Gaston Boissier — La Revue des Deux Mondes — 15 mars 1884
L’histoire de l’instruction publique dans l’empire romain a pour nous un intérêt particulier : nous y trouvons les origines de notre propre enseignement. Nos écoles de la renaissance doivent beaucoup à celles du IVe siècle, et en ce moment encore il nous arrive souvent de continuer sans le savoir des traditions inaugurées sous Auguste ou sous Vespasien. Pour bien connaître notre système d’éducation, il nie semble qu’il convient de le prendre à sa source. Nous le comprendrons mieux si nous savons d’où il est sorti et comment il s’est formé. C’est une étude pour laquelle les documents ne nous manquent pas ; je vais essayer de les réunir et de les mettre sous les yeux du lecteur. IEn 662 (92 avant J.-C.), les magistrats de Rome apprirent qu’on s’était permis dans la ville d’ouvrir des écoles où la rhétorique était enseignée en latin. Il y avait longtemps que des rhéteurs grecs Y étaient établis, et l’autorité ne s’en était pas émue ; elle pensait sans doute que des leçons données dans une langue étrangère n’étaient pas dangereuses et qu’elles ne pouvaient attirer que fort peu d’auditeurs. Mais, pour les rhéteurs latins, on s’était montré plus sévère, et aucun n’avait encore obtenu la permission d’exercer un métier dans Rome. Cette fois, l’occasion semblait meilleure pour eux. On était à la veille des luttes de Marius et de Sylla ; la rigueur des mœurs anciennes avait beaucoup fléchi, et l’on ne se préoccupait guère de respecter les vieilles maximes. Cependant, les censeurs, qui étaient Cn. Domitius Ænobarbus et L. Licinius Crassus, le célèbre orateur, montrèrent une sévérité à laquelle on ne s’attendait pas et firent impitoyablement fermer les nouvelles écoles. Nous avons conservé l’édit qu’ils publièrent en cette circonstance. On y lit cette phrase curieuse : Nos ancêtres ont réglé ce qu’ils voulaient qu’on enseignât aux enfants et dans quelles écoles on devait les conduire. Quant à ces nouveautés qui sont contraires aux habitudes et aux mœurs de nos pères, elles nous déplaisent et nous les trouvons coupables. Voilà un texte formel qui semble affirmer qu’il y avait un système officiel d’éducation dans l’ancienne Rome. Mais Cicéron parle tout autrement. Il dit en propres termes qu’à Rome l’éducation n’était ni réglée par les lois, ni publique, ni commune, ni uniforme pour tous, et il ajoute que Polybe, qui d’ordinaire faisait profession d’admirer les Romains, les blâmait sévèrement de cette négligence. Ces deux témoignages ne sont pas aussi contraires qu’ils paraissent l’être au premier abord, et il est possible de les concilier ensemble. On peut croire, avec Cicéron, que, tant qu’a duré la république, il n’y a pas eu de loi écrite qui réglât l’éducation de la jeunesse romaine ; mais rien n’empêche d’admettre, avec les censeurs, qu’il y avait à ce sujet des traditions, des coutumes, fidèlement suivies perdant des siècles, et dont les esprits sages ne voulaient pas qu’on s’écartât. Pour un Romain de l’ancien temps, les- lois n’étaient pas plus sacrées que les vieux usages ; Ennius n’avait-il pas dit : C’est sur les mœurs antiques que repose la grandeur de Rome ! Ces vieux usages sont assez bien résumés dans une lettre intéressante de Pline, où il regrette beaucoup qu’ils se soient perdus. Chez nos ancêtres, dit-il, on ne s’instruisait pas seulement par les oreilles, mais par les yeux. Les plus jeunes en regardant leurs aînés apprenaient ce qu’ils auraient bientôt à faire eux-mêmes, ce qu’ils enseigneraient un jour à leurs successeurs. C’est dire que l’éducation était alors toute pratique et que ses exemples servaient de recours au Romain de grande famille ne connaissait que deux métiers, la guerre et la politique ; il apprenait la guerre dans les camps. Après quelques exercices préparatoires au champ de Mars, où les jeunes gens s’habituaient à manier l’épée, à lancer le javelot, sauter à courir, à se jeter tout suants dans le Tibre, ils partaient pour l’armée. Là, dans la tente du général, dont ils formaient la cohorte, ils se rendaient capables de commander en obéissant. Quant à la politique, on ne la leur enseignait pas en leur mettant dans les mains quelque traité de Platon ou d’Aristote, on les faisait assister aux séances du sénat. Ils se tenaient sur de petits bancs, près de la porte, et on leur donnait par avance le spectacle de ces délibérations auxquelles ils devaient bientôt prendre part. Cette éducation n’était pas la meilleure pour former un philosophe, mais elle faisait des hommes d’action ; elle avait de plus l’avantage de les faire vite. A vingt ans, l’homme qui, suivant le mot de. Cicéron avait eu le forum pour école et l’expérience pour maître, qui avait assisté à quelques batailles et entendu parler de grands orateurs, était mur pour la vie publique. Je n’ai rien dit encore de ce que nous appelons proprement l’instruction, c’est-à-dire de ces études qui précèdent les autres, qu’on peut abréger et simplifier, mais qu’il n’est pas possible de supprimer tout à fait. Il fallait bien qu’avant de descendre au forum ou de partir pour l’armée, le jeune homme eût reçu ces connaissances élémentaires dont aucun homme ne peut se passer. Pour le commun des citoyens, il y avait des écoles publiques, dont je dirai quelques mots plus tard. Mais les enfants de grande maison ne les fréquentaient pas. Leurs pères, dit Pline, devaient leur servir de maîtres : suus cuique parcus pro magistro. Je suppose qu’en parlant ainsi il songeait à Caton. Nous savons que, lorsque Caton eut un fils, il tint à l’instruire lui-même. Il composa pour lui toute une encyclopédie des sciences de soir temps ; elle comprenait des traités d’agriculture, d’art militaire, de jurisprudence, des préceptes de morale, une rhétorique, enfin un livre de médecine où il disait beaucoup de mal des médecins grecs qui ont juré de tuer tous les barbares avec leurs remèdes et qui se font payer pour assassiner les sens. Il opposait sans doute à leur art problématique ce que l’expérience lui avait appris, à savoir que le chou guérit les fatigues d’estomac et qu’on remet les luxations avec des formules magiques. Caton, comme on le voie, remplissait son devoir avec un zèle exemplaire ; mais nous pouvons être certains que les piges comme lui étaient rares. Ordinairement ils s’en tiraient à meilleur compte. Ils achetaient un esclave lettré qu’ils chargeaient d’enseigner à leur fils ce qu’il était indispensable de lui apprendre. Malheureusement l’esclave avait feu d’autorité dans la famille ; pour le fils, c’était un complaisant plus qu’un maître. Plaute, dans une de ses pièces les plus amusantes, représente un jeune débauché, Pistoclère, qui veut entraîner, son pédagogue, Lydus, chez sa maîtresse. Lydus résiste, se fâche, fait la morale ; mais, quand il a bien parlé, le jeune homme se contente de lui dire : Voyons, suis-je ton esclave ou toi le mien ? Et Lydus, qui n’a rien à répondre, le suit en maugréant. — C’est une scène prise sur le vif, et plus d’un pédagogue de Rome, a du s’entendre dire la phrase de Pistoclère. Cette éducation pratique, au moiras dans ce qu’elle a de meilleur, fait souvenir de celle que les Athéniens donnaient à leurs enfants pour -en faire des citoyens accomplis. Celle-là ne reposait pas seulement sur d’anciennes coutumes, elle était établie par la loi. Le législateur, qui pensait avec raison qu’un état n’a pas d’intérêt plus grave, avait pris soin d’en régler minutieusement les moindres détails. Un Athénien devait servir son pays de vingt ans à soixante ; pour s’y préparer, de dix-huit à vingt ans, il était éphèbe. On appelait éphébie un noviciat obligatoire que la république d’Athènes imposait à tous les jeunes gens, au moment où elle allait leur accorder des droits civils et politiques[1]. Ce qui est surtout remarquable dans l’institution athénienne, c’est ce qu’elle a de large et de complet. Te citoyen est appelé à remplir des fonctions multiples ; l’éphébie n’en néglige cucu ;)e. On exerce d’abord le jeune homme au service militaire ; il apprend sous des maîtres spéciaux le maniement des armes et des machines de guerre. Pendant qu’il habite les forteresses, on lui enseigne l’art d’attaquer et de défendre les places. Pour l’habituer à dormir sur la dure, on le fait camper dans la plaine, et il en assure ainsi la tranquillité. Dans cette éducation active, la gymnastique, on le pense bien, n’est pas oubliée ; tous les exercices qui rendent le corps souple et vigoureux, la course, le saut, la lutte, le pentathle, occupent une partie de ces fournées si bien remplies. Mais où l’on reconnaît surtout le génie d’Athènes, c’est que l’esprit n’est pas plus négligé que le corps. En même temps que soldat, l’éphèbe est écolier ; pendant qu’il s’exerce au métier des armes, il achève son instruction littéraire. Il suit les leçons des grammairiens, des rhéteurs, des philosophes les plus renommés. Il apprend la musique et chante des chœurs avec ses camarades. De temps en temps, on les fait composer entre eux : il faut qu’ils écrivent une pièce de vers dans le genre épique ou quelque discours, et l’on distribue des récompenses aux plus habiles. Ces travaux si difficiles, si variés, ne suffisent pas encore : voici un apprentissage plus important qu’on impose à cette jeunesse. L’éphèbe va devenir citoyen ; dans quelques mois, il disposera de la république, il nommera les chefs de l’état, il jugera leur conduite, il décidera de la guerre ou de la paix. Comment admettre qu’il soit mis en possession de ces droits énormes sans qu’il ait appris à s’en servir ? C’est un souci qui ne nous vient guère aujourd’hui. Nous mettons de gaieté de cœur le bulletin de vote dans la main d’un étourdi qui vient à peine de quitter l’école ou d’un ignorant qui ne connaît la politique que par les déclamations de la rue. Cette Athènes, qu’on nous dépeint si légère, n’agissait pas comme nous. Elle avait ordonné que les éphèbes assisteraient régulièrement aux assemblées publiques. Pendant deux ans, ils entendaient les plus grands orateurs discuter les questions les plus graves, ils connaissaient les divers partis sans en être, et, les voyant à l’œuvre, ils pouvaient les juger ; avant d’émettre un vote ils se faisaient une opinion. Ajoutons, comme curiosité, que la démocratie athénienne avait donné dans l’éphébie une grande place à la religion. Les éphèbes étaient de toutes les fêtes d’Eleusis ; ils accompagnaient, en chantant des hymnes, ces processions solennelles qui apportaient les objets sacrés au temple des Grandes Déesses. On les menait pieusement, à l’anniversaire des anciennes batailles, dans la plaine de Marathon ou prés des trophées de Salamine ; ils assistaient au premier rang à cette fête touchante qui se célébrait tous les ans en mémoire des Héros morts pour le salut ou la gloire d’Athènes. Telle était, dans ses grandes lignes, cette éducation patriotique, qui s’altéra probablement de bonne heure, mais dont la conception primitive fait grand honneur à la Grèce. Il est aisé de voir ce qui manquait à la vieille éducation romaine pour ressembler tout à fait à celle des Athéniens. Toutes les deux s’occupent de former le jeune homme pour la politique et pour la guerre : voilà ce qu’elles ont de commun. Mais Rome néglige tout le reste ; elle ne prend de la gymnastique grecque que quelques exercices corporels qui suffiront à faire cette race solide de soldats trapus, courts de taille et larges d’épaules, qui a conquis le monde. Elle méprise la musique, qui n’est pour elle, qu’art d’esclave ou d’affranchi ; elle abandonne l’instruction littéraire à la volonté d’un père ignorant : elle ne forme qu’un homme incomplet. IIUn autre caractère de l’éducation athénienne, c’est qu’elle est la même pour tous les citoyens ; quelle que soit leur situation et leur origine, tous passent à leur tour par l’éphébie. Il n’en est pas de même à Rome : ces jeunes gens dont nous venons de parler, qu’on admet à écouter de la porte les délibérations du sénat et qui font partie, à l’armée, de la cohorte du général, ne sont qu’un petit nombre. Ils appartiennent à cette aristocratie de naissance ou de fortune qui gouverne la république. Entre elle et la masse des prolétaires se trouvent la bourgeoisie aisée et la plèbe industrieuse ; c’est un monde intermédiaire qui s’enrichit et s’élève sans cesse et qui cherche à prendre pied dans la politique. Il est évident qu’on ne pouvait pas s’y passer d’une certaine éducation ; elle se donnait ordinairement dans les écoles. Il a dû toujours y avoir des écoles à Rome ; les historiens en font quelquefois mention, mais sans nous donner beaucoup de renseignements sur elles. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elles étaient vraisemblablement communes aux deux sexes et que l’instruction qu’on y donnait devait être fort élémentaire. Plus tard, quand les professeurs grecs se furent établis à Rome, les anciennes écoles continuèrent d’exister, mais elles ne formèrent plus qu’un degré inférieur de l’éducation. C’était sans doute quelque chose qui ressemblait à ce que nous appelons l’instruction primaire. Les anciens n’avaient pas l’habitude de distinguer aussi nettement que nous le faisons les divers ordres d’enseignement ; cependant on trouve, dans les Florides d’Apulée, un passage curieux où il semble créer entre eux une sorte de hiérarchie : Dans un repas, dit-il, la première coupe est pour la soif, la seconde pour la joie, la troisième pour la volupté, la quatrième pour la folie. Au contraire, dans les festins des Muses, plus on nous sert à boire, plus nôtre âme gagne en sagesse et en raison. La première coupe nous est versée par le litterator (celui qui nous apprend à lire), elle commence à polir la rudesse de notre esprit. Puis vient le grammairien, qui nous orne de connaissances variées ; enfin le rhéteur nous met dans la main l’arme de l’éloquence. Voilà trois degrés d’instruction qui sont indiqués d’une manière assez précise. Ce litterator, chez qui l’on envoie l’enfant quand il ne sait rien et qui se charge de commencer à l’instruire, saint Augustin l’appelle aussi le premier maître, primus magister. Quelques-uns de ses élèves Passent de son école chez le grammairien ; mais beaucoup ne vont pas plus loin et n’auront jamais d’autres connaissances que celles qu’il leur a données. Comme cet enseignement élémentaire ne paraît pas avoir changé dans la suite ; épuisons ici, avant d’aller plus loin, ce qu’on en peut savoir : on verra que, par malheur, ce que nous savons se réduit à peu de chose. Qu’apprenait-on dans l’école du premier maître ? — A lire, à écrire, à compter, nous dit saint Augustin. Ces connaissances, les plus nécessaires de toutes, sont partout-le fond de l’instruction populaire. Si elles sont très utiles, elles sont fort modestes aussi, et l’on comprend que les maîtres qui les enseignaient n’aient joui, chez les Romains, que d’une médiocre estime. On ne leur permettait pas de prendre le nom de professeurs, et le code rappelle à plusieurs reprises qu’ils n’ont pas droit aux mêmes privilèges que les rhéteurs et les grammairiens. Cependant l’empereur veut bien les recommander à la pitié des gouverneurs de provinces ; il ordonne à ces magistrats d’empêcher qu’ils ne soient accablés de charges trop grandes ; c’est un devoir d’humanité : ad præsidis religionem pertinet. Ils sont très pauvres d’ordinaire et ne pourront pas payer l’intérêt s’il est trop lourd. On a découvert à Capoue la tombe d’un maître d’école qui s’est donné le luxe de transmettre ses traits à la postérité. Il est représenté sur sa chaire, avec deux élèves, un garçon et une fille, auprès de lui. Des vers assez bien tournés sont gravés au-dessous du bas-relief. Après nous avoir dit que Chilocalus fut un maître honorable, qui veillait avec soin sur les mœurs des jeunes gens qu’on lui confiait, ils nous apprennent qu’en même temps qu’il faisait la classe, il écrivait des testaments avec probité : Idem que testamenta scripsit cum fide. Ainsi, son métier ne lui suffisait pas pour vivre, et il avait jugé bon d’y joindre une autre industrie, à peu près comme nos maîtres d’école, qui sont en même temps chantres d’église ou secrétaires de mairie. Ces maîtres obscurs et mal payés ont pourtant rendu de grands services à leur pays. L’autorité ne parait pas s’être beaucoup préoccupée de l’instruction populaire ; il semble qu’elle ne se souciât que de celle des classes élevées. Heureusement on avait, à tous les étages du monde romain, le goût de savoir. C’est ce goût qui, sans que le gouvernement eût besoin d’intervenir, multiplia partout les écoles. Il y en avait dans les villages comme dans les villes, et jusque dans ces réunions de hasard, composées souvent de gens sans aveu, qui se formaient autour des centres industriels[2]. En somme, les illettrés devaient être rares. On est frappé, quand on parcourt les rues de Pompéi, d’y voir tant d’affiches qui couvrent les murs. Certainement il y en aurait beaucoup moins si les habitants n’avaient pas su lire. Ils savaient écrire aussi, et l’on relève tous les jours, dans des lieux que ne fréquentait pas le beau monde, des inscriptions si grossières qu’on voit bien que ce sont des gens de la lie du peuple qui les ont gravées. Dans l’armée, le mot d’ordre, au lieu d’être transmis de vive voix, était écrit sur des tablettes, et passait des mains des centurions dans celles des derniers sous officiers : on était donc certain qu’ils sauraient le lire. D’ordinaire, l’école du primus magister, comme celle du grammairien et du rhéteur quand ils étaient pauvres, était installée dans un de ces hangars couverts qu’on appelait pergulæ et qui servaient d’ateliers aux peintres. Ils se trouvaient quelquefois relégués au plus haut de la maison, et le maître pouvait dire alors, comme Urbilius, qu’il enseignait sous les toits. Mais le plus souvent ils étaient au rez-de-chaussée et formaient des espèces de portiques qui bordaient la rue. C’est là que l’école s’établissait tant bien que mal. Pour se mettre à l’abri de l’indiscrétion des voisins, on se contentait de tendre quelques toiles d’un pilier à l’autre. Ces toiles cachaient aux élèves les mouvements de la rue, mais elles n’empêchaient les bruits de l’école d’arriver aux passants. Ils entendaient les élèves répéter en chœur : Un et un font deux ; deux et deux font quatre. L’horrible refrain ! odiosa cantio ! dit saint Augustin, qui avait conservé de ces premières études un fort désagréable souvenir. Ces cris insupportables exaspéraient aussi Martial, et il les mettait parmi les raisons qui lui rendaient le séjour de Rome odieux. Il est impossible d’y vivre, disait-il ; le matin, on est assassiné par les maîtres d’école et le bruit par les boulangers. En général, le mobilier de l’établissement était fort simple. Les plus pauvres se contentaient de quelques bancs pour les élèves et d’une chaise pour le maître. Quand on pouvait, on y joignait des sphères ou des cubes pour mettre sous les yeux des écoliers les figures de géométrie[3]. Un grand luxe consistait à tapisser les murs de cartes géographiques. Dans les années heureuses d’un Trajan, d’un Marc Aurèle, d’un Dioclétien, les élèves y suivaient le mouvement des armées, et l’on nous dit que le maître éprouvait un sentiment de fierté patriotique à leur montrer que l’étendue de l’empire égalait presque celle du monde. Une peinture murale, qui a été trouvée à Pompéi et qui est aujourd’hui au musée de Naples, nous fait assister à une scène curieuse de la vie des écoliers romains au Ier siècle. Nous avons sous les yeux une école, placée sous un portique que soutiennent die colonnes élégantes reliées entre elles par des guirlandes de fleurs. L’école est entièrement ouverte ; aussi des enfants du dehors en profitent-ils pour regarder ce qui s’y passe. Trois écoliers sont assis sur un banc ; ils ont de longs cheveux, une tunique qui les enveloppe jusqu’aux pieds, et tiennent sur leurs genoux leur volumen, qu’ils ont l’air de lire avec beaucoup d’attention. Devant eux, un homme se promène d’un air grave ; sa figure est encadrée d’une grande barbe, ses mains se cachent dans un petit manteau. C’est le maître sans doute ; à sa mine renfrognée, nous reconnaissons celui dont Martial dit qu’il est en horreur aux garçons et aux filles, invisum pueris virginibusque caput. A l’autre extrémité du tableau, on fouette un écolier récalcitrant. Le malheureux est dépouillé de tous ses vêtements ; il ne porte plus qu’une mince ceinture au milieu du corps. Un de ses camarades l’a hissé sur son dos et le tient par les deux mains ; un autre lui a pris les pieds, tandis qu’un troisième personnage lève les verges pour frapper[4]. Le fouet et les verges étaient fort employés à Rome, et l’usage en a duré depuis le temps de Plaute jusqu’à la fin de l’empire. Quintilien seul fit entendre, à ce sujet, une réclamation timide : Quant à frapper les enfants, dit-il, quoique Chrysippe l’approuve et que ce soit l’usage, j’avoue que j’y répugne. Mais Chrysippe l’emporta, et Ausone nous dit que, de son temps encore, l’école retentissait des coups de fouet. IIIVoilà ce que nous savons de l’instruction populaire dans l’empire romain ; c’est peu de chose, comme on voit. Heureusement nous sommes mieux renseignés sur celle des hautes classes de la société. Non seulement elle est plus facile à connaître, mais nous trouvons cet intérêt à l’étudier, qu’elle nous montre comment les Romains ont été amenés à concevoir l’idée d’un enseignement public donné au nom de l’État. Ils en étaient d’abord fort éloignés et n’y sont venus que peu à peu par la force des choses plus que par un système préconçu. Il est intéressant de voir ce qui les y a conduit, et le chemin qu’ils ont suivi pour y arriver. On sait qu’à partir des guerres puniques, les Grecs ont envahi Morne. Parmi les aventuriers de toute sorte qui venaient offrir leurs services aux Romains, les professeurs ne manquaient pas. Il s’y trouvait des rhéteurs, des grammairiens, des philosophes, des musiciens, des maîtres de toutes les sciences et de tous les arts. Tous ne furent pas accueillis avec la même faveur : il y a des sciences que les romains n’ont jamais bien comprises. La philosophie, par exemple, ne leur sembla d’abord qu’un verbiage inutile ; la géométrie, les mathématiques rie les frappèrent que par leurs applications pratiques ; c’était pour eux l’art de compter et de mesurer, Cicéron dit qu’ils ne leur trouvaient pas d’autre importance. La grammaire et la rhétorique leur plurent davantage ; la première surtout ne leur semblait présenter aucun danger, et nous ne voyons pas qu’ils lui aient jamais fait une opposition sérieuse. La rhétorique leur inspirait un peu plus de méfiance. Quelques esprits scrupuleux redoutaient cet art nouveau qui enseignait des moyens de plaire au peuple que les aïeux n’avaient pas connus. Mais il était difficile de lui fermer tout à fait les portes de la ville. Si l’on empêchait le rhéteur de tenir des écoles publiques, comme on fit en 662, il lui restait la ressource d’enseigner dans l’intérieur des familles, où le contrôle des magistrats ne pouvait guère pénétrer. Une fois que quelques jeunes gens avaient reçu cette éducation qui leur apprenait à parler au peuple avec plus d’agrément, les autres étaient bien forcés de faire comme eux ; s’ils s’étaient obstinés à ignorer les finesses de la rhétorique grecque, ils se seraient exposés à être vaincus dans ces luttes de la parole où l’on gagnait le pouvoir. Non seulement la grammaire et la rhétorique se firent insensiblement accepter des Romains, mais, ce qui était peut-être plus difficile, elles finirent par s’accommoder ensemble. Au début, elles s’entendaient assez mal ; on nous dit, que le grammairien voulait d’abord attirer à lui l’enseignement tout entier et faire l’office du rhéteur ; il est vraisemblable que le rhéteur, de son côté, afficha quelquefois la prétention de se passer du grammairien ; mais, à la longue, ces conflits cessèrent et chacun des deux maîtres eut son domaine déparé. C’est à peine s’il restait sur la frontière des deux sciences, comme sur la limite de tous les états voisins, quelques terrains vagues qu’on se disputait ; pour l’essentiel, on s’accorda. Ce fut un principe reconnu de tout le monde que la grammaire et la rhétorique doivent s’unir l’une à l’autre pour former un cours d’éducation complet. Le grammairien commence, il prend l’enfant des mains du maître élémentaire qui lui a tant bien que mal appris à lire et à écrire, et il doit le livrer à celles du rhéteur tout préparé pour l’enseignement difficile de l’éloquence ; il aura donc beaucoup à faire. La grammaire, dit Quintilien, comprend deux parties : l’art de parler correctement et l’explication des poètes. Chacune d’elles demande beaucoup de temps et de peine, pour bien parler, il faut connaître la valeur des lettres, la prononciation des syllabes, la signification des mots, puis savoir comment les mots s’unissent entre eux pour former des phrases : ce sont des détails qui ne finissent lias. L’explication, des poètes n’exige pas moins de travail. Le maître lit d’abord, prælegit ; l’élève répète, et lorsqu’il a prononcé comme il convient, sans commettre aucune faute contre l’accent et la quantité, on reprend le passage et l’on essaie de se rendre compte de tout. Quand l’enfant sait parler correctement, qu’il a lu les poètes grecs et latins, il semble que son enseignement grammatical soit fini : la définition de Quintilien parait épuisée ; mais, avec le temps, la grammaire s’est fort étendue, elle a reçu peu à peu des développements qui ont singulièrement accru son importance. Et, d’abord, comment admettre que l’élève ne connaisse que les poètes et qu’on le laisse étranger à tous les auteurs qui ont écrit en prose ? Si la poésie doit rester l’objet principal de ses études, il faut bien qu’il ait quelque notion du reste : Nec pœtas legere satis est, excutiendum omne scriptorum genus. C’est un champ immense qui s’ouvre devant lui. Ajoutez que ces écrivains de toute sorte et de toute époque, le grammairien ne se contente pas de les lire ou même de les expliquer, il faut qu’il les apprécie et les juge. Il classe ceux des temps passés et leur donne des rangs ; il prononce sur le mérite des contemporains. C’est ainsi qu’il est devenu non seulement pour la jeunesse, mais pour la société tout entière, un critique autorisé, dont le jugement forme l’opinion publique. Les auteurs qui veulent être célèbres lui font la cour, et ceux qui, comme Horace, négligent de lui plaire, risquent de rester longtemps inconnus. Ce n’est pas tout encore, et l’étude de la littérature entière ne paraît pas suffire à occuper le temps des grammairiens : ils y joignent des sciences accessoires qui semblent indispensables pour que les élèves comprennent les auteurs qu’on leur fait lire. Est-il possible qu’ils mesurent les vers et en saisissent le mécanisme s’ils ignorent la musique ? Le grammairien est donc chargé de la leur apprendre. Les poètes sont pleins de passages où ils parlent du ciel et décrivent le lever et le coucher des astres : comment parviendra-t-on â les expliquer si le grammairien n’enseigne pas l’astronomie ? Enfin, comme il y a des poèmes entiers, ceux d’Empédocle par exemple et de Lucrèce, qui sont consacrés à exposer et à discuter des systèmes philosophiques, il est bon qu’on sache la philosophie, et la philosophie elle-même ne sera bien comprise que si l’on a quelque notion des sciences exactes, surtout de la géométrie et des mathématiques. C’est donc le cercle entier des connaissances humaines qu’embrasse la grammaire : Avant de passer aux mains du rhéteur, dit Quintilien, l’enfant doit avoir reçu ce que les Grecs appellent une éducation encyclopédique. Au premier abord, il semble que le rhéteur ait moins à faire que son collègue ; il n’est pas oblige de se disperser, comme lui, dans des études diverses. Il n’enseigne qu’un art ; mais cet art, c’est l’éloquence, le premier et le plus difficile de tous, celui qui demande toute une vie d’homme pour être pratiqué en perfection. Il faut d’abord apprendre à l’élève la théorie complète de la rhétorique ; c’est une étude très longue, très délicate ; chaque maître s’étant plu à entasser les préceptes, à compliquer la science ; à créer des difficultés imaginaires pour le plaisir de les résoudre. A cet enseignement de théorie se joignent des exercices pratiques qui sont plus importants et plus difficiles encore. Quand l’élève connais les préceptes de l’art, on lui apprend à les appliquer ; il faut qu’il compose un discours, qu’il le retienne par cœur, qu’il le débite. Dans le débit, rien n’est laissé au hasard, on a voulu tout prévoir, tout régler. On apprend d’avance à l’élève le ton qui convient à chaque partie du discours, jusqu’où le bras doit s’élever pendant l’exorde et comment il faut tendre la main dans l’argumentation. Sur quelques points, des discussions se sont élevées, qui partagent l’école. Convient-il de frapper du pied, dans les moments où l’on s’emporte ? Est-il séant de déranger les plis de sa toge et, de la laisser flotter sur l’épaule vers la fin du discours ? Pline l’ancien, qui était un homme sévère et régulier, ne voulait pas en entendre parler, et il allait jusqu’à recommander qu’en s’essuyant le front, quand on suait, qu’on eût grand soin de ne pas déranger sa chevelure. Quintilien était moins rigoureux ; il pensait, au contraire, qu’un peu de désordre dans les cheveux et dans la robe marquait mieux l’émotion et pourrait toucher les juges. Un art si minutieux demandait, on le conçoit, beaucoup de temps et de travail, et le jeune homme ne pouvait encore qu’imparfaitement le connaître lorsqu’à dix-sept ans il prenait la robe virile et devenait citoyen. C’est ainsi que, par l’union de la grammaire et de la rhétorique, et définitivement constitué ce qu’on pourrait appeler le cycle des études. On sait désormais ce qu’on apprendra dans les écoles ; la matière, le fond de l’enseignement public est trouvé. Il reste à voir comment cet enseignement lui-même est arrivé à naître. IVOn a dû discuter plus d’une fois à Rome ; comme on l’a fait ailleurs, sur l’enseignement, public et l’enseignement privé ; on s’est souvent demandé sans doute s’il ne vaut pas mieux pour un enfant être élevé dans sa famille, près de ses parents, par un maître particulier, que d’aller dans les écoles où sont réunis les jeunes gens de son âge. La question a été longuement traitée par Quintilien dans un des premiers chapitres des Institutions oratoires. Après avoir exposé les raisons qui peuvent faire préférer l’un ou l’autre de ces deux genres d’éducation il conclut avec beaucoup de force en faveur de l’enseignement public, et ses arguments me semblent sans réplique. Du reste, au moment off. Quintilien écrivait son livre, la cause qu’il plaide était gagnée. Longtemps l’aristocratie romaine avait tenu à élever ses enfants chez elle. Elle pouvait le faire aisément et sans beaucoup de frais, tant que l’éducation fut simple. Mais quand vint la mode de faire apprendre aux jeunes gens la grammaire et la rhétorique, il fallut se procurer des gens capables de les leur enseigner, et c’était une grande dépense. Q. Catulus paya, dit-on, un bon grammairien 700.000 sesterces (140.000 francs). Les pères de famille finirent par, trouver que l’éducation intérieure leur revenait trop cher, et, de leur côté, les professeurs s’aperçurent qu’ils gagneraient encore davantage en réunissant plusieurs élèves chez eux et que, du même coup, ils auraient l’agrément d’être plus libres. Nous voyons dans le petit traité de Suétone : de Grammaticis et Rhetoribus, que la plupart de ceux qui avaient commencé par enseigner dans les maisons des grands seigneurs se dégoûtent peu à, peu du métier et ouvrent des écoles. Ainsi firent successivement Antonius Gnipho, Lenæus, Cæcilius Epireta, c’est-à-dire les plus illustres de ces maîtres et les plus recherchés ; en sorte, dit Suétone, qu’à un moment on vit à la fois dans Rome vingt écoles célèbres où affluait la jeunesse. C’était la victoire de l’enseignement public. Mais l’enseignement public peut être donné de diverses manières. Tantôt il est dans les mains des particuliers, qui ouvrent des écoles à leurs frais et les dirigent comme ils veulent : c’est l’enseignement libre ; tantôt les villes se chargent de l’entreprise, elles choisissent les professeurs et les paient : c’est l’enseignement municipal ; tantôt enfin ils sont rétribués par le trésor public et dépendent de l’autorité centrale c’est l’enseignement de l’état. Ces trois situations différentes, l’instruction à Rome les a successivement traversées. Elle a commencé par la première, s’est maintenue très longtemps dans la seconde, et n’est arrivée à la dernière qu’au moment même où les barbares ont détruit l’empire d’Occident. A l’époque où florissaient les vingt écoles dont j’ai parlé, c’est-à-dire vers le temps d’Auguste ou de Tibère, on ne connaissait à Rome que l’enseignement libre. Un grammairien, un rhéteur, qui s’était fait connaître en élevant les fils de quelque grand personnage, devenu client de la famille où il avait été précepteur et comptant sur sa protection, louait, sous quelque portique, une salle plus ou moins vaste, suivant ses ressources ou ses espérances, et attendait les élèves. Le succès de ces entreprises était très variable ; tandis que Remmius Palæmon y gagnait plus de 400.000 sesterces par an (80.000 francs), Orbilius, le maître d’Horace, mourait de faim dans un galetas et ne se consolait de sa misère qu’en écrivant un livre d’injures contre les pères de famille qui s’étaient montrés si peu généreux pour lui. Ces chances incertaines décourageaient les hommes de talent, et il est naturel qu’ils aient préféré dans la suite les positions moins brillantes, mais plus sûres, que leur offraient les écoles des villes et de l’état. C’est ainsi que décline et s’efface peu à peu l’enseignement libre qui jetait tant d’éclat sous les premiers césars. Mais il n’a jamais complètement disparu, et nous le retrouverons au Ve siècle, mentionné dans l’édit de Théodose II, qui fonde l’école de Constantinople. Cicéron, nous l’avons vu, se plaignait que la république romaine eût témoigné peu de souci pour l’instruction de la jeunesse ; on ne peut pas faire le même reproche à l’empire. Dès le premier jour, et s’occupe des professeurs et semble vouloir les prendre sous sa protection. Jules César donne le droit de cité à tous ceux qui enseignaient les arts libéraux, c’est-à-dire aux grammairiens, aux géomètres, aux rhéteurs, qui étaient presque tous Grecs d’origine. C’était beaucoup d’en faire des citoyens romains, mais on fut plus généreux encore : on leur en accorda les privilèges sans leur en imposer les charges. Ils furent exemptés de la milice, des fonctions judiciaires, des sacerdoces onéreux, des tutelles, dos ambassades gratuites au nom des villes, de la nécessité d’héberger les gens de guerre ou les agents de l’autorité dans leurs tournées. Nous avons une loi d’Antonin qui fixe, selon l’importance des villes, le nombre des médecins, des grammairiens, des rhéteurs qui jouiront de ces immunités. On les leur conserva jusqu’à la fin de l’empire, malgré le malheur des temps et les nécessités les plus pressantes. Au moment même où les honneurs municipaux deviennent des fardeaux écrasants auxquels on cherche à se soustraire par la fuite, quand les princes ne semblent occupés qu’à déjouer toutes les ruses par lesquelles on tente d’échapper à ces dignités ruineuses, une loi de Constantin déclare les professeurs exempts de toutes les fonctions et de toutes les obligations publiques. C’était alors le plus grand de tous les bienfaits. Mais voici une innovation plus importante. Avec Vespasien, l’enseignement entre dans une phase nouvelle. L’état ne se contente plus d’honorer les professeurs par des privilèges et des immunités ; il manifeste pour la première fois la pensée de les prendre à son service. Vespasien fut le premier, dit Suétone, qui accorda aux rhéteurs, sur le trésor public, un salaire annuel de 100.000 sesterces (20.000 francs.) Parmi ceux qui touchèrent ce traitement se trouvait Quintilien. Pendant vingt ans, sous des régimes divers, il professa la rhétorique à Rome, aux frais de l’empereur. L’essai de cet enseignement nouveau ne pouvait pas se faire avec plus d’éclat. Quintilien était un avocat illustre, qui avait étudié à fond tous les secrets de son art. Il parlait avec autorité, il écrivait avec talent. Il eut pour élèves Pline le jeune, peut-être Tacite, et Martial l’appelle le chef et le guide de la jeunesse : Quintiliane, vagæ moderator summe juventæ. L’effet de ses leçons fut considérable, s’il est vrai, comme on le pense, qu’elles contribuèrent à changer le goût public et ramenèrent les jeunes gens de l’admiration de Sénèque à celle de Cicéron. Est-il vrai pourtant, comme on l’a quelquefois supposé, que les libéralités de Vespasien se soient étendues à l’empire entier et qu’il ait établi partout l’enseignement de l’état ? Les paroles de Suétone pourraient le faire croire au premier abord ; mais il ne faut pas les prendre à la lettre. L’élévation même du traitement accordé aux rhéteurs nous prouve qu’il ne s’agit que des rhéteurs de Rome. Il n’était pas possible que toutes les chaires fussent rétribuées de la même façon et qu’un professeur de petite ville touchât le même salaire que Quintilien. De plus, si Vespasien avait prétendu créer d’un seul coup un grand système d’enseignement qui s’étendît à tout l’empire, ce système lui aurait sans doute survécu ; nous en retrouverions des traces après lui, et ses successeurs n’auraient eu qu’à maintenir son œuvre, tandis que nous les voyons toujours recommencer, comme s’il n’y avait rien de fait avant eux. D’Hadrien à Antonin, en nous dit, comme de Vespasien, qu’ils établirent des traitements pour les grammairiens et les rhéteurs. Marc Aurèle institua, plusieurs chaires de philosophie dans Athènes ; les quatre grandes doctrines, celles de Platon et d’Aristote, d’Épicure et de Zénon, y furent enseignées par des maîtres qui recevaient dix mille drachmes par an (près de 9.000 francs.) — Ne nous étonnons pas qu’il ait été moins généreux que Vespasien : c’était un traitement de province. — Alexandre Sévère, si nous en croyons Lampride, fit encore plus. Non seulement il fixa, comme ses prédécesseurs, un salaire pour les maîtres, mais il leur bâtit des écoles et il eut l’idée de les pourvoir d’élèves en donnant des pensions à des enfants pauvres qui purent ainsi suivre leurs cours. C’est donc à lui que remonte l’institution des boursiers. Essayons de nous rendre compte de ce que les historiens veulent dire dans ces divers passages que je viens de citer. Qu’étaient ces fondations impériales dont ils nous entretiennent ? Qu’ont fait véritablement pour l’enseignement public les princes dont ils vantent la générosité ? D’abord, il n’est pas douteux que quelques-uns d’entre eux, Vespasien, Marc Aurèle, n’aient fondé, dans quelques villes importantes, comme Athènes et Rome ; quelques chaires qui étaient payées par l’état. Mais est-ce tout ? Ces chaires, rares, isolées, cet enseignement d’exception, suffisent-ils pour expliquer ces expressions générales dont se servent les historiens ? Des phrases comme celles-ci : salaria instituit, salaria detulit per provincias, semblent bien indiquer qu’il s’agit d’un système étendu d’éducation ; elles paraissent s’appliquer à tout l’ :empire, et nom à quelques villes privilégiées. Il est donc vraisemblable que ces princes avaient réglé que les professeurs de toutes les écoles publiques recevraient un salaire ; seulement ce salaire, ce -n’était pas l’état qui devait le donner, c’étaient les villes où ces écoles étaient établies : elles profitaient de l’enseignement ; il était naturel qu’on le leur fit payer. L’empereur leur en imposa la charge, comme il en avait le droit. La loi qui l’autorisait à supprimer les libéralités des villes quand elles lui paraissaient inutiles, lui permettait de les contraindre à celles qui lui semblaient nécessaires. C’est en vertu de ce pouvoir qu’il put ordonner qu’elles supporteraient les dépenses de leurs écoles. Les historiens ont donc raison de dire d’Antonin, d’Alexandre Sévère, etc., qu’ils établirent des traitements pour les maîtres : salaria instituit, salaria detulit ; ils auraient dû seulement ajouter que ce traitement n’était pas fourni par les princes eux- mêmes, mais par les villes, et que leur générosité ne leur coûtait rien. Et si nous voyons cette mention reparaître sous plusieurs règnes successifs, c’est que les villes ne payaient pas volontiers- et qu’elles ont essayé souvent de se soustraire au fardeau dont on les avait chargées sans les consulter. Ainsi, dans quelques villes importantes, quelques chaires en petit nombre fondées et dotées par l’état ; dans toutes les autres, c’est-à-dire à. peu près dams l’empire entier, des écoles entretenues aux frais des municipalités : tel était le régime sous lequel a vécu l’enseignement public jusqu’au Ve siècle. Je ne sais pourquoi l’on en a douté : tous les documents l’attestent. Libanius, dans le discours, qu’il a prononcé en faveur des rhéteurs d’Antioche, affirme qu’ils n’avaient d’autre rétribution fixe que celle que la ville leur- payait. Lorsque Cons lance Chlore nomma son secrétaire Eumène à la direction de la grande école d’Autun, il lui attribua un traitement considérable, qui devait être pris sur les finances de la ville : ex viribus hujus reipublicæ. Cet exemple nous montre que l’empereur ne s’interdisait pas tout à fait de s’ingérer dans les affaires de l’enseignement, et l’on pourrait prétendre qu’à cette époque déjà les écoles ressortissaient jusqu’à un certain point au pouvoir central. Mais, comme elles étaient entretenues par les villes, qui fournissaient à leurs dépenses, il s’ensuivait qu’elles avaient surtout, aux yeux de tout le monde, un caractère municipal. C’est ce que dit Ausone en propres termes lorsque, rappelant les trente années qu’if a passées à Bordeaux dans l’enseignement de la grammaire et de la rhétorique, il emploie cette expression : Exegi municipalem operam. Aussi les professeurs n’étaient-ils pas regardés comme des fonctionnaires de l’état. Dans les discours des rhéteurs gaulois du IVe siècle, on dit à plusieurs reprises qu’ils sont de simples particuliers, privati, et le ministère qu’ils remplissent est appelé privatum ministerium. Mais sur cet enseignement municipal l’empereur, on vient de le voir, avait la main, et il était naturel que son autorité s’y fit de plus en plus sentir avec le temps. Quand les abus devenaient criants, il était forcé d’intervenir ; il lui fallait mettre à la raison les villes qui refusaient de faire les dépenses que réclamaient leurs écoles. Chez beaucoup d’entre elles, la condition des professeurs était très misérable. Libanius nous dit de ceux d’Antioche qu’ils n’ont pas même une maison à eux et vivent dans des logements de rencontre, comme des raccommodeurs de chaussures. Ils mettent en gage les bijoux de leurs femmes pour vivre. Quand ils voient passer le boulanger, ils sont tentés de lui courir après, parce qu’ils ont faim, et foncés de le fuir, parce qu’ils lui doivent de l’argent. Cette misère est causée par la négligence ou la mauvaise foi des villes, qui ne tiennent pas les engagements qu’elles ont pris. Libanius leur reproche de donner à leurs professeurs le moins qu’elles peuvent et de n’être jamais protes à les payer. Mais, dira-t-on, n’ont-ils pas leur traitement qu’ils touchent tous les ans ? — Tous les ans ? Non. Tantôt ils le touchent, et tantôt ils ne le touchent pas. On les fait toujours attendre, et on ne leur donne jamais qu’une partie de ce qu’on leur doit[5]. » Il faut rendre cette justice aux empereurs du IVe siècle qu’ils ont été touchés de la situation malheureuse des professeurs et qu’ils ont essayé de rendre leur condition meilleure. Constantin fait une loi pour ordonner que désormais on les paie plus exactement : Mercedes eorum et salaria reddi præcipimus. Gratien, l’élève d’Ausone, va plus loin : il déclare qu’il ne veut pas souffrir que leur traitement soit abandonné au caprice des cités et il fixe ce que chacune d’elles, selon son importance, doit donner à ses grammairiens, et à ses rhéteurs. Nous dirions aujourd’hui qu’il inscrit leurs appointements dans le budget municipal parmi les dépenses obligatoires. Toutes les mesures que prennent alors les empereurs pour le bien des écoles montrent à la fois I’intérêt qu’ils leur portent et le désir qu’ils ont de les placer, autant que possible, sous, leur autorité immédiate. C’est ce qu’il est aisé de voir à propos de la Domination des professeurs. Jusqu au ive siècle, il a régné beaucoup d’arbitraire et d’incertitude dans la manière dont les professeurs étaient choisis. Pour les chaires que les empereurs avaient fondées et qu’ils entretenaient à leurs frais, il ne pouvait pas y avoir de doute : ils avaient évidemment le droit de désigner ceux qui devaient les occuper ; mais ce droit, ils l’exerçaient de diverses façons. Il leur arrivait de s’en dessaisir et de le déléguer à des personnes de confiance : c’est ainsi que Marc Aurèle chargea son ancien maître, Hérode Atticus, de pourvoir aux chaires de philosophie qu’il avait instituées à Athènes. Quelquefois le choix était remis à une commission de gens éclairés qui faisaient paraître devant eux les candidats et leur proposaient quelque sujet à traiter, ce qui donnait naissance à des concours véritables. Souvent aussi l’empereur nommait directement lui-même. Philostrate rapporte que les sophistes d’Athènes, qui tenaient beaucoup à s’asseoir sur le trône, comme on disait, faisaient le voyage de Rome, et que, du temps de Sévère et de Caracalla, comme ils connaissaient l’importance de l’impératrice Julie, ils essayaient de se glisser dans le cortège de géomètres et de philosophes dont elle aimait à s’entourer : avec la protection de la savante princesse, ils étaient sûrs de l’emporter sur leurs rivaux. Quant aux professeurs payés par les villes, c’étaient naturellement les villes qui les nommaient. Il est assez vraisemblable que les décurions prenaient l’avis de gens capables de bien juger, mais le choix leur appartenait. Il fallait, suivant l’expression officielle, que le professeur fût approuvé par un décret du conseil : decreto ordinis probatus, et, s’il ne rendait pas les services qu’on attendait de lui, le conseil qui l’avait choisi pouvait le destituer. Mais ici encore nous voyons intervenir de bonne heure le pouvoir impérial. Sous prétexte que les fonctionnaires publics se forment dans les écoles et qu’il est de l’intérêt général qu’ils y reçoivent une bonne éducation, il se croit autorisé à choisir les maîtres qui les élèvent. C’est un droit que personne ne lui conteste, et quand Eumène fut appelé par Constance Chlore à diriger l’école d’Autun, les habitants ne songèrent qu’à remercier le prince du souci qu’il voulait bien prendre pour eux. Cependant cette intervention de empereur devait être rare ; en réalité, c’étaient les villes qui choisissaient presque toujours les maîtres de leurs écoles, le prince ne s’en occupait que par exception. Julien fut le premier qui établit à ce sujet une règle fixe. Il avait un grand intérêt à le faire. Par un édit célèbre, il venait de défendre aux chrétiens d’enseigner dans les écoles publiques ; selon le mot de Grégoire de Nazianze, il les avait chassés de la science, comme des voleurs du bien d’autrui. Mais il restait beaucoup de villes favorables au christianisme, et, pour que l’édit reçût son exécution, il fallait surveiller les choix qu’elles pouvaient faire. Julien décida, par une loi de 362, que comme il ne pouvait pas s’occuper de tout, les professeurs seraient désignes par les curiales, ce qui, comme on l’a vu se faisait ordinairement ; mais il ajouta, ce qui était nouveau, que le choix des curiales devrait être soumis à l’empereur ; afin, disait-il, que son approbation donne un titre de plus à l’élu de la cité. Nous ne voyons pas que, dans la réaction qui suivit la mort de Julien, cette loi ait été rapportée, et l’on peut croire qu’à partir de ce moment l’empereur participa, d’une manière officielle et régulière, à la nomination de tous les professeurs de l’empire. Le dernier progrès dus cette voie fut accompli en 425, sous l’empereur Théodose II, par la fondation de l’école de Constantinople. Elle fut établie dans le Capitole de la ville impériale, sous les trois portiques du nord, qui contenaient de vastes ; exèdres, et qu’on agrandit encore en achetant les maisons voisines. On multiplia le nombre des salles et on les éloigna les unes des autres pour qu’aucune leçon ne fût gênée par le bruit que faisaient les élèves dans le cours voisin. Les professeurs étaient au nombre de trente et un : trois rhéteurs et dix grammairiens, latins ; cinq rhéteurs et dix grammairiens grecs ; un philosophe, deux jurisconsultes. C’est ainsi que fut créée ce que nous pourrions appeler l’université de Constantinople. Cette fois, c’était bien l’autorité impériale qui prenait l’initiative de la création. La loi ne dit pas, qui doit fournir à la dépense, mais il est assez probable qu’elle est prise sur le trésor public. Ce qui est sûr, c’est que les professeurs sont traités comme des fonctionnaires, et l’empereur règle qu’après vingt ans de bons services, si l’on n’a rien à leur reprocher, ils recevront, en même temps que leur retraite, la dignité de comtes du premier ordre et seront mis sur le même rang que les ex-vicarii. L’enseignement de l’état est fondé, et il est curieux de voir que le jour même où il commence d’exister, il s’attribue aussitôt le monopole. En même temps que la loi interdit aux professeurs de l’université de donner aucune leçon, en dehors du Capitole, on défend aux autres d’ouvrir aucune écale publique. Ils pourront continuer à enseigner dams l’intérieur des familles infra privatos parietes ; mais, s’ils se font accompagner au dehors, par leurs élèves, s’ils les réunissent dans une maison spéciale, ils seront punis des peines les plus sévères et chassés de la ville. Quoique la loi soit signée par Valentinien III, aussi bien que par Théodose, nous ne savons pas si elle eut un contrecoup dans l’empire d’Occident, qui se débattait alors contre les barbares. Quant à l’université de Constantinople, il appartient à ceux qui s’occupent de l’empire byzantin de savoir quelles furent ses destinées et ce qui est advenu dans la suite de l’œuvre de Théodose II. VNous sommes arrivés à la pleine organisation de l’instruction publique vers la fin de l’empire ; faisons un retour sur l’époque qui a précédé. Essayons d’avoir quelque idée d’une école romaine au IIIe et IVe siècles de notre ère ; demandons-nous ce qu’on y faisait, comment on y vivait et s’il nous est possible de faire quelque connaissance avec les maîtres et les élèves. Sur toutes ces questions, les auteurs anciens sont loin de satisfaire notre curiosité ; ils nous donnent pourtant quelques renseignements qu’il est utile de recueillir. Alors, comme aujourd’hui, une école se composait d’un certain nombre de professeurs réunis ensemble, dans un local commun, pour l’instruction de la jeunesse : il est impossible que cette réunion n’ait pas eu son chef. Les Romains avaient trop le respect et de l’ordre et de la discipline pour croire que ces établissements pouvaient se passer d’une direction. Il est, en effet, question, à propos de l’école d’Autun, de celui qu’on appelle le premier des maîtres, summus doctor ; celui-là, paraît bien avoir la haute main pur le reste : c’est un personnage important, qu’on paie beaucoup plus que ses collègues et que l’empereur su donne la peine de choisir lui-même. Il est vraisemblable qu’il était professeur dans l’école en même temps qu’il la dirigeait, et que sa situation devait être à peu près celle des doyens de nos facultés, mais c’est tout ce que nous en savons. Nous venons de voir que l’école de Constantinople, la plus importante de l’empire, comptait trente et un professeurs : vingt grammairiens, huit rhéteurs, deux jurisconsultes et un philosophe. Cette liste, si on la compare à celles des universités d’aujourd’hui, nous parait fort incomplète. Sans parler de la médecine, qui s’apprenait alors d’une façon particulière, nous sommes étonnés de voir que les sciences exactes n’y figurent pas. Elles n’étaient pas enseignées par des maîtres spéciaux ; le grammairien devait bien en donner quelques notions à ses élèves, mais il avait tant l’autres choses à faire qu’il ne pouvait pas trouver le temps de les approfondir. Malgré ces lacunes qui nous surprennent, soyons assurés qu’à Constantinople l’enseignement devait être beaucoup plus tendu et plus varié qu’ailleurs. D’abord, dans les autres écoles, nous ne rencontrons plus de jurisconsultes. Le droit, cette science romaine, n’avait de maîtres que dans les deux capitales de l’empire et à l’école de Béryte (Beyrouth), qui paraît lui avoir été spécialement consacrée. Quant à l’enseignement philosophique, il n’existait alors d’une manière sérieuse que dans Athènes. On peut dire que la philosophie n’a pas pu vaincre tout à fait la répugnance que les Romains ont témoignée pour elle dès le premier four, et que, malgré les efforts de Cicéron et des autres, elle n’est jamais entrée dans le cercle régulier des études. C’est une science complémentaire qui plait à quelques curieux et que la masse du public a de bonne heure délaissée. Nous voyons qu’au temps des Antonins, où elle brille encore de tant d’éclat, les empereurs hésitent à comprendre les philosophés parmi ceux auxquels ils accordent l’exemption des- charges municipales. Ils prétendent d’abord qu’ils sont si peu nombreux qu’il est inutile de les mentionner ; puis ils ajoutent que, comme ils font profession de mépriser la richesse, il ne faut pas trop les enrichir. C’est un prétexte facétieux qui permet au législateur de leur refuser les privilèges qu’il accorde aux autres maîtres de la jeunesse. A partir du IIe siècle, la vogue de la philosophie décline de plus en plus. Le triomphe du christianisme lui porte le dernier coup, et saint Augustin nous dit que, de son temps, elle n’est presque plus enseignée nulle part. Il ne reste donc, dans les écoles ordinaires, que des grammairiens et des rhéteurs. C’est seulement de grammairiens et de rhéteurs que se composait cette école de Bordeaux, que nous connaissons mieux que les autres, grâce à Ausone, qui nous en a beaucoup parlé. Il y avait été élève, puis maître pendant trente ans. Vers la fin de sa vie, il se plaisait, ainsi que tous les vieillards, à revenir aux souvenirs de sa jeunesse, et, comme il était versificateur incorrigible, il s’amusait à les raconter en vers. Un jour, il eut l’idée de chanter la mémoire de tous les parents qu’il avait perdus et d’en composer un poème qu’il appela Parentalia, sorte de nécrologe où il ne nous fait pas grâce des cousins les plus éloignés. Une autre fois, ce fut le tour de ses anciens professeurs. Il les énumère tous, l’un après l’autre, et consacre à chacun d’eux une pièce de vers plus ou moins longue, selon leur mérite et leur célébrité. Cette revue nous paraîtrait fort monotone si elle ne nous donnait quelques détails sur ce personnel des écoles du Ive siècle que nous cherchons à connaître. Nous y voyons d’abord figurer des grammairiens grecs et latins ; les deux langues classiques ont continué d’être la base de l’enseignement officiel. Il est pourtant visible que, dans les pays occidentaux, l’étude du grec commence à n’être plus aussi florissante. Ausone, tout en rendant justice au talent des grammairiens grecs de Bordeaux, s’accusé d’avoir peu profité de leurs leçons. Il ajoute que les autres écoliers faisaient comme lui et que les résultats de cet enseignement étaient médiocres. Il en était de même en Afrique, où, du temps de Tertullien et d’Apulée, les lettrés parlaient grec aussi aisément que latin. Saint Augustin, qui a pourtant appris tant de choses, avoue que le grec lui causait, dans sa jeunesse, beaucoup de répugnance, et il est aisé de voir, dans ses œuvres, qu’il ne l’a jamais bien su. Ainsi s’accomplissait peu à peu la séparation définitive de l’Orient et de l’Occident. Les grammairiens latins étaient, au contraire, en fort grande estime. Tous les élèves passaient par leurs mains et restaient longtemps dans leurs classes ; aussi arrivaient-ils quelquefois à la fortune. Cependant l’opinion les mettait fort au-dessous des rhéteurs. Dans l’œuvre d’Ausone, les rhéteurs nous apparaissent comme de grands personnages que l’empereur vient souvent prendre dans leurs chaires pour les attacher à sa personne, comme secrétaires d’état, ou même pour en faire des gouverneurs de province et des préfets du prétoire. Ceux qui n’arrivent pas à cette fortune et qui ne quittent pas l’école n’en ont pas moins, dans la ville où ils enseignent, une situation brillante. Ils font souvent de riches mariages, ils épousent des femmes nobles et bien dotées. Leur maison est fréquentée par la bonne société, leur table a de la réputation, et l’on y est attiré moins par les dépenses que fait le maître que par les agréments de son esprit et le charme de sa conversation piquante. Pour comprendre comment les professeurs arrivaient quelquefois à être riches, il faut songer que leurs traitements pouvaient s’élever assez haut, lis se composaient de sommes payées par l’état ou par les villes et d’une rétribution que donnaient les élèves, c’est-à-dire d’un traitement fixe et d’un traitement éventuel. L’état, dans les rares chaires qu’il avait dotées, était ordinairement assez généreux ; les villes, nous l’avons vu, ne se piquaient pas de bien payer les maîtres et de les payer régulièrement. La fortune, quand ils l’obtenaient, devait surtout leur venir de leurs élèves. Aussi travaillaient-ils à en attirer le plus qu’ils pouvaient dans leurs écoles. De là des luttes violentes entre eux, des rivalités passionnées, un désir ardent de se faire connaître et l’emploi de procédés fort étranges pour répandre leur réputation. Du temps d’Aulu-Gelle, les grammairiens et les rhéteurs de Rome fréquentaient les boutiques de libraires. Là les occasions ne leur manquaient pas pour étaler leur science et faire assaut de belles paroles. Le père de famille, qui ne se fiait pas à la renommée et voulait choisir lui-même le maître de ses enfants, allait les entendre et se décidait pour le plus beau parleur. En Grèce, où les professeurs abondent, le combat pour la conquête des élèves est naturellement plus vif et plus difficile. D’ordinaire, le grammairien s’entend avec le pédagogue, c’est-à-dire avec l’esclave qui est chargé, dans la maison, de surveiller le travail de l’enfant ; il le corrompt par des présents, il le paie, et le pédagogue recommande au père le grammairien qui lui a le plus donné. A Athènes, c’est pis encore. Quand l’écolier débarque au Pirée, rencontre d’abord des partisans de chaque école philosophique qui essaient de l’embaucher, comme on y trouve aujourd’hui des recruteurs pour les divers hôtels de la ville. Tout n’est pas fini quand il a fait son choix, et les professeurs travaillent par tous les moyens à s’enlever leurs élèves. Il y en a, dit Philostrate, qui donnent de bons dîners, avec de jolies petites servantes, pour prendre les jeunes gens dans leurs filets. Libanius lui-même, l’honnête Libanius, ne se refusait pas d’user quelquefois de quelques réclames innocentes, il priait les magistrats qui lui voulaient du bien, quand ils avaient entendu parler un de ses élèves et que le public paraissait content, de demander : Où donc ce jeune homme a-t-il étudié ? C’était une manière de mettre l’école de Libanius en renom. Du reste, il comptait encore plus, pour sort succès, sur son talent, et il avait raison. Le jour où il ouvrit son école d’Antioche, il n’avait que dix-sept auditeurs ; après ses premières harangues, il en vint cinquante, et bientôt, nous dit-il, sa renommée fut si grande que l’on chantait ses exordes dans les rues. Le malheur, c’est que, lorsqu’on tient sa réputation et sa fortune de ses élèves, on est trop tenté de les ménager. Comme on a eu beaucoup de peine à les conquérir, on est prêt à faire beaucoup de concessions pour les garder. On n’ose plus les gronder, de peur qu’ils n’aillent chercher des professeurs plus indulgents. Les rôles finissent par être renversés, et ce sont bientôt les élèves qui deviennent les maîtres. Le sage Favorinus s’indignait de ces complaisances : On voit, disait-il, des professeurs qui vont donner leur leçon chez les jeunes gens riches sans qu’on les ait appelés. Ils s’assoient devant la porte et attendent tranquillement que leur élève ait cuvé le vin qu’il a bu dans les festins de la veille. Des maîtres passons aux écoliers. Il y en avait, dans l’antiquité comme chez nous, deux variétés bien différentes : les boas et les mauvais. Les bons écoliers nous sont connus par quelques récits d’Aulu-Gelle. Cet excellent Aulu-Gelle, quoiqu’il soit arrivé à occuper des fonctions publiques, ne fut jamais qu’un de ces élèves honnêtes et appliqués qui redisent toute leur vie avec exactitude la leçon qu’on leur a faite. Il ne parle de ses professeurs que d’un ton attendri ; l’époque heureuse pour lui est celle où il étudiait et son souvenir le ramène toujours à l’école. Quand il y était, il faisait partie de cette élite d’écoliers qui- s’attachaient plus particulièrement au maître et ne le quittaient plus. La leçon finie, les autres s’en vont ; ceux-là restent. Il est rare que le maître ait un intérieur où il se retire quand son école est fermée. D’ordinaire, il ne s’est pas marié : — Libanius disait à l’un de ses admirateurs, qui était venu lui offrir sa fille, qu’il ne voulait épouser que l’éloquence ; — Ses élèves forment donc toute sa famille. Aussi vit-il avec eux dans la plus complète intimité ; ils assistent à ses repas, ils l’accompagnent dans ses promenades et le suivent même au chevet d’un ami malade. La vie qu’ils mènent dans sa compagnie nous parait fort grave et même légèrement ennuyeuse : pas un moment du jour qui ne soit consacré à des occupations savantes ; on lit pendant le repas ; en se promenant, on disserte. Le repos ne se distingue du travail que par la nature des questions qu’on traite. Ces questions, aussi bien celles des heures sérieuses que des moments de loisir, nous paraissent quelquefois minutieuses et futiles. Nous avons peu de goût pour ces recherches savantes et cette érudition de surface, mais alors on en était charmé. La grammaire, la rhétorique, possédaient les esprits et les rendaient insensibles au reste. Aulu-Gelle raconte qu’il revint un soir, sur un bateau, d’Égine au Pirée, avec quelques-uns de ses camarades. La mer était calme, dit-il, le temps admirable, le ciel d’une limpidité transparente. Nous étions tous assis à la poupe, et nous avions les yeux attachés sur les astres brillants. Pourquoi croyez-vous qu’ils regardent ainsi le ciel ? Pour avoir quelque prétexte de disserter lourdement sur la vraie forme du nom grec et latin des constellations. Voilà ce que trouvent de mieux à faire des jeunes gens qui côtoient les rivages de l’Attique par une belle nuit étoilée ! Veut-on savoir ce qu’étaient pour eux les jours de fêtes et quelles folies ils se permettaient pendant le carnaval ? Aulu-Gelle encore va nous l’apprendre : Quand nous étions à Athènes, nous passions les saturnales d’une manière à la fois très agréable et fort sage, ne relâchant pas notre esprit, — car, suivant le mot de Musonius, relâcher son esprit, c’est la même chose que le lâcher[6] ou le perdre, — mais l’égayant et le reposant par des conversations piquantes et honnêtes. Nous nous réunissions tous à la même table, et celui qui, à son tour, était chargé dés apprêts du repas, devait se procurer d’avance- quelque livre d’un ancien écrivain grec ou latin avec une couronne de laurier pour être donnée en prix au vainqueur. Puis il préparait autant de questions qu’il y avait de convives. Quand il en avait donné lecture, on les tirait au sort. Le premier commençait, et, si l’on jugeait qu’il avait bien répondu, on lui donnait le prix. Sinon, on passait au voisin, et, quand la question restait sans réponse, on suspendait la couronne à la statue du dieu qui présidait au festin. Quant aux sujets proposés, c’était l’explication d’un texte obscur ou d’un petit problème d’histoire, la discussion d’une opinion philosophique, un sophisme qu’il fallait résoudre, ou bien encore quelque forme étrange ou inusitée d’un mot ou d’un verbe dont on devait rendre compte. C’est ainsi que, non seulement à Athènes et à Rome, mais dans les lieux de plaisir et de joie, à Tibur, à Ostie, à Pouzzoles, à Naples, se passait le temps des fêtes pour Aulu-Gelle et ses studieux amis. On pense bien que les mauvais écoliers avaient d’autres goûts et qu’ils se livraient à des divertissements un peu moins pacifiques. Ils étaient bruyants, désordonnés ; ils accueillaient les nouveaux arrivés par toute sorte de vexations et les forçaient de Payer cher leur bienvenue. Ils formaient des associations qui en venaient quelquefois aux mains dans les rues. Il y en avait à Carthage qui s’appelaient les Ravageurs, Eversores, et qui faisaient le tourment de leurs professeurs et de leurs camarades. Ils troublaient le cours des maîtres qui ne leur plaisaient pas et les forçaient de fermer leur école. Pour leur échapper, saint Augustin prit le parti d’aller enseigner la rhétorique à Rome ; mais il y trouva d’autres inconvénients qu’il ne soupçonnait pas. Les élèves y avaient la mauvaise habitude de ne pas payer leurs professeurs ; le jour de l’échéance, ils disparaissaient pour aller suivre un autre cours et passaient ainsi d’un maître à l’autre sans s’acquitter envers aucun. Ils vivaient pourtant sous une législation sévère et l’autorité les traitait souvent avec rigueur. Nous avons une loi, fort curieuse de Valentinien Ier, qui montre toutes les précautions qu’on avait prises pour les tenir dans le devon-. On exige d’abord que, dés leur arrivée, ils se présentent au magistrat chargé du recensement de la cité — magister census — : ils doivent lui remettre le passeport que leur a délivré le gouverneur de leur province et qui contient, avec la permission de venir étudier à Rome, quelques renseignements sur la situation de leur famille. Ils feront ensuite connaître à quel genre d’études ils se destinent et dans quelle maison ils logent, afin qu’on puisse les surveiller. La police aura l’œil sur eux. Elle essaiera de savoir comment ils se conduisent, s’ils ne font pas partie de quelque association coupable, s’ils ne fréquentent pas trop les spectacles, s’ils assistent à ces festins de mauvaise compagnie qui se prolongent jusqu’au jour. Nous accordons le droit, ajoute l’empereur, au cas où un jeune homme ne se comporterait pas comme l’exige la dignité des études libérales, de le faire battre de verges publiquement et de l’embarquer pour le renvoyer chez lui. Quant à ceux qui se conduisent bien et qui vaquent assidûment à leurs études, il leur est permis de rester à Rome jusqu’à l’âge de vingt ans. Passé ce temps, s’il y en a qui ne retournent pas volontairement dans leurs foyers, on aura soin de les y contraindre en leur infligeant une peine humiliante. Voilà des mesures dont la sévérité prouve à quels excès se laissait quelquefois entraîner la turbulence des écoliers. VILe système d’enseignement dont nous venons d’étudier l’histoire n’est pas, comme tant d’autres institutions humaines, une œuvre du hasard, le produit de quelques circonstances fortuites ; il n’a pas été non plus imaginé de toutes pièces par des politiques, impose à l’empire par des hommes d’état prévoyants. A le prendre dans ses origines lointaines, c’est la réalisation d’une idée philosophique. Tout le monde se souvient d’avoir lu, dans les prologues de Salluste, les belles phrases où il établit la supériorité de l’esprit sur le corps : « C’est l’esprit qui est le véritable maître de la vie. L’esprit doit commander, le corps obéir. Le premier nous rapproche des dieux ; l’autre nous est commun avec les bêtes. » Cette idée ne nous semble aujourd’hui qu’un lieu commun vulgaire, et nous sommes surpris de l’entendre proclamer d’un ton si solennel. Mais alors elle était nouvelle, surtout chez un .peuple que sa nature portait à n’admirer guère que la force brutale. Aussi ne l’avait-il pas trouvée lui-même, elle résumait tout un long travail de la pensée grecque. Née dans les écoles des philosophes socratiques vers le IIIe siècle nant notre ère, propagée par les écrits des sages et parcourant le mande avec eux, acceptée peu à peu, chez les Grecs et les Romains, comme une incontestable vérité, elle finit par prendre un corps et se traduire en fait. Appliquée à l’éducation de la jeunesse, elle en changea le caractère. L’Hellène, dans les premiers temps, ne mettait pas une grande différence entre son esprit et son corps ; comme ils lui sont nécessaires tous les deux, il les soigne autant l’un que l’autre. L’idéal qu’il imagine, le dessein qu’il poursuit dans l’éducation de la jeunesse, c’est d’établir entre eux une sorte d’harmonie. Les philosophes ont dérangé l’équilibre ; en insistant, comme ils font, sur l’infériorité du corps, ils ont ôté le goût de s’en occuper, Aussi la gymnastique, qui tenait d’abord tant de place dans la vie des Grecs, ne tarde pas à être négligée et finit par disparaître. Mais voici une autre conséquence : l’esprit étant le maître, le premier de tous les arts doit être celui qui donne le plus à l’esprit le sentiment de sa supériorité. Cet art, sans aucun doute, c’est l’éloquence. Cicéron Quintilien, Tacite, l’ont bien montré dans les admirables tableaux qu’ils tracent des assemblées populaires. Qu’on se figure, sur la place publique d’Athènes ou de Rome, un peuple entier réuni c’est-à-dire des gens endurcis à la peine, des artisans Vigoureux, des paysans robustes. Ils savent qu’ils sont la force et le nombre ; ils s’agitent, ils menacent, ils éclatent en cris de fureur. Tout à coup un homme se lève, un homme pâli par l’étude et la réflexion, quelquefois fatigué par l’âge, le plus faible, le plus chétif de tous. Il parle, et peu à peu les colères tombent, les dissentiments s’apaisent ; bientôt cette multitude divisée semble n’avoir plus qu’une âme, l’âme même de l’orateur, qui s’est communiquée à tous ceux qui l’écoutent. N’est-ce pas le triomphe le plus éclatant de l’esprit sur la force matérielle, de l’âme sur le corps ? Et, s’il est vrai que l’éducation doit être surtout la culture de l’esprit, n’est-il pas naturel que l’art où la prédominance de l’esprit se manifeste d’une manière si visible en soit le fondement ? C’est ainsi que l’éloquence prit, dans l’enseignement des peuples anciens, une place qu’elle n’a pas tout à fait perdue chez les modernes. Est-il vrai, comme on l’a dit souvent de nos jours, qu’ils aient eu tort d’en faire la principale étude de la jeunesse ? Je suis bien loin de le croire. Laissons de côté l’utilité directe qu’on trouve dans les pays libres, où la parole est souveraine, à enseigner de bonne heure aux enfants l’art de parler : à Rome, par exemple, c’était un talent nécessaire pour tous ceux que leur naissance appelait à la vie publique, et, comme ils ne pouvaient pas s’en passer, on comprend que leur premier souci ait été de l’acquérir. Mais les autres, ceux auxquels l’accès des honneurs était à peu près fermé et qui ne devaient avoir que très rarement, dans leur vie, l’occasion de parler en public, ne trouvaient-ils donc aucun profit à ces exercices oratoires auxquels on condamnait les jeunes ? Je pense, au contraire, qu’ils leur étaient fort utiles. A ne les prendre que comme un moyen d’éducation générale, pour former non seulement l’orateur, mais l’homme, et le préparer à tout, il n’y en a guère de plus efficace[7]. Quand on veut composer un discours, faire parler un personnage réel ou imaginaire, dans une circonstance donnée, il faut d’abord trouver des raisons et les mettre en ordre ; c’est une nécessité qui force les esprits paresseux à un travail salutaire. Ce qu’il y a d’un peu romanesque dans le sujet qu’ils ont à traiter est pour eux une excitation de plus. On s’imagine aujourd’hui qu’il sera plus facile à un jeune écolier d’exprimer ses sentiments véritables que d’entrer dans ceux des personnages d’autrefois : c’est une grande erreur. La vie ordinaire le frappe très médiocrement ; il jouit en ingrat et presque sans s’en apercevoir des biens qu’elle lui prodigue. C’est en sortant un peu de lui qu’il se connaît mieux. L’effort qu’il lui faut faire pour parler au nom d’un autre éveille et ouvre son esprit, et il lui arrive qu’il apprend à distinguer ses impressions propres en essayant d’exprimer celles d’un étranger. Sans compter que, pour prêter à un personnage de l’histoire le langage qui lui convient, il faut le connaître, et qu’il faut connaître aussi ceux auxquels il parle, démêler leurs dispositions, deviner leur caractère, si l’on veut trouver les raisons qui pourront les convaincre : ce qui suppose urne première observation du monde et de la vie. Il est donc certain que l’exercice de l’art oratoire n’est pas inutile aux jeunes intelligences, puisqu’il développe chez elles la fécondité de l’esprit, l’habitude de la réflexion, la connaissance d’elles-mêmes et des autres. Mais s’il est bon que la jeunesse s’exerce dans l’art oratoire, convient-il, comme faisaient les Anciens, de lui enseigner l’éloquence par la rhétorique ? La rhétorique, je le sais, ne jouit pas d’une bonne renommée ; c’est un art suspect et discrédité. Je ne crois pas pourtant qu’il y ait jamais eu d’éloquence sans rhétorique ; chaque orateur se fait la sienne grand il ne l’a pas trouvée toute faite avant lui. Caton, l’ennemi des rhéteurs grecs, qui voulait à toute force les empêcher d’entrer à Rome, était un rhéteur à sa façon. Il avait remarqué certains procédés qui ne manquaient pas leur effet sur le peuple, et il les employait volontiers. Il les nota soigneusement dans ses ouvrages quand il devint vieux, et en transmit la connaissance à son fils. Ce n’était guère la peine, puisqu’il avait composé lui-même une rhétorique, d’être si sévère pour celle des Grec, qui résumait la pratique de plusieurs siècles et contenait des observations si ingénieuses et si vraies. Quant à la déclamation, qu’on a tant attaquée et dont l’abus produit de si mauvais résultats, prise en elle-même et retenue dans de certaines limites, elle peut aisément se défendre. L’apprentissage de tous les métiers et de tous les arts se fait de la même façon ; la, pratique s’y joint toujours à la théorie ; tous imaginent pour l’apprenti des exercices qui ressemblent à ce qu’il doit faire plus tard et l’y préparent. Et qu’est-ce que la déclamation sinon une manière de former un jeune homme aux luttes réelles par des combats fictifs, la petite guerre avant la grande ? Il n’y avait donc rien de blâmable dans le principe même de cette éducation. Voici d’où venait le péril. Si l’on n’avait pas tort d’enseigner la rhétorique aux jeunes gens, il était dangereux de la leur enseigner seule. Nous avons vu déjà, qu’en réalité ils n’apprenaient qu’elle. Le grammairien, qui était chargé de tout le reste, avait trop à faire pour suffire à tout. Il se bornait à donner de toutes les sciences quelques notions confuses et n’enseignait que ce qu’il était indispensable à un orateur de savoir. Son cours, qui aurait dû avoir tant d’importance, était devenu une simple préparation à la rhétorique. Les élèves se trouvaient donc livrés sans contrepoids à une seule étude, et les inconvénients qu’elle peut offrir n’ava1ent plus pour eux de remèdes. Cicéron, avec son grand bon sens, a vu le mal, et il le signale dans son traité sur l’art oratoire — de Oratore —, Il lui semble que la rhétorique toute seule ne suffit pas pour former l’orateur accompli et qu’il faut qu’il sache toutes les autres sciences à fond. C’est une exigence qui a paru excessive à quelques critiques ; en réalité, Cicéron ne demande qu’une chose qu’il était facile de lui accorder : il veut qu’on fasse précéder la rhétorique d’un vaste enseignement qui soit sérieux et approfondi. S’il avait précisé davantage sa pensée, il aurait dit qu’il fallait donner plus d’importance aux leçons du grammairien, lui faire dans l’école une plus grande place et une situation plus haute, que l’histoire, les sciences exactes, la philosophie méritent d’être enseignées pour elles-mêmes et non pas seulement dans leurs rapports avec la rhétorique ; enfin que c’est une grande force et un grand avantage pour l’orateur de ne pas s’être spécialisé trop vite. Mais le courant était trop fort, et Cicéron ne put pas l’arrêter ; on alla plus loin encore après lui. Cicéron trouvait exagéré qu’on s’occupât de former l’orateur dés l’âge de sept ou huit ans, quand il entre dans les classes ; Quintilien exige qu’on le prenne au berceau. Pour lui, ce n’est plus seulement le grammairien, c’est la nourrice qui est chargée de préparer l’enfant pour le rhéteur : elle doit veiller sur ses premiers mots comme sur ses premiers pas. On peut dire qu’il entre en rhétorique le jour de sa naissance. La rhétorique, quand elle est seule et fille, rien n’en corrige l’effet, peut avoir des inconvénients de plus d’une sorte, qu’il est inutile d’indiquer tous. Je n’en veux signaler qu’un qui me semble grave. Aristote fait remarquer avec beaucoup de bon sens que le raisonnement oratoire ne repose pas sur la vérité absolue, niais sur la vraisemblance et que les arguments des orateurs ne sont pas obligés d’être aussi rigoureux que ceux des philosophes. Quand il s’agit d’entraîner une foule ignorante et tumultueuse, un syllogisme aurait peu de succès. Pour se faire écouter et comprendre, l’orateur doit s’appuyer sur les opinions qui ont cours dans l’a société et suffisent à la pratique de la vie commune. On les appelle des vérités générales, mais elles ne sont vraies qu’en partie ; on peut presque toujours leur opposer des vérités contraires, et, entre les unes et les autres, il est permis d’hésiter. La sagesse des nations aime à s’exprimer en proverbes ; or, il n’y a rien de plus commun que de trouver des proverbes qui se contredisent sans qu’on puisse affirmer qu’aucun d’eux soit tout à fait faux ou entièrement vrai. Il s’ensuit qu’on peut souvent, dans les affaires humaines, soutenir le pour et le contre avec une apparence de vérité, et qu’il est facile, quand on le veut bien, de trouver des raisons probables pour deux causes opposées. Voilà ce qu’apprend, en somme, la rhétorique ; et l’on comprend qu’il puisse être dangereux qu’un art qui ne repose que sur les probabilités et la vraisemblance soit étudié seul. Si la jeunesse qui se livre à cette étude n’a pas auprès d’elle un autre enseignement qui la ramène à la vérité, elle risque d’en perdre peu à peu le sentiment et le goût. C’est sur cette pente que glissa l’éducation romaine et l’on peut dire qu’elle descendit la cote jusqu au bout. La déclamation devait préparer l’élève, par des plaidoiries fictives, à plaider un jour des causes vraies ; c’est un exercice qui ne lui est utile que si les sujets qu’on lui donne ressemblent à ceux qu’il aura plus tard à traiter ; or déjà, du temps de Quintilien, on choisissait de préférence dans les écoles des matières extravagantes. On les prenait tout exprès en dehors de la réalité et de la vie pour piquer la curiosité des jeunes gens et leur donner une occasion de montrer leur esprit ; les plus ridicules étaient précisément les plus goûtées, perce qu’il y avait plus de mérite à s’y faire applaudir. C’est ainsi que, d’excès en excès, on finit par ne plus faire vivre les élèves que dans un monde de fantaisie, ou rien n’était plus réel, où l’on inventait des incidents romanesques, où l’on discutait des lois imaginaires, où tics personnages de convention n’exprimaient que des sentiments de théâtre. De plus, on avait l’habitude de faire plaider aux jeunes gens, pour les mieux exercer, les deux causes contraires. Ils les soutenaient successivement l’une et l’autre avec la même indifférence, trouvant toujours quelque chose à dire, grâce aux vérités générales qui fournissent complaisamment des raisons pour tout, et quand ils avaient également réussi dans les deux plaidoiries opposées, ils en concluaient que le sujet par lui-même n’a aucune importance et que l’art consiste uniquement à trouver à propos de tout des arguments ingénieux et de belles phrases. Sur ces entrefaites, l’empire s’était établi et il avait supprimé les assemblées populaires ; c’était un changement grave dont l’école ne semble pas s’être aperçue. f"le continue à former des orateurs comme si le Forum n’était pas devenu muet et si la parole jouait toujours le même rôle dans les 0àires de l’état. Loin de souffrir du régime nouveau, la rhétorique semble d’abord y gagner. Autrefois, elle préparait aux luttes politiques ; maintenant, elle devient son but à elle-même ; on n’apprend plus à parler que pour le plaisir de savoir parler. C’est ce que Sénèque exprime dans cette phrase énergique : Non vitæ sed schola discimus. Ce qui est étrange, c’est que jamais la parole n’a été Plus aimée que depuis qu’elle ne mène à rien. L’éloquence de l’école, qui n’a plus à craindre la concurrence de l’autre, devient Plus triomphante que jamais et s’enfonce dans ses défauts, que la pratique de la vie et la comparaison avec l’éloquence réelle ne peuvent plus corriger. Il n’est pas douteux que cette éducation n’ait eu des conséquences fâcheuses pour l’empire. Soyons sûrs qu’elle a laissé sa manque sur les générations qu’elle a formées. Pour avoir quelque idée de ce qu’elle a pu faire des élèves, cherchons à savoir ce qu’étaient les maîtres : on doit pouvoir étudier sur eux- mêmes l’effet des leçons qu’ils donnaient aux autres. Les professeurs, nous, l’avons vu, formaient alors une classe puissante et nombreuse. Dans cette foule, il devait, se trouver des personnages très différents : la plupart pourtant se ressemblent, et ils ont des traits communs qu’ils tiennent du métier qu’ils exercent. Pline le jeune, parlant d’un rhéteur qu’il venait d’entendre, disait : Il n’y a rien de plus sincère, de plus candide, de meilleur que ces gens-là : Scholasticus est ; quo genere hominum nihil aut sincerius, aut simplicius, aut melius. Je crois que Pline a raison, et que les hommes d’étude méritaient ordinairement les éloges qu’il leur a donnés. Leur vie appartenait toute au travail. S’ils voulaient atteindre à la perfection, — et tous y aspiraient, — ils ne pouvaient pas perdre un moment du jour. Toutes les dissipations leur étaient donc interdites et cette existence studieuse les préservait des dangers auxquels exposent ordinairement les loisirs. En même temps, ils sont fiers de leur art ; les applaudissements qui les accueillent les rendent pour ainsi dire respectables à eux-mêmes ; ils se regardent comme les prêtres de l’éloquence et ne voudraient rien faire qui fût indigne d’elle. Ce sont donc ordinairement des gens honnêtes, mais, suivant l’expression de Pline, d’u ne honnêteté naïve : nihil simplicius. Comme ils vivent dans un monde imaginaire, ils n’ont guère le sens de la réalité. Ils ne vont pas au fond des choses et s’en tiennent volontiers aux apparences. L’habitude qu’ils ont prise d’appuyer leurs raisonnements sur les opinions qui ont cours dans le monde les rend fort indulgents pour les préjugés. Ils les acceptent aisément et les répètent sans y trop regarder. Avant tout ils respectent, les traditions et vivent du passé. Les rhéteurs de l’époque d’Auguste, dont Sénèque le père nous a transmis les déclamations, et ceux du IVe siècle, qui florissaient dans la Gaule, parlent et pensent à peu près de la même façon ; sur les hommes et les choses ils ont les mêmes idées. C’est que l’école est de sa nature conservatrice ; on y garde religieusement toutes les vieilles pratiques, toutes les anciennes opinions, et les erreurs même y sont traitées avec égard quand le temps les a consacrées. Voilà pourquoi les écoles de Rome se sont montrées d’abord si rebelles au christianisme. Il n’y avait pas là, autant qu’ailleurs, de ces ânes inquiètes, malades, tourmentées de désirs, éprises d’inconnu, à la recherche d’un nouvel idéal. Le rhéteur véritable éprouve une telle admiration pour son art, il en est si occupé, si possédé, qu’il ne découvre rien au-delà et que les nouveautés lui sont suspectes. Jusqu’à la fin il s’en est trouvé un certain nombre que la nouvelle doctrine, partout victorieuse, n’a pas pu vaincre. Comme ils ne sont pas agressifs, ils ne lui résistent pas ouvertement, ils se contentent de ne pas s’occuper d’elle ; ils ne l’attaquent pas, ils l’ignorent, ils feignent de croire qu’il ne s’est rien passé autour d’eux et que le monde continue son ancien train. Quand ils sont appelés à parler devant l’empereur dans quelque circonstance officielle, ils ne se demandent pas à quelle religion il appartient ; ils invoquent sans façon les anciens dieux et continuent à tirer leurs plus beaux effets de la vieille mythologie. Ce qui est merveilleux, c’est qu’on les laisse dire et qu’un prince dévot comme Théodose, qui poursuit partout impitoyablement le paganisme, n’ose pas le proscrire de l’école. Nous touchons, ici à l’un des points les plus curieux et les plus surprenants de l’étude que nous avons entreprise : je veux parler de la confiance absolue, et, pour ainsi dire, du respect superstitieux qu’inspirait alors cette éducation à laquelle nous trouvons tant à reprendre. Dans les premiers temps, beaucoup de bons esprits avaient été frappas des dangers qu’elle présente. C’est une école d’impudence, disait Crassus, quand il entendait les applaudissements dont les élèves saluaient les déclamations de leurs camarades. C’est une école de sottise, ajoutait Pétrone ; et Tacite n’était pas beaucoup plus indulgent, dans son Dialogue des orateurs. Mais peu à peu ces protestations cessent, et à partir du IIe siècle personne n’attaque plus cette façon d’élever la jeunesse. A ce moment, la rhétorique triomphe aussi bien chez les Grecs que dans les pays de l’Occident ; ces deux mondes, qui vont se séparant de plus en plus l’un de l’autre, se réunissent encore dans l’admiration qu’ils ont pour elle. Voudra-t-on me croire si je dis que c’est la rhétorique qui a rendu à la Grèce le sentiment d’elle-même et de sa supériorité sur les autres peuples ? Il n’y a pourtant rien de plus vrai. Ce sentiment, elle l’avait à peu près perdu après sa défaite. Elle se chercha pendant près d’un siècle et ne sut que flatter bassement ses maîtres. C’est seulement avec l’empire qu’elle se réveille ; et lorsque, sous Nerva, commence la seconde sophistique, il s’opère chez elle une sorte de renaissance. Nous avons peine à nous figurer l’enthousiasme qui accueillait les grands sophistes grecs lorsqu’ils sortaient de leurs écoles, dans quelque solennité publique, pour se faire entendre au peuple. Une foule composée de toutes les nations se pressait dans les lieux où ils devaient parler, et les étrangers eux-mêmes, qui ne pouvaient pas les comprendre, les écoutaient avec ravissement, comme des rossignols mélodieux, admirant la rapidité de leur parole et l’harmonie de leurs belles phrases. C’étaient des fêtes qui rappelaient celles que le dithyrambe et la tragédie donnaient autrefois aux Athéniens ; la parole avait remplacé la poésie -et la musique, et les contemporains d’Hérode Atticus ou de Polémon prenaient autant de plaisir en les entendant déclamer que leurs pères lorsqu’ils écoutaient un hymne de Pindare ou un drame de Sophocle. L’admiration que les rhéteurs excitaient à Rome, pour être un peu moins bruyante, n’en était pas moins vive. Les représentations qu’ils donnaient aux grands jours dans les salles de lecture publique, et plus tard à l’Athénée, étaient suivies par tous les lettrés et accueillies par des applaudissements unanimes. C’est sans doute au sortir d’un de ces triomphes que Quintilien appelait l’éloquence la reine du monde : regina rerum oratio, et qu’il proclamait d’un ton d’oracle que c’est le don le plus précieux que les dieux ont fait aux mortels. S’il en est ainsi, les écoles où l’on cultive ce présent du ciel deviennent de véritables sanctuaires, et l’art qui se pique de nous l’enseigner mérite toute notre vénération. Aussi le même Quintilien va-t-il jusqu’à prétendre que la rhétorique est une vertu. Nous sommes tentés de sourire de ces éloges exagérés ; nous avons tort, et un peu de réflexion nous montre que l’enthousiasme de Quintilien peut aisément s’expliquer. Songeons que non seulement les nations civilisées semblaient s’être alors entendues pour faire de la rhétorique le fondement de leur enseignement public, mais qu’elle charmait aussi les nations barbares. A peine les armées romaines avaient-elles pénétré dans des pays inconnus qu’on y fondait des écoles ; les rhéteurs y arrivaient sur les pas du général vainqueur, et ils apportaient la civilisation avec eux. Le premier souci d’Agricola, quand il eut pacifié la Bretagne, fut d’ordonner qu’on enseignât aux enfants des chefs les arts libéraux. Pour les pousser à s’instruire, il les prit par la vanité. Il affectait, dit Tacite, de préférer l’esprit naturel des Bretons aux talents acquis des Gaulois ; en sorte que ces peuples, qui refusaient naguère de parler la langue des Romains, se passionnèrent bientôt pour leur éloquence. A peine les Gaulois étaient-ils vaincus par César que s’ouvrit l’école d’Autun. Elle fut vite florissante, et nous savons que, quelques années plus tard, sous Tibère, les enfants de la noblesse gauloise venaient en foule y étudier la grammaire et la rhétorique. Pour nous faire entendre qu’il n’y aura bientôt plus de barbares et que les extrémités du monde se civilisent, Juvénal nous dit que, dans les Iles lointaines de l’Océan, à Thulé, on songe à faire venir un rhéteur : De conducendo loquitur jam rhetore Thule. Est-il surprenant que cet art, qui faisait ainsi des conquêtes pour Rome, n’ait pas semble aux Romains aussi frivole qu’à nous ? Ils sentaient bien qu’ils lui devaient une grande reconnaissance et que l’unité romaine était fondée dans l’école. Des peuples qui différaient entre eux par l’origine, par la langue, par les habitudes et les mœurs, ne se seraient jamais bien fondus ensemble si l’éducation ne les avait rapprochés et réunis. On peut dire qu’elle y réussit d’une façon merveilleuse : dans la liste des professeurs de Bordeaux, telle qu’Ausone nous l’a laissée, nous voyons figurer, à côté d’anciens Romains, des fils de druides, des prêtres de Bélénus, le vieil Apollon gaulois, qui enseignent, comme les autres, la grammaire et la rhétorique. Les armes ne les avaient qu’imparfaitement soumis, l’éducation les a domptés. Aucun n’a résisté au charme de ces études, qui étaient nouvelles pour eux. Désormais dais les plaines brûlées de l’Afrique, en Espagne, en Gaule, dans les pays à moitié sauvages de la Dacie et de la Pannonie, sur les bords toujours frémissants du Rhin, et jusque sous les brouillards de la Bretagne, tous les gens qui ont reçu quelque instruction se reconnaissent au goût qu’ils témoignent pour le beau langage. On est lettré, on est Romain, quand on sait comprendre et sentir ces recherches d’élégance, ces finesses d’expressions, ces tours ingénieux, ces phrases périodiques qui remplissent les harangues des rhéteurs. Le plaisir très vif qu’on éprouve à les entendre s’augmente de ce sentiment secret qu’on montre en les admirant qu’on appartient au monde civilisé. Si nous perdons l’éloquence, disait Libanius, que nous restera-t-il donc qui nous distingue des barbares ? Ainsi les services que cette éducation a rendus aux Romains leur en cachaient les défauts. Elle leur avait été si utile qu’il ne venait à l’esprit de personne que Rome pût jamais s’en passer. C’est ce qui explique que ces pauvres empereurs, qui avaient tant d’affaires graves sur les bras, tant d’ennemis à combattre, tant d’adversaires à surveiller, se soient occupés jusqu’au dernier moment avec tant de sollicitude des écoles et des maîtres ; voilà aussi pourquoi le christianisme, à qui cette éducation était manifestement contraire, n’a pas essayé, après sa victoire, de la détruire ou même de la charger. Probablement il aurait eu de la peine à y réussir. La société romaine s’y était attachée avec passion comme à sa dernière défense ; elle lui semblait se confondre avec la civilisation menacée. — Le lait est qu’elle ne disparut qu’avec la civilisation elle-même, quand l’empire périt sous les coups des Goths et des Francs. |
[1] J’emploie les expressions, mêmes dont se sert M. Dumont dans son livre sur l’Éphébie attique, et je ne fais guère que résumer ses idées. L’éphébie est une de ces institutions dont les écrivains anciens se sont peu occupés ; seuls, ou presque seuls, les textes épigraphiques nous en ont conservé le souvenir. Elle ne nous est bien connue que depuis les travaux de M. Dumont et de ses camarades, ou de ses élèves de l’École française d’Athènes.
[2] En 1876, on a découvert en Portugal, près du petit bourg d’Aljustrel, dans une région montagneuse, une table de bronze couverte d’une longue inscription latine. Cette inscription, qui est par malheur fort incomplète contient un règlement au sujet de l’exploitation des mines de la contrée. On y voit qu’autour des mines il s’était formé un véritable village où se trouvaient des bains, des boutiques, tout ce qui pouvait servir aux besoins et aux divertissements des ouvriers. Il y avait aussi des maîtres d’école auxquels le règlement accorde des immunités particulières : ludimagistros a procuratore metallorum immunes esse placet.
[3] On peut voir, pour ces détails, l’ouvrage de Grassberger intitulé Erzichung und Unterricht im classischein Alterthum. C’est un livre mal composé, mais qui contient tous les renseignements que les anciens nous ont laissés.
[4] Cette peinture a été étudiée avec beaucoup de soin par Otto Jahn, dans un travail que contient le douzième volume des Mémoires de la Société royale de Saxe.
[5] Il convient pourtant de faire quelques exceptions. Il y avait des villes qui non seulement payaient bien leurs professeurs, mais qui s’imposaient des sacrifices pour enlever à quelque ville voisine un maître renommé et le fixer chez elles. Libanius raconte que Césarée parvînt à conquérir par des offres très séduisantes un rhéteur célèbre d’Antioche. Les habitants de Clazomène ayant essayé d’attirer dans leur ville Scopélianus, qui enseignait à Smyrne, ce rhéteur, qui ne trouvait pas que Clazomène fût un théâtre digne de lui, répondit avec impertinence : Il faut un bois aux rossignols ; ils ne chantent pas dans une cave.
[6] J’essaie de rendre le jeu de mot qui se trouve dans le latin : Remittere animum quasi amittere est.
[7] C’est ce que Sénèque le père exprimait avec beaucoup de bonheur, quand il disait à son fils : Eloquentiæ tantum studeas : facilis ab hac ad omnes artes discusus ; instruit etiam quos non sibi exercet.