HISTOIRE DES LAGIDES

TOME TROISIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XXI. — LA COUR ET LA MAISON DU ROI.

 

 

Le roi était pour tous ses sujets un maître absolu, qui centralisait entre ses mains tous les pouvoirs, à la fois chef religieux et lui-même objet de culte, chef militaire, législateur et juge suprême. Pour exercer cette autorité sous toutes ses formes, et parfois dans les plus minces détails, il avait sous la main une immense machine administrative, qui fit plus tard l’admiration des empereurs romains et, copiée par eux, a servi de modèle à toutes les bureaucraties despotiques. Ce mécanisme, nous le connaissons par des documents de dates très diverses, dont un certain nombre, —ou même le plus grand nombre, — appartenant à l’époque romaine, ne peuvent être utilisés qu’avec précaution. Quoique l’instinct conservateur, autrement dit, la force de l’habitude, ait eu en Égypte une intensité proverbiale, il y a lieu d’hésiter avant d’affirmer que telle fonction rencontrée au temps des empereurs est un legs de l’époque des Lagides.

Il est non moins difficile, là où les preuves positives font défaut, de distinguer dans le régime des Lagides ce qui leur appartient en propre et ce qu’ils tenaient des Pharaons leurs prédécesseurs. La part de ceux-ci doit être extrêmement considérable. Ils avaient eu des siècles pour perfectionner leur instrument de domination, et ce n’est pas le génie grec ou macédonien, impatient des formalités, qui a pu faire pulluler de telles légions d’administrateurs grands et petits, scribes, rédacteurs, contrôleurs, enregistreurs, tous automates mus par l’obéissance passive, dressés à manier tantôt le calame et tantôt le bâton. Ptolémée Soter eut sans aucun doute, comme Auguste après lui, la sagesse de ne point déranger le système de rouages et de leviers qui permettait au moteur central de transmettre jusqu’aux confins les plus reculés du royaume l’impulsion de sa volonté souveraine.

 

§ I. — LES DIGNITÉS AULIQUES.

Autour du roi et illuminé par l’éclat qui émane de sa personne figure un brillant état-major, dans lequel il faut distinguer les fonctionnaires proprement dits et les dignitaires, c’est-à-dire les titulaires d’une dignité personnelle, séparable de leur fonction. Le cumul d’une fonction, qui peut s’exercer hors de la cour, et d’une dignité décorative qui implique une certaine familiarité de celui qui en est revêtu avec la personne du monarque et un rang à la cour, rend assez incertain le triage entre les charges administratives et les charges auliques, entre celles qui ont pour objet un service public et celles qui constituent la maison royale. Les dignités ont dû commencer par correspondre à des offices de cour ; puis elles en ont été détachées et rendues susceptibles d’être attribuées, comme titres honorifiques et fictions légales, à d’autres ordres de fonctionnaires. C’est certainement le cas pour le titre de [άρχι]σωματοφύλαξ, et il est aussi évident que ceux de parent (συγγένης), ou de frère (άδελφός) et d’ami (φίλος), ont dû être conférés d’abord à ceux qui vivaient dans l’intimité du monarque.

Quand on vient à s’enquérir de l’origine de ces titres, on n’a pas seulement à choisir entre les coutumes macédoniennes et les traditions égyptiennes : il semble qu’on soit en présence’ d’un usage général dans les cours orientales. A la cour des Achéménides et à celle des Mermnades[1], le titre d’ami du roi était une distinction honorifique qui faisait reconnaître les personnages ayant accès auprès du souverain, le mot de passe devant lequel tombaient les barrières élevées par l’étiquette.

Les rois de Macédoine avaient aussi des amis (φίλοι) et même des camarades (έταΐροι)[2] ; mais les textes qui nous en parlent ne permettent pas d’affirmer que les φίλοι fussent des dignitaires, et ils donnent plusieurs sens au terme, cependant plus technique et plus exclusivement macédonien, d’έταΐροι. Les auteurs l’emploient à la fois comme synonyme de φίλοι, soit d’une façon générale, soit pour désigner les conseillers ou familiers du roi, et aussi comme appellation officielle de la chevalerie macédonienne, qui gardait encore le caractère d’une cavalerie. Les deux termes de φίλοι et d’έταΐροι se rencontrent appliqués aux mêmes personnes dans une même phrase d’Arrien, comme si l’historien voulait rappeler que l’état-major appartenait à l’arme de la cavalerie[3]. Sans doute, on nous dit qu’Alexandre, enchanté d’être guéri par l’Acarnanien Philippe, mit ce médecin au rang de ses plus intimes amis[4], d’où nous pourrions conclure à une étiquette comportant des catégories ; ou bien, qu’Eumène conféra à ses officiers des distinctions comme les amis en reçoivent des rois[5] : mais il est toujours possible que Diodore et Plutarque laissent au terme de φίλοι son sens usuel ou lui donnent, par anachronisme, un sens officiel qu’il n’avait pas au temps d’Alexandre. On ne peut pas davantage aboutir à une solution certaine en ce qui concerne les σωματοφύλακες. Les rois de Macédoine ont pu avoir, comme tous les rois, des gardes du corps réellement attachés à leur personne ; mais il s’agit de savoir s’ils ont fait du titre de σωματοφύλαξ une décoration séparable de la fonction. Arrien nous parle des gardes du corps et des amis qu’Alexandre avait autour de lui dès le début du règne de son héros ; mais ces expressions vagues n’offrent pas le sens précis qu’on voudrait y introduire[6].

Cependant, s’il est douteux qu’il y ait eu des titres de ce genre à la cour de Macédoine, il est certain qu’Alexandre, substitué aux rois de Perse, adopta l’étiquette orientale et conféra aux courtisans indigènes les titres auxquels ils étaient accoutumés, notamment celui de parents du roi (συγγενεΐς βασιλέως-cognati regis). Lorsque, las des allures nouvelles de leur chef, les Macédoniens se mutinent à Opis (324), l’hipparque Callinès expose ainsi leurs doléances : Ô roi, ce qui afflige les Macédoniens, c’est que tu as déjà pris pour parents des Perses, des Perses qui s’appellent maintenant des parents d’Alexandre et te donnent le baiser, tandis que, parmi les Macédoniens, personne n’a encore joui d’un tel honneur. Sur quoi Alexandre répliqua : Mais vous, je vous fais tous mes parents, et dorénavant je vous appellerai ainsi. A ces mots, Callinès, s’avançant vers lui, l’embrassa, et qui voulut en fit autant après lui[7]. Alexandre joue ici sur les mots : un titre conféré à tout un corps d’armée n’appartient plus à personne, tandis qu’il restait une distinction personnelle pour les Perses à qui il l’avait donné.

Dans le passage précité, Arrien insiste visiblement sur le rapport étymologique qu’il établit entre le droit au baiser (φιλεΐν) et le titre d’amis (φίλοι), sous-entendu ici, mais souvent accolé au titre de συγγενεΐς, sous la forme φίλοι καί συγγενεΐς[8]. Son opinion paraît bien être que seuls les συγγενεΐς sont les amis officiels, et que les amis à la mode de Macédoine, n’ayant pas droit au baiser, n’avaient jamais été ou n’étaient plus des dignitaires, mais simplement des amis au sens courant du mot. D’autre part, Alexandre, devenu Grand-Roi, réserva à ses grands officiers de race macédonienne le titre de σωματοφύλαξ, distinction honorifique dont les titulaires devaient être désormais au nombre de sept[9]. Mais le titre n’était pas encore séparé de la fonction au point d’être conservé en dehors de la cour. Les officiers nommés à des postes qui les éloignaient de la personne du souverain étaient remplacés par d’autres dans son entourage.

C’est donc à l’étiquette des Perses qu’Alexandre a emprunté les titres que nous allons retrouver au sommet de la hiérarchie à la cour des Lagides. Ceux-ci n’ont peut-être pas eu besoin de les importer en Égypte, l’étiquette pharaonique leur offrant des appellations équivalentes ou même une nomenclature plus variée. On rencontre en Égypte, sous les Pharaons, des personnages, des prêtres surtout, qui portent le titre de soutenrex (parent royal), titre qui pourrait bien dater du temps où la royauté patriarcale était encore modelée sur la famille[10]. Le titre d’ami (smîrou) date aussi des temps les plus reculés. D’après un manuscrit de la XIIe dynastie, le roi Ousirtasen Ier, au moment de fonder le temple d’Héliopolis, avait tenu conseil avec les Amis et les Grands[11]. Dans un conte de la même époque, les Aventures de Sinouhit, on voit Sinouhit d’abord disgracié, puis rappelé à la cour et se présentant au palais. Il trouve à la porte les pages ou enfants royaux et les Amis pour l’introduire dans la salle à colonnes et de là dans la chambre intérieure où trône le roi[12]. Les Amis assistent aussi le roi célébrant les offices divins[13]. Les enfants royaux, que nous retrouverons sous le même titre (βασιλικοί παΐδες), étaient les compagnons des enfants du roi, et ceux d’entre eux qui plus tard restaient dans l’intimité du nouveau souverain devenaient ses conseillers et amis uniques, décorés de toute espèce de vocables correspondant à des fonctions auliques, maîtres du secret de la maison royale, maîtres du secret de toutes les paroles royales, maîtres des secrets du ciel[14]. Ces titres pouvaient aussi être détachés de toute fonction effective et conférés à des personnages qui étaient assimilés par là au personnel de la maison royale. Ce dut être, autrefois comme dans les temps modernes, un des moyens par lesquels le progrès de la centralisation monarchique a peu à peu désagrégé l’obstacle que lui opposait la féodalité préexistante. Les Pharaons se firent ainsi parmi les hauts barons une clientèle d’Amakhou ou attachés, qui prenaient rang parmi les amis et devenaient titulaires de fonctions auliques. Ceux-là envoyaient volontiers à la cour leurs enfants, qui se façonnaient à la domesticité dans le corps des enfants royaux[15].

Ces aperçus sommaires suffisent à montrer que, pour constituer une noblesse de cour, où les rangs étaient assignés par brevets royaux, les Lagides n’ont pas eu à déroger aux coutumes indigènes. Aussi s’est-on cru en droit de supposer que cette hiérarchie aulique s’était reconstituée pour ainsi dire spontanément, sur le fonds traditionnel ou sur le modèle légué par Alexandre[16], dès que fut restaurée la royauté égyptienne en la personne de Ptolémée Soter. Mais le récolement des textes dont nous disposons ne parait pas favorable à cette hypothèse[17]. C’est seulement sous le règne d’Épiphane que l’on voit apparaître la série étagée des titres qui composent la hiérarchie : au sommet, les parents du roi ; au dessous, les capitaines des gardes du corps ; plus bas, les amis, parmi lesquels se distinguent les πρώτοι φίλοι ; enfin, à l’entrée de la carrière, une catégorie vague de surnuméraires ou successeurs, qui sont vraisemblablement désignés pour remplir les places vacantes dans les rangs supérieurs. L’historien Mahaffy, qui a été le premier à faire cette remarque, en a conclu qu’Épiphane avait dû, pour des motifs intéressés, multiplier ou peut-être inventer ces décorations[18]. Strack, après inventaire minutieux des documents[19], croit pouvoir affirmer que la hiérarchie fut créée de toutes pièces par Épiphane, vers 190, sur le modèle que lui offrait la cour de son beau-père, le Séleucide Antiochos III. Le jeune roi, ayant besoin de s’attacher les personnages influents de son royaume et n’étant pas en état de faire des largesses, les aurait pris par la vanité ; il aurait exploité économiquement le goût des décorations, qui était alors général dans le monde hellénistique.

Il me semble que si l’opinion jadis courante[20] a contre elle l’absence de textes, celle-ci se heurte à des objections d’une autre nature et des plus sérieuses. On n’admettra pas sans hésitation qu’un jeune roi, au sortir d’une minorité désastreuse, humilié par l’officieuse protection des Romains, ait si aisément réussi à communiquer à ses décorations, improvisées en bloc, le prestige qui lui manquait à lui-même. On se demande si ses prédécesseurs, si des rois glorieux comme Philadelphe et le premier Évergète n’avaient pas au moins des Amis, des conseillers pour qui une familiarité réelle avec le roi fût déjà un titre d’honneur. Plutarque raconte que Ptolémée Soter s’invitait sans façon chez ses amis ; Strabon appelle l’architecte Sostrate, ami des rois[21], c’est-à-dire, de Soter et de Philadelphe ; nous avons cru reconnaître dans l’ami Antigone qui procure à Philadelphe des mercenaires gaulois et dans l’ami Antiochos à qui Ptolémée Évergète confie la Cilicie, non pas Antigone Gonatas et Antiochos Hiérax, mais des dignitaires de la cour d’Alexandrie. Sans doute, aucun de ces textes n’est probant ; il faut même rejeter comme apocryphes ceux qui fourniraient un argument topique, je veux dire, la correspondance soi-disant échangée entre Philadelphe et le grand-prêtre juif Éléazar, correspondance dans laquelle les deux délégués égyptiens sont dits les plus honorés des amis et l’un d’eux, Andréas, qualifié expressément archisomatophylaque[22]. Mais d’autre part, s’il est vrai que Philadelphe a institué le culte dynastique et repris par là la tradition d’Alexandre, on ne concevrait guère que cette innovation si caractéristique n’ait pas entraîné des remaniements correspondants dans l’étiquette de la cour. C’est alors que des titres sonores, distribués avec une parcimonie intelligente par un monarque opulent et libéral, purent paraître enviables, et non pas lorsqu’ils furent prodigués par un jeune roi dont la perte de la Cœlé-Syrie n’augmentait pas le prestige. Il faut à la vanité le support de l’orgueil. Emprunter au Séleucide victorieux l’étiquette de sa cour dit été une façon de reconnaître sa supériorité, et il serait étrange que des titres tout fraîchement importés d’Antioche aient été aussi prisés à Alexandrie.

Enfin, s’il y eut emprunt d’une cour à l’autre, ce qui est possible, il semble bien que les rôles doivent être renversés et que les modèles ont été fournis par l’Égypte[23]. Le culte dynastique des Séleucides n’a jamais eu la constitution et la continuité de celui des Lagides, et il ne prend la forme d’une constitution d’État qu’à la fin du règne d’Antiochos II Θεός, c’est-à-dire après que Ptolémée Philadelphe eut donné l’exemple en organisant le culte du roi vivant associé à la reine défunte. Antiochos II parait avoir institué d’abord le culte de sa personne et s’être décidé ensuite à s’associer la reine Laodice encore vivante, mais à titre de faveur spéciale et avec un sacerdoce féminin distinct[24]. Le titre même de Θεός qu’il porte dans l’histoire indique assez que sa divinité était une innovation introduite dans les usages antérieurs[25]. S’il a imité en cela son puissant voisin, rien n’empêche d’admettre qu’il lui a emprunté aussi les modifications apportées en conséquence à l’étiquette de cour.

En somme, tout est problématique dans cette question des origines de la hiérarchie aulique. Nous ne pouvons pas affirmer ni qu’elle se soit fondée en Égypte sur la tradition pharaonique, probablement interrompue sous la domination des Perses, ni qu’elle ait continué la tradition renouvelée par Alexandre, ni qu’elle ait été créée ou restaurée d’un seul coup par Philadelphe. Mais il est juste de reconnaître que l’origine de l’étiquette syrienne est pour le moins aussi incertaine, qu’il n’y a aucune raison de la considérer comme antérieure à l’autre, et que, la supposer telle pour les besoins de la cause, c’est expliquer obscurum per obscurius. Ce qui reste provisoirement avéré, c’est que, jusqu’au règne d’Épiphane, nous n’avons pas de documents épigraphiques ou papyrologiques où figurent les titres dont nous recherchons l’origine, sauf celui d’άρχισωματοφύλαξ[26]. Le fait, qui peut être démenti par de nouvelles découvertes, est susceptible d’explications diverses. 11 se peut que, pendant un siècle environ, les fonctionnaires n’aient pas exhibé leurs décorations à la suite du titre de leur fonction, et que l’usage ait changé par la suite. Cela dit, nous allons analyser cette hiérarchie à l’état statique, en laissant de côté les questions auxquelles nous ne pouvons plus répondre.

I. Le titre de συγγενής, qui assimile à la famille royale celui qui en est honoré, correspondait à peu près à ce qu’on appelle dans les monarchies modernes un pair du royaume, le mot impliquant une égalité virtuelle non seulement des pairs entre eux, mais des pairs avec le roi. C’était, dit Letronne, un titre honorifique attaché sans doute aux grandes dignités de l’État, comme celui de notre cousin, donné par les rois de France non seulement aux princes du sang, mais encore aux pairs, aux cardinaux, aux maréchaux[27], etc. Le protocole des Lagides et Séleucides était même plus complaisant : la suscription des lettres royales adressées à des συγγνεΐς donnait parfois au destinataire le nom de frère (άδελφός), le même dont usaient les rois entre eux[28].

Le nombre des συγγνεΐς devait être assez borné, et le titre d’autant plus ambitionné. Le cadre des dignitaires de ce grade fut Élargi par le procédé que les Romains pratiquèrent plus tard sous le nom d’adlectio. A partir du règne d’Évergète II, on rencontre des fonctionnaires appartenant à la catégorie des assimilés aux parents[29]. L’un d’eux, le stratège et nomarque Hermias, est promu plus tard au rang de συγγενής[30]. Le Romain ou Athénien romanisé Marcus (Μάρκος), qualifié par ses compatriotes L. et C. Pedius συγγενή βασιλέως Πτολεμαίου Εύεργέτου (d’Évergète II)[31], devait être parent au titre étranger, c’est-à-dire, en fait, un όμότιμος.

II. Au dessous des συγγνεΐς se classent les capitaines des gardes du corps ou gardes du corps en chef. On a vu plus haut comment Alexandre avait fait un titre de ce qui n’était jusque-là qu’une fonction, mais un titre qui supposait encore la fonction. On peut douter que les compagnons d’Alexandre, ses maréchaux, se soient sentis rehaussés par cette attache qui sent la domesticité ; et je croirais volontiers que Ptolémée Soter, en son temps somatophylaque d’Alexandre, ne songea pas à enrôler les grands de sa cour dans une garde d’honneur. Mais lorsque la royauté un peu bourgeoise du début fut devenue divine, même pour les Macédoniens, elle put communiquer son éclat à son entourage. La garde royale devint une garde noble, dans laquelle nous voyons figurer, au début du règne d’Épiphane, le fils de l’ex-premier ministre Sosibios[32] Peut-être le titre de garde du corps était-il encore attaché à la fonction. Mais il finit par s’en détacher, et dès lors, orné d’un préfixe superlatif, ce fut une décoration que les dignitaires pouvaient porter en tous lieux. Nous rencontrons des άρχισωματοφύλαξ, qui sont généralement des stratèges, en diverses provinces du royaume[33]. Dans le procès d’Hermias (une cause célèbre sur laquelle nous aurons occasion de revenir), nous voyons plusieurs archisomatophylaques siégeant à la fois, en l’an 117 a. C., dans un tribunal de Diospolis (Thèbes).

III. En abordant la troisième classe de dignitaires, celle des amis (φίλοι), nous risquons de retomber dans les perplexités signalées plus haut. Il n’est pas de cour où il n’y ait eu, au sens courant du mot, des amis des rois, et même des premiers ou plus intimes parmi ces amis[34]. En ce sens, les dignitaires des classes supérieures sont aussi, et à plus forte raison, des amis. Polybe appelle un des amis l’ambassadeur envoyé à Rome en 168 par les deux Ptolémées[35] et ce personnage, Numénios, était peut-être déjà alors ce qu’il fut certainement plus tard, un συγγενής. Le stratège Posidonios, qu’un pétitionnaire appelle άρχισωματοφύλαξ en 156 a. C., est rangé par un autre, l’année suivante, dans la catégorie des amis[36]. Ces façons de parler ont jeté des doutes sur la valeur comparative des titres ainsi rapprochés et fait supposer que la classe des amis, ou tout au moins des premiers amis, pourrait bien avoir été supérieure à celle des archisomatophylaques[37]. Mais ces doutes ne semblent pas justifiés en ce qui concerne les simples φίλοι ; et comme les πρώτοι φίλοι se rencontrent à des dates aussi anciennes que les φίλοι, il est tout à fait improbable que les constructeurs de la hiérarchie aient intercalé les άρχισωματοφύλακες entre les subdivisions d’une même classe.

Comme la plupart des φίλοι connus exercent des fonctions qui les éloignent de la cour, on peut bien admettre que les amis étaient par définition les conseillers du roi, mais sans prétendre distinguer entre conseillers effectifs et conseillers honoraires. Le titre était à peu près équivalent à celui de conseiller d’État ou conseiller secret dans certaines monarchies modernes. Bien que l’institution des amis (amici Augusti) ait été transportée à Rome par les Césars et ait fourni les premiers cadres du consilium principis[38], il est prudent de ne pas attribuer au modèle ce qui peut n’être vrai que de la copie.

IV. Enfin, à l’entrée de la carrière des honneurs s’est formée, dès le temps d’Épiphane, une catégorie d’expectants ou successeurs, espèce de surnuméraires sur lesquels nous n’avons aucun renseignement précis. Il est possible que ce noviciat ait été créé après coup, en même temps que les grades accessoires de πρώτοι φίλοι et d’όμότιμοι τοΐς συγγενέσι, de façon à porter de trois à six le nombre des classes et à multiplier les places disponibles.

Ces distinctions honorifiques n’étaient pas héréditaires. Sans doute, les graciés étaient en mesure de se préparer des successeurs dans la personne de leurs fils ou parents[39] ; mais le fait même que des fils suivent leurs pères encore vivants dans la hiérarchie ou parviennent concurremment au même grade — peut-être même à un grade supérieur — paraît bien démontrer que ces fils ne prenaient pas la place de leurs pères à titre de successeurs et n’y arrivaient, quand ils y arrivaient, que par voie d’avancement[40].

Nous ne possédons pas assez de cursus honorum pour savoir si l’avancement était réglé de telle sorte qu’il fallût suivre la filière sans franchir plusieurs échelons à la fois. Les six ou sept exemples relevés par Strack l’amènent à penser que le bon plaisir du roi pouvait élever un favori, sans transition, de la classe inférieure à la plus haute. On voit, en effet, un certain Sarapion, d’abord τών διαδόχων au temps où il était sous-diœcète à Memphis, promu συγγενής peu de temps après, comme stratège et sous-dicecète[41]. Ce fut sans aucun doute un avancement rapide, mais on ne peut cependant affirmer que Sarapion ait été dispensé des étapes intermédiaires. Enfin, il faut renoncer aussi à savoir si les brevets étaient révocables, s’ils devenaient caducs à la mort du roi qui les avait conférés, s’ils autorisaient à porter quelque signe extérieur du grade, s’ils étaient conférés à titre onéreux ou comportaient, au contraire, une dotation[42].

La part une fois faite à la hiérarchie honorifique, celle des titres distincts des fonctions, nous n’avons plus qu’à enregistrer la liste des charges et offices de cour.

 

§ II. — LA MAISON DU ROI.

Nous pouvons passer rapidement sur la domesticité proprement dite : le grand chambellan ou introducteur, le grand-veneur, le grand maître d’hôtel, les grands échansons, le médecin du roi, autant de fonctionnaires et de fonctions qui n’offrent rien de caractéristique. A plus forte raison ne nous attarderons-nous pas à dénombrer tous les emplois, jusqu’aux plus infimes, compris parmi les ύπηρέται et άρχυπηρέται et souvent désignés en bloc, aussi bien que les grands dignitaires, par l’expression générique οί περί τήν αύλήν. Le trait le plus intéressant à noter, non comme particulier à la cour des Lagides, mais comme indiquant une môme préoccupation dans les divers États des successeurs d’Alexandre, c’est l’existence d’un nombreux corps de pages royaux, recruté parmi les fils des fonctionnaires et les familles les plus distinguées. Les rois, à l’exemple d’Alexandre, formaient ainsi autour d’eux, autour de leurs héritiers dont les pages devenaient les camarades, une pépinière de fonctionnaires civils et militaires qui était en même temps comme une collection d’otages, garantissant à la dynastie la fidélité de plus d’une famille suspecte[43].

Ces pages devaient faire partie de la maison militaire du roi, dans laquelle on peut comprendre, en fait, outre les gardes du corps proprement dits, toute la garnison d’Alexandrie, comparable aux cohortes urbaines et prétoriennes de la Rome impériale. On a vu plus haut que le titre de capitaine des gardes était devenu une décoration : le commandement réel a dû cependant être exercé par un ou plusieurs officiers à qui convenait excellemment le titre d’άρχισωματοφύλαξ. En dehors des documents protocolaires, qui ne permettent plus de conclure du titre à la fonction, nous n’avons pour nous renseigner sur ce point que les passages où Polybe met en scène la garde royale exigeant le châtiment d’Agathocle et de sa bande, au début du règne d’Épiphane. Sosibios le jeune était alors σωματοφύλαξ, et nous le rencontrons un peu plus tard investi du sceau et de la garde de la personne royale. Ces deux fonctions étaient évidemment séparables : Polybe dit plus loin que Tlépolème retira à Sosibios le sceau, en laissant supposer qu’il lui conserva son commandement militaire ; mais il ne nous donne pas le titre officiel de cette espèce de préfet du prétoire[44].

Après les dignitaires et la maison royale, nous cherchons autour de la personne du roi les fonctionnaires, conseillers ou ministres, qui l’aident à gouverner[45]. En fait de conseillers, nous ignorons absolument s’il y en avait de spécialement qualifiés parmi cet office et si c’était là peut-être la fonction première des φίλοι ou des συγγενεΐς. Comme ministres, nous devons mettre à part les chefs des services administratifs qui avaient leur bureau central à Alexandrie et les magistrats alexandrins, tous fonctionnaires dont nous examinerons les attributions en étudiant les services auxquels ils étaient préposés. Si l’on écarte, comme fonction accidentelle et hors cadre, celle de l’έπίτροπος ou tuteur d’un roi mineur, qui est plutôt le substitut que le conseiller du roi, il ne reste plus, comme organe immédiat de la volonté royale, que le secrétaire d’État ou chef de la chancellerie appelé έπιστολογράφος.

D’une inscription mutilée et arbitrairement restituée, Letronne avait conclu un peu vite que la charge d’épistolographe était confiée au flamine annuel d’Alexandre et des Ptolémées, lequel aurait été encore par surcroît prêtre et directeur du Musée, grand-prêtre de l’Égypte entière, une sorte de ministre des cultes[46]. La fonction de secrétaire n’était pas une sinécure et devait suffire à l’occuper. La correspondance était la partie la plus fatigante des devoirs royaux. Au rapport de Plutarque, Séleucos disait à chaque instant : Si le commun des hommes savait combien est pénible à elle seule la tache d’écrire et de lire tant de lettres, on ne ramasserait même pas un diadème tombé à terre[47]. En Égypte, où l’on usait si largement du droit de pétition, un Ptolémée en eût pu dire autant. Si l’épistolographe était réellement le secrétaire du roi, il n’est pas admissible que celui-ci l’ait remplacé tous les ans, sans lui laisser le temps d’apprendre son métier. Avec des fonctions aussi éphémères et la présomption d’incapacité qui les aurait discréditées encore, les épistolographes royaux seraient bien vite tombés au rang des inutilités décoratives. Il est probable que l’épistolographe chargé de libeller les ordres royaux était en même temps le garde du sceau royal, lequel certifiait l’authenticité et le caractère exécutoire de ces documents.

Les trois épistolographes que nous connaissons ont le grade de συγγενεΐς et sont évidemment de hauts personnages[48]. Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait eu dans la chancellerie royale qu’un seul épistolographe à la fois. Il est possible qu’il y ait eu, dans un cabinet si occupé, plusieurs chefs de bureau, avec compétence spéciale, comme plus tard à Rome dans la chancellerie impériale[49]. Il me semble qu’on peut reconnaître un de ces chefs dans l’ύπομνηματογρέφος que Strabon, à l’époque romaine, classe parmi les magistrats alexandrins[50], et que Strack est tenté d’identifier avec l’épistolographe[51]. Ce fonctionnaire, dont on constate l’existence à partir du règne d’Évergète II, paraît avoir été chargé du service des pétitions, et tout particulièrement des pétitions émanant du clergé, auquel Évergète II s’est toujours efforcé d’être agréable. Il n’était en tout cas qu’un agent de transmission, un maître des requêtes, chargé d’étudier peut-être, mais non pas de trancher les questions dont il était saisi par les intéressés. Il ne faudrait pas le prendre pour une sorte de ministre des cultes, empiétant sur la compétence universelle du grand-vizir qu’était le diœcète. C’est bien à l’hypomnématographe Amphiclès que les prêtres de Crocodilopolis en Thébaïde se plaignent des déprédations commises sur leurs propriétés par les gens d’Hermonthis[52] ; mais ce n’est pas de lui qu’ils attendent satisfaction. Dans une autre affaire, dont nous voyons la conclusion, c’est sur le rapport du diœcète Ptolémée que le roi Ptolémée Alexandre accorde l’άσυλία au T. d’Horus à Athribis[53].

Les quatre ou cinq hypomnématographes royaux actuellement connus sont aussi des συγγενεΐς : leur office, à en juger par le grade des titulaires, était coté aussi haut que celui de l’épistolographe. Ces personnages conservent le titre lorsqu’ils sont appelés à d’autres fonctions. On rencontre un hypomnématographe qualifié stratège autocrate de Thébaïde[54]. Au surplus, ces titres d’épistolographe et hypomnématographe n’étaient pas réservés aux secrétaires du roi ; ils définissaient des fonctions qu’exerçaient ailleurs, auprès des gouverneurs de provinces et autres fonctionnaires, des secrétaires de moindre importance, mais de même nom[55].

 

 

 



[1] Voyez G. Radet, La Lydie et le monde grec au temps des Mermnades (687-546 a. C.), Paris, 1892. On rencontre autour des rois de Lydie un grand Conseil de φίλοι, commensaux ou parents du monarque, qui jouent un rôle en vue dans les révolutions dynastiques ; un έταΐρος, qui parait être une sorte de premier ministre, etc. Radet voit là une a institution leuco-syrienne (pp. 88-89, 94-95, 260). Les Perses ont des φίλοι καί πίστοι ou πιστότατοι (cf. Æschyle, Pers., 443), des έντιμοι, όμότιμοι, όμοτράπεζοι, έταΐροι, συγγενεΐς (Hérodote, III, 132. Xénophon, Cyrop., VII, 5. VIII, 1. Anab., I, 8, etc.). Ce qui affaiblit la valeur des textes allégués pour les Perses, Lydiens, Macédoniens et autres, c’est qu’on ne sait pas toujours si les auteurs emploient les termes de φίλοι, έταΐρος, au sens courant ou comme titres officiels, et s’ils les emploient alternativement, sans y regarder de plus près, dans les deux sens.

[2] Έταΐροι Φιλίππου (Théopompe, in FHG., I, p. 230. Æschine, In Ctesiph., § 89) — φίλοι (Diodore, XVI, 54, 4). Voyez les textes réunis dans l’étude, d’ailleurs assez insignifiante, de P. Spitta, De amicorum qui vocanlur in Macedonum regno condicione, Berol., 1875. Les historiens grecs emploient indifféremment les deux termes ; les latins n’ont qu’amici.

[3] Arrien, I, 25, 4. Il y a déjà dans Homère une chevalerie d’έταΐροι, qui sont en même temps φίλτατοι (Iliade, IX, 585-6). Télémaque (Odyssée, I, 237-8) distingue entre les έταΐροι d’Ulysse, qui l’ont accompagné à la guerre, et les φίλοι, qu’il aurait retrouvés chez lui. Les έταΐροι sont des compagnons d’armes (cf. G. Glotz, La solidarité de la famille en Grèce [Paris, 1904], pp. 87-90, 138-142). Spitta, qui cite Abel, et, plus récemment, J. Beloch (Hist. Zeitschr., 1897, p. 202), s’accordent à penser que cette coutume des temps héroïques s’est conservée en Macédoine, et qu’elle est représentée par le titre spécifique d’έταΐροι, plus précis que celui de φίλοι.

[4] Diodore, XVII, 31, 6.

[5] Plutarque, Eumène, 8. Les termes φίλοι et συγγενεΐς n’ont jamais pu être soustraits à l’usage courant. Même en parlant d’une révolution de palais à Alexandrie, Polybe les emploie sans songer aux titres officiels quand il écrit : καί παρεκάλουν οί μέν συγγενεΐς, οί δέ φίλους (XV, 26, 10).

[6] Arrien, I, 6, 5. Plus loin (III, 17, 2), il parait désigner les gardes effectifs par σωματοφύλακας τούς βασιλικούς. Enfin, Ptolémée est garde du corps au sens propre du mot (III, 7, 6) avant de l’être au sens honorifique (III, 27, 5).

[7] Arrien, VII, 11, 6. Arrien a eu soin d’avertir que les συγγενεΐς avaient seuls droit au baiser (VII, 16, I). Cf. les όμότιμοι Περσαί (Xénophon, Cyrop., VII, 5, 7i et 85) ou « pairs » du royaume, dont les femmes sont prises avec le camp de Darius (Arrien, II, 11, 9).

[8] Cf. Diodore, XVI, 50. XVII, 31, etc.

[9] Arrien, VI, 28, 4 (liste des sept somatophylaques, — avec un huitième comme surnuméraire — à la date de 325 a. C.).

[10] Maspero (Hist. anc., I, p. 280) avertit qu’on a tort de voir dans les rokhou souten des parents du roi, au sens familial du mot, et que ce sont ceux que le roi connaît (rokhou). Mais c’est précisément le cas des συγγενεΐς, dont nous cherchons en ce moment les prédécesseurs.

[11] Al. Moret, La Royauté pharaonique, p. 131. Sur une stèle d’Abydos, le roi Ousirtasen III dit à l’un de ses favoris : quand tu fus devenu un damoiseau de Ma Majesté, un apprenti unique de mon palais, Ma Majesté t’a créé Ami, bien que tu ne fusses encore qu’un jeune homme de vingt-six ans (Maspero, in Rev. Critique, 1905, n. 45, p. 362). Il s’agit bien d’une dignité conférée par nomination.

[12] Voyez Maspero, Contes populaires, pp. 120, 1. 129.

[13] Al. Moret, op. cit., p. 175.

[14] Maspero, Hist. anc., I, p. 281.

[15] Maspero (op. cit., I, p. 300) cite comme fonction de cour (ou titre sans fonction) celle de maître de la garde-robe, titre conféré à Papinakhti, seigneur d’Abydos, sous la VIe dynastie, et à Thothotpou, seigneur du Lièvre sous la XIIe dynastie. Cf. Al. Moret, La condition des féaux dans la famille, dans la société, dans la vie d’outre-tombe (Rec. des travaux, etc. XIX [1897], pp. 112-148). A l’époque ptolémaïque, un prince d’Héracléopolis est intendant d’Arsinoé II (Sethe, Hierogl. Urkunde, n. 14, p. 55), et un petit-neveu de Nectanebo a grade de général, sans doute aussi au temps de Philadelphe (ibid., n. 11, p. 24). Sous Louis XIV, qui était dieu aussi, et même un peu solaire, un La Rochefoucauld s’honorait d’être grand-maître de la garde-robe.

[16] Ce sont des amis (Diodore, XVII, 52, 7) que Alexandre charge d’aménager Alexandrie.

[17] Voyez dans G. Lombroso (Recherches, pp. 189-199) le résumé des travaux antérieurs à 1870, et la discussion reprise, sur plus ample informé, par Strack, Griech. Titel im Ptolemäerreich (Rh. Mus., LV [1900], pp. 161-190).

[18] P. Meyer (Heerwesen, p. 61) accepte le fait et ne récuse que le motif (exploitation fiscale) allégué par Mahaffy. Pour lui, c’est une concession de plus au parti national (?).

[19] Strack, op. cit. C’est à cet excellent article et à ses statistiques que nous renvoyons pour toutes références. Ailleurs (in Archiv. f. Ppf., III, p. 129), Strack écarte à priori la possibilité d’attribuer à un règne antérieur à celui d’Épiphane le curieux décret des Iduméens en l’honneur de Dorion, συγγενής καί στρατηγός, — décret daté de l’an VI, — précisément à cause de ce titre de συγγενής. Maspero l’attribue, pour des raisons paléographiques, au règne de Philopator. La raison à alléguer en faveur de l’opinion de Strack, c’est le fait accidentel que nous connaissons des Dorion fonctionnaires, notamment un ύποδιοικητής, au temps de Philométor et d’Évergète II (Pap. Par., pp. 26, 361 : cf. 267, 282, 369. Tebt. Pap., n. 11).

[20] Celle de A. Peyron, Droysen, Lumbroso, Wilcken.

[21] Strabon, XVII, p. 791.

[22] Joseph., Ant. Jud., XII, 2, 4 et 5. Josèphe entend bien que le titre correspond à une fonction réelle, car, des deux τιμιώτατοι τών φίλων (Andréas et Aristéas), Andreas seul est άρχισωματοφύλαξ, et il a pour collègue dans cet office Sosibios de Tarente, l’un et l’autre étant définis άρχοντες τών σωματοφυλάκων (XII, 2, 2). Ce sont deux préfets du prétoire. Cf. Aristeas, §§ 40. 43 Wendland. Éléazar sacrifie pour le roi, sa sœur, ses enfants, καί τών φίλων (ibid., § 45).

[23] Strack (op. cit., pp. 174-5) reconnaît qu’aucune inscription ne permet de constater l’usage des titres en question chez les Séleucides avant 190 a. C. Le texte d’Athénée (I, p. 19 c-d), où il est question des σωματοφύλκες (et non άρχισωματοφύλακες) d’Antiochos Ier et des φίλοι d’Antiochos II, ne donne pas à ces expressions le sens technique ; et dans l’inscription de Durdurkar, l’expression [τοΰ προσήκο]ντος ήμΐν κατά συγγένειαν (II, 31-32) vise une parenté réelle.

[24] L’attribution de l’inscription de Durdurkar à Antiochos II — opinion courante établie par M. Holleaux — est fortement contestée, et pour de bonnes raisons (cf. R. Laqueur, Quæst. epigr., pp. 81-89. Th. Sokoloff, in Beitr. z. alt. Gesch., IV, pp. 101-110). Elle est devenue douteuse même pour Holleaux. Si le Séleucide qui institue un culte pour Laodice est Antiochos III, la priorité des Lagides n’en est que plus évidente.

[25] Ce titre lui est resté, mais à titre de surnom seulement. Les Séleucides ont eu un culte, sans prendre officiellement, comme les Lagides, le titre de θεοί. Dans l’inscription de Durdurkar, le roi distingue τούς τε θεών καί ήμών άρχιερεΐς (lig. 26). En revanche, une inscription de Téos (Dittenberger, OGIS., n. 246), qui doit être une dédicace privée, prodigue aux rois (sauf au Σωτήρ et au Μέγας) l’épithète Θεός.

[26] Le mot φίλος, qu’on peut toujours prendre pour un adjectif, ne compte pas. Le Χρύσερμος Άλεξανδρεύς ό συγγενής βασιλέως n’est pas contemporain d’Évergète Ier, comme l’avait cru Homolle (BCH., III [1819], p. 470), mais de la fin du règne de Philométor (Grenfell, in Archiv f. Ppf., II, p. 79) signale comme étant de l’an XX d’Évergète (226/5 a. C.) le titre d’άρχισωματοφύλαξ porté par le diœcète Chrysippe (Pap. Gizeh, n. 10250), personnage et titre déjà connus par Pap. Grenf., II, n. 14 b. Pap. Petr., III, n. 53 l-m.

[27] Recueil, I, p. 346. Cf. la συγγένεια avec δόξα καί προκοπή (Aristote, § 241 Wendland). Sur le titre de συγγενής transposé dans un registre inférieur et appliqué à une sorte d’aristocratie militaire des κάτοικοι, voyez ci-après, ch. XXVII.

[28] Rescrit d’Évergète II et Cléopâtre Λόχω τώ άδελφώ (Strack, n. 103 B) : lettre adressée πρός Λόχον τόν συγγενέα καί στρατηγόν (n. 103 A). Lettres de Ptolémée Soter II et Cléopâtre Φομμοΰτι τώι άδελφώι (n. 140, l. 26), Έρμοκράτει τώι συγγενεΐ καί στρατηγώι καί έπιστρατήγωι (l. 34), τώι άδελφώι  (l. 36). Dans les documents que Josèphe nous donne comme émanés de la chancellerie séleucide, on trouve même une lettre d’Antiochos III Ζεύξιδι τώ πατρι (A. Jud., XIII, 3, 4), une autre de Démétrios II Λασθένει τώ πατρί (A. Jud., XIII, 4, 9), lettre dont le roi envoie copie à son a frère s le prince juif Jonathan, en disant qu’il l’a écrite à Lasthène τώ συγγενεΐ ήμών. Même document dans I Maccabées, II, 30-37, où la Vulgate traduit indifféremment πατήρ et συγγενής par parens. Lettre de Antiochos VIII Grypos βασιλεΐ Πτολεμαίω τώ καί Αλεξάνδρω τώ άδελφώ (Strack, n. 148). Cf. les patricii du Bas-Empire, le patrice étant un personnage que l’empereur sibi patrem elegit (Instit., I, 12, 4).

[29] Les adlecti font partie d’un groupe, tandis que les συγγνεΐς portent individuellement le titre au singulier. La proportion des όμότιμοι n’est pas très considérable, 3 sur 44 συγγνεΐς connus dans l’espace d’un siècle (Strack, op. cit.). Ajouter à la liste de Strack : aux όμότιμοι, Asclépiade, vers 113 a. C. (Tebt. Pap., n. 254) ; aux συγγνεΐς, six noms (dont deux déjà connus ?), Parthénios (Tebt. Pap., n. 101, 2, vers 120 a. C.) ; Apollonios (n. 43, 33, de 118 a. C.) ; Eirénaios (n. 7, 8 ; 26, 5 ; 65, 20 ; 72, 241, de 114-112 a. C.) ; Lysanias (n. 41, 12, vers 119 a. C.) ; Ptolémée (n. 15, 15 ; 42, 1, de 114 a. C. Spiegelberg, Dem. Inschr., p. 21, de 96 a. C.) ; Asclépiade (n. 50, 1, de 112/1 a. C.) ; Dorion ό συγγενής καί στρατηγός (Ann. Antig. égypt., II [1901], p. 285).

[30] Entre 120 (Pap. Par., n. 15, l. 20) et 117 a. C. (Pap. Taur., I, l. 14).

[31] CIG., 2285, Strack, n. 114. Le texte ajoute même καί βασιλίσσης Κλεοπάτρας. Je suppose que le titre d’έπιστράτηγος donné à ce personnage, probablement identique au ίερεύς Μάρκος Έλευσίνιος rencontré sous le règne suivant (Strack, n. 134), était également honorifique.

[32] Polybe, XV, 32, 6. Il pouvait être άρχισωματοφύλαξ comme chef réel de la garde royale ; Polybe ne s’astreint pas à une exactitude bureaucratique.

[33] La liste de Strack (op. cit., pp. 187-8) donne 19 noms d’άρχισωματοφύλακες. Ajouter Dionysios τών άρχισωματοφυλάκων, vers 148 ou 137 a. C. (Tebt. Pap., n. 79, 52). L’auteur remarque que les neuf plus anciens titulaires (dont le premier remonte au temps du premier Évergète ou peut-être même de Philadelphe) portent individuellement le titre d’cipztetüp.œve14, tandis que les autres, à partir de 140 a. C. environ, sont dits τών άρχισωματοφυλάκων. Il en conclut que le titre fut alors, et alors seulement, détaché de la fonction. Il faut bien admettre cependant que déjà le titre survivait à la fonction. Le diœcète Chrysippe, mentionné plus haut, a pu commander la garde royale avant d’être diœcète : mais il n’est pas probable qu’il ait cumulé les deux charges. Il était άρχισωματοφύλαξ honoraire.

[34] Rois ou tyrans : les φίλοι des Pisistratides sont frappés d’ostracisme après la chute de ces tyrans (Aristote, Άθ. πολιτ., 22).

[35] Polybe, XXX, 11, 1. Josèphe (A. Jud., XII, 4, 9) parle aussi τών τοΰ βασιλέως (Épiphane ?) φίλων καί τών παρά τήν αύλήν δυνατών. En Macédoine, Antigone, prince de la famille royale et aspirant à la couronne, est dit simplement ex honoratis Philippi amicia (Tite-Live, XL, 54).

[36] Pap. Par., n. 42 et 40-41. L’idée que Posidonios avait été promu dans l’intervalle à une classe supérieure (?) me parait chez Strack (op. cit., p. 177) un scrupule exagéré. Il ne manque pas de gens qui, écrivant une lettre, écorchent le nom ou estropient le titre du destinataire. Je laisse de côté la restitution arbitraire du proscynème de Philæ par Letronne (Recueil, II, p. 65), qui ferait de Castor un συγγενής et πρώτος φίλος.

[37] A. Peyron fait observer que, dans le procès d’Hermias, le président du tribunal, archisomatophylaque, ne devait pas être inférieur en grade à ses assesseurs qualifiés φίλοι (cf. Lumbroso, p. 193). Pour les πρώτοι φίλοι, le cas des deux Ptolémées père et fils, le fils étant άρχισωματοφύλαξ alors que le père est πρώτων φίλων (Strack, n. 77) ne prouve rien, car il n’est pas impossible que le fils ait eu un grade plus élevé que le père, même du vivant de celui-ci. La statistique de Strack compte 10 membres τών πρώτων φίλων contre 11 τών φίλων et 10 τών διαδόχων. Les Tebl. Pap. ajoutent cinq noms nouveaux et deux anonymes à la classe τών πρώτων φίλων (n. 1, 4 ; 30, 15 ; 34, 15 ; 54, 1 ; 61 b, 362 ; 79, 44), et un nom (n. 79. 56) à celle des φίλοι. Le grade est indépendant de la fonction. Le diœcète Dionysios est simplement τών φίλων (n. 79, 56), tandis que Philotas, phrourarque à Itanos, est τών πρώτων φίλων (BCH., XXIV [1900], p. 238, n. 1).

[38] On ne saurait affirmer que le titre d’amici Augusti (Suétone, Tibère, 46) fût officiel dès le temps d’Auguste et de Tibère. Ce n’en est pas moins un emprunt fait à l’étiquette des monarchies hellénistiques. A plus forte raison, le titre de parens amicusque noster usité sous le Bas-Empire (par ex. Cod. Theod., XI, 1, 6) et celui de patricius, détourné de son sens traditionnel. Sur les imitations romaines, voyez Mommsen, Comites Augusti, in Hermès, IV [1870], pp. 119-131. Cf. L. Mitteis, Reichsrecht, p. 43, 2.

[39] Le gouverneur d’Amathonte, qui est τών άρχισωματοφυλάκων, a ses trois fils τών διαδόχων (Strack, n. 471). Apollonios, τών φίλων, a un frère τών διαδόχων (Strack, n. 74). Le fils du συγγενής Irénée, Durion, est τών πρώτων φίλων (Tebt. Pap., n. 11, 4).

[40] Letronne (Recueil, II, pp. 41, 44, 60), supposant gratuitement qu’un certain Callimaque, συγγενής, avait deux fils également συγγενεΐς, en concluait ou bien 1° que la dignité de parent passait aux enfants du vivant de leur père ; ou bien 2°, au cas où Callimaque fût mort, que ce titre était héréditaire et constituait une véritable noblesse, qui se transmettait aux enfants. La thèse de l’hérédité, acceptée par Franz (CIG., III, 4897 d) et Lumbroso (p. 190), est réfutée par Strack (p. 179, 2), qui récuse d’abord le fait visé par Letronne. Quant à la première proposition de Letronne, la différence des grades entre père et fils, qui est le cas ordinaire (cf., ci-dessus, les διάδοχοι fils de συγγενεΐς), la rend insoutenable.

[41] De 164 à 160 ? a. Chr. (Strack, pp. 183, 189).

[42] Prenons acte de la promesse de Strack : Der Versuch soli später gentacht werden (p. 182), lorsque des inscriptions encore inédites nous auront renseigné sur l’étiquette usitée à la cour des Séleucides ; tout en avertissant que des exemples tirés des usages de la cour des Séleucides ne seront pas nécessairement probants pour les Lagides. Je suppose, en attendant une meilleure explication, que le propriétaire anonyme qualifié άδελφός τοΰ βασιλέως en 119/8, du vivant d’Évergète II (Tebt. Pap., 62, 58), et άδελφός τοΰ πατρός τοΰ βασιλέως en 116/5 (ibid., n. 63, 51. 64 u, 24), était un συγγενής, attendu qu’on ne connaît pas de frère autre qu’un roi à Évergète II. On en pourrait conclure que cette propriété était une dotation viagère (cf. ci-après, ch. XXIII, la γή έν δωρεά), et que le titre d’άδελφός n’était pas renouvelé par le successeur du roi qui l’avait conféré.

[43] Pour les références, voyez Lumbroso, pp. 205-211. D’après Diodore (I, 10), les Pharaons étaient servis par des fils de prêtres. Les inscriptions du Ramesséum de Thèbes nous apprennent que les fils de Ramsès II étaient revêtus de charges de cour. L’aîné est porte-éventail à la droite du roi ; un autre, scribe royal ; un troisième, connétable et cocher du roi (Bædek., O.-A., p. 186-7). L’existence des βασιλικοί παϊδες est mieux attestée chez les Séleucides qu’à Alexandrie. Cependant, le texte du Ps.-Aristée, même apocryphe, est parfaitement utilisable, les faussaires ayant soin de situer les faits controuvés dans un cadre réel. Cf. les οί περί τήν αύλήν νεανίσκοι (Polybe, XVI, 22, 5) ; l’arrestation de Scopas par Ptolémée, fils d’Eumène, μετά νεανίσκων (XVIII, 53, 8 Dind.) : pour les princesses, les σύντροφοι παιδίσκαι (XV, 33, 11). Letronne (Recueil, I, pp. 412-416) pense qu’il sortait tous les ans du corps des pages une promotion de μέλλακες (= μείρακες ?) ou futurs officiers.

[44] Polybe, XV, 32, 6. XVI, 22, 2 et 11. Les gardes du corps étaient des Μακεδόνες, comme les prétoriens de Rome des Italiens.

[45] La langue administrative de l’Égypte ptolémaïque n’a pas de terme générique unifié équivalent à notre mot fonctionnaire. Cependant, il se peut que l’expression οί πραγματευόμενοι (τά βασιλικά exprimé ou sous-entendu) ait ce sens général dans les papyrus de l’époque (Pap. Grenf., II, n. 37, etc.). Un terme fréquent est celui de οί πρός ταΐς πραγματείαις, οί έπί (ou πρός) ταΐς χρείαις ou τών χρειών (Tebt. Pap., n. 5, fig. 160, 162, 179, 256, n. 24, lig. 63), οί τών πραγμάτων κηδόμενοι (Pap. Par., n. 63, lig. 11), οί πραγματικοί (Strack, n. 103 C. CIG., 4957, 1. 54). Χρείαι, πραγματείαι, sont des mots aussi vagues et aussi compréhensifs que notre mot fonction.

[46] Letronne, Recueil, I, pp. 358-360.469471. Cf. Leemans, p. 46-7. E. Egger, Rech. hist. sur la fonction de secrétaire des princes chez les anciens (Mém. d’Hist. Anc., pp. 220-258). Lumbroso, Rech., p. 202. Egitto2, p. 180. Opinion énergiquement combattue par W. Otto, op. cit., pp. 55-58). La restitution litigieuse έπιστολογράφος καί ίερεύς κτλ. a disparu de la rédaction proposée par Wilcken (Strack, n. 103 C). On rencontre l’έπιστολογράφος chez les Séleucides ; par exemple, Dionysios έπιστολιαγράφος, au service d’Antiochos IV en 165 a. C. (Polybe, XXXI, 3, 16).

[47] Plutarque, An seni, 11. D’après le contexte, il s’agit de Séleucos Nicator. On prête à Antigone (le Borgne) un propos analogue, sans indiquer le motif de son dégoût (Stobée, Florileg., XLIX, 20).

[48] Numénios (Strack, n. 103 C. Dittenberger, OGIS., I, n. 139, de 125 a. Chr.) ; Philocrate (Pap. Leid., G-K, de 98 a. C.) ; Callimaque (CIG., 4717, vers 70 a. C. Strack, n. 157. Dittenberger, OGIS., n. 194). J’y ajouterai Ariston, qui, en l’an 146 a. C., expédia une circulaire concernant l’enregistrement des actes démotiques (Pap. Par., n. 65, I. 6). Le plus ancien de ces personnages ne remonte pas au delà de la fin du règne d’Évergète II. J’admettrais que le titre fut créé ou rehaussé alors, mais non pas la fonction, exercée peut-être jusque-là par des scribes obscurs.

[49] A Rome, le bureau ab epistulis, dédoublé depuis Hadrien (latinis-græcis), correspond à l’έπιστολογράφος, et le bureau a libellis à l’ύπομνηματογρέφος.

[50] Strabon, XVII, p. 797.

[51] Strack, in Archiv f. Papf., II, 4 [1903], p. 556-557. Il voit dans l’hypomnématographe l’intermédiaire entre le souverain et le clergé, certainement institué (vers l’an 130) pour complaire aux prêtres. Le fait que tel secrétaire en province est à la fois ύπομνηματογράφος καί έπιστολογράφος (Pap. Brit. Mus., 42. Tebt., n. 112) indique bien que les deux offices réunis par le cumul étaient distincts et devaient l’être, à plus forte raison, dans la chancellerie royale. Contre Strack, cf. Wilcken (in Archiv f. Papf., III, 2 [1904], p. 332) et Dittenberger (OGIS., I, p. 652).

[52] Pap. Gizeh, n. 10371, in Archiv f. Ppf., I, pp. 61-62.

[53] Spiegelberg, Demot. Inschr., p. 22 (du 4 avril 96 a. C.).

[54] Dittenberger, OGIS., n. 147 (époque d’Évergète II).

[55] Cf., entre autres textes, Tebt. Pap., n. 112 (ann. 112 a. C.), où figure la mention ύπομνηματογρ(άφωι) καί έπιοτολοφρ(άφωι), au secrétaire du basilicogrammate (II, 85-87), comme l’ύπομνηματογράφος de Tebt. Pap., n. 58 (111 a. C.).