LA GAULE INDÉPENDANTE ET LA GAULE ROMAINE

PREMIÈRE PARTIE. — LES ORIGINES - LA GAULE INDÉPENDANTE - LA CONQUÊTE ROMAINE

LIVRE PREMIER. — LES ORIGINES

CHAPITRE II. — LES PEUPLES HISTORIQUES

 

 

I. - LES IBÈRES ET LES LIGURES[1]

[LES IBÈRES] A l’arrière-plan de notre histoire figure le peuple des Ibères. Il était répandu dans la Sicile, dans la Corse, dans la Péninsule Hispanique, dans l’Italie et dans le midi de la France. Le géographe Strabon, qui vivait au commencement de notre ère, nous apprend que le mot Ibérie s’était appliqué autrefois à tout le pays compris entre les golfes de Gascogne et du Lion, et en effet ce sont des Ibères que les Phocéens rencontrèrent sur la côte du Languedoc vers 600 av. J.-C.[2]

[LES AQUITAINS ET LES BASQUES] Lorsque les Romains conquirent la Gaule, au premier siècle avant notre ère, ils trouvèrent, entre les Pyrénées et la Garonne, les Aquitains. Ils n’eurent pas de peine à reconnaître dans ce peuple un proche parent des Ibères de l’Espagne. Les Aquitains, après l’invasion des Vascones espagnols, à la fin du vie siècle ap. J.-C., prirent le nom de Gascons, dont le mot Basques est une altération. Entre les Gascons et les Basques, nous avons distingué. Nous appelons Gascons les Aquitains latinisés qui ont tiré du latin un dialecte roman, et Basques ceux qui, résistant à la pression de Rome, ont conservé jusqu’à nos jours leur langue indigène. Les Basques sont aujourd’hui, sur notre territoire, environ 140.000 individus cantonnés dans le département des Basses-Pyrénées. Ils s’appellent eux-mêmes Euskaldunac, hommes qui parlent l’euskara. L’euskara ou basque appartient à la classe des langues dites agglutinatives, représentée en Europe par le hongrois, le finnois et le lapon. Riais c’est en vain qu’on a essayé des rapprochements, soit avec ces idiomes, soit avec les autres de la même espèce, en Afrique et sur le reste du globe. Le basque s’est montré rebelle à toute assimilation de ce genre. En revanche on a pu démontrer ses rapports avec l’ancien aquitain. De l’aquitain nous connaissons quelques noms géographiques. Le nom des Euskaldunac se retrouve dans celui d’un des principaux peuples de l’Aquitaine, les Ausci. La capitale des Ausci, Auch, s’appelait primitivement Elimberrum. Ce même nom, sous la forme Illiberis, était celui d’Elne dans le Roussillon. Or, le radical ili, iri, uri, hiri a en basque le sens de lieu habité et a formé dans cette langue le nom d’un grand nombre de villes et de villages : Iriun, Irizar, Iriberri, Irigogen ou Urigogen, Uliberri, etc. La filiation du basque et de l’aquitain paratt donc établie, et comme l’identité des Aquitains et des Ibères l’est également, il en résulte que les Basques doivent être considérés comme les descendants de ces derniers.

Quelle est la place des Ibères parmi les peuples sans nom décrits plus haut ? Nous l’ignorons. On remarque que dans l’euskara les mots désignant la hache et tous les instruments tranchants sont tirés d’un même radical qui signifie rocher. On peut conclure de là que la langue ibère remontait à une époque où l’usage des métaux n’était pas connu.

[LES LIGURES] Les Ligures ou Ligures succédèrent aux Ibères dans l’empire de l’Occident. Ils s’étendaient des côtes de la mer du Nord au fond de l’Espagne et de l’Italie. Ils avaient pénétré dans cette dernière péninsule dès le XIIe ou le XIIIe siècle av. J.-C., et plus anciennement déjà, ils s’étaient installés dans la région du Pô. En France, un vieux périple, dont la rédaction primitive ne peut pas malheureusement être datée avec certitude[3], les montre le long de l’Océan. Et, en effet, de nombreux indices semblent dénoncer dans l’Aquitaine la présence d’un fort élément ligure superposé à la couche ibérique. La ville de Marseille fut fondée en Ligurie vers 600 av. J.-C. A cette époque la rive droite du Rhône appartenait encore aux Ibères, mais cent ans plus tard l’historien Hécatée de Milet compte parmi les Ligures les Elisyces, dont la capitale était Narbonne. La partie orientale du bassin rhodanien est, dans notre pays, la contrée où la domination de ce peuple a duré le plus longtemps. Elle s’y est maintenue jusqu’au IVe siècle av. J.-C., où elle fut renversée par l’invasion des Celtes. Ce sont des Celto-Ligures que Strabon signale dans notre Provence au premier siècle de notre ère.

[TOPONYMIE LIGURE] Les Ligures ont laissé dans notre toponymie des traces plus profondes que les Ibères. Le suffixe asco, asca, osco, usco, qui est propre à leurs noms de lieu, ne se rencontre pas en France moins de soixante-dix fois dans vingt-cinq départements, dont dix-neuf appartenant au bassin du Rhône et aux bassins secondaires qui s’y rattachent. Les six autres font partie des bassins de la Seine (Yonne, Aube, Marne), de la Garonne (Ariège, Aveyron), de la Loire (Haute-Loire). Il suffira de citer quelques exemples : Manosque (Manuasca, Manoasca), dans les Basses-Alpes ; Nevache (Annevasca), dans les Hautes-Alpes ; Gréasque (Gratiasca), Tarascon (Tarusco), dans les Bouches-du-Rhône ; Branoux (Branoscus), dans le Gard ; Santoche (Centusca), dans le Doubs, etc. Il y a en France des noms de lieu terminés par ce suffixe et dont le radical ne s’explique ni par le latin ni par le celtique. Ils doivent remonter à une époque où le celtique n’était pas encore parlé. Il y en a où le radical est celtique, d’autres où il est latin, ce qui nous permet de supposer que, même après la conquête romaine, le ligure n’était pas tout à fait oublié.

[LANGUE DES LIGURES] Il n’a survécu de la langue des Ligures que quelques racines et quelques suffixes. On a cru récemment la reconnaître dans certaines inscriptions du midi de la France, considérées longtemps comme celtiques[4]. Tout faibles que sont ces indices, on s’en est autorisé pour ranger le ligure dans la classe des langues dites indo-européennes ou aryennes. Ce peuple serait donc le plus anciennement connu sur notre continent parmi ceux qui appartiennent à cette grande famille linguistique. Les documents archéologiques viennent à l’appui de cette théorie. Les Ligures sont vraisemblablement les mêmes hommes qui ont construit les villages lacustres sur les deux versants des Alpes. Or le mobilier des plus vieilles parmi ces stations correspond assez exactement à l’état de civilisation des premiers Arvas, tel qu’on a pu se le représenter en étudiant leur vocabulaire primitif[5].

[LES LIGURES SUR LA CÔTE DE GÈNES] Les montagnes qui bordent le golfe de Gênes ont été le dernier refuge de l’indépendance des Ligures. Le Grec Posidonius, qui les a visitées dans la première moitié du Ier siècle av. J.-C., nous a laissé de leurs habitants une vivante description. Ils avaient conservé dans leurs âpres retraites quelque chose de l’antique barbarie. C’était une race vigoureuse, la taille petite, le corps sec et nerveux, dure à la peine, avide de gain, vaillante, féroce et rusée. Ils exploitaient sur place le bois de leurs forêts. Beaucoup descendaient dans les villes pour s’engager en qualité de manœuvres, de terrassiers. Mais leur principale industrie était le brigandage sur terre et sur mer. Leurs déprédations faisaient la terreur des campagnes voisines et leurs barques écumaient la Méditerranée.

 

II. - LES PHÉNICIENS[6] ET MARSEILLE[7]

[LES PHÉNICIENS] LES Phéniciens firent leur apparition dans la Méditerranée occidentale vers l’an 1100 avant notre ère. Ils s’en rendirent maîtres en moins de deux siècles. Les établissements qu’ils fondèrent sur notre littoral ne sont pas mentionnés par les historiens et n’ont laissé de leur existence aucune trace matérielle. Il en est de ces postes comme de tant d’autres semés par le même peuple sur le pourtour et dans les îles de la mer intérieure : le souvenir en serait perdu s’il ne s’était conservé dans certains noms de lieu dont quelques-uns sont usités encore aujourd’hui. Une fois de plus la toponymie nous apparaît comme le plus sûr témoin de ce passé lointain. Celle de la Méditerranée a pu se comparer très justement à un terrain sédimentaire composé de couches superposées dont chacune représente une domination disparue. Dans les plus anciens gisements, immédiatement au-dessous du dépôt hellénique, se montre le dépôt phénicien.

[LEURS ÉTABLISSEMENTS] Le nom de l’île Phoenice, une des Pomégues, se passe de commentaire. Celui de Ruscino, Castel-Roussillon, sur le Tet, est tiré d’une racine sémitique qui veut dire tête, cap. D’autres noms rappellent les dieux dont le culte fut implanté sur ces rivages par les marins de Tyr et de Sidon. Les principaux étaient Astarté et Melqart, dont les Grecs et les Latins ont fait Aphrodite et Vénus, Héraclès et Hercule, sans abolir complètement leur physionomie première et sans les déposséder des lieux où ils avaient installé leurs autels. Le promontoire d’Aphrodite, maintenant le cap Creus, le Port de Vénus, Portus Veneris, Port-Vendres, évoquent le culte d’Astarté. Les deux Héraclées, à l’embouchure du Rhône et dans la baie de Cavalaire, les deux ports d’Hercule, dans la rade de Villefranche et au pied du rocher de Monaco, ont été consacrés à Melqart. La deuxième Héraclée, dans la baie de Cavalaire, Heraclea Caccabaria, a de plus un nom qui fut donné à Carthage (Caccabe). Monaco vient de Menouha, qui veut dire halte, repos[8].

[LÉGENDE DE MELQART] La légende de Melqart Héraclès tient une grande place dans les traditions concernant la Gaule. Le dieu voyageur a conquis la Libye. Il franchit le détroit qui s’est appelé de son nom les Portes d’Hercule (Gibraltar). Il traverse l’Espagne, gravit les Pyrénées, s’enfonce dans le Nord, revient vers le Midi, combat les Ligures et fait tomber sur eux la pluie de pierres qui depuis recouvre la plaine de la Crau. Puis il escalade les Alpes et va poursuivre en Italie le cours de ses exploits. Un fond de vérité se cache sous ces fables. Le commerce des Phéniciens se prolongeait par les caravanes dans l’intérieur des terres. De tous les articles qu’ils allaient chercher au loin, le plus demandé était les métaux. Or les Pyrénées, les Cévennes, les Alpes recélaient à cette époque des mines d’or et d’argent. L’étain des Cassitérides abordait aux côtes de la Manche, remontait la Seine, descendait jusqu’à la Méditerranée par la vallée du Rhône. La même vallée était devenue une des routes de l’ambre.

[FONDATION DE MARSEILLE] La décadence de Tyr, à partir du VIIIe siècle avant notre ère, favorisa l’expansion des Grecs en dehors de l’Archipel. En 578 av. J.-C., les Rhodiens fondèrent Rhoda, aujourd’hui Rosas, au sud du cap Creus. Vingt ans plus tôt environ les Phocéens avaient fondé Massalia, Marseille.

L’histoire de Marseille est très mal connue et ne peut qu’être esquissée dans ses grandes lignes. C’est vers 600 av. J.-C. qu’une troupe d’aventuriers, sortie du port de Phocée, en Asie Mineure, vint jeter l’ancre sur les rivages de la Ligurie, devant un promontoire rocheux dont l’aspect évoquait aux yeux des émigrants l’image de leur patrie. La colonie fondée à cette date reçut un renfort notable trois quarts de siècle après. En 542, la population de Phocée tout entière s’embarqua pour se soustraire à la domination des Perses. Malheureusement pour les fugitifs, l’équilibre des forces s’était déplacé encore une fois dans la Méditerranée occidentale. Tyr avait succombé en 574, mais une héritière lui était née sur les côtes de l’Afrique. Pour restaurer à son profit l’empire échappé à la métropole, Carthage déploya une énergie et des ressources imprévues. Les Étrusques, menacés comme elle par les progrès de la marine grecque, lui prêtèrent le concours de leur flotte. Battus dans les eaux de la Corse, en 537, les Phocéens se dispersèrent. Les uns se réfugièrent en Italie, les autres gagnèrent Marseille. Plus tard on oublia les premiers émigrants pour attribuer aux seconds l’acte de la fondation. La version était plus dramatique, mais contraire à la vérité.

[GUERRES CONTRE CARTHAGE ET ALLIANCE AVEC ROME] Cinquante ans s’écoulèrent qui furent pour la cité naissante une période de labeur silencieux. Lorsque, au commencement du Ve siècle, les Grecs prirent l’offensive sur toute la ligne, depuis Salamine jusqu’à Himère (480), elle se trouva prête. Les hostilités avec Carthage se rallumèrent. La cause ou le prétexte de la guerre fut un conflit entre bateaux de pêche. Nous ne savons au juste ni quand elle éclata ni combien elle dura. Ce qui est sûr, c’est qu’elle fut glorieuse pour les Massaliotes. Leurs victoires sont mentionnées par Thucydide. Strabon en a vu les trophées exposés dans la ville, et Pausanias a remarqué à Delphes la statue d’Athena Pronoe offerte en commémoration des mêmes succès.

L’époque qui s’ouvrit ensuite fut la grande époque de Marseille. Il n’y avait à compter ni avec Carthage ni avec les Étrusques. L’attention de Carthage était absorbée pour longtemps par une suite de guerres pénibles en Sicile et en Afrique. La flotte des Étrusques avait été détruite par les Syracusains, et déjà ils commençaient à faiblir sur terre devant les attaques de Rome. Entre Rome et Marseille l’alliance s’imposait. Elle était conclue dès les premières années du IVe siècle, peut-être avant. Également profitable aux deux contractants, elle apportait à l’un le secours d’une solide marine, à l’autre toutes les ressources de la première puissance militaire de l’Italie.

[DOMAINE COLONIAL] Le domaine de Marseille atteignit tout son développement au VIe siècle av. J.-C. Il décrivait comme un immense arc de cercle  depuis les Alpes Maritimes jusqu’à l’Andalousie. Les deux ports de Melqart, devenus ports d’Héraclès, à Monaco et dans la rade de Villefranche, étaient les postes avancés du côté de l’Est. Ils étaient l’un et l’autre éclipsés par une création proprement marseillaise, le port de Nicè (Nice) ou de la Victoire. En face de Nice s’élevait Antipolis (Antibes). La ville d’Athénè, Athenopolis, dans la baie de Saint-Tropez, la ville d’Héraclée Caccabaria, dans la baie de Cavalaire, la ville heureuse, Olbia, la bien nommée, près d’Hyères, formaient une ceinture au massif des Maures. Il ne paraît pas que les Massaliotes aient été tentés par le site de Toulon. Le nom ancien de la Ciotat, Citharista, montre que leur attention s’était portée plutôt sur cette dernière localité, et, en effet, c’est à 2 kilomètres de là que se trouvait Tauroentum, leur fondation la plus considérable entre Olbia et Marseille.

Le littoral languedocien, moins riche en abris naturels, ne compta qu’une colonie, mais parfaitement placée, la colonie de la Bonne-Fortune, Agathè Tychè, au cap qui lui doit son nom, le cap d’Agde, une des rares saillies qui offrent un refuge aux marins battus par les tempêtes du golfe du Lion. Plus loin, à la base des Pyrénées orientales, se creuse le port de Vénus, Port-Vendres, dont les Phéniciens s’étaient emparés et qui passa naturellement sous la domination de leurs successeurs. Rhoda, malgré ses origines rhodiennes, ne pouvait pas davantage échapper à la suprématie des Phocéens. Marseille avait en Espagne d’autres établissements : Emporiae, présentement Ampurias, non loin des deux villes précédentes ; Hemeroscopium, dans le voisinage du cap de la Nao ; Alonis, dont on ignore la situation exacte ; enfin, près de Malaga, Maenaca (Almuneçar) dont le nom identique, semble-t-il, à celui de Monaco, dénote une fondation phénicienne et qui était la dernière des possessions massaliotes vers Gibraltar.

[LA VILLE ET SES MONUMENTS] Quelle que soit l’importance actuelle de notre grande cité méditerranéenne, le plus beau moment de son histoire est à cette époque. Il s’en faut pourtant que la ville ancienne égalât la moderne pour l’étendue et la population. Le retrait de la mer, les travaux de nivellement ont si bien changé l’aspect des lieux qu’on a peine à se la représenter dans la presqu’île étroite et abrupte où elle demeura longtemps inexpugnable. Des hauteurs où s’étage le vieux Marseille et où se dressait l’acropole, elle descendait par masses serrées sur le Lacydon, le vieux port d’aujourd’hui. Il était alors un des plus vastes du monde, et des mieux garantis par la nature et par l’art. Les chantiers, les arsenaux qui le bordaient étaient renommés. En peuple pratique, les Massaliotes avaient réservé tout leur luxe pour ce genre de constructions. Ils ne semblent pas s’être mis en frais pour le reste. Les maisons particulières furent bâties en bois et en chaume jusqu’à la domination romaine. Les seuls temples mentionnés par Strabon sont ceux d’Artémis et d’Apollon. Il subsiste quelques morceaux de sculpture, intéressants par leur caractère, leur date et leur provenance. Une Aphrodite archaïque, conservée au musée de Lyon, trahit par sa facture la main de l’école ionienne, vers le milieu du via siècle av. J.-C. A la même époque appartient toute une série de stèles, au nombre de quarante-sept. On a remarqué la ressemblance de ces statues avec celles qui décoraient la voie sacrée des Branchides, à Didyme en Asie Mineure, et avec d’autres œuvres analogues trouvées à Cyme, dans la même contrée. Le plus curieux, c’est qu’à en juger par le calcaire où elles sont taillées, les stèles marseillaises semblent elles-mêmes importées de la mère patrie.

La colonie, émancipée de ces influences, vit-elle se former plus tard une école de sculpture locale ? Ce qu’on peut dire, c’est que ses monnaies, dont la collection est très riche et très instructive, n’ont, au point de vue de l’art, qu’une valeur secondaire. L’originalité des Massaliotes, dans le domaine intellectuel, n’est pas là. Elle n’est pas davantage dans les lettres où ils ne se sont distingués que plus tard, après la perte de leur indépendance. C’est dans les recherches scientifiques qu’ils ont excellé. La géographie notamment leur doit une impulsion dont les résultats eussent été incalculables, si elle avait été suivie.

[DÉCOUVERTES GÉOGRAPHIQUES. PYTHÉAS] Le IVe siècle avant notre ère est une date mémorable dans l’histoire des découvertes géographiques. Les conquêtes d’Alexandre élargissaient, du côté de l’Orient, la connaissance de la terre habitée ; Marseille travaillait à la même tâche du côté opposé. Le voyage du Marseillais Euthymène, le long de l’Afrique, faisait pendant à celui de Néarque dans la mer Érythrée. Deux flottes grecques se montraient en même temps aux bouches du Sénégal et de l’Indus. Mais la gloire d’Euthymène a pâli devant celle de son compatriote Pythéas. Les relations de l’un et de l’autre sont perdues. Celle de Pythéas ne nous est connue que par les allusions dénigrantes des géographes ses successeurs. Elles suffisent pour nous laisser entrevoir la grandeur de son œuvre. Il partit de Gadès (Cadix), suivit les côtes de l’Espagne et de la France, visita le pays de l’étain, pénétra dans le canal de Bristol, fit le tour de la Bretagne jusqu’aux Shetland, s’engagea dans la mer du Nord, reconnut la Presqu’île Cimbrique où il signala les Teutons, et poussa sa pointe dans la Baltique. Mais plus encore que la hardiesse de l’explorateur, il faut admirer l’esprit scientifique qui présida à ses entreprises. Il nota le rapport des marées avec les phases de la lune, détermina les latitudes, fixa la position du pôle et, par le calcul plutôt que par l’observation personnelle ou sur la foi de vagues récits, constata le phénomène des longs jours et des longues nuits dans la zone glaciale. L’antiquité ne lui a pas rendu justice. Une école se forma après lui qui, substituant aux méthodes mathématiques les données d’un empirisme superficiel et trompeur, rejeta la cartographie de l’illustre Massaliote et l’accusa d’imposture. Le malheur est qu’il n’eut pas d’héritier. Les Carthaginois reprirent possession de l’Espagne et de nouveau interdirent à Marseille l’accès de l’Océan. Les Romains vinrent ensuite, dont la curiosité était fort limitée. Il a fallu l’avènement de la science moderne pour mettre Pythéas à son rang parmi ceux qu’elle honore comme ses précurseurs.

[INSTITUTIONS POLITIQUES] Les institutions de Marseille ont été célèbres : Aristote les a décrites et Cicéron en a parlé avec enthousiasme. Par une exception remarquable, cette ville de marine et de commerce n’a connu ni la tyrannie ni la démocratie. Les dangers de sa situation au milieu de nations barbares ou ennemies et la nécessité qui s’ensuivait de fortifier le pouvoir, son isolement loin du foyer de l’hellénisme, la distance qui la préservait de la contagion et ne laissait arriver qu’un écho affaibli des luttes déchaînées au delà des mers, le voisinage de Rome enfin, l’hostilité que cette puissante alliée professa de tout temps pour les gouvernements populaires, alors même qu’elle paraissait livrée pour son propre compte aux passions démagogiques, toutes ces causes peuvent expliquer ou aider à comprendre ce rare exemple de stabilité.

Les Phocéens avaient quitté leur pays dans un temps où le régime aristocratique y était encore dominant. Ils s’organisèrent sur ce modèle dans leur nouvelle résidence. Les droits politiques furent réservés à quelques familles, les familles des fondateurs. Il est clair que ces prérogatives ne pouvaient se soutenir indéfiniment avec le développement de la richesse publique. Mais dans la voie des révolutions, où il fallut bien entrer, on s’arrêta à la première étape. Dans le courant du VIe siècle av. J.-C., la noblesse de naissance avait fait place à cette oligarchie censitaire que les Grecs caractérisaient du nom de timocratie. La souveraineté appartenait à l’assemblée des timouques, qui étaient au nombre de six cents et investis de leur dignité pour la vie. A leur tête était placé le conseil des Quinze, présidé lui-même par un triumvirat dont les membres exerçaient alternativement la magistrature suprême. Cette constitution survivra à la conquête romaine pendant plus d’un siècle.

On peut attribuer à l’esprit conservateur des Massaliotes la réputation singulière dont ils ont joui dans l’antiquité. Nulle ville n’était plus renommée pour la sévérité de ses mœurs. Une gravité relevée d’élégance, tel est le trait que Tacite notera plus tard et qui avait distingué de tout temps la cité phocéenne.

[EXTENSION À L’INTÉRIEUR] Pour les Massaliotes comme pour tous les Hellènes, la véritable patrie, le théâtre de leur activité, l’objet de leurs convoitises, c’était la mer. Le continent n’était à leurs yeux qu’un pays à exploiter. Ils ne cherchaient pas à le conquérir. Ils se contentaient d’y rayonner par le commerce et d’en drainer les produits jusqu’aux vaisseaux qui les attendaient dans les ports. Sur le littoral même ils n’occupèrent qu’une bande très étroite, un peu plus large seulement dans le delta rhodanien, au point de jonction de la navigation maritime et de la batellerie fluviale. Heraclea et Rhodanusia gardaient les abords du fleuve dans les plaines noyées de la Camargue. Théliné, la Nourricière (θηλή, mamelle), s’élevait sur l’emplacement de la future ville d’Arles. Avignon et Cavaillon nous sont signalés comme des dépendances de Marseille. Par Cavaillon les Massaliotes commandaient la vallée de la Durance, par Avignon celle du Rhône, mais des deux côtés ils s’étaient arrêtés au seuil. Ils ne semblent même pas avoir fait un effort pour soumettre le pays compris entre la Durance et les villes côtières. Les montagnes qui bordent le littoral leur fournissaient en abondance du bois et de la résine pour la construction de leurs navires. Elles forment d’ailleurs une muraille continue qui ne s’écarte qu’à un endroit, à l’embouchure de l’Argens. Mais la vallée de l’Argens, qui aboutit à celle de l’Arc, aux environs d’Arles, ne leur ouvrait aucun chemin nouveau. Les Ligures restèrent donc inviolables dans les massifs de l’Estérel et des Maures, et l’on se borna à protéger contre eux les banlieues urbaines et la route qui les reliait.

[RAPPORTS AVEC LES INDIGÈNES] Les Massaliotes ont enrichi de fables les premières pages de leurs  annales. Le roi des Ségobriges — un nom celtique inséré ici par une anticipation maladroite — réunissait à sa table les principaux guerriers de sa tribu et demandait à sa fille de se choisir un époux parmi eux, quand se présenta, pour solliciter un asile, le chef des émigrants phocéens, Euxène. La bonne grâce du Grec conquit le cœur de la jeune Barbare. Elle lui tendit la coupe des fiançailles et de cette union naquit Protos, le père de l’illustre famille des Protiades. Plus tard les Ségobriges, regrettant le bon accueil fait aux étrangers, s’introduisirent dans Marseille à l’occasion d’une fête, les uns ostensiblement, en hôtes pacifiques, les autres en secret, avec leurs armes, dans des voitures recouvertes de feuillage. Une femme ségobrige, maîtresse d’un Grec, révéla le complot à son amant. Les ennemis furent surpris au lieu de surprendre, et depuis ce temps les Massaliotes, toutes les fois qu’ils étaient occupés à quelque solennité intérieure, eurent soin de tenir leurs portes fermées et de faire veiller leurs sentinelles sur le rempart.

Ces anecdotes ont une valeur symbolique. Elles nous montrent assez bien quels devaient être, à l’origine, les rapports des colons avec leurs voisins, rapports fréquents et journaliers, mais empreints d’une méfiance réciproque, quand ils n’étaient pas franchement hostiles. Nous avons la description de la colonie massaliote d’Emporiae. Elle formait deux quartiers enclos par une enceinte commune et séparés par un mur intérieur, le quartier des Grecs et celui des Barbares. C’est une image de ce qui se passait ailleurs. A la longue un rapprochement s’opéra, et des mariages avec les indigènes sortit cette population mixte, hellénisée, dont l’appoint fut un élément indispensable à la prospérité de toutes les colonies grecques.

[INFLUENCE EXERCÉE SUR LA GAULE] On voudrait mesurer l’influence exercée par les colons phocéens sur le développement de la civilisation dans notre pays. Les Massaliotes, nous dit-on, introduisirent la culture de la vigne et de l’olivier. Mais ceci ne peut s’appliquer qu’au Midi. Ils propagèrent plus loin, jusque sur les bords du Rhin, la connaissance de l’écriture et l’usage de l’alphabet grec[9]. Enfin, tandis que les habitants de Rhoda enseignaient l’art du monnayage aux populations de l’Ouest, ils le répandaient de leur côté dans l’Est[10]. En dehors de ces trois faits, il est difficile de recueillir quelque chose de positif dans les témoignages trop peu précis et vraisemblablement exagérés des historiens. En réalité l’action directe et profonde de Marseille se limita, comme sa domination, à la région côtière. L’hellénisme s’épanouit sur le littoral de la Provence, y compris le delta rhodanien. Mais il était réservé à Rome de faire entrer notre patrie dans le cercle des nations civilisées.

 

III. - LES CELTES ET LEURS MIGRATIONS[11]

[LANGUE DES CELTES] LA langue des Celtes ou Gaulois s’est survécue dans les dialectes néo-celtiques qui se parlent encore de nos jours au fond de notre Bretagne, dans l’Irlande, dans le pays de Galles, dans la Haute-Écosse. Ces idiomes sont, il est vrai, d’un faible secours pour la connaissance du celtique ancien et l’intelligence des textes épigraphiques très peu nombreux qui nous en ont conservé des spécimens. On a pu néanmoins, avec les données qu’ils nous fournissent, assigner au celtique sa place dans la famille indo-européenne, à côté de l’ombro-latin, avec lequel il présente le plus d’analogies.

[LEUR HABITAT PRIMITIF EN ALLEMAGNE] Les anciens Grecs plaçaient au delà des monts Ripées, où Borée, le vent du nord, prend son élan ('Ριπή), le peuple fabuleux des Hyperboréens. Ce mythe prit un corps quand à l’âge de l’invention poétique eut succédé celui de la prose. Le pays idéal se localisa dans le monde réel et une nationalité authentique s’y détacha. Les monts Ripées devinrent le système montagneux de l’Europe centrale. Les Hyperboréens devinrent les Celtes : un historien du milieu du IVe siècle av. J.-C., Hécatée de Pont, appelle encore de ce nom les Celtes ou Gaulois qui prirent Rome en 390. C’est donc bien dans les contrées attribuées aux Hyperboréens qu’il faut chercher la primitive Celtique.

Les limites n’en peuvent être fixées que très approximativement. Elle était située entre les Ligures à l’Ouest et les Scythes à l’Est. Des premiers nous savons seulement qu’ils s’étendaient jusqu’aux côtes de la mer du Nord. Nous sommes un peu mieux renseignés sur le compte des Scythes. L’expansion de ce peuple en Europe se place entre le IXe siècle av. J.-C., où il est signalé dans le bassin inférieur du Danube, et le Ve, où nous le rencontrons au pied des monts Ripées, c’est-à-dire à l’extrémité de la plaine hongroise. Les limites occidentales de la Scythie nous donnent, pour la même date, les limites orientales de la Celtique.

[TOPONYMIE CELTIQUE EN ALLEMAGNE] La présence des Celtes dans le pays qui devait plus tard être la Germanie est attestée par la nomenclature physique au nord et au sud du Danube. II suffira de relever quelques faits à titre d’exemples. Le nom du Rhin, Renos, est un nom celtique que les Celtes ont transporté en Italie, en France, en Irlande. En Italie ils l’ont donné à la petite rivière du Reno, voisine de la ville qu’ils ont appelée Bononia (Bologne). En France, ils l’ont appliqué à un affluent de la droite de la Loire, le Reins, Renus. En Irlande il a pris un sens plus général et a désigné la mer. La Taube, affluent de gauche du Main, portait le nom de Dubra, dans lequel on reconnaît le nominatif pluriel du celtique Dubron, eau, qui a donné, en France, le nom de la rivière du Verdouble, Vernodubron, Vernodubrum, dans les départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales ; en Angleterre, celui de la ville de Douvres (Dover, Dubra). On a remarqué que les noms de la Havel, de la Spree, de l’Elbe, du Weser, trahissent une origine germanique, ce qui permet de supposer que les limites  septentrionales de la Celtique s’arrêtaient en deçà de ces bassins fluviaux.

La nomenclature politique n’est pas moins significative. Dans la Westphalie, prés de Munster, se trouvait la ville de Mediolanum, aujourd’hui Meteln-an-der-Vechte. Ce nom a désigné en Italie Milan, la grande ville celtique du bassin du Pô, et en France les deux villes de Saintes et d’Évreux. Devona, l’ancien nom de Bamberg, est aussi celui de Cahors, dans le Lot. Les substantifs ritus, gué, briga, pont, dunum, château, magos, champ, entrent fréquemment dans la composition des noms de lieu, aussi bien dans la Germanie que dans tous les pays conquis par les Celtes.

[LES GERMAINS SUJETS DES CELTES] Il n’est pas question encore des Germains. Ils ne feront leur entrée dans l’histoire qu’au premier siècle av. J.-C., et même alors on aura quelque peine à les distinguer des Celtes. En attendant ils étaient, de loin, soumis à leur influence, de près à leur domination. Cette subordination se traduit, d’une manière frappante, dans leur langue. On a démêlé, en effet, dans la langue germanique certains emprunts faits au vocabulaire celtique. Ils se réduisent à un assez petit nombre de mots, mais qui ont tous rapport à la politique et à la guerre, les plus propres par conséquent à démontrer la suprématie du peuple qui les avait imposés[12].

[OCCUPATION DES ILES BRITANNIQUES PAR LES CELTES] L’occupation des Iles Britanniques par les Celtes remonte à une date très reculée, antérieure même au Ixe siècle av. J.-C., s’il est vrai que le mot Cassiteros, employé dans les poèmes homériques pour désigner l’étain, est un mot celtique, comme le nom des îles Cassitérides, d’où ce métal est tiré[13]. Ce furent les Celtes qui substituèrent au nom d’Albion celui de Pretanis, Pritanis, Prydain.

Les migrations des Celtes sur le continent peuvent se ramener à trois mouvements principaux qui tous ont le centre de l’Allemagne pour point de départ.

[PREMIÈRE MIGRATION VERS L’OUEST ET EN ESPAGNE] Le premier se dirigea vers la Péninsule Hispanique. Hérodote signale les Celtes au sud du Portugal dès le milieu du Ve siècle av. J.-C. Donc ils avaient pénétré plus tôt en Espagne, et plus anciennement encore ils avaient pris pied dans notre pays. Leur itinéraire sur tout ce parcours se dessine très nettement. La toponymie celtique, au sud des Pyrénées, est circonscrite. Elle se limite au versant océanique. C’est donc au même versant que l’invasion s’est limitée. Elle a passé par les Pyrénées occidentales et par l’ouest de la France. Nous savons d’ailleurs que le bassin du Rhône resta jusqu’au IVe siècle soumis aux Ligures. Les Celtes se répandirent entre l’Atlantique et le Plateau Central. Ils ne s’arrêtèrent pas au sud de la Garonne, ce qui explique la persistance de la nationalité ibérique dans cette région.

[DEUXIÈME MIGRATION. L’INVASION EN ITALIE] La deuxième migration, qui se dessina à la fin du Ve siècle av. J.-C. ou au commencement du Ive, se partagea en deux courants. L’un pénétra en Italie par les Alpes Styriennes[14]. Il se heurta dans le nord de la péninsule à la domination étrusque, dans le même moment où elle était attaquée au centre par les Romains. L’année 395 av. J.-C., où ces derniers entrèrent à Véies, est la même où les Celtes s’emparèrent de la ville de Melpum, une des plus florissantes de l’Étrurie transpadane. Un accord semblait indiqué entre les deux peuples engagés contre le même ennemi. Il fut troublé à la suite d’un malentendu. Cinq ans après la prise de Melpum, en 390, une armée de Celtes Sénons, occupée au siège de Clusium, dans l’Étrurie centrale, se crut provoquée par les Romains. Elle marcha sur Rome, brilla la ville, après avoir remporté la victoire de l’Allia, et campa au pied du Capitole. Cet exploit, le plus fameux parmi ceux qui illustrèrent la valeur celtique, ne fut pourtant qu’un incident sans portée et sans lendemain. Les vainqueurs se retirèrent avec leur butin et, pendant près d’un siècle, les Celtes se tinrent tranquilles dans le domaine qu’ils s’étaient taillé sur les rives du Pô et sur le versant oriental des Apennins, jusqu’au delà du Métaure.

[LA MARCHE VERS L’EST] Dans la région correspondant aux provinces actuelles de Plaisance, de Parme, de Reggio, de Modène, de Bologne étaient installés les Boïens (Boii) qui avaient laissé derrière eux le gros de leur nation. Nous ignorons la résidence primitive des Boïens au delà des Alpes. Mais nous les rencontrons à la fin du ne siècle av. J.-C. dans le quadrilatère montagneux auquel ils ont donné leur nom et qui s’appelle encore aujourd’hui la Bohême. Leur établissement dans ce pays n’est sans doute qu’un épisode du grand mouvement qui, à la même date que le précédent, se propage dans une autre direction, du Nord-Ouest au Sud-Est. L’empire scythique qui avait limité la Celtique au bassin du Haut-Danube n’existait plus. Les Thraces commençaient à rejeter les Scythes vers la mer Noire, et déjà les Illyriens les avaient expulsés de la plaine hongroise. De cette dépouille les Celtes réclamèrent leur part. Nous pouvons les suivre à la piste, par les peuples qu’ils ont semés sur leur route, depuis les montagnes de la Styrie et de la Carniole jusqu’à l’entrée de la péninsule des Balkans.

[L’EMPIRE CELTIQUE AU IVe SIÈCLE] La puissance des Celtes arriva à son apogée dans le courant du IVe siècle av. J.-C. Leur domination s’étendait alors sur les Iles Britanniques, sur la moitié de l’Espagne, sur la France, moins le bassin du Rhône, sur le centre de l’Europe, c’est-à-dire sur l’Allemagne, moins le nord de ce pays et la Suisse, sur l’Italie septentrionale, sur les Alpes Orientales et sur toute la région du Moyen et du Bas-Danube. Les villes de Lugidunum (Liegnitz) dans la Silésie, de Noviodunum (Isakscha) en Roumanie, de Carrodunum en Russie, sur le Bas-Dniester, marquaient à l’Est l’extrême frontière de cet empire colossal. S’il faut en croire une tradition rapportée par Tite Live, il serait l’œuvre d’un seul homme et d’un seul peuple. C’est Ambigat, roi des Bituriges, qui aurait confié à ses deux neveux, Bellovèse et Sigovèse, le commandement des deux expéditions dont l’une aboutit à l’invasion de l’Italie et l’autre à l’extension vers l’Orient.

[TROISIÈME MIGRATION] Le grand fait de la période suivante, c’est-à-dire du IIIe siècle av. J.-C., est l’éveil des Germains. Les nations méditerranéennes n’en ressentent d’abord que les effets indirects, se traduisant par une nouvelle poussée des Celtes. Les Celtes, refoulés hors de leur première patrie, marchèrent en avant, l’épée dans les reins. Leurs progrès dans le Midi ne furent qu’une compensation à leurs pertes dans le Nord.

Des bandes débouchant parles Alpes décidèrent, vers 295 av. J.-C., la reprise des hostilités avec les Romains. Mais de ce côté les Celtes trouvèrent à qui parler. Ils furent plus heureux en Orient et en Occident. C’est dans cette double direction que se porta la troisième de leurs migrations.

[INVASION EN GRÈCE ET EN ASIE MINEURE] Sur tous les points où ils s’étaient trouvés en contact avec les Grecs, ils étaient devenus leurs alliés. Ils avaient eu les mêmes adversaires, en Espagne les Carthaginois, en Italie les Étrusques, dans la péninsule des Balkans les Illyriens. La mort d’Alexandre (323 av. J.-C.) donna un autre cours à leurs ambitions. Dans le monde hellénique en dissolution, la Grèce s’offrait comme une proie. Les incursions commencèrent en 281 par une victoire complète remportée sur le roi de Macédoine Ptolémée Keraunos. En 239 une armée s’abattit sur la Thessalie, força les Thermopyles et assiégea Delphes. De cette expédition célèbre il ne resta que des ruines. Une autre, qui s’y rattache, conduisit à un établissement durable. Une troupe d’aventuriers, détachée du gros de l’armée, s’était répandue dans la partie orientale de la Thrace, où elle avait rejoint d’autres pillards. Le littoral européen une fois épuisé, ils franchirent le Bosphore et se jetèrent sur l’Asie Mineure. Tout en bataillant, tantôt pour leur propre compte, tantôt au service des rois du pays, ils fondèrent, vers 240, au centre de la presqu’île, dans la Haute-Phrygie, un état indépendant, la Galatie, qui subsista jusqu’à la conquête romaine.

Parmi les Celtes d’Asie Mineure étaient les Volcae Tectosages, détachés de la grande nation des Volcae dont César, au milieu du Ier siècle av. J-C., signale encore un débris dans la forêt Hercynienne, entre le Main et le Danube. Les Volsques, dont le nom est devenu dans la langue des Germains celui de toute la race (Walah, Walch, Welsch, cf. l’anglo-saxon Weahl, en anglais Wales) ont pris une part importante à la troisième migration. Nous retrouvons leurs têtes de colonne sur les deux lignes d’invasion, non seulement à l’Est, mais aussi à l’Ouest.

[INVASION DANS LE BASSIN DU RHÔNE] Le bassin du Rhône, qu’Aristote nous représente, au milieu du IVe siècle av. J.-C., comme une terre ligure, tomba sous la domination des Celtes. Annibal, en 218 av. J.-C., ne rencontra dans notre Sud-Est que des chefs de nationalité celtique. Les Volsques avaient ouvert la marche. Ils se partageaient en deux groupes. Les Volsques Tectosages qui élurent Toulouse pour capitale étaient le plus avancé. Ils étaient suivis par les Volsques Arecomici ou maritimes, ainsi appelés à partir de cette époque parce qu’ils occupèrent le long de la côte, entre les Pyrénées et le Rhône, le pays des Élisyces, un peuple ligure sur lequel ils conquirent Narbonne. Vers le même temps la colonie massaliote de Théline échangea son nom grec contre le nom celtique d’Arelate, Arles. Derrière les Volsques se pressaient divers peuples dont le dernier était celui des Helvètes. Lorsque César, en 58 av. J.-C., lui barra la route au sortir du pays qui a gardé son nom, il n’y avait pas très longtemps qu’il y était installé. Tacite rappelle le temps où il séjournait à l’ouest des Boïens, entre le Rhin et le Main. L’invasion cimbrique le jeta, vers 113 av. J.-C., sur la Suisse actuelle. On peut rattacher à ce mouvement le déplacement des Bituriges, dont une fraction, les Bituriges Cubi, resta en arrière dans la vallée du Cher (Berry), tandis qu’une autre, les Bituriges Vivisci, forma, avec les deux peuples placés sous sa dépendance, les Medulli (Médoc) et les Boii ou Boiates (pays de Buch), une enclave celtique en Aquitaine, au sud de la Gironde, avec Burdigala (Bordeaux) pour capitale[15].

[INVASION BELGE] Pendant que ce courant débordait vers le Sud-Ouest, les Belges, au Nord, s’avançaient jusqu’à la ligne de la Seine et de la Marne. Ils formaient une grande famille divisée en plusieurs peuples dont quelques-uns franchirent la Manche vers la fin du ne siècle av. J.-C. Leur établissement dans le Belgium ne se fit pas sans amener la dépossession des peuples congénères, représentant le premier ban de l’invasion celtique. La présence des Séquanes (Sequani) dans le bassin du Doubs est une conséquence de ces perturbations. Il est clair, en effet, par le nom de ce peuple, qu’il avait habité antérieurement sur les bords de la Seine (Sequana).

[DÉCADENCE DES CELTES] Ainsi se trouvèrent clos les mouvements de peuples qui imposèrent à notre pays la domination de la race celtique. Victorieux sur ce point, les Celtes reculaient partout ailleurs. En Espagne ils succombaient sous le retour offensif de Carthage (238-219 av. J.-C.). Puis à la conquête punique succéda la conquête romaine. En Italie, ils étaient battus à Sentinum (295), à Vadimon (283), à Télamon (215). La lutte, ranimée par l’irruption d’Annibal, se termina en 191, douze ans après Zama. Les mêmes années qui virent la ruine définitive des Celtes italiens portèrent le coup mortel à ceux de l’Asie Mineure. La défaite du roi de Syrie Antiochus à Magnésie, en 190, attira sur eux l’armée du consul Manlius. Les journées d’Olympe et de Magaba (189) ne mirent pas fin à leur indépendance, mais dissipèrent leur prestige et les contraignirent au repos. En Grèce, les Celtes n’avaient fait que se montrer. En 135 le préteur Asconius engagea la guerre contre les Scordisques, au delà des Balkans. Elle se poursuivit pendant près de trente ans, mais le résultat final ne pouvait être douteux. Le monde celtique, entamé de toutes parts, se rétrécissait chaque jour davantage. Entre la Germanie naissante et le grand empire qui se développait autour de la Méditerranée, il était comme étouffé. La conquête des Celtes Transalpins ne sera que le dernier acte de cette décadence.

 

IV. - LES PEUPLES DE LA GAULE[16]

[CELTES, GALATES, GAULOIS] Nous nous sommes servis jusqu’à présent du mot Celtes (Κελτός en grec, Celta en latin et en celtique), le seul employé avant la deuxième moitié du III’ siècle av. J.-C. A cette époque, au moment où commence l’invasion de la Péninsule Hellénique, nous voyons apparaître dans la littérature grecque le mot de Galates (Γαλάται). Le mot Gallia, Gaule, supposant le mot Gallus, Gaulois, se montre pour la première fois dans les Origines de Caton, vers 168 av. J.-C. Ces trois mots ne semblent pas avoir une même racine. Ils n’en sont pas moins synonymes en ce sens qu’ils sont souvent pris l’un pour l’autre et s’appliquent indifféremment à la même nationalité. Le mot Galli, propre aux écrivains latins, est réservé par eux plus particulièrement aux Celtes Septentrionaux. Ils distinguaient entre la Gaule cisalpine et la Gaule transalpine, sur le versant oriental et sur le versant occidental des Alpes. Puis, quand l’Italie politique et administrative se fut étendue jusqu’au bassin du Pô inclusivement, il n’y eut plus d’autre Gaule que celle qui était située de l’autre côté des monts, depuis les Pyrénées jusqu’au Rhin. C’est déjà dans cette acception que le mot est pris par César à la première ligne de ses Commentaires.

Le pays que désormais, à son exemple, nous appellerons la Gaule, nous apparaît, quand il entre dans l’histoire, occupé par un très grand nombre de peuples dont il suffira ici d’énumérer les principaux, ceux qui avaient groupé les moindres sous leur domination[17].

[LE SUD-EST] La région du Sud-Est, que les Romains apprirent à connaître vers la fin du IIIe siècle av. J.-C. et qu’ils réduisirent en province aux environs de 121, comprenait les peuples suivants :

Sur la rive droite du Rhône, les Helvii dans le département de l’Ardèche, et, plus au Sud, la grande nation des Volcae, partagée en Volcae Tectosages et Volcae Arecomici, les premiers couvrant les départements des Pyrénées-Orientales, de l’Aude et, sur l’autre versant des Cévennes, celui de la Haute-Garonne, où était leur ville principale, Tolosa (Toulouse) ; les seconds, concentrés autour de la ville de Nemausus (Nîmes), dans les départements du Gard et de l’Hérault. Sur la rive gauche, en arrière du littoral marseillais, les Salluvii, au sud de la Durance, dans les départements du Var et des Bouches-du-Rhône ; au nord de cette rivière, dans le département de Vaucluse, les Cavari ; dans celui de la Drôme, y compris une partie des départements limitrophes, les Vocontii ; dans les départements de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, les Allobroges. Ajoutons quelques peuples moins considérables : le long du Rhône, les Memini (Carpentras), les Tricastini (Saint-Paul-Trois-Châteaux, dans le Tricastin), les Segovellauni (Valence) ; dans les régions alpestres : les Oxybii sur le Var, les Caluriges sur la Haute-Durance, les Centrones dans la Tarentaise et la Maurienne, les Seduni, les Varagri, les Nantuates, les Uberi, dans le Valais.

Le reste de la Gaule, qui fut conquis par César de 58 à 52 av. J.-C. et dont on savait peu de chose auparavant, est divisé par l’auteur des Commentaires en trois masses : les Aquitains au sud de la Garonne, les Celtes proprement dits au sud de la Seine et de la Marne et, au nord de ces deux rivières, les Belges.

[LES AQUITAINS] Il faut mettre à part les Aquitains, qui étaient des Ibères. Cette région comprenait : les Consoranni (le Consérans), les Bigerriones (Bigorre), les Iluronenses (Oléron), les Benarnenses (Béarn), les Tarbelli (Dax), les Tarusates, plus tard Aturenses (Aire sur l’Adour), les Sotiates (Soz), les Elusates (Eauze), les Ausci (Auch), les Vasates (Bazas), les Convenae (le Comminges), connus sous ce nom latin qui veut dire étrangers de provenance diverse, par allusion aux bandes d’aventuriers que Pompée avait établies dans ce canton, en 72 av. J.-C., après la soumission de l’Espagne.

[LES CELTES] Par les Nitiobriges (Agennais), comme par les Volcae Tectosages, les Celtes s’étaient étendus jusqu’à la Garonne. Par les Bituriges Vivisci (Bordelais), flanqués de leurs sujets, les Boii ou Boiates (pays de Buch) et les Medulli (Médoc), ils avaient empiété sur la rive gauche de ce fleuve. Avec ces deux peuples, les Bituriges Vivisci et les Nitiobriges, commençait la vraie Gaule, la Celtique de César, comprenant en outre : les Gabali (Gévaudan), les Vellavi (Velay), les Rutaeni (Rouergue), les Cadurci (Quercy), les Petrucorii (Périgord), les Arverni (Auvergne), les Lemovices (Limousin), les Piciones, plus tard Pictavi (Poitou), les Santones (Saintonge), les Namnetes (Nantes), les Veneti (Vannes), les Osismi (Finistère), les Coriosolites (Côtes-du-Nord, Corseul ?), les Redones (Rennes), les Abrincatui (Avranches), les Unelli (Cotentin), les Baiocasses (Bessin), les Viducasses (Vieux, dans le Calvados), les Parisii (Paris), les Meldi (Meaux), les Senones (Sens), les Aulerci Eburovices (Évreux), les Aulerci Cenomanni (le Maine), les Aulerci Diablintes (Jublains, dans la Mayenne), les Andecavi (Anjou), les Turoni (Touraine), les Carnutes (Chartres), les Bituriges Cubi (Berry), les Tricasses (Troyes), les Catellauni (Châlons-sur-Marne), les Lingones (Langres), les Sequani (Franche-Comté), les Haedui (Bourgogne et Morvan), les Segusiavi (Lyonnais et Forez), les Ambarri (Ambérieux en Bugey), les Helvetii (Suisse occidentale et centrale, entre le Jura et le Rhin).

[LES BELGES] Les peuples suivants étaient compris dans le Belgium ou partie de la Gaule habitée par les Belges : les Leuci (Toul), les Remi (Reims), les Silvanectes (Senlis), les Suessiones (Soissons), les Bellovaci (Beauvais), les Viromandui (Vermandois), les Atrebates (Arras), les Ambiani (Amiens), les Morini (Boulonnais), les Caleti (pays de Caux), les Veliocasses (Vexin), les Menapii (Flandre jusqu’au Rhin), les Nervii (Hainaut et Brabant), les Eburones et les Aduatici (pays de Namur, de Liège et de Maëstricht), les Treveri (Trèves), les Mediomatrici (Metz).

Tous ces peuples, si l’on excepte les Aquitains, étaient celtes ou gaulois, c’est-à-dire portaient des noms appartenant à la langue celtique[18]. Mais ces noms étaient ceux des conquérants, imposés par eux aux populations sujettes. Ces dernières offraient déjà antérieurement à la conquête un mélange ethnique extrêmement complexe. Depuis des siècles les Ibères et les Ligures s’étaient superposés, sur notre sol, aux tribus anonymes des temps néolithiques et paléolithiques. Les Gaulois représentent donc dans la formation de notre nationalité un élément relativement moderne, et la question serait de savoir dans quelle mesure leur arrivée a modifié le fonds préexistant.

[DE LA PROPORTION DES GAULOIS] Le problème n’est pas de ceux qui promettent une solution satisfaisante. On a supposé[19] que la population soumise avait été tout  entière réduite en servitude tandis que les envahisseurs formaient à eux seuls cette noblesse politique et militaire dont parle César. Dans ce cas l’apport fourni par la conquête aurait été très peu de chose. Nous voyons en effet par le récit de la guerre des Gaules que cette noblesse, abstraction faite de la région du Sud-Est qui obéissait dés lors aux Romains, ne pouvait pas mettre sous les armes plus de quinze mille cavaliers, vingt ou vingt-cinq mille au maximum, si l’on veut tenir compte des pertes subies depuis l’ouverture des hostilités, et l’on sait qu’elle ne servait qu’à cheval. Mais les invasions n’aboutissent pas d’ordinaire à des divisions aussi tranchées. L’histoire nous apprend au contraire qu’elles comportent plus d’une transaction entre les vainqueurs et les vaincus.

[TYPE PHYSIQUE ET CROISEMENTS] Il est certain que les vainqueurs étaient les moins nombreux, et de beaucoup. Il suffirait, pour s’en convaincre, de comparer leur habitat primitif avec l’immensité des territoires soumis par leurs armes. Mais voici un autre fait. Les Celtes nous sont représentés généralement avec les traits caractéristiques des races septentrionales : la haute stature, le teint blanc, les cheveux blonds. Ce type n’est pas celui des Français du Midi et du Centre. Il en résulte qu’une fusion s’est accomplie, sous l’influence de croisements répétés, entre les indigènes et les nouveaux venus, et cela au détriment de ces derniers, parce qu’ils formaient une minorité. Le même type est, il est vrai, un peu plus répandu dans le Nord, ce qui peut tenir à deux raisons, d’abord à la prépondérance de l’élément celtique introduit dans cette zone par une double série d’invasions, au IIIe siècle av. J.-C., et bien antérieurement, et rendu en conséquence plus puissant et plus compact, en second lieu à l’infiltration germanique, qui n’a pas attendu, pour se produire, la fin de l’Empire romain. Les Aduatiques, que nous venons de compter parmi les peuples de la Gaule, descendaient, d’après César, d’un détachement des Cimbres et des Teutons commis dans le Belgium à la garde des bagages, pendant que le gros de l’armée marchait sur l’Italie[20]. Or les Cimbres et les Teutons étaient des Germains. César attribue encore une origine germanique aux Éburons et à plusieurs petits peuples échelonnés dans la vallée de la Meuse, les Condrusi, les Segni, les Caeroesi, les Paemani[21].

[DIVERSITÉS ET CONTRASTES] Un pays dont l’histoire déjà longue avait connu tant de vicissitudes et de dominations diverses ne pouvait manquer de présenter bien des contrastes. Les langues anciennes subsistaient, pour combien de temps, nous l’ignorons, à côté de l’idiome nouveau apporté par les derniers maîtres du sol. L’ibère se parlait entre la Garonne et les Pyrénées, et peut-être ailleurs. On a trouvé dans le midi de la France des inscriptions qui sont vraisemblablement ligures[22]. Les Celtes, de leur côté, dispersés sur cette vaste étendue et arrivés par bans successifs, différaient beaucoup les uns des autres par les institutions, les mœurs, les variétés dialectales[23]. Malheureusement les historiens qui relèvent ces différences ne prennent pas la peine d’y insister, si bien que, en réalité, elles nous échappent. En retraçant le tableau de la Gaule avant la conquête romaine, nous ne pourrons donc faire autrement que de les négliger pour nous en tenir le plus souvent aux traits généraux.

 

 

 



[1] SOURCES. Les textes sont très dispersés. On les trouvera cités en même temps que discutés par d’Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de l’Europe, 2e édit., 1889-1894. Ils sont pour la plupart empruntés aux historiens et aux géographes grecs.

OUVRAGES À CONSULTER. Desjardins, Géographie de la Gaule, II. D’Arbois de Jubainville, Ouvr. cité. Müllenhoff, Deutsche Alterthumskunde, III, 1892. Hirschfeld, Aquitanien in der Römerzeit, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1896. Rice Holmes, Caesar’s Conquest of Gaul, 1899. Mehlis, Die Ligurerfrage, Archiv für Anthropologie, 1899. La parenté des Basques et des Ibères a été affirmée par G. de Humboldt, Präfung der Untersachungen über die Urbewohner Hispaniens vermittelst der baskischen Sprache, 1821. Sa théorie a été reprise par Luchaire, Les origines linguistiques de l’Aquitaine, 1897.

[2] Voir § 2.

[3] Il nous est parvenu par la compilation poétique de l’Ora maritima, rédigée au IVe siècle ap. J.-C. par Festus Avienus. Le périple grec dont s’inspire cette description doit remonter au Ve siècle av. J.-C. On a des raisons de croire qu’il a été rédigé par un Marseillais et qu’il procède lui-même d’un périple carthaginois.

[4] D’Arbois de Jubainville, Comptes rendus de l’Acad. des Inscriptions, 18 juin 1897. Si cela est vrai, le ligure serait étroitement apparenté aux longues italiotes. Bréal, Lettre à M. Alexandre Bertrand sur le mot gaulois bratoude, Revue archéologique, 1897.

[5] Schrader, Sprachvergleichung und Urgeschichte, 1890, p. 512 et suiv.

[6] Desjardins, Géographie de la Gaule, II. Müllenhoff, Deutsche Alterthumskunde, I, 1870. Bérard, La Méditerranée phénicienne, Annales de géographie, 1895 et 1896.

[7] SOURCES. Les textes les plus développés sont ceux de Justin (XLIII, 3-5) et de Strabon, IV, 1. Pour les textes relatifs à la fondation, Hermann, Griechische Slaatsalterthümer, 1875, § 78, n° 28.

OUVRAGES À CONSULTER. Herzog, Galliae Narbonensis historia, 1864. Desjardins, II, p. 140 et suiv. Müllenhoff, I, p. a11 et suiv. Hirschfeld, Gallische Studien, Sitzungsberichte de l’Académie de Vienne, I, 1883. Castanier, Origines historiques de Marseille et de la Provence, 1896. Clerc, Le développement topographique de Marseille depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Extrait de l’ouvrage, Études sur Marseille et la Provence, publié par la Société de géographie à l’occasion du Congrès de géographie tenu à Marseille en 1888. L. de la Saussaye, Numismatique de la Gaule Narbonnaise, 1842. S. Reinach, Statues archaïques de Cybèle, Bulletin de Correspondance hellénique, 1889. Clerc, Massalia, Histoire de Marseille dans l’antiquité. (Annoncé pour 1900 au moment où nous imprimons ce volume.)

[8] On a découvert, en 1845, à Marseille, une longue inscription phénicienne donnant le tarif des redevances dues aux prêtres de Baal pour les sacrifices offerts à ce dieu (Corpus inscriptionum semiticarum, I, n° 165). On s’est appuyé là-dessus pour imaginer une fondation phénicienne antérieure à la fondation phocéenne. Le nom de Massalia, qui ne s’explique point par le grec, se prêterait à cette hypothèse. Mais l’analyse géologique a démontré que la pierre avait été extraite des carrières tunisiennes. D’autre part, il semble résulter de l’examen des caractères que l’inscription n’est pas antérieure au Ve ou même au IVe siècle av. J.-C. Renan suppose que le monument a été apporté à Marseille par une circonstance fortuite. Il se pourrait aussi qu’il attestât l’existence d’une colonie carthaginoise dans la ville hellénique. Tout récemment, en I897, on a découvert à Avignon une deuxième inscription phénicienne, beaucoup plus courte. La provenance locale de ce monument n’est pas mieux assurée. (Clerc, Note sur l’inscription phénicienne d’Avignon. Comptes rendus de l’Acad. des Inscriptions, 10 juin 1898.)

[9] Nous ne dirons rien des tables de bronze récemment découvertes à Coligny (Ain) et dans lesquelles on a cru voir un calendrier gaulois conforme au cycle de Méton et transcrit du grec. S’il en était ainsi, l’influence grecque, pénétrant par le Sud ou par la voie du Danube, aurait été plus profonde qu’on ne pensait. Mais le caractère de ce curieux monument est encore mal établi. Pour la bibliographie, voir Jullian, Revue historique, I, 1899, p. 329-830.

[10] Sur ce fait, voir livre II, chap. I, § 1.

[11] SOURCES. Voir § 1. Même observation.

OUVRAGES À CONSULTER. Zeuss, Die Deutschen und die Nachbaralämme, 1837. Desjardins, Géographie de la Gaule, II. Mallenhoff, Deutsche Alterthumskunde, II, 1892. D’Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de l’Europe, II, 1894. L’empire celtique au IVe siècle avant notre ère, Revue historique, 1886. Bertrand, Les Celtes dans la vallée du Pô et du Danube, 1895. Sur les langues celtiques l’ouvrage capital est celui de Zeuss, Grammatica celtica. Nouvelle édition, 1871.

[12] Pour plus de détails sur cette nomenclature physique et politique, ainsi que sur le vocabulaire celto-germanique, voir d’Arbois de Jubainville, ouvr. cité.

[13] S. Reinach, L’étain celtique, L’Anthropologie, 1892.

[14] La version de Tite-Live au sujet de l’invasion des Celtes en Italie (V, 34-35) contient une double erreur, touchant la date et touchant le point de départ de cette expédition. Suivant Tite Live le mouvement serait parti du pays des Bituriges, dans la vallée du Cher. Cette version s’est formée à l’époque où les Celtes avaient évacué l’Allemagne et s’étaient concentrés dans notre pays. Voir d’Arbois de Jubainville, L’empire celtique au VIe siècle. S. Reinach, Le récit de Tite-Live sur la migration gauloise, p. 206-212 de l’ouvrage de Bertrand, Les Celtes dans la vallée du Pô et du Danube. Hirschfeld, Timagenes und die gallische Wandersage, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1894.

[15] Hirschfeld, Aquitanien in der Römerzeit, Sitzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1896.

[16] SOURCES. César, Guerre des Gaules. Strabon, IV, 1-8. Pline, Histoire naturelle, III, 31-38, IV, 105-110. Ammien Marcellin, XV, 11.

OUVRAGES À CONSULTER. Desjardins, Géographie de la Gaule, II. Longnon, Atlas historique de la France, 1re livraison, 1884. Sur les mots Celtes, Galates, Gaulois, d’Arbois de Jubainville, Les premiers habitants de l’Europe, II, p. 393 et suiv. Bertrand (Archéologie gauloise et celtique) soutient à tort qu’il faut distinguer entre les Celtes et les Gaulois.

[17] Pour les peuples de moindre importance, consulter Desjardins. Les territoires des peuples énumérés ne peuvent pas être délimités avec une exactitude rigoureuse. Nous essayons d’en donner une idée approximative en mentionnant les villes qui, alors ou plus tard, leur ont servi de centre, ou en indiquant les divisions modernes auxquelles lis correspondent plus ou moins complètement.

[18] On peut le démontrer pour presque tous. Voir Holder, Alt-celtischer Sprachschatz (en publication depuis 1896), et les étymologies de M. Ernault dans le lexique de l’édition des Commentaires de César par Benoist et Dosson (Hachette).

[19] D’Arbois de Jubainville, ouvr. cité, p. 4-9.

[20] Guerre des Gaules, II, 29.

[21] Ibid., II, 4 ; VI, 32. Il faut avouer pourtant que ces renseignements sont sujets à caution. Le nom des Condrusi, celui des Eburons est celtique. De même le nom de Catuvolcus, d’Ambiorix qui sont rois chez ces derniers. Il se pourrait que César eût confondu l’origine géographique et l’origine ethnographique, en prenant pour des Germains ceux des Belges qui étaient connus pour avoir le plus récemment franchi le Rhin. Peut-être aussi ces peuples étaient-ils mixtes. On verra les Triboques et les Némètes, dont les noms sont également celtiques, combattre sous le chef suève Arioviste. Livre II, chap. II, § 2.

[22] Chap. II, § 1.

[23] César, Guerre des Gaules, I, 1. Strabon, IV, 1, 1.