I. — VAUX 3 novembre 1916. — Le fort de Vaux a été repris cette nuit, mon colonel. — C'est déjà une vieille nouvelle. Nous l'avons connue à trois heures du matin. Une chaîne de coureurs a relié immédiatement le fort au premier poste de commandement du 118e qui l'a téléphonée à la Division. — Alors, je viens vous demander une faveur. — Laquelle ? — Y monter. — Attendez : il n'y a point de piste. La boue est effroyable et les barrages nombreux. — D'autres y sont et d'autres y vont. — Évidemment. Eh bien, le commandant de Douglas doit y aller. Le général vous autorisera sans doute à l'accompagner. Vous serez averti. Ainsi ai-je obtenu la promesse du colonel Fiévet, chef d'état-major du groupement Mangin. 5 novembre. Le rendez-vous est à la ferme Bellevue, au bord du bois des Hospices : de là nous passerons entre Tavannes et Souville pour obliquer à droite dans la direction du Chênois. Voici le commandant de Douglas, chef d'état-major de la division Andlauer après avoir commandé un bataillon de chasseurs à pied. Du chasseur il a gardé le pas rapide et l'allure allègre. Mais notre marche est bientôt ralentie. La lune, après une timide apparition, s'est couchée, et la nuit est toute noire. Bien qu'il soit plus de quatre heures du matin, rien ne présage que cette épaisse nuit puisse jamais finir. Nous nous étions engagés dans un boyau si rempli d'eau que nous devons l'abandonner. Aucune piste n'est encore tracée et nous suivons la vague levée de terre qui accompagne ce boyau, en évitant les trous d'obus. On les évite malaisément, et de temps à autre une exclamation ou le bruit d'une chute dans une mare indique suffisamment que l'un ou l'autre de la petite caravane barbote au fond d'un entonnoir. Il faut décidément prendre garde. Il y a des trous si profonds qu'on risque de s'y enliser dans la boue. Et l'on s'accroche à des restes de fils de fer, à des souches d'arbres arrachés, et l'on franchit des branches ou même des troncs jetés en travers. Ma foi ! l'un de nous se décide à faire usage de sa petite lampe électrique. Mieux vaut encore attirer les obus que se casser une jambe. Un souvenir littéraire me revient. Sainte-Beuve, qui devait se battre en duel un jour de mauvais temps, déclara qu'il ouvrirait son parapluie sur le terrain ; il voulait bien recevoir un coup de pistolet, mais non pas attraper un rhume de cerveau. D'ailleurs, en perdant Douaumont, ils ont perdu leur meilleur observatoire. Cependant, ces lueurs intermittentes empêchent les yeux de s'accoutumer à l'obscurité. Quand les ténèbres retombent, il semble que le sol se dérobe. Les fusées qui déchirent la nuit achèvent de jeter le trouble et l'hésitation sur la marche elle-même, si elles permettent de rectifier la direction. Le guide a trouvé une vague piste un peu meilleure. Comme en montagne, de la tête à la queue de la petite colonne, chacun passe au suivant les consignes : entonnoir à gauche, fil de fer à droite. J'ai mis le pied sur quelque chose de mou, et instinctivement j'ai fait un pas en arrière. Un jet de lumière jaillit sur un uniforme vert, maculé de sang. — Un Boche, me dit mon voisin. Nous avons passé le Chênois et laissé le Petit Dépôt à notre gauche. Nous arrivons au fond de la Horgne. J'ai passé là. Il n'y a guère que des cadavres allemands. J'aime mieux ça. Au commencement de mars, quand j'étais venu, il n'y avait que des cadavres français, coureurs, relèves ou corvées de ravitaillement. Au commencement de mars, l'artillerie ennemie écrasait sans répit toute la région de Vaux : les 210 arrivaient en rafales. C'est la nôtre, aujourd'hui, dont la voix domine. Les éclairs de nos batteries nous réjouissaient au départ comme des regards amicaux. Les batteries allemandes répondent assez mal. A mesure que nous nous rapprochons, néanmoins, les éclatements deviennent plus nombreux autour de nous. Je n'avais pas suivi ce chemin. J'avais pris par la Vaux-Régnier et la route du fort, tandis que nous descendons dans le fond de la lorgne, pour remonter ensuite les pentes. Il fait moins sombre : voici la pointe du jour, une aube lugubre, sulfureuse, couleur d'ocre. Nous distinguons mieux l'endroit où nous marchons. Les ténèbres étaient préférables : du moins recouvraient-elles d'un manteau pudique les blessures de la terre et les restes humains. De ce sol qui, jadis, porta des arbres, de la verdure, et des fleurs au printemps, la guerre a fait un désert chaotique dont pas un pouce n'est intact, et qui est tout entier comme une vaste plaie purulente. Les entonnoirs se rejoignent, se recoupent, entrent les uns dans les autres. Dans les rares intervalles, la terre rejetée forme des excroissances, des boursouflures. Au fond des trous stagne une eau verdâtre. Des équipements, des sacs, des armes, des débris de toute nature y nagent. Çà et là, dans cette eau croupie ou bien appuyé à l'une des bosses de terre, gît un cadavre ou quelque morceau de cadavre. Celui-ci qui est recouvert d'une toile de tente, c'est, par exception, un des nôtres. Les Allemands, dans leur retraite, ont laissé de nombreuses plumes. Maintenant, nous gravissons la dernière pente qui, du fond de la Horgne, nous mènera au fort. Nous croisons une corvée de ravitaillement qui redescend, des brancardiers emportant un blessé, au prix de quelles difficultés ! sur une piste à peine tracée. Et le fort nous apparaît, couronnant le plateau allongé, en forme de meule écrasée et sombré. Les ouvertures des casemates y dessinent des taches plus claires et régulières, pareilles de loin aux yeux multipliés d'un monstre. Je resterais volontiers en contemplation devant cette vision : le Sphinx de la Woëvre, comme l'appelaient les chasseurs, est là. Il est devant nous, celui qui a dévoré tant de victimes et dont le nom a pris place à jamais dans l'histoire de France. Mais il ne faut pas s'attarder. La zone qui entoure le fort est copieusement arrosée. La terre jaillit au choc des obus. Nous nous hâtons : le fort se rapproche. Il n'y a plus de contrescarpe et le fossé est comblé aux trois quarts. Nous entrons dans la gorge qui a été rouverte, car elle était bouchée. Nous descendons un escalier, nous en remontons un autre. Nous sommes dedans. Les couloirs, déjà déblayés en partie, sont encombrés par les lits allemands à deux étages et sommiers de fer. Dans une petite salle voûtée que des bougies fixées dans des goulots de bouteilles éclairent, le commandant du fort a installé son quartier général. Nommé de la veille à ce poste de choix, le capitaine Peyron, adjudant-major au 298e régiment, nous reçoit en tenue d'intérieur, bonnet de police, et déséquipé, comme pour affirmer sa prise de possession et la sécurité de ses fonctions. Il tenait conseil sur les travaux à accomplir avec le capitaine Arrighi, à peine majeur, la tête enveloppée, car il a reçu un éclat d'obus, et le lieutenant Diot, premier occupant. Le lieutenant Diot, qui est entrepreneur à Roanne dans la vie civile, porte trente ans : il est grand, taillé en force, bien découplé, une tête impérieuse de général de la Révolution accoutumé à toutes les initiatives, le teint olivâtre, la lèvre ombrée d'une mince moustache courte, les yeux noirs pleins de feu dont le regard doit se sentir à distance, peser sur les objets où il se pose. L'ensemble est solide, dominateur et fruste. Et rien qu'à le voir, on comprend le choix qui, de cet homme, a fait le maître de Vaux. Du fort, il n'a chassé que des fantômes. Il était de taille à en chasser l'ennemi. Sa bravoure et son audace sont légendaires dans son régiment. C'était une attaque en règle qu'il devait mener le 3 novembre, quand, dans la soirée du 2, il fut appelé à conduire la reconnaissance du terrain. Sur son expédition, il est lui-même très sobre. Pour la reconstituer dans ses détails, il faut revenir souvent sur le sujet, afin de tirer chaque fois quelque trait. En les ajoutant l'un à l'autre, patiemment, on arrive à recomposer l'aventure : c'est un travail de mosaïque. Et il faut interroger ses compagnons. ... Il est une heure du matin, le 3 novembre. Le lieutenant Diot attend avec ses hommes en avant des Carrières, à 100 ou 200 mètres à peine du fort, le retour des patrouilles qui sont parties vers minuit pour inspecter les abords et le fossé. Une à une les trois patrouilles reviennent. Leurs renseignements sont concordants : pas âme qui vive sur tout le terrain fouillé, pas un mouvement, pas un bruit, pas un coup de fusil, pas une fusée ; un silence presque impressionnant. Les barrages ennemis se font en arrière, à hauteur des Carrières et du Petit Dépôt. La place est nette, il n'y a plus qu'à entrer. Pendant que la compagnie du 118e, commandée par le capitaine Fouache, va contourner le fort et s'établir au-devant, le lieutenant Diot amène sa compagnie jusqu'au fossé : un peloton occupera le dessus, l'autre le suivra à l'intérieur. Lui-même s'avance avec le sous-lieutenant Lavève et le détachement de la compagnie 13/63 du génie qui lui a été adjoint. La nuit est noire comme l'encre, la moindre lumière révélerait le projet. A tâtons, les explorateurs cherchent une ouverture pour s'y glisser. Les casemates, la gorge, toutes les issues sont murées. Enfin, au coffre sud-ouest, un trou est découvert qui devait servir à une mitrailleuse. Le lieutenant Diot essaye de s'y introduire : la fente est trop étroite. Quel est le soldat le plus maigre ? Poulain se présente qui a tournure de jockey. C'est lui qui, le premier, descendra bravement dans l'antre. Diot se déséquipe, ôte sa capote et plonge : à hue, à dia, on le pousse par derrière tandis que Poulain le tire à l'intérieur. Soufflant, ahanant, peinant, il parvient à passer et, par surcroît, il a élargi la lucarne. C'est le tour de Lavève. A eux trois ils fouillent le sous-sol. Le soldat a allumé une lanterne, les deux officiers ont poussé le ressort de leurs lampes électriques. Leurs pas retentissent sous les voûtes : ils cherchent à en étouffer la sonorité. Tout de même, ils ignorent comment finira la visite. Ils sont à la merci d'une mine ou d'un guet-apens. Une odeur insupportable les prend à la gorge : mélange de fumée, de gaz, de pourriture. Le spectacle qu'ils ont sous les yeux est sinistre : des détritus brûlent encore, restes de grenades ou de cartouches explosées, débris sans nom, fumier de guerre. Deux ou trois cadavres sont étendus dans un couloir. Un brasier qui meurt jette sur eux des lueurs brèves. Cette fumée, pourtant, a dû trouver une issue. L'incendie s'est propagé au dehors, des flammes ont été vues par les aviateurs. Tout à coup un bruit de voix, de pierres qui tombent. Les trois hommes restent en arrêt, le revolver au poing. Mais ces voix parlent français. Le lieutenant Labarbe, inspectant la superstructure, a pu pénétrer à l'intérieur avec sa section par une voûte crevée. La jonction se fait gaiement. Cette fois, les explorateurs se sentent chez eux. Ils réoccupent une maison française, souillée il est vrai, mais utilisable. L'exemple du commandant Raynal n'a pas tenté les Allemands. Ils ont vidé les lieux avec promptitude... Le capitaine Peyrou ne manque pas de nous offrir le tour du propriétaire. Les ouvrages extérieurs sont assez mal en point : les coffres de contrescarpe sont dévastés, sauf le coffre sud-ouest aisément réparable. Une des galeries a sauté. Le couloir qui conduit à la casemate de Bourges de gauche est détérioré, les deux observatoires sont en mauvais état et la coupole de 75 quasi détruite par un obus lourd. Mais la visite intérieure est consolante. Déjà les chambres sont propres et rangées. On achève la toilette des corridors. Et pourtant, quelle besogne ingrate ! La saleté boche a dégoûté le 298e. Jamais locataire ne prit congé dans des conditions aussi fâcheuses pour sa réputation. Une galerie d'une quarantaine de mètres de profondeur, boisée et aménagée dans la direction du nord, et dont la sortie devait aboutir aux abris qui étaient édifiés sur les pentes face à la Woëvre, a été trouvée et déblayée. — Nous nous sommes trop pressés, dira le général Mangin en l'apprenant : un peu plus tard, ils nous l'eussent livrée achevée. Nous voici de retour au bureau du commandant d'armes, la Kommandantur des Allemands. Un lit à deux étages en occupe le fond. Du second étage émerge la tête hirsute de l'aumônier divisionnaire, l'abbé Rochias. Il a célébré hier la messe dans le grand couloir sommairement ratissé. La première messe de Vaux : quel souvenir inoubliable pour les assistants ! Comme les mauvais miasmes ont été chassés par la ventilation, les démons d'Odin et de Wotan que les Allemands avaient amenés jusque-là ont été exorcisés. Mais comment l'abbé Rochias est monté volontairement au fort dans la nuit du 3 au 4, ce n'est pas lui qui le dira. A neuf heures du soir, le 3 novembre, comme les médecins-majors achevaient une journée assez rude au poste d'évacuation non loin de Verdun, le médecin-chef de la division, le docteur Antoine, reçoit un message téléphoné lui donnant l'ordre d'envoyer immédiatement au fort de Vaux un médecin et quatre infirmiers pour assurer le service de la garnison et organiser un poste de secours. Le docteur Antoine voudrait bien se désigner lui-même : son activité n'est jamais lasse et il a l'amour du danger : on l'a vu recueillir en personne des blessés, ensevelir des morts en première ligne. Mais l'importance de ses fonctions l'attache à son ambulance, et il désigne le médecin auxiliaire Agostini dont il connaît le dévouement. Il ne lui cache pas son dépit. — Ce dépit nous a fait du bien, m'avoue en souriant le docteur Agostini. La première impression était plutôt désagréable. Nous étions fatigués, nous allions nous reposer. Et quant au fort de Vaux, il nous avait laissé de tristes souvenirs quand nous étions dans son voisinage au commencement de juin. Le retrouver ne nous disait rien qui vaille. Puisque nous faisions envie au médecin-chef, c'était une mission de confiance, et nous sommes partis avec sérénité. Ce qui acheva de nous ragaillardir, ce fut l'insistance de l'aumônier pour nous accompagner. Tenez-vous tranquille, lui disait le médecin-chef. Eh ! vous vouliez partir, lui répliqua-t-il. Sur quoi, nous l'emmenâmes. Les voilà en route pour le Petit Dépôt, l'abbé Rochias, le docteur Agostini, les quatre infirmiers, plus un guide qu'on leur a donné. Au Petit Dépôt, devenu un poste de commandement, changement de guide. Dame ! celui-ci n'est pas très sûr du chemin qui n'est guère fréquenté, mais la distance à franchir n'est pas grande, cinq ou six cents mètres. Partie à minuit du Petit Dépôt, la caravane n'arrivera au fort qu'à trois heures et demie du matin. Pour comprendre ce retard, il faut avoir vu le terrain. Par surcroît, elle se perdit. Il pleut à torrents, l'obscurité est complète, les trous sont profonds, les obus tombent, le guide ne sait plus très bien où il est. Sans s'en douter, il a contourné le fort et il conduit son monde aux nouvelles tranchées esquissées en première ligne, à deux cents mètres en avant, sur les glacis face à la Woëvre. On n'y attend pas de visites, et l'on est fort surpris de cette arrivée. Le chef de section qui reçoit la petite troupe s'informe à voix basse — car l'ennemi n'est pas loin — de ce qu'elle vient faire en ces lieux. Nous allons au fort. — Vous l'avez dépassé. Il faut retourner en arrière. Un peu plus, vous tombiez chez les Boches. On va vous montrer le chemin. Combien êtes-vous ? — Un médecin, quatre infirmiers, le guide et l'aumônier. — Ah ! vous avez un aumônier. Passez-moi votre aumônier... Dans un trou d'obus, l'abbé Rochias entend la confession de l'officier. Celui-ci le passe à un sergent, qui le passe à un soldat. De trou en trou, le prêtre fait la première ligne. Cependant, les infirmiers attendent et leur attente se prolonge. Malgré notre impatience, me dit l'un d'eux, nous ne pouvions qu'admirer cet homme qui, sans ordres, par simple devoir sacerdotal, était parti avec nous et trouvait le moyen, sous un feu sévère, sans compter une pluie diluvienne, de donner à de pauvres poilus trempés et en danger permanent, quelques paroles de paix et de consolation qui ne devaient pas leur faire de mal. Enfin, la caravane prend le vrai chemin du fort. Mauvais chemin, terriblement battu. Un obus tombe presque sur eux. C'est la fin ? Il n'éclate pas. Ça n'est pas étonnant, déclare un des pèlerins à l'arrivée. Cet homme-là est un sorcier. Et il montre le pauvre abbé Rochias tout aminci, recroquevillé, transi et réduit, qui voudrait bien se sécher... ***Le temps passe, la matinée est déjà bien entamée : il faut partir, mais, auparavant, regarder les plaines de Woëvre, faire avec les yeux un tour d'horizon. Là, jadis, il y a si longtemps — c'était au mois de mars — j'avais vu se lever une radieuse aurore et entendu chanter l'alouette : c'était un si étrange contraste avec la tragédie que nous vivions alors, cette douceur printanière, ce chant d'oiseau. La Woëvre, inondée sous un ciel gris, fait un immense marécage que viennent heurter la falaise de Vaux, la pointe de Damloup, celle de Dicourt. On dirait qu'au bord de cette plaine une main géante s'est appuyée, écartant les doigts entre lesquels se creusent les ravins. A notre gauche, voici la crête noire d'.Hardaumont ; c'est, de ce côté, le dernier observatoire de l'ennemi. Plus à gauche encore, Douaumont apparaît, dominant tout le décor, Douaumont qui est à nous. La sortie n'est pas commode. Il faut attendre la chute d'un obus, prendre son élan et filer à toute allure. Eh ! là, comme ces jeunes gens trottent ! ralentissons, je vous prie. La troupe ralentit, et nous en profitons pour nous retourner et emporter dans le regard le fort aux yeux de monstre, Douaumont le géant, et, plus près, la Woëvre dont un fugitif rayon de soleil fait tout à coup miroiter les eaux. Puis nous reprenons notre marche sur ce sol convulsé, sans végétation, dont le jour ne permet plus d'ignorer aucune horreur. Un paysage d'astre éteint, de monde inanimé : voilà ce que les Allemands sont venus faire dé cette terre de France. Et cette terre qui montre ses plaies crie contre eux. Mais le châtiment a commencé ; partout gisent des équipements de chez eux, des sacs verts, des uniformes verts, tas de cadavres qu'on n'a pas encore eu le temps d'ensevelir. Nous avons repris le même chemin qu'au départ. Nous sommes maintenant au pied de Souville, mordoré dans la lumière pâle. Les éclatements autour de nous sont devenus plus rares. Cependant, sur la piste même que nous avons suivie, trois corps sont étendus, tués par le même projectile. Ils sont encore tout chauds. Leurs blessures sont effroyables et leurs chairs mêlées. A peine à quelques pas plus loin, deux soldats creusent un boyau. Ils ont continué leur besogne presque sans interruption. Ils ne peuvent plus rien pour leurs camarades et les brancardiers vont venir. Alors, il faut bien que le travail se fasse. Nous avons passé là tout à l'heure : pourquoi ceux-ci plutôt que nous ? C'est le destin, aurait dit le commandant Nicolay. Aux abords du fort, il n'y avait pas de victimes : ici comme à la montagne, aux endroits périlleux les accidents sont exceptionnels et, quand on ne se croit plus menacé, la mort vient. Ceux-ci ont été frappés l'outil à la main. Ils ont l'air de s'être serrés les uns contre les autres pour unir leur faiblesse. Il y a deux ou trois jours, dans le secteur des Éparges, le commandant de Lépinière, du 108e régiment territorial qui est un régiment de Savoie, pour me montrer la solidarité qui lie ses vieux soldats, la plupart venus des champs, me racontait la mort de l'un d'entre eux. Ils étaient deux du même patelin, de la même année au delà de la quarantaine, qui travaillaient à peu de distance l'un de l'autre à creuser le même boyau. Une de ces mauvaises torpilles qui mènent un grand vacarme et tournent en l'air avant de choir, éclate dans leur voisinage. L'un est blessé et l'autre indemne. Le blessé appelle à l'aide. L'autre accourt, prêt à l'emporter. Il en a emporté tant d'autres à l'ambulance. C'est un homme fort et noueux qui ne mesure pas ses services. Mais cette fois, il voit bien que ce n'est plus la peine. Déjà la mort a mis son ombre sur ce visage terreux. Il s'est penché : Mon pauvre vieux, dis tes prières. Le moribond rouvre les yeux et murmure : Je ne les sais plus. Mais toi, dis-les. L'autre hésite. Il cherche, il fouille et il répond : Je n'en sais pas plus long que toi. — Dis-les quand même, insiste le mourant. Alors l'homme tend ses muscles. Ainsi qu'on hisse un seau d'un puits, il tâche à retirer du passé des syllabes oubliées. Mais le seau remonte presque vide : Notre père qui êtes aux cieux, finit-il par dire. Puis il demeure coi, n'ayant pu trouver la suite. Et déjà le mourant a répété d'une voix qui faiblit : Notre père qui êtes aux cieux... Il reste la bouche ouverte, attendant ce qui doit venir et qui ne vient pas. Ah ! mais, patience, on travaille, on aboutira. De nouveau l'homme lance le seau et tire la corde, les veines de son front se gonflent et cette fois il ramène : Je vous salue, Marie. — Je vous salue, Marie, a redit le blessé docilement. Et son regard interroge encore. Mais qu'y a-t-il donc après ces paroles ? Quand l'homme était petit, sa mère le savait et le lui avait appris. Oui, mais tant d'eau a coulé sous les ponts depuis cette époque. Il est un territorial des dernières classes. Ce n'est pas sa faute s'il a fait tant de chemin depuis son enfance. A-t-il fait tant de chemin ? Sur la route, il y a les auberges et c'est là qu'on oublie. Mais quoi ? le camarade en redemande et tourne vers lui un œil suppliant. Va-t-il le laisser dans l'embarras ? Alors, d'un effort à arracher, avec la corde, toute la margelle du puits, il parvient à amarrer ce troisième commencement : Je crois en Dieu. Le mourant l'a déjà happé. Il n'y en a pas long. Et puisqu'il en réclame encore et puisqu'on ne peut décidément lui en donner davantage, voici que l'homme enchaîne ses trois prises et les fait alterner comme une litanie : Notre Père qui êtes aux cieux. Je vous salue, Marie. Je crois en Dieu, jusqu'à ce que les lèvres de son camarade n'aient plus soif et s'arrêtent de remuer... ***Nous sommes de retour. Le général Andlauer, qui a repris Vaux et Damloup, est monté au fort la veille, un des premiers. Comme le général Mangin, comme lès généraux de Salins et Passaga, il a passé aux colonies sa jeunesse : il s'y est dressé à l'organisation des territoires et des expéditions. Il en a gardé un goût de l'aventure physique. De Vaux il a rapporté une vision de vase où l'on s'enlise, mais aussi d'orgueil. C'est le dernier captif de la grande bataille de Verdun enfin délivré. Le plus étrange spectacle qu'il ait rencontré au cours de la guerre, c'est peut-être celui d'un mort que la mort n'avait pas pu renverser. Enfoncé dans la boue plus haut que les genoux, maintenu droit par cette boue coagulée, le casque tombé, la tête saignante, ce soldat tué semblait se raidir pour avancer encore. Il avait gardé la pose de la marche. En passant de la vie à la mort il avait été changé en statue... Toutes ces visions d'horreur et de splendeur mêlées forment autour de Vaux un halo légendaire. Comme une sentinelle docile, il a repris son poste au bord de la Woëvre. Il continue de monter la garde en avant de la Ville sauvée. Il vit. Et pourtant, il semble qu'il fait déjà partie de ce patrimoine du passé où les poètes viendront puiser, où les conteurs chercheront des récits pour exalter l'imagination des enfants et leur donner à jamais l'amour et l'admiration de la France... II. — DOUAUMONT 3 décembre 1916. Un mois a passé depuis la victoire de Douaumont-Vaux et déjà il n'en est plus question ici où l'on est tout entier aux derniers préparatifs de la nouvelle opération. Cette nouvelle opération achèvera l'œuvre des 24 octobre et 3 novembre qui a rétabli la barrière fortifiée de Verdun. Vaux et Douaumont demeurent menacés, l'un par les feux d'Hardaumont qui le dominent, l'autre par les observatoires des Chambrettes et de la cote 378 qui ne lui est inférieure que d'une dizaine de mètres. Le projet est de pousser jusqu'aux bois des Fosses et des Caurières qui furent le théâtre des premiers combats les 21, 22 et 23 février. De Vacherauville à Hardaumont, il s'agit d'emporter la côte du Poivre, Louvemont, la cote 378, les Chambrettes et de pousser jusqu'à Bezonvaux. Certes, la ceinture des forts est renouée, mais, quand on veut être chez soi, il ne faut pas laisser l'ennemi trop près de la porte[1]. Je monte à Douaumont avec le capitaine Cavaignac. Le départ à trois heures du matin est glacial. Le temps s'est mis au beau, mais il gèle. Les étoiles brillent comme elles font aux lendemains de mauvais temps, après que le ciel a été lavé. Au poste de commandement de la division, nous trouvons un guide qui dort à poings fermés sur un fauteuil devant un magnifique feu de bois dont les matériaux ressemblent fort à des débris de planchers. Nous prendrions volontiers sa place. Mais il faut se hâter. La montée de la côte de Belleville commence de nous réchauffer. La nuit, l'incomparable nuit d'étoiles nous tient compagnie. Du côté de Vaux, une planète — Jupiter peut-être — a tant d'éclat que nous sommes tentés de la prendre pour une fusée et d'attendre sa chute. La guerre nous a accoutumés à la pluie des astres artificiels. Mais, plus encore, elle a rattaché l'homme aux constellations. Il a si souvent vécu la nuit qu'il a pris goût à la connaissance des étoiles. Même s'il ignore leurs noms, — leurs beaux noms mystérieux, — il les suit elles-mêmes dans leurs évolutions. Il sait quand elles naissent au firmament et quand elles meurent. Un poète américain qui vivait en France, Alan Seeger, et qui, la guerre déclarée, voulut servir son pays adoptif et s'engagea dans la Légion étrangère, a magnifiquement exprimé ce sentiment nouveau, né d'une familiarité plus étroite avec la nature. Il l'a exprimé, non pas dans un poème, mais dans une lettre qu'il adressait à sa mère avant d'être tué à l'assaut de Belloy-en-Santerre (4 juillet 1916) : Le soldat en sentinelle, écrivait-il, considérant la crête qui appartient à l'ennemi et au-dessus de laquelle la Grande Ourse remonte vers le zénith, éprouve un enthousiasme sublime et inconnu de lui jusqu'alors, une sorte de camaraderie avec les étoiles. Il n'y avait auparavant que les astronomes et les pâtres pour ressentir cette sorte de camaraderie... Nous' redescendons vers le ravin des Vignes pour remonter la pente de Froideterre. Mais, que de changements depuis que j'étais venu ! Voici une voie ferrée où des hommes poussent des wagonnets, et voici une route, une vraie route qui n'était certes pas marquée sur la carte. — Oui, me dit mon compagnon, on construit 25 kilomètres de route et 10 de voie étroite. C'est pour la prochaine offensive. Ce que la préparation d'une offensive, dans la guerre moderne, réclame et représente de travaux, on le saura un jour, avec stupéfaction. Le peuple romain est grand dans l'histoire parce qu'il a été le peuple bâtisseur. Tout chef d'armée est un constructeur aujourd'hui. Ces voies ferrées, ces routes nouvelles ont été gagnées sur l'effroyable terrain qu'est le sol argileux de Verdun. Il a fallu apporter ici la pierre et promener le rouleau. Mais cela ne fait que de minces rubans tout bordés de précipices. De chaque côté, d'énormes entonnoirs nous guettent, souvent remplis d'une eau qui commence à se prendre et qui brouille les constellations en les reflétant. Et d'inquiétants débris se distinguent vaguement à la lueur des astres. Nous laissons à notre droite l'abri des Quatre Cheminées sur les pentes du ravin des Vignes. Le petit jour qui point nous permet de reconnaître le poste de commandement 119, puis l'ouvrage de Thiaumont pareil à une grosse motte de terre. Fleury est là-bas, longue tache blanche étendue comme un suaire. Tous ces noms représentent de la douleur et de la gloire : voir leur réalité, c'est mettre ses doigts dans les plaies de Verdun, comme Thomas les mit dans les plaies du Christ, et c'est les mettre ainsi après la résurrection. Cependant la voie ferrée que nous avions pris le parti de suivre n'est pas achevée. Il nous faut maintenant marcher sur une piste verglacée et glissante. Il ne nous reste que huit ou neuf cents mètres à parcourir sur un terrain durci par la gelée quand, d'habitude, c'est une boue sans fond où il faut se hasarder comme sur un marécage. Des relèves ont ici perdu des hommes enlisés. Des coureurs n'ont pas reparu. Qu'on imagine ces voyages dans la nuit et sous les obus, où l'on a la sensation d'enfoncer dans une terre gluante sans pouvoir trouver un point d'appui pour s'y raccrocher, et qu'on imagine ce que représente d'efforts une marche en avant dans de telles conditions ! Cette masse noire qui se rapproche, c'est le fort. Au jour naissant qui ne lui impose pas encore des contours nettement définis et le laisse se perdre dans la pénombre, il apparaît comme une moraine chaotique, déchiquetée, travaillée par les avalanches. Mais, de plus près, il porte la trace du travail humain et serait plutôt comparable à quelque énorme tank dressé pour écraser de son poids le visiteur. Il avance à grande allure et brusquement il disparaît. Nous sommes entrés dans la gorge et nous avons été happés par le trou d'ouverture. Nous descendons dans le couloir central, mais le fort a été coupé en deux par un obus de 400 qui a creusé un entonnoir de 25 mètres de diamètre. Les galeries que nous suivons portent les noms des vainqueurs : général Pétain, général Nivelle, général Mangin. Il y a une tourelle Nicolaÿ. L'ancienne kommandantur, belle pièce éclairée par plusieurs lampes électriques, sert de logis au commandant d'armes, actuellement le commandant de Montalègre, du 49e bataillon de chasseurs à pied. Sur sa table de travail, dort un gros et gras matou au poil gris. — C'est un allemand, nous dit-il. Mais nous l'avons naturalisé. En effet, il porte autour du cou un ruban tricolore. Comme à Vaux, c'est le tour du propriétaire. L'héritage ennemi a été plus important à Douaumont : appareils électriques, appareils de télégraphie sans fil, appareils téléphoniques, le tout plus ou moins utilisable. Les magasins de vivres feraient penser à quelque grande maison d'alimentation, s'il ne flottait encore dans l'immeuble une vague odeur cadavérique. L'étage inférieur est intact. L'étage supérieur, outre le fameux entonnoir qui l'a rompu, a l'une ou l'autre de ses galeries crevées. Par les ouvertures, on aperçoit des morceaux du ciel levant, tout vert et or, au-dessus d'un premier plan bouleversé, reste du fossé à demi comblé, levées de terre de la superstructure, démolitions et trous d'obus. Le contraste de ce ciel fleuri et du gouffre du fond duquel nous le regardons fait songer à quelque vision aperçue de l'Enfer de Dante. De la superstructure se découvre le paysage de mort, moins étendu qu'on ne s'attendrait à le voir de Douaumont qui, de tout le massif, est avec Souville le plus haut sommet, car la vue se heurte en avant à la cote 378 et aux Chambrettes. Douaumont, si l'on se retourne, livre au regard les deux rives de la Meuse : les Allemands, en le perdant, ont perdu leurs yeux. Il ne nous offre pas à nous, de leur côté, un aussi merveilleux observatoire. Je m'oriente, pour embrasser, avant de repartir, le futur champ de bataille, celui de l'opération qui se prépare et qui va dégager les abords de Douaumont et de Vaux, fixer définitivement notre ligne au delà de Verdun. A mes pieds, ce sont les pentes brunes de la colline, toutes piquetées d'entonnoirs et de tranchées comme un visage marbré, et entaillées par une série de ravins. Sur la gauche, voici les ravins de la Couleuvre et du Helly qui vont se perdre vers Hardaumont. Ils semblent sortir de cette tache blanche presque lumineuse qui n'est autre que le village de Douaumont. Au-dessus, ces pentes qui montent et me font face, c'est la cote 378 qui barre l'horizon et masque le bois des Fosses. Plus à droite, sur cette crête, le bois déchiqueté des Chambrettes rassemble ses rares plumeaux. Toute cette terre, sans végétation, semble frappée irrémédiablement : jamais elle ne portera plus ni des fleurs ni des fruits. Çà et là des colonnes de fumée qui montent des éclatements et que les détonations accompagnent font penser à des volcans souterrains qui grondent. Des souvenirs me reviennent des premiers jours de la bataille, quand de poignants messages annonçaient successivement la perte du bois des Fosses, celle du bois des Caurières, celle des Chambrettes. Déjà la victoire du 24 octobre nous a ramenés au soir du jeudi 24 février. Tous les innombrables assauts livrés par l'ennemi depuis cette date sont annihilés. Et déjà, nous nous préparons à poursuivre nos avantages. Il est temps d'abandonner ce belvédère, le soleil est déjà haut sur l'horizon. Mais la chance nous favorise et notre sortie est aisée. Un grand tumulte nous fait retourner : derrière nous un barrage tardif fracasse des pierres et nous nous arrêtons pour mieux emporter la vision de cette masse désordonnée et romantique que présente le grand fort. Les photographies d'avions lui attribuent des contours définis et il faut croire que ses fossés et ses redoutes ont gardé leur dessin, puisque, de haut, ils s'aperçoivent. Mais, de plain-pied, il n'a plus de forme. C'est la moraine des grands mouvements géologiques. Le blanc gel qui la recouvre et la fait étinceler achève de nous reporter aux époques glaciaires. Ce blanc gel donne à tout le paysage qui nous entoure une apparence si fantastique qu'il ralentit à tout instant notre marche pour le mieux contempler. Nous pouvons nous croire transportés sur une chaîne des Alpes. Dans les fonds, dans les ravins, c'est la mer de nuages. Seuls, émergent les sommets, et ces sommets qui, dans la réalité, n'ont que trois ou quatre cents mètres à peine, prennent des airs altiers en se caressant à la clarté froide du soleil d'hiver. Souville, aux flancs baignés de brume, laisse la ligne sinueuse de son plateau flotter comme une écharpe légère. Cette haute falaise arrondie au-dessus d'un océan confus qui recouvre la plaine de la Woëvre, porte le fort de Vaux. Autour de nous, la gelée a jeté un manteau d'hermine sur les affreux débris du champ de bataille : un casque, une gamelle, brillent çà et là et, si l'on regardait de plus près les bosses qui bordent les trous, on distinguerait des cadavres. Mais pourquoi regarder de plus près ? Ce beau soleil d'hiver met l'âme en liesse. Les pentes de Froideterre, maintenant hors des vues de l'ennemi, se sont animées. La voie ferrée charrie des wagonnets de munitions et de vivres qu'une troupe bruyante accompagne. On dirait un chantier en plein travail. L'un ou l'autre ouvrier chante à pleine voix. De la côte de Belleville, nous cherchons des yeux la Meuse et Verdun. Mais la Meuse et Verdun sont dans le brouillard. Seules, les deux tours de la cathédrale sortent des nuages comme deux bras levés. Le silence revêt le plus grand nom du monde : Un lendemain sans borne enveloppe Verdun. Là, les hommes français sont venus un à un, Pas à pas, jour par jour, seconde par seconde, Témoigner du plus fier et plus stoïque amour. Ils se sont endormis dans la funèbre épreuve. Verdun, leur immortelle et pantelante veuve, Comme pour implorer leur céleste retour, Tient levés les deux bras de ses deux hautes tours[2]. Apparition prodigieuse de ces deux bras levés au-dessus de la grande ruine victorieuse que les douces nuées sont venues panser, comme les déesses accourues vers Prométhée crucifié. Le fort de Vaux m'avait laissé une impression de douleur et de désolation. Mais ce retour de Douaumont prend un rythme joyeux. Ici, le 24 octobre 1916, l'hymne de délivrance a commencé de retentir quand les chaînes du premier captif furent brisées... ***Henri Heine, le moins Allemand des Allemands, voyageant en Italie, raconte dans les Reisebilder qu'il tut pris d'un éblouissement quand le postillon lui cria : — Nous sommes sur le champ de bataille de Marengo. ... C'est ici, écrit-il, que le général Bonaparte but un coup si copieux à la coupe
de la gloire que, dans l'ivresse, il devint Premier Consul, Empereur, maître
du monde et ne put se réveiller qu'à Sainte-Hélène. Et quand la visite s'achève, il ajoute, le soir de son pèlerinage : ... J'aime les champs de bataille, car tout horrible qu'est la guerre, elle témoigne pourtant de la grandeur intellectuelle de l'homme qui peut défier la mort, son plus puissant ennemi héréditaire. Plus tard les pèlerins qui, pieusement, graviront les pentes de ces deux sanctuaires français, Douaumont et Vaux, viendront y célébrer l'immortelle victoire de Verdun qui marqua l'arrêt de la puissance germanique. De Verdun, ville de douleur, datera, pour la France, une nouvelle ère de gloire. Et ils sentiront sous leurs pieds cette terre frémissante et comme soulevée par tous les morts qui en ont fait une terre sacrée : A force d'engloutir, la terre s'est faite homme... En aucun lieu du monde ne fut révélé au monde par les hommes un plus grand courage devant la douleur et devant la mort : la seule chose qui vaille la peine que l'histoire soit écrite, a dit un historien, M. de la Gorce, c'est-à-dire le spectacle d'une âme plus forte que le péril. Et ce spectacle a été donné, pour notre salut, notre sécurité, notre paix, et l'enseignement de nos générations nouvelles et à venir, par une armée sortie des entrailles de la nation, qui portait sur ses mille visages aux regards tendus vers un but unique la diversité âpre ou riante de nos campagnes, le reflet de nos foyers, l'espoir et la confiance de notre sol et du passé millénaire dont la suite a fait notre France... Novembre 1916-Février 1917. FIN DE L'OUVRAGE |