HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE QUINZIÈME

 

CHAPITRE IV. — MYSTÈRES DU TEMPLE

 

 

Doute historique. — Les faux Dauphins. — Simon et sa femme. — Leur déménagement de la prison du Temple ; histoire du cheval de carton. — La femme Simon aux Incurables (femmes) ; faits étranges racontés par elle. — Changements singuliers dans le régime intérieur du Temple, après le départ de Simon. — Précautions pour empêcher l'enfant d'être vu. — Laurent, nommé gardien. — Visite de Barras au Temple. — Gomin donné pour assistant à Laurent. — Affirmations contradictoires de Gomin. — Inhumanité du gouvernement thermidorien ; paroles odieuses prononcées par Mathieu. — L'enfant laissé seul ; histoire fermée. — Motion de Lequinio. — Rapport de Cambacérès ; paroles de Cambacérès paraissant se rapporter à la possession d'un grand secret. — Mot horrible de Brival. — Visite faite à l'enfant du Temple par Harmand (de la Meuse), Mathieu et Reverchon ; l'enfant muet. — Gomin et Lasne, faux témoins. — La visite d'Harmand sans résultat. — Harmand envoyé aux Grandes Indes. — Hue demande la faveur de soigner l'enfant malade ; refus. — Desault, nommé médecin de l'enfant. — Mort subite de Desault ; documents curieux sur les causes de cet événement. — Mensonge officiel, au sujet de la mort de Desault. — Mort subite du pharmacien Choppart ; étranges coïncidences. — Le docteur Pelletan et le docteur Dumangin. — Paroles faussement attribuées à l'enfant ; détails fantastiques sur ses derniers moments. — Manière dérisoire de constater l'identité ; le corps vu dans le demi-jour. — Déclaration singulière contenue dans le procès-verbal d'ouverture du corps. — Irrégularité de l'acte de décès. — Rapport de Sevestre. — Bruits d'empoisonnement. — Bruits d'évasion et de substitution. — Enfant arrêté comme étant le Dauphin évadé. — Destinée mystérieuse. — Conduite extraordinaire des successeurs de Louis XVII à l'égard de ses restes et de sa mémoire. — Enseignement.

 

L'enfant qui mourut dans la tour du Temple, le 20 prairial, an III (8 juin 1795) était-il le dauphin, fils de Louis XVI, ou bien un enfant substitué ?

S'il en faut croire une brochure de M. Labreli de Fontaine, ancien bibliothécaire de feu la duchesse douairière d'Orléans, les souverains alliés, en 1814, avaient de tels doutes sur la mort du fils de Louis XVI, qu'ils les auraient consignés dans le traité secret de Paris. Suivant l'auteur, il était dit, dans l'article Ier de ce traité, que les Hautes parties contractantes donnaient ostensiblement le titre de roi à Louis-Stanislas-Xavier, comte de Provence, parce qu'ainsi le voulait l'état de l'Europe, mais que, pendant deux années, ils le considéreraient seulement comme régent du royaume dans leurs transactions secrètes, se réservant de faire, durant l'intervalle, toutes les recherches de nature à amener la découverte de la vérité[1].

Une chose est, en tous cas, certaine : c'est que la mort du fils de Louis XVI au Temple a été, pendant longtemps, regardée en Europe comme un point à éclaircir. Brémond, ancien secrétaire intime de Louis XVI, lorsqu'il fut interrogé à cet égard par le tribunal de Vevey, s'exprima en ces termes :

Nos travaux — pour le rétablissement de l'orphelin du Temple sur le trône — avaient cessé depuis quelques mois, à cause de la prétendue mort du Dauphin au Temple, quand un jour Son Excellence M. l'avoyer de Steiger me fit appeler pour me dire qu'il avait été informé par des courriers expédiés à Vérone par des généraux vendéens, que le jeune prince n'était pas mort au Temple, mais qu'on l'avait, au contraire, sauvé de prison. Environ trois mois après cette nouvelle, M. de Steiger me la confirma, en m'assurant qu'il venait de recevoir des renseignements très-certains sur l'évasion du royal orphelin[2].

 

Que cette évasion ait été, pour un grand nombre de royalistes, une espèce d'article de foi, rien ne le prouve mieux que Je succès prodigieux qui, au commencement de ce siècle, couronna les efforts de Jean-Marie Hervagault. Cet homme, fils d'un tailleur de Saint-Lô, ne se fut pas plutôt donné pour le fils de Louis XVI, qu'il vit se grouper autour de lui des milliers de partisans. Kotzebue nous a conservé le souvenir de la sensation que produisit à Vitry-le-François la présence d'Hervagault : ce fut du délire. Logé splendidement dans la maison de madame de Rambecour, dont le mari se fit gloire de lui servir de valet, l'audacieux aventurier eut bientôt à ses pieds une cour idolâtre. Ce n'étaient que bals, concerts et fêtes en son honneur. Quiconque lui parlait était tenu de l'appeler mon prince. Son portrait était dans toutes les mains, son éloge dans toutes les bouches. Les personnages les plus considérables par leur richesse ou leur naissance s'estimaient heureux de pouvoir remplir auprès de lui les plus vils emplois. On assurait que, pour être certain de le reconnaître, le pape avait imprimé sur la jambe de ce Dauphin retrouvé une marque particulière et distinctive. Fouché, apprenant qu'Hervagault poussait les choses jusqu'à distribuer des dignités, nommer à des fonctions, en un mot composer une cour, le fit arrêter ; mais cela même redoubla l'enthousiasme qu'il inspirait.

Le premier soir de son emprisonnement, une fête magnifique lui fut donnée dans sa prison. Pour ses fidèles, il était resté Monseigneur. Sa signature, qu'il traçait par la main d'un secrétaire, était Louis-Charles : la signature de l'enfant royal ! Quand il allait à la messe, un laquais portait respectueusement derrière lui son livre de prières et un coussin. Que dire encore ? L'empressement de la foule à lui rendre hommage fut tel, que le maire de la ville dut interdire l'accès de la prison[3].

Non moins surprenant que le succès d'Hervagault, fut le nombre de ses successeurs : Mathurin Bruneau, Naündorff, Richemont, Eléazar Williams — ce dernier, missionnaire chez les Indiens du Nord de l'Amérique. Et, ce qu'il y a de remarquable, c'est que chacun de ces prétendants, poussés à diverses périodes sur le devant de la scène, y a paru avec son cortège de fidèles. Mathurin Bruneau n'eut-il pas l'honneur de fournir le sujet d'une grande mise en scène, sous la Restauration ? Et l'honneur, plus grand encore, d'être l'objet de tentatives réitérées d'assassinat ne fut-il pas le lot de Naundorff, reconnu pour être bien le fils de Louis XVI, par M. Marco de Saint-Hilaire, huissier de la chambre de ce monarque, et par madame de Rambaud, nourrice du Dauphin depuis sa naissance jusqu'à son emprisonnement au Temple[4] ?

Le nombre des faux Dauphins, leur assurance, leur audace, et le succès momentané que les tentatives de quelques-uns d'entre eux eurent auprès de personnes graves et marquantes, loin de ruiner l'hypothèse d'une substitution, semblent, au contraire, attester la force des apparences qui l'étayent. Il n'y aurait pas eu tant de faux Dauphins, si l'impossibilité de rencontrer le véritable eût été démontrée d'avance.

La vérité est que les circonstances mystérieuses qui précédèrent la mort du fils de Louis XVI, les souvenirs étranges qu'elle réveille, le caractère contradictoire des témoignages qui s'y rapportent, les doutes qu'elle fit naître à l'époque même où elle arriva, les mensonges officiels et publics auxquels elle donna lieu, l'obscurité qui couvre le fait de l'enterrement, et enfin l'indifférence extraordinaire que montrèrent pour la mémoire d'un jeune prince, mort roi selon les principes monarchiques, ses parents et successeurs, tout contribue à mettre l'événement dont il s'agit au rang des problèmes historiques[5].

Le récit qu'on va lire ne résout certes pas la question, mais il en exposera du moins les divers éléments.

Nous avons raconté déjà, dans un des précédents volumes de cet ouvrage, comment le fils de Louis XVI fut enfermé au Temple avec sa famille ; comment on le sépara de sa mère, et ce qu'il eut à souffrir de la part de l'homme brutal et barbare qu'on lui donna pour gardien.

En 1794, Simon se trouvait âgé de cinquante-huit ans. La dureté de son visage répondait à celle de son cœur. Établi comme cordonnier dans la rue qui est aujourd'hui celle de l'École-de-Médecine, il s'était fait remarquer par son assiduité aux séances du club des Cordeliers, qui touchait à sa boutique, et son exaltation révolutionnaire l'avait signalé au choix de la Commune. C'est une grande honte pour la Révolution, d'avoir souffert que le sort d'un enfant — qu'elle n'avait d'ailleurs nul droit de retenir prisonnier — ait été confié à de pareilles mains. Ou la raison d'État est un mot vide de sens, ou ce mot est employé pour couvrir une injustice. Il ne faut pas se lasser de le dire : Raison d'État, crime d'État !

Marie-Jeanne Aladame, femme de Simon, avait, comme son mari, un extérieur repoussant et des façons grossières ; mais elle appartenait, après tout, à un sexe qu'il est facile d'émouvoir : une femme est bien vite désarmée par un enfant.

Les fonctions de Simon finirent, au commencement de 1794. A cette époque, forcé d'opter entre la charge de gardien et celle de municipal, il préféra la seconde[6].

Ici commence le mystère.

Le 19 janvier, écrit la fille de Louis XVI, nous entendîmes chez mon frère un grand bruit qui nous fit conjecturer qu'il s'en allait du Temple, et nous en fûmes convaincues quand, regardant par le trou de la serrure, nous vîmes emporter les paquets. Les jours d'après, nous entendîmes ouvrir la porte et marcher dans la chambre, et nous restâmes toujours persuadées qu'il était parti[7].

 

Que s'était-il passé ?

Quelques-uns ont prétendu :

Que le 19 janvier 1794, jour du déménagement de Simon et de sa femme, un enfant muet fut substitué, dans la tour du Temple, au fils de Louis XVI ;

Que cet enlèvement eut lieu par les soins de MM. de Frotté et Ojardias, émissaires du prince de Condé, qui avaient gagné Simon ;

Que, quant au fils de Louis XVI, il fut conduit en Vendée, y séjourna incognito, se rendit à l'armée de Condé, après la publication officielle de sa prétendue mort, et fut, dans les dernières années de 1796, confié par le prince de Condé à Kléber, qui le fit passer pour un orphelin, fils d'une de ses parentes, et le garda auprès de lui comme aide de camp[8].

Telle est la version que les partisans de Richemont, un des soi-disant Dauphins, ont présentée, en l'appuyant de nombreux certificats dont ils affirment l'authenticité[9].

Mais des certificats peuvent être parfaitement authentiques, sans être pour cela bien concluants. Or, parmi les témoignages dont il s'agit ici, il en est qui ont pour objet de prouver l'évasion et la substitution : ceux-là nous ont paru valoir qu'on ne les écartât pas avec dédain ; et il en est d'autres par lesquels on prétend établir que Richemont était bien réellement le fils de Louis XVI, enlevé de la prison du Temple : ceux-là nous ont paru constituer un pur roman[10].

Nous n'avons donc à tenir compte que des premiers, les seuls, du reste, qui se puissent rattacher à la nature et au cadre de cet ouvrage.

La veuve de Simon passa les derniers temps de sa vie aux Incurables (femmes), rue de Sèvres, à Paris, où elle mourut le 10 juin 1819[11]. Or, les sœurs de l'hospice ont déclaré avoir toujours entendu dire à la veuve Simon que le Dauphin n'était pas mort au Temple ; qu'il en avait été enlevé ; qu'elle et son mari avaient contribué à l'évasion, et que le moment choisi pour cette évasion avait été celui de leur déménagement. D'après le dire de la veuve Simon, l'on aurait amené dans une voiture plusieurs meubles, une manne d'osier à double fond, et, dans cette manne, entre autres joujoux destinés au jeune prince, un cheval de carton. De ce cheval de carton, l'on aurait tiré l'enfant qui devait être substitué au prisonnier, et l'on aurait mis celui-ci dans la voiture sous un tas de linge appartenant à la femme de Simon. A la sortie du Temple, les gardiens auraient fait mine de visiter la voiture, mais la femme de Simon, qu'on avait alors toutes sortes de motifs pour ne point soupçonner, aurait feint beaucoup d'emportement, se serait écriée que c'était son linge sale, et on l'aurait laissé passer[12].

A l'époque où elle racontait ces choses, la veuve Simon était en pleine possession de toutes ses facultés[13]. De plus, elle avait intérêt à ne pas encourir par des mensonges de ce genre l'animadversion de la famille royale. Toutefois, l'on doit reconnaître que le langage de la femme de Simon, aux Incurables, serait loin d'être, à lui seul, une preuve, parce qu'en parlant de la sorte, elle pouvait céder au désir de se disculper du reproche d'avoir maltraité un enfant, à l'envie de se donner de l'importance, et à la tentation d'étonner autrui par un récit merveilleux, par la révélation d'un secret d'État. Il est donc nécessaire de chercher quel lien existe entre son témoignage et l'enchaînement des faits ; d'autant qu'il est naturel de se demander pourquoi, dans l'hypothèse d'un enlèvement favorisé par Simon, ce dernier, gagné à prix d'or, ne chercha pas à fuir, au lieu d'attendre à Paris un dénouement redoutable.

La première singularité qui se présente est celle-ci : jusqu'au jour du déménagement de Simon, l'enfant avait eu un gardien spécial : tout à coup, et sans que rien semblât nécessiter ce changement, le gardien spécial fut supprimé, et l'enfant abandonné, pendant six mois, à la surveillance mobile de commissaires qu'on renouvelait tous les jours, comme si l'on eût voulu empêcher l'attention de se fixer sur le prisonnier[14].

On fit mieux : on le relégua seul au fond d'une pièce obscure[15], et il dut recevoir ses aliments au moyen d'une espèce de tour, sans être vu et sans voir[16]. M. de Beauchesne lui-même raconte, sans paraître se douter de la conclusion qu'on pourrait tirer de circonstances aussi étranges, qu'après le départ de Simon, le logement du prisonnier fut restreint à une pièce ; que l'enfant fut relégué dans la chambre du fond ; que la porte de communication entre l'antichambre et cette pièce était coupée à hauteur d'appui, scellée à clous et à vis, et grillée du haut en bas avec des barreaux de fer ; que la lumière fut écartée ; que la chambre était chauffée seulement par le tuyau d'un poêle placé dans la première pièce, et éclairée seulement par la lueur d'un réverbère suspendu vis-à-vis des barreaux ; enfin, que les grilles et abat-jour étaient devenus, de la part du Conseil, l'objet d'une sollicitude incessante[17].

Précautions incompréhensibles, à moins que leur but n'ait été d'empêcher l'enfant d'être vu !

Ajoutez à cela qu'après le départ de Simon, le prisonnier fut condamné à la solitude[18]. Il y eut défense de le laisser se promener au jardin ou sur la plate-forme de la tour ; défense de le laisser communiquer avec sa sœur Marie-Thérèse ; défense de permettre même qu'ils se rencontrassent[19]. Mathieu signifia cette prohibition de la manière la plus formelle[20]. Tout semblait dénoncer, de la part du gouvernement, la résolution bien arrêtée de soustraire l'enfant à la vue de ceux qui connaissaient le Dauphin !

Le 11 thermidor an II (29 juillet 1794)[21], un nommé Laurent fut nommé seul gardien du Temple. La grande crise politique, dont le souvenir se rattache à cette date, venait de s'accomplir ; Barras figurait au premier rang des vainqueurs : ce fut lui qui désigna Laurent — une de ses créatures[22].

Dans le procès auquel donna lieu, en 1851, la réclamation des héritiers de Naündorff, leur avocat, M. Jules Favre produisit trois lettres de Laurent à Barras, constatant toutes les trois le fait de la substitution d'un enfant muet au fils de Louis XVI[23]. Ces lettres, assurait-on, avaient été déposées, en 1810, entre les mains de M. Lecoq, conseiller de justice à Berlin. Si les originaux avaient été montrés, cela suffirait pour trancher la question ; mais, comme on ne montra que des copies, dont l'authenticité pouvait être mise en doute, cette circonstance doit être écartée[24].

Toutefois, il est à remarquer que Laurent, qui, selon le témoignage de la fille de Louis XVI, la traita toujours avec respect[25], n'eut pas, à beaucoup près, les mêmes égards pour le prisonnier. Il est bien vrai qu'elle dit, en parlant de son frère ou de celui qu'elle croyait tel : Laurent lui fit prendre des bains et lui ôta la vermine dont il était couvert. Mais la fille de Louis XVI rend compte, ici, de choses qu'elle ne vit pas et qu'elle n'a pu savoir que par ouï-dire.

Or, ce qui lui fut dit à cet égard est réfuté de la manière suivante dans l'interrogatoire que subit, en 1834, devant les tribunaux, Lasne, un des successeurs de Laurent :

LE PRÉSIDENT : A quelle époque avez-vous été préposé à la garde du Dauphin ?

LASNE : En fructidor, an III.

LE PRÉSIDENT : Était-il malade quand vous êtes arrivé ?

LASNE : Depuis deux mois. Un nommé Laurent avait gardé le prince, et, sans pourtant le frapper, il le négligeait, le laissait sans soins et dans un état de saleté extraordinaire[26].

 

Quoi qu'il en soit, le 13 thermidor an II (31 juillet 1794), plusieurs membres du Comité de sûreté générale ayant visité l'enfant, le trouvèrent immobile, le dos voûté, les bras, les jambes et les cuisses singulièrement allongées aux dépens du buste. Les souffrances de la prison avaient-elles changé à ce point le prisonnier, qu'il en fût venu à différer de ce qu'avait été le Dauphin, même sous le rapport de la conformation physique ? Sous d'autres rapports, le changement était plus extraordinaire encore : l'enfant que les députés du Comité de sûreté générale visitèrent, le 13 thermidor, ne parlait pas. M. de Beauchesne s'exprime en ces termes, touchant la visite dont il s'agit : Ils l'appelèrent, il ne répondit pas ; ils ordonnèrent d'ouvrir la chambre : un des ouvriers attaqua si vigoureusement les barreaux du guichet, qu'il put bientôt y introduire la tête, et, apercevant le malheureux enfant, il lui demanda pourquoi il n'avait pas répondu ; l'enfant garda le silence... Cent questions lui furent faites, il ne répondit à aucunes[27].

A la vérité, l'auteur finit par lui mettre dans la bouche ce mot touchant : Je veux mourir[28]. Mais quelles sont ses autorités pour affirmer que cette parole fut prononcée ? Il ne les cite pas, et c'eût été nécessaire. On verra plus loin combien peu dignes de foi, ou, plutôt, combien misérables sont les témoignages sur lesquels M. de Beauchesne s'appuie, en attribuant au prisonnier certains mots semblables à celui qui vient d'être cité ; mais ces témoignages, quelque vains qu'ils soient, il ne peut pas même les invoquer ici, puisque Gomin et Lasne, ses deux grandes autorités, n'étaient pas encore au Temple, à cette époque.

Il existe, toutefois, un récit que M. de Beauchesne semble avoir ignoré, et qui dément, s'il est exact, l'hypothèse du mutisme : c'est celui de la visite de Barras au Temple, après le 9 thermidor. S'il faut ajouter foi aux Mémoires de Lombard, Barras ayant trouvé l'enfant sur une espèce de berceau où il avait de la peine à s'étendre, lui aurait demandé pourquoi il ne préférait pas son lit, à quoi l'enfant aurait répondu qu'il souffrait moins sur cette couchette. L'auteur ajoute que le petit prisonnier avait pour vêtement un gilet et un pantalon de drap gris. Le pantalon paraissant être trop étroit, Barras le fit fendre des deux côtés, et s'aperçut que les jambes étaient prodigieusement gonflées. Il recommanda qu'on fît venir un médecin, gronda le commissaire et le garçon de service sur la malpropreté où ils laissaient l'enfant, et se retira[29].

Le 19 brumaire (9 novembre 1794), un assistant fut donné à Laurent dans la personne d'un tapissier nommé Gomin[30].

Selon M. de Beauchesne, écrivant cette fois d'après les communications personnellement à lui faites par Gomin lui-même, le nouveau gardien ne fut pas plutôt entré au Temple, que Laurent lui demanda s'il avait vu autrefois le prince. Je ne l'ai jamais vu, répondit Gomin ; sur quoi, Laurent dit : En ce cas, il se passera du temps, avant qu'il vous dise une parole[31].

A qui croire de Gomin racontant cela à M. de Beauchesne, ou de Gomin faisant devant la justice la déclaration suivante :

Antérieurement à la détention, je l'avais vu plusieurs fois (le Dauphin) et de très-près, étant, à cette époque, commandant d'un bataillon de la garde nationale de Paris, dans le jardin dit du Prince, aux Tuileries, où il avait l'habitude de jouer, accompagné de sa gouvernante, madame de Tourzel ?[32]

 

Il importe de remarquer que, de ces deux affirmations contradictoires, la seconde est la seule que Gomin fût intéressé à faire, attendu qu'il était attaché au service de la duchesse d'Angoulême, qui l'avait fait nommer concierge du château de Meudon en 1814, et de laquelle il recevait une pension[33] ; or, que la duchesse d'Angoulême ait toujours montré une répugnance extrême, soit à admettre, soit à permettre qu'on accréditât l'idée que son frère n'était pas mort au Temple, c'est là un fait certain, de quelque manière qu'on l'explique[34].

Mais si, comme il l'affirma en présence de Laurent, Gomin n'avait jamais vu le Dauphin, quelle valeur attacher à tout ce qu'il a pu dire, depuis, sur l'identité du Dauphin et de l'enfant qui mourut au Temple ?

Quant à la réplique de Laurent, telle que les communications de Gomin à M. de Beauchesne la constatent, elle serait incompréhensible, s'il ne fallait pas l'interpréter comme l'attestation par Laurent lui-même de cette circonstance singulière que l'enfant ne parlait pas. Car le fait que Gomin n'avait jamais vu le Dauphin ne pouvait être une raison pour que le prisonnier s'abstînt pendant longtemps de lui parler. Le dialogue rappelé doit donc, pour avoir un sens, être complété et traduit de cette manière : Laurent : Avez-vous vu autrefois le prince royal ? — Gomin : Je ne l'ai jamais vu — Laurent, d'un ton ironique : En ce cas, ce n'est pas de lui que vous apprendrez qui il est : il se passera du temps avant qu'il vous dise une parole !

Cependant, à mesure que la réaction se développait, les royalistes cherchaient de plus en plus à diriger vers le Temple les préoccupations du public. Peu de temps après la nomination de Gomin, le Courrier universel, journal rédigé par Nicolle et Poujade, publia un article où il était dit que le Comité de sûreté générale, persuadé que, pour être fils de roi, on ne devait pas être dégradé au-dessous de l'humanité, venait de nommer trois commissaires, hommes probes et éclairés, pour remplacer le défunt Simon. De ces trois commissaires, suivant le même article, deux étaient chargés de l'éducation de l'orphelin, et le troisième avait mission de veiller à ce qu'il ne manquât point du nécessaire comme par le passé[35].

Ces éloges de la feuille royaliste émurent le Comité de sûreté générale d'un vif sentiment de colère. Qu'il sût ou non la vérité sur l'identité de l'enfant du Temple, il regarda comme une insulte l'hommage rendu à ses sentiments supposés d'humanité, et Mathieu s'empressa d'aller démentir, du haut de la tribune, le récit calomnieux[36] du Courrier universel. Il exposa qu'un gardien ayant paru insuffisant, le Comité en avait nommé deux, et que si chaque jour un des comités civils des quarante-huit sections de Paris avait à fournir un de ses membres pour remplir pendant vingt-quatre heures les fonctions de gardien concurremment avec les deux nommés d'office, c'était dans le but de compléter et d'assurer d'autant mieux la détention des enfants du tyran. Et Mathieu ajoutait : Par cet exposé, l'on voit que le Comité de sûreté générale n'a eu en vue que le matériel d'un service confié à sa surveillance, qu'il a été étranger à toute idée d'améliorer la captivité des enfants de Capet ou de leur donner des instituteurs. Les Comités et la Convention savent comment on fait tomber la tête des rois, mais ils ignorent comment on élève leurs enfants[37].

Parmi les membres du Comité de sûreté générale, au nom de qui Mathieu s'exprimait en ces termes, on voyait figurer Barras, Harmand (de la Meuse), Clauzel, Bourdon (de l'Oise)[38].

C'étaient là les hommes qui prétendirent, plus tard, avoir renversé Robespierre par humanité ! Les supposer humains à l'égard d'un pauvre enfant sans défense, c'était, de leur propre aveu, les calomnier !

Ce n'est pas qu'il faille ajouter foi à toutes les horreurs dont le Temple aurait été le théâtre, à en croire certains écrivains, très-habiles à cacher sous des dehors élégiaques les haines implacables de l'esprit de parti. Pour ces écrivains, c'était une bonne fortune que de pouvoir peindre la Révolution s'acharnant à martyriser l'enfance. Malheureusement, ils ont tous oublié d'apprendre à la postérité par quel merveilleux moyen ils étaient parvenus à connaître jour par jour, heure par heure, presque minute par minute, ce qui se passait dans une chambre bien fermée, bien verrouillée, bien obscure, et où était laissé seul cet enfant dont pas un mouvement, pas un geste, n'a été perdu pour eux ! Qui croirait, par exemple, qu'après une description minutieuse à l'excès des souffrances du prisonnier, description qui va jusqu'à nous montrer ce prisonnier, qu'on laissait seul, se levant dans les ténèbres, abandonnant son lit aux rats et aux araignées, se plaçant sur une chaise, et passant le reste de la nuit, les deux coudes appuyés sur la table[39]... M. de Beauchesne s'écrie[40] : Voilà, autant qu'on peut lire dans une histoire fermée, quels furent les jours et les nuits du jeune roi pendant cette séquestration ? Il n'est pas effectivement facile de comprendre comment l'histoire fermée d'un prisonnier, qui n'a jamais ni rien raconté ni pu rien raconter à personne des faits relatifs à sa séquestration, ait été cependant connue à ce point, qu'on nous puisse donner le compte rendu détaillé de ses jours et de ses nuits[41] !

En ce qui touche l'intérieur du Temple pendant la période qui suivit la mise en liberté de Cléry, l'unique récit qui ait quelque autorité est celui de la fille de Louis XVI, depuis duchesse d'Angoulême[42] ; et encore ne doit-on pas perdre de vue qu'à partir du jour où elle fut séparée de son frère, elle ne put elle-même connaître ce qui regardait l'enfant que d'une manière indirecte, très-accidentellement et très-confusément. Nous savions quelquefois des nouvelles de mon frère par les municipaux, mais cela ne dura point[43].

Ainsi donc, tout ce qu'il est permis d'affirmer historiquement sur le traitement que l'enfant du Temple eut à subir dans la période qui nous occupe, c'est qu'on la réduisit à une solitude absolue ; c'est qu'on parut s'étudier à le dérober à tous les regards, c'est enfin qu'il végéta dans l'abandon. Et certes, sa destinée, ainsi décrite ; se présente sous des couleurs assez sombres, pour que l'histoire flétrisse l'iniquité et la cruauté des passions ou des calculs politiques qui la lui infligèrent !

Un instant, les âmes sensibles et justes purent se flatter de l'espoir qu'un terme serait mis à cette captivité, que rien ne justifiait. Le 8 nivôse an III (28 décembre 1794), Lequinio demanda que, par l'expulsion de l'enfant du Temple, on purgeât le sol de la Liberté du seul vestige de royalisme qui y restât encore ; et cette motion ayant été renvoyée aux Comités, l'homme qu'ils chargèrent du rapport fut Cambacérès[44].

Dans les Souvenirs sur Marie-Antoinette, de la comtesse d'Adhémar, qui avait été dame du palais de la reine, on lit[45] :

Malheureux enfant, dont le règne s'est écoulé dans un cachot, où toutefois il n'a pas trouvé la mort ! Certes, je ne veux en aucune manière multiplier les chances qui s'offriront à des imposteurs ; mais, en écrivant ceci au mois de mai 1799, je certifie, sur mon âme et conscience, être particulièrement sûre que Sa Majesté Louis XVII n'a point péri dans la prison du Temple. Mais, je le répète, je ne m'engage pas à dire ce que le prince est devenu, je l'ignore : le seul Cambacérès, homme de la Révolution, pourrait compléter mon récit ; car, là-dessus, il en sait beaucoup plus que moi[46].

 

On lit encore dans un compte rendu de l'ouvrage intitulé Histoire secrète du Directoire[47] :

Il paraît certain qu'on a trompé le public sur la véritable époque et sur le lieu de la mort de Louis XVII. Cambacérès en convenait, mais il ne voulut jamais révéler ce qu'il savait sur ce point[48].

 

Quoi qu'il en soit du degré d'importance qu'il faille attacher à ces assertions, qui, sans avoir un véritable caractère historique, tirent quelque valeur des ménagements dont les Bourbons, à l'époque de leur retour en France, usèrent envers Cambacérès, et de l'empressement avec lequel ils tirent séquestrer ses papiers après sa mort[49], il est certain que le rapport de Cambacérès sur la motion de Lequinio fut précisément tel qu'on aurait dû l'attendre d'un homme initié au secret de l'évasion ; car non-seulement le rapporteur conclut contre la mise en liberté de l'enfant du Temple, mais il prononça ces paroles singulières, où la réapparition éventuelle du fils de Louis XVI est si clairement prévue, et qui semblent avoir été calculées de manière à en détourner d'avance l'effet : Lors même qu'il aura cessé d'exister — le fils de Louis XVI —, on le retrouvera partout, et cette chimère servira longtemps à nourrir de coupables espérances ![50]

Ce fut dans cette séance et à cette occasion, que Brival laissa échapper un des mots les plus horribles qui aient jamais souillé la tribune parlementaire : Je m'étonne, dit-il, qu'au milieu de tant de crimes inutiles, commis avant le 9 thermidor, on ait épargné les restes d'une race impure[51]. — Il n'y a pas de crimes utiles, répondit Bourdon (de l'Oise) : cri admirable, mais dans quelle bouche ! Brival avait excité de violents murmures : Bourdon (de l'Oise) fut, au contraire, vivement applaudi ; et comme on demandait que le premier fût rappelé à l'ordre, il dit : Je m'y rappelle moi-même[52].

Le mot de Brival n'était pas de ceux qu'il est facile d'oublier : on verra plus loin quelle signification tragique lui donnèrent certains soupçons nés de circonstances inexplicables et inexpliquées.

L'enfant du Temple dépérissait : au mois de février 1795, le chirurgien du district fut appelé ; une députation de la Commune se rendit au Temple pour constater l'état du prisonnier, et fit un rapport duquel il résultait que le petit Capet avait des tumeurs à toutes les jointures, et particulièrement aux genoux : qu'il était impossible de tirer un mot de lui ; qu'il ne se levait jamais de sa chaise ou de son lit, et qu'il refusait de prendre toute espèce d'exercice[53].

Sur ce rapport, le Comité de sûreté générale envoya au Temple trois députés, Harmand (de la Meuse), Mathieu et Reverchon. C'était le 9 ventôse an III (27 février 1795).

Ils trouvèrent l'enfant assis auprès d'une petite table sur laquelle étaient éparses beaucoup de cartes à jouer, quelques-unes pliées en forme de boîtes et de caisses, d'autres élevées en château. Il était occupé de ces cartes, lorsque les députés parurent, et ne quitta pas son jeu. Harmand (de la Meuse), après lui avoir expliqué le but de cette visite, lui dit que les commissaires étaient autorisés à lui offrir les objets de distraction et de délassement qu'il pouvait désirer. Pendant ce temps, l'enfant regardait d'un œil fixe, dans un état d'immobilité complète, l'homme qui lui parlait. Il semblait écouter avec la plus grande attention, mais pas un mot ne tomba de ses lèvres[54]. Harmand (de la Meuse) lui dit : J'ai l'honneur de vous demander, monsieur, si vous désirez un cheval, un chien, des oiseaux, des joujoux de quelque espèce que ce soit, un ou plusieurs compagnons de votre âge que nous vous présenterons avant que de les installer auprès de vous ; voulez-vous, dans ce moment, descendre dans le jardin ou monter sur les tours ? Désirez-vous des bonbons ? des gâteaux ? Pas de réponse. Harmand imagina de passer d'un ton caressant à un ton impérieux. Inutile[55]. Il essaya de le toucher, en lui disant que son obstination à ne pas répondre compromettait les députés chargés de le visiter, parce qu'ils ne pourraient rien rapporter au gouvernement qui les avait envoyés. Toujours même silence[56]. Mais, chose remarquable, l'enfant mit beaucoup de bonne grâce à faire tout ce qu'on lui demanda, à l'exception de ceci : parler ! Harmand lui demanda de tendre la main, et il la tendit aussitôt ; de se lever, et il se leva ; de marcher, et il marcha[57] : preuve évidente que, s'il ne parlait pas, c'était impuissance et non mauvaise volonté.

Toutefois, interrogés par Harmand sur la cause à laquelle ils attribuaient un silence aussi extraordinaire, les commissaires, c'est-à-dire Laurent et Gomin[58], répondirent que ce silence datait du jour où l'on avait si odieusement forcé le Dauphin à faire et à signer une déposition contre sa mère. Ils nous protestèrent, écrit Harmand (de la Meuse), que, depuis le soir de ce jour-là, le prince n'a point parlé[59].

Comme Laurent et Gomin n'étaient pas au Temple pendant les jours qui suivirent la déposition contre la reine, leur réponse, en ce qui touche le moment précis où l'enfant cessa de parler, est absolument sans autorité ; mais ce qu'elle prouve sans réplique, c'est qu'eux, du moins, depuis leur entrée au Temple, — et ils étaient entrés l'un et l'autre postérieurement au départ de Simon, — ils n'avaient jamais entendu parler l'enfant.

C'est à peine s'il est nécessaire de réfuter, tant elle est absurde, l'hypothèse qui montre un enfant de neuf ans, faible, infirme, malade, prenant tout à coup la résolution de ne plus prononcer un mot de sa vie et y persévérant jusqu'à la fin : hypothèse difficile à admettre, même s'il s'était agi d'un homme plein de santé, plein de force, doué d'une volonté de fer. Et il n'est pas moins ridicule de donner pour motif à cette prétendue résolution le remords d'avoir signé la trop fameuse déposition dont Hébert eut l'infamie de s'armer contre Marie-Antoinette : tout concourt en effet à démontrer que, lorsqu'il signa cette déposition, le Dauphin en comprenait à peine le sens et ignorait complètement l'usage qu'on en voulait faire, usage dont rien ne vint l'instruire depuis, attendu qu'on lui cacha soigneusement la mort de sa mère. Reste donc ce fait, qu'il faut absolument expliquer, si l'on nie celui de l'évasion suivie d'une substitution : à l'époque de la visite d'Harmand (de la Meuse), enfant se trouva être… muet.

M. de Beauchesne, dont l'ouvrage repose tout entier sur la méconnaissance de ce fait, et à tel point que, si le mutisme est établi, cet ouvrage est un livre à refaire, M. de Beauchesne met sur les lèvres de l'enfant, dans diverses circonstances, des paroles, tantôt très-touchantes, tantôt très-philosophiques, quelquefois même d'une profondeur étonnante[60] ; et cela, sur la foi de ce que lui auraient raconté en tête-à-tête, Gomin d'abord, et ensuite Lasne, autre gardien donné à l'enfant par le Comité de sûreté générale le 14 germinal an III (3 avril 1795)[61].

Malheureusement, M. de Beauchesne — et l'on a lieu d'en être surpris — a ignoré que Gomin et Lasne ont fait en public, à l'occasion de procès fameux, des déclarations inconciliables avec celles qu'ils lui ont faites à lui en particulier, et, ce qui est pire, inconciliables entre elles.

Un simple rapprochement donnera une idée de la confiance que méritent les rapports faits en particulier à M. de Beauchesne par les deux hommes qui lui ont fourni les seules choses neuves qu'il y ait dans son livre.

DÉPOSITION DE LASNE EN 1834.

D. Avez-vous causé avec l'enfant ? — R. Tous les jours. — D. Sur quels objets ? — R. Jamais que sur des objets sérieux et graves. Ces conversations ont laissé des souvenirs profonds chez moi. Je surprendrais l'auditoire, si je voulais dire ce qu'il me disait[62].

 

DÉPOSITION DE LASNE EN 1837.

Au milieu des souffrances les plus aiguës, le prince montrait une impassibilité extraordinaire ; aucune plainte ne sortait de sa bouche, et jamais il ne rompait le silence.

 

Ici, Lasne raconte qu'un jour, ayant présenté à l'enfant une potion stomachique que ce dernier hésitait à prendre, comme s'il eût craint qu'elle ne fût empoisonnée ; lui, Lasne, pour le rassurer, porta le verre à ses lèvres ; sur quoi, l'enfant se serait écrié : Tu as donc juré que je boirai ce verre ? Eh bien, donne, je vais le boire. Et il ajoute : Ce sont les seules paroles que je lui ai entendu proférer pendant tout le temps que j'ai passé près de lui[63].

Ainsi, le Lasne de 1834 avait causé tous les jours avec l'enfant, au Temple, et le Lasne de 1837 ne l'avait entendu parler qu'une fois !

Ce n'est pas tout : dans cette anecdote où, en 1837, Lasne se met lui-même en scène, il avait fait figurer, en 1834, un autre que lui. Voici sa version de 1834 : Le médecin lui dit : Vous croyez donc cette potion empoisonnée ? Eh bien, je vais la boire ; et il la but. L'enfant lui dit : On a donc juré que je la boirai aussi ? Ce qu'il fit[64].

Poursuivons.

DÉPOSITION DE GOMIN EN 1837.

Pendant sa maladie, le prince, que je voyais, causait sans effort ; il a même parlé une heure avant de mourir. J'ajouterai que plusieurs membres de la Convention sont venus visiter cet enfant, à l'époque où il était confié à ma garde, et que jamais il n'a fait de réponse aux questions qu'ils lui adressaient, ce qui a pu accréditer la version qu'il était muet. Il répondait volontiers aux sieurs Laurent et Lasne, ainsi qu'à moi[65].

 

Qui croire de Gomin, affirmant que l'enfant du Temple causait sans effort, parlait volontiers à Lasne, ou de Lasne affirmant, en 1837, que l'enfant ne rompait jamais le silence et que ces mots : Tu as donc juré que je boirai ce verre ? Eh bien, donne, je vais le boire, sont les seules paroles qu'il lui ait jamais entendu prononcer ?

Rien de plus frappant que l'empressement de Gomin à prévenir l'objection qu'on pourrait tirer de la visite du 31 juillet 1794, du rapport ultérieur de la Commune et de la nouvelle visite que ce rapport provoqua. Appelé par le gouvernement d'alors à opposer son témoignage à des prétentions dont la dynastie régnante n'est pas sans prendre souci, Gomin répète la leçon qui lui a été faite, et il a soin d'aller au-devant d'une objection trop facile à prévoir, en avouant, ce qu'il eût été téméraire de nier, que l'enfant, visité par plusieurs conventionnels, ne répondit jamais aux questions qu'ils lui adressaient. Mais avouer le fait n'est pas l'expliquer. Si, devant Gomin, Lasne et Laurent, l'enfant causait sans effort, volontiers, d'où vient qu'Harmand, après tant d'autres, ne put lui arracher une parole, même en l'interrogeant avec bonté, même en lui témoignant un vif intérêt, plus que cela, en lui adressant des questions qui touchaient de si près à son bien-être ? Or, à cet égard, l'affirmation d'Harmand est formelle, sans compter qu'il prend à témoin de sa véracité ses deux collègues, Mathieu et Reverchon, qui vivaient encore : Est-il possible, dit-il, qu'à l'âge de neuf ans, un enfant puisse former une telle détermination — celle de ne jamais parler — et y persévérer ? C'est ce qui n'est pas vraisemblable sans doute ; mais je réponds à ceux qui douteraient ou qui nieraient, par un fait et par des témoignages que j'indique et auxquels on peut recourir[66].

Reprenons le fil de la narration.

On a vu qu'après le départ de Simon, l'enfant avait été relégué dans une pièce obscure : ce ne fut point dans celle-là qu'eut lieu la visite d'Harmand et de ses deux collègues[67]. La pièce où ils trouvèrent l'enfant, était propre et bien éclairée. Elle renfermait, non loin d'un bois de lit sans coucher, un lit dont le coucher et le linge leur parurent beaux[68], mais qui ne pouvait être celui du petit prisonnier, puisqu'il n'occupait plus alors la chambre où était ce lit. On apporta son dîner. Il consistait dans un potage noir couvert de quelques lentilles, un petit morceau de bouilli, noir aussi, un plat de lentilles et six châtaignes, plutôt brûlées que rôties. Point de couteau. Pas de vin[69].

Harmand, dans son livre, qu'il publia sous la Restauration, et qui porte la trace du changement qu'avaient subi ses opinions politiques, s'écrie : Tel était le dîner du fils de Louis XVI, de l'héritier de soixante-six rois : tel était le traitement fait à l'innocence ![70] Mais, à supposer qu'il eût pris l'enfant pour l'héritier de soixante-six rois, à l'époque où il le visita, malgré les circonstances racontées par lui-même et qui auraient dû, tout au moins, éveiller ses doutes, il fallait que ses sentiments d'alors fussent bien différents de ceux qu'il manifesta depuis ; car, au lieu de dénoncer bien haut, comme la justice et l'humanité le lui commandaient, l'indigne traitement fait à l'innocence, il convint avec ses collègues de tenir secrets les résultats de leur visite au Temple, et de n'en rendre compte qu'au Comité, à huis clos, sous le prétexte, vraiment misérable, de sauvegarder l'honneur de la nation, qui, selon lui, ignorait ces choses ; l'honneur de la Convention, qui, à ce qu'il prétend, les ignorait aussi, quoique son devoir fût d'en être instruite ; et enfin l'honneur de la coupable municipalité, qui ajoute-t-il, savait tout et causait tous ces maux[71] !

Ce qui est certain, c'est que ce gouvernement thermidorien qui se vantait sans cesse d'avoir coupé court à la Terreur, ne donna aucune suite au rapport secret d'Harmand, Mathieu et Reverchon. Non-seulement la liberté ne fut point rendue à un enfant qui, quel qu'il fût, — héritier vrai ou supposé de soixante-six rois, — n'avait point mérité de la perdre, mais rien ne fut tenté de ce qui aurait pu adoucir ses souffrances ou prolonger sa vie. Pour ce qui est d'Harmand, il n'est pas inutile de faire observer qu'on se hâta de l'écarter de la scène : selon son propre récit, une intrigue, sur laquelle il ne s'explique pas, lui valut la faveur d'être envoyé commissaire aux Grandes-Indes, peu de jours après sa visite au Temple[72] ! Craignait-on qu'il ne se laissât aller tôt ou tard à une indiscrétion ?

Les jours s'écoulaient ; la santé de l'enfant déclinait de plus en plus : enfin, le 17 floréal (6 mai), un médecin lui fut donné. C'était le célèbre Desault. L'arrêté qui le nommait était signé Mathieu, Pémartin, Auguis, Sevestre, Kervélégan, Pierre Guyomard, Perrin, Calès, membres du Comité de sûreté générale, et il portait — précaution caractéristique — que Desault ne serait admis à visiter l'enfant qu'en présence des gardiens[73].

Une circonstance à noter, c'est que Hue sollicita la faveur de soigner celui qu'il croyait être le fils de son ancien maître, et vit sa demande rejetée[74], comme si l'on eût craint qu'il ne reconnût pas le Dauphin dans le malade qu'on lui eût donné à soigner !

Desault questionna l'enfant sans pouvoir obtenir de lui une réponse[75]. Il lui prodigua les soins de son art, et — nouveau mystère en cette histoire pleine de mystères — on ne tarda pas à apprendre la mort…, non du malade, mais du médecin. En effet, dans la nuit du 10 au 11 prairial (29-30 mai), Desault fut saisi tout à coup d'une fièvre qui débuta par un délire violent[76]. Le 13 prairial (1er juin), il n'était plus.

Profonde et sinistre fut l'impression que produisit dans Paris la nouvelle de cette mort si soudaine et si prématurée. Les uns, se rappelant le mot de Brival et la théorie des crimes utiles, crurent que Desault avait été empoisonné, pour avoir refusé de se prêter à des desseins criminels sur la vie du malade qu'il soignait[77] : hypothèse absolument gratuite ; les autres, avec beaucoup plus de fondement, pensèrent qu'on avait voulu se défaire de lui, parce qu'il n'avait pas reconnu le Dauphin dans l'enfant rachitique et muet de la tour du Temple.

Il convient d'observer, à ce sujet, que Desault ayant été autrefois appelé à soigner le Dauphin aîné, mort à Meudon en 1790, il avait eu plusieurs fois occasion de voir le second fils de Louis XVI, dont nul conséquemment n'était mieux en état que lui de constater l'identité.

Le document qui suit montrera quelle était, dans la famille de Desault lui-même, l'opinion qu'on avait de la nature et des causes de sa mort :

Je soussignée, Agathe Calmet, veuve de Pierre-Alexis Thouvenin, demeurant à Paris, place de l'Estrapade, 34,

Déclare que, du vivant de M. Thouvenin, mon mari, neveu de M. le docteur Desault, j'ai souvent entendu madame Desault, ma tante, me raconter que, le 17 floréal an III de la République, le docteur Desault, chirurgien en chef de l'Hôtel-Dieu, fut appelé pour visiter l'enfant Capet, qui était à cette époque enfermé au Temple, — ce sont les expressions dont se servent les membres du Comité de sûreté générale de la Convention dans l'ordre écrit qui fut transmis à M. Desault. — Lorsqu'il fit sa visite au malade qui était au Temple, on lui présenta un enfant qu'il ne reconnut pas pour être le Dauphin, qu'il avait vu quelquefois avant l'arrestation de la famille royale. Le jour où M. Desault déposa son rapport, après avoir fait quelques recherches pour tâcher de découvrir ce que pouvait être devenu le fils de Louis XVI, puisqu'on lui avait présenté un autre enfant à sa place, un dîner lui fut offert par les conventionnels. Au sortir de ce repas, en rentrant chez lui, le docteur Desault fut pris de violents vomissements, à la suite desquels il cessa de vivre, ce qui laissa croire qu'il avait été empoisonné.

Paris, le 5 mai 1845.

Signé : A. THOUVENIN[78].

 

A côté de cet important témoignage, se place celui de M. Abeillé, élève de Desault, qui affirma toujours et invariablement, soit en France, soit aux États-Unis, où il avait, depuis, cherché refuge, que le docteur avait été empoisonné, à la suite d'un rapport où il attestait n'avoir pas reconnu le Dauphin dans l'enfant qu'il avait visité au Temple[79].

Une circonstance remarquable, c'est que le rapport de Desault sur l'état du malade confié à ses soins ne fut jamais produit. Le texte de sa déclaration est indiqué dans la table du Moniteur comme devant se trouver au numéro 263 du journal officiel, et, chose singulière, le numéro 263 ne contient rien de tel[80] !

Autre fait non moins étrange : Sevestre, dans la séance du 21 prairial (9 juin), vint annoncer à la Convention, et cela au nom du Comité de sûreté générale dont il était membre, que Desault était mort le 16 prairial (4 juin)[81]. Or, cela était faux : la date vraie était celle-ci : 13 prairial (1er juin)[82].

Il est difficile de comprendre que le Comité de sûreté générale, qui avait à sa disposition l'acte de décès de Desault, ait pu se tromper à ce point sur une date qu'il avait à préciser officiellement ; et si l'on suppose que l'erreur ait été volontaire, quelle autre cause lui assigner que le désir de détourner l'opinion publique de certains rapprochements estimés dangereux ?

L'empressement de la feuille officielle à donner le change au public sur les circonstances liées à la mort de Desault mérite aussi d'être signalé. Dans l'article nécrologique que le Moniteur consacra au célèbre médecin, on lisait[83] : Les derniers complices de nos tyrans ont causé sa mort : la journée du 1er prairial a causé la crise désespérée qui l'a précipité, à l'âge de quarante-neuf ans, au tombeau.

Madame Desault, on l'a vu, non contente de croire à l'empoisonnement de son mari, s'en expliquait assez librement devant témoins : le décret qui, le 1er messidor (19 juin), lui accorda 2.000 liv. de pension[84] eut-il pour objet de lui fermer la bouche, ou seulement de reconnaître les services rendus par le défunt à l'humanité[85] ?

Six jours après la mort subite de Desault eut lieu la mort subite du pharmacien Choppart, qui fournissait les remèdes[86], et qui avait commencé avec Desault, son ami, le traitement du jeune malade[87]. Desault et Choppart étant liés d'amitié, indépendamment des rapports que nouaient entre eux les habitudes et les devoirs de leurs professions respectives, on supposa naturellement que le secret découvert par le premier avait été révélé au second, et que de ce dernier aussi on avait cru important de se défaire[88].

Quoi qu'il en soit, le 17 prairial (5 juin), le Comité de sûreté générale nomma, pour remplacer Desault auprès de l'enfant malade, le docteur Pelletan, chirurgien en chef du grand hospice de l'Humanité. C'était remplacer par un médecin qui ne connaissait pas le Dauphin[89], un autre médecin qu'on soupçonnait d'être mort empoisonné, pour l'avoir trop bien connu ! Choix fort étrange assurément, puisque le meilleur moyen de combattre et de faire tomber les soupçons si généralement répandus, si on les savait mal fondés, eût été d'envoyer au malade un médecin qui, l'ayant vu autrefois, eût qualité pour constater son identité et la constatât.

Le délai de cinq jours mis entre ce qu'on pourrait appeler la disparition du docteur Desault et la nomination du docteur Pelletan, était une autre particularité bien propre à fournir aliment aux conjectures.

Le docteur Pelletan s'adjoignit d'abord le docteur Dumangin, lequel, pas plus que lui, ne connaissait le Dauphin, puis MM. Lassus et Jeanroy, sur l'observation de Dumangin, que les rapports de M. Lassus avec mesdames de France, et ceux de M. Jeanroy avec la maison de Lorraine, donneraient plus de poids aux signatures de ces deux derniers[90]. Mais ce qui eût véritablement donné du poids à leurs signatures, c'est qu'ils eussent été choisis par le Comité de sûreté générale lui-même comme ayant connu personnellement le Dauphin, et qu'ils eussent reçu du gouvernement mission expresse de constater l'identité.

Suivant M. J. Suvigny, les nouveaux médecins auraient questionné l'enfant, mais sans succès : avertis par les gardiens et les municipaux qu'il ne disait mot, ils auraient cessé de l'interroger plus longtemps[91].

Suivant M. de Beauchesne, au contraire, le docteur Pelletan n'aurait pas plutôt paru et ouvert la bouche, que l'enfant, sans qu'on se fût adressé à lui, et de son propre mouvement, aurait dit : Parlez plus bas, je vous en prie ; j'ai peur qu'elles vous entendent, et je serais bien fâché qu'elles apprissent que je suis malade, car cela leur ferait beaucoup de peine[92].

Il est dommage que ni M. de Beauchesne, ni Eckard, qui, avant lui, avait enregistré cette anecdote, avec quelques légères variantes et sans indication de source[93], n'aient pris la peine, ni d'établir qu'elle était vraie, ni même d'examiner si elle était vraisemblable.

L'appartement que Marie-Antoinette et madame Élisabeth avaient occupé et que la fille de Louis XVI occupait encore ne communiquait pas avec celui de l'enfant ; il en était éloigné, trop éloigné pour qu'il fût matériellement possible d'entendre dans l'un ce qui se disait à haute voix dans l'autre ; et cela, l'enfant ne pouvait l'ignorer, si c'était le fils de Louis XVI : comment donc se serait-il préoccupé d'une crainte qu'il savait tout à fait chimérique ? D'autre part, ce n'était pas la première fois qu'on s'entretenait à haute voix devant lui de sa maladie : d'où vient qu'il avait attendu si tard pour exprimer la crainte dont il est ici question ? Enfin, circonstance non moins singulière, — il aurait parlé spontanément, sans être interrogé, à un homme qu'il n'avait jamais vu, qu'il ne connaissait pas, lui à qui les sollicitations amies, et cent fois répétées, d'Harmand n'avaient pu arracher une seule parole ! Ce qu'on donne comme un fait est donc une invention pure, et une invention absurde.

Pour ce qui est de beaucoup d'autres paroles que, sur la foi de Gomin et de Lasne, M. de Beauchesne prête au prisonnier, il suffira de les citer pour montrer que ce sont des paroles imaginées à plaisir et arrangées.

Vous êtes seul, aurait dit un jour Gomin au prisonnier, et c'est bien triste ; mais vous n'avez pas ici, comme on a ailleurs, le spectacle de tant de méchants hommes et l'exemple de tant de mauvaises actions, à quoi l'enfant aurait répondu : Oh ! j'en vois assez, mais je vois aussi de braves gens, et ils m'empêchent d'en vouloir à ceux qui ne le sont pas. Gomin lui aurait dit alors : N***, que vous avez vu souvent ici comme commissaire, a été arrêté et il est maintenant en prison. Le prince : J'en suis fâché. Est-ce ici ?Non, ailleurs, à la Force, dans le faubourg Saint-Antoine. — L'enfant, après une longue pause : J'en suis fâché, car voyez-vous, il est plus malheureux que moi ; il mérite son malheur[94].

Socrate n'aurait pas dit mieux. Cela rappelle Lasne mentionnant en 1834 les discours surprenants que l'enfant lui tenait tous les jours sur des objets graves, et finissant par déclarer, en 1857, qu'il ne rompait jamais le silence !

Et ce langage si profond, si élevé, si philosophique, à qui s'avise-t-on de le prêter ? A un enfant de dix ans dont une captivité dure et barbare avait dû anéantir les facultés, qui se mourait ; à un enfant que la fille de Louis XVI peint de la manière qui suit : Il est vrai que mon frère se négligeait ; il aurait pu avoir un peu plus de soin de sa personne, et se laver au moins, puisqu'on lui mettait une cruche d'eau ; mais ce malheureux enfant mourait de peur ; il ne demandait jamais rien, tant Simon et les autres gardiens le faisaient trembler. Il passait la journée à ne rien faire ; on ne lui donnait pas de lumière ; cet état faisait beaucoup de mal à son moral et à son physique. Il n'est pas étonnant qu'il soit tombé dans un marasme effrayant[95]... Il avait eu beaucoup d'esprit, mais la prison et les horreurs dont il a été la victime l'avaient bien changé ; et même, s'il eût vécu, il est à craindre que son moral n'en eût été affecté[96].

Inutile d'insister, et de donner place dans un livre sérieux aux détails fantastiques dont Gomin et Lasne ont composé leur roman de la mort du prisonnier du Temple. Il n'était certes pas besoin de ces efforts d'imagination pour intéresser les cœurs amis de la justice et de l'humanité au sort d'un pauvre enfant, livré de si bonne heure aux tourments d'une captivité non moins imméritée que cruelle ; et nous trouvons, pour notre compte, une bien plus grande puissance d'émotion dans le récit simple et sobre de la fille de Louis XVI que dans les élégies en prose que certains écrivains royalistes ont essayé de substituer, et à ce récit, et à l'histoire.

L'enfant du Temple mourut le 20 prairial (8 juin)[97].

Les circonstances étaient telles, que le gouvernement aurait dû, ce semble, prendre les précautions les plus minutieuses pour que l'identité fût bien constatée : au lieu de cela, le soin de constater, non l'identité, mais simplement la mort de l'enfant, fut abandonné aux officiers et sous-officiers de la garde montante et descendante[98], c'est-à-dire à ceux qui se trouvaient là !

La chambre dans laquelle ils furent admis à voir le corps était si obscure, que lorsque les docteurs Pelletan, Dumangin, Lassus et Jeanroy furent appelés à faire l'autopsie, le demi-jour de cette chambre fut jugé incompatible avec l'accomplissement de leur mission. M. Jeanroy en fit la remarque, et les commissaires durent dresser dans la première chambre, près de la fenêtre, une table sur laquelle le cadavre fut apporté ; de sorte qu'on eut, pour tout moyen de constater l'identité, l'inspection du corps dans le demi-jour par les officiers et sous-officiers de la garde montante et descendante[99] !

Les quatre médecins craignirent à ce point de se compromettre en affirmant l'identité, qu'ils rédigèrent le procès-verbal de l'ouverture du corps dans les termes caractéristiques que voici :

Arrivés tous les quatre, à onze heures du matin, à la porte extérieure du Temple, nous y avons été reçus par les commissaires qui nous ont introduits dans la tour. Parvenus au deuxième étage, dans un appartement, dans la seconde pièce duquel nous avons trouvé dans un lit le corps mort d'un enfant qui nous a paru âgé d'environ dix ans, que les commissaires nous ont dit être celui du fils du défunt Louis Capet, et que deux d'entre nous ont reconnu pour être l'enfant auquel ils donnaient des soins depuis plusieurs jours, etc.[100].

 

A cette époque, comme aujourd'hui, en cas de décès dans une prison, il en devait être donné avis sur-le-champ à la municipalité, qui se transportait immédiatement sur les lieux, vérifiait le décès et signait l'acte. Qu'arriva-t-il, cependant ? l'enfant était mort le 8 juin et l'acte de décès fut dressé le 12 seulement ! Pourquoi ce délai inusité ? Y eut-il hésitation sur la question de savoir s'il valait mieux avouer l'évasion ou faire un faux[101] ?

Quant à l'acte de décès lui-même, — cet acte, qui devait attester la mort d'un enfant pour les prétendus droits duquel des flots de sang avaient coulé et coulaient encore, — au lieu d'être dressé de manière à écarter tous les doutes, il fut fait en dehors des prescriptions légales, en l'absence du commissaire de section préposé par la loi spéciale du temps à la garde du prince, et fut signé par deux témoins obscurs, lorsque deux jours déjà s'étaient écoulés depuis l'enterrement du corps[102].

Cet enterrement eut lieu, en effet, le 22 prairial (10 juin), à huit heures et demie du soir[103]. Ceux qui se sont autorisés de cette circonstance pour prétendre que l'inhumation fut faite clandestinement, pendant la nuit, n'ont pas pris garde qu'on était alors aux plus longs jours de l'année[104]. Ce qui est vrai, c'est que le corps, mis dans un cercueil de bois, fut transporté, sans aucune cérémonie, au cimetière de la paroisse de Sainte-Marguerite[105].

Le 21 prairial (9 juin), c'est-à-dire la veille, Sevestre avait présenté, au nom du Comité de sûreté générale, le rapport qui contenait, sur la date de la mort de Desault, la déclaration inexacte — erreur ou mensonge — qui a déjà été signalée. Pour ce qui est de la mort du prisonnier du Temple, elle était annoncée dans le rapport, brièvement et sèchement[106].

Beaucoup crurent que l'enfant avait été empoisonné, et quelques-uns le croient encore aujourd'hui ; mais cette supposition est sans fondement. Beaulieu écrit, à ce sujet : Le fameux chirurgien Desault, avec qui j'avais fait connaissance en prison, m'a dit, après l'avoir visité, qu'il ne le croyait pas[107]. De son côté, Mercier affirme en ces termes que l'enfant ne fut pas empoisonné : Lié d'amitié depuis trente-cinq ans avec le chirurgien qui fit l'ouverture du corps et dressa procès-verbal, j'atteste que c'est l'homme du monde le plus incapable de signer autre chose que la vérité[108]. Or, la conclusion du procès-verbal de l'ouverture du corps est celle-ci : Tous les désordres dont nous venons de donner le détail sont évidemment l'effet d'un vice scrofuleux existant depuis longtemps, et auquel on doit attribuer la mort de l'enfant[109].

Reste la question de l'enlèvement et de la substitution.

Les bruits qui coururent à cet égard se répandirent, tout d'abord, avec tant de rapidité et prirent une telle consistance[110], qu'ils provoquèrent, au mois de juillet 1795, dans la petite ville de Thiers, l'arrestation d'un enfant de dix ans, nommé Morin de la Guérivière. Des propos mal interprétés ayant fait croire à l'autorité locale que cet enfant était le Dauphin évadé, il fut mis sous bonne garde, et on ne le relâcha, informations prises, que sur un ordre exprès de Chazal, représentant du peuple en mission[111].

Cette arrestation eut-elle lieu en exécution d'un arrêté du Comité de sûreté générale prescrivant la recherche du Dauphin ? Plusieurs l'ont dit[112], mais ne l'ont pas démontré ; et le fait en lui-même ne prouve pas autre chose que le zèle, trop prompt à s'alarmer, de l'autorité locale de Thiers. Rien, d'ailleurs, de moins vraisemblable que l'existence de l'arrêté dont il s'agit, dont on a beaucoup parlé sans jamais le produire. On conçoit, en effet, que, si les membres du gouvernement d'alors ou quelques-uns d'entre eux, les plus influents, étaient dans le secret d'un enlèvement et d'une substitution, ils se soient étudiés soigneusement à couvrir leur responsabilité vis-à vis des républicains, en faisant passer pour la mort du Dauphin celle de l'enfant substitué ; maison ne concevrait pas que, dans cette hypothèse, ils eussent ordonné des poursuites, et si tardives, et si propres à accréditer l'idée d'une évasion qu'ils s'étaient jusqu'alors efforcés de tenir secrète.

On demandera sans doute comment il se peut, s'il est vrai que le fils de Louis XVI ne soit pas mort au Temple, que son existence n'ait pas été reconnue, depuis, d'une manière certaine et son identité solennellement constatée. Il y a effectivement lieu de s'en étonner. Et toutefois, l'étonnement diminuera, peut-être, si l'on considère :

Qu'à l'époque indiquée comme celle de l'évasion, le Dauphin n'avait pas encore neuf ans ;

Qu'il était conséquemment livré sans défense à toutes sortes d'embûches ;

Que, dans ce temps-là, l'Europe entière vivait dans un état d'effroyable confusion ;

Que le parti royaliste était un foyer d'intrigues ;

Que ses principaux meneurs ne voyaient dans le rétablissement de la monarchie qu'une proie à dévorer, et, entre des prétentions rivales, se tenaient prêts à soutenir celles qui leur promettaient une plus large part dans la curée des emplois[113] ;

Que le comte de Provence, appelé à ceindre la couronne, faute d'héritier direct, joignait à une astuce profonde le plus violent désir de régner ;

Qu'il avait un intérêt puissant à laisser dans l'ombre dont les événements l'avaient enveloppée, la destinée de son neveu ;

Qu'après la Restauration, qui mit sur le trône Louis XVIII, le fait de Louis XVII retrouvé, reconnu, aurait tout remis en question et créé des embarras incalculables ;

Que, dans cette situation, un gouvernement peu scrupuleux a pu faire fléchir les considérations de famille devant les exigences de ce qu'on nomme la raison d'État, ou, s'il ignorait la vérité, s'étudier à ne pas la connaître !

Il est, certes, possible que, parmi les faux Dauphins qui, à diverses époques, mirent en éveil la curiosité publique, certains, tels que Mathurin Bruneau, aient été suscités par le gouvernement lui-même pour étouffer toute prétention de ce genre sous le ridicule, et il n'est pas douteux que d'autres aient été d'audacieux imposteurs : reste la question de savoir pourquoi les successeurs de Louis XVII ont fait plus d'efforts pour épaissir les ténèbres qu'il ne leur en eût peut-être fallu pour les dissiper ; et, ce qui est plus inexplicable encore, pourquoi ils ont toujours montré une répugnance invincible à attester par un acte public que, dans leur conviction, l'enfant mort au Temple était bien le fils de Louis XVI !

Le cœur, à la suite de l'autopsie, avait été dérobé par le docteur Pelletan, conservé par lui : il fut offert à la famille royale, et refusé, sans autre motif que le prétendu doute que jetaient sur cette circonstance les dénégations de Lasne[114].

Quant à la dépouille mortelle de l'enfant, portée, comme nous l'avons dit, dans le cimetière de Sainte-Marguerite, elle avait été déposée dans la fosse commune. Mais, dans une des nuits qui suivirent, le cercueil où étaient renfermés ces restes fut retiré de la fosse commune par deux fossoyeurs qui, avant de le confier à la terre, l'avaient marqué d'un signe particulier avec de la craie blanche ; ils le placèrent dans un lieu à part, près de la porte d'entrée du cimetière dans l'église[115]. Lors de la Restauration, le curé de Sainte-Marguerite, M. Lemercier, fit une démarche formelle auprès de la duchesse d'Angoulême, pour qu'on recherchât ces restes et qu'on les mît en un endroit plus convenable, offrant de les placer dans une chapelle de son église, qu'on aurait disposée à cet effet. La duchesse d'Angoulême pleura beaucoup, mais refusa d'ordonner aucune recherche sous prétexte qu'il fallait bien se garder de réveiller le souvenir de nos discordes civiles ; que la position des rois était terrible, et qu'ils ne pouvaient pas faire tout ce qu'ils voulaient[116].

Les 17 et 18 janvier 1816, la Chambre des pairs et la Chambre des députés votèrent une loi statuant, entre autres choses, qu'un monument serait élevé, au nom et aux frais de la nation, à la mémoire de Louis XVII[117]. Rien de semblable n'eut lieu : pourquoi ?

Le 4 mars 1820, un nommé Caron, qui avait été employé au service de la bouche de Louis XVI, qui était parvenu à s'introduire au Temple, après le transfert de la famille royale dans cette prison, et qui possédait ou prétendait posséder, sur l'enlèvement du fils de Louis XVI, des détails secrets et importants, disparut tout à coup, à la suite de plusieurs visites d'un grand personnage de la Cour, sans que sa famille ait jamais pu retrouver sa trace[118] : comment expliquer cette disparition ?

Arrêtons-nous. On vient de voir à quelles machinations ténébreuses peut donner lieu le principe de la monarchie de droit divin, de la part de ceux qui le redoutent ou réussissent à le faire tourner à leur profit : on va voir maintenant à quels attentats il peut donner lieu, de la part de ceux qui le servent.

 

 

 



[1] Sur quoi, John Hanson, l'auteur du livre publié à New-York, en 1854, sous ce titre, The lost prince, fait observer avec raison que, selon toute probabilité, un homme dans la position de M. Labreli de Fontaine n'aurait pas avancé légèrement un fait de cette importance : A person of his position would scarcely make such a statement without good authority.

[2] Voyez la plaidoirie de M. Jules Favre en faveur des héritiers de Naündorff, dans la Gazette des tribunaux du 31 mai 1851.

[3] Travels from Berlin through Stuitzerland to Paris in the year 1804, by Augustus von Kotzebue, translated from the German, vol. III, p. 50. London, Phillips, 1804.

[4] Voyez la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851.

[5] Ce problème, M. A. de Beauchesne prétend l'avoir résolu dans le livre qu'il a publié sur Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort, livre auquel les royalistes ont fait un grand succès. Ce chapitre montrera d'une manière péremptoire, nous l'espérons, combien peu la prétention de M. de Beauchesne est justifiée, et sur quelles bases fragiles son succès repose. Tout ce qu'il apporte de nouveau dans la question résulte des dires de deux hommes que leurs propres déclarations, faites à diverses époques, et rapprochées, prouvent avoir été tous les deux de faux témoins !

En attendant, nous citerons le jugement que porte de l'ouvrage de M. de Beauchesne un critique célèbre, dont toutes les sympathies politiques, qu'on le remarque bien, sont celles de M. de Beauchesne lui-même :

M. de Beauchesne, en fait de choses essentielles, a ajouté peu, nous pouvons presque dire rien, à ce qui a été si abondamment détaillé dans les Mémoires de MM. Hue, Cléry, Turgy, et dans ceux de la duchesse d'Angoulême, qui habitaient le Temple, et aussi dans les Mémoires historiques de M. Eckard : judicieux et intéressant résumé des autorités susmentionnées. De ces ouvrages, bien connus, M. de Beauchesne emprunte les trois quarts de son livre au moins, et quoiqu'il les cite occasionnellement, il n'avoue pas l'étendue de ses obligations, particulièrement envers M. Eckard, aussi largement que, selon nous, il aurait dû le faire, etc., etc.

Essays on the early period of the French Revolution, by the late right bon. John Wilson Croker. Essay V, p. 242, London, 1857.

[6] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, fille du roi. p. 242. Collection Berville et Barrière.

[7] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, fille du roi. p. 242.

[8] Preuves de l'existence du fils de Louis XVI, réunies et discutées par J. Suvigny, avocat, p. 1-40. Paris, 1851.

[9] Le livre de M. J. Suvigny s'ouvre par la déclaration suivante :

Les soussignés, prenant Dieu à témoin de leur sincérité, déclarent que tous les certificats sans exemption, cités dans cet ouvrage, émanent réellement des signataires auxquels ils sont attribués, désignés par les initiales ou par les noms ; qu'ils les ont vus, lus, tenus entre leurs mains ; qu'ils en connaissent ou en ont connu les auteurs, vivants ou morts, soit personnellement, soit par des intermédiaires dignes de foi.

Paris, le 1er octobre 1851.

J. Suvigny, avocat ; Foyatier, sculpteur, membre de l'Institut historique ; Noyer et Pascal, médecins.

[10] Voici une objection entre mille : Dans l'hypothèse de l'évasion due aux efforts d'émissaires du prince de Condé, comment expliquer la proclamation de ce prince, qui se termine par ces mots : Messieurs, le roi Louis XVII est mort ; vive Louis XVIII !

[11] Ceci constaté par M. A. de Beauchesne lui-même, Louis XVII, sa vie, son agonie, etc., t. II, p. 193.

[12] Voyez les témoignages indiqués dans le livre de M. J. Suvigny, Preuves de l'existence du fils de Louis XVI, etc., p. 1-40.

[13] Dans sa réplique à M. Jules Favre, lors du procès des héritiers de Naündorff, M. Dupré-Lasale, substitut du procureur de la République, déclara rondement, et sans en donner la moindre preuve, que la femme Simon, aux Incurables, était folle ; mais c'est précisément le contraire qui résulte des déclarations des sœurs de l'hospice. Voyez J. Suvigny, Preuves de l'existence du fils de Louis XVI, etc., p. 24, 28, 33.

[14] Laurent ne fut nommé gardien du Temple que le 11 thermidor, an II (29 juillet 1794). Registre des arrêtés des Comités de salut public et de sûreté générale.

[15] Eckard, Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 210. Paris, 1817.

[16] Eckard, Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 211.

[17] M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, son agonie, etc., t. II, p. 190-191. — M. de Beauchesne cite un extrait du registre des délibérations du Temple, qui prouve en effet combien était vive la sollicitude du Conseil relativement aux abat-jour !

[18] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, fille du roi, p. 242. — M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 257.

[19] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, fille du roi, p. 242. — M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 257.

[20] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, fille du roi, p. 242. — M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 257.

[21] Date indiquée d'une manière précise par M. Jules Favre, dans sa plaidoirie en faveur des héritiers de Naündorff, comme étant celle qu'il a lui-même vérifiée dans les archives. V. la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851.

[22] M. Wilson Croker pense que l'influence de Joséphine Beauharnais, liée dès cette époque avec Tallien et Barras, ne fut peut-être pas étrangère à la nomination de Laurent, qui, comme elle, était créole. Essays on the early period of the French Revolution. Essay V, p. 280.

[23] Voyez la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851.

[24] C'est ce que fit observer avec raison, dans sa réplique à M. Jules Favre, M. Dupré-Lasale, substitut du procureur de la République. Voyez la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851.

[25] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, fille du roi, p. 252, Collection Berville et Barrière.

[26] Gazette des Tribunaux du 31 octobre 1834, procès de Richement.

[27] Louis XVII, sa vie, son agonie, etc., t. II, p. 251 et 252.

[28] M. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 251-252.

[29] Mémoires de Lombard, t. I, chap. XVI, p. 128-130. — Paris. 1823.

[30] M. Jules Favre, dans sa plaidoirie en faveur des héritiers de Naündorff, dit : Nous avons été aux Archives. Nous y avons trouvé la date des nominations et les états de payement des gardiens du Temple. Gomin a été nommé gardien le 9 novembre 1794. Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851. Suivant M. de Beauchesne, cette nomination aurait eu lieu le 8 novembre. Mais qu'elle ait eu lieu le 9 ou le 8, toujours est-il que la date vraie n'est pas celle que donna Gomin lui-même. Interrogé par la justice, il indiqua comme date de son entrée au Temple, vers le 9 thermidor an II (26 août 1794). Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851. Or, en premier lieu, le 9 thermidor ne correspond aucunement 26 août ; et, en second lieu, le gardien qui fut nommé immédiatement après le 9 thermidor fut Laurent, comme on l'a vu, et non pas Gomin. Maintenant, voyons ce que dit de la mémoire de ce Gomin, M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, son agonie, etc., t. II, p. 268. Je l'ai beaucoup connu dans les dernières années de sa vie. Cet homme, qui avait vieilli au souffle des orages, avait, à quatre-vingts ans, une mémoire et une activité de trente ans. Et c'est un homme doué d'une mémoire aussi prodigieuse qui, interrogé sur une date de nature à se graver profondément dans son esprit, répondit : Vers le 9 thermidor an II (26 août 1794) ! Encore si on n'avait à lui reprocher que d'avoir manqué de mémoire !

[31] M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 270 et 271.

[32] Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851.

[33] Voyez la plaidoirie de M. Jules Favre, en faveur des héritiers de Naündorff, dans la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851, et le livre de M. A. de Beauchesne lui-même, t. II, p. 320.

[34] Sur la façon singulière dont elle accueillit les communications de M. Morel de Saint-Didier, et sur son refus obstiné de voir madame de Rambaud, le procès des héritiers de Naündorff renferme des détails curieux auxquels nous renvoyons le lecteur.

[35] Voyez le Moniteur, an III, n° 74, séance du 12 frimaire (2 décembre 1794).

[36] Moniteur, an III, n° 74.

[37] Moniteur, an III, n° 74.

[38] Voyez le t. XXXVII de l'Histoire parlementaire, p. 97.

[39] M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 234.

[40] M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 230.

[41] Il est à noter que, pour les détails auxquels nous faisons allusion ici, M. A. de Beauchesne n'a pas même la ressource de dire qu'il les tient des deux gardiens Gomin et Lasne, puisque ces détails se rapportent à une époque antérieure à l'entrée au Temple de ces deux hommes. Il est vrai que, pour prouver comme quoi l'enfant se levait pendant la nuit, se plaçait sur une chaise, appuyait ses deux coudes sur la table, etc., etc., M. A. de Beauchesne, qui en général ne cite pas ses autorités, cite, chose assez plaisante, M. Simien-Despréaux, auteur d'une rapsodie publiée en 1817, sous le titre de Louis XVII. Il est surprenant que M. Simien-Despréaux lui-même, que M. de Beauchesne appelle par erreur Desparaux, et qui n'était pas au Temple, lui non plus, encore moins dans la chambre de l'enfant, pendant la nuit, ait si bien pu savoir ce qui s'y passait !

[42] L'ouvrage de M. Hue ne peut faire foi que pour ce qui s'est passé au Temple avant le 2 septembre. Cléry n'a pas poussé son journal au delà de la mort de Louis XVI. Les Mémoires de l'abbé Edgeworth de Firmont ne se rapportent qu'aux derniers moments de ce monarque. Les Quelques souvenirs de M. Lepitre remontent à une époque antérieure à celle dont nous nous occupons. Il en est de même des notes communiquées à M. Eckard par M. Turgy, qui quitta le Temple le 14 octobre 1793. Voilà pour les sources.

[43] Récit des événements arrivés au Temple par Madame Royale, D. 226.

[44] Voyez le Moniteur, an III, n° 125.

[45] Souvenirs sur Marie-Antoinette, t. III, liv. XIX, p. 142.

[46] Ce passage est remarquable, mais l'ouvrage dont il est tiré ne doit être lu qu'avec défiance, étant une des nombreuses compilations pseudo-historiques du baron Lamothe-Langon. Néanmoins, comme Lamothe-Langon, auditeur au Conseil d'État sous l'Empire, était un des habitués du salon de Cambacérès, il a été en position d'apprendre là beaucoup de choses, et il y a des renseignements à puiser dans les anecdotes dont il a fait son profit.

[47] Cette Histoire secrète du Directoire a été attribuée au comte Fabre (de l'Aude), mais le savant M. Quérard incline à croire que c'est une œuvre supposée.

[48] Journal du Commerce du 3 décembre 1832 et Histoire secrète du Directoire, t. I, chap. XI, p. 186-189. — Paris, 1832.

[49] Ainsi que M. Gruau de la Barre en fit avec raison la remarque dans un mémoire par lui adressé, en décembre 1840, au tribunal de police correctionnelle. Voyez ce Mémoire, p. 15.

[50] Rapport de Cambacérès, dans la séance du 3 pluviôse (22 janvier), 1795. Moniteur, an III, n° 125.

[51] Moniteur, an III, n° 125.

[52] Moniteur, an III, n° 125.

[53] Wilson Croker, Essays on the early period of the French Révolution, Essay V, p. 287.

Nous avons déjà eu l'occasion de dire que M. Wilson Croker possédait une magnifique collection de documents relatifs à la Révolution française, collection qu'il avait passé plusieurs années de sa vie à recueillir, qu'il vendit au British Museum, lorsqu'il fut nommé à l'amirauté, et où nous avons beaucoup puisé.

[54] Récit d'Harmand (de la Meuse). Voyez les Éclaircissements historiques placés à la suite du Journal de Cléry, p. 332. Collection des Mémoires relatifs à la Révolution française.

[55] Récit d'Harmand (de la Meuse). Éclaircissements historiques placés à la suite du Journal de Cléry, p. 332.

[56] Récit d'Harmand (de la Meuse). Éclaircissements historiques placés à la suite du Journal de Cléry, p. 332.

[57] Récit d'Harmand (de la Meuse). Éclaircissements historiques placés à la suite du Journal de Cléry, p. 332.

[58] Impossible en effet de supposer qu'Harmand ait voulu parler de commissaires autres que les gardiens, qui étaient présents et pouvaient seuls expliquer ce que les députés désiraient connaître.

[59] Chose qui ne saurait être trop remarquée ! ces mots : Ils nous protestèrent, etc., sont omis par Eckard, dans la citation qu'il donne du récit d'Harmand, — sans que l'omission soit même indiquée par des points ! Voyez Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 245.

[60] Nous les citerons plus loin.

[61] Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851.

[62] Voyez la Gazette des Tribunaux du 31 octobre 1834. Procès de M. de Richemont.

[63] Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851.

[64] Voyez la Gazette des Tribunaux du 31 octobre 1834.

[65] Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851.

[66] Récit d'Harmand (de la Meuse), Éclaircissements historiques, à la suite du Journal de Cléry, p. 337.

[67] Ce qui le prouve, c'est que la chambre, où Harmand vit l'enfant, est, d'après sa propre description, celle où Simon avait eu son lit, ubi supra, p. 331. Or, celle dans laquelle on avait depuis relégué le prisonnier était, comme le dit M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 190 et 191, celle qu'avaient occupée Cléry d'abord, et ensuite la femme de Simon, pendant sa maladie.

[68] Récit d'Harmand (de la Meuse), Éclaircissements historiques, à la suite du Journal de Cléry, p. 331.

[69] Récit d'Harmand (de la Meuse), Éclaircissements historiques, à la suite du Journal de Cléry, p. 333.

[70] Récit d'Harmand (de la Meuse), Éclaircissements historiques, à la suite du Journal de Cléry, p. 333.

[71] Récit d'Harmand (de la Meuse), Éclaircissements historiques, à la suite du Journal de Cléry, p. 337.

[72] Récit d'Harmand (de la Meuse), Éclaircissements historiques, à la suite du Journal de Cléry, p. 337.

[73] J. Suvigny, Preuves de l'existence du fils de Louis XVI, p. 41.

[74] Eckard, Mémoires historiques, etc., p. 254.

[75] C'est ce que dit M. A. de Beauchesne lui-même, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 241. Il est vrai qu'il ajoute : Les bons traitements lui rendirent la parole. Il n'avait point eu de voix pour maudire, il en eut une pour remercier. Selon son usage, M. de Beauchesne oublie d'apprendre au lecteur sur quelle autorité il s'appuie, quand il assure que n'ayant point eu de voix pour maudire, l'enfant en eut une pour remercier. Si c'est de Gomin ou de Lasne qu'il tient cela, on sait maintenant ce que pèsent de tels témoignages. Et ce n'est certes pas le témoignage de Desault ; qui pourrait être invoqué ici, puisque dans les papiers de Desault, on n'a trouvé aucune note relative à ses visites au Temple. Il n'est pas, d'un autre côté, fort aisé de comprendre pourquoi l'enfant aurait d'abord été tenté de maudire le médecin qui venait le soigner. Pure question d'antithèse !

[76] Voyez la Biographie médicale, art. Desault, t. III, p. 443.

[77] Biographie médicale, art. Desault, t. III, p. 443.

[78] Extrait du livre de M. J. Suvigny, p. 42 et 43.

[79] Ce fait se trouve mentionné dans un article publié en 1817, par l'American bee. Voyez le Mémoire de M. Gruau de la Barre, p. 13, et l'ouvrage publié, en anglais, par M. Hanson sous ce titre : The lost prince, p. 160.

Dans sa plaidoirie en faveur des héritiers de Naündorff, M. Jules Favre dit :

S'il m'est permis de me citer, je dirai que, lorsque je suis allé plaider Périgueux, là, un homme, ancien oculiste de la duchesse de Berry, ami intime de Desault, m'a fait appeler. Cet homme, très-âgé, ne conserve pas le moindre doute sur la cause de la mort de Desault. Il est mort empoisonné.

Voyez la Gazette des Tribunaux du 31 mai 1851.

[80] C'est ce que nous engageons le lecteur à vérifier.

[81] Moniteur, an III, numéro 263.

[82] Voici le texte de l'acte de décès de Desault :

Ville de Paris, rég. 51, n° 548.

Extrait du registre des actes de décès de la municipalité de Paris, pour l'an III.

Du quatorze prairial de l'an III, acte de décès de Pierre-Joseph Desault, du jour d'hier, dix heures du soir, chirurgien, âgé de cinquante ans, natif de Lure, département de la Haute-Saône, demeurant à Paris, enclos de la Raison, 18, marié à Marguerite Thouvenin.

Sur la déclaration faite à la maison commune par Xavier Bichat, âgé de vingt-deux ans, officier de santé, demeurant à l'hospice de l'Humanité : le déclarant a dit être l'ami du défunt ; et par Antoine Fontaine, âgé de trente-sept ans, demeurant à Paris, même enclos, 18 : le déclarant a dit être aussi ami.

Signé : X. BICHAT, FONTAINE, BOIS.

[83] Moniteur, an III n° 256.

[84] Courrier républicain, n° 593.

[85] A tant de frappants indices, M. A. de Beauchesne, qui ne paraît pas même en avoir soupçonné l'existence, n'avait rien à opposer. Il se borne à dire : M. Desault, qui avait été médecin des enfants de France, n'a jamais douté que son jeune malade ne fût le Dauphin. Voilà, certes, une manière tranchante et commode de résoudre les questions. Mais les preuves ? M. A. de Beauchesne n'en donne aucune, et ne cite aucune autorité à l'appui. Il ajoute : Non-seulement il le reconnut à ses traits (et la preuve ? la preuve ?), mais il lui eût été impossible de lui donner des soins pendant huit jours sans acquérir la plus intime conviction de son identité (ou de sa non-identité). M. A. de Beauchesne suppose ici précisément ce qui est à démontrer. Une pétition de principes, voilà sa manière d'en finir avec les problèmes historiques.

[86] Beaulieu, Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution, t. VI, p. 196.

[87] Eckard, Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 268.

M. A. de Beauchesne, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 353, dit : M. Choppart n'a jamais paru à la tour du Temple, et ce n'est pas chez lui que les médicaments fournis au prisonnier étaient préparés, mais bien chez M. Robert, et plus tard, chez M. Bacoffe, pharmacien, demeurant presque en face du Temple. Ici, selon son habitude, M. A. de Beauchesne oublie de citer ses autorités et de mettre la source du renseignement à côté du renseignement. Si ses autorités, sur ce point, sont Gomin et Lasne, le lecteur aura à se décider entre le témoignage de ces deux faux témoins, et celui de Beaulieu, qui était contemporain de Desault, qui le connaissait personnellement, et qui dit en propres termes : M. Desault étant mort lui-même peu de temps après, ainsi que le pharmacien qui fournissait les remèdes, on n'a pas manqué de dire qu'on les avait sacrifiés à un secret qu'il importait de garder. De son côté, Eckard assure non-seulement que le pharmacien Choppart était l'ami de Desault. mais qu'il avait commencé avec lui le traitement du jeune malade.

Ce qui est vrai, c'est que ceux-là se sont trompés, qui ont présenté Choppart comme ayant succédé à Desault, dans le traitement du prisonnier du Temple. Mais la question n'est pas là ; elle n'est pas même dans le point de savoir qui fournissait les remèdes. Il suffisait que le médecin et le pharmacien fussent amis, pour que Desault ait pu et dû naturellement lui confier ses impressions relativement au malade.

[88] L'auteur de l'article Desault, dans la Biographie médicale, t. III, p. 443, oppose aux bruits d'empoisonnement, qu'il constate, l'opinion de certains hommes de l'art qui, dit-il, après l'ouverture du corps de Desault, certifièrent que le poison n'avait eu aucune part à sa mort. Mais il aurait fallu donner les certificats de ces hommes de l'art, et on ne les donne pas ; il aurait fallu au moins les nommer, ces hommes de l'art, et on ne les nomme pas ! Comment, du reste, s'arrêter aux assertions vagues contenues dans un article dont l'auteur a été si mal renseigné, qu'il fait succéder Choppart à Desault, dans le traitement du prisonnier du Temple ?

[89] On en trouvera plus loin la preuve irrécusable dans un procès-verbal signé du docteur Pelletan lui-même.

[90] Lettre de M. Dumangin à M. Pelletan, dans la polémique qui eut lieu entre eux en 1817.

[91] J. Suvigny, Preuves de l'existence du fils de Louis XVI, etc., p. 50.

[92] Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort, t. II, p. 356.

[93] Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 258.

[94] Louis XVII, sa vie, son agonie, sa mort, t. II, p. 361 et 362.

Nous lisons en note, p. 361, à propos du municipal désigné seulement par la lettre N*** : Malgré tous ses efforts, Gomin, qui se rappelait parfaitement le fait, n'a pu se souvenir du nom du municipal. Il est vraiment regrettable que Gomin, dont M. A. de Beauchesne ailleurs vante tant la mémoire, ait juste oublié ce qui aurait pu fournir un moyen de vérification !

[95] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, p. 243. — Collection des Mémoires relatifs à la Révolution.

[96] Récit des événements arrivés au Temple, par Madame Royale, p. 256.

[97] Voyez ci-après l'acte de décès.

[98] M. A. de Beauchesne lui-même le dit ainsi, Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p.370 et 371.

[99] Cette conclusion n'est pas celle de M. A. de Beauchesne, mais elle résulte invinciblement de son propre récit, auquel nous renvoyons le lecteur. Voyez Louis XVII, sa vie, etc., t. II, p. 370, 371 et 372.

[100] Moniteur, an III, n° 266.

[101] Nous empruntons cette remarque au livre de M. J. Suvigny, p. 50 et 51.

[102] Extrait du registre des actes de décès du 24 prairial de l'an III de la République (12 juin 1795) :

Acte de décès de Louis-Charles Capet, du 20 de ce mois, (8 juin), trois heures après midi, âgé de dix ans deux mois, natif de Versailles, département de Seine-et-Oise, domicilié aux tours du Temple, section du Temple.

Fils de Louis Capet, dernier roi des Français, et de Marie-Antoinette-Joséphine-Jeanne d'Autriche ;

Sur la déclaration faite à la Maison commune ;

Par :

Étienne Lasne, âgé de trente-neuf ans, gardien du Temple, domicilié à Paris, rue et section des Droits-de-l'Homme, 48 ;

Le déclarant a dit être voisin ;

Et par :

Remi Bigot, employé domicilié à Paris, Vieille-Rue du Temple, n° 61 ;

Le déclarant a dit être ami ;

Vu le certificat de Dusser, commissaire de police de ladite section, du 22 de ce mois (10 juin) ;

Signé : LASNE, BIGOT, et ROBIN, officier public.

Pour copie conforme.

Cet acte, dressé quatre jours après le décès, est, dit avec raison M. Gruau de la Barre, avocat, dans le mémoire publié par lui au mois de décembre 1840, la seule pièce authentique qu'on ait représentée pour attester la mort d'un roi, dans des circonstances où il importait qu'un événement aussi grave ne laissât pas le moindre doute dans l'esprit de qui que ce soit… Il suffit de le lire pour se convaincre qu'il ne mérite aucune foi.

[103] Eckard, Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 261.

[104] Cette observation est de M. A. de Beauchesne, qui, en ceci, a complètement raison.

[105] Eckard, Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 261.

[106] Voyez le texte du rapport dans le Moniteur, an III, n° 263, séance du 21 prairial (9 juin 1795).

[107] Essais historiques sur la révolution de France, t. VI, p. 196.

[108] Le Nouveau Paris, t. III, chap. LXXXII.

[109] Moniteur, an III, n° 266.

[110] La presse d'alors les constate. Voyez notamment le Courrier républicain, n° 585.

[111] Ces faits, ainsi que cela résulte d'un article de la Quotidienne du 6 novembre 1825, furent portés, dans ce temps-là, à la connaissance de la duchesse d'Angoulême, par M. Morin de la Guérivière, lequel avait gardé et possédait l'original de l'ordre signé Chazal. Voyez pour plus amples détails, le mémoire publié en 1840 par M. Gruau de la Barre.

[112] M. Jules Favre, par exemple, dans sa plaidoirie en faveur des héritiers de Naündorff. Voyez la Gazette des Tribunaux du 7 juin 1851.

[113] Voyez ce que dit à ce sujet Puisaye lui-même, t. IV de ses Mémoires, p. 240 et 241.

[114] Il y eut, à cette occasion, entre le docteur Pelletan et le docteur Dumangin, une polémique que M. Wilson Croker a quelque raison de trouver scandaleuse.

[115] Eckard, Mémoires historiques sur Louis XVII, p. 279, 280.

[116] Voyez la pièce n° 30, dans le livre de M. J. Suvigny. p. 63, 64.

[117] Eckard, Mémoires historiques, etc., p. 282.

[118] Voyez à ce sujet la déclaration du fils même de M. Caron, p. 149 du livre de M. J. Suvigny.