ILe consulat était le rêve de tous les romains qui entraient dans la vie politique, quand ils avaient de l’ambition et se croyaient du talent. Rien ne les empêchait d’y prétendre. En droit, tous les citoyens, à Rome, étaient éligibles et électeurs ; on n’exigeait d’eux aucune condition de naissance ou de fortune : Terentius Varro, le vaincu de Cannes, sortait d’une boutique de boucher ; le père de M. Aemilius Scaurus état marchand de charbon. Il est vrai qu’en réalité tout semblait disposé pour rendre les abords du consulat difficiles. Dans cette longue route des fonctions publiques que les candidats, avant d’y arriver, étaient forcés de suivre, à mesure qu’ils avançaient, le chemin devenait plus étroit. Les questeurs étaient au nombre de vingt ; il n’y avait plus que huit préteurs, qui devaient se disputer deux places de consuls. Les vaincus étaient réduits à recommencer le combat les années suivantes, dans des conditions souvent plus fâcheuses, contre des concurrents nouveaux, dont le nombre augmentait sans cesse, en sorte que la plupart de ces jeunes gens, qui étaient partis avec tant d’ardeur et d’espérance pour la conquête de la dignité suprême, étaient condamnés d’avance à ne jamais l’atteindre. Cicéron n’était pas de ceux que semblait menacer cette disgrâce. Depuis sa première candidature, les électeurs lui étaient restés obstinément fidèles. Il avait obtenu du premier coup toutes les fonctions qu’il avait demandées et s’en était acquitté avec honneur. Il était préteur l’année même où Catilina forma sa première conjuration, et il avait trouvé le moyen de ne pas s’y compromettre. Cependant, quoiqu’il semblât avoir toutes les chances pour lui, il n’était pas tout à fait rassuré, car il connaissait bien les inconstances du suffrage populaire il a plusieurs fois comparé les flots des comices, comme il les appelle, à ceux d’une mer agitée et capricieuse, où le reflux emporte ce que le flux avait apporté ; mais son anxiété devenait plus vive, on le comprend, à mesure que la dernière lutte approchait. Il était naturel qu’elle fût partagée par les sens ; on n’ignorait pas que l’honneur qu’il ambitionnait illustrait toute une famille. Son frère, Quintus Cicéron, qui lui était tendrement attaché, et qui d’ailleurs comptait bien profiter de la gloire de son aîné pour sa propre carrière politique, nous avoue qu’il ne cessait de songer jour et nuit à cette redoutable échéance. Il venait lui-même d’être édile et avait pratiqué avec adresse le suffrage universel. Il eut donc l’idée de mettre son expérience au service de son frère, et lui écrivit une lettre dans laquelle il lui énumérait tout ce que doit faire un candidat qui veut réussi. Ce n’était pas, disait-il, qu’il eût la prétention de lui rien apprendre qu’il ignorât ; mais la matière est si compliquée, les obligations si nombreuses, qu’on risque toujours d’oublier quelque chose. Quintus, qu’on aurait pu appeler, comme C. Cotta, un artiste en élection[1] et qui tenait à mériter ce titre, se piqua au jeu en écrivant, si bien que sa lettre finit par prendre les proportions d’un de ces petits traités sous forme épistolaire (epistolicæ quæstiones)[2] qui étaient à la mode en ce temps-là. Il lui parut, quand elle fut achevée, que, quoique écrite spécialement pour son frère, elle pouvait être utile à d’autres. Il songeait donc à la publier, puisqu-il demandait à Cicéron de la revoir, et il est probable qu’il la fit paraître sous le titre de Commentariolum petitionis, ou de De petitione consulatus, qu’elle porte sur les manuscrits, et qu’on pourrait traduire par ces mots : Manuel du candidat. La lettre contient des observations générales, et d’autres qui ne s’appliquent qu’à la circonstance particulière pour laquelle Quintus l’écrivit. Je négligerai les premières, et j’y ai grand regret, car il est plaisant de voir comment se comporte à chaque époque le suffrage universel, ce qu’il a gardé aujourd’hui de ses anciennes habitudes et ce qu’il en a perdu. Mais cette étude nous entraînerait trop loin ; bornons-nous à y chercher dans quelles conditions eut lieu l’élection de Cicéron au consulat. Quintus paraît, dans toute sa lettre, assuré du succès final de son frère. Du reste, il en aurait douté qu’il se serait bien gardé de le lui dire. Mais il ne lui cache pas non plus les obstacles qu’il lui faudra surmonter. Il y en a un qui lui paraît plus grave que les autres, ou plutôt c’est le seul qu’il semble redouter. Cicéron est ce qu-on appelle un homme nouveau, c’est-à-dire qu’aucun des siens n’a encore occupé à Rome de magistrature publique. La loi à beau proclamer qu’elles sont accessibles à tout le monde, l’habitude, plus forte que la loi, semble les réserver à l’aristocratie. On compte ceux qui en dehors d’elle sont entrés au Sénat ; depuis trente ans, il n’y a pas un seul homme nouveau qui ait été consul. Voilà la difficulté contre laquelle se heurtait Cicéron, et elle était plus grave pour lui que pour les autres. Parmi les hommes nouveaux, il n’y en avait pas qui fût plus désagréable à l’aristocratie. D’abord il avait beaucoup de talent, et elle pouvait craindre qu’une fois établi dans le gouvernement de la république, il ne s’y fit une trop grande place. De plus, c’est un homme d’esprit, qui voit très bien les travers des autres et ne se gêne pas pour s’en moquer. S’il avait pris devant elle une attitude humble, s’il avait semblé lui demander pardon de son éloquence, de sa popularité, de ses succès, elle aurait pu oublier qu’il n’avait pas d’aïeux ; mais au grand tort d’être un roturier, il joignait celui d’avoir la roture impertinente. Il répondait à la fatuité des grands seigneurs par des plaisanteries cruelles, qui couraient le monde[3]. Il a eu toute sa vie le travers de ne pas savoir s’abstenir d’un bon mot ; il trouvait qu-il est plus difficile de le retenir sur les lèvres que de garder un charbon ardent sur sa langue. N’est-ce pas une des raisons qui ont fait que l’aristocratie n’a jamais été une alliée sûre pour lui ? On pardonne quelquefois une trahison, on n’oublie jamais une raillerie. Ce n’est pas seulement Catilina qui lui reprochait d’être un parvenu ; deux ans après la conjuration, en plein Forum, un de ces patriciens que son courage avait sauvés lui rappelait insolemment son origine[4]. Quand il fut condamné à l’exil, il lui parut que le Sénat ne l’avait pas défendu de bon coeur ; il soupçonna que, parmi ses anciens alliés, il y en avait qui n’étaient pas fâchés qu’il fût parti, et je crois bien qu’il n’avait pas tort. La naissance créait à Cicéron, dans les luttes électorales, une autre infériorité, dont Quintus est préoccupé. Le jeune noble n’a pas besoin de se faire une clientèle. Le jour où il plaide sa première cause, celui où il paraît pour la première fois au Champ de Mars pour demander une fonction publique, il est sûr que des clients viendront en foule le prendre dans son atrium, qu’ils l’accompagneront dans les rues de Rome et le ramèneront jusqu’à sa porte. Ils ne le connaissent pas, ils ne savent de lui que son nom ; mais ce nom, ils le respectent, ils le vénèrent : c’est celui sous le patronage duquel, de père en fils, ils sont habitués à se ranger. Or, à Rome, c’est une des premières conditions de succès pour un candidat de ne se montrer jamais en public qu’entouré d’un cortège imposant ; on n’a de considération pour lui que s’il traîne la foule à sa suite ; il lui faut, dit Quintus, vivre toujours avec la multitude, esse cum multitudine[5]. Ces amis qui doivent venir le saluer le matin à son réveil, ces clients qui le suivent et l’écoutent au Forum, Cicéron, malheureusement pour lui, ne les a pas trouvés, comme les patriciens, dans l’héritage de sa famille et il a été forcé de se les procurer à lui-même. Il y a pris grand’peine. D’abord, il s’est fait le champion de l’ordre des chevaliers, auquel il appartenait par la naissance, et qu’il a toujours soutenu de son autorité et de sa parole. Ils ne sont pas nombreux, mais ils sont très riches et leur influence est considérable. Il a aussi pour lui les amis qu’il s’est acquis par les services qu’il a rendus, surtout par les affaires qu’il a plaidées. Malheureusement ces amis ne sont pas tous recommandables : la nécessité de se faire des clients d’importance l’a souvent amené à se charger de bien mauvaises causes. Il a enfin les lettrés, qui admirent en lui le plus grand orateur de Rome ; parmi eux, des jeunes gens en grand nombre, dont plusieurs portent un nom illustre, et qui tiennent à honneur de passer pour ses disciples. Ils le suivent partout, prêts à exécuter ses ordres, à lui servir de messagers, à le défendre si on l’attaque, Quintus nous apprend que cette sorte de jeune garde, quand elle est bien composée, comme celle dont s’entoure Cicéron, produit un excellent effet au Champ de Mars, les jours d’élection. La jeunesse semblait se partager entre Catilina et lui. Les plus studieux, les plus honnêtes se rangeaient de son côté ; ils n’étaient pas probablement les plus nombreux. Catilina attirait les autres par ses prodigalités et ses complaisances. Caelius hésita longtemps entre les deux. Comme il était à la fois un homme de beaucoup d’esprit et un incorrigible libertin, il allait de l’un à l’autre, selon que l’emportait chez lui le goût des lettres ou l’attrait du plaisir. Mais n’oublions pas qu’il s’agit du suffrage universel ce
ne sont pas seulement quelques esprits délicats, une élite de fins lettrés
qui décident du succès ; il dépend de la foule. Quintus a grand soin de le
rappeler à son frère, qui sans doute ne l’oubliait pas. Il lui conseille de s’assurer
de la bienveillance des petites gens des faubourgs, de ne pas négliger les
personnages importants des sociétés populaires, de se faire indiquer ceux
qui, dans chaque quartier, jouissent de quelque influence auprès de leurs
voisins. Il est convaincu que par la facilité de son abord, l’agrément de ses
manières et ses complaisances infatigables, Cicéron n’aura pas de peine à les
gagner. Il espère bien qu’à l’exception des clients des grandes familles, qui
votent comme on leur dit de le faire, ou des factieux, qui attendent le mot d’ordre
de leurs chefs, ou enfin de ceux qui vendent leur voix et qui vivent de ce
trafic, la population de la ville sera pour lui. Il n’y a pas de doute qu’il
compte avant tout sur ceux qu’on appelle les habitués de la tribune (subrostrani)[6] ; comme ils
fréquentent le Forum et qu’ils suivent les grandes affaires, ils ont entendu
Cicéron défendre les intérêts de Pompée, dans Parmi les recommandations que Quintus fait à son frère, il y en a une sur laquelle je crois utile d’insister. Tu dois avoir soin, lui dit-il, de loger dans ton esprit et de conserver dans ta mémoire l’Italie tout entière, comme elle est, avec ses parties et ses divisions, en sorte qu’il ne s’y trouve pas un municipe, une colonie, une préfecture, un endroit quelconque, où tu ne sois assuré de posséder un appui suffisant. Cherche, découvre partout, dans quelque contrée que ce soit, des personnes que tu puisses connaître, attacher à ta cause, soutenir quand elles faiblissent. Demande-leur de se mettre en campagne pour aller te quêter des voix dans leur voisinage et se faire, en ta faveur, de véritables candidats[7]. Quintus pense donc que l’Italie va prendre quelque part à l’élection, et une part qui, on le voit bien, n’est pas négligeable. Ceci n’est-il pas une sorte de nouveauté, qui mérite qu’on y fasse quelque attention ? On sait que les républiques anciennes étaient constituées
comme des villes municipales, et combien il leur a été difficile, quand elles
se sont étendues par des conquêtes ou des alliances, de briser le moule
primitif, et de passer du régime de la cité à celui d’un État compact et uni.
Jamais dans Quintus n’ignorait
pas que les villes italiennes songeaient, dès cette époque, à profiter de
leur droit de vote ; aussi annonce-t-il à son frère, comme une chose assurée,
qu’elles vont envoyer une multitude de citoyens qui
voteront pour lui. Et non seulement ils arriveront en grand nombre,
mais il faut croire qu’il en viendra de très loin. Dans une lettre à son ami
Atticus, Cicéron lui apprend qu’il va faire une tournée électorale sur les
bords du Pô, car, lui dit-il, les suffrages de IIQuand Quintus affirme à son frère qu’il a les plus grandes chances d’être nommé, ce ne sont pas de vains encouragements qu’il lui donne. Il a raison de penser que le talent de Cicéron, son esprit, sa belle humeur, les services qu’il a rendus à tant de personnes lui ont fait beaucoup d’amis, que la plus grande partie du peuple de Rome est bien disposée pour lui, que les électeurs des municipes italiens lui apporteront leur vote ; tout cela paraît très vraisemblable. Mais ce qui l’est encore plus, c’est qu’il a dû principalement son succès à un concours de circonstances heureuses et imprévues, que le hasard lui donna de ces adversaires qui semblent créés tout exprès pour faire réussir leurs rivaux, et que, comme il arrive très souvent dans les élections, beaucoup de gens votèrent contre eux encore plus que pour lui. Il avait en tout six concurrents deux patriciens de race illustre, deux qui appartenaient à ces grandes familles plébéiennes qui formaient le second étage de la noblesse, deux enfin de moindre origine, mais dont les pères avaient obtenu des magistratures publiques ; Cicéron seul était, comme on l’a vu, un homme nouveau et un simple chevalier. Il semblait donc qu’il allait avoir affaire à très forte partie, mais, dès le début de la lutte, on s’aperçut bien que ces candidats qui portaient de si beaux noms n’étaient pas tous redoutables. La campagne électorale ne s’ouvrait réellement que l’année même où l’élection devait se faire, mais vers la fin de l’année précédente les escarmouches commençaient. Les candidats, qui voulaient se faire connaître et sonder l’opinion publique, profitaient de quelque circonstance qui réunissait la foule au Champ de Mars, et s’en allaient de rang en rang, serrant la main des électeurs, et, autant que possible, les saluant par leur nom. C’était ce qu’on appelait la prensatio, cérémonie qui nous paraît assez étrange, non pas que les candidats en aient perdu l’habitude, mais ils y mettent aujourd’hui moins de solennité, et, quand ils le font, ils aiment autant qu’on ne le voie pas. Alors, au contraire, ils se donnaient volontiers en spectacle. On allait regarder leurs attitudes, on observait leur assurance ou leur timidité, on commentait leurs gestes, et l’on formait des conjectures sur leur succès ou leur échec d’après la manière dont le peuple recevait leurs politesses. Après quelques semaines de cet exercice, tout le monde, à Rome, était convaincu que quatre des concurrents n’avaient aucune chance, et que trois seulement pouvaient espérer de réussir : c’étaient, avec Cicéron, Catilina et Antoine. J’ai parlé de Catilina. Antoine était le fils de ce M. Antonius, grand homme de bien et illustre orateur, que Cicéron a célébré dans ses ouvrages de rhétorique ; mais il ne ressemblait pas à son père. Il sortait, comme Catilina et tant d’autres, de cette bande de jeunes nobles dont Sylla s’entourait et qui avait scandaleusement exploité sa victoire. Comme ses compagnons, il s’était enrichi dans la pillerie qui suivit les proscriptions ; comme eux, il avait très vite dissipé sa fortune, et, quoiqu’il eût tenté de la refaire en pillant l’Achaïe à l’aide de quelques cavaliers syllaniens, il était réduit à vivre d’expédients. C’était un malhonnête homme et un homme médiocre. Il y a, disait Quintus, cette différence entre Catilina et lui, que Catilina ne craint ni les dieux, ni les hommes, tandis qu’Antoine a peur de son ombre. Il n’en avait pas moins une certaine popularité, qui lui venait de l’affection qu’on avait gardée pour son père. Une des plus grandes vertus du peuple romain, la dernière peut-être qu’il ait perdue, c’était le respect des traditions et la fidélité aux souvenirs. Il avait ce mérite, si rare chez les autres peuples, de ne pas oublier. Le choix des deux consuls allait donc se faire entre ces trois candidats ; Cicéron, s’il était nommé, devait se résigner à avoir l’in d’eux pour collègue. II n’y a pas de doute qu’il n’en eût mieux aimé un autre ; mais il n’était pas libre de faire sa volonté, et il lui fallait subir celui que les caprices de la foule lui imposeraient. Il semble bien qu’au début il fût porté à préférer Catilina, et c’était pour le bien disposer en sa faveur que, comme on l’a vu, il se préparait à plaider pour lui. Cette préférence, après tout, n’est pas pour nous trop surprendre. Il nous dit qu’en cherchant bien, il avait cru voir en lui "quelques apparences de bonnes qualités[11] ; chez Antoine, on ne découvrait que des vices : forcé de se décider entre deux malhonnêtes gens, ils se tournaient vers celui chez lequel on pouvait réveiller peut-être quelque étincelle d’honneur et de générosité. Je suis même tenté de croire que, si l’affaire ne réussit pas comme Cicéron le voulait, ce ne fut pas tout à fait sa faute. Catilina se connaissait en hommes ; il jugea sans doute que Cicéron serait un collègue gênant et qu’il ne le lasserait pas libre d’exécuter ses projets, tandis qu’il ferait ce qu’il voudrait d’Antoine, et il se tourna vers lui. Tous les deux formèrent une entente (coitio), et se mirent ensemble en campagne. On pense bien que la corruption n’était pas oubliée, parmi les moyens qu’ils employèrent pour réussir ; c’était celui dont on usait le plus à ce moment. Par malheur, ils étaient ruinés tous les deux, mais on vint à leur aide. Cicéron en accuse un personnage qu’il désigne, sans le nommer, en disant qu’il était de bonne naissance et pratiquait volontiers ces sortes de trafic. C’est probablement de César ou de Crassus qu’il veut parler ; Crassus surtout était connu pour venir en aide aux candidats embarrassés, quand il y pouvait trouver son compte. On nous dit que c’est dans la maison de ce personnage obligeant que l’élection se préparait. Les Romains, qui mettaient de l’ordre partout, même dans ce qui semble n’en pas comporter, avaient fait de la corruption électorale une véritable science, qui avait ses procédés et ses règles dont on ne s’écartait pas. Par exemple, on se gardait bien de compter d’avance l’argent aux électeurs qu’on avait achetés ; on n’avait pas en eux assez de confiance. Il était déposé chez des gens qu’on appelait sequestres, et qui le distribuaient après que les candidats avaient été nommés. Toutes ces choses se faisaient au grand jour et sans aucun souci des lois qui le défendaient. Cicéron annonce que, dans la maison de ce riche personnage, dont il ne veut pas dire le nom, mais que tout le monde connaît, les sequestres se sont rassemblés avec Catilina et Antoine ; et, pour qu’on n’en doute pas, il indique le jour et l’heure de la réunion[12]. Ces manoeuvres devinrent si scandaleuses que le Sénat finit par s’en inquiéter et qu’on proposa d’ajouter quelques clauses plus sévères à la loi électorale. C’est à cette occasion que Cicéron prononça le discours qu’on appelle In toga candida, à cause de la robe blanche qu’il portait en sa qualité de candidat. Nous n’en avons plus que quelques fragments qui sont d’une extrême violence. Quoiqu’on ne se pique guère aujourd’hui de modération et d’urbanité dans les luttes politiques, je doute que personne osât aller aussi loin. Il n’y avait pas alors de journaux pour recevoir et propager les injures que les candidats se disent ; les discours en tenaient lieu. Il est donc très probable que celui de Cicéron fut copié et répandu ; il est sûr que, s’il a été mis dans les mains du public, on a dû beaucoup le lire. Vers le même temps, c’est-à-dire quand on approchait de l’élection, a dû paraître la lettre de Quintus à son frère qui maltraite aussi cruellement Catilina et Antoine que le discours de Cicéron, et quelquefois dans les mêmes termes[13]. Personne ne nous a dit l’impression que ces deux pamphlets, le discours et la lettre, paraissant presque ensemble, se répétant l’un l’autre, frappant coup sur coup aux mêmes endroits, produisirent sur l’opinion publique ; mais il est bien probable que, si elle était restée quelque temps indifférente, elle a dû commencer alors à s’émouvoir ; et il est permis de croire que ce sont ces invectives passionnées, ces portraits si énergiquement tracés et le souvenir rappelé de tant de crimes qui ont jeté quelques inquiétudes chez les honnêtes gens. Si encore on était sûr qu’un seul des deux arriverait à se faire élire, on pouvait espérer que l’opposition d’un collègue honnête paralyserait ses mauvais desseins mais tout était perdu, s’ils se faisaient nommer ensemble. Ce serait, selon le mot de Quintus Cicéron, plonger deux poignards à la fois dans le sein de la république[14]. On commença donc à penser qu’avant tout il fallait à toute force les empêcher de réussir tous les deux. Au dernier moment, un mois à peine avant l’élection, quelques bruits commencèrent à se répandre d’une conjuration qui se tramait dans l’ombre. On racontait que Catilina avait réuni ses partisans et qu’il leur avait révélé ce qu’il comptait faire s’il était nommé. Les gens riches, banquiers, fermiers de l’impôt, grands propriétaires, furent ainsi prévenus que ce n’était pas le gouvernement seul qui était menacé, et qu’on en voulait à leur fortune. Les inquiétudes devinrent aussitôt très vives dans le monde des affaires[15]. L’aristocratie, plus directement menacée, comprit qu’il ne lui était pas possible, à la veille des comices, d’improviser une candidature nouvelle et qu’elle était bien forcée de se rallier à la seule qui pût réussir. C’est ainsi qu’à la dernière heure Cicéron devint le candidat indispensable de tous ceux qui voulaient le maintien de l’ordre et le salut de la république. Nous ne savons rien de ce qui s’est passé dans les dernières semaines ; mais peut-être est-il possible de le soupçonner d’après ce qui arriva plus tard. L’aristocratie était trop habile pour ne pas faire payer de quelque manière à Cicéron son appui, quoiqu’il lui fût impossible de ne pas le lui donner. Elle le savait d’humeur assez indépendante et pensa sans doute qu’il était bon de prendre des précautions avec lui. Il est probable que, sur certaines questions, elle en obtint des engagements que nous pouvons deviner, puisque loyalement il les a tenus. Le zèle avec lequel, étant consul, il a défendu les intérêts du Sénat, même quand, au fond du coeur, il leur était contraire, semble bien indiquer qu’il s’était engagé d’avance à maintenir ce qui restait des lois de Sylla. L’habitude que nous avons prise du suffrage universel chez nous et chez les autres nous permet de comprendre la façon dont se terminèrent les comices de 690. Quand tout le monde vote, c’est souvent par une sorte d’entraînement que les élections importantes se décident[16]. On s’émeut, on s’excite l’un par l’autre, et, aux dernières heures, il se forme un courant auquel personne ne résiste. La foule accourut au Champ de Mars, quand le scrutin fut ouvert. Les électeurs ne se contentaient pas de mettre dans l’urne leur bulletin de vote, garant muet de la liberté des suffrages, ils acclamaient avec enthousiasme le nom de Cicéron, en sorte qu’il a pu dire que ce n’est pas seulement la voix du héraut, mais celle du peuple romain qui l’a proclamé consul[17]. Antoine ne l’emporta que de quelques voix sur Catilina. IIIC’était une grande victoire pour Cicéron. Il était nommé le premier, aux acclamations de tout le peuple. Il obtenait la plus haute magistrature de la république, deux ans après avoir été préteur, c’est-à-dire aussitôt que la loi lui permettait d’y prétendre, tandis que son compatriote Diarius, un si grand homme de guerre, avait mis sept ans pour arriver de la préture au consulat. Quand on connaît sa sensibilité délicate et le penchant q’il a`ait à se complaire en lui-même, on comprend qu’il en ait éprouvé une joie débordante. Quoiqu’il ait eu dans sa vie quelques beaux ours de triomphe, il n’a peut-être jamais été plus heureux que lorsque, au Champ de Mars, dans la villa publica, où se tenait le candidat pendant l’élection, cette cohorte de jeunes gens, qui s’était mise à son service, vint lui annoncer le résultat de la lutte. Mais, s’il fut d’abord enivré par son succès, ce qui était bien naturel, on peut être sûr, quand on le connaît, que l’ivresse ne dura pas. Il état trop perspicace, il avait trop l’habitude de voir les mauvais côtés des choses pour ne pas distinguer clairement, dès les premiers jours, ce que la situation avait de grave, et les dangers qu’il allait courir. De tous ces dangers, le plus rapproché, le plus menaçant, celui qu’il fallait écarter d’abord, lui venait du collègue que le suffrage de ses concitoyens lui avait donné. Il y avait quelques semaines à peine qu’il l’avait accablé d’injures devant le Sénat, le traitant de voleur et d’assassin, et l’élection venait d’en faire son associé, l’homme qui allait gouverner Rome avec lui. Ils devaient à tout moment se concerter, s’entendre, prendre des mesures en commun, et l’on savait qu’ils avaient des opinions contraires et ne s’accordaient en rien. Que pouvait-il résulter de cette alliance mal assortie ? et comment l’État allait-il marcher, avec des conducteurs qui le tireraient en sens inverse ? Les vieux Romains, pour se délivrer à tout jamais des inconvénients de la royauté, avaient imaginé d’en limiter la durée à un an, et d’en investir deux personnes au lieu d’une, c’est-à-dire de la remplacer par le consulat, et il faut bien croire que le moyen était bon, puisque la royauté, pendant des siècles, n’a pas reparu. Mais il présentait aussi des dangers. Le plus grave état celui dont Cicéron allait avoir à souffrir et qui provenait de la diversité d’humeurs et de sentiments entre les deux collègues. Ce danger était d’autant plus à craindre qu’en instituant la magistrature nouvelle, on avait voulu lui conserver la grandeur et le prestige de l’ancienne. Afin de ne pas paraître en diminuer la majesté en la partageant, et pour que chacun eût l’air de la posséder tout entière[18], on avait évité de faire des séparations trop précises d’attributions entre les deux collègues, ce qui devait rendre, à ce qu’il semble, les conflits presque inévitables. La merveille, c’est qu’ils aient été si rares, et qu’une machine aussi délicate ait marché sans encombre pendant tant de siècles. Rien ne nous fait plus admirer le patriotisme des magistrats de ces époques primitives que de songer aux concessions réciproques, aux sacrifices d’amour-propre, d’opinions, d’intérêt qu’ils durent, se faire l’un à l’autre, pour rester d’accord entre eux. Il y eut cependant des inimitiés, des luttes, qu’on accommoda d’abord comme on put, mais qui éclatèrent avec violence, quand les moeurs publiques commencèrent à s’altérer. Quelques années avant le consulat de Cicéron, la querelle entre Octavius et Cinna, deux collègues qui avaient promis de vivre en bonne amitié, finit par une guerre civile. Plus tard, César et Bibulus, deux mortels ennemis, furent nommés consuls ensemble. On s’attendait à des luttes passionnées ; mais César, qui savait bien qu’il avait affaire à un collègue entêté et médiocre dont il n’aurait jamais raison, prit le parti de se passer entièrement de lui. Il le laissa s’enfermer dans sa maison, protester solennellement contre tout ce qui se faisait en son absence, et s’occupa tout seul des affaires publiques. Cette année-là, il n’y eut vraiment qu’un consul[19]. Cicéron arriva au même résultat par un autre moyen. Il
savait qu’il lui serait possible de s’accommoder avec son collègue en y
mettant le prix. Antoine était tout à fait ruiné et comptait se refaire dans
la province que, selon l’usage, il aurait à gouverner après son consulat. Les
deux provinces qu’on avait réservées d’avance pour les consuls, quand ils
sortiraient de charge, étaient IVCe n’était pas, malheureusement pour Cicéron, la seule raison qu’il eût d’être inquiet, il dut en découvrir ou en soupçonner bien d’autres, pendant ces cinq mois de recueillement, où, consul désigné, et participant aux affaires publiques, sans en avoir encore la responsabilité, il était bien placé pour étudier les événements et observer les hommes. Ce qui l’alarma le plus, dans la situation troublée de la république, ce ne furent pas les menées ouvertes des partis et cette écume de surface contre lesquelles on peut se défendre, parce qu’on les a sous les yeux ; c’était plutôt ce qui cherchait à se cacher, et ce qu’on ne surprenait pas du premier coup. Il y a, disait-il, des gens bien plus redoutables que Rullus[21], et que tous ces agitateurs bruyants et vulgaires derrière lesquels ils se dérobent. Ces gens, il les désigne clairement quand il ajoute que ce sont des ambitieux, qui nourrissent des espérances illimitées et convoitent des pouvoirs extraordinaires[22]. Ce n’est pas de Catilina qu’il veut parler, comme on l’a cru. Au lendemain de l’élection où il venait d’échouer, on pouvait le croire abattu ; et, de fait, il n’est question de lui nulle part en ce moment. Les hommes politiques auxquels il fait allusion, dont il n’a pas besoin de prononcer le nom pour qu’on les reconnaisse, qui se tiennent aux aguets, prêts à profiter des occasions, ce sont plutôt ceux qui viennent de porter de si rudes coups à l’aristocratie en formant le premier triumvirat, c’est-à-dire Pompée, Crassus et César. De près ou de loin, ils vont se trouver mêlés à toute l’histoire du consulat de Cicéron, et, avant de l’entamer, il faut bien dire en quelques mots quelle était alors la situation politique de chacun d’eux. Pompée commande l’armée d’Asie ; cependant il n’est pas si loin de Rome qu’on pourrait le croire, car il occupe la pensée de tous les portiques. La conquête de l’Orient étant finie, on sait qu’il est près de revenir, mais on ignore ce qu’il va faire. Personne n’imagine que cet ambitieux se conduira comme les conquérants d’autrefois, qui, leur tâche achevée, s’en retournaient à la charrue ou reprenaient tranquillement leur place au Sénat. Les bons citoyens un peu soupçonneux, comme Caton, redoutent qu’il ne veuille s’emparer de l’autorité souveraine par un coup de force et se préparent à résister. Ceux qui le connaissent mieux, et ne le croient pas capable de ces entreprises audacieuses, supposent qu’il profitera de son prestige pour réclamer ces pouvoirs exceptionnels pour lesquels il a tant de goût parce qu’ils flattent sa vanité et le mettent au-dessus des autres. C’est à quoi ne se résignent pas ses anciens associés, qui ont été ses égaux et ne veulent pas devenir ses subordonnés. On a pensé, avec raison, je crois, que l’attente de ce retour qui les inquiète, le besoin de fortifier leur situation, de se faire des alliés et de prendre, grâce à la confusion générale, une position plus forte, sont parmi les principaux motifs qui les ont portés à favoriser toutes les conspirations. On peut donc attribuer à Pompée, quoiqu’il fût absent, une part importante dans les agitations qui ont troublé le consulat de Cicéron. Des deux autres triumvirs, c’était Crassus qui dissimulait le moins son inquiétude : quoiqu’il eût fait autrefois bonne figure à la tête des armées, il représentait surtout dans l’alliance le pouvoir de l’argent ; il y jouait donc un rôle moins brillant, mais peut-être en réalité plus efficace. Les origines de son immense fortune étaient assez honteuses : il l’avait commencée sous Sylla en se procurant à bon marché des biens de proscrits ; elle s’était accrue plus tard par des spéculations heureuses. Il profitait des incendies, si fréquents à Rome, pour acheter à bas prix les maisons endommagées et les faisait rebâtir par des architectes et des maçons qui étaient à son service. Il était ainsi devenu propriétaire de quartiers tout entiers ; il possédait aussi de grands domaines bien cultivés et des mines d’argent. Surtout il s’occupait du commerce des esclaves qui était un de ceux qui donnaient les meilleurs profits ; il les faisait instruire chez lui, surveillant leur éducation et y mettant la main lui-même, pour les revendre ensuite très cher à ceux qui avaient besoin de bons secrétaires, de lecteurs, d’intendants, de maîtres d’hôtel. Il était l’homme le plus riche de la république ; mais il ne lui suffisait pas d’avoir obtenu cette considération dont on est assuré quand on possède quarante millions de biens fonds au soleil et de bonnes créances sur les personnages les plus importants de son pays, il voulut avoir aussi la puissance politique, et, pour la conquérir, il usa de sa fortune avec une libéralité qui n’est pas ordinaire à ceux qui l’ont péniblement acquise. Devenu aussi généreux qu’il avait été avide, il obligeait volontiers ses amis et ses connaissances, il prêtait son argent sans intérêts et il avait ainsi pour débiteurs une grande partie de ses collègues du Sénat. Quant au peuple, il le charmait par sa civilité, et, ce qui lui était plus agréable, il lui avait fourni gratuitement du pain pendant trois mois. On comprend qu’en les payant si cher, il s’était fait beaucoup d’amis ; et pourtant, les succès qu’il avait obtenus dans sa vie politique ne le contentaient pas entièrement. Par une sorte de mauvaise chance, il avait toujours trouvé Pompée sur ses pas. Pompée lui avait enlevé la gloire d’achever la défaite de Spartacus, qu’il avait très habilement commencée. Il n’avait pu arriver aux plus hautes fonctions qu’en s’alliant avec Pompée, et on les avait nommés consuls ensemble. Ce consulat avait été fort agité ; il lui avait fallu supporter, de la part de son vaniteux collègue, beaucoup de ces déboires d’amour-propre qui lui étaient particulièrement cruels, car il était disposé à croire, comme tous les financiers, qu’étant le plus riche, il devait être le plus puissant et le plus honoré. On comprend qu’avec tant de raisons de détester Pompée, il fût mécontent de le voir revenir et qu’il essayât, par toute sorte de mouvements et d’alliances même suspectes, de se faire un parti qui lui permît de résister au mauvais vouloir d’un rival odieux. César ne devait pas être beaucoup plus satisfait que Crassus d’un retour qui menaçait de compromettre l’ascendant qu’il avait pris sur le parti populaire. Depuis le départ de Pompée, il en était le chef véritable. Il avait sur ses deux associés l’avantage d’avoir toujours marché dans la même voie. Tandis que les autres, partis du camp de Sylla, étaient arrivés par beaucoup de détours à la démocratie, on l’avait toujours connu fidèle à la même cause. Partisan de Marius dès le premier jour, il ne l’avait pas renié après sa défaite. Il venait de faire relever ses trophées, renversés par Sylla ; il poursuivait avec acharnement ses ennemis devant les tribunaux. Le peuple avait pleine confiance en lui, et il le sentait bien, ce qui doublait sa force. Lui aussi, à mesure qu’il avançait dans la vie, prenait confiance en lui-même et s’affermissait dans son ambition. Il avait cette qualité, qui manquait à ses rivaux, de savoir nettement ce qu’il voulait faire. Il sentait bien que le moment état décisif pour établir d’une manière définitive la supériorité qu’il avait acquise dans son parti. Mais il comprenait aussi combien il lui serait difficile de le faire, s’il avait Pompée en face de lui. L’arrivée de ce trouble-fête devait le gêner comme Crassus, et il état naturel que, par toutes sortes de machinations et d’intrigues, il cherchât d’avance à prendre ses précautions contre lui. En présence de ces trois personnages, quelle est l’attitude de Cicéron ? Il est le protégé de Pompée et il tient à continuer à l’être. Comme il connaît ses goûts, il le paye en compliments. Ce grand nom revient à satiété dans tous ses discours : c’est celui dont il se pare à tout propos comme d’un ornement et dont il se couvre comme d’une défense. Mais, malgré les services qu’il lui a rendus et les éloges qu’il lui prodigue, il a pratiqué assez le personnage pour savoir qu’on ne peut pas se fier tout à fait à lui. Dans l’excès même des louanges dont il le comble, il semble qu’on sente un effort pour enchaîner une reconnaissance toujours prête à s’échapper. On aperçoit aussi par moments que cette servitude commence à lui peser, et il laisse entrevoir, au milieu même de ses flatteries, quelques velléités d’émancipation. Par exemple, il fait remarquer que, s’il a été nommé consul avec l’aveu de Pompée, c’était pourtant en son absence, ce qui diminue sensiblement la part qu’il y a prise. Cette observation n’a pas dû échapper aux malveillants. Il était impossible aussi qu’on ne s’aperçût pas de l’insistance avec laquelle il ne cesse de rappeler qu’il ne doit ses succès qu’à son éloquence, et qu’on n’y sentît une pointe d’ironie contre la gloire militaire. C’est le prélude du fameux hémistiche : cedant arma togae, que Pompée ne lui a jamais pardonné. Malgré tout, l’éloge du vainqueur de l’Asie revient souvent encore dans ses discours. Il continue à se regarder comme sa créature et à se mettre à l’ombre de ce grand nom. C’est ce que Crassus ne peut souffrir, et ce qui le rend irrémédiablement hostile à Cicéron. César n’a pas d’inimitié personnelle contre lui ; mais, comme il vient de le voir réussir dans sa candidature par l’appui des aristocrates, il ne doute pas que les circonstances ne l’amènent nécessairement à le combattre, et il s’y prépare. Ce sont là des adversaires puissants, et Cicéron doit se demander sur quels alliés il peut compter pour leur tenir tête. Il lui en faut de solides, de décidés, qui non seulement prennent son parti dans les assemblées politiques où il va être vigoureusement attaqué, mais qui le défendent contre le peuple ameuté, si, comme on peut le craindre, la lutte dégénère en séditions. L’aristocratie ne domine pas seulement au Sénat, où elle est maîtresse, mais avec la masse de clients, de serviteurs, d’obligés dont elle dispose, avec les partisans que lui donnent les souvenirs du passé, le respect des traditions et des habitudes, elle peut, dans la rue, en cas d’émeute, au Forum, pendant les réunions publiques, au Champ de Mars, les jours d’élection, tenir tête au flot populaire. Cicéron était donc forcé de se tourner vers l’aristocratie. An fond, il ne lui était pas contraire. Il a toujours affirmé que ses sentiments le portaient de ce côté. Il avait le tempérament d’un conservateur et d’un modéré : Quintus Cicéron prétend que, s’il l’a souvent attaquée, dans la première partie de sa vie politique, c’était uniquement pour complaire à Pompée, qui était en lutte avec elle[23]. Quintus exagère ; il avait d’autres raisons, et plus légitimes, de lui en vouloir. Et pourtant, on croit voir que tout en la malmenant, c’est vers elle que vont naturellement ses préférences. Même quand il flétrit les proscriptions de Sylla, qui furent un des premiers spectacles qu’il eut sous les yeux et qu’il n’a jamais oublié, il a soin de dire que si le dictateur abusa cruellement de sa victoire, sa cause n’en était pas moins légitime : secuta est honestam causam non honesta victoria[24]. Cicéron était un sage que toutes les exagérations blessaient. Quand il trouve qu’un parti va trop loin, même le sien, il ne peut s’empêcher de le blâmer. C’est qu’en réalité, il n’était tout à fait d’aucun parti ; il rêvait même d’en faire un à son usage, qui aurait compris tous les bons citoyens, ceux de la ville et de la campagne, ceux des municipes, auxquels il a toujours témoigné une prédilection particulière, et même au besoin quelques honnêtes affranchis. Il n’exigeait d’autre condition pour en être qu’une conduite régulière, une nature droite, une fortune liquide. Il avait même trouvé un nom pour le désigner, un nom commode qu’on se donne volontiers, et qui dispense d’explications plus précises : il l’appelait optimates, les honnêtes gens[25]. Mais il vit bien, quand il fut au pouvoir, qu’il devait renoncer à cette chimère. Ce n’était pas le moment de se mettre entre les partis, pour recevoir des coups de tous les côtés. Il lui fallait se décider résolument pour l’un d’eux et accepter son programme tout entier. Quand on se permet de choisir, on est toujours regardé comme un allié douteux, auquel on ne doit qu’un appui intermittent. Puisqu’il n’était pas assez fort pour imposer aux autres ses conditions, il était bien forcé de se soumettre aux leurs. Il est assez vraisemblable, nous l’avons vu, qu’il s’y était engagé à la veille de l’élection, mais, dans tous les cas, l’étude de la situation qu’il venait de faire pendant cinq mois lui montra que de toute façon il était le prisonnier de l’aristocratie, et il s’y résigna. Une phase nouvelle de sa vie commençait ; lui qui avait presque toujours défendu jusque-là des causes populaires, il allait devenir l’orateur du Sénat. VAux calendes de janvier, il entra en fonctions comme consul. Le jour même de son installation, il eut à prendre la parole, dans le Sénat, contre un tribun du peuple, et cela dura jusqu’à la fin de décembre. Dans toute l’histoire de Rome, il n’y a pas de consulat aussi agité que celui de Cicéron. Il se divise en deux périodes : celle qui est la plus connue, et où il fut aux prises avec Catilina, n’a occupé que les derniers mois de l’année ; l’antre est remplie par des luttes de parole, qui n’ont pas eu autant de retentissement, mais qui n’ont guère moins d’importance. Dès les premiers jours on s’aperçut bien que ses ennemis étaient décidés à ne lui laisser aucun repos ; l’éclat de son élection venait de prouver le pouvoir qu’il avait sur le peuple on voulait le lui faire perdre. La tactique, pour y réussir, consistait à le forcer à se mettre sans cesse en contradiction avec son passé : on proposait de nouveau d’anciennes lois, on reprenait d’anciens procès, pour qu’il fût amené à exprimer des opinions contraires à celles qu’il soutenait autrefois. On voulait montrer au peuple, et à plusieurs reprises, pour qu’il en fût bien convaincu, que son ancien défenseur avait abandonné sa cause. Les tribuns, Rullus, Labienus, mènent la campagne, mais on sent bien qu’ils prennent le mot d’ordre des chefs de la démocratie ; ils s’inspirent surtout de César, et le rôle qu’il y joue est précisément ce qui donne à ces débats leur véritable importance. C’est une raison d’insister sur ceux où sa main est visible. Il y en a un pourtant, dont il ne s’est probablement pas occupé, et que je ne voudrais pas omettre, parce qu’on y voit mieux qu’ailleurs peut-être la puissance que la parole de Cicéron exerçait sur les foules. Je veux parler de celui qui s’éleva au sujet de la loi Roscia et des privilèges qu’elle accordait aux chevaliers romains. Pendant longtemps il n’y avait pas eu de places réservées dans les théâtres de Rome, chacun prenait celle qui se trouvait libre à son arrivée. En 550, pendant le second consulat de Scipion l’Africain, on permit aux Sénateurs d’apporter leurs chaises curules dans l’orchestre et de l’occuper. Longtemps après, en 687, quatre ans avant le consulat de Cicéron, le tribun Roscius Otho fit voter une loi qui attribuait aux chevaliers[26] les quatorze premiers gradins. C’était pour eux plus qu’un agrément et il ne s’agissait pas seulement de leur donner le plaisir d’entendre de plus près les drames larmoyants de Pupius. Ils voulaient prendre une importance politique, ils prétendaient former un ordre intermédiaire entre le Sénat et le peuple ; la loi de Roscius donnait à cette prétention une sorte de consécration visible et officielle. Aussi fut-elle accueillie chez eux avec une grande faveur. Cicéron affirme que le peuple aussi en fut très satisfait, et même qu’il l’avait réclamée pour eux[27]. Tout ce qu’on peut admettre, c’est qu’il s’y résigna sans trop de mauvaise humeur les chevaliers étaient, en ce moment, très populaires ; Sylla les avait fort maltraités et ils profitaient de la réaction qui s’était faite contre le régime précédent. De plus, ils venaient d’aider Pompée, qui était alors l’idole du peuple, à obtenir la direction de la guerre contre les pirates, et le peuple leur en savait gré ; mais quatre ans plus tard les choses étaient changées. Cicéron, par son influence personnelle, avait rapproché les chevaliers du Sénat, et, en même temps le peuple s’était éloigné d’eux. Il arriva donc que l’ancien tribun, un jour qu’il venait prendre sa place au théâtre, fut outrageusement sifflé par la foule qui garnissait les gradins supérieurs ; les chevaliers ripostèrent par des applaudissements ; de là, on en vint aux injures, et des injures on allait passer aux coups, quand parut Cicéron qu’on était allé chercher en toute hâte. Sa présence calma le tumulte ; il fit signe de le suivre au temple de Bellone, où il prit la parole avec un si grand succès qu’en revenant au théâtre, dit Plutarque, les chevaliers et le peuple ne luttèrent plus entre eux qu’à qui applaudirait le plus chaleureusement l’ancien tribun[28]. C’est assurément l’un des plus grands triomphes de l’éloquence. On voudrait croire que Virgile y songeait quand, pour peindre les vents et les flots déchaînés qui se calment tout d’un coup à l’aspect du maître de la mer, il les compare à ce beau spectacle d’un peuple furieux dompté par un grand orateur[29]. Il est assez naturel de croire que cette protestation subite contre un privilège dont les chevaliers jouissaient tranquillement depuis quatre ans ne s’est pas produite toute seule et que le peuple y a été poussé par quelque agitateur ; mais ce ne doit pas être César : il a toujours ménagé les chevaliers. Leur alliance avec le Sénat ne devait pas lui inspirer de craintes. Il connaissait les gens de finance ; il était bien sûr qu’ils lui reviendraient, quand ils le verraient le plus fort, et c’est ce qui n’a pas manqué d’arriver. Son intervention est, au contraire, visible dans une autre affaire qui fait moins d’honneur à Cicéron et dont il faut dire un mot, quoique son discours soit perdu. Sylla ne s’était pas contenté de proscrire ses ennemis, c’est-à-dire de prendre leur vie et leur fortune, il avait fait rendre une loi qui déclarait leurs enfants incapables d’occuper jamais aucune fonction publique. Il est le seul, dit Salluste, qui ait décerné des peines contre des gens qui n’existaient pas encore et qui étaient plus sûrs d’être punis que d’arriver jamais à naître[30]. Un tribun du peuple, dont le nom est inconnu, proposa que cette loi, la plus inhumaine peut-être de toutes celles de Sylla, fût abolie. Personne, à ce qu’il semble, ne devait moins s’y opposer que Cicéron. N’avait-il pas été le premier à flétrir, du vivant même du dictateur, ces horribles injustices[31]. Cependant il crut devoir combattre la proposition du tribun pour des raisons politiques, et il la fit échouer. Il a parlé plus tard de cette affaire avec quelque regret, plaignant le sort de ces pauvres jeunes gens si pleins et de mérites et de courage[32] qu’il avait combattus ; mais, au moment même, il le fit sans hésiter, revendiquant pour lui tout l’odieux de la mesure et uniquement préoccupé de sauver la réputation du Sénat. N’est-ce pas la preuve qu’il voulait tenir un engagement qu’il avait pris d’avance et sur lequel reposait son entente avec l’aristocratie ? Quant à César, il n’y a guère de doute qu’il n’ait été l’instigateur du tribun. Il s’était promis de détruire tout ce qui restait du régime de Sylla, et plus tard, quand il fut le maître, il s’empressa de rendre aux fils des proscrits les droits qu’on leur avait ôtés. Nous avons l’heureuse chance d’avoir conservé la plus grande partie des discours prononcés par Cicéron dans deux autres affaires qui firent beaucoup de bruit, celle de la loi agraire de Rullus et le procès de Rabirius accusé de meurtre. Il nous est donc possible de donner plus de détails sur chacune d’elles ; on verra qu’elles le méritent. Il est inutile de redire, à propos des lois agraires, ce que tout le monde connaît. Rappelons seulement qu’elles n’avaient pas à l’origine le caractère radical et socialiste qu’on leur a donné plus tard. Les Gracques, qui étaient des aristocrates et des gens riches, n’avaient pas l’idée de dépouiller ceux qui possèdent de leurs biens légitimes au profit de ceux qui n’ont rien, pour établir entre tous cette égalité chimérique dont Cicéron dit justement qu’elle serait la plus grande des injustices (ipsa aequitas iniquissima est). Il s’agissait pour l’État de reprendre des terres qui lui appartenaient, qu’il avait cédées à bail à des personnages importants qui se les étaient peu à peu appropriés, et de les distribuer à des citoyens pauvres, afin de rétablir la classe rurale qui avait disparu. Ainsi entendue, la mesure était juste, utile à la république, et, en principe au moins, aucun esprit sage n’en pouvait contester l’opportunité. Mais toutes ces questions qui touchent à la propriété sont si délicates à soulever, si difficiles à résoudre, qu’en somme les lois agraires, par les haines, les discordes, les luttes civiles qui en furent la conséquence, n’ont guère eu d’autre résultat qui d’aggraver les misères qu’elles prétendaient soulager. Malgré tout elles sont restées jusqu’à la fin très
populaires, et les agitateurs savaient bien qu’il suffisait d’en prononcer le
nom pour entraîner la foule. Il y avait pourtant, dans cet engouement pour
elles, un peu de tradition et d’habitude. Il est souvent arrivé qu’après
avoir réclamé avec passion l’établissement de colonies nouvelles, on ne trouvait
plus à Rome, si on les obtenait, le nombre de colons suffisants pour les
peupler[33].
C’est que, selon la très juste remarque de Mommsen, C. Gracchus avait fait
adopter deux sortes de lois contradictoires et qui se détruisaient l’une l’autre.
Tandis que les lois agraires, qui promettaient à chaque émigrant un domaine
de 30 jugères (près de Rullus, qui attacha son nom à la nouvelle loi agraire, n’était pas un démocrate de naissance. Il sortait de l’aristocratie, ou du moins, si l’on en croit Cicéron, il voulait le faire croire ; mais il pensa qu’il ferait plus vite son chemin dans le parti populaire. Il se fit donc nommer tribun du peuple, et aussitôt, pour qu’on ne pût pas s’y tromper, il affecta de prendre une attitude et un extérieur conformes à ses convictions nouvelles. Il cherchait à se donner un air différent, un autre ton de voix, une nouvelle démarche. Il portait des vêtements plus négligés, il laissait pousser ses cheveux et sa barbe, il voulait qu’à le voir passer on reconnût un tribun féroce et que les honnêtes citoyens en fussent épouvantés[34]. Tous ces grands airs, dont Cicéron se moque, n’empêchaient pas que la loi de Rullus ne fût en somme très sage et fort modérée[35]. Elle évitait, autant que possible, toute spoliation et toute violence ; l’opération consistait en une série de ventes et d’achats fort habilement combinés ensemble. Comme il fallait avant tout se procurer de l’argent, on commençait par vendre ce qui n’avait pas été aliéné des anciennes conquêtes : c’était une sorte de liquidation générale de ce qui restait du domaine public. Le produit de ces ventes était employé à l’achat de terres en Italie, où l’on établirait des colonies pour les citoyens pauvres. Ces terres n’étaient pas enlevées de force à leurs possesseurs, comme il était arrivé trop souvent. On devait s’entendre avec ceux qui voulaient les vendre et les payer leur prix. Les colonies étaient placées dans des pays attrayants et fertiles, notamment en Campanie, et l’on profitait de l’occasion pour rendre ses droits municipaux à la ville de Capoue, à qui on les avait ôtés depuis la guerre d’Annibal. C’était réaliser un projet cher à la démocratie ; mais il semble qu’en même temps les auteurs de la loi avaient cherché à se concilier le parti contraire. Un article particulier déclarait que toutes les terres assignée depuis le consulat de Marius et de Carbon seraient définitivement acquises à leurs possesseurs au même titre que les biens patrimoniaux les plus légitimes ; de cette façon, on ratifiait d’un seul coup toutes les libéralités de Sylla, et l’on en garantissait à ceux qui en avaient profité la tranquille possession. La loi de Rullus était donc une transaction entre les parts qui cherchait à les accorder par des concessions réciproques et semblait de nature à établir la paix publique. Pourquoi donc Cicéron s’est-il déclaré avec tant d’acharnement contre elle ? Ici encore, ne faut-il pas soupçonner qu’il s’y était engagé d’avance ? Mais outre cette raison générale que la politique du Sénat avait été toujours hostile aux lois agraires, ce qui semblait lui faire une obligation de combattre celle de Rullus, il faut dire qu’il avait, en ce moment, des .raisons particulières de s’en méfier. L’expérience lui avait appris que les lois de ce genre ne vont jamais sans quelques troubles, et la république lui semblait si malade qu’il craignait que la moindre agitation ne lui fût fatale. Enfin on doit reconnaître que, si, dans l’ensemble, la loi était habile et sage, elle contenait aussi quelques dispositions dont on pouvait abuser et que Cicéron a signalées avec une verve implacable. Mais, quoi qu’il prétende, ce n’est pas ce qui l’en a rendu l’ennemi ; il semble bien qu’avant même de la connaître, il était décidé à l’attaquer. C’est à peine s’il se donna le temps de l’étudier. Dès qu’il sut que Rullus l’avait fait afficher, il envoya en toute hâte plusieurs copistes pour la transcrire, et le 1er janvier, à la séance du Sénat où il fut installé, il était prêt à la combattre. L’affaire commença donc devant le Sénat ; mais elle devait se vider ailleurs. L’opinion du Sénat est faite ; il n’a pas besoin qu’on l’excite contre les lois agraires ; Cicéron sait bien que c’est le peuple qu’il lui faut gagner, et que ce sera plus difficile. Cependant, il ne doute pas du succès ; le triomphe de son élection l’a convaincu plus que jamais du pouvoir de son éloquence, et il compte sur elle pour réussir. D’un simple citoyen, elle a fait de lui un consul ; elle l’aidera à le maintenir à la place où elle l’a mis ; la lumière éclatera tout d’un coup, quand la voix et l’autorité d’un consul se feront entendre (de leg. Agr., I, 8). Aussi ne veut-il pas imiter ses prédécesseurs qui, une fois arrivés à la magistrature suprême, se reposent dans leur haute dignité et fuient les réunions populaires, de peur qu’on ne leur demande des comptes. Lui, veut garder ses communications avec le peuple ; il se mettra à la disposition de ceux qui voudraient l’interroger, et, pour commencer sans retard, il annonce que, dès le lendemain, il réunira l’assemblée au Forum ; puis, se tournant vers les Tribuns, il les somme de n’y pas manquer. Je vous provoque, leur dit-il ; venez m’entendre ; je veux qu’entre nous le peuple romain décide[36]. Le lendemain la foule était grande sur la place publique, le consul avait amené avec lui tout le Sénat, sans cloute pour s’en faire une protection — était-ce un moyen bien sûr de se défendre de la mauvaise humeur du peuple ? — Malgré l’assurance de ses paroles de la veille et l’insolent défi qu’il adressait aux tribuns, il ne devait pas être tout à fait tranquille. La circonstance était grave ; il fallait qu’il fît connaître les raisons qu’il avait de combattre une loi tribunicienne, lui qui, jusque-là, les avait toujours soutenues. Il commença par promettre solennellement qu’il serait toujours un consul populaire et il répéta plusieurs fois cette promesse ; seulement il eut soin d’ajouter qu’on est véritablement populaire non pas quand on flatte les caprices du peuple, mais lorsqu’on sert ses intérêts, et c’est ce qu’il n’est pas toujours aisé de lui faire comprendre, car souvent il tient moins à ses intérêts qu’à ses caprices. Dans un de ces grands développements où il excelle, il s’engageait à lui assurer la paix, le repos, la liberté, qui étaient les biens véritables, ceux que les aïeux avaient eu tant de peine à conquérir et qu’il fallait à tout prix conserver. Je ne sais si ces explications étaient de nature à contenter la foule, mais elle avait pris tellement l’habitude de respecter son orateur et de se laisser entraîner à sa parole qu’elle les accepta sans murmure. Cet endroit périlleux franchi sans encombre, le reste lui devenait plus facile. La loi, nous l’avons vu, avait des imperfections dont il pouvait tirer un bon parti. Elle créait dix commissaires et leur attribuait des pouvoirs très étendus ; Cicéron en fait aussitôt des rois, d’insupportables despotes, d’abominables tyrans, auxquels le monde entier va être livré. Comme leurs fonctions consistaient surtout à vendre et à acheter et que des sommes considérables leur passaient par les mains, ils pouvaient être tentés d’en garder pour eux une partie ; — le peuple se laisse vite persuader que c’est une tentation à laquelle ceux qui manient la fortune publique ne résistent guère, — et Cicéron n’eut pas trop de peine à faire croire que la loi de Rullus n’était au fond qu’une large exploitation des conquêtes romaines, au profit de quelques politiques obérés. Enfin, pour ce qui regarde Capoue, où l’on va établir une colonie, il comprend sans doute qu’on trouve juste qu’après un si long temps on lui pardonne la trahison qu’elle a commise à l’époque des guerres puniques, mais n’est-il pas à craindre qu’elle use mal des droits qu’on lui aura rendus ? On connaît l’incurable vanité des Campaniens. Il semble à Cicéron voir déjà la colonie renaissante affectant des airs de capitale et cherchant à rivaliser avec Rome. Il la montre avec ses duumvirs, qu’elle appelle des préteurs, en attendant qu’elle ose les nommer des consuls, entourés de licteurs portant les faisceaux, de pontifes qui viennent immoler sur le forum les grandes victimes, et dé conseillers municipaux qu’on salue du titre de Pères conscrits . La populace de Rome aimait qu’on se moquât des villes du voisinage ; elle dut prendre autant de plaisir à ces tableaux de fantaisie de Cicéron que jadis elle en trouvait aux railleries de Plaute quand il plaisantait sur les barbarismes des Prénestins. Le peuple paraît donc avoir bien accueilli ce discours, malgré les raisons qu’il pouvait avoir de n’en être pas toujours satisfait. Cicéron affirme qu’il soutint l’orateur par son approbation, ses gestes, ses acclamations[37]. Quand il eut fini de parler, personne ne se leva pour lui répondre. La cause semblait gagnée. Cependant les tribuns ne se tinrent pas pour vaincus, ils prirent leur revanche, non pas au Forum où ils étaient muets devant Cicéron, mais dans des réunions particulières qu’il ne fréquentait pas, et ce qui montre que ce fut avec quelque succès, c’est que le consul fut obligé de prendre encore deux fois la parole, et devant un auditoire qu’il sentait moins favorable. Cependant il reconquit encore son public, si bien que les tribuns n’osèrent pas exposer leur loi au vote populaire, et qu’elle fut définitivement retirée. Il n’y a pas de doute qu’elle ne fût l’oeuvre de César qui pouvait seul y mettre tant de modération et d’esprit politique. Tous les historiens l’affirment, et Cicéron le laisse entendre, quand il dit que Rullus n’était qu’un prête-nom, et que l’affaire avait été en réalité machinée par de plus grands personnages. Ce qui le prouve encore mieux, c’est qu’un des premiers soucis de César, pendant son consulat, fut de proposer une loi semblable à celle dont Cicéron n’avait pas voulu, et qui s’abstenait, comme elle, de toute mesure violente et révolutionnaire. II est assez curieux de constater que César semble avoir tenu quelque compte des observations de Cicéron à propos de la loi de Rullus. Les commissaires furent choisis avec soin, parmi les gens les plus honnêtes, et l’on en nomma vingt, au lieu de dix, pour les empêcher de prendre une importance exagérée. L’intervention de César est plus visible encore dans la dernière affaire dont il me reste à parler. Il s’agissait, cette fois, d’un événement lointain, mais dont le souvenir ne s’était pas effacé. En 654 — trente-six ans auparavant — un tribun du peuple, Saturninus, un préteur, Glaucia, tous deux en exercice, après une tentative de sédition qui n’avait pas réussi, s’étaient réfugiés au Capitole, dans le temple de Jupiter, et quoiqu’on leur eût accordé une sorte de capitulation, on les avait massacrés, quand ils en voulaient sortir. De ce drame sanglant, un acteur survivait, qu’on accusait d’y avoir pris une part importante, C. Rabirius. Il était vieux, infirme, solitaire, il n’avait rempli, depuis lors, aucune charge importante. Néanmoins César voulut qu’on fît sur lui un exemple qui effrayât ses ennemis. Le tribun du peuple Labienus, celui qui fut son plus brillant officier dans les Gaules, avant de devenir son plus cruel ennemi pendant la guerre civile, se chargea de poursuivre le vieillard et de l’accuser de l’assassinat d’un tribun. En réalité, l’assassin était un esclave, qu’on avait affranchi pour le récompenser ; mais Rabirius, jeune alors et partisan passionné du Sénat, s’était fait remarquer par ses violences. On disait qu’il avait porté dans un repas la tête de Saturninus et l’avait livrée aux insultes des convives. On ne l’avait pas oublié, il s’en était vanté peut-être, aussi mit-on à le poursuivre un acharnement extraordinaire. On ressuscita, à cette occasion, des formes anciennes de justice qui avaient cessé d’être en usage. Accusé de perduellio, c’est-à-dire d’un crime plus odieux encore que celui de lèse-majesté, il fut traduit devant deux duumvirs créés pour la circonstance, qui étaient précisément César et l’un de ses proches parents, et n’eut d’autre ressource que d’en appeler au jugement du peuple entier (provocatio). Il fut défendu par les deux plus grands orateurs de Rome, Hortensius et Cicéron. Labienus, son accusateur, qui voulait se mettre à l’abri de l’éloquence de Cicéron, fit décider qu’on ne lui accorderait qu’une demi-heure pour son discours. Il pensait lui nuire ; peut-être, sans le vouloir, lui a-t-il rendu service. Il l’a forcé à s’enfermer plus étroitement dans son sujet, à supprimer les développements inutiles, à serrer de plus près ses raisonnements, ce qui fait que ce discours de Cicéron, dont il nous manque à peine quelques phrases, est l’un des meilleurs qui nous restent de lui. On n’a pas de peine à comprendre, en le lisant, l’intérêt qu’avait César à faire ce procès, et pourquoi il y attachait tant d’importance. Cicéron a raison de prétendre qu’il a d’autres desseins que de faire battre de verges et pendre un vieillard. Il en veut à ce droit que s’adjuge le Sénat d’investir les consuls de pouvoirs extraordinaires, et dont il a notamment usé pour perdre Saturninus et Glaucia. Les Romains avaient trop d’esprit politique pour ne pas comprendre qu’il y a des occasions où il faut donner une force particulière à l’autorité publique pour qu’elle puisse triompher de dangers exceptionnels. C’est pour cela qu’ils avaient créé la dictature. Quand, plus tard, la dictature cessa d’être en usage, peut-être à la suite de quelques abus de pouvoir, le mot disparut, mais on sentit bien qu’il fallait garder la chose. On imagina donc une formule par laquelle le Sénat entendait donner aux consuls les droits qu’avait possédés le dictateur. C’était une phrase très simple, qui, sans emphase, sans fracas, les chargeait d’empêcher que la république ne reçût quelque dommage : caveant consules ne quid detrimenti respublica capiat. Ce sénatus-consulte, dit Salluste, investit un magistrat des pouvoirs les plus étendus que la constitution romaine puisse lui conférer. Il lui permet de lever des troupes, de faire la guerre, de contraindre par tous les moyens les troyens et les alliés, d’exercer à Rome et à l’armée, dans sa plénitude, l’autorité civile et judiciaire. C’est, comme dit encore Salluste dans un autre passage, le sénatus-consulte suprême, au delà duquel il n’y a rien, senatusconsultum ultimum. Il est très naturel que le parti démocratique, celui qui fait les révolutions, n’ait jamais accepté de bon coeur ce moyen qu’on avait trouvé de les réprimer. César, qui prévoyait que le Sénat serait amené à user de cette arme contre lui, voulait d’avance la lui enlever. Cicéron, au contraire, qui allait s’en servir contre Catilina, tenait à la conserver. C’est donc autour de cette loi de salut public que tourne tout ce procès, Cicéron cherchant à la maintenir dans toute sa force et César voulant la déconsidérer par le supplice de Rabirius. Il est probable que cette fois l’affaire semblait mal tourner et que Rabirius courait beaucoup de risque d’être condamné, puisqu’un tribun, ami du Sénat, crut devoir employer un vieil artifice dont s’étaient servis, plus d’une fois, les aristocrates, quand l’issue d’un procès ou d’un vote leur semblait douteuse. Il fit abattre le drapeau qui flottait sur le Janicule ; ce qui forçait l’assemblée du peuple à remettre à plus tard ses délibérations. César ne crut pas devoir recommencer la lutte. Il jugea que l’effet était produit, et l’affaire fut abandonnée. Telle fut la campagne que César mena contre Cicéron pendant les premiers mois du consulat. Il semble d’abord qu’elle lui ait assez mal réussi. Ni les enfants des proscrits ne furent rétablis dans leurs droits, ni la loi agraire ne fut votée, ni Rabirius ne fut puni. Mais était-ce vraiment une défaite pour César et tenait-il beaucoup à obtenir ce qu’il demandait ? En réalité il voulait surtout poser des questions devant le peuple, se réservant de les résoudre quand il serait le maître, et nous avons vu qu’il les avait résolues. Ce qu’il désirait véritablement, c’était d’affaiblir la situation politique de Cicéron. Ce n’est pas qu’il eût pour lui, comme pour Caton, aucune aversion personnelle ; au contraire, il avait du goût pour son esprit, il admirait son talent, il aimait sa personne. Il n’est pas probable non plus qu’il le redoutât beaucoup ; il connaissait trop ses faiblesses pour en avoir grand’peur. Mais on peut penser qu’il était un peu inquiet de l’ascendant que cette grande parole exerçait sur le peuple : c’était son parti, et il ne voulait en partager la direction avec personne ; probablement aussi il ne lui plaisait pas d’entendre sans cesse, dans cette bouche éloquente, l’éloge de Pompée. Ils étaient alliés en ce moment, mais il est dans la nature qu’à la longue on se fatigue d’entendre louer même ses meilleurs amis avec cette intempérance. César a-t-il gagné quelque chose à harceler sans relâche Cicéron, comme il l’a fait pendant plusieurs mois ? on peut le croire. Sans doute il lui a fourni l’occasion de faire admirer son éloquence ; mais en même temps il l’a forcé à manifester ses opinions nouvelles, ce qui devait finir par fâcher le peuple. Aussi à-t-on la preuve qu’à deux reprises cet auditoire accoutumé à l’applaudir lui a témoigné quelque mécontentement. Ce fut d’abord à propos de la loi agraire. La seconde fois qu’il eut à en parler au Forum, il nous dit qu’il s’aperçut bien que ses auditeurs ne lui étaient pas aussi sympathiques qu’auparavant ; il eut même à réprimer un murmure ; mais ce n’était encore qu’un murmure (strepitus). Les choses allèrent plus loin, dans le procès de Rabirius. Le crime qu’on poursuivait ayant trente-six ans de date, pour en rafraîchir la mémoire, l’accusateur Labienus avait fait peindre un beau tableau qui représentait la mort de Saturninus et l’avait produit solennellement à sa péroraison. Cette exhibition accompagnée de paroles pathétiques devait avoir fort ému le peuple : aussi accueillit-il très mal Cicéron, lorsqu’au lieu d’excuser son client, qu’on accusait d’avoir assassiné le tribun, il déclara qu’il regrettait qu’il ne l’eût pas fait, et que ce serait un honneur pour lui, et non une honte, d’avoir délivré la république d’un de ses ennemis. A ce moment des cris se firent entendre dans l’assistance, et comme il répondait fièrement qu’il n’en avait pas peur, ils recommencèrent. Taisez-vous, reprit-il ; cessez des clameurs qui attestent votre sottise et qui montrent bien votre petit nombre. (Quin continetis vocem, indicem stultitiae vestrae, testem paucitatis[38]). Le bruit cessa, et Cicéron put achever son discours ; mais ce qui prouve bien qu’il n’avait pas tout à fait reconquis son auditoire, c’est qu’on nous dit que les aristocrates redoutaient beaucoup que Rabirius ne fût condamné. Avant tout, ce que cherchait César, et ce qui lui a merveilleusement réussi, c’était de fixer d’une manière plus nette et de rendre clair à tous les yeux son programme politique. Chacun des débats qu’il a soulevés marque un des points de ce programme. Détruire définitivement ce qui reste des lois de Sylla, punir les ennemis de la démocratie, venger les persécutions dont elle a souffert, en remontant aux plus anciennes, veiller au bien-être du peuple en reprenant les projets des Gracques, voilà quel serait son plan, s’il était appelé au pouvoir, et il ne le proclamait pas seulement par des promesses et des paroles, dont les candidats sont toujours prodigues, mais par des actes. Sans doute il travaillait depuis longtemps à se faire une grande position dans son parti, et il y était parvenu ; mais c’est seulement dans ces derniers mois qu’il en prit tout à fait la tête. Tout lui arrivait à la fois. Il venait d’être désigné préteur ; le poste de grand pontife étant devenu vacant, il y fut nommé, quoiqu’il eut pour concurrents les plus grands personnages de Rome, Servilius Isauricus et C. Lutatius Catulus, prince du Sénat. Pompée pouvait revenir ; les. rangs étaient changés. La place qu’il occupait à la tête de la démocratie romaine était prise, et c’était lui qui allait être obligé, pour obtenir du peuple ce qu’il demandait, de réclamer l’aide de César. |
[1] In ambitione artifex. (De petit., XII, 46.)
[2] M. Bücheler, qui nous a donné une excellente édition de la lettre de Quintus, rappelle à ce propos celle que Varron avait adressée à Pompée pour fui enseigner ce qui doit faire le consul quand il préside le Sénat, et qu’il publia plus tard, comme le fit Quintus, sous la forme d’un petit traité.
[3] Par exemple quand il se moque de ces gens heureux à qui toutes les dignités arrivent pendant leur sommeil. (Verr., V, 70) ; ou encore lorsqu’en faisant allusion à son élection il compare ceux qui sont désignés consuls quand ils sont encore dans les langes à ceux qui sont nommés au Champ de Mars, ce qui rappelle le mot amer de Figaro contre les grands seigneurs qui se sont donnés la peine de naître.
[4] Cicéron, Pro Sulla, 7.
[5] Cicéron, De petit., IX, 37.
[6] Le mot est de Caelius (Cicéron, Lettres fam., VIII, 1).
[7] Cicéron, De petitione, VIII, 30.
[8] Suétone, Auguste, 46.
[9] Cicéron, Ad Atticum, I, 2.
[10] Il a rappelé la part que l’Italie eut à son succès, In Pis., 1.
[11] Pro Cael., 5 : habuit ille permulta.maximarum non expressa signa, sed adumbrata, virtutum.
[12] Cicéron, In toga cand., Asconius p. 83 : Dico, Patres conscripti, superiore nocte, cuiusdam hominis nobilis et valde in hoc largitionis quaestu noti et cogniti domum, Catitinam et Antonium cum sequestribus suis convenisse.
[13] M. Bücheler pense que le Commentariolum petitionis de Quintus a précédé le discours de son frère. Ils sont certainement l’un et l’autre des premiers mois de l’année 690.
[14] Cicéron, de petit., III, 12.
[15] C’est peut-être à
cette occasion qu’eut lieu, à
[16] Cicéron ne l’ignorait pas, lui qui dit que les élections se font impetu non nunquam et quadam etiam temeritate. (Pro Plancio, 4)
[17] Cicéron, de leg. agr., II, 2.
[18] Cum unum magistratum administrent, unius hominis vicern sustinent. Mommsen a donné une excellente explication de ce passage d’Ulpien et il a fait d’une manière définitive la théorie de la dualité du consulat dans son Droit public (I, p. 33, de la traduction française).
[19] Pour dater ce consulat, au lieu de mettre le non des deux consuls, comme c’était l’ordinaire, les malins disaient : Caio et Julio Caesare consulibus.
[20] On a dit que la générosité de Cicéron ne fut pas tout à fait désintéressée et qu’en cédant à Antoine cette riche province il avait stipulé qu’il partagerait les bénéfices : Antoine le laissait entendre, sans doute dans l’espoir que la province supporterait mieux ses rapines, si elle savait qu’il état obligé de piller pour deux. Cicéron en fut indigné quand il le sut (Ad Att., I 12) et déclara qu’il ne chercherait pas à faire maintenir Antoine dans son gouvernement, ce qui aurait été son intérêt, s’il en avait partagé les profits avec lui. Il n’y a de sûr qu’une chose, c’est qu’Antoine était son débiteur, ce qui n’est pas surprenant, puisqu’il empruntait à tout le monde, et que comme à son ordinaire, il ne payait pas ses créanciers. La lettre que lui écrivit plus tard Cicéron, quand il lut un peu radouci (Fam., V, 5) me semble bien prouver qu’il n’y eut jamais entre eux aucune transaction malhonnête
[21] Cicéron, de leg. Agr., I, 7 : ii quos multo magis quam Rullum timetis.
[22] Cicéron, de leg. agr., II, 13 : novas dominationes, extraordinara non imperia sed regna quaeri putabantur.
[23] Cicéron, de petit. cons., I, 5.
[24] Cicéron, De officiis, II, 8.
[25] Il a donné le programme de ce parti, Pro Sext., 45.
[26] Il faut entendre ici le mot chevaliers au sens le plus large ; il s’agissait de tous ceux qui possédaient le cens équestre, c’est-à-dire 400.000 sesterces (environ 80.000 francs) de fortune. Mommsen pense que le privilège d’occuper les quatorze premiers gradins leur avait été attribué par C. Gracchus, que Sylla le leur avait enlevé, et que Roscius ne fit que le leur rendre.
[27] Asconius, p. 78 : non solum accepit sed etiam efflagitavit.
[28] De ce discours, que Cicéron avait publié, avec les autres de son consulat, on n’a conservé qu’une phrase, où il faisait honte à la foule d’avoir troublé une représentation où paraissait le grand acteur Roscius.
[29] Virgile, Énéide, I, 151 : si forte virum quem conspexere, silent.
[30] Salluste, Oratio Lepidi : solus omnium post memoriam hominum supplicia in post futuros composuit, quis prius injuria quam vita certa esset.
[31] Cicéron attaque ces mesures odieuses, dans son discours pour Roscius d’Amérie (53), et les appelle une proscription plus cruelle encore que la première.
[32] Adolescentes fortes et bonos (In Piso, 2).
[33] C’est ce qui arrivait même longtemps avant les Gracques et dès les premières années de la république. Voyez Tite-Live, II, 9.
[34] Cicéron, de leg. Agr., II, 5.
[35] Il faut ajouter que l’opinion qu’il exprime sur les lois agraires dans le De officiis (II, 21) est assez sévère. Cependant il a fini par en présenter une lui-même pour gagner les soldats (Philip., V, 19)
[36] Cicéron, de leg. Agr., I, 7 : lacesso vos, in contionem voco, populo romano disceptatore uti volo.
[37] Cicéron, pro Rabirio, 12.
[38] M. Aulard me
rappelle à cette occasion un mot de Mirabeau qui peut présenter quelque
analogie avec celui de Cicéron. Le