HISTOIRE DES LAGIDES

TOME DEUXIÈME. — DÉCADENCE ET FIN DE LA DYNASTIE (181-30 avant J.-C.)

 

CHAPITRE XI. — PTOLÉMÉE VII ÉVERGÈTE II (145-116) PTOLÉMÉE VIII EUPATOR († 145) PTOLÉMÉE IX NÉOS PHILOPATOR († 130).

 

 

Le dernier acte du règne de Philométor avait été l’acquisition de la Cœlé-Syrie. La première conséquence de sa mort fut que Démétrios II — maintenant paré du titre de Nicator — considéra comme non avenue la convention particulière passée entre lui et son beau-père. Il chercha même à mettre la main sur les troupes et le matériel de l’armée égyptienne, dont les éléphants, tout au moins, restèrent en sa possession[1]. Peut-être, cependant, attendit-il, pour se livrer à ces manœuvres déloyales, que les événements d’Alexandrie lui en eussent fourni le prétexte.

Ces événements sont pour nous assez obscurs, et ils l’étaient sans doute déjà pour les médiocres compilateurs qui, n’ayant plus Polybe pour les guider, ont rempli avec des légendes ou des phrases de rhéteur les lacunes de leur savoir. Un historien n’est pas peu embarrassé quand, à certains tournants de la route, il n’aperçoit d’autres jalons que des textes de Josèphe ou de Justin, ou une absence complète de témoignages. Pour ne pas encombrer le récit de discussions inutiles, nous supposerons résolue une question qui divise encore les érudits, et nous considérons comme le successeur immédiat de Philométor au trône d’Alexandrie son fils Ptolémée VIII Eupator, déjà installé à Cypre comme vice-roi ou co-régent du vivant de son père[2].

En apprenant la mort de son époux, la reine mère Cléopâtre II chercha à assurer le trône à ses enfants, c’est-à-dire à son fils Eupator et, par le moyen du mariage dynastique, à sa dernière fille Cléopâtre (III). Il n’y avait pour cela qu’à maintenir le régime en vigueur, la séparation effective entre l’Égypte et la Cyrénaïque. Elle devait s’attendre à quelque tentative nouvelle de l’insatiable Évergète, et l’éloignement de l’armée de Syrie — dont on n’entend plus parler — la laissait sans défense autre que le bon vouloir des Alexandrins. Mais les Alexandrins, à force d’intervenir dans les révolutions de palais, avaient pris l’habitude de considérer la royauté comme une sorte de magistrature dont on ne devait plus disposer sans leur approbation. Bien que les plus intelligents d’entre eux n’eussent aucune envie d’avoir le Kakergète pour maître, ils paraissent avoir suscité à Cléopâtre des tracasseries qui finirent par une rupture ouverte. Le bas peuple oubliait qu’Évergète s’était montré à la fois d’humeur despotique envers ses sujets et servile envers les Romains. Il se souvenait seulement qu’Évergète avait été intronisé jadis par une révolution patriotique, et la réintégration de son ancien favori lui paraissait une occasion de faire prévaloir une fois de plus sa volonté sur les scrupules ou les calculs des légitimistes. Peut-être avait-il suffi, pour rendre la reine impopulaire, qu’elle se fût trop ouvertement appuyée sur le parti juif, représenté à la cour par deux soi-disant chefs supérieurs de la milice, Onias et Dosithée[3]. D’après Josèphe, il y eut un commencement de guerre civile, et ce furent ces généraux juifs qui ménagèrent un accommodement au moment où les hostilités tournaient mal pour les rebelles. C’est encore Onias qui, informé de l’approche de Physcon, — Josèphe ne donne jamais d’autre nom à Évergète II, — parti de Cyrène pour détrôner Cléopâtre et ses enfants, fait entrer à Alexandrie une petite armée et engage la lutte contre l’usurpateur. Justin, d’autre part, rapporte qu’une députation alexandrine alla à Cyrène pour offrir le trône et la main de Cléopâtre à Évergète, lequel entra ainsi sans lutte (sine certamine) en possession de l’héritage de son frère[4]. En supposant une part de vérité dans chacun de ces récits en apparence contradictoires, on voit qu’il est aisé de les concilier. Justin dit que le fils de Philométor avait été porté au pouvoir et par sa mère Cléopâtre et par la faveur des grands, c’est-à-dire par l’aristocratie macédonienne. Josèphe, toujours préoccupé de faire valoir ses coreligionnaires, attribue la direction du parti aux Juifs, qui, en effet, avaient toujours été les champions de la légitimité et avaient eu fort à se louer de Philométor et de la reine. Ce n’est que l’exagération d’un fait réel. Évergète, par contre, était le candidat du parti populaire, qui, en haine de l’aristocratie et des Juifs, et aussi par patriotisme, pour restaurer l’unité de la monarchie, se hâta d’appeler à Alexandrie le roi de Cyrène. La combinaison ne devait pas nécessairement aboutir à l’expropriation du jeune Ptolémée Eupator, lequel aurait pu être l’associé ou tout au moins l’héritier présomptif de son oncle. Le mariage d’Évergète avec la veuve de Philométor sauvegarderait les droits de la reine mère et de son fils. De pareils expédients avaient réussi en Macédoine et ailleurs[5]. Qu’il y ait eu un commencement de conflit entre les deux partis, rien de plus vraisemblable ; on comprend aussi qu’il ait été vite apaisé par l’approche d’Évergète, et même, avant son arrivée, par une intervention officieuse des Romains.

En effet, au moment où Onias, d’après le récit de Josèphe, se préparait à la résistance avec sa petite armée, le légat romain L. Minucius Thermus, le protecteur obstiné d’Évergète, se trouvait à Alexandrie, où il n’était certainement pas venu par hasard. Les Romains, maintenant débarrassés par des exécutions militaires de tout souci du côté de Carthage et des Achéens, s’occupaient de nouveau des affaires d’Égypte. Leur intérêt eût été, ce semble, de perpétuer la séparation entre l’Égypte et la Cyrénaïque ; mais Évergète avait à Rome des partisans décidés, qui pouvaient faire valoir contre le fils de Philométor le souvenir de la désobéissance prolongée et impunie de son père. Ils ne voyaient plus d’inconvénient à rétablir l’unité de la monarchie en faveur d’un homme qui leur avait toujours servi d’instrument et qui, abhorré de ses sujets, ne pourrait se maintenir sans leur appui. Au surplus, il était facile de sauver les apparences en prétendant ne faire que réconcilier les factions adverses. Évergète promit sans doute d’être pour son jeune neveu un tuteur affectueux et désintéressé. Il put se montrer d’autant plus facile aux concessions qu’il était bien décidé à ne tenir aucun compte de ses engagements.

Évergète rentra donc, roulant de sinistres projets, dans cette capitale qui l’avait expulsé jadis et où, cette fois, la partie la plus intelligente de la population ne le voyait pas revenir sans regret et sans inquiétude. Il avait la prétention non pas de succéder à son frère, mais de reprendre, en l’an XXV de son règne, le plein exercice de la souveraineté à lui conférée en 170 par l’acclamation populaire. D’après Justin, il commença par mettre à mort les partisans de son neveu. Il n’est pas probable qu’il se soit attaqué tout d’abord ouvertement à l’aristocratie légitimiste : sa colère dut tomber de préférence sur les Juifs, qu’il pouvait massacrer sans risquer de déplaire au peuple[6]. Les exécutions, exils, confiscations, enfin, le carnage dans les rues et la ville dépeuplée par les excès de la soldatesque, toutes ces violences dont les auteurs font un effroyable tableau[7], doivent être réparties au cours d’un règne qui fut long et fécond en péripéties tragiques. Il y eut une série de révoltes, suivies de répressions de plus en plus sanglantes, jusqu’au jour où le despote put régner en paix sur la ville expurgée de la partie hellénique de sa population. Nous verrons que, ses crimes engendrant la haine et celle-ci éclatant de temps à autre en émeutes, les occasions d’appliquer son système de saignées périodiques ne lui manquèrent pas. Pour le moment, il dut se contenter de traquer, sous divers prétextes, ceux qui avaient été les hommes de confiance de Philométor. C’est ainsi que l’Athamane Galæstès, revenu de Syrie sans armée, fut accusé d’avoir tout livré volontairement aux ennemis et, destitué par le nouveau roi, se réfugia en Grèce, où quantité de proscrits allèrent le rejoindre[8].

 

§ I. — RIVALITÉ D’ÉVERGÈTE II ET DE CLÉOPÂTRE II.

On vit bientôt de quoi Évergète était capable. Justin assure que, le jour même de ses noces avec la reine mère, il égorgea son neveu (Eupator) dans les bras de Cléopâtre, et que celle-ci dut recevoir dans son lit l’assassin couvert du sang de son fils[9]. Justin reproduit ici l’horrible scène qui avait ensanglanté jadis les noces de Ptolémée Kéraunos et d’Arsinoé (Philadelphe), et sa rhétorique inspire une invincible défiance. Au moins, Arsinoé avait repoussé avec horreur l’assassin de ses enfants et fui à Samothrace : la résignation passive de Cléopâtre inspirerait encore plus de dégoût que de pitié. Ce que nous pouvons considérer comme certain, c’est que le mariage eut lieu[10] ; ce qui est vraisemblable, c’est que la mort du fils et héritier de Philométor suivit de près, dans des circonstances qui probablement restèrent assez mystérieuses pour laisser planer un doute sur la cause ou sur l’auteur responsable de cette fin soudaine[11]. Plus tard, les autres crimes d’Évergète levèrent ce doute : l’opinion prétendit savoir ce qui s’était passé derrière les murs du palais, et elle en fit le prologue d’une tragédie où l’horreur va croissant. La conduite ultérieure de Cléopâtre II ne permet pas de croire qu’elle se soit abandonnée, comme une victime inerte et terrifiée, aux bras de l’homme de proie. Elle consentit au mariage, parce qu’elle voulait régner, mais non pas à être l’épouse de l’assassin avéré de son fils.

Lorsque Évergète crut avoir suffisamment puni et pacifié Alexandrie, c’est-à-dire au cours de l’année suivante (144), il alla se faire sacrer à Memphis, suivant le rite égyptien. Un fils qui lui naquit au milieu des solennités du couronnement reçut, en souvenir de cette coïncidence, le surnom de Memphitès. La naissance de cet enfant, une future victime de son père, fut fêtée par des réjouissances qui donnèrent lieu à de nouvelles exécutions. Des Cyrénéens de l’entourage du roi, de ceux qui l’avaient ramené en Égypte et qui s’imaginaient sans doute avoir acquis par leurs services le droit d’être sincères, ayant osé trouver inconvenantes en la circonstance la présence ou les allures de la concubine royale, Irène, furent aussitôt mis à mort[12]. En revanche, Ptolémée édicta, comme don de joyeux avènement, des mesures humanitaires (φιλάνθρωπα), destinées à rassurer les propriétaires menacés de revendications comme il s’en produisait au sortir des époques troublées[13].

Si Cléopâtre avait cru acheter, au prix de tant de dégoûts surmontés, la possession assurée de sa part de royauté, elle fut bientôt désabusée. Physcon, de son côté, s’était assez contraint ; il voulait maintenant vivre à sa guise et faire sentir qu’il était le maître. On eût dit qu’il cherchait le scandale et se délectait à braver l’opinion. Époux de sa sœur et belle-sœur, l’inceste accepté par la coutume ne lui suffit pas : il fit violence à sa nièce Cléopâtre (III), et enfin répudia la mère pour épouser la fille (143 ?)[14]. Il touchait là, avec son imprudence et impudence ordinaire, à un des rares liens qui pouvaient encore retenir autour de lui quelques sympathies. Cléopâtre (II) avait jadis fait de son mieux pour apaiser les querelles entre ses deux frères ; depuis, le peuple la plaignait sans doute comme la plus noble victime de Physcon, et la compassion qu’elle inspirait lui avait refait une popularité. En la répudiant, Évergète fournissait lui-même à la prochaine émeute un mot d’ordre, une cause à défendre et le moyen de légitimer sa victoire. Cependant, Évergète ne pouvait, voulu, enlever à sa sœur son titre de reine, ni même la préséance de la mère sur la fille. Alors commence ce singulier régime d’une royauté à trois ; non plus deux rois et une reine, comme au temps des trois Philométors, mais un roi et deux reines, l’une reine-sœur, l’autre reine-épouse, et tous trois dieux Évergètes. Il était à prévoir que l’ambition, mélangée de jalousie, ferait naître entre les deux reines une rivalité dont le despote profiterait pour opposer l’une à l’autre les coteries attachées à leur fortune et favoriser l’une ou l’autre suivant les combinaisons variables de sa politique.

Cette espèce de coup d’État domestique ne put que raviver l’antipathie qu’inspirait le « Physcon » à la population alexandrine, et, par contrecoup, les espérances des émigrés qui avaient échappé par la fuite à ses vengeances. Ceux-ci se groupaient autour d’un ancien général et ami de Philométor, l’Athamane Galæstès, qui, dépouillé de ses honneurs et malmené par Physcon, s’était réfugié en Grèce. Ce Galæstès répandit le bruit que Philométor avait confié à sa garde un dernier rejeton, fils légitime du roi et de la reine Cléopâtre. Il garantissait la filiation de ce prétendant et s’apprêtait à le ramener en Égypte, après lui avoir fait prendre le diadème (144)[15]. Détesté de tous, Physcon était à la discrétion de ses mercenaires, qui, se sentant les seuls appuis du trône, en devinrent d’autant plus insolents. Un jour que le Trésor royal ne put fournir l’argent nécessaire à la solde des troupes, celles-ci firent entendre des protestations et des menaces. Les soldats parlaient d’aller rejoindre Galæstès. Il fallut que le stratège Hiérax avançât la somme nécessaire et empêchât ainsi une révolution[16].

Cependant, ce trône branlant, que le moindre incident pouvait abattre, resta encore longtemps debout. On n’entend plus parler de Galæstès, ni de son prétendant. Il est probable que tous ces émigrés manquaient d’argent, et qu’ils ne trouvèrent pas de crédit auprès des entrepreneurs de guerres civiles. Quelques années s’écoulent durant lesquelles aucun texte ne mentionne un incident quelconque. L’attention des auteurs se reporte sur les événements de Syrie, qui faisaient à la reine Cléopâtre (Théa), la fille aînée de Philométor, une existence plus agitée encore que celle de sa sœur. Le second mari de Cléopâtre Théa, Démétrios II Nicator (Théos Philadelphos), avait passé les six années qui suivirent sa victoire (146-140) à lutter contre ses sujets, auxquels il appliquait brutalement le droit de conquête, et contre les révoltes que provoquait sa tyrannie. Un certain Diodote, surnommé Tryphon, avait ramené de chez les Nabatéens le fils d’Alexandre Bala et de Cléopâtre (Théa) et l’avait proclamé roi (en 146 ?) sous le nom d’Antiochos VI Épiphane Dionysos. La Syrie avait été depuis lors partagée en deux camps, Tryphon et son protégé étant installés à Antioche et soutenus en Palestine par les princes juifs, Démétrios II tenant le reste du pays et Séleucie sur l’Oronte, devenue provisoirement sa capitale. Tryphon n’avait pas tardé à se débarrasser d’Antiochos VI (143/2), pour régner à sa place[17]. Démétrios, comprenant qu’à la faveur de ces troubles ses provinces d’Orient allaient tomber aux mains des Parthes, avait entrepris contre ces envahisseurs une expédition d’où il comptait bien revenir victorieux et en mesure d’abattre l’usurpateur. Il y trouva la défaite et la captivité, une captivité consolée par l’amour de Rodogune, la fille de son vainqueur Mithradate Ier (138-130). Pendant qu’il se berçait de l’espoir d’être réintégré avec l’appui des Parthes et essayait de temps à autre de s’échapper, son frère, Antiochos de Sidé (Antiochos VII Sidétès) continuait la lutte contre Tryphon. Cléopâtre Théa, enfermée avec ses enfants dans Séleucie, lui offrit sa main et la couronne quand elle apprit que son mari avait épousé Rodogune. Antiochos VII prit donc la place de son frère, comme roi et comme époux, mais en substitut loyal, se considérant comme le gardien de tout ce qu’il restituerait un jour au légitime possesseur (139/8). Il eut bientôt raison de Tryphon, qui, impopulaire à Antioche, brouillé avec les Juifs et rebuté, en dépit de ses avances, par le Sénat romain, se perdit par ses propres imprudences. Tryphon fut pris et mis à mort, quatre ans après son usurpation (138). Mais, quelque désir qu’il en eût, Antiochos ne put encore partir en guerre contre les Parthes pour délivrer son frère. Il lui fallut surveiller et enfin combattre les Juifs, qui, en dépit de leurs discordes intestines, profitaient de celles du dehors pour consolider leur autonomie et prenaient l’habitude d’en appeler à tout propos au Sénat de Rome.

Le Sénat, assiégé de récriminations et de nouvelles contradictoires, éprouva le besoin d’être un peu mieux renseigné sur les affaires d’Orient. Ce fut l’objet d’une mission qu’il confia vers cette époque (136-135) au vainqueur de Carthage, Scipion Émilien, second Africain, accompagné de Sp. Mummius, frère de L. Mummius l’Achaïque, et du consulaire L. Metellus, frère de Q. Metellus le Macédonique, tous personnages de premier rang. Ils étaient chargés d’inspecter les royaumes des alliés[18]. Les délégués romains commencèrent leur tournée par l’Égypte.

Les collecteurs d’anecdotes[19] n’ont pas manqué de mettre en relief le contraste saisissant que dut offrir la rencontre de ces deux personnages, deux antithèses vivantes, Scipion et Ptolémée. D’un côté, le héros républicain, simple et grave, accompagné de son ami le philosophe Panétios et de quelques domestiques dressés aux bonnes manières par leur maître lui-même[20] ; de l’autre, un être à face ignoble, alourdi par la paresse et l’orgie, traînant sur des jambes vacillantes le ventre boursouflé qui lui valut le surnom de Physcon. Dès que le navire aborde, Scipion s’avance la tête couverte de son manteau pour se dérober à la curiosité de la foule ; puis, cédant aux instances de tout un peuple accouru pour le contempler, il découvre son visage et poursuit sa marche au milieu d’acclamations reconnaissantes. Évergète, de son côté, se hâte d’aller au devant de ses hôtes, et les Alexandrins s’égayent de le voir, vêtu d’une robe légère et presque transparente, suant et soufflant, s’efforcer de suivre les ambassadeurs, qui se font un malin plaisir de le traîner à la remorque par les rues de la ville. Scipion, se penchant vers Panétios, lui dit à l’oreille : Les Alexandrins profitent déjà de notre voyage ; c’est grâce à nous qu’ils ont vu leur roi se promener.

Ptolémée reçut les envoyés romains avec toute la pompe imaginable. Il leur fit servir de magnifiques festins, et, en les promenant dans le palais, leur montra les autres richesses du Trésor royal. Mais les ambassadeurs romains, distingués par leur vertu, ne touchèrent qu’à un petit nombre de mets favorables à la santé, et dédaignèrent le luxe coûteux, comme corrompant l’âme et le corps. Les richesses qu’admirait et étalait le roi, ils n’en firent aucun cas et les regardèrent à peine en passant ; mais ils firent grande attention à ce qui en valait vraiment la peine, examinant de près la situation de la ville, l’importance et les particularités du Phare. Remontant ensuite le Nil jusqu’à Memphis, ils apprécièrent la fécondité du sol, l’utilité des inondations du Nil, la quantité des villes d’Égypte, les innombrables myriades d’habitants, la forte position de l’Égypte et l’ensemble des conditions excellentes d’un pays fait pour assurer la sécurité et la grandeur d’un empire. Après avoir vu avec surprise la multitude des habitants de l’Égypte et la configuration des lieux, ils en conclurent que le pays pouvait devenir une très grande puissance, si ce royaume avait des maîtres dignes de lui. Leur inspection étant terminée en Égypte, les ambassadeurs partirent pour Cypre et se rendirent de là en Syrie[21].

Il faut laisser aux rhéteurs le soin de célébrer la vertu de gens qui se contentent de manger à leur faim et passent sans être fascinés devant des coffres remplis d’or. On peut être assuré que ces discrets personnages prirent bonne note de ce qu’ils avaient vu, et que leur attention, pour n’être pas de la convoitise personnelle, n’était aucunement désintéressée. Ils emportèrent la conviction qu’un pays si riche ne devait plus échapper au protectorat romain. Quant aux bons conseils qu’ils purent donner à Ptolémée, on n’en vit guère l’effet par la suite. Le roi continua à vivre au milieu de ses compagnons de plaisir et de ses soudards, d’autant plus détesté des Alexandrins qu’il était peut-être populaire dans le reste de l’Égypte, où le clergé lui savait gré de son zèle pour la construction des temples, et le peuple de l’adoucissement des corvées[22]. La visite des ambassadeurs romains n’avait pu qu’ajouter à l’irritation d’une cité orgueilleuse, qui sentait son tyran soutenu par l’étranger. La vieille Cléopâtre Philométor, à n’en pas douter, attisait le feu qui couvait sous la cendre. Elle avait des rancunes à satisfaire et des injures à venger.

Le soulèvement si longtemps attendu éclata enfin (131/0). Autant qu’on en peut juger par la chronologie incertaine de ces tristes événements[23], Physcon voulut étouffer les premiers symptômes de la rébellion en frappant de terreur la population alexandrine. On rapporte qu’un certain jour, il fit entourer un gymnase rempli de jeunes gens par ses sbires, qui y mirent le feu et massacrèrent ceux qui s’échappaient de la fournaise[24]. Cette fois, la mesure était comble. Le peuple exaspéré voulut à son tour briller le monstre dans son repaire et mit le feu au palais ; mais Physcon n’avait pas attendu l’heure du châtiment. Il s’était évadé secrètement avec sa nouvelle épouse, les enfants de celle-ci, et un fils qu’il avait eu de la première, le jeune Memphitès, destiné à lui servir d’otage[25]. On apprit bientôt qu’il était à Cypre et qu’il y rassemblait une armée de mercenaires pour rentrer de vive force à Alexandrie. Le peuple alexandrin, soulevé contre Physcon, mais non contre la dynastie, dut proclamer la déchéance du fugitif et reconnaître Cléopâtre II pour souveraine, puis, pour se mettre en règle avec la coutume, lui chercher dans la famille royale un assesseur qui pût être, en réalité ou par fiction légale, son époux. Or il n’y avait plus — Physcon et les fils de Cléopâtre III étant disqualifiés — qu’un seul représentant mâle de la dynastie apte à jouer ce rôle : c’était l’aîné des fils que Physcon avait eus de son union libre avec Irène, celui auquel il avait probablement confié le gouvernement de la Cyrénaïque[26]. C’était un bâtard, sans doute ; mais les Alexandrins n’avaient pas le choix, et, s’ils voulaient constituer un couple royal, ils durent songer à cette combinaison. En tout cas, Physcon y songea pour eux et déjoua par un nouveau crime le plan qu’il supposait formé contre lui. Il manda à son fils de venir le rejoindre et le fit mettre à mort. A cette nouvelle, le peuple brisa les statues et images de Physcon. L’immonde personnage tira, dit-on, de cette insulte, dont il rendait Cléopâtre responsable, une vengeance raffinée, telle que pouvait la concevoir un bel esprit curieux d’imiter les tueries mythologiques et de mettre en action les légendes des Tantalides, de Médée, ou la passion d’Osiris. Il fit tuer sous ses yeux le jeune Memphitès, son fils et le fils de Cléopâtre ; puis le cadavre, coupé en morceaux, fut enfermé dans un coffre qui, expédié à Alexandrie, fut offert à la reine comme cadeau pour son jour de naissance[27]. Le plaisir de Physcon eût été évidemment plus complet s’il avait pu servir à sa sœur, comme au festin d’Atrée, la chair de leur fils[28] ; mais il était impossible d’ajouter à l’indignation et à la consternation des Alexandrins. Quelle allait être l’issue du duel engagé entre la capitale, réduite par l’indifférence du reste de l’Égypte à ses seules forces, et le tyran furieux qui rassemblait à Cypre une flotte et une armée ?

C’est précisément au moment où le drame va tourner aux péripéties violentes que les textes nous abandonnent. Faut-il reconnaître Évergète Physcon dans ce Ptolémée l’aîné ou le vieux, qui, d’après un fragment de Diodore, envoie le général Hégélochos contre les Alexandrins commandés par Marsyas, et qui, après la défaite totale des Alexandrins, fait preuve envers Marsyas d’une clémence inattendue ? Il commençait enfin, dit l’historien, à changer de dispositions et cherchait, en se montrant humain, à apaiser l’exaspération des masses contre lui[29]. Cet Hégélochos ne serait-il pas le haut fonctionnaire appelé Lochos, fils de Callimède, auquel les commerçants romains, protégés par lui lors de la prise d’Alexandrie par le roi Ptolémée dieu Évergète, ont élevé une statue à Délos[30] ? On retrouve ce Lochos devenu stratège de la Thébaïde, paré des titres de συγγενής et même frère (άδελφός) des (trois) souverains[31].

Ce qui parait résulter d’indices recueillis çà et là, c’est que Cléopâtre II, seule reine sous le nom de Cléopâtre Philométor Soteira[32], ne gagna à sa cause, en dehors d’Alexandrie, qu’une très faible partie de l’Égypte. Elle fut reconnue par la ville de Thèbes, à la suite de quelque révolution de citadins, à l’instar d’Alexandrie ; mais ce mouvement, provoqué sans doute par l’absence de la garnison occupée à réprimer une insurrection des fellahs d’Hermonthis, de l’autre côté du fleuve, fut bientôt étouffé par l’armée, restée fidèle à Évergète. Nous possédons une lettre, datée du 23 Choiak de l’an XL (14 janv. 130), écrite par un soldat, Esthaldas, qui va partir en détachement d’avant-garde pour Hermonthis. Il a entendu dire que le stratège de la Thébaïde, Paos, y conduira le mois prochain (Tybi) des forces suffisantes pour écraser les gens d’Hermonthis et les traiter en rebelles[33]. Vers le mois d’octobre 130, Thèbes avait fait défection ; mais la garnison de Koptos, et sans doute la majeure partie des troupes dont disposait le gouverneur Paos tenaient toujours pour Évergète, sa femme et ses enfants[34]. Nous ignorons pendant combien de temps Thèbes put prolonger sa résistance. La révolte d’Hermonthis prit fin au plus tard au printemps de 129, mais il n’est pas probable que celle de Thèbes fut abattue du même coup[35]. Le règne de Cléopâtre II commença et finit à Alexandrie, qui parait avoir fait sa soumission définitive au cours de l’année 129.

On a vu plus haut que, d’après Diodore, Évergète II, rentré en possession de sa capitale, montra une modération qu’on n’eût pas attendue de lui. Personne évidemment ne crut dès l’abord à la sincérité de cette conversion, et, en tout cas, Cléopâtre II avait des raisons toutes particulières de ne pas compter sur la clémence du vainqueur. Elle s’enfuit auprès de son gendre Démétrios II, roi de Syrie, avec l’argent du Trésor qu’elle avait eu soin de faire porter sur ses navires. Elle espérait trouver à la cour d’Antioche un asile sûr, et peut-être le secours qu’elle avait vainement demandé l’année précédente[36].

 

§ II. — ÉVERGÉTE II ET CLÉOPÂTRE III.

Démétrios II, relâché par les Parthes au moment où son frère Antiochos VII Sidétès faisait campagne pour le délivrer (129), venait de rentrer dans son royaume et s’y trouvait dans une situation singulière. Phraate II avait compté sur les troubles que susciterait la compétition des deux frères, alors qu’il n’y avait qu’un trône et qu’une femme pour les deux. Antiochos VII, aussi aimé du peuple que son frère était détesté, n’aurait pu, l’eût-il voulu, abdiquer son rôle de suppléant. La mort d’Antiochos VII, tombé sous les coups des Parthes, simplifia le problème, mais ne rendit pas Démétrios II plus populaire. Plus méprisé de ses sujets qu’avant sa captivité, odieux à son ancienne épouse qu’il voulait reprendre et qui ne voyait plus en lui que le mari de Rodogune, toujours arrogant et portant maintenant la barbe à l’orientale, comme un renégat de l’hellénisme[37], Démétrios ne régnait guère que sur son palais, d’où la guerre civile pouvait le chasser d’un moment à l’autre. Cette guerre, Cléopâtre Théa la préparait elle-même, en abritant en lieu sûr, à Cyzique, le dernier des fils qu’elle avait eus d’Antiochos VII, le futur Antiochos IX dit de Cyzique. C’était, si l’aîné, Séleucos, devait rester captif avec sa sœur Laodice chez les Parthes, un prétendant tout désigné aux partisans de son père[38].

L’arrivée de la reine d’Égypte dut opérer dans ce milieu troublé une diversion favorable. On peut croire qu’elle fit de son mieux pour préparer entre sa fille et son gendre une réconciliation utile à ses desseins. Pour Démétrios, une guerre avec l’Égypte pouvait être le salut. Les soldats qu’il n’osait pas mener contre Jean Hyrcan dans la Palestine et l’Idumée, de peur d’être trahi par eux, le suivraient peut-être quand il leur montrerait l’Égypte à conquérir et à piller. Il parait qu’il réussit, en effet, à conduire une armée jusqu’à Péluse. Là, s’étant heurtés à quelque résistance, ses soldats, qu’il avait dû bercer d’illusions extravagantes, refusèrent de lui obéir[39]. Il lui fallut revenir sur ses pas. Pendant ce temps, Antioche s’était révoltée, Apamée avait suivi son exemple, puis de proche en proche les autres cités[40], et les rebelles étaient entrés en relations avec Évergète II, le priant de leur envoyer un roi de son choix, pourvu qu’il fût de la race des Séleucides[41].

Ce fut sans doute une douce surprise pour Physcon que de constater qu’il y avait au monde un roi plus impopulaire que lui et de voir l’orage déchaîné contre lui fondre sur la tête de ses adversaires. N’ayant pas sous la main de Séleucide authentique, Physcon envoya en Syrie un prétendant de son invention, un jeune Égyptien, fils du négociant Protarchos, qui, suivant Justin[42], fut donné pour un fils adoptif d’Antiochos VII, et, suivant une tradition plus vraisemblable[43], passa pour un fils d’Alexandre Bala. En tout cas, Ptolémée donna à son protégé le nom d’Alexandre, qui rappelait le souvenir d’Alexandre Bala, présenté jadis dans des conditions analogues par Ptolémée Philométor, et le fit escorter par des forces imposantes. Le prétendant, sans doute amené par mer, fut acclamé à Antioche et fit aussitôt frapper la monnaie à son effigie (128)[44]. Cependant, il lui fallut encore trois ans de lutte pour abattre son rival. A la fin, Démétrios II, battu à Damas, abandonné par Cléopâtre Théa, qui ferma au fugitif les portes de Ptolémaïs, fut tué à Tyr, par ordre du gouverneur de la place, au moment où il y débarquait avec l’intention de se réfugier dans le temple de Melqart (125)[45]. Alexandre II, surnommé Zabinas ou l’esclave acheté au marché par son patron, était définitivement roi de Syrie. Il ne lui restait plus qu’à soumettre la Phénicie, où Cléopâtre Théa continuait à régner au nom de la dynastie légitime.

Mais il était dit qu’ Évergète suivrait, plus loin qu’il n’eût souhaité, l’exemple de son frère Philométor. Alexandre Zabinas, comme Alexandre Bala, se lassa bien vite de n’être que le protégé du roi d’Égypte. Peut-être Physcon, imitateur jusqu’au bout, avait-il essayé de se rémunérer de ses services en se faisant céder la Cœlé-Syrie, auquel cas l’orgueilleuse insolence reprochée par Justin à Alexandre II eût été simplement une nécessité politique et un honorable scrupule. On vit alors Ptolémée utiliser ses mécomptes pour se rapprocher des siens. Il fit sa paix avec sa sœur Cléopâtre II, qui vint reprendre sa place à Alexandrie, comme reine-sœur, à côté de la reine-épouse (124)[46].

Cette réconciliation officielle fut la cause ou l’effet d’un revirement dans la politique égyptienne. Ptolémée offrit alors à sa nièce Cléopâtre Théa de la remettre en possession du trône de Syrie en renversant Alexandre Zabinas. Cléopâtre Théa n’était plus l’être résigné et passif qui passait de main en main avec le sceptre ; l’aigreur amassée au cours de sa triste existence s’était tournée en ambition. Lasse de toujours obéir, elle voulait maintenant commander. Elle avait trahi et laissé assassiner son mari Démétrios II[47] ; depuis, elle avait fait périr son fils aîné, Séleucos V, qui avait pris sans sa permission le titre de roi (125), pour donner le diadème à son second fils, fils lui aussi de Démétrios II, Antiochos VIII surnommé Grypos (Nez-crochu), qui promettait d’être plus docile et de la laisser régner à sa place[48] De pareils crimes n’étaient pas pour lui aliéner les sympathies de Physcon. Le roi d’Égypte, une fois le pacte conclu, fit honneur à sa parole. Non seulement il mit une armée à la disposition d’Antiochos VIII, mais il lui donna sa fille (Cléopâtre) Tryphæna[49], pour montrer aux populations qu’il était bien décidé à ne pas abandonner son candidat. En effet, quand les Syriens virent toutes les chances tourner du côté d’Antiochos Grypos, ils se hâtèrent de déserter la cause d’Alexandre Zabinas. Celui-ci, battu dans une première rencontre, voulut se défendre dans Antioche, et, pour subvenir aux frais de la guerre, porta la main sur les richesses des temples, le recours ordinaire des Séleucides en détresse. On cria au sacrilège. Alexandre, obligé de s’enfuir, tomba aux mains de maraudeurs qui le livrèrent à Grypos. Celui-ci termina d’un seul coup la guerre civile en mettant à mort son adversaire (123)[50].

A partir de ce moment, Évergète parait s’être désintéressé des affaires de Syrie. Il put suivre de loin, avec le flegme du connaisseur, les criminelles intrigues qui amenèrent enfin, sous forme de châtiment providentiel, la mort de Cléopâtre Théa (121). L’ambitieuse reine mère, après avoir sacrifié à sa passion dominante un mari et son fils aîné, voulut empoisonner aussi Antiochos Grypos, qui avait désappris l’obéissance. Prise sur le fait, elle fut contrainte de vider la coupe qu’elle avait préparée pour lui[51]. Pendant les sept années (123-116) qu’il vécut encore après son intervention en Syrie, le vieux Kakergète, maintenant apaisé, s’occupa de mettre ordre à ses affaires de famille. On rencontre dans les papyrus, nommé au rang des rois divinisés, un Ptolémée Néos Philopator[52], qu’on suppose avoir été vice-roi de Cypre durant trois ou quatre ans (à partir de 121/0) et qui disparaît ensuite, à peu près en même temps que la vieille reine Cléopâtre II. L’identité de ce mystérieux personnage, dont le nom, rien que le nom, traverse ainsi l’horizon à la façon d’un bolide aussitôt évanoui, est un problème désespéré entre tous.

La solution la plus séduisante au premier abord et qui fournit le canevas d’un petit roman invérifiable, mais complet en soi, est que ce Ptolémée était un fils de Cléopâtre II, issu, comme Memphitès, du mariage de la veuve de Philométor avec Évergète II, et que l’association au trône de ce dernier rejeton mâle de Cléopâtre II avait été une satisfaction donnée à sa mère, ou plutôt exigée par elle comme prix de la réconciliation opérée en 124. La vieille reine faisait ainsi prévaloir son droit et celui de sa postérité sur les prétentions de sa fille Cléopâtre III et des enfants de celle-ci. Mais Cléopâtre III, rivale de sa mère et décidée à tout pour écarter les obstacles qui dérangeaient ses calculs, aurait supprimé le malencontreux co-régent et sa mère. Un crime de plus ou de moins, dans la série des forfaits que les compétitions dynastiques accumulent, à l’époque, dans l’histoire des Lagides et des Séleucides, échappe aux objections d’ordre moral. Mais il est à peu près impossible de trouver place, dans le court laps de temps assigné plus haut à l’union conjugale de Cléopâtre II et d’Évergète II, pour une naissance consécutive à celle de Memphitès, et on ne croira pas aisément à une concurrence féconde prolongée par la suite entre la vieille reine, officiellement réduite à la qualité de reine-sœur, et la jeune reine, qualifiée reine-épouse. D’autre part, la vice-royauté exercée à Cypre en l’an L du règne (121/0 a. Chr.), même admise comme fait indubitable sur la foi d’une monnaie unique[53], n’est attribuée à Ptolémée Néos Philopator que par voie de conjecture. Cette fonction a pu être dévolue à un autre des fils d’Évergète, soit à un fils de Cléopâtre III, soit même à un bâtard du roi, par exemple, à cet Apion auquel son père, qui lui cherchait un apanage, finit par laisser la Cyrénaïque. Un texte de Pausanias[54] nous permet de choisir entre ces possibilités. Il nous apprend que Cléopâtre III, pleine d’aversion pour son fils aîné, l’avait fait envoyer à Cypre, dans une sorte d’exil, pour que le cadet fût à même de recueillir la succession de son père. C’est, à n’en pas douter, cette manœuvre, déguisée en mission honorifique, qui a fait de Ptolémée (Soter II) un vice-roi de Cypre. Nous n’avons donc nul besoin de supposer Ptolémée Néos Philopator vivant en 421, et nous pouvons conclure que l’apparition de son nom comme dieu dans le protocole est bien une satisfaction donnée à Cléopâtre II, mais une satisfaction de pure forme, un hommage posthume rendu à la mémoire de l’infortuné Memphitès, une rétractation et comme une négation officielle du crime commis sur sa personne[55].

Évergète II vieillissant nous apparaît sous un jour nouveau, comme un administrateur vigilant, qui accueille volontiers les doléances de ses sujets et les protège contre les exactions des fonctionnaires[56]. On s’étonne plus encore, après ce qui nous a été raconté de la dispersion des savants intimidés par ses violences, de découvrir en lui un lettré, l’élève d’Aristarque, ayant le goût des doctes discussions à propos d’une glose, d’un vers, d’une légende homérique[57]. Il prit au sérieux le titre de φιλόλογος, qui est, sans contredit, le plus honorable de ses surnoms[58]. Non seulement il s’occupa d’enrichir la Bibliothèque du Musée, qu’il protégea contre la concurrence en défendant, dit-on, l’exportation du papyrus[59] ; mais il y ajouta des ouvrages de son crû. Il rédigea en vingt-quatre livres des Mémoires encyclopédiques, dans lesquels il entassa pêle-mêle, avec quelques lambeaux de sa biographie et des anecdotes sur ses contemporains, tout ce qu’il savait d’histoire naturelle, de géographie et d’ethnographie[60]. On eût dit qu’il voulait remplacer à lui seul les savants qu’il avait fait fuir. De ces savants, il en restait encore, et qui n’avaient pas à se plaindre du monarque[61]. Au dire de Posidonios, dont Strabon reproduit le récit avec un certain air d’incrédulité, ce fut Évergète qui fit les frais d’une expédition envoyée pour explorer l’Inde et conduite par le géographe Eudoxe de Cyzique. Eudoxe comptait bien garder pour lui les profits, et il rapporta en effet un plein chargement de parfums et de pierres précieuses ; mais il se vit frustré dans ses espérances, car Évergète prit pour lui la cargaison entière[62].

Le roi eût été plus généreux peut-être s’il n’avait pas eu besoin de sommes énormes pour ses bâtiments. Par goût, et pour se maintenir en faveur auprès du clergé, il élevait de tous côtés ou achevait des temples, dont les ruines conservent encore aujourd’hui son nom et son image[63]. On a vu qu’il avait dédié le grand temple d’Horos à Edfou, en compagnie de sa jeune femme Cléopâtre III, en la XXVIIIe année de son règne (142 a. C.), 95 ans, dit l’inscription commémorative[64], après que le premier Évergète eut donné le coup de marteau à la première pierre. Les travaux continuèrent encore après la dédicace. Le grand vestibule aux dix-huit colonnes fut terminé en l’an XLVI (424 a. C.). Évergète s’acharnait à son œuvre de prédilection. A la fin de sa vie, en l’an LIV de ce roi, le 11 de Payni (28 juin 146), furent posées les fondations du grand mur de pourtour et des pylônes de l’entrée. Comme on était occupé à ces fondations, le roi mourut, et son fils aîné lui succéda au trône.

Évergète Il vécut ainsi, sans trouble et peut-être sans remords, jusqu’en 146 avant notre ère[65] Il mourut en cette année, à l’âge d’environ soixante-cinq ou six ans, après avoir régné, avec son frère ou seul, durant cinquante-quatre ans, léguant le souvenir de ses crimes impunis aux moralistes qui voudraient en tirer des arguments contre la Providence. Il n’est pas sûr que Cléopâtre II soit morte avant lui, comme l’admet implicitement Justin et comme on l’a cru depuis sur la foi d’un protocole du 22 mai 118, d’où son nom est absent[66]. Le dernier acte d’Évergète II fut un acte de complaisance pour l’ambitieuse Cléopâtre III, et en même temps une faute politique. Il laissait le trône à Cléopâtre et s’en remettait à elle du soin de choisir parmi ses deux fils celui qu’il lui plairait de s’associer[67]. C’était encore, au fond, une manière de faire son apologie à lui, qui avait été, durant vingt-cinq ans, en révolte contre le droit d’aînesse. D’après sa théorie, qu’il pouvait faire remonter à l’ancêtre Ptolémée Soter, la couronne devait être au plus digne, et Cléopâtre était chargée de décider si l’ordre de mérite suivait ou non l’ordre de naissance. C’était évidemment, quel que fût d’ailleurs le choix de Cléopâtre, préparer la guerre civile à brève échéance. On peut même dire que, par la relégation de l’aîné à Cypre, les hostilités étaient déjà commencées. Ptolémée était assez intelligent pour prévoir ce prochain avenir et assez égoïste pour s’en désintéresser.

Il fit pis encore. Par une clause de son testament qui allait à la fois contre la morale et l’intérêt évident de la monarchie, il légua son ancien royaume de Cyrénaïque à son bâtard Ptolémée Apion, probablement un fils de sa concubine Irène[68]. Était-ce comme apanage viager, ou comme propriété aliénable, nous n’avons sur ce point de droit que l’interprétation des juristes de Rome, qui adjugeront plus tard au peuple romain l’héritage de Ptolémée Apion (96)[69]. Le moment allait venir où les Romains, longtemps distraits par leurs discordes intestines, mais solidement établis en Asie comme héritiers des rois de Pergame, songeraient à achever la conquête de l’Orient. Évergète II, qu’ils avaient protégé longtemps et à qui ils avaient fait, par la suite, la grâce de le laisser tranquille, leur indiquait, pour ainsi dire, le morceau qu’ils pourraient détacher de la monarchie des Lagides sans faire crouler tout l’édifice.

Le règne de Ptolémée Évergète II termine l’histoire de l’Égypte indépendante et maîtresse de ses destinées. La suite n’est plus que l’agonie, prolongée durant près d’un siècle, d’une dynastie ruinée, comme celle des Séleucides, par la plaie incurable des compétitions dynastiques. Évergète II a été l’importateur de ce mal, devenu chronique après lui et, dans la mesure où il put disposer de l’avenir, par sa faute. La critique moderne, défiante à l’égard des exagérations familières aux rhéteurs antiques, peut alléger le fardeau de crimes et de malédictions dont ils l’ont chargé ; mais il lui est impossible d’effacer tous les traits de cette répugnante caricature. C’est, en tout cas, une figure énergique, celle d’un despote sans scrupules, mais non sans intelligence, qui semble avoir résumé en lui et emporté avec lui toute la virilité de la race. Après lui, il n’y a plus que les femmes qui veuillent et sachent régner.

 

 

 



[1] Joseph., A. Jud., XIII, 4, 9. D’après Josèphe, l’armée de Syrie, tracassée par Démétrios, se débande : les soldats φεύγουσιν αύτοΰ τήν πονηρίαν είς Άλεξάνδρειαν. C’est une explication bien commode. Il est probable que les mercenaires au service de l’Égypte passèrent sans difficulté au service de Démétrios.

[2] Données du problème : 1° Les auteurs connaissent un fils de Philométor assassiné par Évergète (ci-après). — 2° Ils ne le connaissent pas comme roi et ne lui donnent pas de nom : pour Strabon (XVII, p. 795), Évergète II est le successeur immédiat de Philométor avec le numéro VII ; de même pour Athénée (IV, p. 184 b. VI, p. 252 e. XII, p. 549 d), et pour Pausanias (I, 9, 1), qui donne le numéro VIII au successeur d’Évergète II. —3° Cependant, Évergète II est octavus pour Spartien (Caracalla, 6) et όγδοος pour Eusèbe (I, p. 282 Schœne). Il y a eu, par conséquent, du fait de quelque chronographe, intercalation d’un Ptolémée VII. Des textes barbares (Exc. lat. Barb., ap. Eusèbe, I, App., p. 213 Schœne. Chron. minora, I, p. 278 Frick) font d’Évergète (Fauscus ou Fuscus = Φύσκων) un fils de Philométor, d’aucuns avec un an ou deux de règne. — 4° Mention du dieu Eupator entre Philométor et Évergète dans les papyrus N de Leemans et II, 15 de Grenfell ; avant Philométor dans le papyrus Casati (5 de Brunet de Presle), l’inscription de Philo (CIG., 4896 = Strack, n. 103), la stèle d’Assouan trouvée en 1885 (Strack, n. 140), et de nouveaux papyrus (Grenf., II, 20. Tebtun., 6. Cf. Mahaffy, Empire, p. 329. A Stele from Aswân, in Hermathena, IX [1898], pp. 273-290). — 5° Mention, à partir de 118 a. Chr., dans des documents égyptiens (papyrus démotiques de Berlin, listes hiéroglyphiques de temples, etc. ; voyez Lepsius), d’un dieu Philopator (Néos) en qui Lepsius (dès 1843) crut retrouver le fils inconnu de Philométor. — 6° Inscriptions de Cypre ; l’une (CIG., 2818= Strack, n. 402) ne contenant que βασιλέα θεόν Εύπάτορα Άφροδίτη, l’autre (Lebas et Waddington, tome III, 2809 [Paris, 1870] = Strack, n. 101) donnant la filiation d’Eupator : βασλέα Πτολεμαΐον, θεόν Εύπάτορα, τόν έγ βασιλέως Πτολεμαίου καί βασιλίσσης Κλεοπάτρας θεών Φιλομητόρων. — La controverse a suivi le progrès des découvertes. Les systèmes proposés peuvent se ramener à trois. — I. Suppression de la personnalité d’Eupator, considéré comme un autre titre d’Évergète II (Bœckh en 1821) ou de Philométor (Letronne en 1842), système réfuté par l’inscription de Cypre. — II. Eupator [Ptolémée VII], fils de Ptolémée VI Philométor (Champollion, Saint-Martin, Letronne en 1823, Bœckh en 1825, Cless, Brunet de Presle, Waddington), Philopator Néos [Ptolémée IX] étant fils de Ptolémée VIII Évergète II (Révillout, St. Poole, Head, Strack). — III. Système de Lepsius (adhésion de Franz, Huberts, Gutschmid, Grenfell) : Eupator [Ptolémée VI], frère aîné de Philométor [Ptolémée VII], ayant régné avant lui moins d’un an, ce qui explique que son règne ne compte pas pour les historiens et chronographes ; Néos Philopator [Ptolémée VIII] étant le fils de Philométor assassiné par Évergète II [Ptolémée IX]. Ce système, ruiné par l’inscription de Cypre, est cependant maintenu par Mahaffy, à cause de l’argument de préséance tiré des documents officiels où Eupator est nommé avant Philométor. Mahaffy distingue deux Eupator : l’un, Eupator I [Ptolémée VI], qui serait un frère aîné de Philométor ; l’autre, Eupator II [Ptolémée VIII], qui serait fils de Philométor et identique à Néos Philopator. Cette solution, arbitraire entre toutes, ne tient pas contre le fait que, dans le papyrus démotique du 22 mai 418 a. Chr. (Spiegelberg, Taf. 27), Eupator (nommé après Philométor, donc Eupator II) et Philopator Néos figurent comme deux dieux distincts. Un coup-d’œil jeté sur les papyrus démotiques de Berlin montre que les notaires ne savaient où placer Eupator. Dans les papyrus alexandrins, il figure tantôt avant, tantôt après Philométor ; dans ceux de Thèbes, on le trouve mentionné même avant Épiphane (Spiegelberg, Taf. 15-16. 17-18). Enfin, l’argument de préséance en faveur d’Eupator peut être expliqué d’une façon qui lui enlève toute valeur chronologique. Pour nous, Eupator est le fils de Philométor et son successeur légitime : seulement, comme Évergète II a été réellement roi dès 170 et a toujours daté de là ses années de règne, nous lui maintiendrons le numéro VII et (à l’exemple de Waddington) nous appellerons Eupator Ptolémée VIII.

[3] On ne sait quel était cet Onias. Il semble que si l’un de ces prétendus στρατηγοί πάσης τής δυνάμεως (Joseph., C. Apion., II, 5) était le prêtre schismatique de Léontopolis, Josèphe l’eût dit : mais, d’autre part, l’Onias de Léontopolis devait être un partisan décidé de Cléopâtre, et il serait encore plus étonnant que Josèphe eût cité un aube Onias, sans distinguer entre homonymes. Sur Onias et Dosithée ou les Dosithée, comme prototypes de Mardochée dans le livre d’Esther (Cléopâtre III), voyez les conjectures de H. Willrich, Judaica (Götting., 1900), p. 20 sqq. Les Alexandrins ne manquèrent pas de s’égayer sur le nom d’Onias (l’Âne), et même de Dosithée (Joseph., C. Apion., II, 5).

[4] Justin, XXXVIII, 8, 2. Willrich (op. cit., p. 10, 1) imagine que tout avait été réglé par Philométor, lequel aurait destiné sa succession à un quatuor composé de deux couples, Cléopâtre II et Évergète, Cléopâtre III et Eupator, le vieux couple se proposant de rester stérile au profit du nouveau ; combinaison tout à fait jolie, au gré de son inventeur.

[5] Cf. l’exemple d’Antigone Doson épousant la veuve de Démétrios Il et régnant comme tuteur de Philippe V. A Pergame, Attale II s’intercale entre son frère Eumène II et son neveu Attale III.

[6] C’est ici que Josèphe (C. Apion., II, 5) place l’épisode miraculeux que le livre des Macchabées impute au règne de Philopator : les Juifs de tout âge et de tout sexe jetés sous les pieds d’éléphants ivres, qui les épargnent et écrasent les amis du roi. Celui-ci, cédant à la peur des vengeances divines et aux supplications de sa concubine, quam alii Ithacam, alii vero Irenen nominant (Irène, d’après Diodore, XXXIII, 13), fait pénitence, et les Juifs instituent une fête commémorative.

[7] Justin se représente, dès les premières années du règne, Alexandrie dépeuplée par les massacres et la fuite des habitants, et repeuplée avec des étrangers. Solus igitur in tanta urbe cum suis relictus Ptolemæus, cum regem se non hominum, sed vacuarum ædium videret, edicto peregrinos sollicitat (XXXVIII, 8, 7). Il est difficile de pousser plus loin l’hyperbole. La dispersion des savants du Musée (Athénée, IV, p. 184 b) ne se lit pas non plus en ce moment et d’un seul coup. D’après Athénée, qui cite comme autorités Ménéclès de Barca et Andron d’Alexandrie, les proscriptions eurent pour effet, à l’époque, comme plus tard la prise de Constantinople par les Turcs, de disperser en tous lieux des grammairiens, philosophes, géomètres, musiciens, peintres, instituteurs, médecins et une foule d’autres artisans et artistes, qui, réduits par la pauvreté à enseigner ce qu’ils savaient, formèrent quantité d’hommes remarquables. Ce fut une rénovation de l’éducation tout entière. C’est alors sans doute que le précepteur d’Eupator, le célèbre grammairien Aristarque, dont Évergète avait été aussi le disciple (Athénée, II, p. 71 b), se retira à Cypre, où il mourut peu de temps après (vers 144), à l’âge de 82 ans (Suidas, s. y. Άρίσταρχος).

[8] Diodore, XXXIII, 20. On ne nous dit pas si Galæstès avait songé à ramener de Syrie la dépouille de Philométor. Des funérailles faites au roi défunt à Alexandrie ont pu fournir au général un prétexte à manifestations.

[9] Justin, XXVIII, 8, 4. Cf. Orose, V, 10, 7 (filium fratris occidit).

[10] Les textes ajoutés à celui de Justin et de Tite-Live (Epit. LIX), bien que de peu d’autorité, sont aussi formels : sororem natu majorem, communi frati nuptam, sibi nubere cœgit. Postea deinde filia ejus per vim stuprata, ipsam dimisit, ut vacuum locum nuptiis puellæ faceret (Val. Maxime, IX, 1, Ext. 5). — Sororem suam stupro cognitam ac deinde in matrimonium receptam novissime turpius quam duxit abjecit, etc. (Orose, V, 10, 6). Orose transporte le stuprum préalable de la fille (Tite-Live, Justin, Val. Maxime) à la mère. Mahaffy suppose un mariage de pure forme, sans cohabitation ; mais il s’oblige à récuser les textes concernant Memphitès (ci-après) et ce déblayage, si commode qu’il soit, est un expédient trop radical.

[11] Je suis tenté de supposer que l’insertion du θεοΰ Εύπάτορος avant Philométor dans des documents officiels comme l’inscription de Philæ (Strack, n. 103), transposition qui a donné lieu à tant de débats, a été ordonnée par Évergète pour effacer la trace de son crime. Eupator fut censé avoir régné du vivant de son père et être mort avant lui, en tout cas, avant la fin du règne de Philométor et de Cléopâtre, prolongé par fiction légale jusqu’au sacre d’Évergète II à Memphis. C’est ainsi qu’est nommé avant son père, dans l’inscription de Séleucie (CIG., 4458), un fils d’Antiochos le Grand mort avant son père. P. Grenfell (Tebt. Pap., p. 554) supprime la difficulté en récusant Justin. Pour lui, Eupator, associé au trône en 152, est mort avant son père. Mais où trouver alors les filios regis (filios au sens de liberos) que voulait expulser Évergète (Joseph., C. Apion., II, 5) ? Il ne serait plus resté que la jeune Cléopâtre III.

[12] Diodore, XXXIII, 13. Diodore dit bien παΐς έγένετο έκ τής Κλεοπάτρας τώ βασιλεΐ, et c’est bien ce Μεμφίτης, κοινόν αύτοΰ τε κακείνης υίόν qu’Évergète coupe en morceaux à Cypre (XXXIV et XXXV, 14 Dindorf). Il est impossible d’admettre qu’il s’agisse d’un fils de Cléopâtre III, ou d’un fils posthume de Philométor et de Cléopâtre II. Valère Maxime (IX, 2, Ext. 5) dit Memphitem, quem ex Cleopatra, eadem sorore et uxore, susceperat. Justin (XXXVIII, 8, 12-15) ne donne pas le nom de Memphitès, mais il appelle aussi la victime d’Évergète sororis filium quem ex illa susceperat. De même, Tite-Live (Epit., LIX) : filium quem ex illa habebat Cypri occidit. Rejeter en bloc tous ces textes n’est pas une solution. Restent des questions, à peu près insolubles, concernant Ptolémée Philopator Néos et un autre e fils Je. Elles seront examinées plus loin. En ce qui concerne Irène, j’ai cru pouvoir interpréter les expressions vagues de Diodore : έγκαλουμένους δέ έπί τισι δικαίαις παρρησίαις διά τήν παλλακήν Είρήνην.

[13] Pap. Taurin., I, p. 9, 21, à la date de l’an XXVI (144 a. C.).

[14] Peut-être lorsque le stuprum (Justin, XXXVIII, 8, 5) eut produit ses effets naturels. Les auteurs précités insistent sur le caractère violent de l’outrage et la légalité du matrimonium consécutif. Voyez la discussion sur les données chronologiques dans Strack (p. 198-200), qui propose, non sans hésitation, la date de 143. Je supposerais volontiers que le mariage, peu fêté à Alexandrie, le fut, au bout du voyage de noces, à Edfou (Apollinopolis Magna), dont le temple fut dédié, 95 ans après sa fondation, par Évergète II, le 18 Mesori de l’an XXVIII de son règne (5 sept. 142). Il y eut sacrifices, banquets et réjouissances de toute sorte (Inscr. d’Edfou). Ce qui empêche d’arriver à des conclusions fermes, c’est que, dans le protocole des documente datés, sœur et femme sont le plus souvent synonymes. Le régime une fois établi, nombre d’inscriptions (rarement datées) énumèrent à la suite βασιλέα Πτολεμαΐον καί βασίλισσαν Κλεοπάτραν τήν άδελφήν καί βασίλισσαν Κλεοπάτραν τήν γυναΐκα θεούς Εύεργέτας (Strack, nn. 103.104, 107, 111, 115-118, 123-124, 126, 128) : mais il ne manque pas d’inscriptions où figure une seule reine, qualifiée tantôt άδελφή (108. 110. 112), tantôt γυνή (109), tantôt simplement βασίλισσα (106. 113. 114. 130), laquelle peut être l’une ou l’autre des deux Cléopâtres. Les érudits ont pris la peine — en dernier lieu, Strack, p. 38-50 — de relever, d’après les papyrus datés, les variations du protocole, qui, à part les erreurs possibles des notaires, correspondent peut-être à diverses phases de la rivalité des deux Cléopâtres. Il n’y a pas moins de douze de ces variantes, donnant tantôt Cléopâtre Il seule (de mai 145 à mai 141 — de sept. 140 à 137 — de 136 à sept. 133 — [en 130/29] — de mars 123 à janv. 121), tantôt les deux Cléopâtres (de mai 146 à sept. 140 — de 137 à 136 — de sept. 133 à oct. 131 — de juill. 124 à mars 123 — de janv. 121 à mai 118), tantôt Cléopâtre III seule (de oct. 131 à juill. 124 — de mai 118 à juin 116). On comprend que les scribes aient eu peine à s’y reconnaître, et il est probable que bon nombre de ces variations sont imputables à leurs bévues. Les méprises des auteurs sont encore plus excusables. Même les surnoms de (θεά) Φιλομήτωρ Εύεργέτις ont été ou pu être communs aux deux reines.

[15] Diodore, XXXIII, 20.

[16] Diodore, XXXIII, 22. On ne sait qui est cet Hiérax, que Diodore nous donne comme un militaire admirable et très habile à manier les foules. Posidonios (ap. Athénée, VI, p. 252 e) parle d’un Hiérax d’Antioche, ex-flûtiste pour saltimbanques, qui avait été le favori de Philométor et d’Évergète, un vil flatteur dont Évergète finit par se débarrasser. Ce pourrait être le ministre syrien qui offrit la couronne de Syrie à Philométor.

[17] Le jeune roi fut censé être mort des suites d’une opération chirurgicale (Tite-Live, Epit., LV. Joseph., A. Jud., XIII, 7, 1). Tryphon avait pris des leçons d’Évergète Physcon, qui très probablement avait su donner une explication plausible de la mort de Ptolémée VIII Eupator.

[18] Qui ad adspicienda sociorum regna veniebant (Justin, XXXVIII, 8, 8). — La date de cette ambassade est des plus controversées, les textes étant insuffisants et contradictoires. L’opinion la plus générale depuis Clinton, à laquelle s’est rallié Mommsen, est qu’on doit la placer en 143, car Cicéron (Acad., II, 2, 5) dit que Scipion eut pour unique compagnon Panétios in legatione illa nobili quam ANTE CENSURAM obiit, c’est-à-dire avant 142. Mais Cicéron, dans un passage écrit quelques années auparavant (Somn. Scip., 2 = Rep., VI, 11), où le premier Africain est censé prophétiser de point en point la carrière du second, énumère ainsi les étapes : Cum autem Karthaginem deleveris (146 a. C.), triumphum egeris censorque fueris (142 a. C.) et obieris legatus Ægyptum, Syriam, Asiam, Græciam, deligere iterum consul absens. Scipion consul iterum en 134, était donc absent en 135, et, si ce long voyage a duré plus d’un an, le départ peut être fixé en 136. On sait d’autre part que Posidonios a relaté la visite de Scipion à Alexandrie dans son VIIe livre (ap. Athénée, XII, p. 549 e), qui doit correspondre à peu près à l’an 136. Le témoignage de Cicéron esquissant la carrière de Scipion doit être préféré à une assertion émise en passant dans une dissertation philosophique. Ainsi opinent C. Müller (FHG., II, p. XX), Gerlach, Dindorf, Neumann, Wachsmuth, etc. Ce raisonnement ne me parait pas infirmé par les considérations qu’on a fait valoir depuis : à savoir, la visite de Scipion à Attale II de Pergame (Ps. Lucien, Macrob., 12), lequel mourut en 138 : le temps qu’il a fallu à Scipion pour aller ad regem legatu’, Rhodum, Ecbatanam ac Babylonem (Lucil., XIV, fr. 337), application arbitraire (Marx, Stud. Lucil., p. 81) d’une fantaisie poétique. Ces textes n’ont pas plus d’autorité que l’assertion de Valère Maxime (IV, 3, 13) qui place l’ambassade de Scipion post duos inclytos consulatus, c’est-à-dire après 134. On peut, du reste, en tenir compte en admettant d’autres ambassades de Scipion (cf. τρίτον, tertium au lieu de tertius dans Plutarque). G. F. Unger (Umfang u. Anordnung d. Gesch. d. Poseidonios in Philologue, LV [1893]), réfute l’argument tiré par C. Müller de l’ordre annalistique dans Posidonios, et tient pour la date de 138 ou 139. Willems (Sénat, II, p. 502, 3) proposait 137. Marx, De Scip. Æmiliano (in Rh. Mus., XXXIX [1884], p. 68-71) a cherché des années disponibles dans la biographie de Scipion, qui en 143 briguait la censure, appuyait la loi Cassia en 137 (Cicéron, Brutus, 25, 97) et s’occupait d’empêcher l’extradition de Ti. Gracchus en 136 (Plutarque, Ti. Gr., 7). C’est la bonne méthode ; mais il affirme arbitrairement que le laps de temps entre 136 et 134 est trop court. L’extradition de l’ex-consul Mancinus a dû être faite dès le début de 136 et délibérée avant. En somme, c’est le Ps. Lucien qui décide Marx à opter pour 141-139, contre le deligere iterum consul absens de Cicéron. L’opinion de Marx est adoptée par Münzer (Pauly-Wissowa, R.-E., IV, p. 1452).

[19] Posidonios ap. Athénée, XII, p. 549 e-550 a. Plutarque, Apophth. Rom. Scip., 13-14. C. princ. philos., 1. Diodore, XXXIII, 23. 28 a. Justin, XXXVIII, 8, 8-11. Portrait ou caricature de Physcon par Justin : Erat enim el vultu deformis et statura brevis et sagina ventris non homini, sed beluæ similis. Cf. τό σώμα γυναικώδες (Diodore, l. c.).

[20] Ce ne peut être par économie, mais pour être sûr de son personnel, que Scipion, voulant remplacer un de ses esclaves mort, en fait venir un de Rome (Plutarque, loc. cit.). On peut, du reste, juger de la précision de ces témoignages en constatant qu’ils donnent à Scipion tantôt sept, tantôt cinq, tantôt deux esclaves. Il n’est aucunement démontré que Polybe, qui visita Alexandrie (XXXIV, 14, 6. Cf. Strabon, XVII, p. 797), ait accompagné Scipion (C. Wachsmuth, Einleit., p. 641, qui accepte encore cette opinion, parle improprement de Feldzug nach Aegypten). Le seul ami particulier qui soit cité à côté de Scipion est Panétios, his Stoic chaplain (Mahaffy), qu’Athénée appelle par erreur Posidonios (celui-ci n’était pas né).

[21] Diodore, XXXIII, 28 e. Diodore ajoute, malheureusement en termes vagues, qu’ils parcoururent τά πλεΐστα μέρη τής οίκουμένης, réglant avec équité les différends, renvoyant les plus litigieux au Sénat, et méritant partout la reconnaissance des rois et des peuples. En tout cas, on ne trouve pas trace de leur intervention dans la querelle d’Antiochos VII avec les Juifs, et on se demande ce qu’ils seraient allés faire à Babylone ou Ecbatane.

[22] Circulaire d’Hérode, διοικήτης d’Alexandrie, à ce sujet. Décret de 140/39, garantissant les revenus sacerdotaux (Trbt. Pap., 6).

[23] La date de cette révolution (post discessum legatorum. Justin, XXXVIII, 8, 11) parait assurée par les témoignages concordants de Diodore (XXXIII, 6), de Tite-Live (Epit., LIX) et Orose (V, 10), qui datent le fait du consulat de M. Perperna (130 a. C.). Cf. Strack, p. 44. Révillout (Mélanges, p. 292 sqq.) suppose que Cléopâtre II avait attendu la majorité de son fils Memphitès, qu’elle voulait proclamer roi ; combinaison déjouée par l’enlèvement et le meurtre de Memphitès.

[24] Val. Maxime, IX, 2, Ext. 5.

[25] Tite-Live, Epit., LIX. Justin, loc. cit. Les auteurs ne disent rien des enfants de Cléopâtre III, dont deux au moins, — trois, si on admet ici (contre notre opinion) Ptolémée Néos Philopator, — Ptolémée (X Soter II) et Tryphiena, étaient nés. Le couple royal dut les emmener à Cypre.

[26] Le texte de Justin (XXXVIII, 8, 11-13), témoignage unique qu’on n’ose pas récuser en bloc, oblige à distinguer deux fils et deux victimes d’Évergète. Celui-ci, jam etiam peregrino populo (Alexandrie ayant été, d’après Justin, déjà dépeuplée et repeuplée) invisus, cum filio quem ex sorore susceperat (Memphitès) et cum uxore matris paelice metu insidiarum lacitus in exilium proficiscitur contractoque mercennario exercitu bellum sorori pariter ac patriæ infert. Arcessitum deinde maximum a Cyrenis filium, ne eum Alexandrini contra se regem crearent, interficit. Tunc populus statuas ejus et imagines detrahit. Quod factum studio sororis existimans filium quem ex ea susceperat interficit, corpusque in membra divisum et in cista conpositum matri die natali ejus inter epulas offerri curat. Strack (p. 201) propose de lire maximum ex Eirene filium. Même en conservant a Cyrenis, qui ferait de ce fils inconnu un vice-roi, prédécesseur à Cyrène de son frère (?) Apion, on peut admettre cette généalogie, étant donné qu’on ne connaît pas à Évergète d’autre concubine que cette Irène. Strack (p. 102, 2), trouvant étrange qu’un bâtard ait porté tant d’ombrage à son père, émet des doutes sur la bâtardise de ce prince inconnu et de son frère (?) Apion, le futur roi de Cyrène. Peut-être ne sont-ils l’un et l’autre illégitimes que pour être nés quand Évergète ne portait pas encore la couronne d’Égypte, c’est-à-dire parce qu’ils ne sont pas nés dans la pourpre. C’est une conclusion tirée de prémisses — la théorie des porphyrogénètes — qu’il faudrait d’abord démontrer.

[27] Diodore, XXXIV-XXXV, 14. Tite-Live, loc. cit. Val. Maxime, IX, 2, Ext. 5. Justin, loc. cit. C’est à Cypre (Diodore, Tite-Live) que fut consommé le forfait. Tous ces témoignages, en somme, n’en font qu’un, et il ressemble singulièrement à une légende, bâtie après coup sur les hyperboles injurieuses que les Alexandrins ont dû prodiguer au despote.

[28] C’est ce que n’a pas manqué d’imaginer le dramaturge italien Spinello, dans sa tragédie de Cleopatra (1540). Voyez (ci-après, chap. XV, § 3) Müller, pp. 5-8.

[29] Diodore, XXXIV-V, 20. Le titre de πρεσβύτερος conviendrait mieux au fils et successeur d’Évergète, Ptolémée Soter II en guerre avec son cadet Ptolémée Alexandre (ci-après) ; mais on ne voit pas que Ptolémée Soter II ait jamais pris Alexandrie de vive force. Il se peut que Diodore ou le compilateur, dans quelque réflexion indépendante de l’ordre chronologique, ait parlé auparavant d’un co-régent (le fils aîné de Cléopâtre III, Ptolémée Soter II ?), et, revenant à Évergète, l’ait qualifié de πρεσβύτερος.

[30] Inscription de Délos (Homolle in BCH., VIII [1880], p. 107). Il y a un jeu de mots, flatterie délicate, dans ‘Ρωμαίων οί εύεργετηθέντες sous un Évergète. Cette κατάληψις Άλεξανδρείας pourrait être de 145 : mais la date de 129 est plus probable. Cf. CIG., 2285.

[31] CIG., 4896 A-B = Strack, 103 (Obélisque de Philæ).

[32] Sur le papyrus de l’an II de Cléopâtre Philométor Soteira, restitué par Révillout à Cléopâtre II, voyez la discussion hésitante de Strack (p. 42-44).

[33] Pap. du Louvre ap. Révillout, Mélanges, p. 295. Strack, (p. 46, 3) propose de remplacer la leçon de Révillout προσπέπτωκε ό βα(σιλεύς) πλών άνατελεΐν έν τώ Τΰβι, qui suppose Évergète II présent en Égypte, par προσπέπτωκε γάρ (?) Παών άνατελεΐν, Paos (un Égyptien) étant alors gouverneur de la Thébaïde, le supérieur de ce Soterichos dont il est question ci-après (Strack, n. 109). Sur la chronologie des années XL-XLI d’Évergète, voyez Strack, p. 44-47, et la rectification de Wilcken (Gr. Ostraka, I, p. 785), qui fait coïncider l’an I de Cléopâtre (Philométor Soteira), non pas avec l’an XL, mais avec l’an XLI d’Évergète (130/29 a. C.). Dernière mention de l’an II, 29 Phaophi = 25 nov. 129.

[34] Dédicace du Gortynien Soterichos, archisomatophylaque, envoyé par Paos, τοΰ συνγενοΰς καί στρατηγοΰ τής Θηβαΐδος, en détachement à Koptos (Strack, n. 109) : date, 10 Thoth XLI (= 3 oct. 130). Au Fayoum, inscription de Épiphi XLII = août 129, où figurent [par restitution] les trois souverains (P. Jouguet, in C.-R. de l’Acad. des Inscr., 1902, p. 353).

[35] Un papyrus daté du 18 Choiak XLIII (9 janv. 127), parle de prêtres et prêtresses du culte dynastique ούσών έν τώι τοΰ βασιλέώς στρατοπέδωι (Berlin. Griech. Urkunden, 993). On peut en conclure, avec P. M. Meyer (in Beitr. z. alt. Gesch., II [1902], p. 477-79), que les hostilités continuaient en Thébaïde, mais il ne s’ensuit pas que Ptolémée n’avait pas encore repris Alexandrie.

[36] D’après Justin (XXXVIII, 9, 1), Cléopâtre, cum urgueri se fraterno bello videret, auxilium a Demetrio rege Syriæ per legatos petit (Justin ne s’aperçoit pas que Démétrios II était encore captif des Parthes en 130). Maintenant, elle s’enfuit opibus Ægypti navibus impositis (XXXIX, 1, 4).

[37] Voyez les monnaies de Démétrios II après son retour. Justin, XXXIX, 1, 3.

[38] Un des fils qu’elle avait eus de Démétrios II, Antiochos (VIII) Grypos, était alors à Athènes (Appien, Syr., 69). L’aîné des enfants de ce lit, Séleucos V, était sans doute avec elle à Ptolémaïs (Joseph., A. Jud., XIII, 9, 3).

[39] Eusèbe, I, p. 257-258 Schœne.

[40] Justin, loc. cit.

[41] Joseph., A. Jud., XIII, 9, 3.

[42] Justin, XXXIX, 1, 4-5.

[43] Eusèbe, I, p. 257-8 Schœne.

[44] Monnaies datées de ΔΠΡ, 184 Sel. = 128 a. C. (Babelon, Rois de Syrie, p. CL).

[45] Justin, XXXIX, 1, 8. En débarquant, suivant Justin ; en se rembarquant, suivant Eusèbe (loc. cit.) : la différence importe peu. Josèphe (loc. cit.) assure qu’il fut torturé.

[46] Justin, XXXIX, 2, 1-2 ; entre janvier et juillet 124 (Strack, p. 184). Peut-être y a-t-il quelque rapport entre le retour de Cléopâtre II, interprété par ses partisans comme une revanche, et les conflits qui surgirent en l’an XLVIII (123) entre Hermonthis et Crocodilopolis (nomes thébain et pathyrite). Cf. Grenfell in Archiv f. Papf., I (1901], p. 57 sqq. A la même date (?), nouvelle révolte (?) de Panopolis (cf. les conjectures de Grenfell, in Tebtun. Pap., p. 46).

[47] Appien (Syr., 68) dit crûment έκτεινε Δημήτριον ή γυνή Κλεοπάτρα.

[48] Appien (Syr., 69) dit qu’elle tua Séleucos έπιτοξεύσασα, soit qu’elle craignit en lui un vengeur de son père, soit qu’elle fût enragée contre tous.

[49] Appien (Syr., 69) la confond avec sa sœur Séléné.

[50] Justin, XXXIX, 2, 3-6. Diodore (XXXIV, 28) fait une homélie édifiante sur les vengeances divines. Repoussé par les Séleuciens, Alexandre s’enfuit à Posidion, et il est livré à Grypos deux jours après le sacrilège. Suivant Josèphe (A. Jud., XIII, 9, 3), Alexandre ήττηθείς τή μάχη διαφθείρεται : Eusèbe (I, p. 257 Schœne) ajoute φαρμάκω.

[51] Justin, XXXIX, 7-8. Appien, Syr., 69. C’est le dénouement de la Rodogune de Corneille, tragédie où Corneille n’a même osé nommer dans ses vers Cléopâtre, de peur de confusion avec la seule Cléopâtre connue du public.

[52] Papyrus démotique de Berlin (101 b = Taf. 27 Spiegelberg) du 3 Pachon LII (22 mai 118), stèle d’Assouan (Strack, n. 140) et papyrus de 114 (Pap. Grenfell, I, 25), où Néos Philopator est nommé avant le dieu Évergète : papyrus démotiques où il est nommé après Eupator et avant les Philométors : listes hiéroglyphiques où il est nommé après Évergète (voyez Strack, p. 177).

[53] Tétradrachme de Paphos : tête de Ptolémée Soter ; au revers l’aigle porte-foudre avec la légende LΝ ΗΑ Α (Strack, p. 47 ; trois exemplaires dans Svoronos, p. 251, n. 1525, pl. LII, 22 ; reproduit par Mahaffy, History, p. 208), monnaie pareille (sauf l’absence de ΚΑΙ avant Α) à celle qui a fait attribuer une vice-royauté de Cypre à Ptolémée Eupator. Il est assez étrange de rencontrer deux fois cet Α sur deux monnaies de Paphos : c’est à se demander si Α est bien une lettre-chiffre, et non pas une marque de fabrique, une lettre monétaire ou un différent quelconque.

[54] Pausanias, I, 9, 1.

[55] On a vu plus haut (chap. X) le lien qui existe entre les questions concernant l’identité d’Eupator, d’une part, de Philopator (Néos) d’autre part. Pour Lepsius (qui ne connaissait pas la monnaie cypriote) et Mahaffy, Philopator est le fils de Philométor, assassiné en 145 par Évergète II, c’est-à-dire celui que nous avons appelé Eupator. Révillout, suivi par Stuart Poole, Head et Strack, pense que c’était un second fils de Cléopâtre II et d’Évergète, un cadet de Memphitès. Strack (p. 179, 1) indique comme pis aller, pour ceux qui ne reconnaissent pas la valeur de la monnaie cypriote, la solution qui me parait de toutes la meilleure, à savoir l’identité de Néos Philopator et de Memphitès. Il y en aurait encore une autre, c’est que Néos Philopator tôt un fils aîné de Cléopâtre III et d’Évergète : mais il est très probable que Ptolémée Soter II est né vers 142 et n’avait pas de frère aîné. L’identification de Philopator avec Memphitès explique, mieux que toute autre hypothèse, que le nom de Philopator ait pu être placé à côté de celui d’Eupator, les deux éphèbes qui n’ont pas régné, les deux victimes d’Évergète, dans le même coin du cimetière aux apothéoses posthumes. Il résulte de là que Néos Philopator n’a pas pu être vice-roi de Cypre en 121/0. Si l’on admet qu’il y en eut un, je ne vois pas pourquoi ce vice-roi n’aurait pas été le futur Ptolémée Soter II, que Strack (p. 48) met d’emblée hors de question, ou pourquoi l’on exclurait les bâtards du nombre des candidats possibles, sous un roi qui fit de la Cyrénaïque l’apanage d’un fils ex paelice susceptus (Justin, XXXIX, 5, 2). Sans doute, si l’on fait entrer les bâtards en ligne de compte, il devient inutile de discuter la question (Strack, p. 178, 2) ; mais il n’y a pas grand mal à déclarer qu’elle est insoluble. C’est à regret, et pour suivre l’usage actuel, que je me résigne à cataloguer et numéroter, après Ptolémée VIII Eupator, Ptolémée IX Néos Philopator, soi-disant roi de Cypre, tous deux inconnus des historiens antiques. [Ajouter aux mentions du dieu Néos Philopator avant le dieu Évergète, le texte grec d’une inscription trilingue inédite, datée d’octobre 112, n. 33 de la nouvelle série publiée en 1903 par Strack dans l’Archiv. f. Papf., II, 4, p. 551, avec des indications bibliographiques (p. 552) sur les variantes du canon alexandrin.]

[56] Pétition des prêtres d’Isis à Philæ, se plaignant d’être obligés d’héberger tous les fonctionnaires et les troupes de passage et d’être ruinés par ces extorsions. Lettre du roi enjoignant μηδένα ένοχλεΐν αύτους (Strack, n. 103) : date postérieure à la rentrée de Cléopâtre II. La majeure partie des quarante-six décrets contenus dans le Tebt. Pap., n. 5, sont des φιλάνθρωπα au bénéfice surtout des prêtres et des soldats : en tête, amnistie générale, dont sont exceptés seulement les assassins et sacrilèges, pour tous délits, crimes ou condamnations jusqu’au 9 Pharmouthi de l’an LII (28 mars 118). En l’an LIII (117 a. C.), sorte d’amnistie générale, mentionnée au procès d’Hermias en LIV (Pap. Taurin., I, p. 7), prolongeant la précédente et faisant remise de toutes causes à tous jusqu’au 19 Thoth LIII (10 oct. 117). Plus tard encore, à ce qu’il semble, six décrets accordant des remises et renouvelant ou rappelant l’amnistie accordée jusqu’en l’an LIII (Tebt. Pap., n. 124). Circulaire d’Hérode, diœcète d’Alexandrie, à ses subordonnés pour adoucir les corvées (Pap. 63 du Louvre).

[57] Plutarque, De adul. et amic., 17. On cite de lui une correction à un vers d’Homère. C’était la mode du temps. Son contemporain, Attale III Philométor, vicieux et savant, avait les mêmes goûts.

[58] Epiphan., De mens. et pond., 12.

[59] Pline, XIII, § 70.

[60] Fragments, extraits d’Athénée, dans FHG., III, p. 186-189. Il racontait les excentricités et ripailles de son oncle Antiochos Épiphane, décrivait le service de table de Massinissa et sa garderie d’enfants, s’égayait sur le goût d’Eumène pour les cochons gras, qu’il payait 4.000 drachmes, etc. Ptolémée Physcon cité comme auteur de livres magiques ou magicien (Dieterich in Jahrbb. f. kl. Phil., Suppl. XVI [1888], p. 754, 9).

[61] Par exemple, le philosophe Panarétos, disciple d’Arcésilas, appointé à 12 talents par an (Athénée, XII, p. 552 c). La similitude de ce nom ou surnom avec le Πανάρετος ou Ecclésiastique de Jésus, fils de Sirach, livre traduit de l’hébreu en grec sous Évergète II (cf. Eccli., Prol.), et avec un livre magique aussi appelé Πανάρετος, donne lieu à des conjectures que nous n’avons pas à examiner (cf. Dieterich, op. cit.).

[62] Strabon, II, p. 98. Ce doit être le même Eudoxe que Diogène Laërce appelle 'Ρόδιος ίστορίας γεγραφών (VIII, 90).

[63] Temple d’Aphrodite à Philæ ; réfection du petit temple de Médinet-Habou ; de Deir-el-Médineh ; T. de Hathor à El-Kâb ; T. de Kôm Ombo, commencé par Philométor (Ptolémée et les deux Cléopâtres devant Horos, bas-relief en phototypie dans Mahaffy, History, p. 196), aujourd’hui déblayé par M. de Morgan ; propylon et pronaos du T. du dieu thrace Héron à Magdola (Médinet-en-Nahâs), suivant P. Jouguet (C.-R. de l’Acad. des Inscr., 1902, p. 353), etc.

[64] Cf. Mahaffy, Empire, p. 241.

[65] On a des ostraka datés du 18 Payni de l’an LIV (Wilcken, Ostraka, I, p. 786) et même du mois suivant, Épiphi (Révillout, Mélanges, p. 275). Je ne vois pas qu’il y ait lieu de considérer ces dates comme fautives et posthumes. Le texte de l’inscription d’Edfou ne dit pas que le roi soit mort le 11 Payni, mais durant les travaux commencés à cette date. Nous possédons encore quantité de monnaies de la même année (Svoronos, pp. 252, 256, 261).

[66] Strack, p. 200, 29. Mais Cléopâtre II figure dans des Tebtunis Papyri postérieurs au 28 avril et au 7 décembre 118 (nn. 5 et 43). On cite (ibid., p. 32, 4) un papyrus démotique inédit daté du 9 Phaophi an II (29 oct. 115) de la reine Cléopâtre et de la reine Cléopâtre et du roi Ptolémée son fils Philométor Soter. Si la leçon est exacte et si la répétition du nom de Cléopâtre n’est pas due à une distraction du scribe, la survivance de Cléopâtre II est démontrée.

[67] Justin, XXXIX, 3, 1. Évergète II ne faisait non plus aucun cas de la règle (?) qui interdisait le mariage avant l’avènement. Il laissa son fils aîné, Ptolémée Soter II, épouser de son vivant sa fille Cléopâtre (IV).

[68] Frater ejus (Pt. Alexandri) ex pælice susceptus, cui pater Cyrenarum regnum testamento reliquerat, herede populo Romano instituto decedit (Justin, XXXIX, 5, 2) : νόθος dans Appien, Mithrid., 121. Strack (p. 102, 2) élève des doutes sur sa bâtardise. Le surnom d’Apion dans Tite-Live, Epit., LXX, et Appien, Mithrid., 121.

[69] Le fait que des monnaies cyrénaïques ont été frappées au nom de Ptolémée Soter II (de 116 à 107, cf. S. Poole, p. LXXX : neuf exemplaires, sans date, dans Svoronos, p. 283, n. 1725) prouve simplement que le testament — s’il a existé — laissait subsister des doutes sur les conditions du legs fait à Apion, et que le roi d’Égypte put maintenir son droit de suzerain, tant qu’il ne fut pas réduit à l’impuissance par la compétition de son frère. Apion devait être déjà gouverneur ou vice-roi de Cyrène du vivant d’Évergète, et il eût fallu une guerre pour le déposséder.