies des commandements militaires, comme celui du Θηβάρχης (à cause du Dorion susmentionné), ou des ethnarchies à juridiction spéciale, ou des districts se confondant avec ceux de prétendus άγρονόμοι (Lumbroso, p. 246). En fait, il n’y avait de toparchies remplaçant les nomes que dans la partie méridionale de la Thébaïde, avant le règne d’Épiphane, et c’est à celles-là seulement que pourraient s’appliquer les susdites conjectures.

[33] Opinion de Letronne, vigoureusement défendue par Wilcken, Obss., pp. 20-28.

[34] C. Wessely, Topographie des Faijûm (Arsinoites nomus) in griechischer Zeit (Denkschr. der K. Akadem. d. Wiss. Phil.-Hist. Klasse, Wien, 1904, pp. 1-182), avec cartes : un travail prodigieusement documenté, le pendant de son étude démographique et économique sur Karanis und Soknopaiou Nesos (ibid., 1902, pp. 1-171). Les noms de τόποι sont souvent au génitif précédé de τοΰ (sous-entendu τόπου). Wilcken (Obss., p. 25), d’après un papyrus de l’époque romaine, assimile à des toparchies des lieux ainsi désignés, avec l’annexe κάτω et άνω. Cf., en Thébaïde, le terme démotique traduit par lieux dans Révillout, N. Chrest. démot., p. 156. Précis, p. 1213.

[35] Voyez, pour l’époque ptolémaïque, l’Index V des Tebt. Papyri. A l’époque romaine, les textes signalent des toparchies numérotées comme subdivisions des μερίδες au Fayoum (Wessely, p. 15 ; p. 14). On est en droit de penser qu’elles datent du régime antérieur.

[36] Voyez ci-dessus le Μωχίτης τόπος et le τόπος administré par Dorion. Dans ce dernier texte, c’est, j’imagine, par scrupule de lettré, pour éviter τοπαρχήσας τοπαρχία, que le scribe a employé τόπος.

[37] Pap. Par., n. 63, col. 7, 1. Wilcken (p. 26) veut que τόπος soit ici synonyme de τοπαρχία et que le nome Saïte ait été divisé en quantité de toparchies άνω et κάτω. Cela ne me parait pas aussi évident qu’a lui : je croirais plutôt que l’ensemble des τόποι κάτω formait une toparchie, comme dans les nomes de Thébaïde.

[38] Cf. l’explication ingénieuse tirée du signe hiéroglyphique du nome (un quadrillage traversé d’une barre horizontale au milieu), représentant une surface irriguée par un canal dérivé du Nil, canal qui la partage en moitié S. et moitié N. (Dümichen, Gesch., d. alt. Aeg., p. 26. Wilcken, p. 25).

[39] Le texte impliquerait contradiction avec ce système, si l’on y constatait à la fois l’existence de propriétés domaniales et l’absence de toparques ou de nomarques dans un même nome.

[40] Nous n’avons pas, pour l’époque ptolémaïque, de relevé pareil à la liste de stratèges que Wilcken (Bemerk. zur Ægypt. Strategie, in Hermès, XXVII [1892], pp. 281-300) a dressée pour l’époque romaine (38 noms, d’Auguste à Dioclétien).

[41] Cf. Lumbroso, p. 250. A Kerkéosiris, Démétrios est dit διεξάγων τά κατά τήν έπιστατείαν καί άρχιφυλακιτείαν τής αύτής κώμης. Il est arrêté, avec d’autres personnes, par un agent Άμινίου τοΰ έπιστάτου τών αύτοΰ νομοΰ (Tebl. Pap., n. 43, an. 118 a. C.) Un malfaiteur arrêté est remis Ήρακλείδει τώι έπιστάτηι καί άρχιφυλακίτηι (Tebl. Pap., n. 230). Les commandants de nome sont nommés immédiatement après les stratèges, avant les οίκονόμοι et les βασιλικοί γραμματεΐς, dans Pap. Par., n. 63, lig. 142. 158. Tebl. Pap., n. 6, lig. 13-15 (cf. n. 5, lig. 158), et après les basilicogrammates dans l’inscription de l’obélisque de Philæ (Strack, n. 103 C). Le papyrus des Revenus (col. 37) ne connaît encore que les archiphylacites. La restitution [άρχιφυλ]ακίτη τοΰ περί Θήβας, qui ferait de ce fonctionnaire un commandant pour le nome entier (Pap. Par., n. 6), n’est pas sûre.

[42] Voyez Lumbroso, p. 262. Il est question dans le Pap. Leid. A (du 7 Phaophi an VI d’un Ptolémée inconnu) d’un ύποστράτηγος Ammonios, subordonné au stratège Cratéros dans le nome de Memphis. De même, on rencontre à Thèbes un Prœtos ύποστράτηγος (Wilcken, Actenst., VIII, du 22 mars 130 a. C.). C’était sans doute un régime particulier aux deux capitales.

[43] Pap. Petr., II, n. 22. L’assimilation de νομάρχης-στρατηγός, jadis contestée par Droysen, est décidément repoussée par Wilcken (Ostr., I, p. 432).

[44] Tebt. Pap., 72, lig. 205 — lig. 359 — 61 b, lig. 362-3. Grenfell (Rev. Laws, pp. 133-4, et Tebt. Pap., p. 213) pense que les nomarques n’étaient point à l’origine et n’ont probablement jamais été chefs du nome, mais chefs de la distribution des assolements et récoltes, spécialement sur la βασιλική γή. Il veut esquiver par là la difficulté d’attribuer tout un nome comme ressort à un nomarque ou à un toparque (Rev. Laws, col. 41, 161. — col. 43, 3 : à propos de la distribution des graines oléagineuses). Cette explication étymologique me parait moins satisfaisante qu’à P. Meyer (op. cit., p. 53, 187) ; c’est une subtilité de passer par dessus νομός pour remonter à νέμω.

[45] Hérodote, II, 177. De même, Diodore (I, 73).

[46] Arrien, Anabase, III, 5.

[47] Le papyrus des Revenus nomme fréquemment les toparques à la suite des nomarques (col. 37, 41, 42). Cf. un rapport d’Ammonios, nomarque du nome Arsinoïte, sur la répartition des cultures pour l’an XIII d’Évergète (235/4) a. C.), d’après les renseignements fournis par les toparques (Pap. Petr., II, n. 30. III, n. 75). Nomarque du nome Arsinoïte ne veut pas dire du nome entier. Nous savons qu’à l’époque, le nome Arsinoïte, comprenant presque exclusivement des terres domaniales, était divisé en plusieurs nomarchies (trois sont nommées dans le même texte : Pap. Petr., II, n. 39 a), subdivisées elles-mêmes en μερίδες. Cf. Pap. Petr., I, n. 22 (2). III, n. 37 a, du temps de Philadelphe. Nous connaissons au moins sept de ces nomarchies (voyez les Index des Pap. Petr.). Ces noms, une fois donnés, ne changeaient pas avec les fonctionnaires : c’étaient des étiquettes administratives. Avec des μερίδες grandes divisions du nome et des μερίδες subdivisions de nomarchies, il y avait matière à confusions. J’imagine qu’on y a obvié en donnant aux petites μερίδες le nom de τοπαρχίαι. Les μεριδάρχαι mentionnés — très rarement — dans les textes (Tel. Pap., n. 66, l. 60. 183) doivent être les administrateurs des trois arrondissements, remplacés à l’époque romaine par des stratèges (cf. P. Viereck, in Philol., LII [1894], p. 220. La terminologie devait être singulièrement élastique au temps de Philadelphe, où l’on rencontre un νομάρχης τών ύδραγωγών (Pap. Petr., III, n. 42 F a). Les τόποι (?) sont ici subdivisions de la μερίς et non du nome. Voyez dans Révillout (Mélanges, p. 279. Précis, p. 665, 1) les textes qui attribuent aux nomarques et toparques une juridiction en matière de redevances.

[48] Petr. Pap., II, n. 22, 30 p. 42 a, etc. En revanche, il n’y a pas de nomarques et de toparques dans tous les nomes. Le papyrus des Revenus oblige les paysans à faire certaines déclarations (col. 42). Il se peut cependant que l’ordonnance vise le cas où ces places de fonctionnaires seraient vacantes.

[49] Voyez ci-après, au chapitre de la Juridiction. Cf. Lumbroso, pp. 255-256. Grades et cumul de fonctions (Pap. Taur., II, lig, 2 ; VIII, lig. 1-2, XI).

[50] Par exemple, l’épistate Κερκεσούχων dans Pap. Magdol., n. 23.

[51] Ou, en un seul mot, Περιθήβας. Le Θηβάρχης ou préfet de la ville avait un vicaire διαδεχόμενος τά κατά τήν Θηβαρχίαν (Cf. Hermès, XXIII [1888], p. 598).

[52] Letronne, Recueil, I, p. 106. Lepsius, Denkmäler, XII, 89, 216, 293 ; 91, 300, 304. Il n’est pas facile de déterminer les limites respectives de Péri-Thèbes et du nome Pathyrite, qui paraissent souvent confondus comme formant le ressort d’un même agoranome (voyez ci-après). A. Peyron (II, pp. 27-31) fait des deux noms des synonymes successifs. Droysen (in Rhein. Mus., III [1829], p. 510) distingue entre Péri-Thèbes rive droite et Pathyrite rive gauche. La question n’est pas définitivement résolue. Cf. Wilcken, Actenst., p. 33, 2. Elle est reprise et tranchée dans le sens indiqué jadis par Letronne (contre Peyron, Droysen, Leemans, Lumbroso, Robiou, Brugsch, etc.), par G. A. Gerhard (in Philologue, LXIII [1904], pp. 521-531). Au IIe siècle a. Chr. (la plus ancienne mention τοΰ Περιθήβας καί τοΰ Παθυρίτου [Pap. Grenf., I, 10] est de l’an VIII de Philométor, 114 a. C.), le territoire de Thèbes forme non plus deux τοπαρχίαι, mais deux nomes distincts, séparés non par le Nil, mais par une ligne tirée à travers toute l’étendue de la vallée. Chacun des deux nomes a deux toparchies (άνω du côté S., κάτω du côté N.). Dans le nome Pathyrite, le chef-lieu Pathyris (Gebelein) est dans la toparchie άνω, et Hermonthis dans la partie κάτω. Au S., le nome Latopolite, avec Latopolis dans la toparchie κάτω.

[53] Boëthos συγγενής καί έπιστράτηγος καί στρατεγός τής Θηβαΐδος vers 134 a. C. (Révillout, Mélanges, p. 332-333). Même titre pour Phommous, entre 115-111 a. C. (Pap. Taur., V-VII. Strack, n. 140, lig. 26). Plus tard, sous Ptolémée Aulète et Cléopâtre, proscynème de Callimaque συγγενοΰς καί στρατηγοΰ καί έπιστρατήγου καί θηβάρχου τής Θηβαΐδος, έπί τής Ίνδικής καί Έρυθράς θαλάσσης (Strack, n. 152. Dittenberger, OGIS., n. 190). On a vu plus haut que cette vice-royauté existait sous les premiers Lagides. Le titre d’έπιστράτηγος a pu être créé lorsque la Thébaïde fut fractionnée en nomes. Sous l’Empire, on rencontre joint au titre d’épistratège de la Thébaïde celui d’άραβάρχης (CIG., 4751. 5075), qu’on a interprété avec raison comme commandant du littoral Arabique (mer Rouge), mais qu’on a pris aussi pour une autre orthographe d’άραβάρχης. Sur cette question rebattue, voyez E. Schürer, Die Alabarchen in Ægypten (Zeitschr. f. wiss. Theol., 1815, pp. 13-40), qui tient pour l’identité des deux termes, et les opinions divergentes de Seeck et de Brandis dans la R.-E. de Pauly-Wissowa (art. Alabarchia-Arabarchia).

[54] Titre de Philammon sous Épiphane (Polybe, XV, 25 a, 9.) Mais Cyrène conserva son autonomie municipale, que les Lagides n’osèrent pas lui enlever.

[55] Voyez Strack, n. 123-128. Vice-rois de Cypre, en dehors des cadets de la maison des Lagides, Krokos, Théodoros, Séleucos, sous Évergète II (Dittenberger, OGIS., n. 140. 150. 162).

[56] Le stratège Théodotos ό τεταγμένος έπί Κοίλης Συρίας sous Philopator (Polybe, V, 40, 1) : Nicolaos, ό παρά Πτολεμαίου στρατηγός, son successeur (V, 61, 8). A Séleucie sur l’Oronte, un gouverneur, Léontios, ό έπί τών όλων, avec des ήγεμόνες κατά μέρος sous ses ordres (V, 60, 9). Josèphe (A. Jud., XII, 4, 9) parle de lettres écrites par Ptolémée (Épiphane ?) πάσι τοΐς ήγεμόσιν αύτοΰ καί έπιτρόποις en Cœlé-Syrie. Nous avons rencontré un gouverneur d’Éphèse et un Ptolemæi regia præfectus à Samos sous Philadelphe, des commandants de postes ou phrourarques à Théra, Méthana, etc. Nous ne pouvons pas faire entrer ici une étude — encore mal préparée — sur le régime des possessions en pays grec, régime qui était apparemment le mémo sous les Lagides et Séleucides. Cf. J. Beloch, Die auswärtigen Besitzungen der Ptolemäer (Archiv f. Papf., Il [1903], pp. 229-256), mémoire reproduit sous une forme notablement élargie dans Gr. Gesch., III, 2, pp. 248-286.

[57] Cf. J. Delamarre, in Rev. de Philol., XX [1896], p. 112. P. Graindor, Décret d’Ios, in BCH., XXVII [1903], pp. 394-400. Th. Reinach, in Rev. d. Études gr., XXVII [1904], pp. 196-201. Navarques : Philoclès, Bacchon, Patroclos, etc.

[58] Lumbroso (p. 59) admettait sans difficulté, d’après, Letronne, que, sous les Lagides, quatre villes, sans compter Alexandrie, présentent alors un caractère exclusivement hellénique, une administration établie sur le pied grec, avec le Sénat, l’archonte, la phylé. Ce sont Ptolémaïs, Naucratis, Hermopolis Magna et Lycopolis. Les arguments invoqués sont des inscriptions de l’époque romaine, et Lumbroso lui-même (Egitto, p. 75) a modifié depuis son opinion. En tout cas, il ne faut pas prendre pour des villes grecques les nombreuses villes égyptiennes qui ont reçu sous les Lagides des noms grecs, généralement formés du nom du dieu local assimilé à une divinité grecque et de πόλις en suffixe. Cf. G. Cousin, De urbibus quorum nominibus vocabulum πόλις finem faciebat, Nanceii, 1904.

[59] Un décret d’Aphroditespolis (S. de Ricci, in Revue Archéol., 1903, II, p. 50-55), qui a tout à fait la forme usuelle, indiquerait cependant une certaine initiative, au moins du groupe des κάτοικοι.

[60] L’histoire de Naucratis a été renouvelée par les fouilles pratiquées à Tell Nebireh, de 1884 à 1886, par Fl. Petrie et P. Gardner. Voyez Naucratis, by Fl. Petrie, P. Gardner and Griffith, London, I (1886), II (1888), dans les publications de l’Egypt Exploration Fund. D. Mallet, Les premiers établissements des Grecs en Égypte (Mém. Miss. archéol. fr. au Caire, tome XII, 1. Paris, 1893). Le nom égyptien de Naucratis, que l’on cherchait dans des vocables analogues, a été retrouvé récemment sur une stèle hiéroglyphique datée de l’an XII de Nectanebo II. La ville s’appelait Pamaraïti (Maspero, in C.-R. de l’Acad. d. Inscr., 29 déc. 1899, pp. 793-795). La seule monnaie connue de Naucratis (Head, p. 718 ; est antérieure à 305 a. Chr. Mahaffy (Empire, p. 10-11) suppose que Naucratis, qu’Alexandre avait peut-être songé à transformer en capitale, obtint de lui des privilèges comme fiche de consolation.

[61] Hérodote, II, 178.

[62] Athénée, IV, p. 149 d-150 b. Cf. XV, p. 676 (culte d’Aphrodite, importé de Paphos). On admet que cet Hermias a pu être Hermias de Méthymne, un contemporain de Platon (FHG., II, p. 80). Je laisse à Lumbroso (p. 222) ses inductions aventureuses fondées sur les mots τοΐς τιμούχοις et τό Έλλήνιον, qui se rencontrent sur un papyrus (Pap. Par., n. 60 bis) provenant vraisemblablement du Sérapeum de Memphis. Ce texte — une note de dépenses — prouverait plutôt, s’il prouvait quelque chose, qu’il y avait des τιμούχοι ailleurs qu’à Naucratis.

[63] Strack, n. 57. Cf. l’οίκονόμος Σωσίβιος (n. 35-36) au temps de Philadelphe (?). En tout cas, on sait par le papyrus des Revenus (col. 60) que Naucratis formait dans le nome Saïte un district à part. Cf. Wilcken, Ostr., I, p. 433.

[64] Dittenberger, OGIS., n.120 : inscription connue depuis 1885 (Amer. Journ. of Archæol., p. 79).

[65] Un papyrus récemment publié (S. de Ricci, in C.-R. Acad. Inscr., 1905, pp. 162 sqq.) nous apprend que la charte de Naucratis avait servi de modèle à celle d’Antinooupolis, sauf addition de l’έπιγαμία πρός Αίγυπτίους que n’avaient pas les Naucratites. On comprend que Naucratis, pour résister à l’absorption par la race environnante, ait interdit les mariages mixtes.

[66] Strabon, XVII, p. 813. Nous connaissons maintenant un certain nombre de dèmes de Ptolémaïs par les démotiques mentionnés dans des documents nouveaux (cf. Jouguet, ci-après, et Wilcken, Ostr., I, p. 433, 3).

[67] Un certain Celsus, de Ptolémaïs, ajoute au nom de sa ville natale ήν έπόλισσεν Σωτήρ (Letronne, Recueil, II, p. 188. CIG., 4925. Strack, n. 9). Ptolémaïs était d’abord une ville égyptienne, du nom de Neschi (auj. Menschieh), abrégé en Sui ou P-Sa, Psoï, Psi, devenu Psi-Ptulmis (la Psi de Ptolémée), et, dans la bouche des Grecs, Ptolémaïs ; plus tard, à l’époque romaine, Πτολεμαΐς ή Έρμείου. La ville faisait alors partie du nome Thinite.

[68] Mommsen, avant 1886 (R. G., V3, p. 557, 1), pensait encore que Ptolémaïs n’était pas plus favorisée sous ce rapport qu’Alexandrie, et il doutait que Naucratis elle-même eût conservé son autonomie sous les Lagides.

[69] Textes publiés en 1885 par Maspero-Miller, in BCH., IX, pp. 132-140. Strack, n. 35 et 36 (abrégé), et Archiv f. Ppf., I, pp. 202 sqq., n. 4. 11. 12. Dittenberger, OGIS., n. 47-49. Strack propose la date de 218 pour le n. 4. On connaissait depuis 1828 (CIG., n. 5185. Strack, n. 86) une base de statue élevée à Ptolémée Philométor par la ville, donc, en vertu d’un décret.

[70] Textes trouvés et publiés par P. Jouguet et G. Lefebvre, in BCH., XXI [1897], pp. 184-208. On rencontre encore des βουλευταί à Ptolémaïs au IIIe siècle de notre ère (CIG., 4989, 5000-5032). Il est curieux de constater que les corporations de prêtres égyptiens avaient aussi des βουλευταί, élus par un système de délégation, à raison de cinq par chacune des quatre tribus sacerdotales (Inscr. de Canope, lig. 23-24).

[71] Cf. Wilcken, in Archiv f. Ppf., I, p. 125. G. Lumbroso, Rendic. d. R. Accad. dei Lincei, 1903, p. 586. Wilcken (Obss., p. 7) fait observer avec raison que πόλις tout court ne signifie Alexandrie que dans la bouche des Alexandrins, et que le chef-lieu d’un nome était aussi la πόλις pour les habitants du nome.

[72] Philon (in Flacc., II, p. 523 Mangey) estime le nombre des Juifs, tant à Alexandrie qu’en Égypte, à un million. La grande majorité résidait à Alexandrie et à Cyrène, les Juifs en διασπορά ayant toujours été des citadins. A Alexandrie, les quartiers étaient numérotés Α, Β, Γ, Δ, Ε. Le quartier juif était le Δ, au N.-E. de la ville, confinant à la Regia. Une note réfugiée dans l’Etym. Flor. (E. Miller, Mélanges, p. 284) parle de trois divisions de la ville primitive, correspondant sans doute aux trois nationalités des habitants (cf. Puchstein, art. Alexandreia, in Pauly-Wiss. R.-E., I, p. 1388).

[73] Strabon ap. Joseph., A. Jud., XIV, 7, 2. Lumbroso (pp. 214-219) admet l’identité de l’έθνάρχης ou γενάρχης et de l’άλαβάρχης. C’est un échafaudage branlant de conjectures. Les soi-disant ethnarques des κώμαι, admis par Droysen d’après une fausse leçon de l’édit de Cn. Vergillus Capito, ont disparu du texte rectifié (CIG., 4956), et Droysen s’est rétracté depuis (Hist. de l’Hellénisme, III, p. 40, 4). A Antioche aussi, il y avait un άρχων τών έπ' Άντιοχείας Ίουδαίων (Joseph., B. Jud., VII, 3, 3).

[74] En cas de litiges entre Juifs et non Juifs, il y avait nécessairement recours à la justice royale, comme sous l’Empire romain. Cf. L. Mitteis, Aus den Papyrusurkunden, Leipzig, 1900, pp. 10-12. 38, note 7.

[75] Joseph., B. Jud., II, 18, 7. C. Apion., II, 4, etc. L’auteur du IIIe livre des Macchabées est plus orgueilleux et plus franc. Il assure que Philopator offrit un jour le droit de cité aux Juifs d’Alexandrie et que ceux-ci le refusèrent (III Maccabées, 3, 21). L’un et l’autre auteur reconnaissent qu’il y avait hostilité perpétuelle et conflits incessants entre les Juifs et le reste de la population. Mais il n’y eut pas, sous les Lagides, de grands massacres de Juifs comme celui qui plus tard ensanglanta Cyrène.

[76] Par exemple, au temps de Philopator et en Thébaïde, l’Hellène Nicon, surnommé Pétéchons, fils d’Athénion et dont la mère est Tsémin (Révillout, Un papyrus bilingue etc., in Proc. of Soc. of Bibl. Arch., XIV, pp. 60-97). A partir du règne d’Évergète II, c’est une mode courante : on ne distingue plus les races par le nom. L’onomastique des Tebt. Pap. fournit quantité de doublets de ce genre, Grecs à surnom égyptien, Égyptiens à surnom grec, individus de nom égyptien dont le père porte un nom grec, et inversement. Cf. W. Crönert, Zu den Eigennamen der Papyri und Ostraka (Stud. z. Palæogr., I [1901], pp. 36 sqq.). W. Spiegelberg, Ægypt. u. griech. Eigennamen, etc. (Demot. Studien, I, 1901).

[77] Josèphe (C. Apion., II, 6) fait valoir l’infériorité des Égyptiens comparés aux Juifs : Ægyptiis neque regum quisquam videtur jus civitatis fuisse largitus, neque Imperatorum.

[78] Strabon, XVII, pp. 797-8. Polybe (XV, 34, 10) impute les cruautés commises sur les amis et parents d’Agathocle, suppliciés dans le Stade, au tempérament égyptien. Qu’il songe aux Égyptiens de race ou aux Alexandrins assauvagis par le contact des indigènes, le rôle qu’il attribue à l’élément égyptien est considérable. Justin (XXXVIII, 8, 7) se représente Alexandrie comme une ville complètement dépeuplée par Évergète II et repeuplée avec des étrangers (edicto peregrinos sollicitat). Comme le fait observer Lumbroso (in Archiv f. Ppf., III, p. 350), peregrini ne veut pas dire indigènes : mais on sait qu’Évergète II avait renoncé à plaire aux Hellènes et favorisait l’élément égyptien. C’est même en partant de cette idée que Reitzenstein a cru voir l’expulsion des Alexandrins par Évergète II célébrée par l’Apocalypse égyptienne.

[79] FHG., III, pp. 164-5 Dans le texte, il semble que les huit premiers de ces noms soient des noms de dèmes compris dans la tribu Dionysia. Mais ce texte, d’ailleurs en mauvais état, n’est qu’une citation écourtée, et le genre des noms prévient la méprise. Cf. Wilcken, in Götting. gel. Anz., 1895, pp. 136 sqq. Cependant, Wilcken (Archiv f. Ppf., III, 2, p. 322) accepte Μαρωνεύς (Dittenberger, OGIS., n. 92) comme un démotique, dont il a bien, en effet, la forme. La division en tribus et dèmes fut appliquée plus tard aux cités de création nouvelle (v. g. Antinooupolis). Cf. F. G. Kenyon, Phylæ and Demes in Græco-Roman Egypt (in Archiv f. Ppf., II, pp. 70-78).

[80] En revanche, les éponymes dionysiaques manquent dans les noms de dèmes alexandrins connus par des documents du temps du premier et du second Évergète. Des noms comme Άνδρομάχειος et Εύεργέσιος semblent bien commémorer des faits historiques du temps de Ptolémée III.

[81] Dion Cassius, LI, 17. Dion semble croire que le Conseil a été supprimé par mesure spéciale, tandis que les autres villes grecques conservaient leur autonomie. Son opinion n’est pas une preuve qui s’impose, d’autant qu’elle se heurte à une affirmation contraire et plus précise. En 202, Septime Sévère Alexandrinis jus buleutarum dedit, qui sine publico consilio, ita ut sub regibus ante, vivebant (Spartien, Severus, 17). Il dota également d’un Conseil les métropoles ou chefs-lieux des nomes, et cela dans un but fiscal, pour avoir des décurions responsables de la rentrée des impôts (cf. Wilcken, Ostr., I, pp. 430-434). Cet essai d’autonomie ne réussit guère aux intéressés : Caracalla exerça de terribles vengeances sur les Alexandrins en goût d’opposition (Dion Cassius, LXXXVII, 22. Spartien, Caracalla, 6).

[82] De même, plus tard, expulsion de Soter II et rappel d’Alexandre, expulsion de Ptolémée Aulète, etc. A propos d’Alexandre, Pausanias (I, 9, 2) dit que sa mère avait voulu persuader aux Égyptiens de le prendre pour roi, et que plus tard les Alexandrins le firent roi au retour de Cypre. Il est possible que Pausanias ait voulu distinguer entre la populace d’Alexandrie et les Gréco-Macédoniens : mais il n’y a pas lieu d’imaginer une réunion des citoyens libres assemblés en armes (Mahaffy, Empire, p. 407), qui auraient élu leur roi à la façon des comices. On n’en était plus au temps où Antigone, Démétrios Poliorcète et Ptolémée Soter ont pu être investis par acclamation de leur armée.

[83] Sur le tempérament alexandrin, ajouter aux témoignages accumulés ci-dessus, celui d’Ammien Marcellin (XXII, 11, 4), qui définit Alexandrie : civitas quæ suopte motu, et ubi causæ non suppetunt, seditionibus crebris agitatur et turbulentis.

[84] Contre l’opinion de Niebuhr, Kuhn, Marquardt, Wilcken (in Archiv. f. Ppf., III, p. 335), voyez Lumbroso (Egitto2, pp. 14-19), Mommsen (R. G., V3, p. 551), Mitteis (Reicherecht, p. 41), Mahaffy (Empire, p. 76), P. Meyer (in Archiv f. Ppf., III, p. 12). Le texte de Tacite (Hist., I, 11), qui appelle l’Égypte en général provinciam insciam legum, ignaram magistratuum, est inutilisable ici : l’historien ne songe pas aux villes grecques. En revanche, le sol d’Alexandrie et de l’Άλεξανδρέων χώρας était considéré comme propriété de ses habitants et exempt de l’impôt foncier (CIG., 4951, lig. 33 sqq. 59 sqq.). Ce privilège fut révoqué au IVe siècle par Constance, alléguant quod in urbe prædicta ædificia cuncta solo cohaerentia, a conditore Alexandro magnitudine inpensarum publicarum extruda, emolumentis ærarii pro ficere debent ex jure (Ammien Marcellin, XXII, II, 6).

[85] Strabon, XVII, p. 191. Le sens de πατρίους τιμάς est assez incertain. Au sens étroit, il s’agirait d’honneurs héréditaires, et c’est ainsi que l’entendent Lumbroso, Mommsen, W. Otto, d’après l’idée préconçue que l’exégète est identique au prêtre du culte dynastique et que l’honneur attaché à ce sacerdoce était héréditaire, d’après le Ps.-Callisthène. Le sens le plus large (πατρίους = nationaux, sens adopté par A. Tardieu) me parait préférable. Strabon veut peut-être tout simplement expliquer πορφύραν άμπεχόμενος, sous un régime où la pourpre était réservée à l’empereur. L’exégète n’avait ce privilège que par le bénéfice d’une tradition nationale.

[86] Les hypomnematographi d’Alexandrie sont encore mentionnés dans une constitution de l’an 436 p. C. (Cod. Just., X, 32, 59).

[87] Diodore, I, 75-76. Cf. H. Brugsch, Demot. Wörterb., V, p. 390.

[88] Diodore ne parle pas du lieu où siégeait le tribunal. Cette cour de justice était sous l’Ancien Empire le grand Conseil des Grands du Sud, résidant à Memphis et jugeant, sous la présidence du grand-vizir, dans les six grandes maisons. Sous le Moyen et le Nouvel Empire (à partir de la XVIIIe dynastie ?), la cour siégeait à Thèbes, où l’on a retrouvé des tombeaux de sotem as ou grands juges. Le président devait être alors le grand-prêtre d’Amon, en dernier recours le dieu Amon lui-même, parlant par son oracle. Cf. E. Révillout, Le tribunal égyptien de Thèbes (Rev. Égyptol., III [1882], pp. 9-16), à propos d’un tribunal civil d’ordre inférieur siégeant à Thèbes au temps des Ramessides, tribunal exclusivement composé de prêtres et appliquant la procédure indiquée par Diodore. La Cour des Trente royaux (souteni) est mentionnée dans la stèle d’Horemhebi et dans l’inscription d’Abydos, du temps de Ramsès II (Précis, pp. 53, 193, 221).

[89] CIG., 4755. La liste dans W. Otto, pp. 197-199. Sur les archidicastes, ayant généralement grade de chevalier romain, cf. L. Wenger, Rechtshist. Papyrusstud., p. 149 sqq. P. Meyer, in Archiv f. Pf., III, pp. 74-5.

[90] Homolle, in BCH., II [1878], p. 398. Strack, n. 169. Dittenberger, OGIS., I, n. 136. Inscription de Délos, sans date, approximativement du IIe siècle a. C.

[91] BGU., 1001. La traduction du contrat démotique est à la suite (1002).

[92] Wilcken (in Archiv f. Ppf., II, p. 389) propose de restituer άρχιδικαστής καί πρός τή έπιμελεία, titre que porte ce fonctionnaire à l’époque romaine (Pap. Oxyrh., n. 485). Cf. Révillout, Précis, pp. 1143-1145. Mitteis, in Archiv f. Ppf., III, p. 74. Je croirais assez que ce titre définissait la fonction au temps des Lagides, et qu’il a été conservé par habitude sous l’Empire, alors qu’il n’y avait plus de chrématistes et que l’archidicaste avait perdu son ancienne compétence.

[93] Strabon, XVII, p. 797. Juridicus Alexandreæ dans les inscriptions (CIL., VI, 1564 etc.) et les textes juridiques (Digeste, I, 20, 2. Cod. Just., I, 57). Sur ce fonctionnaire, voyez Marquardt, Staalsverw., 12, pp. 452-456. O. Hirschfeld, Die kaiserl. Verwaltungsbeamten (1905), pp. 350-352. Cf. Collinet et Jouguet, Un procès plaidé devant le Juridicus Alexandreæ (in Archiv f. Ppf., I, pp. 293313). A. Stein, Die Juridici Alexandreæ (ibid., pp. 445-450). Wilcken (Obss. ad hist. Aeg., pp. 8-10) a repris, contre Ritter et Marquardt, l’opinion fondée sur une inscription de Messana (CIL., X, 6916), où il est question d’un juridicus Aegypti ; à savoir, que la juridiction du δικαιοδότης s’étendait, pour certaines affaires, à toute l’Égypte, tandis que celle de l’άρχιδικαστής ne dépassait pas Alexandrie. Il ne semble pas que, comme le dit Otto (p. 60, 3), les nouveaux documents rendent cette thèse caduque. Ou lit le titre complet Αίγύπτου καί Άλεξανδρείας δικαιοδότης dans une inscription du temps d’Hadrien (Cagnat, Rev. Épigr., 1903, n. 214). Une inscription (de janv. 4 a. C.) provenant des environs de Péluse et tout récemment publiée par M. Clédat (C.-R. Acad. Inscr., 3 nov. 1905) pose pour le δικαιοδότης la même question que pour l’archidicaste (BGU., n. 136) et l’άρχιερεύς (BGU., n. 347) siégeant à Memphis ; à savoir, si le fonctionnaire dit δικαιοδότών résidait à Péluse ou était venu d’Alexandrie ; autrement dit, s’il y avait plusieurs juridici ou un seul en Égypte. Nous retrouverons le même débat à propos du diœcète.

[94] Il me parait inutile de multiplier les conjectures gratuites. Pour concilier le texte de Strabon avec la compétence de l’άρχιδικαστής étendue à toute l’Égypte, W. Otto (op. cit., p. 166, 7) suppose que ce magistrat cessa d’être alexandrin et fut remplacé par le 8ticaio86rrc lorsque Auguste supprima la δικαιοδότης d’Alexandrie (fait postulé, non démontré). Il y aurait eu alors fusion de deux offices, celui de l’archidicaste et l’έπιμέλεια τών χρηματιστών, pour la province. Cette fusion, Wilcken la croit antérieure (ci-dessus, p. 158, 1). Je laisse de côté la question de savoir si l’archidicaste était ou pouvait être en même temps ίερεύς (et έπιστάτης) τοΰ Μουσείου, comme il le fut — régulièrement, d’après W. Otto — à l’époque romaine. Strabon n’assimile aucunement l’ίερεύς ό έπί τώ Μουσείω τεταγμένος (p. 794) et l’άρχιδικαστής (p. 797). On me permettra d’éliminer de même, pour me renfermer dans mon sujet, quantité de questions connexes, visées incidemment plus loin et qu’ont traitées Wilcken (Kaiserl. Tempelverwaltung, in Hermès, XXIII [1888], pp. 592-606), O. Gradenwitz (Ein Protocoll von Memphis, in Hermès, XXVIII [1893], pp. 321-334), F. Krebs (Aus dem Tagebuch d. röm. Oberpriester von Aegypten, in Philologus, LIII [1894], pp. 577-587), etc.

[95] Pollux, VIII, 124. Les Eupatrides όσίων καί ίερών έξηγηταί (Plutarque, Thésée, 25) : collège de trois exégètes Πυθόχρηστοι (Suidas, loc. cit.). Sur les exégètes athéniens et les exégètes Eumolpides d’Éleusis, voyez P. Foucart, Les grands mystères d’Éleusis (Mém. Acad. Inscr., 1900, pp. 79-83). A Olympie, un έξηγητής assistant aux sacrifices (Pausanias, V, 15, 6) ; à Sparte, les Πύθιοι (Hérodote, VI, 57. Suidas, s. v.).

[96] Voir la définition de l’office du P. M. dans Plutarque (Numa, 9).

[97] BCH., III [1879], p. 470. Néroutsos-Bey, L’anc. Alexandrie, p. 98. Il n’est pas dit que Lycarion ait été tout cela en même temps.

[98] Cf. Wilcken, Ostr., I, p. 657. W. Otto, p. 155, 3. Preisigke (in Archiv f. Ppf., III, p. 44) fait observer qu’il s’agit probablement, dans les textes visés, non pas d’un έξηγ[ητής], mais d’un έξηγ[ητεύσας], ce qui permet de retrancher des fonctions de l’exégète la corvée du service de l’annone. Le titre, à l’époque impériale, est έξηγητής, ίερεύς έξηγητής, έξηγητής Άλεξανδρείας ou τής Άλεξανδρείας πόλεως (cf. W. Otto, p. 185). Paul M. Meyer (in Archiv f. Ppf., III, p. 72) l’appelle le præfectus Urbi ptolémaïque. De même, Lumbroso (ibid., pp. 351-2) tient l’έξηγητής pour le gouverneur d’Alexandrie, un τεταγμένος έπί πόλεως, qui n’a rien de commun avec un έξηγητής interprète comme Timothée. Seulement, cela n’explique pas l’identité du titre.

[99] Ps. Callisthène, III, 33, p. 149 Müller.

[100] Mommsen, R. G., V3, p. 568, 1. C’est une opinion considérable sans doute, mais non la solution décisive d’un débat qui dure depuis la publication (par Mabillon, en 1723) de l’inscription de L. Julius Vestinus (CIG., 5900). Tous ceux qui se sont occupés du Musée ont donné leur avis sur la question. Letronne, persuadé que les Romains n’ont presque rien changé à l’administration ptolémaïque, a supposé d’abord que le directeur du Musée était le grand-prêtre de toute l’Égypte, et cela, dès le règne de Ptolémée Soter (Recueil, I, p. 279) : ensuite, qu’il était en même temps prêtre des Ptolémées et épistolographe, c’est-à-dire secrétaire d’État, gérant une sorte de ministère des cultes, le pontife de toute l’Égypte, duquel relevaient les collèges sacerdotaux du pays, le maître du sacerdoce de toute l’Égypte (ibid., pp. 358-363). D’autres ajoutaient à cet échafaudage de postulats le sacerdoce de Sérapis. Wilcken a réfuté Letronne. W. Otto (pp. 59 sqq.) reprend la discussion et conclut : 1° que l’άρχιερεύς Άλ. était un fonctionnaire laïque, un ministre des cultes créé à l’époque romaine pour ne pas laisser cette espèce de pontificat aux mains du préfet d’Égypte ; 2° qu’il n’a rien de commun avec le prêtre d’Alexandre ou exégète et n’a pas été non plus le prêtre des Césars ; 3° qu’il fut chargé, tout au moins à partir du Ier siècle, comme ίδιολόγος, de la gérance du budget des cultes ; 4° que l’έπιστάτης τοΰ Μουσείου a été en même temps άρχιδικαστής, à l’époque romaine.

[101] On sait maintenant, par Pap. Oxyrh., III, n. 477, qu’à l’époque romaine l’ίερεύς έξηγητής était le président des prytanes.

[102] Il a pu y avoir, pour les mêmes raisons, un exégète à Ptolémaïs. On en rencontre, au temps des Romains, dans d’autres métropoles égyptiennes (cf. W. Otto, p. 155, 2).

[103] CIG., 5900. Cf. Wilcken, Kaiserliche Tempelverwaltung (in Hermès, XXIII [1888], pp. 592-606). Voyez les conclusions de W. Otto, négatives en ce qui concerne la transformation de l’ίερεύς Άλεξάνδρου en άρχιερεύς Αίγυπτου πάσης. Il me parait excessif d’affirmer que le culte des Césars a bien remplacé celui des Lagides, mais non pas celui d’Alexandre, et de ne pas admettre que l’άρχιερεύς ait été le prêtre des Césars, sous prétexte qu’il était le chef de la religion égyptienne.

[104] Auguste a transporté à Rome, des institutions de sa capitale alexandrine, le præfectus vigilum, institué en 6 p. C. et répondant au νυκτερνός στρατηγός, comme, une vingtaine d’années plus tôt, le præfectus Urbi ressemblait d’un peu plus loin à l’έξηγητής καί έπί πόλεως.

[105] Strack, in Archiv f. Ppf., III, p. 135, n. 13, d’après Botti, Notice du Musée d’Alexandrie (1893), p.139, n. 3053. Cf. Archiv., III, pp. 72. 335.

[106] Cf. Philo, In Flacc., 14. CIG., I, 2930.

[107] Cette dénomination générale n’existe, à vrai dire, qu’en latin, le grec σύνοδοι ayant un sens beaucoup plus large que collegia, έταιρίαι un sens plus restreint, et κοινά ne s’appliquant pas aux associations privées. En revanche, les Grecs employaient quantité de termes spéciaux, qui ont fini par être plus ou moins synonymes, όργεώνες, θίασοι, έρανοι, etc. Sur les corporations grecques, voyez, après les études initiales de P. Foucart (Les associations religieuses chez les Grecs, Paris, 1873), le livre récent de E. Ziebarth, Griech. Vereinswesen, Leipzig, 1896. Cf., pour les collegia de l’Empire romain, le grand ouvrage de J. P. Waltzing, Étude historique sur les corporations professionnelles chez les Romains, etc., 4 vol. Bruxelles, 1895-1901.

[108] Dans cette première classe figurent οί άρχιερεΐς καί προφήται καί οί τό άδυτον είσπορευόμενοι πρός τόν στολισμόν τών θεών : les autres, πτεροφόροι καί ίερογραμματεΐς καί οί άλλοι ίερεΐς (Décrets de Canope et de Memphis), qui ne pénètrent pas dans l’άδυτον, sont de rang inférieur. C’est en dehors de ces cadres qu’il faut placer les employés ou entrepreneurs comme les ibiotrophes ou ibiobosques, hiéracobosques, ibiotaphes, criotaphes et crocodilotaphes des temples à divinités animales. Cf. Pap. Leid., G, p. 42 Leemans. W. Otto (p. 94 sqq.) pense que les pastophores ou porte-tabernacles étaient en dehors des tribus sacerdotales : à plus forte raison, les autres employés au service des temples. De même, Révillout (Précis, p. 1268), qui comprend les choachytes dans la classe des pastophores et autres minorés. Les άρχιπαστοφόροι et πρεσβύτεροι παστοφόρων, ne sont connus jusqu’ici qu’à l’époque romaine (Otto, p. 98).

[109] Aux renseignements tirés de la grande inscription de Sioût, publiée par Mariette (Erman, Aegypten, II, p. 394. Z. f. Aeg. Spr., XX [1882], p. 162), se sont ajoutés les nouveaux papyrus de Kahun, datant de la XIIe dynastie (Borchardt, ibid., XXXVII [1899], pp. 89-103. Strack, in Zeitschr. f. neutest. Wiss., IV [1903], pp. 218-222). Ce sont sans doute ces tribus que Diodore (I, 21, 6) appelle γένη τών ίερέων, et la pierre de Rosette ίερά έθνη (l. 16/17). W. Otto (p. 24) estime que la τετραφυλία des desservants laïques a été appliquée plus tard — avant l’ère des Lagides — à l’organisation du sacerdoce proprement dit, la majorité absorbant la minorité.

[110] Strack, n. 157. Dittenberger, OGIS., n. 191.

[111] Diodore, I, 74 : cf. 81. Tout récemment, E. Révillout (Précis, pp. 890-932) a entrepris de justifier l’opinion de Diodore. Il affirme l’existence des castes, en faisant valoir surtout les papiers de ces choachytes de Thèbes, dont aucun ne sortit pendant plusieurs siècles de sa caste. Pour nous, la corporation suffit à expliquer les faits. Une corporation singulière — corporation organisée par Amasis, ancien chef de voleurs, d’après Révillout — eût été l’association de voleurs dont parle Diodore (I, 80), qui lui attribue une existence légale.

[112] C’est le trait caractéristique de l’Égyptien, suivant Hérodote (II, 79). Ceci avant les Lagides.

[113] Sur les corps de métier en général, sans distinction d’époques, voyez Lumbroso, Rech., pp. 100.137, et la liste beaucoup plus complète dressée par Wilcken, Ostr., I, pp. 688-695.

[114] La ressemblance des lettres Λ et Α permet de lire indifféremment sur les papyrus χολχυταί ou χοαχυταί. De là un débat entre les partisans de l’une et de l’autre graphie (pour χολχυταί, Young, Buttmann, Peyron, Forshall, Leemans, Letronne, Brugsch, Witkowski, Ziebarth), débat qui me parait clos en faveur de χοαχυταί (Ideler, Brunet de Presle, Lumbroso, Wolff, Révillout, Renyon, Wilcken, Spiegelberg, W. Otto). Les termes παρασχισταί et ταριχευταί étant des mots grecs, on ne voit pas pourquoi il faudrait expliquer χολχυταί par le copte (A. Peyron, ad Pap. Taur., I, pp. 77 sqq.), alors que le mot grec χοαχυταί (de χέω, χοή) offre un sens étymologique plausible, et que les libations destinées à étancher la soif des morts étaient un usage universel. A Thèbes, les trois corporations étaient distinctes : à Memphis, taricheutes et choachytes faisaient partie d’une même corporation sous la direction des archentaphiastes (Révillout, Paraschisles-Taricheutes et Choachytes, in Zeitsch. f. Aeg. Spr., XVII et XVIII [1879-1880]. Le procès d’Hermias, p. 192, 1). Cf. C. Wolff, De causa Hermina, pp. 12-26.

[115] Cf. Révillout, Précis, pp. 1314, 1330, etc. Les 70 jours d’embaumement sont mentionnés sur les stèles funéraires, pour Apis et les personnages de marque (Spiegelberg, Demot. Inschr., pp. 32. 33. 38). Sur les procédés opératoires, voyez Hérodote, II, 86-88. Diodore, II, 91.

[116] Cf. les règlements édictés par Philadelphe dans les Revenue Laws, et l’ordonnance d’Évergète II, protégeant les outils et les salaires (Tebt. Pap., n. 5, lignes 238-250).

[117] Tebt. Pap., n. 5, lig. 100. 119 — n. 97 — n. 32. 61 b — n. 62. 63, n. 236. 263. Fayûm Towns, n. 18 a et b, Fay. T., n. 42 a. Cf. le syndicat des propriétaires (alexandrins ?) connu depuis 1893 (Archiv f. Ppf., I, p. 209, n. 25). Sur l’έπιστατικόν (Tebt. Pap., n. 5, lig. 63. 97. 189), voyez ci-après, ch. XXV.

[118] L’État, à l’époque romaine, finit par abuser de cette solidarité qu’il encourageait, en rendant la collectivité responsable de l’impôt. Wilcken (Ostr., I, p. 332) remarque que, du IIe siècle a. C. au IIe siècle p. C., l’impôt sur les métiers ou patente est toujours levé sur l’individu, non sur la corporation.

[119] Il y a un grain de fantaisie dans les vues de Strack (op. cit., p. 229), qui considère l’extension du système aux fellahs comme ein Schachzug gegen die Priesterwelt, une politique anticléricale.

[120] Nous ne savons pas comment furent organisés les cultes indigènes et grecs dans les bourgades de création nouvelle. Quelques-unes de ces associations purent en faire les frais (voyez ci-après). Les Égyptiens finirent cependant par imiter l’organisation des collèges grecs. Les choachytes de Thèbes, d’abord simplement associés en compagnies commerciales, se formèrent en confrérie religieuse, partagée en tribus (Kema) à la mode égyptienne, mais ayant un culte commun (d’Amon-Api), une administration centrale, et édictant en assemblée plénière des règlements analysés par Révillout dans un travail spécial dont il a donné depuis un résumé (Précis, pp. 1267-1272). Je dois dire qu’il y a quelques divergences dans l’interprétation des statuts de la confrérie (Pap. dem. Berl., 3115) entre Révillout et Spiegelberg, pour le sens et pour la date : du règne d’Aulète, d’après Révillout ; du 29 Méchir an VIII au 30 Choiak an X de Ptolémée Alexandre (16 mars 107 au 15 janv. 104 a. C.) d’après Spiegelberg (taf. 38-41, pp. 18-19). La date importe, parce que Révillout considère la confrérie des choachytes comme remplaçant le sacerdoce d’Ammon après la destruction de Thèbes par Ptolémée Soter II (88 a. C.). Autre confrérie égyptienne organisée à la grecque, la σύνοδος d’Isis Έσεγχήβις (Strack, in Archiv f. Ppf., III, p. 131, n. 8. W. Otto, p. 410).

[121] On n’a rencontré jusqu’ici de sociétés juives pourvues d’oratoires que dans la Basse-Égypte. On en connaît cinq : les προσευχαί de Schédia (Archiv f. Ppf., II, p. 541), d’Athribis (Strack, n. 166-167), d’Arsinoé au Fayoum (Tebl. Pap., n. 86), d’Alexandrie (Archiv f. Ppf., II, p. 559), et d’un lieu non défini, dotée de l’άσυλία par Évergète II (Strack n. 130). Serait-ce le Temple schismatique de Léontopolis ?

[122] Sur les Wissenschaftliche Vereine en général, voyez E. Ziebarth, op. cit., pp. 69-74.

[123] Athénée, V, p. 198 e. Ces thiases ont pu être improvisés pour cette exhibition, toute en figurants. Il n’est pas question d’Άδωνιασταί à propos des fêtes d’Adonis célébrées par Arsinoé II (Théocrite, Idylles, XV). Les confréries groupées sous le vocable des divinités alexandrines ne se rencontrent guère qu’à l’étranger. Cependant une inscription de Mandera (Taposiris Parva ?) nous a conservé la dédicace d’un autel érigé sous le règne d’Épiphane à Osoros (sic), Sarapis, Isis et Anubis, par un certain Spanis καί οί κωμεγέται καί οί θιασεΐται (Strack, n. 76). On cite encore, de l’époque ptolémaïque, une σύνοδος Σαμβατική (Fl. Petrie, Naucratis, II, pl. XXII, 15). La σύνοδος Είσιακή de Philæ (CIG., 4938 6) est de l’époque romaine. Cf. Ziebarth, p. 62.

[124] Plutarque, Cléomène, 34.

[125] Athénée, VI, p. 246 c.

[126] Plutarque, Anton., 47.

[127] Dion Chrysostome, Orat., XXII, 70, p. 383. Cf. Lumbroso, Dei sodalici alessandrini, dans les Ricerche alessandr. (in Mem. d. Accad. di Torino, XXII [1871], p. 78).

[128] Philo, In Flacc., pp. 518, 537-538 M. Cf. Dion Cassius, LX, 6. Ziebarth, op. cit., pp. 95. 124-125.

[129] Strack, in Archiv f. Ppf., II, p. 544, n. 22. C’est une dédicace à Anubis pour la santé des dieux Philopators. Date, entre 217 et 205. Voyez le commentaire de Strack (Die Müllerinnung in Alexandrien, in Zeitschr. f. Neutestam. Wiss., III [1904], pp. 213-234) sur cette guilde, qu’il considère comme la première en date de toutes les similaires.

[130] BCH., XI [1887], p. 249 et 252 = Strack, n. 118. 115. Date, entre 127 et 117 a. C. Cf. Ziebarth, p. 30. On connaît de ces dockers à Laodicée et à Béryte (BCH., I, p. 285. VII, p. 467 sqq.). A l’époque romaine (IIIe siècle), on rencontre aux carrières de Gertassi, sur la frontière de Nubie, des chargeurs, οί άπό τοΰ γόμου, avec προστάται et ίερεΐς de divinités bizarres, Πουρσιπροΰνις, Σρουπτΐχις, etc. (W. Otto, pp. 128/9).

[131] La corporation admettait des associés étrangers à la profession, car un des deux décrets (Strack, n. 35) porte en tête : έδοξεν τοΐς τεχνίταις τοΐς περί Διόνυσον καί θεούς Άδελφούς καί τοΐς τήν σύνοδον νέμουσιν. Cf. à Cypre, au temps d’Évergète (Ier ?), un Attale τών περί τόν Διόνυσον καί θεούς Έύεργέτας τεχνιτών (Strack, n. 121).

[132] Strack in Archiv f. Ppf., II, p. 548, n. 27. Cf. la dédicace des κωμεγέται et θιασεΐται de Taposiris à Ptolémée Épiphane (Strack, n. 76), peut-être dans les mêmes circonstances.

[133] Strack, n. 95. Cf. les Φιλομητόρειοι d’Alexandrie (CIG., 4678. Ziebartb, p. 62, I). Dans le Pap. Taur., XIII, c’est évidemment Φιλομητόρειος qu’il faut substituer à la leçon inintelligible Φιτοασητόρειος.

[134] Liste des membres, CIG., 4893, add. p. 1218 = Strack, n. 108. Cf. le commentaire de Letronne, Stèle de Vile de Dionysos, in Recueil, I, pp. 389-406. Hérode, fils de Démophon, figure dans les deux inscriptions, qui visent la même confrérie.

[135] Pap. Par., n. 15. Pap. Amh., II, n. 39. Je me demande s’il faut traduire, avec Lumbroso, Ziebarth et Révillout (Précis, p. 1014, 2), τών ρ (έκατόν) — ce qui suppose le nombre des membres fixé à cent — ou plutôt ό ρ (έκατόνταρχος) : sans compter que ρ peut signifier aussi έκατουτάρουρος, titre indiquant la dotation et le grade du militaire. Les noms égyptiens des membres peuvent, à cette époque où l’égyptien fait prime, être portés par des Grecs (Wilcken, in Archiv f. Ppf., II, p. 123).

[136] Voyez la liste des κοινά cypriotes dans P. Meyer, Heerwesen, p. 93, et dans Dittenberger, OGIS., n. 143, 145, 146, 147, 148, 151, 153, 157, 159, 162. L’usage des vocables ethniques et des scholæ s’est introduit dans l’armée romaine sous l’Empire. Cf. en Égypte, à Ombos, les honneurs décernés sous le règne de Philométor à l’hipparque Ménandre par les πεζικαί καί ίππικαί δυνάμεις (Strack, n. 107). Dédicace par les mêmes troupes à Aroéris pour le salut du roi Philométor, de la reine sœur Cléopâtre et de leurs enfants (Strack, n. 88). Je laisse de côté les collèges purement grecs dans la population civile des colonies, comme le κοινόν τών Βακχιστών à Théra (in Archiv f. Ppf., II, p. 550, n. 31, inscription commentée par Hiller von Gaertringen, Der Verein der Bacchisten und die Ptolemäerherrschaft auf Thera, in Festschr. f. O. Hirschfeld, p. 87), des γραμματεΐς et Διονυσιακοί τεχνιταί ou des Κύπριοι (Dittenberger, OGIS., n. 161, 164, 165).

[137] Inscription de Mit-Rahineh, sur l’emplacement de Memphis, publiée par Maspero (An. de l’Égypte, II [1901], p. 285. C.-R. Acad. Inscr., 1902, p. 119. Rev. d. Ét. gr., XVII [1904], p. 264), commentée par P. Foucart et en dernier lieu par Strack (in Archiv f. Ppf., III, 1 [1904], pp. 129-130). Les caractères sont du IIIe siècle, et l’an VI est très probablement de Philopator (217/6 a. C.). C’est seulement ou surtout à cause du titre de συγγενής porté par Dorion que Strack fait descendre la date de l’inscription jusque vers 112 a. C. La rédaction du décret est assez compliquée. On y voit figurer un πολίτευμα, des Iduméens άπό τής πόλεως, et un πλήθος τών μαχαιροφόρων, qui paraissent bien être aussi des Iduméens, Apollon (c’est-à-dire un Baal solaire déguisé sous ce nom) étant, comme le fait observer Lumbroso (in Archiv, III, p. 164), en honneur chez les Iduméens de Palestine (Joseph., C. Apion., II, 9). Strack rejette l’explication de Foucart, d’après lequel il n’y a dans cette réunion que la corporation des appariteurs et leurs compatriotes de la ville. Suivant lui, c’est le corps des citoyens et le garnison de la ville (anonyme) qui honorent Dorion. Le choix entre ces deux hypothèses n’est pas, comme il le croit, affaire de sentiment. Non seulement la ville n’est pas nommée, ce dont il s’étonne lui-même, mais Memphis, ville égyptienne, n’avait certainement pas un organisme qui lui permit de voter des décrets. Enfin, des μαχαιροφόροι ne sont pas des garnisaires. W. Otto (p. 127, 6) accepte la thèse de Strack : ses réserves portent à côté, sur le soi-disant Apollon, en qui il soupçonne un dieu égyptien.

[138] Strack, n. 142, 143. Les expressions τών τό Γ (?) L et τών τό BL έφηβευκότων signifient que les éphèbes étaient en seconde ou en troisième (?) année de noviciat militaire. Promotion d’autres [έφηβευκό ?] τες ; à Thèbes (Strack, in Archiv f. Ppf., II, p. 553) ; cas plus que douteux, surtout en Thébaïde.

[139] Pap. Grenf., I, n. 31, de 104/3 a. C.

[140] C’est sans doute dans des réunions de cette espèce, celles de la classe riche, que les convives s’exhortaient à jouir de la vie en exhibant des représentations de la mort (Hérodote, II, 78). Cf. le développement de ces sociétés, au détriment de la vie de famille, dans la Grèce de la décadence : en Béotie, où nombre de gens ne dînaient jamais chez eux (Polybe, XX, 6,6) ; à Byzance, où, au dire de Phylarque, les gens vivaient au cabaret, louant leur logis et leur femme aux étrangers (FHG., I, p. 336) ; dans les villes de Syrie (FHG., III, p. 258).

[141] Tebt. Pap., n.118. Cf. l’analyse de deux autres papyrus analogues, n. 177 et 224. Le prix de la cruche de vin y est coté 2.300 et 2.400 dr.

[142] P. Jouguet, in C.-R. de l’Acad. des Inscr., 1902, pp. 330-352. Les sigles employés pour exprimer les valeurs des cotisations nous feraient plutôt songer à l’époque ptolémaïque (ibid., p. 352, 1).