HISTOIRE DES LAGIDES

TOME TROISIÈME. — LES INSTITUTIONS DE L'ÉGYPTE PTOLÉMAÏQUE. - PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE XIX. — LE CULTE DYNASTIQUE.

 

 

Avant de recenser les traces laissées sur des documents de toute sorte par le culte dynastique, il faut en définir l’esprit, la théologie latente qu’il présuppose, et en noter les principaux caractères, ceux précisément qui le différencient du type égyptien.

D’abord, le nouveau culte s’adresse principalement aux souverains décédés, ceux qui s’étaient envolés au ciel pour rejoindre leur père le Soleil, comme disaient les Égyptiens, et que les Grecs appelaient plus modestement des héros. Le souverain régnant n’était qu’associé à ses ancêtres, comme destiné à l’apothéose et déjà virtuellement dieu. Le culte égyptien, au contraire, s’adressait exclusivement au Pharaon vivant, représenté par ses statues dans les temples et associé aux dieux proprement dits[1]. Le roi décédé était censé avoir transmis sa nature divine à une autre incarnation de Ra, et son individualité passée à l’état de défroque n’avait droit qu’aux hommages qu’il s’était assurés de son vivant, comme chacun pouvait le faire, par des fondations pieuses[2]. L’idée que la royauté reste toujours identique à elle-même en passant d’une personne à l’autre, les Lagides l’ont exprimée en prenant tous le nom de Ptolémée ; mais ils ne lui ont pas sacrifié la personnalité elle-même et sa survivance dans le culte public. Cette personnalité se trouvait définie et inséparablement unie au titre de dieu par un prédicat, différent pour chaque individu, que l’on peut considérer comme une imitation du nom de Double imposé par le protocole égyptien. A la différence des noms égyptiens, saturés de vocables théophores, les épithètes choisies par les Ptolémées lors de leur avènement étaient empruntées à des sentiments humains, sans symbolisme mystique, et immédiatement intelligibles.

Une autre différence entre les rites indigènes et le rite nouveau, c’est que, dans celui-ci, le culte s’adressait non plus au roi seul, mais au couple royal. Bien que, dans l’ancienne Égypte, la femme fût à peu près l’égale de l’homme, apte comme lui à hériter et plus apte que lui à garantir la filiation de sa progéniture, la polygamie l’avait maintenue dans un état d’infériorité que dissimulait mal — et en théorie seulement — la légende d’Isis, type idéal de l’épouse et de la mère. L’histoire a conservé les noms de reines du premier rang, dites grandes épouses, à plus forte raison les noms de reines héritières qui ont porté le sceptre et tenu leur époux ou leur fils en tutelle : ces hautes et puissantes princesses ont place, à côté du Pharaon ou substituées à lui, dans les monuments figurés ; mais il ne semble pas qu’elles aient eu part, autrement que par faveur spéciale, au culte monarchique. Au contraire, le culte non plus seulement monarchique, mais dynastique, institué par les Lagides ne séparait pas la reine du roi et les enveloppait tous deux dans le même prédicat divin. La monogamie, maintenue en principe par la force acquise des mœurs helléniques, permit ainsi au féminisme égyptien de produire tous ses effets.

En somme, le culte dynastique alexandrin réalisait une combinaison des plus ingénieuses entre des idées et des coutumes hétérogènes. Le but à atteindre était d’affirmer, pour les sujets de race gréco-macédonienne, la divinité du roi vivant. Ce dogme, qui pour les Égyptiens était de tradition, ne pouvait pas être établi d’emblée, sans autre appui que la personne souvent peu révérée du prince régnant : il y fallait une attache prise dans le passé, aussi loin que possible, et une solidarité établie, en vertu d’idées déjà acceptées, entre ce point d’attache et le régime présent. Or, si les Grecs entendaient bien conserver le caractère de métaphores adulatrices aux apothéoses décernées à des vivants, ils ne répugnaient nullement à l’héroïsation des morts illustres. Ce culte des morts était même pratiqué depuis longtemps chez eux, à l’état de culte public, en faveur des œkistes des cités[3]. Alexandrie étant une fondation d’Alexandre le Grand, le conquérant macédonien devenait tout naturellement le patron de la cité. Suivant les idées grecques, il eût été un héros ; mais ceux qui recueillaient en pays conquis le fruit de ses exploits avaient intérêt à grandir sa renommée et à ne pas lui contester ce titre de dieu qu’il avait réclamé de son vivant[4]. Sa divinité une fois établie enveloppait dans son rayonnement ses successeurs, ceux du moins qui étaient allés le rejoindre dans le monde des héros et des dieux. Associés à son œuvre, ils l’étaient à sa destinée. L’association, procédé universel en matière d’apothéose, entraînait l’assimilation, et celle-ci, gagnant de proche en proche, atteignait le couple régnant, légitimement tenu pour semblable à ceux dont il était issu. Ainsi, la religion — une religion commode, d’ailleurs, et qui, desservie par un sacerdoce honorifique, n’imposait aucun acte de foi ni aucun devoir, — la religion, disons-nous, faisait de la dynastie un ensemble homogène, où chaque composant participait de la nature du tout. Nous avons signalé en son temps une anomalie, une’ seule, qui rompait au début la continuité du système, l’absence du premier couple, celui des dieux Soters, dans le culte alexandrin, et montré aussi comment cette exception, motivée par l’existence d’un culte spécial de Ptolémée-œkiste à Ptolémaïs, fut corrigée par Ptolémée IV Philopator[5]

C’est ainsi que les Lagides, Horus vivants pour leurs sujets égyptiens, réussirent à être aussi officiellement des dieux pour les Gréco-Macédoniens, c’est-à-dire à être décorés de ce titre. Le titre leur suffisait. Ce à quoi ils tenaient le plus, c’était d’éviter des dissonances entre le protocole égyptien et la titulature grecque, dissonances qui, portant sur un point aussi essentiel, auraient à la longue ébranlé le dogme égyptien. Les inscriptions qui nous restent du temps de Philadelphe et du premier Évergète montrent qu’il fallut un certain temps aux sujets de race hellénique, et surtout aux Grecs d’Europe et d’Asie-Mineure, pour comprendre le but visé par la théologie monarchique. Ils admettaient sans difficulté que les rois défunts fussent devenus des dieux, mais ils s’habituaient moins bien à effacer la distinction entre les morts et les vivants ; ils se contentaient d’appeler les souverains régnants fils des dieux leurs prédécesseurs. C’est encore la formule qui se lit en tête de l’inscription d’Adulis[6], dont il me semble que ce trait dénote le caractère extra-officiel. On n’a trouvé jusqu’ici aucune dédicace libre remontant au règne de Philadelphe qui mentionne la divinité du roi[7]. Parmi celles qui datent du règne d’Évergète, les unes continuent à ignorer la divinité du roi et celle de ses parents[8] ; d’autres disent le roi fils des dieux Adelphes[9] ; d’autres enfin, se conformant au nouvel usage, appellent le roi dieu Évergète, fils des dieux Adelphes, ou mieux encore le couple royal dieux Évergètes, nés des dieux Adelphes[10]. On rencontre encore, sous les deux règnes suivants, à l’état de très rares exceptions, des dédicaces dont les auteurs oublient de donner au roi vivant son titre de dieu ; mais, en ce cas, ils ont soin de mentionner la divinité de ses parents[11], tandis que ceux qui omettent les parents n’oublient pas le prédicat du souverain ou du couple régnant[12]. Il va sans dire que les particuliers n’ont jamais tenu pour obligatoires les fastidieuses énumérations qui encombrent le protocole officiel et suivent la série des couples royaux à partir d’Alexandre. Les Juifs étaient dispensés par leur religion d’une formalité qui leur eût paru un sacrilège[13] ; mais les notaires grecs et égyptiens durent s’habituer à employer la datation officielle en tête de leurs actes[14]. C’est même, comme on le verra plus loin, par les papyrus démotiques que nous connaissons la plupart des prêtres et prêtresses du culte dynastique.

Ce serait surfaire la valeur effective du culte dynastique que d’insister plus longtemps sur les idées doctrinales qui pouvaient le rendre acceptable. Il ne s’adressait aucunement à la conscience individuelle et n’avait pas la prétention d’engendrer des dévotions privées[15]. C’était l’expression officielle du loyalisme, et il importait peu que cette forme extérieure fût vide de pensée. Le service qu’on attendait de lui et qu’il a en effet rendu à la royauté ptolémaïque, c’était, je le répète, de masquer aux yeux des Égyptiens la différence profonde qui séparait les deux races au point de vue de la façon dont elles comprenaient l’assise et la raison d’être du pouvoir royal. Désormais, Égyptiens et Gréco-Macédoniens eurent les mêmes habitudes de langage et les rois furent dieux pour tous.

Nous n’avons plus à nous occuper maintenant que des sacerdoces institués pour desservir le culte dynastique à Alexandrie et à Ptolémaïs, et à préciser, si faire se peut, les dates qui marquent les étapes successives de son développement.

 

§ I. — LES SACERDOCES DYNASTIQUES D’ALEXANDRIE.

On a vu plus haut comment le culte d’Alexandre, dieu de son vivant, à la fois dieu, héros œkiste et éponyme de la capitale après sa mort, fut la base sur laquelle s’édifia le culte dynastique alexandrin ; comment Ptolémée Soter courut le risque d’une guerre avec Perdiccas pour s’emparer de la précieuse dépouille du conquérant et lui éleva à Alexandrie un tombeau qui devait être aussi le sien et celui de ses successeurs, le Séma de la dynastie. De quels honneurs entoura-t-il la mémoire et les reliques du héros, aucun texte ne nous l’apprend[16]. Il est probable qu’il se conforma de tout point aux coutumes grecques et qu’il accomplissait lui-même, comme chef de l’État ou comme protecteur de la cité naissante, les rites du culte, sans se décharger de ce soin sur un prêtre d’Alexandre. A sa mort, il fut lui-même l’objet d’un culte familial, distinct de celui d’Alexandre, — la qualité d’œkiste étant aussi incommunicable que la gloire du maître, — mais aussi conforme aux habitudes grecques. La piété filiale de Philadelphe associa à ces honneurs sa mère Bérénice, et il laissa volontiers dire qu’il avait divinisé ses parents. Appeler temples les chapelles funéraires qu’il leur avait élevées dans le Séma ne dépassait aucunement les limites de l’adulation en langage poétique[17]. Ce culte familial, sans caractère officiel, n’avait pas besoin d’autre desservant que le fils des défunts accomplissant des devoirs imposés par la religion domestique. Le culte dynastique n’était pas encore né.

Il naquit dans des circonstances qui ont déjà été mentionnées en leur temps, lorsque la dévotion démonstrative, doublée d’habileté financière, qui suggéra au roi l’idée d’installer la déesse Philadelphe dans tous les temples de l’Égypte à côté des dieux nationaux et de sa propre divinité, lui inspira le dessein non moins politique de faire participer les Gréco-Macédoniens à cette adoration du couple royal provisoirement désuni par la mort, reconstitué par la religion. Il créa simultanément, ou à peu d’intervalle, le culte grec de la Philadelphe, desservi par une canéphore ; et, au culte d’Alexandre, desservi désormais par un prêtre[18], fut adjoint celui des dieux Adelphes.

Pourquoi laissa-t-il subsister, entre Alexandre et lui, une lacune qui ne fut comblée que plus tard, c’est une question qui a déjà été posée et à laquelle on ne peut répondre que par des conjectures. Il est probable qu’il n’avait point conçu encore le plan d’un culte dynastique continu et perpétuel, enveloppant dans une commémoration incessante tous les couples royaux qui lui succéderaient sur le trône. Son but immédiat était de transposer en rite grec le culte monarchique égyptien, qui s’adressait à la personne du roi vivant et laissait retomber les rois défunts dans la condition commune, c’est-à-dire, abandonnait à la famille ou à des fondations privées le soin d’honorer leur mémoire. Il dut tenir pour suffisants les honneurs assurés à la mémoire de Ptolémée Soter par la famille à Alexandrie, par les Ptolémaïtes dans leur cité, sans compter les Rhodiens et les Insulaires, dont la reconnaissance avait depuis longtemps égalé aux dieux le Sauveur Ptolémée[19].

En un mot, le culte dynastique, à son origine, n’était que le culte monarchique restauré, tel que l’avait institué Alexandre s’inspirant de la tradition égyptienne. La tradition n’y avait point fait de place aux reines. Celles-ci pouvaient être divinisées individuellement par apothéose posthume, comme le fut officiellement, et on sait avec quel éclat, la célèbre Arsinoé II Philadelphe ; mais ce n’était pas là un honneur auquel auraient droit toutes les reines futures. A Ptolémaïs en Égypte, comme nous le verrons plus loin, rois et reines ont eu leurs cultes et sacerdoces séparés ; les rois étant inscrits de droit sur la liste, quelques reines par privilège spécial. A Alexandrie même, après qu’eut été institué le culte des couples passés et présent, l’ancien système persévère encore à côté du nouveau, provoquant la fondation de cultes et sacerdoces spéciaux en l’honneur de reines qui, divinisées de leur vivant comme compagnes des rois, étaient haussées après leur mort au rang de la Philadelphe[20]. C’était là pour les reines la véritable apothéose, leur divinité comme membres d’un couple royal n’étant que protocolaire et pour ainsi dire impersonnelle. Ce système, remplacé à Alexandrie par le culte dynastique unifié, servit ailleurs de modèle. Il semble bien que les Séleucides et les Attalides sont restés fidèles au culte monarchique s’adressant à la personne du roi, et non pas simultanément à la reine, celle-ci pouvant être l’objet d’un culte distinct, expressément institué pour elle, soit de son vivant, soit après sa mort[21].

Le culte dynastique proprement dit, la commémoration permanente et officielle des couples royaux, est une institution particulière aux Lagides et exclusivement alexandrine. Elle s’est dégagée peu à peu de la pratique antérieure, sans plan bien arrêté ; elle prit son assiette définitive, son caractère de continuité méthodique, lorsque la série des couples fut complétée rétrospectivement par Ptolémée IV Philopator et rattachée à son premier anneau, à la personne du dieu Alexandre[22]. Philopator ne jugea pas à propos d’y insérer Philippe Arrhidée et Alexandre IV ; l’élimination de ces ombres importunes permit de considérer Ptolémée Soter comme l’héritier direct d’Alexandre le Grand.

En disant que le culte dynastique alexandrin a pour caractère distinctif de s’adresser aux couples royaux, on n’entend pas le doter d’une théorie rigide qui aurait exclu les rois non mariés, à commencer par Alexandre le Grand lui-même. Si la reine n’y a place que comme compagne du roi, le roi tient la sienne de son propre droit. Aussi voyons-nous figurer sur la liste alexandrine Ptolémée Eupator, qui n’a été ni marié, ni même effectivement roi. C’était une innovation, peut-être empruntée aux Séleucides[23], permettant désormais d’enregistrer au canon les princes royaux qui, associés au trône, n’avaient pas eu de règne autonome. L’inscription de Ptolémée Néos Philopator, qui n’avait été roi ni en fait, ni en théorie, était une dérogation formelle à la règle déjà modifiée et élargie par l’apothéose d’Eupator. Mais on a eu occasion de signaler les motifs probables de cette anomalie, qui a dû contribuer à détraquer le système. La place des deux intrus dans le canon alexandrin varie de telle sorte qu’il est inutile de chercher des indications historiques ou chronologiques dans un ordre sujet à tant de fluctuations[24].

Tous les sacerdoces du culte dynastique, aussi bien celui des couples que les canéphorie et athlophorie des reines, classées à la suite dans un ordre arbitraire[25], étaient annuels et donnaient droit à un honneur qui, dans les républiques grecques, n’appartenait qu’au chef de l’État : celui de figurer nominativement dans le protocole de tous les documents officiels immédiatement après le roi, de sorte que les titulaires devenaient éponymes de l’année. Pour apprécier l’importance de ce privilège, il faut se souvenir que les Athéniens l’ont ôté à leur βασιλεύς, que les empereurs romains l’ont envié aux consuls et n’ont pu réussir à le leur enlever. Mais, pour avoir été étendu — dans le but ou sous prétexte de rehausser partout le culte dynastique — aux prêtresses des reines divinisées, et même aux prêtres et prêtresses de Ptolémaïs, ce privilège finit par devenir illusoire. Les scribes, las de ces interminables énumérations, s’habituèrent à simplifier leur tâche en supprimant les noms des prêtres, et bientôt en remplaçant le fâcheux protocole par des formules compréhensives qui visaient en bloc tous les cultes, rois et prêtres restant anonymes[26]. Il est probable qu’ils essayèrent d’abord de ces abréviations sur les copies d’actes et finirent par appliquer le système à leurs minutes.

S’il est vrai, comme le dit le Pseudo-Callisthène, que le prêtre d’Alexandre et des couples royaux ait été une sorte de maire de la cité, peut-être l’interprète des statuts qui remplaçaient pour elle une constitution municipale ; qu’il reçût du Trésor un talent, le traitement d’un général ; qu’il eût pour insignes une couronne d’or et une robe de pourpre ; qu’il fût inviolable, exempt de prestations, et que sa famille se trouvât anoblie du même coup[27] ; il faut convenir que la fonction ou sinécure avait à offrir aux postulants autre chose que des satisfactions d’amour-propre. Aussi est-il probable que le dieu vivant se réservait le soin de choisir son prêtre, ce que sont censés faire en tout temps, par des procédés plus contestables, toutes les divinités. On peut supposer qu’il en allait de même pour les sacerdoces féminins, avec ou sans intervention de la reine[28].

Rien ne nous renseigne non plus sur la liturgie de ces cultes et les fonctions réelles des desservants : mais ce que nous savons des cultes héroïques en Grèce, du culte impérial et de ses sacerdoces dans l’empire romain, nous donne à penser que le programme des cérémonies — sacrifices anniversaires, processions, jeux ou concours de temps à autre — a été partout le même[29].

Le culte dynastique alexandrin supposait les couples royaux indissolublement unis sous le même vocable. L’économie en fut dérangée par les discordes et les scandales qui marquèrent le règne d’Évergète II. Lorsque Cléopâtre II de Philométor devint Évergète, le couple des Philométors fut décomplété et Philométor classé à part, comme l’était déjà le dieu Eupator et comme le fut plus tard le dieu Néos Philopator[30]. Mais le nouveau couple des dieux Évergètes fut bientôt dissocié par la répudiation de la reine sœur et reconstitué avec une nouvelle reine, fille homonyme de Cléopâtre II. Ce n’était pas un médiocre embarras pour le protocole. La forme régulière, approuvée — au moins durant un certain temps — par la chancellerie royale, faisait abstraction du mariage rompu et restituait le couple des Philométors avant le couple des Évergètes[31]. Mais l’habitude prise de mettre à part le dieu Philométor, et plus encore sans doute les protestations de la reine répudiée, qui se trouvait ainsi rayée de la liste des souverains régnants, firent prévaloir le régime de la trinité, déjà essayé au temps des trois Philométors. Les inscriptions et les actes notariés énumèrent à la suite le roi, la reine sœur et la reine épouse, dieux Évergètes[32]. Lorsque Évergète II fut expulsé par sa sœur et ex-épouse Cléopâtre II, celle-ci répudia à son tour la communauté des Évergètes et reprit son ancien titre de Philométor, non pas comme partie intégrante du couple des Philométors, mais comme Soteira, vocable isiaque qui lui constituait une individualité propre. De plus, elle institua le sacerdoce symbolique de l’ίερός πώλος (ίεροπόλος, ίερούπωλος) Ίσιδος μεγάλες [ou μεγίστης] μητρός θεών, pour affirmer que, comme autrefois Isis, elle entendait régner seule et se considérait comme veuve d’un indigne époux[33]. Ce culte improvisé disparut au bout d’un an ou deux, lorsque Évergète II reprit possession du trône, et l’on revint au système des trois Évergètes.

La mort d’Évergète II, bientôt suivie de celle de Cléopâtre II (116 a. C.), la coexistence de deux couples royaux sous la domination impérieuse de la reine mère Cléopâtre HI, introduisirent dans le protocole des combinaisons équivoques qui achevèrent do le détraquer. Cléopâtre III, libérée de la trinité Évergète où elle occupait le dernier rang, prit le nom qu’avait porté sa mère au temps où elle régnait seule et le communiqua à son fils, qui fut le second dans le nouveau groupe des dieux Philométors Soters. Quant à Cléopâtre II, qui avait été successivement l’épouse de Philométor et d’Évergète II, on pouvait reconstituer avec elle soit le couple des dieux Philométors, soit le couple des dieux Évergètes. La cour prit d’abord le premier parti : l’inscription de Syène[34], qui comprend des documents officiels, donne une liste des cultes dynastiques qui se termine par « les dieux Philométors et le dieu Néos Philopator et le dieu Évergète et les dieux Philométors Soters » . Cléopâtre III voulait, ce semble, reconstituer le couple de ses parents défunts et faire oublier autant que possible qu’elle avait été la rivale de sa mère. Mais il n’y a pas d’autre exemple de cette rédaction. Les scribes — les scribes égyptiens tout au moins — conservèrent l’habitude de mentionner les dieux Évergètes désormais à l’état de couple, la tierce associée étant passée dans le couple des Philométors Soters[35] ; ou bien ils juxtaposaient le dieu Évergète et la déesse Philométor[36] ; ou encore, ils continuaient à mentionner les dieux Évergètes à l’état de trinité et, par conséquent, ne comptaient qu’un dieu Philométor Soter[37].

Les notaires grecs devaient être mieux renseignés, mais n’étaient pas moins perplexes. Ils s’abstiennent de reconstituer soit le couple des Philométors, soit celui des Évergètes ; mais, en fait, Cléopâtre H se trouvait éliminée de la liste, et ils ne savaient sans doute pas très bien eux-mêmes si c’était elle ou Cléopâtre III qui était déguisée en Isis et honorée dans le culte confié au sacerdoce de l’hiéropole de la grande Mère des dieux[38].

Nous ne sommes pas non plus très fixés sur ce point. La restauration de ce culte se comprendrait très bien, étant donné les circonstances, si elle avait été faite au bénéfice de Cléopâtre III. Il n’était pas difficile de reconnaître en cette Isis, qui gouvernait l’Égypte sous le nom de ses fils, la mère des dieux vivants qui s’appelaient Ptolémée Philométor Soter II et Ptolémée Philométor, dit Alexandre. Ce qui vient à l’appui de cette interprétation, c’est le fait que le sacerdoce d’Isis, mis en tête des sacerdoces féminins ou peut-être à la fin des sacerdoces masculins[39] en 116 a. C., disparaît du protocole après 107/6 a. C., c’est-à-dire au moment où s’amasse l’orage qui va emporter Cléopâtre III. En somme, on peut admettre que le culte d’Isis associait dans un symbolisme commun les deux reines, Cléopâtre II et Cléopâtre III, la souveraine régnante ayant la meilleure part.

On hésite cependant à identifier avec l’une ou l’autre des deux Cléopâtres la déesse Évergétis, qui est en même temps Philométor Soteira, mise à côté du dieu Évergète dans une inscription trilingue datée de Phaophi an VI (octobre 112 a. C.)[40], document officiel dont on n’a malheureusement conservé que le protocole. Sans doute, le double titre énoncé conviendrait fort bien à Cléopâtre II ; mais on sait, d’autre part, que Cléopâtre III s’est appelée Évergétis[41], et nous avons même supposé plus haut qu’elle ne voulait pas partager ce titre avec sa mère défunte. Elle était Évergétis comme épouse du feu roi, Philométor Soteira comme éponyme du groupe des Philométors Soters. Pour qui connaît les rancunes opiniâtres de Cléopâtre III, il n’est pas inadmissible qu’ayant destiné une place à sa mère dans le couple restauré des Philométors, elle se soit obstinée à ne pas lui en assigner d’autre et qu’elle l’ait laissé éliminer tout à fait du canon alexandrin. Quant à elle, insatiable d’honneurs, non contente de se laisser deviner sous le masque d’Isis grande Mère des dieux, elle empruntait à Isis les vocables de Δικαιοσύνη et de Νικηφόρος[42], et elle envahissait jusqu’aux cultes créés pour d’autres reines, en intercalant dans la série des reines divinisées son nom et ses titres sonores, trois fois répétés et voués aux hommages de trois sacerdoces féminins. La στεφανηφόρος de Cléopâtre Νικηφόρος précède l’athlophore de Bérénice ; sa σκηπτροφόρος ou φωσφόρος (de Δικαιοσύνη) précède la canéphore d’Arsinoé, et sa prêtresse de Soteira précède la prêtresse d’Arsinoé Philopator. La Sauveuse, la Justice, la Victorieuse, la Jumelle d’Osiris Évergète[43], prime toutes les reines d’antan et ne leur laisse que la place de l’ombre à côté de la lumière[44].

La discorde qu’elle perpétuait entre ses fils et dans le ménage de ses fils lui fournit des prétextes pour exclure du protocole les reines qu’elle consentait à tolérer de temps à autre comme épouses de Ptolémée Soter II et de Ptolémée Alexandre[45]. Elle était Philométor Soteira avec Ptolémée Soter II ; elle devint Philométor tout court avec Ptolémée Alexandre. Bref, sa fantaisie fut la seule règle jusqu’au jour où son despotisme fut corrigé par l’assassinat.

Il me semble qu’on peut chercher dans ce désarroi chronique de la tradition l’explication d’un fait singulier, connu depuis longtemps par un témoignage unique et supposé exceptionnel, certifié aujourd’hui par une quinzaine de documents papyrologiques. Le fait, c’est que, dans des datations protocolaires des années III, IV, VI, VIII, XI et XII du règne de Ptolémée Soter II, l’en-tête des actes notariés est libellé comme suit : Βασιλευόντων βασιλίσσης καί βασιλέως Πτολεμαίου θεών Φιλομητόρων Σωτήρων, έτους Χ, έφ' ίερέως βασιλέως Πτολεμαίου θεοΰ Φιλομήτορος Σωτήρος Άλεξάνρου καί θεών Σωτήρων καί θεών Άδελφών κτλ., série continuée jusqu’aux θεών Φιλομητόρων déjà nommés[46]. On en a conclu que, durant plusieurs années et à plusieurs reprises, Ptolémée Soter II avait assumé lui-même l’office de prêtre du culte dynastique alexandrin, et que cet exemple avait été suivi par ses successeurs[47]. La grammaire impose cette interprétation, et il est aisé d’imaginer que des désordres passés en habitude aient empêché de pourvoir chaque année au remplacement du titulaire du sacerdoce, auquel cas le roi aurait rempli l’intérim. L’exemple des Pharaons, qui sacrifiaient à leur propre divinité, vient à l’appui et enlève au fait visé son caractère exceptionnel.

Mais les objections se présentent aussi et plus nombreuses que l’argument grammatical, seul probant, invoqué pour la thèse susdite, à savoir l’absence de καί entre Φιλομήτορος Σωτήρος et Άλεξάνδρου.

D’abord, toutes les datations précitées sont de celles qui énumèrent les cultes dynastiques, mais sans nommer ni prêtres, ni prêtresses ; et il est singulier que les notaires aient fait exception pour le roi-prêtre. Ensuite, un document officiel, l’inscription trilingue mentionnée plus haut, qui donne les noms des prêtres et prêtresses, inscrit comme prêtre éponyme du culte alexandrin Artémidore, fils de Sotion, en Phaophi de l’an VI (oct.-nov. 112), l’année même où l’on retrouve dans les papyrus de Boulaq la formule interprétée comme attribuant l’office de prêtre d’Alexandre au roi lui-même[48]. Il serait vraiment bien étrange que le roi, ayant une fois par hasard nommé un prêtre d’Alexandre, ait dû prendre sa succession dans le courant de l’année comme sacerdos suffectus. Ce sont de ces choses qui sont non pas impossibles, mais hautement improbables.

L’explication la plus simple, à mon sens, c’est qu’une réforme a été tentée pour dégager de la masse des dieux-rois le souverain régnant, dont le nom aurait été reporté en tête de la liste[49], celle-ci ne contenant plus que les noms des couples et princes défunts. C’est ainsi que, au temps de Séleucos IV Philopator, par une réforme plus complète et ici imparfaitement imitée, les Séleucides avaient attribué au roi régnant un prêtre distinct. Mais, quand le désordre est invétéré, les essais de réforme ne font que l’aggraver. Au lieu d’arrêter l’énumération au dernier couple défunt[50], la plupart des scribes ont triplé la mention du souverain régnant, le présentant deux fois, selon l’usage, en tête du protocole pour datation, à la fin de la liste des couples royaux comme membre du couple des dieux Philométors Soters, et une fois, en tête de la liste, comme Philométor Soter rapproché d’Alexandre. Au surplus, ils ne pouvaient guère faire autrement. Si le roi était seul associé à Alexandre, la mention du couple vivant à la suite des défunts était nécessaire pour faire une place à la reine. Que le trait caractéristique de cette rédaction — l’omission de καί — se retrouve dans plusieurs papyrus, il n’y a rien là de surprenant. Les scribes se faisaient eux-mêmes des règles et des formulaires que se communiquaient entre eux les membres de la corporation. Ils se sont bien entendus de même pour s’affranchir des fluctuations du protocole, pour supprimer les noms des desservants et bientôt l’énumération des cultes, se rapprochant ainsi de l’imperatoria brevitas réservée à la chancellerie royale[51].

 

§ II. — LES CULTES ET SACERDOCES DYNASTIQUES DE PTOLÉMAÏS.

L’histoire des cultes de Ptolémaïs est plus compliquée que celle des cultes alexandrins[52]. Ceux-ci, abstraction faite des sacerdoces féminins, étaient desservis par un prêtre unique. Chaque règne ne faisait qu’ajouter une surcharge à la liste des dieux et sans doute quelque office anniversaire aux devoirs du prêtre[53]. Il n’en était pas de même à Ptolémaïs. Autant qu’on peut formuler des règles d’après des en-tête de papyrus souvent mutilés, en tout cas libellés par des scribes qui se perdaient eux-mêmes dans l’ordonnance capricieuse des énumérations et les laissaient le plus souvent incomplètes, la règle générale parait avoir été, à Ptolémaïs, d’affecter un sacerdoce spécial à chaque objet de culte. Mais cette règle ne fut fixée qu’après des essais passablement incohérents.

Le point de départ du système, là comme à Alexandrie, fut le culte du héros-œkiste, lequel était à Ptolémaïs Ptolémée Soter. La première addition dut être, par ordre de Ptolémée II, le culte d’Arsinoé Philadelphe, desservi par une canéphore[54]. Sous Philopator, le culte du couple vivant parait avoir été adjoint de droit au culte de Ptolémée Soter[55]. Il n’y a aucune trace de changement ultérieur jusqu’au règne de Ptolémée VI Philométor. Dans les premières années de ce règne, on constate à Ptolémaïs des innovations qui portent de deux à cinq le nombre des objets de culte et de deux à trois le nombre des sacerdoces. Le père du roi, Ptolémée Épiphane Eucharistos, était adjoint à Ptolémée Soter, et un sacerdoce nouveau était chargé d’honorer les rois vivants, c’est-à-dire Philométor lui-même et sa mère Cléopâtre Ire[56]. Cet arrangement bizarre satisfaisait sans doute la reine mère, qui aimait mieux être associée à son fils qu’à son mari défunt. Une quinzaine d’années plus tard, un sacerdoce à part est créé pour la reine Cléopâtre II. Enfin, entre 160 et 153 a. C., tout le système est remanié. Chaque roi a son prêtre ; mais le roi vivant est inscrit immédiatement après Ptolémée Soter sur la liste, qui reprend ensuite l’ordre chronologique à partir de Philadelphe. Les deux Cléopâtres ont aussi chacune leur prêtresse, et la reine vivante passe avant la reine défunte : la canéphore d’Arsinoé Philadelphe garde le dernier rang, qui est maintenant le neuvième[57]. Plus tard encore, sous Évergète II, la liste des rois ne s’est pas seulement allongée de deux noms (Eupator et Évergète), mais il semble qu’Évergète II y occupe deux places, l’une à côté de Soter comme roi vivant, et une autre entre Épiphane et Philométor. Il prenait sans doute cette place en souvenir du temps où il avait été intronisé par les Alexandrins à la place de Philométor disqualifié comme prisonnier d’Antiochos IV Épiphane[58]. Il doit y avoir aussi double emploi dans les quatre sacerdoces des Cléopâtres, qui précèdent toujours la canéphorie d’Arsinoé Philadelphe.

Les cultes dynastiques de Ptolémaïs n’ont jamais eu, en somme, ni l’importance officielle, ni la constitution régulière de ceux d’Alexandrie. Les protocoles notariés de la Thébaïde n’en font pas obligatoirement mention, et ailleurs on n’y songe même pas. Ptolémaïs était comme une succursale de la capitale, ou, si l’on veut, la capitale grecque de la Haute-Égypte, et l’on dirait que la religion dynastique y a été implantée à la fois pour contrebalancer l’influence hostile du sacerdoce thébain et pour occuper à la poursuite de fonctions honorifiques, multipliées dans ce but, l’oisiveté de l’aristocratie locale. Ces fonctions honorifiques pouvaient se combiner avec d’autres offrant des avantages plus palpables. On voit, par exemple, le sacerdoce de Ptolémée Soter exercé, vers le milieu du IIe siècle a. C., sous le règne de Philométor, par un certain Hippalos, qualifié πρώτων φίλων et έπιστράτηγος[59].

 

§ III. — LES CULTES DYNASTIQUES NON OFFICIELS.

Le culte dynastique fut imposé aux temples indigènes, et c’est là surtout qu’il fut un instrument de règne, une injonction perpétuelle rappelant aux prêtres leurs devoirs envers la dynastie. Philadelphe commença par associer sa défunte sœur Arsinoé, la Philadelphe, aux divinités nationales et par doter son culte aux frais du clergé[60]. Les temples égyptiens accueillirent bientôt comme dieux associés les dieux Soters, les dieux Adelphes et, sous le règne suivant, les dieux Évergètes, ceux-ci honorés de trois sacrifices par mois, sans compter les anniversaires, jour de naissance et jour de l’avènement du roi[61]. Évergète Ier y ajouta le culte de sa fille Bérénice et créa, pour desservir le culte dynastique, une cinquième classe de prêtres, qui accueillit par la suite dans son rituel tous les couples royaux[62].

Le culte dynastique dans les temples égyptiens n’est pas officiel en ce sens qu’il y prend le caractère d’un culte adopté par des corporations libres et qu’il n’est pas visé dans les formules protocolaires : mais c’est une copie plus ou moins éclectique et composite des cultes officiels d’Alexandrie (Rakoti) et de Ptolémaïs (Psoï) ou de la région de Thèbes. Les notaires indigènes de cette région ne le confondent pas avec ceux dont ils font l’énumération en tête des actes démotiques[63]. A la fin, à la suite de leur signature, ils se contentent ordinairement de dire qu’ils écrivent au nom des cinq classes de prêtres de tel dieu (Amonra à Thèbes, Mont à Hermonthis, etc.) et des autres dieux unis avec lui : mais il leur arrive parfois d’énumérer aussi ces autres dieux associés, qui sont les dieux-rois ornés de leurs prédicats et honorés spécialement par les prêtres de la cinquième classe. Au bas d’un acte daté du 29 Choiak an XXIII d’Épiphane (3 févr. 182 a. C.), on lit : A écrit Pabi fils de Kloudj, qui écrit au nom des prêtres d’Amonrasonther et des dieux Adelphes, des dieux Évergètes, des dieux Philopators, des dieux Épiphanes, de la cinquième classe[64]. Nous retrouvons le canon alexandrin à la suite du nom du dieu Chnoubis ou Chnoubo Nebieb dans des stèles de Philæ et d’Éléphantine, sauf que le dieu local remplace de même Alexandre et Ptolémée Soter, ignorés en Thébaïde[65]. Enfin, des inscriptions hiéroglyphiques attestent la consécration de statues de Ptolémée Philadelphe dans le temple de Bubastis ; de Philadelphe, d’Arsinoé II et d’une autre reine (peut-être Philotéra ?) dans le temple d’Héliopolis ; d’Arsinoé (Ire ?) dans le temple d’Isis à Koptos[66]. Cette dévotion était un titre aux libéralités des rois, qui ont eu soin de dorer la chaîne et peut-être l’habileté d’en faire un privilège réservé aux grands temples.

Les particuliers, individus ou corporations[67], étaient libres d’associer leurs hommages à ceux que le culte dynastique recevait dans les temples et de signaler leur zèle par des dévotions et fondations spéciales dont ils faisaient les frais. Ils y étaient expressément autorisés — autant dire, invités — par le décret de Memphis[68]. C’est ainsi qu’à Crocodilopolis du nome Arsinoïte, au temps d’Évergète Ier, un testateur dit Libyen de la classe des épigones lègue à un Rhodien un sanctuaire lui appartenant, dédié par lui à Bérénice et à Aphrodite Arsinoé[69]. La complaisance du gouvernement pour ces apôtres de la divinité royale pouvait aller jusqu’à conférer des privilèges, y compris le plus envié de tous, l’άσυλία, à des fondations ainsi constituées. Une inscription mutilée d’Evhéméria au Fayoum doit provenir d’un temple édifié par quelque corporation en l’honneur du souverain régnant et de ses ancêtres, pour lequel on a demandé et obtenu l’άσυλία, au même titre que les temples voisins[70]. On ne s’attend pas à rencontrer le même enthousiasme chez les Égyptiens de race, qui, au Fayoum surtout, étaient dépouillés au profit des colons et encombrés de ces nouveaux hôtes jusque dans leurs maisons[71].

Le culte dynastique ne pouvait manquer d’être importé, soit à titre officiel, soit par dévotion particulière, dans les possessions extérieures de l’Égypte. Les nombreuses dédicaces à la déesse Philadelphe montrent que bien des gens se faisaient de leur zèle intéressé une recommandation auprès du monarque égyptien[72]. Cypre était une possession assez stable et assimilée de longue date à l’Égypte pour que les dieux-rois y pussent être associés officiellement aux divinités locales. Cependant, nous n’avons pas la preuve que le gouverneur ou vice-roi de l’île, archiprêtre, stratège et navarque[73], fût, comme άρχιερεύς, le prêtre du culte dynastique. En tout cas, il l’eût été polir une durée indéfinie, et non plus par mandat annuel, comme les prêtres d’Alexandrie et de Ptolémaïs. Son titre ordinaire est ou άρχιερεύς simplement[74], ou άρχιερεύς τών κατά Κύπρον[75], ou τών κατά τήν νήσον[76], ou encore άρχιερεύς τής νήσου[77]. Une inscription de Paphos, du temps de Ptolémée Soter II, nous fait connaître un certain Onésandros, du grade de συγγενής, honoré par décret des Paphiens comme prêtre à vie du roi Ptolémée dieu Soter et du sanctuaire Ptolémæon fondé par lui, greffier de la ville des Paphiens et préposé à la grande Bibliothèque d’Alexandrie[78]. Ce greffier, qui a dû suivre le roi réintégré de Cypre à Alexandrie, a donc bâti à ses frais un sanctuaire dédié à son roi, mais il ne s’est pas nommé lui-même prêtre à vie du dieu Soter ; il a sans doute fait don de son ίερός à la ville, qui lui a conféré en échange le sacerdoce. C’est donc un culte privé devenu institution municipale.

Comme expression et garantie du loyalisme, le culte dynastique avait naturellement la clientèle des militaires. Les garnisons coloniales imitaient en cela celles des frontières de l’Égypte. Leurs hommages s’adressent de préférence ou exclusivement au couple régnant. A Kition, l’Étolien Mélancomas, commandant de la garnison, était prêtre des dieux Évergètes au temps du second Évergète[79], et les nombreuses adresses des garnisaires aux rois[80] témoignent assez de la place que tenait dans leurs préoccupations la religion dynastique.

 

 

 



[1] Le roi, Pharaon ou Lagide, était parmi les σύνναοι θεοί dans tous les temples. L’association ou assimilation à une divinité préexistante était un procédé familier aussi à l’apothéose grecque : témoin les Isis Arsinoé, Aphrodite Arsinoé, Arsinoé Naïas, Aphrodite Bérénice, Aphrodite Cléopâtre, la grande Cléopâtre Νέα Ίσις, l’impératrice Plotine Άφροδίτη θεά νεωτέρα, etc. Dans le culte séleucide, les deux premiers rois sont assimilés, Séleucos Nicator à Zeus, Antiochos Ier à Apollon, dans CIG., n. 4458. Dittenberger, OGIS., n. 245. Leurs successeurs se dispensent du procédé.

[2] Fondations de cultes funéraires desservis par des prêtres de Ka et défrayés par les revenus de domaines d’éternité (par djeta). On en connaît, par les papyrus de Kahun, pour les rois de la XIIe dynastie. Voyez l’analyse de la charte d’Hapidjefa, seigneur de Siout sous la XIIIe dynastie, dans Révillout (Précis de droit égyptien, pp. 18-23). Fondations de Sheshenk Ier, de la XXIIe dynastie, en l’honneur de son père (Wiedemann, Aeg. Gesch., p. 544), etc. Pour les gens du commun, les choachytes se chargeaient, moyennant finance, du culte des morts enterrés dans leurs nécropoles.

[3] L’évhémérisme, si fort à la mode en ces temps-là, facilitait la transformation des hommes en dieux, ceux-ci n’ayant été que des hommes à l’origine. Ce système irréligieux favorisait, par une conséquence paradoxale, la création de cultes nouveaux.

[4] Kornemann (p. 62), se fondant sur les ϑυσίαις ήρωικαΐς de Diodore (XVIII, 28, 4), veut que le culte d’Alexandre à Alexandrie ait été d’abord un culte simplement héroïque. C’eût été renier la volonté d’Alexandre lui-même, et cela, au moment où Démétrios Poliorcète usait et abusait du titre de dieu, où Ptolémée Soter lui-même se laissait appeler Σωτήρ καί θεός (Strack, n. 1). Seulement, à l’époque, la différence entre le dieu et le héros était minime en théorie et à peu près nulle en pratique. Alexandre est si bien dieu par lui-même qu’il n’a besoin ni de prédicat, ni du titre de ϑεός. Cf., contre la thèse de Kærst et Kornemann, W. Otto (op. cit., p. 142, 1).

[5] Il suffit de rappeler ici que dans l’inscription de Canope, document officiel de l’an 238 a. C., le couple des ϑεοί Σωτήρες est absent du protocole. Mais cette lacune — qui, en dépit de l’explication donnée, reste bizarre — n’existait pas pour le culte dynastique de rite égyptien. Les prêtres disent plus loin (lig. 16) que seront augmentés les honneurs rendus antérieurement dans les temples aux dieux Évergètes, à leurs parents dieux Adelphes et à leurs ancêtres dieux Soters, et, dans des actes démotiques des années XXIX et XXXIII de Philadelphe (257/6 et 253/2 a. C.), publiés par Révillout, le roi est appelé fils de Ptolémée le dieu Sauveur ou fils de Ptolémée le dieu (cf. Wilcken, in Gött. gel. Anz., 1895, p. 140). Néanmoins le culte des dieux Soters parait avoir été éliminé du culte dynastique dans les temples de la Thébaïde.

[6] CIG., 5127. Strack, n. 39. Dittenberger, OGIS., n. 54.

[7] Il me parait probable, contre l’avis de Strack (p. 226), que les décrets de la corporation des artistes de Dionysos à Ptolémaïs, qui s’intitulent τεχνίται οί περί Διόνυσον καί θεούς Άδελφούς (BCH., IX [1885], pp. 132-140 = Strack, n. 35-36 = Michel, n. 1017-1018), ne sont pas du temps de Philadelphe, mais du règne suivant.

[8] Strack, n. 41-42 (Olympie) ; 50 (Théra) ; 52 (Lissa).

[9] Strack, n. 40 (Canope) ; 47 (Cypre) ; 51 (Telmesse).

[10] Strack, n. 43 (Alexandrie) ; 44 (Astypalée) ; 45 (Cypre) ; 46 (Cypre). Les restitutions θεών Φιλαδελφων dans les n. 46 et 47 sont à effacer. Arsinoé seule fut θεά Φιλάδελφος dans son culte particulier ; le couple royal est toujours qualifié θεοί Άδελφοί.

[11] Sous Ptolémée IV Philopator, voyez Strack, n. 53 (Alexandrie) ; 63 (Cypre). Sous Ptolémée V Épiphane, n. 72 (Thèbes).

[12] Sous Ptolémée IV Philopator, voyez Strack, n. 54, 55, 66 (Alexandrie) ; 56 (Edfou) ; 57 (Thèbes) ; 58 (Philæ) ; 59 (Sestos) ; 61 (Halicarnasse) ; 65 (Cypre).

[13] Cf. les inscriptions d’Athribis (Strack, n. 166-167. Dittenberger, OGIS., n° 96. 101). Philopator connaissait bien mal les Juifs, s’il est vrai qu’il leur offrit de revêtir le sacerdoce perpétuel, c’est-à-dire probablement le sacerdoce dynastique (II Maccabées, 3, 21).

[14] On ne la rencontre pas encore dans un acte de l’an XIX de Philadelphe, (Révillout, Chrest. démot., p. 209 sqq.), postérieur à l’institution.

[15] Sauf, bien entendu, des démonstrations intéressées comme nous en rencontrerons plus loin, aussi sincères que l’enthousiasme des contemporains d’Auguste pour le culte impérial (cf. Virgile, Ecl., I, 43. Horace, Ode, IV, 5, 34. Epist., II, 1, 16. Ovide, Fastes, II, 637).

[16] Sauf, pour les fêtes inaugurales, Diodore, XVIII, 28, 4.

[17] Théocrite, XVII, 16 sqq. La scène est ici dans l’Olympe : c’est l’apothéose littéraire. Philadelphe ματρί φίλα καί πατρί θυώδεας εΐσατο ναούς : dans ces temples, où des statues chryséléphantines représentent les défunts secourables, le roi et sa sœur offrent de mois en mois (ou plutôt, tous les ans ?) des sacrifices (ibid., 126 sqq.). Le scoliaste précise en disant que Ptolémée Soter έξεθεώθη ύπό τοΰ υίοΰ. Cf. la dédicace d’Arsinoé (Strack, n. 1. Dittenberger, OGIS., n. 16). C’est une inscription d’Halicarnasse, dont la date, sujette à discussion, parait avoir devancé l’apothéose officielle et même la mort de Ptolémée Soter.

[18] On discute et on discutera longtemps encore sur la date de l’institution du culte et du prêtre d’Alexandre. Je pense qu’il n’y eut pas de culte officiellement institué à Alexandrie et pas de prêtre d’Alexandre autre que le roi vénérant son divin prédécesseur, tant que le corps d’Alexandre resta à Memphis. L’institution du prêtre spécial dut coïncider avec le transfert du corps et l’inauguration du Σήμα sous Philadelphe, cérémonie que W. Otto (pp. 144-153) identifie avec la πομπή et croit pouvoir placer en janv.-févr. 274 a. C. La plus ancienne mention du prêtre d’Alexandre est de l’an XVI (270/69 a. C.) dans le texte restitué de Pap. Petr., I, n. 24 (2). III, n. 52 b.

[19] Les Rhodiens avaient procédé comme Alexandre lui-même, en demandant à l’oracle d’Ammon de garantir la divinité de Ptolémée.

[20] Le culte de la jeune Bérénice institué par le décret de Canope était un culte égyptien, et non un culte de rite grec inscrit au canon alexandrin.

[21] La liste des Séleucides pourvus d’un culte posthume (CIG., III, 4458. Dittenberger, OGIS., I, n. 245 : cf. 246) ne mentionne aucun nom de reine. Si l’Άφροδίτη Στρατονικίς de l’inscription de Smyrne (CIG., 3137 = Michel, n. 49 = Dittenberger, OGIS., n. 229) n’est pas la reine Stratonice, on ne cite comme reine séleucide divinisée que la Laodice de l’inscription de Durdurkar. L’opinion que j’ai moi-même partagée, à savoir que les θεοί Σωτήρες de CIG., 2852, lig. 14-15, sont Antiochos Ier et Stratonice (Chishull, Bœckh, Droysen, Herzog, Niese, Haussoullier, Beloch, Lehmann), n’est rien moins que certaine : elle est fausse si l’épître en question est non pas de Séleucos II, mais de Séleucos Ier (Soldan, Gœlzer, Wilcken, Wilhelm, Kornemann, Laqueur).

[22] Le fait et la date ne sont connus que par les mentions protocolaires dans les papyrus. Cf. E. Beurlier, op. cit., p. 60, qui (d’après Révillout, Rev. Égyptol., I, pp. 20. 135, 1) substitue, pour la réforme de Philopator, la date de l’an VIII (215/4 a. C.) à celle de 211/0 proposée par Lepsius. Le Tebt. Pap., n. 176, du règne d’Épiphane, ne mentionne pas le couple des θεοί Σωτήρες, qui figure à la même époque dans la Pierre de Rosette. C’est une lacune accidentelle, comme on en rencontre plus tard encore dans les papyrus et qui ne prouve rien. P. Grenfell donne un avis fort sage en disant : Every new discovery of papyri containing the formulae of the priesthoods tends to show that the greatest caution must be exercised in arguing from variations or omissions (Pap. Great, I, p. 22).

[23] Cf. l’inscription d’Άντίοχος, fils d’Antiochos III, dans le canon des cultes royaux.

[24] Voyez sur la question, reprise et débattue à fond, R. Laqueur (Quæst. epigr. et papyrol. selectæ. Argentor., 1904, pp. 31-60). D’après lui, de 151 à 145, θεός Εύπάτωρ précède les θεοί Φιλομήτορες, et cet ordre reparaît après 116, d’où il résulte que la série Φιλομήτωρ-Εύπάτορες n’a été en usage que sous Évergète II. Ceci prête aux conjectures. On comprend mal que Philométor ait inscrit son fils et successeur présumé avant lui-même dans le canon. Ériger en règle que l’associé au trône devait figurer avant le roi, c’est aller un peu vite et trancher plusieurs postulats à la fois. Le Πτολεμαΐος υίός associé à Philadelphe est nommé après lui dans le Papyrus des Revenus. Cet ordre est naturel, et l’on ne voit pas pourquoi, logique dans la datation, il aurait été renversé de parti pris dans le canon. En tout cas, on peut se demander quel avantage trouvait Évergète II à abandonner le système antérieur, et pour quelles raisons on y est revenu plus tard. Il faut tenir compte de l’embarras et des tergiversations des scribes, surtout des notaires égyptiens, à qui il arrive de placer Eupator avant Épiphane. Enfin, la règle susdite ne parait pas avoir été observée dans un document (pétition des prêtres à Évergète II) transcrit par la chancellerie royale en 140/39 a. C. (Tebt. Pap., n. 6, lig. 16-18). On y peut restituer avec certitude ϑεοΰ Εύπάτορος entre les dieux Épiphanes et les dieux Philométors. Quant à Néos Philopator, de 118 à 116, il est placé à la suite d’Eupator, et, à partir de 116, à la suite de Philométor.

[25] Dans la pierre de Rosette, l’athlophore de Bérénice Évergète passe avant la canéphore d’Arsinoé Philadelphe, et la prêtresse d’Arsinoé Philopator porte un titre étymologiquement supérieur aux deux autres. A Athènes, les κανηφόροι (porteuses de corbeilles) ne figuraient qu’en sous-ordre dans les processions. Quant au titra d’άθλοφόρος (porteuse de prix), inconnu ailleurs, il ne peut être qu’inférieur à celui des άθλοθέται ou organisateurs en chef des fêtes des Panathénées. Le même ordre est observé dans Tebt. Pap., 176, datant du règne d’Épiphane comme la Pierre de Rosette. Ce classement, qui n’est ni logique, ni chronologique, est devenu l’ordre normal à partir du règne d’Épiphane, fondateur du culte d’Arsinoé Philopator.

[26] Par exemple, Tebt. Pap., n. 104,105, 106, 109 ; ou encore Leemans, p. 68, Pap. Grenf., II, n. 23 a, 35. Pap. Amherst, II, n. 51, etc. A Ptolémaïs, où les sacerdoces des rois et reines étaient distincts, la liste des noms atteignit neuf ou dix compartiments. Il était évidemment impossible de tenir au courant un pareil annuaire et d’en surcharger les actes notariés. Aucun des papyrus Par., BGU., Grenfell, Reinach, etc. ne donne les noms des prêtres. Les Séleucides aussi avaient ordonné que les noms de leurs prêtres fussent inscrits έν τοΐς συναλλάγμασι (Dittenberger, OGIS., n. 224) ou έν τοΐς χρηματισμοΐς (ibid., n. 244). On ne connaît encore que deux ou trois listes de prêtres éponymes du temps d’Antiochos III (ibid., n. 233) et de Séleucos IV Philopator (ibid., n. 245).

[27] Ps. Callisth., p. 149 Müller. Cf. Lumbroso, Egitto, pp. 149-151. Beurlier, p. 61. L’ίερεύς aurait encore été, d’après le même texte, έπιμελιστής ένιαύσιος τής πόλεως. Sur le titre d’exégète et les fonctions accessoires du prêtre d’Alexandre, voyez ci-après, ch. XXII, § 2.

[28] De l’assimilation (conjecturale) de l’ίερεύς à cet έξηγητής έχων πατρίους τίμας (Strabon, XVII, p. 797) — πατρίους étant entendu au sens d’héréditaires, comme les πατρικάς ίερωσύνας égyptiennes (Diodore, I, 88) — on a conclu à une aorte d’hérédité des sacerdoces dynastiques (cf. Th. Mommsen, R. G., V3, p. 568, 1). C’est un échafaudage de postulats. Les Grecs conservaient les sacerdoces héréditaires jusqu’à extinction des familles privilégiées, mais n’en créaient pas de nouveaux. En tout cas, l’hérédité n’exclut pas la nomination. Les papyrus démotiques de Berlin (Révillout, N. Chrest. dém., pp. 34. 80. Spiegelberg, pp. 10-12) disent les prêtres du culte dynastique de Ptolémaïs nommés ou désignés par le roi, et l’on sait que les Séleucides et Attalides nommaient aussi les leurs (cf. W. Otto, op. cit., pp. 254-255).

[29] Cf. les honneurs divins décernés à Lysimaque par les Priéniens (Dittenberger, OGIS., n. 11), les décrets des Iliens en l’honneur de Séleucos Ier (ibid., n. 212), des Milésiens, Iliens, Clazoméniens, en l’honneur d’Antiochos Ier (ibid., n. 212, 213, 219, 222. Ce sont les villes grecques qui ont pris l’initiative de l’apothéose et fourni des modèles de cultes royaux, depuis le simple autel avec dédicace jusqu’aux temples, sacrifices annuels, processions aux γενέθλια βασιλέως, etc. On sait ce que firent les Athéniens pour Démétrios Poliorcète.

[30] Cf. Strack, Athen. Mitth., XX (1895), pp. 343 sqq. Laqueur, op. cit., p. 32.

[31] Tebt. Pap., n. 6, an. 140/39 a. C. De même, dans un papyrus démotique de l’an 137/6 a. C. (Spiegelberg, p. 11. Laqueur, p. 32). Je ne vois pas que le pluriel des Philométors soit une incorrection (Grenfell, Laqueur), sous prétexte que Cléopâtre Il était comprise dans le groupe des Évergètes. Son ex-époux voulait la rendre à son premier mari.

[32] Strack, n. 103, 107-111, 116-117, 123-124, 126, 128. Tebt. Pap., n. 43, 124, etc.

[33] Si la date du papyrus démotique (Révillout, Rev. Égypt., I, p. 91) dont l’en-tête mentionne pour la première fois l’hiéropole (titre transcrit, non traduit) d’Isis est bien de Phaophi an XL des dieux Évergètes (nov. 131 a. C.), ce culte aurait été institué par Cléopâtre II régnant seule sur l’Égypte. Il est encore mentionné à la date de 130 a. C. dans un papyrus démotique de Lyon (Spiegelberg, Z. f. Aeg. Spr., 1899, p. 38). Il n’en est plus question ensuite jusqu’en 116 a. C. Voyez Laqueur, op. cit., pp. 42-44, 51-56. G. A. Gerhard, ΙΕΡΟΣ ΠΩΛΟΣ (in Archiv f. Religwss., VII [1904), pp. 520 523). Après tout, il est possible que, comme le veut Gerhard, ce culte ait été institué avant l’expulsion d’Évergète, en l’honneur de Cléopâtre III, fière de sa maternité et humiliant sa mère délaissée : mais la mention de l’an 130 et l’interruption constatée entre 130 et 116 a. C. rendent cette opinion très discutable.

[34] Strack, n. 140. Dittenberger, OGIS., n. 168 : an. 115 a. C.

[35] Voyez la mention des treize papyrus démotiques, datés de 114/3 à 88/7, dans Laqueur, op. cit., p. 40.

[36] Pap. Vatic. (un double à New-York) publié par Révillout (Rev. Égypt., III, p. 25), revu par Spiegelberg (Rec. de travaux, etc., XXV [1903], p. 13), cité par Laqueur, pp. 34. 41.

[37] Pap. dem. Berlin., 3103, p. 15 Spiegelberg, en date du 30 Thoth an IV (20 oct. 114 a. C.), cité et expliqué par Laqueur, p. 41, 1.

[38] Voyez les papyrus cités par Laqueur (pp. 41-42), soit ; quatre papyrus grecs inédits de Strasbourg (le texte, p. 33, 1), ajoutés à Pap. Par., n. 5 (de 113 a. C.), Pap. Grenfell, I, n. 25 (114 a. C.) ; 27 (109 a. C.) ; II, n. 20 (114 a. C.) ; BGU., n. 994 (113 a. C.) ; 995 (110 a. C.) : 996 (117 a. C.) ; quatre papyrus démotiques, deux Pap. Boulaq (111 a. C.) et Pap. Vatic. = Neo-Eborac. (109 a. C.). A joindre aux papyrus l’inscription trilingue de Gizeh (112 a. C.) récemment publiée (texte grec) par Strack, in Archiv f. Ppf., II, p. 551, n. 33.

[39] Spiegelberg, Otto, Gerhard, tiennent pour certain (contre Lepsius, Krebs, Strack) que l’ίεροπόλος d’Isis était un prêtre masculin (Cratotéros en 112/1 a. C.). La parité de sexe entre divinités et desservants n’a jamais été une règle générale ou une règle sans exceptions. On rencontre un prêtre d’Isis Némétis, à Hermonthis (BGU., n. 993 : cf. προστάτης Ίσιδος in Archiv f. Ppf., II, p. 432, n. 17) et quantité d’isionomes.

[40] Strack in Archiv f. Ppf., II, p. 551. Laqueur, qui tient pour Cléopâtre II, reconnaît qu’aucun document grec postérieur à 116 a. C. ne nomme Cléopâtre II à côté d’Évergète II ; seulement, il soupçonne (p. 44, 1) que l’inscription est traduite du démotique. W. Otto (op. cit., p. 183, 2) ne doute pas qu’il s’agisse de la reine régnante, c’est-à-dire de Cléopâtre III.

[41] Dédicace de Ptolémée X Soter II à Délos (Homolle in BCH., IV [1880], p. 223. Strack, n. 138 ; attribuée à Ptolémée Néos Philopator par Dittenberger, OGIS., n. 144). La rédaction en est bizarre. Dittenberger écarte la restitution de Strack et cherche un fils quelconque d’Évergète II et de Cléopâtre II, dont Cléopâtre III fût la cousine. Son système suppose un Néos Philopator vice-roi de Cypre en 421, c’est-à-dire un personnage que je crois être Ptolémée X lui-même. Cléopâtre III, fille de Philométor, était réellement la cousine germaine de son fils, et tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a une sorte de cynisme de la part d’un fils à le faire remarquer. Dédicace, au Fayoum, du 23 Épiphi an XIII/X (6 août 104 a. C., Strack, n. 141. Dittenberger, OGIS., n. 175).

[42] Σώτειρα et Νικηφόρος sont pour Isis des épithètes courantes : celle de Δικαιοσύνη dans Dittenberger, OGIS., n. 83. Cf., sur un plomb de Gaza (époque romaine), une ΔΙΚΑΙΟΣΥΝΗ avec les attributs d’Isis et la balance en main (Clermont-Ganneau, Rec. d’archéolog. orient., III, 1 [1899], p. 82, pl. 11 a). Peut-être Cléopâtre III a-t-elle pris les surnoms de Δικαιοσύνη et de Νικηφόρος (dame du χορεš ou du sabre, en démotique) au cours de ses victoires ou plutôt de ses campagnes en Syrie. Du reste, l’assimilation des reines à Isis sur les monuments figurés était d’usage presque banal.

[43] Révillout, Chrest. dém., p. 110.

[44] Les papyrus 1 et 2 de Boulaq (Révillout, Chrest. dém., p. 401-418) mentionnent pour l’an VI de Soter II, outre l’hiéropole de la grande Isis, trois sacerdoces de Cléopâtre III, intercalés dans la série des sacerdoces de Bérénice et d’Arsinoé ; une στεφανοφόρος, une πυροφόρος, et une ίέρεια de la reine Cléopâtre Philométor Soteira. Cf. Spiegelberg, Z. f. Aeg. Spr., 1899, p. 38. Rec. de travaux, XXV (1903), p. 13. Laqueur, op. cit., p. 43. W. Otto, Priester und Tempel, p. 411. C’est une particularité qui ne s’était pas rencontrée jusqu’ici dans les papyrus grecs. Mais la série complète des titres susdits figure dans les Pap. Reinach, n. 9-10. 14-16.20, des années 112 à 108 a. C.

[45] Les notaires se tirent d’embarras en omettant le nom de la reine. Ils écrivent : βασιλευόντων βασιλίσσης καί βασιλέως Πτολεμαίου. La reine précédant le roi ne peut être que la reine mère.

[46] Ce sont les papyrus démotiques et grecs signalés plus haut comme contenant la mention ίεροΰ πώλου Ίσιδος μεγάλης. Même formule pour Ptolémée Alexandre dans les Pap. Reinach, n. 23 et 24, des 23 et 24 Choiak an XII/IX (9 et 10 janv. 105).

[47] C’est l’opinion de Brunet de Presle (Pap. Par., p. 153), de Grenfell (Pap. Grenf., I, p. 53), de W. Otto (op. cit., pp. 182.184), de G. A. Gerhard (op. cit., p. 522) et de Th. Reinach (p. 114). On ne peut plus invoquer contre elle l’hypothèse d’une erreur ou omission du scribe, argument que faisait valoir Lepsius (Abh. d. Berl. Akad., 1852, pp. 493.4), au temps où l’on ne connaissait qu’un seul exemple de cette formule.

[48] La même année, mais plus tard, en Phamenoth (mars-avril 111), et le 15 Mesori (30 août 111) dans le Pap. Argentin., n. 57 (cf. Laqueur, op. cit., p. 33). Cf. le texte grec de l’inscription trilingue (Strack, in Archiv. f. Ppf., II, p. 551).

[49] Un système analogue parait avoir été essayé à Ptolémaïs, où l’on voit le roi régnant Ptolémée VI Philométor associé à Ptolémée Soter et placé avant Philadelphe. Pour les Séleucides, cf. Dittenberger, OGIS., n. 245. L’absence de tout changement dans l’inscription officielle de l’an 112 montre que cette réforme a pu être une convention entre scribes, sans caractère officiel.

[50] Comme l’a fait un notaire de Pathyris dans un acte du 29 Tybi an XII/IX = 14 fév. 105 a. C. (Pap. Leid., N, p. 68 Leemans) : seulement, il aurait dû inscrire le Philométor Soter en tête après ίερέως τοΰ έν Άλεξανδρεία.

[51] Il est à remarquer que les scribes ont sacrifié d’abord les parties du protocole qui les intéressaient le moins et sur lesquelles ils étaient moins renseignés. Ainsi, dans un acte démotique du 14 Phaophi an VI de Philométor (18 nov. 176 a. C.), le scribe thébain passe sous silence les noms des prêtres de Rakoti (Alexandrie), mais il donne une partie des noms des prêtres de la région de Thèbes, c’est-à-dire de Ptolémaïs. De même, dans un acte du 28 Thoth an XI (1er nov. 171 a. C.). Voyez Révillout, Précis, p. 1048, et Spiegelberg, Dem. Pap. Berl., n. 3141.

[52] W. Otto (op. cit., pp. 193-196) résume à peu prés tout ce que nous savons sur les sacerdoces de Ptolémaïs, et ce tout se réduit à peu de chose.

[53] Le culte romain des Divi, desservi par les sodales Augustales, a été organisé d’abord d’une façon analogue au culte alexandrin, et plus tard, par création de sodales Flaviales, Hadrianales, Antoniniani, d’une façon analogue au culte ptolémaïque.

[54] On ne connaît jusqu’ici que deux canéphores d’Arsinoé : Dionysia fille de Zénon (?), de l’an XXIII d’Épiphane (183/2 a. C.), et Irène fille d’Antipater, du temps d’Évergète II (les références dans W. Otto, p. 195).

[55] Sous Philopator an XIII (210/09 a. C.), dans un papyrus démotique de Londres (Proceedings of S. B. A., XXIII [1901], p. 295), Nicanor fils de Rakis est dit prêtre en Thébaïde du dieu Ptolémée (Soter) et des dieux Philopators. D’après deux autres papyrus démotiques de Londres (Rev. Égyptol., I, pp. 20 et 135, 1. III, p. 2, 5), le même Nicanor avait été prêtre en l’an VIII (215/4 a. C.) et le fut encore en l’an XV (208/1 a. C.). En l’an VII d’Épiphane (199/8 a. C.), un certain Cali..... fils de Dicéarque occupe la place. Elle est occupée quatre fois, de l’an XXIII d’Épiphane à l’an XXVII (?) de Philométor (183-154 a. C.) par Hippalos, fils de Sas (voyez W. Otto, pp. 193-4). Étant donné que, sur trois prêtres connus, deux sont mentionnés trois et quatre fois, on peut croire qu’à Ptolémaïs comme à Alexandrie le sacerdoce restait souvent dans les mêmes mains, réitéré ou continué ou peut-être même conféré διά βίου.

[56] L’ίερεύς βασιλέως Πτολεμαίου καί Κλεοπάτρας τής μητρός apparaît dès l’an VI (176/5 a. C.), et le même Ginas fils de Dosithéos l’occupe encore en l’an XI (171/0 a. C.), Cléopâtre Ire étant alors défunte (W. Otto, l. c.). Cf. Pap. Grenf., I, n. 10 (du 5 Thoth an VIII = 10 oct. 174 a. C.).

[57] Pap. Graaf., I, n. 12, sans date. Voyez les papyrus démotiques publiés et traduits par Révillout (Le procès d’Hermias). En l’an XXIII d’Épiphane (183/2 a. C.), le protocole ne mentionne que le prêtre de Soter et d’Épiphane et la canéphore d’Arsinoé (op. cit., pp. 10-24). En l’an XXVIII de Philométor (154/3 a. C.), la liste des sacerdoces, chacun dévolu à un prêtre spécial, est complète (ibid., p. 66). A plus forte raison, les années suivantes, notamment en 141 a. C. (ibid., p. 133).

[58] Pap. Grenf., I, n. 24 (règne d’Évergète II) ; trois Cléopâtres : ή γυνή (Cléopâtre II), ή θυγάτηρ (Cléopâtre III) ; la troisième doit être ή μητήρ, c’est-à-dire Cléopâtre Ire Épiphane. On retrouve les trois Cléopâtres, la femme, la fille et la mère, dans un papyrus démotique de Strasbourg (Spiegelberg, n. 21, an 145 a. C.), qui qualifie la mère de brillante, ce qui met l’identification hors de doute. Le Pap. Grenf., II, 15 (de 139 a. C.) mentionne jusqu’à quatre prêtresses des Cléopâtres. L’agoranome de Latonpolis, rédacteur du document, introduit dans l’énumération des neuf sacerdoces des particularités étranges. Il y a des énigmes qu’on serait tenté d’imputer à la fantaisie désordonnée du notaire. On sait que Δικαιοσύνη était parfois un prédicat d’Isis ; la δικαιοσύνη de Philométor ou Δικαιοσύνη Philométor serait-elle, cette fois, Cléopâtre II (Isis) ? W. Otto (Priester und Tempel, I, p. 412) cite un papyrus inédit de Londres, où Évergète II figure aussi après Soter. Comprenne qui pourra ces traductions du démotique (?).

[59] Maspero-Miller, in BCH., IX (1885), p. 141 = Strack, n° 94.

[60] Voyez ci-après ch. XXIV.

[61] Voyez le décret de Canope, lig. 29-27, 33-40.

[62] On a beaucoup disserté sur les motifs qui ont décidé Évergète à créer une cinquième classe de prêtres (W. Otto, op. cit., pp. 26-30). Je ne vois pas pourquoi l’adjonction du culte dynastique n’aurait pas été la raison principale. Le décret de Canope n’eu allègue pas d’autre : la cinquième tribu sera appelée tribu des dieux Évergètes, et son office est indiqué par le fait, mentionné deux lignes plus haut, que les honneurs rendus aux dieux dynastiques seront augmentés.

[63] C’est là qu’on trouve les plus singulières inversions, Philométor entre Ptolémée Soter et Philadelphe, Eupator avant Épiphane, etc.

[64] Pap. dem. Berl. ap. Révillout, N. Chrest. dém., p. 78. Spiegelberg, p. 8. Les prédicats sont traduits — non transcrits — en démotique. Même formule, avec adjonction des couples subséquents, dans d’autres papyrus du temps d’Évergète II et de Ptolémée Alexandre (Révillout, op. cit., pp. 86, 102, 107. Spiegelberg, op. cit., pp. 14, 16). La mention de la cinquième classe, plus précise ici que la formule ordinaire au nom des cinq classes de prêtres, me parait bien indiquer que le culte dynastique est confié spécialement à cette classe, de création ptolémaïque. L’ancien titre de scribe des quatre classes (de Ptah, d’Horus, d’Imhotep) paraît s’être conservé à Memphis jusqu’au temps des derniers Lagides (Spiegelberg, Demot. Inschr., pp. 32, 38).

[65] Strack, n. 95. 140 = Dittenberger, OGIS., n. 111. 168 (règnes de Philométor et de Ptolémée X Soter II). Les prêtres de Mont à Hermonthis sont aussi prêtres d’Arsinoé, des dieux Adelphes, etc. (Pap. Grenf., I, p. 24).

[66] Les textes dans K. Sethe, Hieroglyphische Urkunden der griech.-rem. Zeit. I (Leipzig, 1904), n. 15-17.

[67] Voyez ci-après, ch. XXII, les sociétés de βασιλισταί, φιλοβασιλισταί, etc.

[68] Inscr. Rosette, lig. 52.

[69] Pap. Par., I, n. 21. III, n. 1, Col. 2 ; an. 237 a. C. Cf. la traduction du testament dans Révillout, Mélanges, p. 424. Précis, p. 786, 1.

[70] Fayûm Towns, pp. 48-50. L’inscription, datée de l’an XIII, parait être du temps de Ptolémée Aulète, et elle est contresignée Πτολεμαΐος Διδύμου κοινός γραμματεύς, secrétaire d’une corporation ou de la communauté des prêtres du temple.

[71] Voyez ci-après, au chapitre de L’Armée, la question des σταθμοι, prestation dont pouvaient être exemptées les maisons pourvues d’autels, sans doute de βωμοί dynastiques.

[72] D’après Willamowitz, Dittenberger, Wilcken (in Archiv f. Ppf., III, pp. 318-319), Arsinoé II aurait pris le prédicat de Φιλάδελφος lors de son mariage, et toutes les inscriptions qui ne portent pas θεάς Φιλαδέλφου seraient des remerciements adressés à la reine vivante pour les cadeaux faits par le couple royal aux insulaires. Je reste persuadé que la Φιλάδελφος est toujours la défunte déifiée, et que le prédicat indique à lui seul sa qualité divine.

[73] Le vice-roi, d’abord simplement στρατηγός, devient άρχιερεύς à partir d’Épiphane (Strack, n. 78. Dittenberger, OGIS., n. 93), et ναύαρχος à partir d’Évergète II (cf. Dittenberger, OGIS., I, p. 134).

[74] Strack, n. 117. 124. 125. 127. 161.

[75] Strack, n. 118.

[76] Strack, n. 84. 123.

[77] Strack, n. 78. D’après le n. 112 (restitué), un ίερεύς τής νήσου serait le fils du stratège et navarque.

[78] Strack, n. 136. Dittenberger, OGIS., n. 172.

[79] CIG., 2621. Strack, n. 122. Dittenberger, OGIS., n. 134.

[80] Voyez ci-après (ch. XXII, § 3) les κοινά militaires que nous connaissons par ces inscriptions.