I Grand nombre d'ouvrages écrits par Varron. — Raisons qui empêchent d'en être surpris. — Tentatives essayées pour diminuer la liste de ses ouvrages en réunissant ceux qui présentent quelques ressemblances. Démenti qu'a reçu ce système par la découverte de la lettre de saint Jérôme à sainte Paule. — Index que contient cette lettre. — Supplément à cet index. — Liste des ouvrages de Varron. Varron a été un des écrivains les plus féconds de l'antiquité. Cicéron l'appelait πολυγραφώτατος[1], dans un temps où il n'avait pas encore composé la moitié de ses livres, et saint Augustin dit qu'il a tant lu qu'on ne sait comment il a trouvé le temps d'écrire, et qu'il a tant écrit qu'on a peine à pouvoir lire tous ses ouvrages[2]. Pour n'être pas surpris de cette fécondité, il faut se rappeler comment travaillaient les savants de cette époque, et relire, par exemple, la lettre qu'a écrite Pline le jeune à propos de son oncle[3]. Il le montre accompagné partout de son lecteur et de son secrétaire, s'occupant sans relâche à noter les faits curieux qu'il entend rapporter ou les réflexions que lui suggèrent ses lectures. Car, disait-il, il n'y a pas de livre si mauvais qu'on ne puisse y apprendre quelque chose. Toute cette érudition remplissait cent-soixante registres, écrits en petits caractères, sur la page et le revers. De pareils recueils étaient un véritable trésor[4] ; on comprend que Largius Licinus les ait voulu payer quatre cent mille sesterces et que Pline les léguât précieusement à son neveu, comme la plus belle part de son héritage. Ils contenaient la matière de plusieurs ouvrages, et de là les livres naissaient sans peine. C'est ainsi que Pline parvint à écrire, dans une carrière si courte et si occupée, cent cinq volumes, et surtout cette grande histoire naturelle, qui, d'après son témoignage, avait exigé la lecture de près de deux mille ouvrages, et contenait plus de vingt mille faits curieux qu'il en avait tirés. A la vérité, des livres pareils n'étaient le plus souvent que des compilations ; mais ils n'en étaient pas moins bien reçus du public. On comprend que les compilations fussent alors plus honorées qu'aujourd'hui ; comme les livres étaient rares et qu'il eût été difficile et coûteux de se procurer tous les auteurs qui traitaient un sujet qu'on voulait connaître, on savait un gré infini à celui qui les présentait réunis dans un seul ouvrage ; il rendait tant de services en rassemblant ainsi ces observations disséminées, il épargnait tant de peine et de dépense aux esprits curieux, qu'on ne songeait pas à se demander s'il tenait sa science de lui-même ou s'il l'avait puisée ailleurs. Varron faisait comme Pline. La belle maxime que nous trouvons dans les Ménippées : C'est de travail qu'il faut forger sa vie[5], semble avoir toujours été sa devise ; jamais il ne se reposa d'apprendre, et il acquit, dans ces longues études, une prodigieuse érudition. Aussi, quelque sujet qu'il voulût traiter, sa mémoire lui rappelait, et, au besoin, ses notes lui pouvaient fournir une foule d'idées et de faits qu'il avait puisés un peu partout. Une grande partie de ses ouvrages n'était que le résumé de ses lectures. Ses connaissances en grammaire, en philosophie, en mathématique, lui venaient des Grecs ; il ne cherche pas à le cacher, et nomme ses maîtres. Lors même qu'il écrit sur la religion et les antiquités de Rome et que, par la nécessité même de son sujet, il est contraint d'être original, il ne peut pourtant pas prendre sur lui de marcher seul. S'il ne peut plus tirer des Grecs le fond de son livre, il les imite encore par la forme qu'il lui donne : par exemple, le De vita populi Romani si patriotique, si romain par les idées, était composé sur le modèle du Βίος Έλλάδος de Dicœarque. Puisqu'il avait tant de penchant à imiter les autres, on comprend qu'il n'eut point de scrupule à se reproduire lui-même, toutes les fois qu'il en avait l'occasion. On retrouve à plusieurs reprises, dans ses fragments, les mêmes anecdotes, les mêmes définitions, les mêmes étymologies[6] ; il suffit de lire la liste de ses œuvres pour être assuré qu'il avait plusieurs fois traité les mêmes sujets. Ses livres les plus importants passaient presque toujours par, trois formes différentes : c'était d'abord des traités moins longs, sur des points de détail détachés de la question générale, qu'on peut regarder, ou bien comme une préparation à l'ouvrage, quand ils ont été publiés avant lui, ou, s'ils l'ont suivi, comme une sorte de supplément ; puis vient le grand ouvrage lui-même, avec ses vastes proportions ; enfin il le résumait en un traité plus court et plus simple pour le rendre plus facile à saisir au public ordinaire. C'est ce qu'il avait fait pour les Antiquités, le De lingua latina et les Hebdomades. On voit donc que Varron était, le plus souvent, un compilateur, qui écrivait avec ses souvenirs ; qu'il revenait sans scrupule sur les sujets qu'il avait plusieurs fois traités et faisait des livres nouveaux en développant ou en résumant ses anciens ouvrages ; ajoutons qu'en général il prenait peu de souci du style, et qu'après avoir rapidement écrit ses livres, il s'empressait de les publier ; car il aimait à communiquer sa science aux autres, et Cicéron lui fait dire que c'est le propre d'un esprit mal réglé de composer des livres pour les tenir cachés[7]. Voilà bien des motifs pour expliquer son étonnante fécondité. Cependant quelques critiques ne se sont pas rendus à ces raisons, et, trouvant invraisemblable que Varron eût tant écrit, ils ont cherché à réduire par tous les moyens le nombre des ouvrages qu'on lui attribue. Leur procédé ordinaire est fort simple, et consiste à suivre une méthode familière à Scaliger, à réunir les livres qui présentent entre eux quelque analogie. Il suffit qu'ils traitent des sujets qui se ressemblent pour qu'on décide, sans autre preuve, qu'il faut les confondre. On en est quitte pour affirmer que le grammairien qui les cite sous des noms différents s'est trompé, ou que l'auteur leur avait donné plusieurs titres. C'est ainsi que Popma réunissait le De sermone latino, le De lingua latina et le De poetis, et n'en faisait qu'un immense ouvrage. M. Krahner ne veut pas que l'on distingue le De ora maritima, des Littoralia, des Libri navales et de l'Ephemeris navalis ; c'est le même livre sous quatre noms divers. Enfin M. Ritschl confond sept ou huit traités dans l'ouvrage intitulé Disciplinæ qui devient une sorte d'encyclopédie, où chaque livre traite un sujet différent avec un titre particulier. C'est, je crois, accorder trop aux conjectures. Sans doute, il est possible que certains ouvrages de Varron aient porté deux titres, ou que les grammairiens se soient trompés en les citant ; mais il est téméraire, avec le petit nombre de renseignements qui nous restent, de nous établir en juges de leurs erreurs, et de décider, sur quelque ressemblance douteuse, contre leur témoignage formel. Sauf les cas où l'erreur est trop manifeste, je crois plus conforme à une sage critique de placer parmi les ouvrages de Varron tous ceux dont les écrivains anciens ont cité le titre, sans essayer de les confondre. Leur nombre ne doit pas surprendre quand il s'agit d'un auteur dont la fécondité est reconnue de tout le monde ; et il vaut mieux courir le risque de le trop accroître sur l'autorité des critiques de l'antiquité que de se croire en droit de le diminuer par des conjectures arbitraires. Ce qui m'affermit dans ma résolution, c'est le démenti qu'a reçu, par une découverte imprévue, le système que je combats ; démenti si formel que M. Ritschl a reconnu qu'il s'était trompé, et que son mémoire sur les Disciplina était à refaire. On savait que saint Jérôme, dans une lettre écrite à sainte Paule, avait énuméré les œuvres de Varron, pour les opposer à celles d'Origène, et mettre ainsi la science humaine et la science divine en parallèle. Cette lettre était perdue ; mais, par un bonheur inespéré, elle a été retrouvée, il y a quelques années, en tête d'un manuscrit d'Origène. C'est, pour la question qui nous occupe, une très-importante découverte. Elle Confirme l'existence de plusieurs-ouvrages de Varron que la critique lui refusait, elle en révèle d'autres dont personne n'avait parlé, et démontre aux plus incrédules qu'on a eu tort d'en vouloir réduire la liste, que ses connaissances étaient plus étendues et sa fécondité bien plus grande encore qu'on ne le soupçonnait. Voici cette lettre tout entière, telle que M. Chappuis l'a publiée à la fin de son édition des Sentences de Varron. Marcum Terentium Varronem
miratur antiquitas quod, apud Latinos, innumerabiles libros scripserit. Græci
Chalcenterum miris efferunt laudibus quod tantos libros composuerit, quantos
quivis nostrum alienos sua manu describere non potest. Et, quia non otiosum
est apud Latinos græcorum voluminum indicem texere, de eo qui latine scripsit
aligna commemorabo, ut intelligamus nos Epimenidis dormire somnum, et
studium, quod illi posuerunt in eruditione secularium litterarum, in
congregandis opibus ponere. Scripsit igitur Varro : XLI libros antiquitatum[8]. IV de vita populi romani. Imaginum XV[9]. Λογιστορικών LXXVI. De lingua latina XXV. Disciplinarum IX. De sermone latino V. Quæstionum Plautinarum V. Annalium III. De origine linguæ latinæ III. De poematis III. De originibus scenicis III. De scenicis actionibus III[10]. De actis scenicis[11]. De descriptionibus III. De proprietate scriptorum III. De bibliothecis III. De lectionibus III. De similitudine verborum III. Legationum III. Suasionum III. De Pompeio III. Singulares X[12]. De personis III. De jure civili XV. Έπιτομήν Antiquitatum, ex libris XLI, libros IX. Έπιτομήν ex Imaginum libris XV, libros IV. Έπιτομήν, de Lingua latina, ex libris XXV. libros IX[13]. De principiis numerorum libros IX. Rerum rasticarum libros III. De valetudine tuenda librum I[14]. De sua vita libros III. De forma Philosophias libros III. Rerum urbanarum libros III. Satyrarum Menippæarum libros CI. Poematum libros X. Orationum libros XXII. Pseudo-tragædiarium libros VI[15]. Satyrarum libros IV. et alla plurima qum ennmerare iongtun est. Vix medium descripsi indicem et legentibus fastidium est. Il est certes bien adieux que saint Jérôme n'ait pas eu la patience d'aller plus loin et de transcrire jusqu'au bout ce curieux index, qu'il empruntait sans doute à quelque ancien grammairien. Mais nous voilà assurés de posséder, grâce à lui, la liste exacte d'une partie des œuvres de Varron. S'il faut ajouter foi à l'indication qu'il donne lui-même à la fin de sa lettre, il nous en reste encore une moitié à chercher. Mais est-il probable que la seconde partie de l'index fût aussi fournie que la première ? Celle-ci contient trente-neuf ouvrages formant ensemble quatre cent quatre-vingt-six livres. Si l'on doublait ce nombre, comme on serait d'abord tenté de le faire d'après les expressions de saint Jérôme, on arriverait à un chiffre tout à fait invraisemblable. Or, il nous reste un texte précis de Varron lui-même, qui ne nous permet pas d'aller aussi loin ; il disait, dans la préface des Hebdomades, qu'il avait quatre-vingt-quatre ans et qu'il avait écrit quatre cent quatre-vingt-dix livres. Il n'a guère survécu que six ans à cette époque, et il est impossible d'admettre, quelque ardeur qu'on lui suppose à travailler, qu'il ait, en ces six ans, autant écrit que dans tout le reste de sa vie. On peut toutefois concilier de quelque façon les paroles de Varron et celles de saint Jérôme, en supposant que la seconde partie de la liste renfermait un aussi grand nombre d'ouvrages, mais que seulement ces ouvrages avaient moins d'étendue et que chacun d'eux contenait un moins grand nombre de livres que ceux qui étaient compris dans la première partie. On voit, en effet, que saint Jérôme a déjà cité les plus importants : les Antiquités, les Ménippées, les Hebdomades, etc. ; il ne restait plus, dans la seconde moitié, que les moins connus et les plus courts. Essayons donc de compléter cette liste que l'impatience de saint Jérôme a si malencontreusement interrompue. Je vais, comme je l'ai annoncé plus haut, fidèlement transcrire tous les titres d'ouvrages que je trouve cités dans les auteurs anciens. Carmen. Cicér., Acad. I, 3. Quint., I, 4. Lactanc., Inst. div. 11, 12. De compositione satyrarum liber. Nonius, v. Parectatæ. De Philosophia liber. S. Aug., de Civ. D., XIX, 1. De Grammatica liber. Cassiod. de Orthogr., 1, p. 2286. De utilitate sermonis libri. Le IVe est cité par Charisius, l. 21. De antiquitate litterarum libri. Priscien en cite le second livre[16]. Rhetorica. Priscien (IX-872) en cite le troisième livre. Περί χαρακτήρων. Charisius (II-14) cite le troisième livre[17]. De comœdiis Plautinis liber. De poetis libri. Ces deux ouvrages sont cités par Aulu-Gelle. De familiis Trojanis. Serv., in Æn., V, 704. De gente populi romani libri IV. Cités par saint Augustin, Nonius, etc. Ætion liber. Plusieurs fois cité par Servius. Tribuum liber. Varr., de ling. lat., V, 56. Έισαγωγικός. Aulu-Gelle, XIV, 7. Augurum libri. Macrobe, Sat. I, 16. De initiis urbis Rom liber. Quint., I, 6. De gradibus. Serv., in./En., v, 412[18]. Ephemeris navalis liber. Nonius, Prisc., Itin. Alex. Libri navales. Végèce, V, 11. De ora maritima. Cité trois fois par Servius. Littoralia. Solin. Polyh. De Æstuariis liber. Varr., de ling. lat., IX, 26. De Astrologia liber. Cassiod., De art. et disc. VI, 560. De Geometria liber. Cassiod., id. Mensuralia. Prisc., VIII, 818. De Mensuris. Boec., de Geom.[19]. Numerorum libri. Saint Augustin, de Gramm., 2008[20]. Epistolarum libri, Charisius (I-18) en cite le huitième livre. Epistolicæ Quæstiones. Cités par Aulu-Gelle et Charisius. Il y en avait au moins six livres[21]. La liste de saint Jérôme se trouve ainsi augmentée de trente ouvrages, qui, d'après les calculs de M. Ritschl, doivent former une centaine de livres. Il faut donc admettre que Varron a composé cent livres, à peu près, dans les six dernières années de sa vie. Ce serait beaucoup pour un vieillard ordinaire ; mais Varron était le plus infatigable des savants, il vivait loin des affaires, dans ce tranquille repos qu'il avait toujours souhaité, sans jamais pouvoir l'obtenir ; il avait d'immenses matériaux tout préparés, et son érudition, qu'il augmentait sans cesse, lui fournissait des ressources de plus en plus abondantes ; que de raisons de n'être pas trop surpris de cette fécondité qu'on attribue à ses dernières années ! Telle est, à peu près, la liste des ouvrages de Varron. L'heureuse découverte de la lettre à sainte. Paule nous permet d'assurer que nous la possédons presque complète. Saint Jérôme en énumère trente-neuf, et nous apprend que c'était la moitié de ceux que Varron avait composés. Les titres de trente autres ont été retrouvés chez les divers critiques de l'antiquité. Il n'y en a donc guère plus d'une dizaine qui nous aient échappé. C'est peu, dans un si grand nombre. II Date des principaux ouvrages de Varron. — 1° Jeunesse de Varron. Ménippées, Logistoriti. — 2° Vie politique de Varron jusqu'à la guerre civile ; Ephemeris navalis, De jure civili, De poetis, De sermone latino, les Antiquités divines et humaines. — 3° Dictature de César ; De bibliothecis, De Pompeio, De lingua latina. — 4° Guerre d'Antoine ; De vita populi romani. — 5° Dernières années de la vie de Varron ; ouvrages de philosophie, De gente populi romani, Hebdomades, De re rustica, Traités élémentaires, Disciplinæ, la Correspondance, De vita sua. Après avoir établi la liste des ouvrages d'un auteur, on aime à pouvoir indiquer l'ordre dans lequel il les a composés. C'est une connaissance, dit Pline le jeune[22], qui n'est pas sans intérêt pour les esprits studieux. Mais c'est aussi une étude bien difficile avec des écrivains comme Varron, que le temps a si cruellement traités. S'il faut renoncer à fixer l'âge d'un grand-nombre de ses écrits dont il ne nous reste plus que le titre ou de courts fragments, essayons au moins de le faire pour les plus importants. Les Satires Ménippées furent, sans doute, une des premières œuvres de Varron. Il les appelle lui-même, dans les Académiques, vetera illa nostra[23] ; et, quand il ne le dirait pas, on n'aurait pas grand'peine à le deviner : le ton de l'ouvrage indique l'âge de l'auteur. Cette manière dramatique de présenter la science, la vivacité de certaines peintures, la verve et l'éclat du style, le tour piquant donné aux pensées les plus sérieuses, et surtout ce mélange de la poésie avec l'érudition, tout y trahit la jeunesse. Il peut bien se faire cependant que, comme le pense M. Œhler[24], toutes les satires ne soient pas de la même époque ; quelques-unes peuvent avoir été publiées plus tard. Varron n'avait pas oublié qu'il devait aux Ménippées ses premiers succès ; il leur en était sans doute reconnaissant, et il n'est pas surprenant que, dans la suite, il se soit quelquefois délassé de travaux plus sérieux en revenant à ce genre qui l'avait d'abord fait connaître. C'était, d'ailleurs, un moyen vif et piquant de dire son opinion ; et pourquoi Varron, au milieu des luttes politiques, ne s'en serait-il pas servi pour se faire mieux écouter du peuple ? le Τρικάρανος, dans lequel il attaquait si vivement le triumvirat, était, sans doute, une Ménippée. S'il fallait distinguer entre elles les Satires Ménippées, et leur marquer une date, je serais tenté de croire que les satires philosophiques, qui sont les plus nombreuses, sont aussi les plus anciennes, et remontent à la jeunesse de l'auteur, et que celles où la politique est touchée, ont été composées un peu plus lard : au retour d'Athènes il était prêt à faire connaître aux Romains les systèmes dès philosophes grecs ; il dut attendre pour dire son opinion sur lès affaires publiques, d'y avoir pris part lui-même, et d'avoir gagné plus d'autorité par l'expérience. La seule raison qu'on ait de placer les Logistorici après les Ménippées, c'est la ressemblance qu'on remarque entre ces deux sortes d'ouvrages. Les sujets que l'écrivain y traite sont presque les mêmes ; l'on y retrouve une certaine vivacité dans l'expression et ce tour dramatique donné à la science, qui révèlent une jeune imagination. Seulement la poésie s'éloigne, ce qui semble indiquer que la première jeunesse est passée. Il est possible que, comme les Satires Ménippées, les Logistorici aient été composés à diverses époques. Le seul dont la date soit à peu près connue est celui qui est intitulé Pius, de pave ; nous savons par Aulu-Gelle[25], que Varron y racontait une mésaventure de l'historien Salluste fustigé par Milon, dont il avait séduit la femme ; or, ce fait ne peut s'être passé que quelque temps avant la mort de Clodius, vers l'an 700. Les Ménippées et les Logistorici sont donc, en partie du moins, des œuvres de jeunesse. Après avoir spirituellement raillé les doctrines des philosophes et exposé ses opinions morales, Varron aborda la vie publique. Le premier ouvrage que des circonstances politiques l'amenèrent à composer fut l'Ephemeris navalis. L'auteur de l'Itinéraire d'Alexandre en fixe la date, quand il nous dit qu'il fut adressé à Pompée avant son départ pour l'Espagne ; c'est donc vers 678 qu'il aurait été écrit. Malheureusement un fragment de l'Ephemeris, conservé par Priscien, contredit tout ce récit ; il y est question de la réforme du calendrier par Jules-César, et du nom de Julius qui fut alors donné au mois de sextilis[26] ; or, ces faits se sont passés vingt ans après le voyage de Pompée en Espagne. De toutes les hypothèses imaginées pour rendre raison de cette difficulté, je n'en vois qu'une de raisonnable, celle de M. Bergk[27], qui suppose qu'il existait une seconde Ephemeris, l'Ephemeris agrestis ou rustica, et que Varron avait composé le Journal des laboureurs pour l'opposer au Journal des marins. Mais quelque esprit que M. Bergk ait déployé pour soutenir son opinion, et quoique M. Ritschl l'ait fortifiée de son autorité, elle n'est encore qu'une hypothèse. Or, je crois qu'on peut ici s'en passer, et trouver une explication bien plus simple, k laquelle je suis fort surpris que ni M. Ritschl, ni M. Bergk n'aient songé. Je pense que Varron, qui avait composé son Ephemeris pour Pompée, ne l'avait pas alors fait connaître au public ; ce qui peut le faire croire, c'est qu'il avait agi ainsi pour l'Είσαγωγικός, écrit, comme on l'a vu, vers le même temps, et adressé à Pompée, aussi bien que l'Ephemeris. Varron disait lui-même que ce livre disparut dans le pillage de sa bibliothèque, et qu'il lui avait fallu le recommencer dans ses dernières années[28]. Par là, je suis autorisé à supposer que l'Ephemeris navalis, faite pour Pompée, n'avait été d'abord envoyée qu'à lui. Ce n'est que longtemps après que Varron songea à la publier. Mais alors, pour que son livre fût vraiment utile, il fallut bien le mettre au courant de la science et l'accommoder aux progrès qu'elle avait faits. C'est ainsi que, dans cette édition destinée au public, il fut naturellement amené à parler des réformes que César venait de faire au calendrier. Quant aux Libri navales, dont parle Végèce, le sujet qu'ils traitaient est si parfaitement conforme à celui de l'Ephemeris, que, quoiqu'aucun témoignage formel ne 'nous autorise à les confondre, il me paraît bien difficile de les distinguer[29]. Depuis le moment où il adressa à Pompée son Ephemeris jusqu'au début de la guerre civile, Varron, dans la vigueur de l'âge et du talent, a dû publier plusieurs de ses plus importants écrits. C'est dans ces vingt-cinq années que, malgré les affaires auxquelles il fut employé et le temps qu'il donna au service de la République, il conquit, par ses travaux littéraires, ce titre de doctissimus Romanorum qui semble inséparable de son nom. Cherchons par quels ouvrages il a dû le mériter. Le début des Académiques nous servira à le découvrir. On y parle de Varron comme d'un disciple d'Ælius, qui a continué son œuvre. Or, on sait qu'Ælius s'était occupé tout ensemble du droit, des antiquités et de la langue de son pays. Varron, sans doute, s'était fait gloire de ne rien négliger dans l'héritage de son maitre. C'est donc probablement à cette époque que furent composés les quinze livres De jure civili dont l'existence nous a été révélée par saint Jérôme. En 683 il écrivit, à la demande de Pompée, le traité sur la manière de tenir les assemblées du Sénat. Quant à la grammaire, on ne peut douter qu'il ne s'en fut alors beaucoup occupé. Vous avez répandu une grande clarté sur nos poètes, lui dit Cicéron vers cette époque[30], et en général sur toute notre littérature, et même sur les mots de notre langue. Ces paroles me font penser que le De poetis, plusieurs fois cité par Aulu-Gelle, est de ce temps, aussi bien que la plupart des traités de grammaire. On n'en peut pas douter pour le De sermon latine, dédié à Marcellus : Marcellus est mort en 708, et il vivait éloigné de Rome depuis Pharsale ; Varron n'a donc pu lui adresser son livre qu'avant le commencement de la guerre. Mais l'ouvrage capital de Varron en ce temps, celui qui lui fit le plus d'honneur et auquel sa réputation demeure encore aujourd'hui attachée, ce sont les Antiquités divines et humaines, en quarante et un livres, dont la seconde partie au-moins était adressée à César, grand pontife. Je crois aussi qu'elles furent publiées avant la guerre. Mais, comme je contredis ici l'opinion commune, il convient que j'entre dans quelques détails. Ce qui est hors de doute, c'est que l'ouvrage avait paru en l'année 708, quand Cicéron écrivit ses Académiques, puisqu'il y est cité. Mais jusqu'à quelle année le faut-il reculer ? Schneider pense qu'il a été publié vers 707, c'est-à-dire un an après Pharsale. Il n'est guère probable, dit-il, que Varron, ami de Pompée, comme il l'était, ait dédié son chef-d'œuvre au rival de Pompée, pendant que celui-ci était encore en vie. M. Merckel arrive à la même conclusion, en s'appuyant sur une phrase citée par Acron, et où il croit voir qu'il est question de la victoire de César et des loisirs qu'elle donne à ceux qu'il a vaincus. M. Krahner se range à l'opinion de ses prédécesseurs qui lui pare fort vraisemblable. Mais il faut remarquer que la phrase d'Acron, sur laquelle se fonde M. Merckel, est loin d'être claire, et qu'il la refait bien plus qu'il ne l'explique[31]. Tout ce qu'on peut y voir, c'est que Varron semble faire un compliment à César sur ses victoires qui sont le fruit de sa sagesse. Il n'y a rien là qui nous force à croire que c'est de Pharsale qu'il veut parler. Quant à la raison alléguée par Schneider, il suffit, pour n'en être pas touché, de se souvenir que Varron n'avait pas négligé les bonnes grâces de César, et qu'en Espagne, lorsqu'il hésitait à se prononcer, il affectait de dire qu'il n'était pas moins son ami que celui de Pompée. Il n'y a donc rien qui empêche de croire qu'il ait composé ses Antiquités avant la guerre ; tout prouve, au contraire, qu'il n'a pas pu les écrire après. Atticus attaque Varron, dans les Académiques, parce qu'il est resté longtemps sans rien publier. Les muses de Varron, dit-il[32], gardent un silence plus long qu'à l'ordinaire ; et cependant je ne puis penser qu'il ne fasse rien, mais je crois qu'il veut cacher ce qu'il fait. Et Varron répond qu'il a entre les mains un grand ouvrage qu'il lime et polit à loisir. C'était le traité de La langue latine, qu'il voulait adresser à Cicéron. Or, nous savons depuis quelle époque il y travaillait ; voilà deux ans, dit Cicéron à Atticus[33], que Varron m'a annoncé son grand dessein, et depuis, tout en marchant toujours, il n'a pas avancé d'un pas. Cette lettre est du mois de juillet 708. Ainsi depuis 706 Varron s'occupait de son grand traité de là Langue latine ; il était tout à ce travail, et il n'est pas probable qu'il s'en soit distrait, et que, pendant cet intervalle il ait publié quelque grand ouvrage ; d'abord parce qu'Atticus parle du silence qu'il garde depuis longtemps, ensuite parce que Cicéron, si impatient de voir paraître le livre qui portait son nom, et qui se plaint partout des retards de son ami, n'aurait pas manqué de dire qu'il donnait à d'autres le temps qu'il lui devait. C'est donc tout au plus vers l'an 706 que Varron aurait pu faire paraître les Antiquités. Mais il n'y avait que quelques mois qu'il était de retour de Pharsale, il venait d'échapper à grand'peine aux menaces d'Antoine, il ne savait pas encore comment l'accueillerait César. Est-il vraisemblable qu'en si peu de temps, avec de telles préoccupations, il ait composé un de ses plus longs ouvrages, et qui a dû lui coûter tant de soins et de travaux ? On voit qu'il n'y a guère de place pour la publication des Antiquités dans cette partie de la vie de Varron qui va de Pharsale jusqu'à l'apparition des Académiques. Il faut donc qu'il les ait composées avant la guerre civile. Ce sera, si l'on veut, pendant que César remportait dans la Gaule ces victoires qui étonnaient Rome ; dans le temps où Cicéron le félicitait avec tant d'effusion et promettait de chanter en vers ses exploits. On commençait alors à prévoir les hautes destinées du vainqueur de la Gaule, et les habiles essayaient de gagner ses bonnes grâces. Je suis confirmé dans cette opinion quand je vois, vers cette époque, Cicéron écrire à Atticus pour lui demander la permission de se servir de sa bibliothèque et d'y consulter les livres de Varron ; il a, dit-il, quelque recherche à y faire pour l'ouvrage qu'il compose[34]. Or, il travaillait alors à sa République, et les livres de Varron, dont il a besoin, ne me semblent autres que les Antiquités, dont le sujet se rapproche de celui des dialogues de Cicéron. S'il en est ainsi, ces livres existaient vers l'an 699. Pendant la dictature de César, Varron, libre des affaires, se livra avec ardeur à l'étude. Mais on ne sait guère quels ouvrages il a publiés alors. Il est vraisemblable que les fonctions qui lui furent confiées par César lui donnèrent l'occasion d'écrire son livre sur les bibliothèques. Cicéron nous apprend qu'en 708 il avait fait paraître l'éloge funèbre de la sœur de Caton ; et M. Ritschl, sur cette indication, a soupçonné que les trois livres sûr Pompée pouvaient être de la même époque. On aimerait à en dire assuré, et on en estimerait davantage le caractère de Varron et la doble tolérance de César. Mais l'ouvrage qui l'occupa le plus sérieusement alors, ce fut son grand traité en vingt-cinq livres, sur la Langue latine. Il était en partie dédié à Cicéron, et destiné à remercier le grand orateur des éloges qu'il décernait à son ami, et de la place qu'il lui avait donnée dans ses Académiques. Cet échange de bons procédés littéraires donna naissance à une série de négociations piquantes, sur lesquelles il convient d'insister. Elles ne servent pas seulement à fixer l'époque où furent écrits ces divers ouvrages ; elles nous montrent aussi ces deux hommes illustres dans le secret de leur intimité, avec toutes les inégalités de leur humeur et les inquiétudes de leur vanité irritable. En les étudiant, nous saisirons mieux le caractère de leurs rapports que si nous nous en tenions aux compliments qu'ils s'adressent en tête de leurs livres. Depuis longtemps Cicéron, à la demande d'Atticus, avait résolu de mettre Varron en quelque endroit de ses livres, Varro includetur in aliquem locum. Il y songeait dès son retour de l'exil ; et, comme il ne pouvait lui donner une place dans la République, où il ne faisait parler que des contemporains de Scipion, il s'était décidé à lui en dédier la préface. Sans doute, il ne donna pas suite à ce dessein, puisque, quelques années plus tard, Atticus est obligé de lui rappeler sa promesse. Varron avait vu avec jalousie tant de livres dédiés à Brutus et à Hortensius ; il réclamait le même honneur. Cicéron se fait d'abord prier, il veut attendre le grand ouvrage que Varron lui promet depuis deux ans, et mesurer le cadeau qu'il doit lui faire à celui qu'il en aura reçu[35]. Cependant, après quelques hésitations, il se décide à le prévenir. Il travaillait alors à ses Académiques, et elles avaient déjà changé deux fois de forme et de personnages. C'était primitivement un dialogue entre Hortensius et Lucullus. Mais Cicéron reconnut bientôt qu'il ne convenait pas de faire soutenir des discussions philosophiques à des gens qui ne s'en étaient jamais occupés. Ils furent remplacés par Caton et Cotta ; ceux-là au moins estimaient la philosophie et la connaissaient. Cependant ce changement ne contenta pas tout à fait Cicéron : il s'était réduit lui-même à un rôle muet, comme dans le De oratore, et ce rôle ne lui semblait pas convenable à sa dignité. Il recommença son œuvre et prit le parti de s'y mettre aux prises avec Varron, en présence d'Atticus. Cette fois Atticus se déclara entièrement satisfait et l'on se prépara à envoyer l'ouvrage à Varron. Mais, au dernier moment, Cicéron hésite encore. On comprend bien que, prenant part à la discussion, il s'était donné le meilleur rôle et le dernier mot. N'était-il pas à craindre que Varron ne s'en fâchât, lui, dont on connaissait l'humeur difficile, et qu'il ne se trouvât trop maltraité ? Atticus, toujours consulté, leva ces derniers scrupules, et le livre fut envoyé à Varron avec une lettre spirituelle et très-soignée, dont Cicéron avait pesé toutes les expressions. Que je meure, écrit-il à Atticus[36], si jamais rien m'a coûté autant de peine. D'où viennent tous ces soins que se donne Cicéron ?
Évidemment du désir qu'il a.de voir son nom en tête du grand traité de la
langue latine. Cet honneur flattait singulièrement sa vanité, et, pour
engager Varron davantage et l'empêcher de se dédire, il lui fit annoncer
solennellement l'ouvrage dans les Académiques. Il est plus vif encore
dans la lettre qu'il lui adresse en lui envoyant les quatre livres qu'il lui
a dédiés, et le somme, avec beaucoup d'esprit, de tenir sa promesse. L'impatience que j'ai, dit-il, d'en voir l'exécution, me porte, sinon à l'exiger, du
moins à vous en faire ressouvenir. Je vous envoie quatre messagers qui ne
sont rien moins que honteux ; vous connaissez l'effronterie de cette jeune
Académie ; ils sont partis de son sein, et, quoiqu'ils n'aient ordre que de
tous prier, je crains fort qu'ils ne soient pressants dans leur demande[37]. Varron, ainsi
sollicité, ne pouvait pas plus longtemps différer. C'est donc vers 709 qu'on
doit placer la publication du De lingua
Latina ; tout au plus la peut-on reculer jusqu'à l'année suivante, qui
est celle de la mort de Cicéron. Ce n'est pourtant pas l'opinion d'Ottfried
Müller[38]. Frappé,
peut-être plus qu'il ne convenait, des imperfections d'un texte qui nous est
parvenu si mutilé, étonné de trouver tant de lacunes et de contradictions
dans un ouvrage que Varron, selon son propre témoignage, prenait tant de soin
de limer et de polir, il suppose que l'auteur n'a pas eu le temps d'y mettre
la dernière main. Il lui semble d'ailleurs fort étrange que Varron, qui
n'avait encore rien fait connaître de l'ouvrage en 708, pas même les trois
premiers livres adressés à Septimius, fût prêt l'année suivante à le publier
tout entier. C'est ce qui le porte à croire qu'il n'était pas tout à fait
achevé à. l'époque de la mort de Cicéron. Mais alors comment comprendre qu'il
porte son nom et qu'il ait l'air de lui être adressé ? Pour l'expliquer,
Müller a recours à la plus étrange hypothèse. On sait, par Varron lui-même,
que sa bibliothèque fut pillée pendant qu'il était proscrit, et que
quelques-uns de ses livres, qu'il n'avait pas encore publiés, disparurent
dans ce pillage. Qui empêche de croire que le De lingua latins, encore
inachevé, n'ait été de ce nombre ? Seulement, plus heureux que les autres, il
sera tombé entre les mains d'un soldat lettré, comme il ne s'en devait guère
trouver parmi les compagnons d'Antoine, et ce soldat, au lieu de garder son
butin pour lui seul, aura fait transcrire le livre et l'aura publié. Il n'est
pas besoin, je crois, de discuter une pareille supposition qui n'est, chez un
critique aussi savant, qu'un jeu d'esprit et une fantaisie ; je ferai
seulement remarquer que le temps n'a pas dû manquer à Varron pour composer
son ouvrage, puisqu'il y travaillait depuis deux ans quand parurent les Académiques,
et qu'il trouvait d'ailleurs ses matériaux tout préparés dans les nombreux
traités de 'grammaire qu'il avait déjà publiés ; j'ajouterai qu'il n'est pas
surprenant que le De lingua latins n'ayant paru qu'en 709, le public n'en
connût rien en 708, ces sortes d'ouvrages, qui forment un ensemble, ne se
publiant pas livre par livre, mais tout à la fois ; et qu'enfin s'il s'y
rencontre quelques traces de précipitation et quelques imperfections de
détail, il n'en faut peut-être accuser que l'impatiente vanité de Cicéron qui
se plaignait sans cesse des retards de son ami, et lui arracha des mains
l'œuvre encore inachevée. La mort de César engagea de nouveau Varron dans les affaires, et il n'est pas douteux qu'il n'ait alors publié plusieurs ouvrages politiques. Je vois que Cicéron écrit à Atticus en 709, au moment où il est tout occupé du salut de la république : Je suis content que vous approuviez la Péplographie de Varron ; je n'ai pu encore lui arracher ses dialogues à la façon d'Héraclide[39]. De quels ouvrages Cicéron veut-il parler ? Tout le monde s'accorde à reconnaître dans cette Péplographie ce qui fut connu plus tard sous le nom de Hebdomades seu imaginum libri. Seulement on sait, par la préface même des Hebdomades, qu'elles ne furent publiées qu'en 723 ; il faut donc penser ou que Varron les faisait lire à ses amis longtemps avant qu'elles ne fussent connues du public, ou que la préface ne fut ajoutée à l'ouvrage que dans une seconde édition, postérieure df1 treize ans à la première. Quant aux dialogues à la façon d'Héraclide, nous ne savons pas trop ce que c'était, ni même s'ils furent jamais publiés ; mais il est probable que Varron y traitait quelque question politique : toutes les fois que Cicéron, dans ses lettres, parle d'imiter Héraclide ; c'est qu'il veut s'occuper de la république et dire son opinion sur les affaires. Mais ce qui me paraît hors de doute, c'est qu'il faut placer vers ce temps la publication du traité De vita populi romani, que Varron avait dédié à Atticus. On voit qu'il y était très-librement parlé de la guerre civile. On rappelait que Curion, le soutien de César, avait commencé par l'attaquer, qu'il disait hautement qu'il s'opposerait au triomphe qu'on voulait lui décerner, et ne souffrirait pas qu'on le renommât consul[40]. Ailleurs, Varron signalait les motifs qui avaient porté César à aller combattre en Espagne les lieutenants de Pompée, avant de le poursuivre lui-même en Épire : il ne voulait pas laisser derrière lui (post occipitium[41]) une armée ennemie, et courir le risque d'être attaqué de deux côtés. Enfin, le vaincu de Pharsale expliquait les causes de la défaite ; il parlait d'ordres secrets malencontreusement donnés par les consuls à ce T. Ampius, sur lequel Cicéron s'exprime avec peu de respect, et qu'il appelle la trompette de la guerre[42]. Quelque tolérant que fût César, est-il probable que Varron aurait parlé de cette manière, ou même qu'il eût entrepris de traiter des sujets pareils, en présence du vainqueur ? Il me semble que cette façon libre de parler d'événements si délicats ne se peut naturellement supposer ni pendant la dictature de César, ni sous le règne d'Auguste ; elle est mieux placée dans ce court intervalle de liberté qui les sépare. Je crois donc que Varron publia son ouvrage aux derniers moments de la république, lorsque Antoine, annonçant son dessein de venger César, marchait contre Rome. C'est ce que me semble confirmer cette phrase que je trouve parmi les fragments du quatrième livre : S'ils se préparaient à accomplir leur dessein sans troubler la concorde des citoyens, il leur serait permis de répandre les bruits qu'ils font courir et même de nous accuser[43]. Cette phrase, dirigée contre des ennemis publics, pour prévenir des dangers qui menacent, où Varron parle de lui et de ceux qui défendaient la même cause, n'a-t-elle pas été écrite au milieu des discordes, et au moment où Varron jouait un rôle politique ? Comme le livre est postérieur à la première guerre civile, il faut qu'il y soit question de la seconde et que Varron y ait attaqué Antoine et ses partisans. La dernière partie de la vie de Varron, celle qui s'étend de 710 à 728, a été toute consacrée aux lettres, et il n'est pas douteux qu'il n'ait beaucoup écrit en ces dix-huit ans. Ses ouvrages philosophiques sont de ce temps ; il ne les avait pas encore composés à l'époque où parurent les Académiques, et Cicéron lui fait annoncer l'intention de les écrire plus tard. Le De gente populi romani est aussi postérieur à l'an 710, puisque Varron y prend pour limite de ses études chronologiques le consulat d'Hirtius et de Pansa. Les Hebdomades furent publié en 723 et le De re rustica en 719 ; c'est de Varron lui-même que nous le savons. La préface de ce dernier ouvrage, qu'il écrivit à quatre-vingts ans, nous permet de juger quel était le caractère des livres qui l'occupaient alors et la pensée qui le guidait en les composant : il voulait, disait-il, servir à quelque chose après sa mort, et, comme les vers de la sibylle, donner de bons conseils à ses amis, même quand il les aurait quittés. On voit que ce désir d'être utile, qui l'avait animé pendant toute sa vie, devenait plus vif à mesure qu'il vieillissait. C'est donc en ce temps qu'il a dû publier la plus grande partie de ses ouvrages élémentaires destinés à rendre la science plus accessible aux gens peu lettrés. Je crois, par exemple, comme M. Ritschl, qu'il faut rapporter à cette époque ce traité en neuf livres qui contenait un cours complet d'éducation, et que, pour cette raison, Varron avait appelé Disciplinæ[44]. On ne peut pas douter non plus qu'il n'ait attendu les dernières années de sa vie pour faire paraître sa correspondance, si c'est lui qui l'a recueillie et publiée de son vivant ; car, outre que l'idée de réunir ses lettres ne dut lui venir qu'assez tard, il y est fait mention de la basilique Julia, qui ne fut dédiée que quelques années après la mort de César[45]. Cette correspondance formait, à ce qu'il semble, deux recueils, l'un appelé simplement Epistolæ ou quelquefois Epistolæ latinæ, et l'autre Epistolicæ quæstiones. Le premier contenait les lettres polies ou savantes que Varron avait adressées à ses amis et aux grands personnages de ce temps ; l'autre, était un recueil d'érudition, tout consacré à des problèmes d'histoire et de grammaire. On a conjecturé, d'après un passage d'Aulu-Gelle[46], qu'il devait renfermer peu de recherches nouvelles, et que Varron y avait réuni une foule d'études scientifiques et littéraires disséminées et comme perdues dans ses autres ouvrages ; la forme épistolaire n'y était sans doute qu'un prétexte, et il différait par là des Epistolæ latinæ, qui étaient des lettres véritables. Quoi qu'il en soit, toute cette correspondance appartient, sans nul doute, à la vieillesse de Varron ; je la range avec le De sua vita[47], parmi les livres qu'il publia à cet âge où l'on aime à revenir au passé, à en causer le plus qu'on peut avec ses amis et à en entretenir le public. Voilà tout ce qu'on sait, ou plutôt tout ce qu'on peut conjecturer de l'ordre dans lequel les ouvrages de Varron avaient été écrits. J'ai tenu à les montrer ainsi réunis avant de les étudier séparément ; comme dans le travail qui me reste à faire je tiendrai nécessairement plus de compte du sujet qu'ils traitent que de la date lie leur publication, j'ai cru qu'il fallait d'abord indiquer comment ils se distribuent entre les diverses époques de la vie de Varron. Après cet aperçu général, je vais entrer dans l'examen détaillé de ses œuvres. Ce n'est pas une petite affaire avec un, homme qui, comme lui, a touché à tout, et l'ordre est difficile à mettre entre des ouvrages si nombreux et si variés. Nous sommes obligés, disait Fontenelle en parlant de Leibnitz, de le partager ici, ou pour parler philosophiquement, de le décomposer. De plusieurs Hercules, l'antiquité n'en a fait qu'un seul, et du seul M. Leibnitz nous ferons plusieurs savants. C'est la méthode que je vais essayer de suivre. Je décomposerai ainsi Varron et le partagerai, groupant autour de ses. principaux ouvrages, de ceux qui représentent le mieux un côté de son talent, tous les autres qui traitent des sujets analogues, et je ferai successivement revivre les divers hommes qu'il contenait en lui, le poète et le philosophe avec les Ménippées et les Logistorici, le grammairien et le critique, le théologien et l'historien dans le De lingua latina et les Antiquités, le professeur dans les Disciplinæ et les Hebdomades. |
[1] Ad Att., XIII, 18.
[2] De civ. D., VI, 2.
[3] Epist., III, 5.
[4] C'est le nom que leur donnait Domitius Pison. Pline, Hist. Nat., préface.
[5]
Ménippées, édit. Œhler,
p. 229 : Legendo atque scribendo vitam procudito.
[6] Par exemple, il a répété trois fois, avec quelques variantes, l'étymologie du mot multa, dans le De lingua latina, dans les Antiquités et les Epistolicæ quæstiones.
[7] Académiques, I, 2.
[8] Les manuscrits de saint Jérôme donnent quarante-cinq livres aux Antiquités ; mais c'est une erreur évidente que saint Augustin permet de rectifier. Du reste, les manuscrits ne sont pas d'accord avec eux-mêmes, puisqu'un peu plus loin ils réduisent ce chiffre à quarante-deux. J'ai donc cru devoir introduire la correction dans le texte.
[9] Je laisse ce chiffre, parce qu'il est répété deux fois dans les manuscrits. M. Ritschl donne aux Imagines un nombre bien plus considérable de livres.
[10] Il se peut qu'il y ait quelque erreur dans ce chiffre. Charisius cite le cinquième livre de cet ouvrage.
[11] M. Ritschl remplace actis par actibus, et tout porte à croire qu'il a raison.
[12] C'étaient probablement dix traités plus courts, qui ne contenaient qu'un livre chacun et qu'on avait réunis ensemble. M. Ritschl omet, pour cette raison, cet ouvrage, dans son catalogue. Mais il n'est pas impossible que cette réunion ait été faite par Varron, et qu'il ait publié lui-même les dix petits traités sous ce titre.
[13] J'ai rétabli le chiffre vingt-cinq, qui est le véritable, au lieu du chiffre quinze, que porte le texte de saint Jérôme. Je ne puis croire, avec M. Chappuis, que l'abrégé n'ait correspondu qu'à une partie des livres de cet ouvrage. Il est plus naturel de supposer que le copiste aura omis un des X qui formaient ce nombre, et écrit XV pour XXV.
[14] On connait un Logistoricus intitulé Messala, de Valetudine. M. Ritschl suppose que c'est le même ouvrage. Peut-être ce Logistoricus aura-t-il été publié pins tard, après que la première collection était faite, et sera-t-il demeuré isolé. Soigner sa santé et donner des préceptes pont q réussir semble bien convenir à un vieillard.
[15] C'est le nom que donnent les deux manuscrits consultés par M. Chappuis à ce que le manuscrit d'Arras appelle simplement Tragœdarium libri. Cela veut-il dire, comme le pensé M. Chappuis, que ces tragédies avaient été faussement attribuées à Varron ? Il me semble que Pseudo-Tragœdiæ signifie plus naturellement des ouvrages qu'on appelle à tort des tragédies ; par exemple, les Ménippées et les Logistorici, mêlés de dialogues, et dans lesquels les héros tragiques avaient parfois un rôle. Si quelques personnes donnaient alors le nom de tragédie à cet étrange centon dans lequel on fait parler Médée avec des vers de Virgile, on pouvait à plus forte raison l'attribuer à des ouvrages qui imitaient souvent les formes dramatiques.
[16] Walch a lu ce titre dans une phrase de Priscien omise par Putsch, v. Ritschl, Quæst. Varron.
[17] M. Ritschl pense, avec quelque vraisemblance, que cet ouvrage n'est pas différent du De proprietate scriptorum.
[18] Il s'agissait de définir les degrés de parenté. Cet ouvrage faisait sans doute partie des travaux de Varron sur le droit civil.
[19] Ces deux ouvrages pourraient bien n'en faire qu'un. Pourtant M. Ritschl croit qu'il s'agit, dans le second, des mesures des champs, et l'appelle, De mensuris agrorum.
[20] Il y a déjà, dans la liste de saint Jérôme, un ouvrage sur le même sujet : De principiis numerorum.
[21] Je n'ai compris, dans cette liste, ni le Cœus, qui est une mauvaise leçon de Nonius, ni la Prœtoriana, citée par Diomède, et qui est, très-probablement, la même chose ; ni, à plus forte raison, la Polyandria qu'on avait tirée, sans motif, d'un passage d'Arnobe ; ni la Salaria, qui n'est qu'une vision de Fabricius. Depuis longtemps on a remplacé, dans Diomède, Complexionum libri, par Epistol. quæst. libri. Macrobe cite un ouvrage de Varron sous ce titre : Ad Libonem. C'était un Logistoricus ou une lettre.
[22] Epist., III, 5.
[23] I, 2.
[24] M. Œhler (Satir. Men. reliq.), malgré toutes ses recherches, n'a trouvé que deux satires, le Serranus et l'Ίπποκύων, qu'on puisse reculer jusqu'à l'an 680 ou 685 ; encore les raisons qu'il en donne ne sont-elles que d'ingénieuses conjectures.
[25] XVII, 18.
[26] Priscien, VI, p. 711.
[27] Rheinisch. mus., 3e série, I, p. 367. — M. Bergk fonde son opinion sur une sorte de calendrier rustique qu'on a retrouvé, et en tête duquel on lit : Έφημερίς, καί τί χρή έφ' έκαστον μήνα έργάζεοθαι, έκ τοΰ βαρρώνος καί τών Κυντιλίων. M. Bergk croit pouvoir conclure de ce titre que Varron avait composé un ouvrage à part, portant aussi le nom d'Ephemeris, et qui enseignait les travaux des champs pour chaque mois. Puis, prenant de tous côtés les fragments de Varron qui peuvent se rapporter à ce sujet, il suppose que ce sont autant de débris de cet ouvrage perdu. Mais je ferai remarquer : 1° que le titre du calendrier rustique, que je viens de citer, est moins explicite que ne le prétend M. Bergk. L'auteur de cette compilation informe ne dit pas positivement que Varron eût écrit un ouvrage spécial sur les travaux des champs pendant chaque mois ; il dit seulement qu'il a pris ses renseignements dans Varron, c'est-à-dire dans les divers traités de Varron, lequel, comme on sait, avait souvent touché à ces matières ; 2° Qu'aucun des fragments réunis avec tant de soin par M. Bergk ne se rapporte spécialement aux travaux mensuels de la campagne, et ne rend nécessaire d'imaginer qu'il existât un livre sur ce sujet. Tous peuvent trouver leur place dans les autres ouvrages de Varron. Par exemple, ce que dit Censorinus, d'après Varron, sur l'origine des mois et leur nom latin, il pouvait l'avoir tiré des Antiquités humaines, où Varron parlait du temps et de ses divisions ; et quant à cette sorte de calendrier astronomique, conservé par Lydus, toujours d'après Varron, et qui contient des détails sur le lever et le coucher des astres, et les circonstances atmosphériques qui les accompagnent, ce sont là des renseignements aussi utiles au marin qu'au laboureur, et je ne vois pas de motif de les enlever à l'Ephemeris navalis et de créer une Ephemeris rustica pour les recevoir.
[28] Aulu-Gelle, XIV, 7.
[29] C'est Végèce qui nous révèle l'existence des Libri navales (V-11). Après avoir parlé des signes qui annoncent les tempêtes, il ajoute : Quæ Virgilius divino pœne comprehendit ingenio, et Varro in Libris navalibus diligenter excoluit. Mais est-ce de Varron d'Atax ou de Varron de Réate que Végèce veut parler ? Nous savons que tous les deux avaient décrit les signes précurseurs des tempêtes, l'un en vers, d'après Aratus, l'autre en prose et d'une manière scientifique. Wernsdorf (Poet. latin. minores ; éd. Lemaire, IV, 559 et sq.) croit qu'il s'agit ici de Varron d'Atax, parce qu'il est rapproché de Virgile et qu'il semble plus naturel qu'on compare entre eux deux poètes. Mais ne trouve-t-on pas, au contraire, dans le texte de Végèce, quand on le regarde de près, une sorte d'opposition entre les deux écrivains qu'il rapproche. Virgile a traité son sujet en poète, le. résumant en quelques traits divins (divino pœne comprehendit ingenio) : Varron l'a exposé d'une façon plus exacte et plus soignée (diligenter excoluit). Ce ne sont pas là, à ce qu'il me semble, deux poètes travaillant dans le même genre, et d'après le même modèle, comme étaient Virgile et Varron d'Atax, mais deux écrivains qui diffèrent par leur manière d'envisager et de traiter le même sujet. Pour ces motifs, et aussi parce que le titre même de l'ouvrage (Libri navales) conviendrait assez mal à un poème, je persiste à l'attribuer, comme on le fait généralement, à Varron de Réate.
[30] Académiques, I, 3.
[31]
Voici la phrase d'Acron (Horace, Epist., 1, 10, 49.) : Vacuna... quidam Minervam, alii Dianam putaverunt, nonnulli
et Cererem esse dixerunt. Sed Varro in primo Divinarum Victoriam ait, et ea
maxime gaudent qui sapientia vincunt. v. Merckel, préf. Fast. Ovid.
[32] Académiques, I, 2.
[33] Ad Att., XIII, 12.
[34] Ad Att., IV, 14.
[35] Voir, pour toute cette affaire, le XIIIe livre des lettres à Atticus.
[36] Ad Att., XIII, 25.
[37] Ad fam., IX, 8.
[38] Préface de l'édition du De lingua latina, d'Ottfried Müller.
[39] Ad Att., XVI, 11.
[40] Non., v. Obstrigillare. Cicéron fait allusion à cette opposition de Curion. Ad fam., VIII, 8 : Curio se contra eum (Cœsarem) totum parat.
[41] Non., v. Anceps. Cette expression piquante est familière à Varron. Il l'a employée encore dans le De re rust., I, 8 : Dominos simili ac vidit occipitium vindemiatoris.
[42] Non., v. Cæcus. Cicéron, Ad fam., VI, 12.
[43] Non., v. Differo.
[44] Schneider (Vita Varronis) suppose que les Disciplinæ sont dédiées à Cœlius Rufus, et que, par conséquent, elles n'ont pu être écrites après 706, date de la mort de Cœlius. C'est une erreur ; le Libellus de geometria, dont on a retrouvé le titre sur un vieux manuscrit, est dédié à Sylvius Rufus. Mais nous ne savons pas si c'est le même personnage que Cœlius, et, de plus, cet ouvrage ne faisait pas partie des Disciplinæ.
[45] Lettre à Oppien. Aulu-Gelle, XIV, 7.
[46] Aulu-Gelle, XIV, 7. Si l'on peut à peu près dire à quelle époque la correspondance de Varron fut publiée, il est fort difficile de savoir sous quelle forme elle a paru, quel titre elle portait et combien elle formait de recueils différents. Les critiques anciens s'accordent, sur ce point, si mal ensemble, et ils citent les lettres de Varron d'une manière si différente, que M. Ritschl déclare qu'il est impossible de rien décider. Aulu-Gelle renvoie toujours aux Epistolicæ quæstiones. Une seule fois il ne mentionne une lettre que par le nom du personnage à qui elle est adressée, sans nous dire où il l'a prise. Nonius, au contraire, ne paraît pas avoir connu les Epistolicæ quæstiones. Tantôt il cite seulement les correspondants de Varron : Epistola ad Neronem, ad Marcellum, ad Fabium, etc. ; tantôt il renvoie à un recueil en plusieurs livres intitulé : Epistolæ latinæ. Charisius, enfin, se sert de toutes ces désignations à la fois. Comme Aulu-Gelle, il connaît les Epistolicæ quæstiones, qu'il cite à trois reprises ; comme Nonius, il mentionne les Epistolæ, et même, une fois, se contente de transcrire le nom de celui auquel Varron écrivait. Comment se reconnaître dans une pareille confusion ? On n'a pas ici la ressource de tout expliquer par des altérations de texte, comme on l'a fait si souvent. Nonius et Aulu-Gelle sont à la fois si différents l'un de l'autre et si constants avec eux-mêmes qu'il n'y a pas moyen de croire à quelque inadvertance d'eux ou de leurs copistes. Il est plus sage d'admettre qu'il existait des recueils différents où chacun d'eux a puisé selon son goût et sa convenance. Il y avait donc très-probablement les Epistolæ latinæ, qui, à en juger par les fragments qui en restent, devaient être des lettres familières, comme celles de Cicéron, et les Epistolicæ quæstiones, recueil savant et consacré à des études historiques et grammaticales. Quant aux lettres que Nonius désigne par le nom du personnage auquel elles sont écrites, il est inutile de supposer qu'elles formaient un recueil à part, et elles doivent être rapportées aux Epistolæ latinæ ou aux Epistolicæ quæstiones. Il faut se souvenir que Nonius n'agit pas autrement pour la correspondance familière de Cicéron, et qu'il se contente de nommer celui à qui la lettre est adressée, sans faire connaître dans quel livre elle se trouve.
Le titre d'Epistolæ latinæ ne peut s'expliquer qu'en supposant que Varron avait aussi écrit des lettres grecques. C'était assez la coutume à cette époque, et l'on possédait plusieurs livres de lettres grecques de Cicéron et de Brutus. C'est donc un troisième recueil de lettres qu'il faut probablement joindre à la liste des ouvrages de Varron. Mais il ne s'en est rien conservé, pas plus que de celles de Brutus et de Cicéron. Les lettres latines restèrent seules dans le souvenir des érudits, si bien que Charisius, en les citant, omet ce nom de latines, sans craindre la confusion, et renvoie simplement au VIIIe livre des lettres.
[47] Le De sua vita n'était pas le seul ouvrage où Varron parlât de lui-même et racontât sa vie. M. Ritschl pense, avec beaucoup de vraisemblance, que dans les Legationum libri il était question des événements qui s'étaient passés pendant qu'il était lieutenant de Pompée.