HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DOUZIÈME

 

CHAPITRE VII. — LE DÉNOUEMENT

 

 

Rapport de Saint-Just. — Séance du 9 thermidor : scènes d'oppression ; drame affreux ; dévouements ; les deux Robespierre, Lebas, Couthon et Saint-Just décrétés d'arrestation. — Ce ne fut pas la Terreur qu'on entendit frapper en les frappant. — Fouquier-Tinville à dîner chez Vergne ; sa rencontre avec le bourreau. — Henriot ; il appelle le peuple aux armes ; son arrestation. — Robin (de l'Aube) et Billaud-Varenne ; embarras des vainqueurs. — Mesures prises par la Commune. — Les Jacobins s'unissent à la Commune. — Henriot délivré par Coffinhal. — Physionomie de l'Assemblée. — Robespierre prisonnier. — Pourquoi on le refuse au Luxembourg. — Manœuvre infâme. — Attitude de Robespierre. — Physionomie de la Maison Commune. — Coffinhal entraîne de force Robespierre à la Commune. — Autorités rivales en présence. — Histoire des sections dans la journée du 9 thermidor. — Les forces se balancent. — Barras à la tête des forces de la Convention. — Mise hors la loi de Robespierre ; calomnies répandues dans Paris. — Plusieurs sections, trompées, se détachent de la Commune. — Scène nocturne au Comité de salut public ; Billaud émet l'opinion qu'il faut assiéger la Maison Commune. — Couthon à l'Hôtel de Ville. — Robespierre, jusqu'au bout, l'homme du Droit. — Mot sublime. — Lettre remarquable de Le Bas. — Robespierre ne peut se résoudre à sanctionner la guerre civile. — Document tragique. — La Maison Commune investie. — Robespierre reçoit un coup de pistolet du gendarme Méda. — Son frère se jette du haut des croisées de l'Hôtel de Ville. — Dernières et remarquables paroles de Robespierre jeune. — Couthon et Saint-Just entre les mains de leurs ennemis. — On découvre Henriot. — Longue agonie de Robespierre ; son stoïcisme. — Barbarie et lâcheté des vainqueurs. — L'exécution. — Note critique.

 

Le rapport de Saint-Just s'ouvrait par cette belle déclaration : Je ne suis d'aucune faction ; je les combattrai toutes. Elles ne s'éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, poseront la borne de l'autorité, et feront ployer sans retour l'orgueil humain sous le joug de la liberté publique[1].

Soulevant ensuite d'une main à la fois résolue et prudente le voile qui avait jusqu'alors couvert les délibérations du Comité de salut public, Saint-Just racontait avec gravité comment la discorde s'y était introduite. L'origine du mal était dans la jalousie que l'ascendant moral d'un homme avait fait naître.

Cet homme, éloigné du Comité par les plus amers traitements, lorsque le Comité n'était plus, en effet, composé que de deux ou trois membres, se justifie devant vous. Il ne s'explique point, à la vérité, assez clairement, mais son éloignement et l'amertume de son âme peuvent excuser quelque chose ; il ne sait point l'histoire de sa persécution, il ne connaît que son malheur. On le constitue en tyran de l'opinion. Il faut que je m'explique là-dessus, et que je porte la flamme sur un sophisme qui tendrait à faire proscrire le mérite. Et quel droit exclusif avez-vous sur l'opinion, vous qui trouvez un crime dans l'art de toucher les âmes ? Trouvez-vous mauvais que l'on soit sensible ? Êtes-vous donc de la cour de Philippe, vous qui faites la guerre à l'éloquence ? Un tyran de l'opinion ! Qui vous empêche de disputer l'estime de la patrie, vous qui trouvez mauvais qu'on la captive ? Il n'est point de despote au monde, si ce n'est Richelieu, qui se soit offensé de la célébrité d'un écrivain. Est-il un triomphe plus désintéressé ? Caton aurait chassé de Rome le mauvais citoyen qui eût appelé l'éloquence, dans la tribune aux harangues, le tyran de l'opinion. Personne n'a le droit de stipuler pour elle ; elle se donne à la raison, et son empire n'est point le pouvoir des gouvernements[2].

 

C'est ainsi que Saint-Just s'étudiait à mettre les esprits en garde contre ce ver rongeur qui, dans toutes les républiques, s'attache aux racines de l'égalité : l'envie ! Du reste, il se défendait, d'un ton fier, de l'idée de flatter Robespierre : Je le défends parce qu'il m'a paru irréprochable, et je l'accuserais lui-même s'il devenait criminel[3].

Saint-Just dénonçait aussi comme un élément actif de division l'orgueil : La journée de Fleurus a contribué à ouvrir la Belgique. Je désire qu'on rende justice à tout le monde, et qu'on honore des victoires, mais non point de manière à honorer le gouvernement plus que les armées ; car il n'y a que ceux qui sont dans les batailles qui les gagnent, et il n'y a que ceux qui sont puissants qui en profitent. Il faut donc louer les victoires et s'oublier soi-même. Si tout le monde avait été modeste nous serions fort paisibles[4].

Ce passage, évidemment dirigé contre les fanfares de Barère, faisait suite, dans le rapport, à un blâme qui atteignait Carnot, auquel l'orateur reprochait, sans le nommer, d'avoir pris, en dehors de ses collègues, une mesure propre à compromettre le succès de la campagne par l'affaiblissement inopportun et inexpliqué de l'armée de Sambre-et-Meuse[5].

Ce n'était, toutefois, ni sur Barère ni sur Carnot que Saint-Just faisait particulièrement peser sa parole. Collot-d'Herbois, et surtout Billaud-Varenne, voilà les hommes qu'il dénonçait comme ayant formé le plan d'usurper le pouvoir en immolant une partie des membres du Comité et en dispersant les autres dans la République[6].

De fait, entre les mains de qui s'était trouvé concentré, dans les derniers temps, le pouvoir du Comité de salut public ? Pendant que lui-même, Saint-Just, était au camp, et que les infirmités de Couthon le retenaient souvent chez lui, et que Robespierre vivait à l'écart, est-ce que Saint-André et Prieur (de la Marne) n'étaient pas en mission, et Prieur (de la Côte-d'Or), Lindet, ensevelis dans leurs bureaux ? Restaient donc Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Carnot et Barère, à qui seuls se pouvait appliquer ce mot de Saint-Just : Le reste, qui exerçait l'autorité de tous, me paraît avoir essayé de profiter de leur absence[7].

Mais, plus loin, il restreignait encore ses accusations, en ne désignant par leurs noms que Collot-d'Herbois et Billaud-Varenne[8]. Déjà il avait montré celui-ci tenant depuis quelques jours une conduite obscure, annonçant par des paroles entrecoupées des inquiétudes mystérieuses dont le dernier mot expirait toujours sur ses lèvres ; tantôt murmurant le nom de Pisistrate ; tantôt pâle, silencieux, l'œil fixe, arrangeant ses traits altérés[9].

Au surplus, même à l'égard de Billaud-Varenne et de Collot-d'Herbois, Saint-Just ne demandait aucune décision violente.

Je ne conclus pas, disait-il en terminant, contre ceux que j'ai nommés ; je désire qu'ils se justifient et que nous devenions plus sages.

Je propose le décret suivant :

La Convention nationale décrète que les institutions qui seront incessamment rédigées présenteront les moyens que le gouvernement, sans rien perdre de son ressort révolutionnaire, ne puisse tendre à l'arbitraire, favoriser l'ambition, et opprimer ou usurper la représentation nationale[10].

Ainsi, l'on avait accusé les Robespierristes de vouloir une dictature, et ce qu'ils venaient proposer, par l'organe de Saint-Just, c'était un régime de garanties qui rendît la dictature impossible !

On les avait accusés de viser droit au cœur de la représentation nationale, et Saint-Just demandait qu'on frappât d'impuissance quiconque tendrait à l'usurper ou à l'opprimer.

On avait accusé les Robespierristes de rêver l'immolation du pouvoir multiple du Comité à l'action d'un seul, et Saint-Just venait dire : Vous devez regarder comme un acte de tyrannie toute délibération du Comité qui ne sera point signée de six membres[11].

Quel prétexte, après cela, pouvait-il rester aux alarmes affectées si bruyamment par les conjurés ?

Il est vrai que Saint-Just dénonçait deux de ses collègues ; mais que leur reprochait-il ? Des vues ambitieuses, rien de plus ; de sorte qu'il n'était pas jusqu'à la nature du reproche qui ne servît de réponse à ce qu'on avait tant dit et répété touchant les projets de dictature caressés par Robespierre et les siens. Encore faut-il remarquer que Saint-Just se contentait de conclure à un calme examen des griefs énoncés, appelant ses deux collègues à se justifier, et exprimant le désir qu'ils y parvinssent.

Mais la lumière était précisément ce que les conjurés redoutaient, ce qu'ils avaient d'avance résolu d'éviter à tout prix. A l'égard de Robespierre, de Couthon, de Saint-Just, leur mot d'ordre était : Tuons-les sans les entendre.

Aussi le rapport que nous venons d'analyser ne fut-il pas lu. A peine Saint-Just avait-il prononcé les premiers mots, que Tallien l'interrompt brusquement :

Je réclame la parole pour une motion d'ordre. L'orateur a commencé par dire qu'il n'était d'aucune faction ; je dis la même chose. Aucun bon citoyen ne peut retenir ses larmes sur le sort malheureux auquel la chose publique est abandonnée. Partout on ne voit que division. Hier, un membre du gouvernement s'en est isolé, a prononcé un discours en son nom particulier, aujourd'hui un autre fait la même chose... Je demande que le voile soit entièrement déchiré[12].

 

Au milieu des applaudissements que ces paroles soulèvent, Billaud-Varenne, vivement agité, se dirige vers la tribune. Un effroyable orage va éclater ; mais quelles seront les suites ? Barère, soit remords, soit pressentiment de l'avenir, se penche à l'oreille de Billaud, et lui dit : N'attaque point Robespierre ; laisse là Couthon et Saint-Just[13].

Sagesse tardive ! il est lancé, ce char qui finira par écraser ceux qui le mirent en mouvement.

Hier, s'écrie Billaud-Varenne furieux, la Société des Jacobins était remplie de gens apostés, puisque aucun n'avait de carte ; hier, on a développé dans cette société l'intention d'égorger la Convention nationale[14].

Le fait était faux ; Billaud-Varenne le savait faux[15] ; et, dans le même discours, il se donna un démenti, en disant : Hier, le président du Tribunal révolutionnaire a proposé aux Jacobins de chasser de la Convention tous les hommes impurs, ceux que l'on veut sacrifier[16]. Mais quelle place pour la vérité dans un appel aux poignards !

Étendant la main : Je vois sur la Montagne un de ces hommes qui menaçaient les représentants du peuple ; le voilà ! Un cri s'élève : Arrêtez-le ! arrêtez-le ! Et l'individu, saisi aussitôt, est traîné hors de la salle, au bruit d'applaudissements redoublés[17].

Si jamais réquisitoire fut misérable, ce fut celui qui tomba, en cette occasion, des lèvres frémissantes de Billaud-Varenne. Tout ce qu'il trouva contre Saint-Just, c'est qu'il n'avait pas tenu sa promesse de communiquer son rapport au Comité avant de l'aller lire à la tribune.

Tout ce qu'il trouva contre Robespierre, c'est que le chef de la garde nationale, Henriot, avait été dénoncé par le Tribunal révolutionnaire comme complice d'Hébert, et que Lavalette, recommandé par Robespierre, était un ancien noble[18]. Robespierre accusé d'être à la fois hébertiste et royaliste ! Un de ses crimes, suivant Billaud-Varenne, c'était de lui avoir disputé, à lui Billaud, la tête de Danton. L'orateur était à ce point hors de lui, qu'il courut le risque de se rendre ridicule en reprochant à un homme dont la probité, en tout cas, était inattaquable, d'avoir empêché l'arrestation d'un secrétaire du Comité, coupable de vol[19]. Encore une fois, la question était, non de prouver, mais de tuer.

A ce cri de la haine : L'Assemblée est entre deux égorgements ; elle périra si elle est faible ; la haine répondit avec transport. On vit les chapeaux s'agiter en l'air ; des acclamations passionnées firent retentir l'enceinte[20] ; et quand Billaud-Varenne dit : Je ne crois pas qu'il y ait ici un seul représentant qui voulût exister sous un tyran, le cri : Périssent les tyrans ![21] parti de divers points de la salle, promit une nouvelle proie au bourreau.

Robespierre se lève pour se défendre ; des clameurs systématiques étouffent sa voix. Il invoque un droit que les tyrans seuls méconnaissent, et c'est en criant : A bas le tyran ! qu'on le lui refuse ! Lecointre veut qu'on lui accorde la parole pendant une demi-heure ; mais Mallarmé le conjure de ne pas insister, attendu que Robespierre, si on le laissait parler, pourrait surprendre en sa faveur les consciences indécises, et que retarder d'un moment serait une faute irréparable[22].

En d'autres termes, on s'exposait à perdre le bénéfice du vote convenu, si ce vote n'était pas un assassinat ! Je désire qu'ils se justifient, avait dit Saint-Just en dénonçant Collot-d'Herbois et Billaud-Varenne. Ce simple rapprochement montre de reste de quel côté était ici la vérité, et de quel côté la tyrannie.

Tallien prend de nouveau la parole. Il dit, à l'adresse de la Montagne : Nous ne sommes pas modérés[23]. Il dit, à l'adresse du côté droit : Nous voulons que le Tribunal révolutionnaire traite les accusés avec décence et justice[24]. Que n'ose-t-on, quand on est d'avance sûr de la victoire ? C'est Tallien, oui, Tallien, qui accusa Robespierre d'être servi par des hommes perdus de débauche. Il propose l'arrestation d'Henriot, de son état-major, et aussi la permanence de l'Assemblée, jusqu'à ce que le glaive de la loi ait assuré la Révolution[25]. Il s'était écrié, en commençant : Je me suis armé d'un poignard pour percer le sein du nouveau Cromwell, si la Convention n'avait pas le courage de le décréter d'accusation[26]. Et il l'avait agité, du haut de la tribune, ce poignard[27] ! Et l'Assemblée avait applaudi à ce projet de violer sa souveraineté par un meurtre[28] !

Les propositions de Tallien furent votées d'acclamation ; mais on entendait frapper de bien autres coups. A l'arrestation d'Henriot, Billaud-Varenne demande et obtient qu'on ajoute celle de Dumas, celle de Dufraisse, celle de Boulanger. — Ce dernier, contradiction bien étrange ! pour avoir été le complice d'Hébert et l'ami de Danton[29]. — Delmas fait mettre sur la liste les adjudants et aides de camp d'Henriot, parce qu'il est impossible qu'il n'ait pas eu l'adresse de s'entourer de conspirateurs[30].

Robespierre alors demande à être écouté, sa voix meurt au milieu du tumulte : Non, non, à bas le tyran ![31]

Jamais, peut-être, dans le monde, l'iniquité ne se produisit avec plus de scandale. Si, du moins, on avait accordé la parole aux partisans de cet homme qu'on opprimait de la sorte au nom de la liberté ! Mais Le Bas, lui aussi, avait été brutalement condamné à se taire[32]. La parole était à l'assassinat.

Elle fut donnée à Barère.

Barère était l'homme des partis qui triomphent, et, d'autre part, il sentait que la chute de Robespierre entraînerait bien d'autres chutes ! Il ne l'attaqua donc que d'une manière indirecte, sans prononcer aucun nom. Il alla même jusqu'à proposer, dans un projet de décret présenté au nom des deux Comités, qu'on mît la représentation nationale sous la sauvegarde du maire de Paris et de l'agent national, en les rendant responsables, sur leur tête, de tous les troubles qui pourraient survenir dans Paris[33]. Seulement, il demandait que le grade de commandant général de la garde nationale fût supprimé, et que chaque chef de légion commandât à son tour.

L'Assemblée adopta ce projet, ainsi que celui d'une proclamation qui invitait le peuple à se rallier autour d'elle[34].

Les heures s'écoulaient. Vadier s'étant mis à parler longuement de la loi du 22 prairial, de l'affaire de Catherine Théot, d'un certain Taschereau qu'il prétendait être un espion, et de Bazire, de Camille Desmoulins, dont il faisait un crime à Robespierre d'avoir pris la défense[35], Tallien tremble que ces divagations d'un vieillard ne laissent aux colères excitées le temps de se refroidir, et à la Convention le temps de revenir à elle-même. Je demande à ramener la discussion à son vrai point, s'écrie-t-il. Je saurai bien l'y ramener, répond Robespierre. Et les murmures couvrent sa voix. Tallien l'accusant d'avoir fait arrêter des patriotes, Robespierre l'interrompt : C'est faux... je[36]... Le tumulte recommence. L'infortuné tourna les yeux du côté de la Montagne. Ô désertion trop semblable à un suicide ! les uns restent immobiles ; les autres, n'osant soutenir ce regard qui les trouble, détournent la tête. Alors, pâle, indigné, et, d'un mouvement machinal, roulant entre ses doigts un canif ouvert[37], Robespierre invoque tous les côtés de l'Assemblée. Mais non : leur parti est pris d'écraser sa parole sous leurs clameurs. Lui, le visage tourné vers le président : Président de brigands, accorde-moi la parole, ou décrète que tu veux m'assassiner[38]. Thuriot, qui vient de remplacer Collot-d'Herbois au fauteuil, ne répond qu'en agitant sa sonnette d'une main implacable.

C'est alors que, voyant Robespierre épuisé, haletant, Garnier (de l'Aube) lui lança cette insulte : Le sang de Danton t'étouffe ! Foudroyante fut la réponse de Robespierre : C'est donc Danton que vous voulez venger ?... Lâches ! pourquoi ne l'avez-vous pas défendu ?[39]

Bien que, selon l'expression de Tallien, les conjurés fussent convenus d'en finir, aucun d'eux n'avait encore osé prononcer, en l'appliquant à un homme tel que Robespierre, le mot décisif arrestation. Ce fut le député Louchet[40], qui le jeta au milieu du bruit. Or qui était ce Louchet ? Un des plus violents Terroristes de l'Assemblée[41].

La motion était attendue ; et pourtant, quand elle se produisit, il y eut comme un mouvement général de stupeur. Le Moniteur, écrit par les vainqueurs le lendemain de la victoire, ne dit pas qu'après la motion de Louchet les applaudissements furent d'abord isolés ; mais le fait est constant[42], et l'on peut bien croire que, pour en propager la contagion, les conjurés n'épargnèrent rien : ils y réussirent. Loseau ayant appuyé la proposition de Louchet, par le motif que Robespierre avait été dominateur[43], on cria de toutes parts : Aux voix ! aux voix !

En ce moment, un jeune homme, Robespierre jeune, se lève, et, plein d'une émotion magnanime : Je suis aussi coupable que mon frère ; je partage ses vertus, je veux partager son sort. Je demande aussi le décret d'accusation[44]. Quelques-uns sont attendris ; mais la majorité annonce, par un mouvement d'indifférence, qu'elle accepte ce vote généreux[45]. La mesure était comblée. Robespierre pousse des cris déchirants ; il apostrophe le président, il apostrophe l'Assemblée avec la véhémence d'un cœur réduit au désespoir ; il ne veut pas que son frère meure pour lui : qu'on lui laisse au moins défendre son frère ! — Non, non, non ! — Charles Duval, l'auteur du Journal des Hommes libres, feuille si sanguinaire qu'elle était connue sous le nom de Journal des Tigres[46], demande dérisoirement si l'on permettra qu'un homme soit le maître de la Convention[47]. Ah ! qu'un tyran est dur à abattre ![48] s'écrie Fréron, le mitrailleur des Toulonnais. Loseau insiste pour l'immédiate arrestation des deux frères. Billaud-Varenne prononçant le nom de Couthon, Couthon revendique avec courage et noblesse sa part de responsabilité dans les actes de Robespierre[49]. L'arrestation est décrétée, et tous les membres, se levant, crient : Vive la République ![50]

Robespierre : La République ! elle est perdue ! car les brigands triomphent ![51]

Ce qui est digne de vivre éternellement dans la mémoire des hommes, c'est que ceux des Robespierristes que venait mettre à l'épreuve ce drame terrible se montrèrent. unis par les nœuds d'une amitié aussi tendre qu'intrépide. Nul ne chancela, nul ne renia la foi commune. Lorsqu'ils virent qu'un deux allait mourir, tous eurent soif de la mort. Vainement des mains officieuses essayèrent-elles de retenir Le Bas s'élançant vers la tribune pour y annoncer sa résolution de suivre ses amis au tombeau ; il se débattit avec tant de violence, que son habit était en pièces[52], lorsque, émule héroïque du dévouement de Robespierre jeune, il s'écria : Je ne veux point partager l'opprobre de ce décret. Je demande aussi à être arrêté[53]. David, si faible le lendemain, n'assistait pas à cette séance ; Barère l'avait empêché d'y venir, dans l'intention de le sauver[54]. Saint-Just, qui n'avait pas quitté la tribune, gardait le silence, contemplant la Convention avec le sourire du dédain[55]. Quand on le somma de déposer son rapport, il le tendit de l'air d'un homme dont la pensée a pris son essor vers les régions sereines[56].

Quant à Couthon, entendant Fréron lui reprocher d'avoir voulu monter au trône sur les cadavres des représentants du peuple, il haussa les épaules, et, montrant ses membres paralysés, il dit : Je voulais arriver au trône, moi ![57]

C'en est fait : le décret d'arrestation est rendu contre les deux Robespierre, contre Saint-Just, contre Le Bas, contre Couthon ; et le président ordonne qu'on l'exécute.

Mais arrêter Robespierre ! arrêter Saint-Just ! Les .huissiers s'avancent tout interdits, et leur obéissance chancelle[58]. Cependant, appelés de toutes parts à la barre, les cinq députés y descendent, et tandis que Collot-d'Herbois félicite l'Assemblée d'avoir échappé à un second 31 mai, calomnie à laquelle Robespierre vient de répondre par un démenti[59], et qu'il réfutera bien mieux encore, comme on va le voir, par sa mort ; tandis que les membres du Comité de sûreté générale, avertis qu'ils sont attendus au lieu ordinaire de leur séance, traversent la salle en triomphe[60], des gendarmes paraissent, et, dans la personne des prisonniers, emmènent... la République.

Il était, en ce moment, cinq heures et demie. La séance fut déclarée suspendue jusqu'à sept heures[61].

Arrêtons-nous ici un instant, et voyons si, dans Robespierre, ce fut la Terreur que les conjurés, comme ils eurent l'effronterie de le prétendre plus tard, entendirent frapper. Quels sont les crimes qui, dans la séance du 9 thermidor, sont imputés à Robespierre ? Lui reproche-t-on d'avoir personnifié un régime de sang, poussé aux excès révolutionnaires, rempli les prisons, vanté le règne de la guillotine ? Non : ce qu'on lui impute, au contraire, c'est d'avoir protégé d'anciens nobles, fait destituer le plus fougueux des comités révolutionnaires de Paris, défendu Camille Desmoulins, et essayé de sauver Danton. Laurent Lecointre assure que, lorsque ce dernier reproche fut articulé par Billaud-Varenne, des murmures s'étant élevés, Billaud dit insolemment : On murmure, je crois ! Le Moniteur ne rapporte pas ce mot, et Billaud-Varenne l'a nié[62] ; mais ce qu'il ne nia jamais, et ce que le Moniteur rapporte, c'est qu'il prononça, en effet, dans la séance du 9 thermidor, ces paroles caractéristiques : La première fois que je dénonçai Danton au Comité, Robespierre se leva comme un furieux, disant qu'il voyait mes intentions, que je voulais perdre les meilleurs patriotes. Cela me fit voir l'abîme creusé sous nos pas[63]. Qu'on ajoute à ces crimes celui d'avoir attaqué les Comités dans le club des Jacobins, celui d'avoir été dominateur, suivant l'expression de Loseau, et celui d'avoir menacé cinq ou six Terroristes de la trempe de Fouché ou de Tallien, et l'on aura le complément des motifs pour lesquels les Thermidoriens, de leur propre aveu, firent le 9 thermidor. Ce fut Louchet, on l'a vu, qui proposa le décret d'arrestation, et trois semaines après, ce même Louchet demandait, comme unique moyen de salut public, la mise à l'ordre du jour... de la Terreur[64] ! Tant était sanguinaire, écrit l'historien tory Wilson Croker, l'esprit dont était animé le parti qui, en cette occasion, s'éleva contre Robespierre ![65]

Ce jour-là, et avant qu'on sût dans Paris ce qui se passait à la Convention, Fouquier-Tinville était allé dîner en face du Pont-Rouge, chez un nommé Vergne. Comme il sortait du tribunal, un royaliste l'aborde. C'était Samson, le bourreau. Il venait informer l'accusateur public qu'il y avait du trouble dans le quartier du faubourg Saint-Antoine, par où devaient passer les charrettes contenant la fournée des condamnés de la veille. Pourquoi ne pas remettre l'exécution au lendemain ? Rien ne doit arrêter le cours de la justice, répond Fouquier-Tinville, et il continue sa route[66]. Chez Vergne, il rencontra Coffinhal.

On se met à table. Les détails de la séance étaient encore si peu connus, que Fouquier, entendant battre le rappel, s'enquit de la cause. On lui apprit qu'il s'agissait d'un rassemblement d'ouvriers sur le port, d'une agitation populaire suscitée par la question du Maximum. Coffinhal ne parla de rien. Une heure après, le bruit du tambour redouble, et c'est alors qu'arrive la nouvelle de l'arrestation de cinq députés. Fouquier-Tinville sortit aussitôt, et courut attendre, au Palais de Justice, les ordres des Comités[67].

Pendant ce temps, Henriot avait en toute hâte convoqué la gendarmerie sur la place de la Maison Commune[68], et, partant de là, il courait au grand galop dans les rues, le pistolet au poing, criant aux armes, et animant le peuple[69]. L'ordre donné par lui aux gendarmes ayant laissé sans escorte les charrettes qui portaient à l'échafaud sa proie journalière, les exécuteurs manifestèrent, mais en vain, le désir qu'on leur fît violence pour délivrer les condamnés. Ceux-ci durent achever leur funèbre itinéraire, et subirent leur sort[70].

Henriot poursuivait sa route en furieux, le long des quais, par la rue de la Monnaie, par la rue Saint-Honoré.

Ordinairement fort sobre, il avait bu, ce jour-là, voulant s'exciter, un petit verre d'eau-de-vie, et cela ayant suffi pour le mettre hors de lui, il était ivre[71]. Merlin (de Thionville) se trouvant sur son chemin, il le fait arrêter et conduire au corps de garde voisin[72]. Déjà il avait atteint le haut de la rue Saint-Honoré, suivi de ses aides de camp, et traînant après lui les gendarmes, lorsque de députés, Courtois et Robin (de l'Aube), l'aperçoivent du haut des fenêtres d'un traiteur chez lequel ils dînaient. Arrêtez-le, crient-ils aussitôt ; c'est un conspirateur ! Et, à leurs voix, Henriot fut arrêté par six des gendarmes qu'il conduisait. Le Comité de salut public était en séance : Robin (de l'Aube) y fait mener le prisonnier, les mains liées derrière le dos. En passant par le Comité de sûreté générale, il avait entrevu Amar qui fuyait à toutes jambes. Indigné, il dit à Billaud-Varenne, à Collot-d'Herbois, et aux autres membres : Ceux du Comité de sûreté générale ont abandonné leur poste. Voici un traître que je vous amène. Décidez, et promptement.

Chose remarquable et qui montre que, parmi les vainqueurs, quelques-uns commençaient à avoir peur de leur propre victoire ! Billaud-Varenne répondit : Que veux-tu que nous fassions ?Si vous ne punissez ce traître, il vous égorge ce soir, avec la Convention. Barère reprit : Que veux-tu que nous fassions ? Un jugement prévôtal ?Ce serait un peu vigoureux, observa Billaud-Varenne. Robin (de l'Aube) les quittant avec humeur, Barère courut après lui dans l'escalier, et lui dit : Fais reconduire Henriot au Comité de sûreté générale. Nous allons nous occuper de cette affaire[73].

Henriot et ses aides de camp traversèrent, liés et garrottés, la cour du Palais-National, au milieu des huées du parti contraire, et furent déposés au Comité de sûreté générale, dans l'antichambre des délibérations[74]. Mais les esprits étaient très-diversement agités. Dans beaucoup de quartiers régnait une fermentation menaçante. Ces mots couraient de groupe en groupe, et on les prononça jusque dans les alentours du Comité de sûreté générale : La Convention veut nous trahir[75].

A six heures du soir[76], le Conseil général se trouvait réuni, à l'Hôtel de Ville, dans la salle des délibérations, et la séance s'ouvrit. Lescot-Fleuriot occupait le fauteuil.

Payan et Coffinhal étaient accourus. On ne connaissait point encore, mais on ne mettait pas en doute l'issue des débats commencés dans la Convention ; et une vive anxiété, une indignation profonde, agitaient les esprits. Une proclamation est sur-le-champ rédigée :

Citoyens, la patrie est plus que jamais en danger ; des scélérats dictent des lois à la Convention, qu'ils oppriment. On poursuit Robespierre, qui fit déclarer le principe consolant de l'existence de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme ; Saint-Just, cet apôtre de la vertu, qui fit cesser les trahisons du Rhin et du Nord, et, ainsi que Le Bas, fit triompher les armes de la République ; Couthon, ce citoyen vertueux qui n'a que le cœur et la tête de vivants, mais qui les a brûlants de patriotisme ; Robespierre jeune, qui présida aux victoires de l'armée d'Italie. Et quels sont leurs ennemis ?

Suivaient, avec une flétrissure attachée à chacun d'eux, les noms de Amar, Dubarran, Collot-d'Herbois, Bourdon (de l'Oise), Barère ; et la proclamation se terminait par cet appel violent :

Peuple, lève-toi. Ne perdons donc pas le fruit du 10 août et du 31 mai ; précipitons au tombeau tous les traîtres[77].

Le Conseil décide ensuite :

Que tous les commandants de la force armée et toutes les autorités constituées seront invités à venir prêter le serment de sauver la patrie ;

Qu'on fermera les barrières ;

Qu'on regardera comme non avenus les ordres des Comités ;

Qu'on fera avancer les canons de la section des Droits de l'homme ;

Que les citoyens Henriot, Boulanger, d'Aubigny, Dufraisse, Sijas, décrétés d'arrestation par l'Assemblée, seront mis sous la sauvegarde du peuple[78].

Les gendarmes de la 32e division et la gendarmerie des tribunaux venaient d'être introduits, et de prêter, au milieu d'acclamations ardentes, le serment de fidélité au peuple, lorsque la nouvelle de l'arrestation des cinq députés arrive. La Commune alors précipite ses mesures. L'ordre est donné de sonner le tocsin ; les sections sont convoquées, et les administrateurs douteux mis en arrestation ; des émissaires fidèles partent pour les différents quartiers de Paris ; ordre est envoyé aux concierges des prisons de ne recevoir personne et de ne rendre la liberté à personne que sur l'autorisation expresse de l'administration de police, tombée aux mains des robespierristes Faro et Lelièvre ; enfin Coffinhal et Louvet sont chargés d'aller, à la tête de la force armée, délivrer les patriotes détenus au Comité de sûreté générale[79].

Henriot seul s'y trouvait en ce moment, Robespierre ayant été conduit au Luxembourg, son frère, à la Force, Le Bas à la Maison de Justice du département, Couthon à la Bourbe, et Saint-Just aux Écossais[80]. Coffinhal prit avec lui les canonniers dont disposait la Commune, et partit.

Au club des Jacobins, comme à l'Hôtel de Ville, tout se préparait pour la résistance. Le député Brival en fut chassé ignominieusement, sur sa déclaration qu'il avait voté contre Robespierre[81]. Non content de se déclarer en permanence, la redoutable Société décide qu'elle entretiendra une correspondance active avec la Commune, et ne se séparera que lorsque les traîtres seront déjoués[82] ; elle fait serment de mourir plutôt que de vivre sous le crime[83] ; et une députation court porter cette assurance à la Commune[84].

Pendant ce temps, Coffinhal pénétrait dans les salles du Comité de sûreté générale, le sabre à la main, et criant : Où sont ces coquins de Voulland et d'Amar ?

Mais ils avaient disparu ; et, quoique ce dernier eût recommandé aux gendarmes commis à la garde de Henriot de lui casser la tête à la première crainte qu'ils auraient d'être forcés[85], ils ne firent aucune résistance ; de sorte que Coffinhal n'eut pas de peine à remplir sa mission. Libre de ses liens, Henriot paraît dans la cour, remonte à cheval, et se répand en amers reproches sur ce que les gendarmes l'avaient laissé garrotter. Mais eux : Non, nous vous sommes fidèles, et nous allons vous le prouver, car nous vous défendrons jusqu'à la mort[86]. De leur côté, les canonniers l'encourageaient en ces termes à tout oser : Si vous êtes hors la loi, nos canons n'y sont pas[87]. Que Coffinhal et Henriot marchassent sur la Convention, gardée alors par une centaine d'hommes seulement[88], la question était tranchée.

Il y avait une heure environ que l'Assemblée était rentrée en séance ; et après avoir décrété, sur la motion de Bourdon (de l'Oise), appuyée par Merlin (de Thionville), que la Commune serait mandée à la barre, elle applaudissait à l'arrestation de Payan, annoncée à tort par Billaud-Varenne[89], lorsque tout à coup l'huissier Courvol se précipite dans la salle, court à Bréard, qui occupait le fauteuil, et lui dit tout bas : Les canonniers viennent d'enlever Henriot, et leurs canons sont pointés contre l'assemblée. Bréard répond : Il ne faut pas jeter l'alarme ; si nous devons périr, les premiers coups seront pour moi. Allez voir ce qui se passe, et revenez vite m'en instruire[90]. Collot entra, et, prenant le fauteuil : Citoyens, dit-il d'un air consterné, voici l'instant de mourir à notre poste. Des hommes armés, des scélérats, ont investi le Comité de sûreté générale[91]. — Allons-y ! s'écrient, dans les tribunes, ceux dont la peur a besoin d'un prétexte ; et tous s'élancent au dehors, avec un empressement si fougueux, que la salle se couvrit d'un nuage de poussière. Laurent Lecointre, qui était arrivé à la séance chargé d'armes et de munitions, se mit à les distribuer à ses collègues ; aux uns il donnait des pistolets ; aux autres des espingoles[92]. Cette ardeur martiale fit sourire. L'Assemblée resta digne et calme.

Le danger, du reste, n'avait pas tardé à s'éloigner. Henriot, qui avait cru la séance toujours suspendue, et qui avait poussé droit à l'Assemblée, dans l'intention de fermer la salle, sentit son audace l'abandonner quand il apprit que la Convention était en séance, et, faisant signe à son état-major de le suivre, il reprit au galop le chemin de l'Hôtel de Ville[93].

Cependant Robespierre s'était présenté au Luxembourg, dont le concierge avait refusé de le recevoir[94].

Était-ce par ordre de la Commune ? En ce qui concerne particulièrement Robespierre, tout contribue à prouver qu'à son égard la réalisation du vœu de la Commune fut l'œuvre du Comité de sûreté générale lui-même, et le résultat d'un artifice homicide. Robespierre avait été décrété d'arrestation, mais il n'était pas hors la loi. On ne pouvait donc le frapper qu'après sa condamnation par le Tribunal révolutionnaire. Rude épreuve pour ses ennemis ! Car qu'arriverait-il, si son procès, comme celui de Marat, n'aboutissait qu'à un acquittement, qui, dans ce cas, eût été un éclatant triomphe ? De là la nécessité d'imaginer quelque moyen qui fournît un prétexte de le mettre hors la loi, en l'accusant de rébellion ouverte. Ce moyen, très-dangereux du reste, ce fut Voulland qui le trouva, et le concierge du Luxembourg reçut du Comité de sûreté générale l'ordre secret de refuser à Robespierre la porte de la prison[95].

Ainsi libre de ses mouvements, sa place semblait être à la Commune, au milieu de ses partisans les plus passionnés ; et c'est évidemment là qu'il se serait rendu s'il eût voulu sanctionner la révolte. Quelle plus belle occasion, en effet, d'accomplir le projet de détruire la Convention nationale, si ce projet, que ses ennemis lui avaient imputé avec tant d'acharnement, eût été le sien ? La force ! elle était tout entière de son côté. Il avait pour lui la Commune insurgée, les Jacobins furieux, les canonniers ivres d'enthousiasme, le gros de la gendarmerie, et, en ce moment, — ainsi qu'on va en juger, — près de la moitié des sections de Paris. Mais ce grand homme était bien tel que l'avait autrefois défini Mirabeau : Il croyait tout ce qu'il disait. N'ayant cessé de protester de son respect pour la représentation nationale, il ne voulut point se démentir en ces instants suprêmes ; fouler aux pieds, dans sa forme régulière et légale, le principe de la souveraineté du peuple ; se mettre au-dessus d'une juridiction à laquelle il avait loué Marat de s'être soumis ; renoncer, enfin, à la chance d'une victoire due à la raison seule, et que sa conscience n'aurait point à lui reprocher[96]. C'est pourquoi, ne pouvant se faire admettre au Luxembourg, il se fit conduire par ses gardiens, non à l'Hôtel de Ville, mais à l'administration de police, dont les bureaux occupaient alors l'hôtel de la préfecture de police actuelle, quai des Orfèvres[97]. Il était environ huit heures du soir[98] quand il y arriva.

Son frère, lui aussi, avait été refusé par le concierge de la prison où il avait été envoyé, et il s'était laissé mener à la Commune, mais, loin de s'y prononcer contre la Convention en tant que représentation légale du peuple, il déclara que tout le mal venait de ce qu'elle avait été trompée par quelques conspirateurs, et conclut à ce qu'on veillât à sa conservation[99].

Ces scrupules ne faisaient qu'irriter Payan, Lescot-Fleuriot, Coffinhal, Louvet, tous plus robespierristes que les deux Robespierre. Pour mieux activer le mouvement, un Comité d'exécution de neuf membres avait été proposé : il se composa de Payan, Louvet, Coffinhal, Lerebours, Legrand, Desboisseaux, Arthur, Chatelet, Grenard[100] ; et un des premiers actes de ce comité d'exécution fut un arrêté conçu en ces termes : La Commune révolutionnaire ordonne, au nom du salut du peuple, à tous les citoyens qui la composent de ne reconnaître d'autre autorité qu'elle[101]. En conséquence, la formule du serment à prêter par quiconque relevait de la Commune fut : Je jure de défendre la cause du peuple, union et fraternité avec la Commune, et de sauver avec elle la patrie[102]. L'esprit qui régnait à l'Hôtel de Ville est peint en vives couleurs dans un rapport de Degesne, lieutenant de la gendarmerie des tribunaux. Il raconte qu'ayant reçu une lettre d'Hermann, qui lui enjoignait d'exécuter le décret d'arrestation lancé contre Henriot, son état-major et plusieurs autres individus, il fut mandé, pendant qu'il était à leur recherche, par le Conseil général, où la proposition de l'incarcérer lui-même fut faite et unanimement adoptée :

Élevant alors le décret au-dessus de ma tête, je dis d'une voix ferme : Je vous avertis que c'est un décret de la Convention dont je suis porteur. On me hua de toutes parts, en criant : Résistance à l'oppression !... On m'arracha le décret et la lettre du citoyen Hermann, que Payan et Fleuriot chiffonnèrent avec colère. La garde me désarma, m'entraîna hors de la salle, tandis que les municipaux, de dessus leurs bancs, me poursuivaient du cri de vil esclave. En traversant les corridors et les cours, je vis un grand nombre de gendarmes qui faisaient éclater la joie la plus indécente[103].

 

Il était naturel que des hommes engagés à ce point désirassent ardemment de posséder au milieu d'eux celui qu'ils regardaient comme leur chef. Mais il fallait pour cela vaincre la résistance de Robespierre ; et le procès-verbal de la Commune montre de reste combien cette résistance fut vive.

Alors on dut confier à des commissaires la mission expresse de l'aller chercher ; on dut insister sur ce qu'il ne s'appartenait pas et se devait tout entier à la patrie[104]. Rien de plus saisissant que l'obscurité, l'embarras et les réticences du passage qui, dans le procès-verbal de la Commune, porte la trace des refus de Robespierre : Le citoyen Lasnier, député vers le citoyen Robespierre, qui a chargé Coffinhal de... annonce que Coffinhal est chargé de confirmer au conseil qu'on le laisse entre les mains de l'administration[105]. Et ce qui ajoute à l'importance de ce passage, c'est qu'il est raturé dans le manuscrit[106], la Commune ayant intérêt à masquer autant que possible l'insuccès de ses démarches auprès de celui qui en était l'objet. Enfin, l'audacieux Coffinhal résolut de couper le nœud gordien.

Où la persuasion avait échoué employant la violence, il alla bien réellement chercher Robespierre, l'entoura de son dévouement sauvage, l'enleva. Il était alors neuf heures du soir[107].

Deux grandes autorités rivales se trouvaient ainsi en présence : la Commune, s'autorisant du nom de Robespierre, et la Convention, parlant au nom de la loi. Restait à savoir de quel côté se rangerait Paris.

La Commune, on l'a vu, avait ordonné aux quarante-huit sections de se rassembler, les invitant, en outre, à venir prêter serment, par leurs commissaires, à l'Hôtel de Ville.

Soit ignorance de la sommation, soit crainte d'avoir à se décider, ou répugnance à obéir, six d'entre elles ne répondirent pas à l'appel : ce furent les sections du Muséum, de la Réunion, des Lombards, des Tuileries, de la République, et la section Révolutionnaire[108].

Prirent parti pour la Convention, les sections du Mont-Blanc, de Fontaine-Grenelle, du Temple, de la Montagne, des Champs-Élysées, des Marchés, des Invalides, de Bonne-Nouvelle, de la Halle-au-Blé, de Bon-Conseil, de l'Unité, des Gardes-Françaises, de la Maison Commune, de Montmartre, de la Cité, des Gravilliers, des Arcis, de l'Homme-Armé[109].

Les six dernières embrassant le quartier même où l'Hôtel de Ville était situé, leur opposition à la Commune en était d'autant plus redoutable ; et il arriva que nulle part cette opposition ne se déclara avec autant de fougue.

La section de la Cité refusa formellement de sonner le bourdon, cette grande voix qui ne s'élevait jamais sans faire tressaillir Paris[110].

La section de l'Homme-Armé ne se contenta pas de prendre un arrêté par lequel, sans hésitation et sans réserve, elle se mettait au service de la représentation nationale ; elle envoya cet arrêté aux quarante-sept autres sections, dans l'espoir de les entraîner[111].

Non moins ardente se montra la section des Gravilliers — quartier de la haute rue Saint-Martin. Cette section était celle où l'Hébertisme avait eu son foyer principal, celle où l'influence de Jacques Roux avait été longtemps prépondérante, celle d'où était partie, en juin 1793, l'adresse dans laquelle ce prêtre, chef des Enragés, accusait presque les Montagnards de complicité avec les accapareurs[112]. Oui, cette section qui, le 9 thermidor, se prononça si résolument en faveur de la Convention, c'était la même qui, treize mois auparavant, avait félicité bien haut son orateur d'être allé tenir à la Convention un langage plein de menace et d'insultes[113]. Cette section qui, pour venger la mémoire de Jacques Roux, se disposait à prêter main-forte à Léonard Bourdon, c'était la même que Léonard Bourdon avait, treize mois auparavant, exaspérée en signalant Jacques Roux comme un Tartufe de démagogie[114].

Sous les drapeaux de la Commune se rangèrent, tout d'abord, les sections de l'Observatoire, de Chalier, des Droits de l'Homme, du Contrat-Social, de la Fraternité, du Panthéon, des Amis de la Patrie, de Marat, de Popincourt, de Montreuil, des Quinze-Vingts, du Jardin des Plantes et du Finistère[115].

Le Jardin des Plantes et le Finistère, c'était le faubourg Saint-Marceau.

Popincourt, Montreuil et les Quinze-Vingts, c'était le faubourg Saint-Antoine.

A la section du Jardin des Plantes ou des Sans-Culottes appartenait Henriot. Dardel, ami du peintre David, et placé par lui au Conservatoire du musée de peinture, figura, jusqu'au moment où la Convention eut le dessus, parmi les défenseurs les plus animés de la Commune[116].

Les canonniers de Popincourt étaient commandés par un homme de couleur, nommé Delorme, qui périt plus tard pour avoir pris part à l'insurrection de prairial : ce fut lui qui conduisit à l'Hôtel de Ville les canons de la section[117].

Au nombre des partisans influents de la Commune ; dans la section de Montreuil, était Cietty, peintre très-habile dans la composition des arabesques, et qui avait embelli de paysages charmants les papiers de nos meilleures manufactures[118]. Il allait payer de sa vie son attachement à Robespierre.

Nous avons inscrit sur la liste des sections qui appuyèrent d'abord la Commune celle des Quinze-Vingts ; et, en effet, elle envoya des commissaires à l'Hôtel de Ville, et ces commissaires prêtèrent serment. Toutefois la mission qu'ils avaient reçue se bornait à déclarer que les citoyens du faubourg Saint-Antoine s'étaient levés en masse et ne connaissaient que la République une et indivisible[119].

Il y eut des sections, celle de l'Indivisibilité, par exemple, dont l'attitude resta longtemps indécise[120]. D'autres, comme celle de Guillaume Tell, se mirent à la fois en rapport avec le gouvernement, pour lui faire connaître les arrêtés de l'Hôtel de Ville, et avec le club des Jacobins, pour l'inviter à soutenir la Commune[121].

En chaque section il y avait, outre l'Assemblée générale, un comité civil et un comité révolutionnaire. La conduite de ces comités fut loin d'être uniforme. Dans certains quartiers, le comité civil prit un parti, et le comité révolutionnaire le parti opposé ; ou bien encore, on vit les comités réunis d'une section suivre la Commune, tandis que l'Assemblée générale se déclarait en faveur de la Convention. Et cet antagonisme de sentiments éclata même où l'on devait le moins s'attendre à le rencontrer. Courtois dit expressément que le comité civil des Gravilliers ne se décida à reconnaître la Convention comme centre unique qu'après avoir pressenti l'opinion, et que deux de ses commissaires, par leurs signatures, participèrent aux mouvements des rebelles[122].

On peut juger par cet aperçu jusqu'à quel point les forces en lutte se balançaient. Telle était l'autorité morale de Robespierre, que le jour où la Convention voulut le frapper, il se trouva lui faire contre-poids.

Mais ses adversaires avaient sur lui cet avantage qu'aucun scrupule ne les arrêtait... C'est ce qui décida du succès.

Nous avons laissé l'Assemblée en proie à la frayeur excitée par ces mots de Collot-d'Herbois : Voici, pour chacun, l'instant de mourir à son poste ! Au plus fort des alarmes, Beaupré avait proposé qu'on nommât une commission de défense : Voulland, ne tarda pas à paraître, et, au nom du gouvernement, désigna, pour diriger la défense, Barras, qui, ajouta-t-il, aura le courage d'accepter[123]. Barras accepte, en effet, et, sur sa demande, on lui donne six adjoints : Féraud, Fréron, Rovère, Delmas, Bolletti, Léonard Bourdon et Bourdon (de l'Oise)[124].

Barère alors présente, de la part du Comité de salut public, un projet de décret mettant hors la loi quiconque, frappé d'arrestation, se serait soustrait à l'effet du vote.

C'est ce moment que Voulland attendait. Déjà son collègue Élie Lacoste était venu annoncer que Robespierre avait été conduit à la Commune, et que les officiers municipaux l'avaient embrassé, traité en frère. Voulland conclut à la mise hors la loi contre Robespierre, comme Élie Lacoste l'avait demandée contre les officiers municipaux ; et cette motion est décrétée au milieu des plus vifs applaudissements[125].

Tout allait désormais dépendre des sections. Barère avait dit : Les sections s'assemblent : c'est à elles que nous devons nous adresser[126] ; et il n'avait pas cru pouvoir dissimuler que quelques-unes étaient égarées ou gagnées par des intrigues communales[127] : de ce côté se tourna l'effort des adjoints de Barras.

Quant à la nature des moyens employés, comment en parler sans dégoût ? A la section qui avait pris le nom de Marat et voué une sorte de culte à sa mémoire, Léonard Bourdon courut dire qu'incessamment les précieux restes du martyr Marat allaient être transférés au Panthéon, ce qui n'avait été jusqu'alors retardé que par la basse jalousie de Robespierre[128]. Dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, l'on répandit le bruit que Robespierre avait été arrêté pour complot royaliste[129].

On affirmait mensongèrement que Lescot-Fleuriot était le fils d'un noble autrichien[130] ; comme si cette circonstance, à la supposer vraie, eût constitué un crime ! Mais quoi ! Lepelletier Saint-Fargeau était noble, lui aussi, ce qui n'empêchait pas son buste, que ce même Lescot-Fleuriot avait sculpté, de figurer, dans la Convention, à côté de celui de Brutus[131] ! Ce qu'il y eut de plus horrible, ce fut la fable d'un cachet à fleur de lis qu'on prétendit avoir trouvé chez Robespierre[132].

Quelque absurde que soit une calomnie, elle ne l'est jamais assez pour échouer entièrement, si elle est lancée avec assurance. Et puis, dans cette formule : SONT MIS HORS LA LOI, il y avait une sorte de puissance mystérieuse que beaucoup d'esprits n'étaient point préparés encore à braver. Quelques-unes des sections qui avaient pris parti pour la Commune s'en détachèrent[133], lorsqu'elles se virent face à face avec la Convention en la personne des représentants du peuple ses délégués. Mais il y en eut qui, jusqu'à la dernière extrémité, restèrent fidèles à la cause des victimes de thermidor : ce furent les sections du Contrat social, de Chalier, du Jardin des Plantes et de l'Observatoire.

La section des Piques, dans le rayon de laquelle était la maison de Duplay, ne se rassembla qu'à deux heures du matin, ayant probablement attendu jusqu'alors qu'on lui montrât la signature de Robespierre, qui, comme on le verra plus bas, refusa de la donner[134].

Vers minuit, Barras et Fréron, qui n'avaient d'abord songé qu'à prémunir la Convention contre le danger d'une attaqué, se rendent au Comité de salut public. Ils en traversent les salles silencieuses et faiblement éclairées. Dans celle où, le lendemain matin, Robespierre fut porté sur une civière toute rouge de son sang, Billaud-Varenne était couché par terre sur un matelas, seul et sombre, les yeux fixés au plafond. Informé du plan défensif de Barras, il le désapprouva. C'est à la Commune qu'il fallait marcher, dit-il ; elle devrait être déjà cernée. Vous laissez à la Commune et à Robespierre le temps de nous égorger[135].

Barras et Fréron se dirigent aussitôt vers l'Assemblée, où leur présence est accueillie avec transport. Le premier annonce qu'il vient de parcourir Paris, et que le peuple est à la hauteur de la liberté. Le second déclare que quinze cents hommes gardent le pont Neuf, que la nouvelle de la mise hors la loi de Henriot a vivement ébranlé les canonniers répandus sur la place de Grève, et qu'il faut marcher droit à la Maison Commune. Tallien, qui occupe en ce moment le fauteuil, invite ses collègues à partir sur-le-champ, afin que le soleil ne se lève pas avant que la tête des conspirateurs soit tombée. On applaudit, et les représentants désignés sortent, emportant le décret qui ordonne l'investissement de la Commune[136].

Là étaient arrivés successivement Saint-Just et Le Bas, tirés de leurs prisons respectives, le premier par un officier municipal, le second par deux administrateurs de police[137]. Couthon ne fut retiré de la Bourbe qu'à une heure après minuit. Inquiet de son absence prolongée, Robespierre jeune lui avait écrit une lettre qu'il fit signer à son frère et à Saint-Just ; on la trouva sur Couthon lorsqu'il fut arrêté ; la voici : Couthon, tous les patriotes sont arrêtés, le peuple tout entier est levé ; ce serait le trahir que de ne pas te rendre avec nous à la Commune, où nous sommes actuellement[138]. Couthon, qui ne pouvait se traîner, n'hésita pas un instant, il se fit porter où l'attendaient ses amis et la mort.

Les détails de la scène qui eut lieu dès qu'il parut à l'Hôtel de Ville nous ont été conservés par H. G. Dulac, espion des Comités, et conséquemment peu suspect de partialité envers leurs victimes :

La place de Grève était couverte d'hommes, de baïonnettes, de piques et de canons. Je traversai tout, ayant à ma main ma carte de citoyen, et m'annonçant comme envoyé de ma section. Les deux Robespierre étaient, l'un à côté du président Lescot-Fleuriot, l'autre auprès de Payan, agent national. Couthon y fut porté un instant après ; et, ce qui est à remarquer, c'est qu'il était encore suivi de son gendarme. En arrivant, il fut embrassé par Robespierre, et ils passèrent dans la chambre à côté, où je pénétrai. Là, le premier mot que j'entendis de Couthon fut : Il faut tout de suite écrire aux armées. Robespierre dit : Au nom de qui ? Couthon : Mais au nom de la Convention. N'est-elle pas toujours où nous sommes ? Le reste n'est qu'une poignée de factieux, que la force armée que nous avons va dissiper et dont elle fera justice. Ici, Robespierre sembla réfléchir un peu ; il se baissa à l'oreille de son frère ; ensuite il dit : Mon avis est qu'on écrive au nom du peuple français[139].

 

Au nom de qui ? Mot sublime, dans la circonstance ! De pareilles hésitations perdent un homme, mais l'immortalisent. Au milieu des canons et des piques, au bruit du tocsin, quand le succès ne relevait plus que de la FORCE, Robespierre ne pensait qu'à sauver l'idée du DROIT.

Pour ce qui est de la réponse de Couthon, en admettant même qu'elle n'ait subi aucune altération défavorable dans un récit qui est celui d'un ennemi[140], elle montre combien les chefs du parti robespierriste attachaient d'importance à distinguer entre l'Assemblée et ce qui à leurs yeux n'était qu'une faction, ne voulant à aucun prix pousser à la révolte contre le principe de la souveraineté du peuple, sur lequel la Convention reposait. Cette préoccupation ressort vivement des termes d'une invitation que Le Bas adressa, dans ces heures mémorables, à Labretêche, commandant du camp des Sablons. Le Bas exerçait sur ce qu'on appelait l'École de Mars une influence considérable. Eh bien, tout l'usage qu'il consentit à en faire consista dans une lettre où le nom de la Convention n'était pas prononcé, et dans laquelle, sans dire à Labretêche de faire marcher les jeunes élèves au secours de ses amis, il lui inspirait de ne faire aucun mouvement contraire[141]. La lettre était conçue en ces termes : Un complot affreux vient d'éclater. Je suis au nombre des représentants fidèles que les conspirateurs ont fait arrêter. Mes soupçons sur la destination du camp sont réalisés : c'est à toi de t'opposer à ce que l'on ne l'abuse pas au point de s'égorger lui-même en marchant sous les étendards des traîtres. Le peuple t'observe ; il est déterminé à se sauver : songe à lui être fidèle[142].

La nuit était descendue sur Paris ; et, à mesure qu'elle s'avançait, les chances de la Commune allaient diminuant, tant par l'effet des calomnies répandues contre Robespierre que par suite du pouvoir attaché à ces mots sacramentels : La Commune est hors la loi ! Ce pouvoir était si grand, que le décret ayant été lu à ceux qui assistaient aux délibérations de l'Hôtel de Ville, et Payan s'étant avisé d'ajouter artificieusement au texte : et le peuple des tribunes, les assistants, loin de faire éclater l'indignation sur laquelle Payan avait compté, furent saisis d'épouvante et prirent la fuite[143].

Si, pour vaincre, il eût suffi de l'activité et de l'audace que déployèrent Coffinhal, Payan et Lescot-Fleuriot, la Commune l'eût très-probablement emporté. Ils firent sonner le tocsin, éclairer l'Hôtel de Ville, arrêter les administrateurs suspects ; ils envoyèrent des émissaires dans toutes les sections ; ils ordonnèrent des patrouilles dans tous les quartiers ; ils mandèrent les Jacobins ; ils appelèrent aux armes[144].

Mais une sanction qui leur eût été nécessaire leur manqua.

Nous avons eu sous les yeux l'original d'une proclamation adressée à la section des Piques, celle de Robespierre. Jamais manuscrit ne présenta un aspect plus tragique. Il nous semble le voir encore. L'écriture a quelque chose d'emporté. Le papier est taché de sang. Sur ce papier, un appel à l'insurrection : Courage, patriotes de la section des Piques ! la liberté triomphe. Déjà ceux que leur fermeté a rendus formidables aux traîtres sont en liberté. Partout le peuple se montre digne de son caractère. Le point de réunion est à la Commune, où le brave Henriot exécutera les ordres du comité d'exécution créé pour sauver la patrie.

Suivent les signatures : Legrand, Louvet, Payan, Lerebours, Ro.....

Quelle révélation et quel drame dans ce mot inachevé ! Il raconte que Robespierre, pressé par ceux qui l'entouraient, au nom de leur salut commun, de signer la guerre civile, la mort de la Convention, le renversement d'un principe, se sentit troublé jusqu'au fond de l'âme, prit la plume, commença, et, sa conscience protestant, ne put continuer[145].

Cependant les troupes conventionnelles, que Barras avait divisées en deux colonnes, s'avançaient à la lueur des torches, et des agents de l'Assemblée lisaient la proclamation volée par elle aux canonniers qui couvraient la place de Grève. Ceux-ci, que Henriot laissait sans direction, n'avaient plus leur première ardeur ; fatigués d'attendre, découragés, ils cèdent peu à peu aux sollicitations des émissaires de la Convention, et un à un, deux à deux, se retirent ; si bien qu'en peu de temps la place resta presque déserte. Henriot sortit, le sabre à la main, sans chapeau, suivi de deux aides de camp, de trois officiers municipaux, et criant avec rage : Comment ! est-il bien possible que ces scélérats de canonniers, qui m'ont sauvé la vie il y a cinq heures, m'abandonnent ainsi ?[146] Les troupes conventionnelles avançaient, avançaient toujours.

Des deux colonnes placées sous le commandement de Barras, lui-même conduisait la première le long de la rue Saint-Honoré, pour aller, en traversant les rues Saint-Denis et Saint-Martin, investir les derrières de l'Hôtel de Ville. La seconde, composée principalement des forces de la section des Gravilliers, unie à la section des Arcis, avait à sa tête Léonard Bourdon, et suivait les quais. On juge du désordre que jetèrent à l'Hôtel de Ville la désertion des canonniers et l'approche d'un péril désormais inévitable.

Profitant de la confusion, et de ce que la route est libre, un gendarme nommé Méda, qui avait servi dans la garde constitutionnelle de Louis XVI, et qu'à cause de cela ses camarades avaient surnommé Veto[147], se glisse furtivement dans les escaliers de l'Hôtel de Ville, remplis en cet instant d'une foule de gens éperdus, pénètre dans la salle du Conseil en se disant ordonnance secrète, parvient jusqu'à la porte du secrétariat, frappe, et, à l'aide du même mensonge, se fait ouvrir[148]. L'assassin portait deux pistolets cachés dans sa chemise. Au milieu d'une cinquantaine d'hommes qui paraissaient fort agités, il reconnaît celui que ses yeux cherchent. Robespierre était assis dans un fauteuil, le coude gauche appuyé sur ses genoux, et la tête reposant sur sa main gauche. L'assassin vise à la poitrine, mais la balle atteint Robespierre au niveau de la bouche et lui casse la mâchoire. Les assistants, saisis d'horreur, se dispersent. Quelques-uns s'enfoncent dans un escalier dérobé, emportant Couthon. L'assassin prend un flambeau, court après eux, et, le vent ayant éteint sa lumière, tire au hasard son second coup de pistolet, lequel blesse à la jambe un de ceux qui portaient le paralytique[149].

A la vue de son frère étendu par terre, couvert de sang, Robespierre jeune s'était livré aux transports de la plus violente douleur ; il implorait la mort[150] : n'ayant point d'armes pour se la donner, il monte sur le rebord d'une des croisées de l'Hôtel de Ville, tenant ses souliers à la main, et s'élance sur la pointe de la première baïonnette qu'il aperçoit au-dessous de lui. On le releva affreusement mutilé, mais respirant encore.

Quand Léonard Bourdon, suivi des siens, fut aux portes de l'Hôtel de Ville, le bruit des deux coups de pistolet tirés dans l'intérieur lui faisant croire à de grands préparatifs de défense, il hésita, et songeait à cerner l'édifice[151]. Dulac, mieux instruit de l'état des choses, entra aussitôt, accompagné des plus ardents, et ce fut lui qui arrêta Saint-Just et Dumas. S'il faut en croire son récit qui, à côté de circonstances vraies, contient beaucoup de mensonges[152], Saint-Just était armé d'un couteau, qu'il remit sans résistance, et Dumas, caché dans une autre pièce, sous la table auprès de laquelle Robespierre était étendu, Dumas tenait à la main un flacon d'eau de mélisse des Carmes, que l'espion des Comités lui arracha, craignant que ce ne fût du poison[153]. Quant à Le Bas, dont la jeune femme était accouchée depuis six semaines d'un fils, depuis membre de l'Institut[154], il venait de se brûler la cervelle[155]. Léonard Bourdon occupa l'Hôtel de Ville, quand il n'y avait plus qu'à laver le sang, ramasser les blessés et faire enlever les morts. Il était environ deux heures du matin[156].

Peu de temps après, les Jacobins, inébranlables dans leur attachement à Robespierre, envoyaient à la Commune, dont ils ignoraient le sort, une députation chargée de veiller avec elle au salut de la patrie[157]. Mais tout alors était terminé. Legendre parut, le pistolet au poing, fit évacuer la salle, en ferma les portes, et mit les clefs dans sa pocher[158]. La contre-révolution était là.

On trouva, réfugié dans une petite cour de la Commune et à moitié mort, Henriot, que Coffinhal, furieux, avait jeté par la fenêtre[159]. Lui s'échappa, et parvint à se cacher, pendant trois jours, dans une île de la Seine, l'île des Cygnes.

Couthon, blessé à la tête, était gisant sur le quai Pelletier. On l'accablait d'outrages. Quelques-uns disant : A quoi bon laisser ici cette voirie ? Il faut la jeter à la rivière ; l'infortuné leur fit remarquer qu'il n'était pas mort[160].

Robespierre jeune avait été transporté sur une chaise au Comité civil de la section de la Maison Commune.

Presque mourant, il rassembla ce qui lui restait de forces pour déclarer que, s'il s'était précipité d'une des croisées de l'Hôtel de Ville, c'était parce qu'il ne voulait pas tomber vivant au pouvoir des conspirateurs ; que ni lui ni son frère n'avaient un instant manqué à leur devoir envers la Convention ; qu'il était sans reproche ; que Collot ne désirait pas le bien de son pays ; que Carnot lui paraissait un conspirateur. Il s'interrompit, son état ne lui permettant pas de continuer[161]. Après un intervalle de repos, interrogé une seconde fois, il dit qu'il regrettait d'avoir été arraché de la Force ; qu'on lui avait rendu là un bien mauvais service ; que, dans sa prison, il avait attendu la mort avec la sérénité d'un homme libre ; qu'à la Commune, il avait parlé pour la Convention, et contre les conspirateurs qui la trompaient[162]... Il ne put en dire davantage. Quoiqu'il n'eût plus qu'un souffle de vie, l'ordre exprès fut envoyé par Barras de le transporter, en quelque état qu'il pût être, au Comité de sûreté générale ; il fallut obéir[163].

Pendant ce temps, son frère arrivait à l'entrée de la Convention, porté par quelques hommes du peuple, dont les uns lui tenaient la tête et les autres les pieds. Ceux-ci recommandaient à leurs compagnons de lui tenir la tête aussi élevée que possible, craignant que le blessé n'expirât dans leurs bras[164]. Au bas du grand escalier, l'affluence de ceux qui venaient repaître leurs yeux du spectacle d'un ennemi abattu força le cortège de s'arrêter un instant, et les outrages commencèrent. L'un disait : Ne voilà-t-il pas un beau roi ! Un autre : Quand ce serait le corps de César, pourquoi ne l'avoir pas jeté à la voirie ? Et ces lâches appelaient lâche un homme qui avait mieux aimé mourir que s'armer contre cette Convention qu'eux-mêmes, la veille encore, l'accusaient de vouloir égorger ! Quand le cortège se trouva aux portes de l'Assemblée, les propres mots du président furent : Le lâche Robespierre est là. Vous ne voulez pas qu'il entre ? Sur quoi Thuriot déclara que le cadavre d'un tyran ne pouvait que porter la peste[165]. On monte donc le fardeau jusque dans une grande salle du Comité. Là on dépose la victime sur une longue table à l'opposé du jour, en lui donnant pour oreiller une boîte remplie de morceaux de pain de munition moisi[166]. Il était sans chapeau et sans cravate ; son habit bleu de ciel entr'ouvert, — le même habit qu'on lui avait vu à la fête de l'Être suprême ! — laissait voir sa chemise ensanglantée ; il avait une culotte de nankin, et ses bas, rabattus, retombaient jusque sur ses talons[167]. Il ne remuait pas, mais respirait beaucoup. Il portait souvent la main au sommet de sa tête ; de temps en temps, les muscles frontaux se rapprochaient, et son front devenait tout ridé[168]. A cela seul on devinait l'excès de ses souffrances[169] ; car pas un accent douloureux ne lui échappa[170]. Elle l'élevait au-dessus des douleurs du corps, cette âme qu'il avait proclamée immortelle. On entra pour le voir, et les outrages recommencèrent. L'un disait : Sire, Votre Majesté souffre ? Un autre : Eh bien, il me semble que tu as perdu la parole ?[171] Lui, les regardait fixement.

Furent amenés par des gendarmes Saint-Just, Dumas, Payan ; et à peine les eut-on conduits dans l'embrasure d'une croisée, où ils s'assirent en silence, que des misérables, faisant écarter les personnes qui cachaient Robespierre à ses amis, s'écrièrent : Retirez-vous donc ! qu'ils voient leur roi dormir sur une table comme un homme[172]. Saint-Just avança la tête ; et son visage, plein de sérénité jusqu'alors, exprima le déchirement de son cœur[173]. Dumas paraissait absorbé dans une rêverie profonde[174]. Payan avait un air moqueur et souriait amèrement[175]. Les regards de Saint-Just étant tombés sur l'acte constitutionnel, affiché dans la salle, il dit : Voilà pourtant mon ouvrage... et le gouvernement révolutionnaire aussi !... Il murmura encore quelques paroles, mais si bas, que le gendarme, qui était à côté de lui, put seul l'entendre[176].

Vers quatre heures du matin, l'on s'aperçut[177] que Robespierre tenait un petit sac de peau blanche sur lequel étaient écrits ces mots : Au grand Monarque ! Lecourt, fourbisseur du roi et de ses troupes, rue Saint-Honoré, près celle des Poulies, à Paris. Comme il n'avait pas de linge pour retirer le sang caillé qui sortait de sa bouche, on lui avait glissé artificieusement dans la main ce sac, dont l'apparence était celle d'un fourreau de pistolet, afin d'éloigner la supposition d'un assassinat, en accréditant celle d'une tentative de suicide ; et l'on avait eu soin de choisir l'inscription la plus propre à entretenir l'idée qu'on n'avait renversé le chef des Jacobins que parce qu'il visait à se faire roi !...

Vers six heures, Élie Lacoste entre et ordonne que l'on conduise les captifs à la Conciergerie. Puis, se tournant vers un chirurgien qu'on venait d'amener : Pansez bien Robespierre pour le mettre en état d'être puni[178].

Le pansement eut lieu avec tout le soin désiré. On lève le blessé sur son séant ; on lui lave la figure ; on lui enfonce dans la bouche plusieurs tampons de linge pour pomper le sang dont elle était remplie ; et enfin le chirurgien applique sur la plaie un morceau de charpie que maintient un bandeau passé autour du menton ; tout cela, au milieu des ricanements et des insultes. Lorsqu'on lui noua le bandeau au-dessus du front, un des assistants s'écria : Voilà qu'on met le diadème à Sa Majesté ![179] Son intelligence veillait, et il entendait ces choses ! mais — bien qu'il lui restât la force de parler[180], — il se tut, se contentant de regarder les insulteurs d'un œil calme, pensif et fixe.

Durant cette agonie sans exemple, supportée avec un stoïcisme dont l'antiquité elle-même ne fournit pas de modèle, qui sait quelles pensées occupèrent cet indomptable esprit ? S'interrogea-t-il sur la loi, effroyablement mystérieuse, qui, depuis l'origine du monde, couronne les artisans de l'iniquité, et ne réserve que tortures aux serviteurs de la justice ? La veille, il s'était écrié : Quel homme défendit jamais impunément les droits de l'humanité ? Et voilà qu'à son tour il montait de la dignité d'apôtre à celle de martyr : puisa-t-il dans celte idée quelque motif sublime de consolation, et la constance ?

Cette foi au progrès qui a épuisé tant de dévouements, ouvert tant d'abîmes et fait tant de crucifiés, lui fut-elle, contre l'inénarrable amertume d'une mort qui renfermait mille morts, une ressource souveraine ? Ah ! il dut avoir, en tout cas, la morne certitude que, cette fois encore, le peuple allait reprendre l'ancien fardeau. Un fait saisissant prouve qu'il eut une très-claire intuition du mouvement en sens inverse que sa chute annonçait et déterminait : une des personnes présentes lui ayant prêté aide dans un moment où il se baissait avec effort et portait ses mains au jarret, comme pour relever ses bas, il témoigna sa gratitude en reprenant un mot qui était d'une autre époque, qu'on ne prononçait plus depuis longtemps, qu'on avait presque oublié ; il dit d'une voix douce : Je vous remercie, MONSIEUR[181].

Défenseur des pauvres, il avait vécu pauvre : on ne trouva chez lui qu'un assignat de cinquante livres, et des mandats de l'Assemblée constituante pour son indemnité de représentant, qu'il avait négligé de toucher[182].

Lorsqu'ils l'eurent bien pansé, conformément aux recommandations d'Élie Lacoste, rien ne s'opposant plus à ce qu'on le guillotinât, ils le transportèrent à la Conciergerie. Mais il y avait une difficulté. Un décret voulait que l'identité des individus hors la loi fût constatée en présence des membres de la municipalité ; or ici la municipalité en masse était hors la loi. Fouquier-Tinville fit part à la Convention de son embarras, et l'Assemblée, qu'on avait vue jusqu'alors étrangère à ces détails sinistres, trancha la question en déléguant des commissaires[183] pour certifier que les hommes qu'on allait tuer, au nom de la Révolution, étaient bien Robespierre et Saint-Just !

L'échafaud fut dressé sur la place de la Révolution, par mesure spéciale. Le long de la route que les charrettes avaient à parcourir, les fenêtres avaient été louées à des prix fabuleux ; des femmes du grand monde, en habits de fête, s'y pressaient, radieuses et souriantes[184]. On avait appelé dans les rues l'immonde foule des aboyeurs et des aboyeuses de guillotine ; mais les artisans et les ouvriers n'étaient pas là.

Les charrettes parurent ; elles contenaient vingt et un condamnés. Dans la première étaient Couthon, Henriot, et, à côté de Robespierre, les restes mutilés et sanglants de son frère, qui mourait pour lui ! Saint-Just, toujours calme, s'entretenait avec ses pensées. Le cadavre de Le Bas suivait. Sur le passage de Robespierre, que les gendarmes montraient de la pointe de leurs sabres, on criait : A mort le tyran ! et l'homme qui poussait ce cri avec le plus de fureur, c'était Carrier[185] !

Devant cette même maison de Duplay, dont Robespierre avait fait fermer les volets, le 21 janvier 1795, quand Louis XVI passa, et, le 5 avril 1794, quand passa Camille[186], des mégères firent arrêter les charrettes et dansèrent en rond tout autour[187]. Pour compléter la scène, on avait posté là un enfant avec un seau rempli de sang de bœuf : lorsque Robespierre atteignit la demeure où étaient son père et sa mère adoptifs, la famille de son choix et sa fiancée, l'enfant trempa un balai dans le sang et en lança quelques gouttes contre la maison. Impassible jusqu'alors, la victime tressaillit et ferma les yeux.

Une femme s'approcha, criant : Va, scélérat, descends aux enfers avec les malédictions de toutes les épouses et de toutes les mères de famille[188]. Mais toutes les mères de famille ne le maudissaient pas : témoin cette jeune fermière qui, apprenant la fin de la grande tragédie, au moment où elle tenait son fils sur ses genoux, fut prise d'un tel saisissement, qu'elle laissa tomber son doux fardeau, et, les mains levées vers le ciel : O qu'os nes finit pol bôunheur del paouré pople. On a tuat o quel que l'aimabo tant. — Oh ! c'en est fait du bonheur du pauvre peuple ; on a tué celui qui l'aimait tant[189].

Les vaincus moururent sans protester, sans se plaindre ni du sort ni des hommes, courageusement et simplement. De ceux que contenait la première charrette, seul Robespierre était en état de se mouvoir : il monta, inaidé, les marches de l'échafaud. Quand il fut sur la plate-forme de la guillotine, le bourreau, royaliste exalté, lui ayant arraché, d'un mouvement brusque et barbare, l'appareil qui couvrait ses blessures, l'excès imprévu de la douleur lui fit pousser un cri perçant. C'était le cri de ce pauvre peuple dont parlait la paysanne, c'était le cri de ces millions d'infortunés qu'on allait ramener aux carrières. Le couperet s'abaissa, et, pour longtemps, tout fut dit.

 

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Nous croyons avoir présenté, dans le chapitre qui précède, le tableau le plus complet, et qu'on nous pardonne d'ajouter, le plus vrai qui ait jamais été tracé jusqu'ici des fameux événements du 9 thermidor. Et pourtant, même ce tableau ne peut être que très-incomplet, les vainqueurs ayant fait disparaître une masse énorme de documents, parmi lesquels, cela va sans dire, tous ceux qui parlaient en faveur des vaincus.

Que, parmi les papiers saisis chez Robespierre et ses partisans, Courtois en ait supprimé et détourné un grand nombre, c'est ce qu'il est impossible de nier, après ses propres aveux. Tout ce qui était à la charge des Thermidoriens — et Courtois comptait parmi les plus furieux, — tout ce qui était de nature à montrer sous leur vrai jour les desseins et les actes d'hommes que les Thermidoriens avaient d'autant plus d'intérêt à flétrir qu'ils les avaient assassinés, a été de la sorte dérobé à l'Histoire. Perte immense, irréparable ! En 1816, le ministre de la police, Decazes, fit envahir le domicile de Courtois et enlever sans inventaire, avec violence, une foule de pièces et de renseignements très-curieux, dont une très-petite partie seulement a été publiée depuis, après un triage fait dans le même esprit que celui auquel Courtois avait présidé. Le reste a été dispersé ou détruit.

Le lecteur, s'il a le culte de la vérité, ne doit pas perdre un instant de vue que l'Histoire, pour juger Robespierre et ses partisans, ne possède — en dehors de leurs actes avoués et de leurs discours — que des documents triés par leurs plus mortels ennemis, des calomnies qui s'entre-détruisent, et les imputations tardives de Billaud-Varenne, de Collot-d'Herbois, de Vadier, de Barère, forcés, pour sauver leurs têtes, de rejeter la responsabilité de leurs propres fureurs sur ceux qui en avaient été les victimes. Combien de fois ne faut-il pas que des hommes aient eu raison, pour que leur réhabilitation résulte nécessairement d'un examen critique et sincère des sources, même lorsque les sources ont été à ce point, et systématiquement empoisonnées !

Il existe deux rapports de Courtois : l'un concernant les papiers de Robespierre ; l'autre, relatif aux événements du 9 thermidor : ce dernier, devenu assez rare. Nos prédécesseurs l'ont-ils eu sous les yeux ? Leurs divers récits tendent à prouver que non. Et pourtant, c'est un document qui mérite, non pas certes d'être suivi à l'aveugle, mais d'être lu attentivement, le flambeau de la critique à la main.

Signalons rapidement quelques-uns des points sur lesquels il importe le plus de faire tomber la lumière.

Que Robespierre ait voulu arrêter la Terreur, il n'y a pas à en douter ; mais ne pouvait-on vouloir cela sans pencher à droite, ainsi que M. Michelet le donne à entendre, liv. XXV, chap. IV, p. 450 et suiv. ? M. Michelet veut absolument voir une tendance à pencher à droite dans le discours où Robespierre rappelait qu'il avait sauvé les 73 Girondins, comme si avoir sauvé les signataires, républicains, d'une protestation contre le 31 mai était une mauvaise note dans la vie d'un républicain ! Il appuie sur ce que la Droite avait, en novembre, tranché la question religieuse, c'est-à-dire, ajoute-t-il, arrêté tout court la Révolution : que signifie cela ? En matière religieuse, le principe proclamé par Robespierre fut, toujours et invariablement, la liberté de conscience : était-ce là arrêter la Révolution ? Le vote par lequel le procès de Danton fut clos nous est donné aussi par M. Michelet comme une indication de l'alliance de la Droite avec Robespierre ; et pourquoi pas avec Saint-Just, qui demanda si ardemment la mort de Danton ? pourquoi pas avec Billaud-Varenne, qui fut l'auteur véritable de cette mort, et ne cessa de s'en vanter ? M. Michelet oublie que ce fut précisément pour avoir penché à droite que Danton périt. Le vote que Saint-Just obtint contre lui ne fut pas demandé pour un autre motif.

Maintenant, que dit M. Michelet des démarches des ennemis de Robespierre pour se concilier cette même Droite, la veille du 9 thermidor ? L'aveu est remarquable ; mais singulièrement en désaccord avec ce que hasarde un peu plus haut l'illustre écrivain : La Droite finit par comprendre que, si elle aidait à ruiner ce qui, dans la Montagne, était la pierre de l'angle, l'édifice croulerait. Ceci est la vérité même ; et, pour le coup, M. Michelet a grandement raison. Mais par quelle incompréhensible inconséquence peut-il dire, à quelques lignes de distance, d'une part, que la Droite regardait Robespierre, homme d'ordre, comme un homme de l'ancien régime, et, d'autre part, qu'elle s'unit à ses adversaires parce qu'elle comprit que ruiner ce qui était la pierre de l'angle de la Révolution, c'était faire crouler l'édifice ?

En mentionnant l'exécution qui eut lieu le 9 thermidor, M. Michelet écrit, p. 473 : Quelques-uns veulent faire rétrograder les charrettes. Mais Henriot arrive au grand galop et disperse la foule à grands coups de sabre, assurant cette dernière malédiction à son parti. Où M. Michelet a-t-il pris cela ? Est-ce dans M. Thiers qui, t. VI, p. 457, présente les choses sous cet aspect ? Mais M. Thiers lui-même aurait dû citer ses autorités, ce qu'il ne fait pas. Or la version de Toulongeon, auteur du temps, est bien différente ; la voici : Au moment du décret qui mettait Robespierre en arrestation, plusieurs voitures, chargées de victimes, ayant été abandonnées par les gendarmes qui les escortaient et que Henriot avait rappelés à lui, les exécuteurs laissèrent inutilement voir le désir qu'on leur fit une sorte de violence pour délivrer les condamnés. Ils achevèrent leur route et subirent leur sort (voyez Toulongeon, t. II, p. 312). Henriot ne figure donc dans cette affaire que comme ayant convoqué toute la gendarmerie à l'Hôtel de Ville, et, si l'exécution eut lieu, ce fut uniquement parce que la foule ne voulut pas profiter de l'absence des gendarmes de l'escorte pour faire violence aux exécuteurs, comme ceux-ci le désiraient, Samson se trouvant être, du reste, un ardent royaliste.

Au sujet de cette histoire des charrettes, M. Thiers s'exprime en ces termes : Comme Robespierre était supposé l'auteur de tous les meurtres, on s'imaginait que, lui arrêté, les exécutions devaient finir (voyez t. VI, chap. XII, p. 457). En ceci, nous avons regret de le dire, M. Thiers s'est montré plus juste que M. Michelet, qui, liv. XXI, p. 472, écrit : Au bruit de l'arrestation de Robespierre, le mot de tous fut celui-ci : Alors l'échafaud est brisé, tellement il avait réussi, dans tout cet affreux mois de messidor, à identifier son nom avec celui de la Terreur ! C'est tellement on avait réussi qu'il aurait fallu dire, en tout cas ; car dans le mois de messidor, l'autorité officielle de Robespierre fut nulle, et son autorité morale exclusivement employée à combattre les Terroristes : c'est ce que nous avons prouvé d'une manière irrécusable. Mais, d'ailleurs, est-il donc vrai de dire que la Terreur fût identifiée au nom de Robespierre, lors de sa chute ? Loin de là, et ce résultat ne se produisit que beaucoup plus tard, lorsque, à force de mensonges, les Thermidoriens furent parvenus à falsifier l'Histoire de la Révolution. Après avoir parlé du sentiment d'inquiétude que la nouvelle du 9 thermidor causa, dans les départements de l'Est, aux républicains exaltés, Charles Nodier constate que, dans les rangs opposés, on se disait à mi-voix : Qu'allons-nous devenir ? Nos malheurs ne sont pas finis, puisqu'il nous reste encore des amis et des parents, et que MM. Robespierre sont morts ! Voyez la biographie de Robespierre jeune, par Charles Nodier, Dictionnaire de la Conversation.

On a vu avec quelle ardeur, quel enthousiasme, quelle persévérance, la Société des Jacobins prit parti contre la Convention, dans la journée du 9 thermidor. Non-seulement les Jacobins s'unirent à la Commune, mais ils mirent tout en œuvre pour assurer son triomphe. Les faits qui en témoignent abondent, et on en trouve une longue, une véhémente énumération dans le Rapport de Courtois (p. 57, 58, 59 et 60). Eh bien, M. Michelet ne se contente pas de voiler ce grand mouvement, lequel montre combien la cause de Robespierre était associée à celle de la Révolution dans l'esprit des plus zélés révolutionnaires, mais il se hasarde jusqu'à affirmer, p. 485, que la Société jacobine se ménagea plus qu'on n'eût cru. Et il en donne pour preuve, p. 486, qu'elle envoya à la vérité des députations à la Commune, mais n'y alla pas en corps. Ce à quoi M. Michelet ne prend pas garde, c'est qu'il était de la plus haute importance que les Jacobins n'abandonnassent pas en masse la séance, et ce qu'il paraît avoir entièrement ignoré, c'est que la Commune elle-même fut la première à le leur recommander. Voici les propres termes de l'invitation qu'elle leur adressa : Camarades, vous êtes invités à vous rendre à l'instant en grand nombre, ainsi qu'une partie des citoyens et citoyennes de vos tribunes, pour vous unir aux membres de la Commune ; néanmoins vos frères vous engagent, au nom du salut public, à ne pas abandonner votre séance. (Voyez le Rapport de Courtois, p. 51.)

M. Michelet ne cache pas que Brival fut chassé par les Jacobins quand ils apprirent qu'il avait voté contre Robespierre ; mais il fait observer, p. 486, qu'un moment après, rentré dans l'Assemblée, il se vit rapporter sa carte par des commissaires jacobins. Tout cela est inexact. Le compte rendu de la séance du 9-10 thermidor porte que Brival, après avoir raconté comme quoi les Jacobins lui avaient enlevé sa carte et l'avaient couvert de huées, annonce ce qui suit, comme simple information qu'il a reçue et qui n'est pas vérifiée : Je viens d'apprendre que la prétendue Société avait rapporté son arrêté et nommé un commissaire pour me rapporter ma carte. Et il ajoute : Je ne prendrai ma carte qu'après la régénération de la Société. (Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 63.)

Rien n'est donc plus contraire aux faits que la manière dont M. Michelet présente la conduite des Jacobins en cette journée célèbre. Loin de rester froids, ils poussèrent le zèle jusqu'au transport, et leur attachement à Robespierre fut si persistant, que, même à deux heures et demie du matin, le 10 thermidor, ils prenaient la résolution suivante, — autre document dont il est clair que M. Michelet n'a pas eu connaissance : Les citoyens Duplay, Gauthier, Rockenstroch, Didier, Faro, Dumont, Accard, Lefort, Lagarde, Versenne, sont nommés pour accompagner la députation de la Commune, et s'unir avec elle pour veiller au salut de la chose publique. Il est deux heures et demie du 10 thermidor, l'an II. Signé Vivier, vice-président ; Cazalès, secrétaire. (Voyez à la suite du Rapport de Courtois, le n° XXI, 1re pièce.) Cette députation arriva trop tard ; au moment où on la nommait, la Convention était déjà victorieuse.

Un mouvement non moins indispensable à décrire que celui des Jacobins, c'était celui des sections. D'où vient que cette partie, si essentielle, de l'histoire du 9 thermidor a été entièrement passée sous silence par tous nos prédécesseurs, M. Michelet excepté. Encore ce dernier ne mentionne-t-il qu'un nombre limité de sections, les procès-verbaux de dix-sept d'entre elles manquant, dit-il p. 497, à la préfecture de police. Mais, parmi les pièces justificatives placées à la suite du rapport de Courtois, il existe un résumé très-curieux des procès-verbaux de toutes les sections ; et nous son : mes surpris que personne jusqu'à nous n'ait puisé à cette mine. Si M. Michelet y avait eu accès, peut-être eût-il hésité à émettre des assertions telles que celle-ci : Les Piques, la place Vendôme, section de Robespierre, lui fut si hostile, qu'elle brûla sans les lire les lettres de la Commune. (Voyez M. Michelet, liv. XXI, chap. VII, p. 497.) Voilà une affirmation étrangement en désaccord avec ce que nous lisons p. 159 des pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois : Il est constant que la section des Piques ne s'est réunie qu'à deux heures du matin, et qu'elle a pris toutes les précautions possibles pour ne se prononcer qu'avec la certitude des événements favorables à la Convention. Il résulte, en outre, des papiers des Jacobins, que cette section avait promis de fraterniser avec eux. (Ibid.) Elle était donc favorable à Robespierre, contrairement au dire de M. Michelet ; et, comme elle ne se rassembla qu'à deux heures du matin, au moment où la Commune succombait, on conçoit de reste qu'elle ait brûlé les lettres de la Commune, sans que cela prouve le moins du monde qu'elle était hostile à Robespierre. Elle se rallia à la Convention, lorsqu'elle vit qu'il n'y avait plus moyen de faire autrement : voilà tout. Quant au motif qui l'empêcha de se réunir plus tôt, il nous est fourni par la pièce même sur laquelle Robespierre ne put se résoudre à mettre sa signature et qui porte seulement les deux premières lettres de son nom. Comme il était de la section des Piques, elle devait naturellement attendre, pour répondre à un appel de la Commune, que le nom de Robespierre y figurât. On pressa celui-ci de le donner ; il écrivit Ro..... et ne put se résoudre à achever !

Un point, jusqu'ici resté fort obscur, est celui de savoir si Robespierre, à la Commune, se tira ou reçut un coup de pistolet ? Beaucoup d'historiens, M. Thiers entre autres, ont adopté, sans examen, l'hypothèse d'une tentative de suicide. Cette opinion n'a aucune espèce de fondement. Au récit, très-circonstancié, du gendarme Méda, qu'on peut lire dans la Collection des Mémoires relatifs à la Révolution française, nous joindrons ici la copie textuelle d'une lettre manuscrite de Méda, suivie d'un certificat de Tallien, le tout faisant partie de la collection d'autographes de M. de Girardot. C'est un document historique du plus haut intérêt : on va en juger :

Renvoyé au ministre de la guerre pour faire un prompt rapport au Directoire. — Paris, le 20 germinal an IV. BARRAS.

Citoyens directeurs, les pièces ci-jointes rappelleront à votre souvenir la grande époque du 9 thermidor, les services que j'ai rendus dans cette journée, et, particulièrement, les témoignages d'affection, de gratitude, dont les citoyens Barras et Merlin (de Douai) m'honorèrent alors. Le vœu de la Convention nationale, la bienveillance particulière de quelques-uns de ses membres, semblaient m'assurer une place plus honorable et digne des services que j'avais rendus ; mais les partisans du traître que j'avais frappé restèrent encore, quelque temps après la chute de leur chef, à la tête des comités du gouvernement ; ils éludèrent le plus qu'ils purent le favorable décret de la nuit du 9 thermidor, et me donnèrent la place la plus inférieure de l'armée, place que Collot et Barère me forcèrent d'accepter, me menaçant de leur puissante colère, et écartant mes réclamations en disant que l'on ne devait rien à un ASSASSIN. — Ce mot est en grosses lettres dans l'original. — Persuadé du danger de leur résister en leur opposant d'autres représentants, je rejoignis mon nouveau poste. Espérant des temps plus heureux, depuis j'ai réclamé ; mais l'éloignement rendit mes réclamations infructueuses. Permettez donc présentement, citoyens directeurs, que je réclame votre bienveillance et l'entière exécution du favorable décret de la nuit du 9 thermidor. Le ministre de la guerre a chez lui les meilleurs certificats de mes généraux, de mes chefs, qui attestent mes moyens pour servir la République avec distinction dans un poste supérieur. Veuillez donc, citoyens directeurs, m'accorder la place de chef d'escadron, vacante depuis deux ans dans le régiment où je sers, et qui est à la disposition du Directoire, ou charger quelqu'un de recevoir des renseignements et de vous préparer un rapport sur des faits que je n'ose vous rappeler ici, qui amèneront votre conviction et vous feront connaître les dangers que j'ai courus dans la journée et après le 9 thermidor.

C'est en espérant tout de votre justice que je suis avec le plus profond respect,

MÉDA, S. L. (sous-lieutenant).

(Textuel.)

 

Paris, 14 germinal an VI de la République française.

Je certifie que le citoyen Méda est un des braves qui, dans la nuit du 9 thermidor, se rangea sous les drapeaux de la Convention nationale. Le premier, il entra les armes à la main dans la Commune, où les conspirateurs étaient réunis. Ce fut lui qui s'empara de Robespierre. Par un décret solennel on lui promit de l'avancement. Il n'a pas obtenu tout ce qu'il avait droit de réclamer, il sollicite auprès du Directoire. Je croirais faire injure à chacun de ses membres, si j'employais pour Méda d'autre recommandation que celle qui doit résulter des services qu'il rendit à cette mémorable époque.

TALLIEN, membre du conseil des Cinq-Cents.

(Textuel.)

 

Ces mots du certificat : Ce fut lui qui s'empara de Robespierre sont remarquables : Tallien n'ose pas écrire qu'il recommande un assassin ; et Méda lui-même avoue avoir entendu dire à Collot et à Barère qu'on ne devait rien à un assassin. Les Thermidoriens sentaient bien qu'une pareille tentative de meurtre ne pouvait que déshonorer leur victoire et la rendre odieuse. Voilà pourquoi Barère, dans son rapport du 10 thermidor, laissa tomber négligemment ces mots : Robespierre aîné s'est blessé ; voilà pourquoi on mit dans la main de Robespierre, lorsqu'il était étendu sanglant sur une table du Comité du salut public, ce sac qui ressemblait à un fourreau de pistolet et qu'on ne lui' vit que vers trois ou quatre heures du matin ; voilà pourquoi enfin on obtint du concierge de la Maison Commune, Brochard, qu'il déposât dans le sens du suicide.

Heureusement, la déclaration de ce concierge nous a été conservée, et elle porte sa réfutation avec elle :

Sur les deux heures du matin, un gendarme m'a dit qu'il venait d'entendre un coup de pistolet dans la salle de l'Égalité. Je suis entré, et j'ai vu Lebas étendu par terre, et de suite Robespierre l'aîné s'est tiré un coup de pistolet dont la balle en le manquant a passé à trois lignes de moi. J'ai failli être tué, puisque Robespierre a tombé sur moi en quittant la salle de l'Égalité au passage. (Voyez n° XXXVI des pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois.)

En fait de témoins oculaires, le seul qui ait jamais été produit en faveur de la thèse du suicide, est ce Brochard qui assure avoir vu Robespierre se tirer un coup de pistolet et se... manquer !

Encore faut-il remarquer que cette déclaration est en complet désaccord avec celle de l'espion Dulac, lequel affirme être entré le premier à l'Hôtel de Ville, et y avoir trouvé Robespierre étendu près d'une table, dans une des salles, et Le Bas mort, dans une autre pièce. (Voyez n° XXXIX des pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois.)

Mais à quoi bon insister ? La thèse du suicide est combattue par un argument sans réplique : c'est le rapport des officiers de santé Vergez et Marriguis, sur le pansement de la blessure de Robespierre. Voici comment la blessure est décrite dans ce rapport : Le coup a porté au niveau de la bouche, à un pouce de la commissure des lèvres. Comme sa direction était oblique, de dehors en dedans, de gauche à droite, de haut en bas, et que la plaie pénétrait dans la bouche, etc. (Voyez ubi supra, n° XXXVII.) Il est impossible de se figurer un homme se tirant un coup de pistolet au niveau de la bouche, de gauche à droite, et de haut en bas.

Au reste, il est une circonstance qui sert de confirmation au récit de Méda. Dans la nuit même du 9 au 10, il fut solennellement présenté à la Convention par Léonard Bourdon, qui dit : Ce brave gendarme que vous voyez ne m'a pas quitté, il a tué deux des conspirateurs. Sur quoi, la Convention décréta qu'il serait fait mention honorable du dévouement civique de ce citoyen, et chargea le Comité de salut public de lui donner de l'avancement. (Voyez le compte rendu de la séance du 9-10 thermidor, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 75-76.)

Pour tout dire, on lit dans des notes que, plus tard, Dulac fit passer à Courtois la phrase suivante : Il faut que vous observiez, pour l'honneur de la vérité, que c'est moi qui ai vu le premier Robespierre, et qu'il n'est donc pas vrai que le gendarme qui a été présenté à la Convention par Léonard Bourdon lui ait brûlé la cervelle. (Voyez à la suite du rapport de Courtois le n° XXXIX.) Mais, quand Dulac pénétra à la Maison Commune, le meurtre avait été déjà commis, puisque Dulac lui-même raconte qu'il n'avait pas encore mis le pied sur le seuil lorsqu'il entendit deux coups de pistolet tirés en dedans. Il vit Robespierre blessé, mais il n'était point là quand Robespierre fut blessé. Son témoignage sur ce point n'a donc aucune valeur, même à le supposer sincère.

L'assassinat doit donc être rangé historiquement parmi les moyens qui concoururent au triomphe de la réaction thermidorienne ; mais on doit aux Thermidoriens cette justice que, du moins, ils ne se firent pas honneur d'un crime dont le profit devait leur revenir. On a pu remarquer qu'en présentant Méda à la Convention Léonard Bourdon évita de prononcer le nom de Robespierre ; de son côté, Barère, dans son rapport, présenta les choses de manière à faire croire à une tentative de suicide ; nous avons produit un document qui montre combien les réclamations de Méda parurent importunes aux vainqueurs ; enfin, le rapport du Thermidorien Courtois présente ceci de frappant que, dans l'énumération de ceux dont il exalte les services, Méda n'est pas même nommé.

On se tromperait, au surplus, si de ce que le témoignage de cet assassin est admissible sur un point, c'est-à-dire en ce qui touche l'invasion de la Maison Commune, on concluait à l'authenticité de tous les détails contenus dans la brochure intitulée Précis historique des événements qui se sont passés dans la soirée du 9 thermidor, par Méda, chef d'escadron au 7e hussards. L'auteur se vante d'avoir arrêté Henriot, qui le fut, sur la sommation de Courtois et de Robin (de l'Aube), par six gendarmes de la 29e division ; dont on a les noms : Perlot, Hamel, Lecomte, Paulin et Crouï. Méda se vante aussi, dans le factum en question, d'avoir été, au début de la lutte, nommé, lui simple gendarme, que personne alors ne connaissait, commandant des forces de la Convention, et d'avoir suggéré l'idée de marcher sur la Maison Commune. Or la première de ces deux assertions est réfutée par son absurdité même, et la seconde par le récit très-circonstancié de Fréron, qui nous montre que l'idée d'aller assiéger la Commune vint de Billaud-Varenne. Un mensonge impudent, que nous trouvons dans ce prétendu Précis historique, est celui-ci : Je fouille Robespierre. Je lui prends son portefeuille ; il contenait pour plus de dix mille francs de bonnes valeurs. (Voyez p. 385.) Il est dommage que Léonard Bourdon, lorsqu'il remit à la Convention un portefeuille et des papiers saisis sur Robespierre (voyez Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 76), ne se soit pas avisé de faire mention de ces dix mille francs de bonnes valeurs. Quel coup de fortune c'eût été pour les Thermidoriens ! En vérité, Léonard Bourdon et ceux auxquels le portefeuille fut remis se montrèrent bien maladroits de garder à l'égard de ces bonnes valeurs un si profond secret ; et Méda, ou le fabricateur de ses Mémoires, a grandement raison de s'écrier : Je n'en ai jamais entendu parler depuis. Il aurait pu se consoler en songeant que personne ne fut plus heureux que lui sous ce rapport.

Sur la même ligne que cette calomnie inepte, on peut mettre celle-ci, qui orne le rapport de Courtois : Au moment où Saint-Just vit que tout était désespéré pour son parti, il dit à Lebas : Tue-moi. Lebas lui répondit par ce mot : Lâche ! Et, après une courte pause : J'ai bien autre chose à faire, dit-il ; et puis il tire sur lui-même le pistolet dont la balle lui donna la mort. (Voyez rapport de Courtois, p. 71.) Courtois n'oublie qu'une chose : c'est de nous dire comment il est parvenu à savoir ce qui s'est passé entre Saint-Just et Lebas en un pareil moment. Est-ce qu'il était là ? Non. Est-ce que d'aventure il écoutait aux portes ? Non. De qui tient-il ce fait, dont il n'est question ni dans le récit de Méda, ni dans celui de Dulac, ni dans celui du concierge Brochard ? Courtois se tait prudemment là-dessus. Cette misérable invention de la haine n'en a pas moins fait son chemin ; et M. de Barante ne manque pas de l'enregistrer, quoiqu'il veuille bien avouer que le fait n'est pas prouvé.

Ce travail critique, même borné à la discussion des sources, nous mènerait loin. que serait-ce donc si nous entreprenions de relever, dans M. Thiers, M. de Barante, M. Alison, — nous ne parlons pas de M. de Lamartine, — toutes les inexactitudes et toutes les erreurs de seconde main ?

Quoi qu'il en soit, ici finit cette tâche de juge d'instruction que nous nous étions imposée. Embrassée dans toute son étendue, elle eût exigé des volumes ; mais nous osons croire que, quoique incomplète, l'étude à laquelle nous nous sommes livré en présence du public suffira pour convaincre tout lecteur sérieux que, lorsque nous avons mis la main à la plume pour écrire l'Histoire de la Révolution, CETTE HISTOIRE N'ÉTAIT PAS FAITE. Il y avait une foule d'affirmations à rectifier, une foule de jugements à réformer, une foule de préjugés à détruire, une foule de calomnies à confondre ; et tout cela formait un immense courant d'opinion qu'il fallait, peut-être, quelque courage pour remonter. Un homme qui a passé trente ou quarante ans de sa vie à croire vraie une chose fausse, ou à regarder un grand homme comme un monstre, n'arrive pas aisément à reconnaître qu'il s'est trompé pendant si longtemps : c'est là une sorte de suicide intellectuel auquel ne consentent que les natures fortes. Nous savions cela en commençant ; mais nous savions aussi que celui-là est indigne du titre d'historien qui n'est pas décidé à servir la vérité quand même.

 

Depuis l'époque où nous tracions les lignes qui précèdent, un historien d'un talent élevé et d'un grand cœur, M. Ernest Hamel, a écrit une histoire de Robespierre dans laquelle il a suivi pas à pas la vie de ce grand patriote et réfuté une à une, à l'aide de documents inédits, les calomnies qui obscurcissaient encore sa mémoire aux yeux de ceux qui ignoraient quelles furent son existence privée et publique et sa fin. C'est pour nous un devoir, cher à notre cœur, que de renvoyer nos lecteurs à l'excellent ouvrage de M. Ernest Hamel, et notamment au livre XV, p. 631 à 807, de son troisième volume, qui renferme le récit le plus complet, le plus vrai et le plus authentique qui se puisse tracer des événements du 9 thermidor.

 

 

 



[1] Voyez ce rapport dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 6.

[2] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 17.

[3] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 9.

[4] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 12.

[5] Voyez à ce sujet le chapitre V, ci-avant.

[6] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 19.

[7] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 18.

[8] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 19. Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois sont les auteurs de cette trame.

[9] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 11.

[10] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 20.

[11] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 19.

[12] Compte rendu de la séance du 9 thermidor. Moniteur, an II (1794), n° 311.

[13] Rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, p. 39. — Courtois assure que ces mots lui furent rapportés par le représentant Espert.

[14] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[15] En effet, dans le compte rendu qu'il publia plus tard de la séance des Jacobins du 8 thermidor, et que nous avons précédemment fait connaître, on ne trouve rien de semblable.

[16] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[17] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[18] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[19] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[20] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[21] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 23.

[22] Ceci avoué par Lecointre lui-même. Voyez son Appel à la Convention nationale, au peuple français, à l'Europe entière, p. 79 et 80. Bibl. hist. de la Révol., p. 1100.1. (British Museum.)

[23] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[24] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[25] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[26] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[27] Rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, p. 39.

[28] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[29] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[30] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[31] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[32] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[33] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[34] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[35] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[36] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 33.

[37] Rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, p. 71. — Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[38] Mémoires de Levasseur, t. III, ch. XI, p. 224. Le Moniteur, rédigé sous l'œil des vainqueurs, n'ose pas reproduire ces mots ; il se borne à dire : Robespierre apostrophe le président et l'Assemblée dans les termes les plus injurieux.

[39] Mémoires de Levasseur, t. III, ch. XI, p. 226. Ni le Moniteur, ni le procès-verbal de Charles Duval n'ont garde de rapporter le cri de Garnier (de l'Aube), et la réponse terrible qu'il provoqua : An additional proof, dit avec raison M. Wilson Croker, p. 420, of the partiality of both reports to the victrix causa.

[40] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[41] Voyez la preuve un peu plus bas.

[42] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 34.

[43] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[44] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[45] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 34. Il est des mots qui suffisent pour juger un homme. Courtois, dans son rapport sur les événements du 9 thermidor, p. 43, ne voit dans cet admirable dévouement fraternel que le cri de désespoir d'un complice qui se trahit !

[46] Wilson Croker, Essays on the French revolution, p. 417.

[47] C'est ce Charles Duval que la Convention chargea de rédiger, avec quelques autres, le compte rendu de cette séance. Il semble qu'il ait été honteux d'avoir poussé une pareille exclamation en un pareil moment ; car il ne lui a pas donné place dans son projet de procès-verbal. Voyez ce projet, p. 19.

[48] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 34.

[49] Les mots que le Moniteur lui met dans la bouche sont : Oui, j'y ai coopéré.

[50] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 35.

[51] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 35.

[52] Esquiros, Histoire des Montagnards, t. II, p. 464. Renseignement fourni par la famille Le Bas.

[53] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[54] David a souvent raconté, depuis, comme quoi, en cette circonstance, il avait dû la vie à Barère.

[55] Mémoires de Levasseur, t. III, ch. XI, p. 223.

[56] Charles Duval, dans son procès-verbal, p. 21, ne manque pas, cela va sans dire, de voir dans cette impassibilité de Saint-Just, si d'accord avec sa nature, l'attitude d'un traitre à qui sa conscience ne permet pas le moindre mouvement !

[57] Le Moniteur porte : Je voulais arriver au trône ; oui. Ce serait un mensonge abominable, si ce n'était une faute d'impression.

[58] Rien de plus frappant que l'embarras et l'obscurité évidemment calculée de la rédaction de Charles Duval. Son projet de procès-verbal indique que l'ordre ne fut pas exécuté sur-le-champ, et qu'il fallut que l'Assemblée en réclamât l'exécution, sur quoi le président dit : J'ai déjà donné l'ordre ; mais, lorsque les huissiers se sont présentés, on a refusé d'obéir.

[59] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 36.

[60] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 37.

[61] Projet de procès-verbal de Charles Duval, p. 25.

[62] Dans sa polémique avec Laurent Lecointre.

[63] Moniteur, an II (1794), n° 311.

[64] Moniteur, an II (1794), n° 333.

[65] Essays on the French Revolution, p. 416.

[66] Procès de Fouquier, déposition de Robert Wolf, commis-greffier du Tribunal. Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 449 et 450.

[67] Déposition de Fouquier-Tinville, dans son procès, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 241 et 242. — Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[68] Méda, Précis historique des événements qui se sont passés dans la soirée du 9 thermidor, p. 371. — Collection des Mémoires relatifs à la Révolution française.

[69] Rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, p. 63 et n° XXVIII des Pièces justificatives.

[70] Toulongeon, t. II, p. 512. — Voyez sur ce point la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[71] Les auteurs de l'Histoire parlementaire assurent tenir ce fait et son explication de personnes qui avaient connu Henriot. — Voyez t. XXXIV, p. 41.

[72] Déclaration de Merlin (de Thionville) dans la séance du soir, 9 thermidor.

[73] Voyez le récit de Robin (de l'Aube), communiqué à Courtois, dans le rapport de ce dernier, p. 66. Relativement au récit de Méda, voyez la note critique à la suite de ce chapitre.

[74] Récit de H. G. Dulac, employé au Comité de salut public. N° XXXIX des Pièces justificatives, à la suite du rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor.

[75] Ceci raconté par H. G. Dulac lui-même, agent des Comités. ° XXXIX des Pièces justificatives, à la suite du rapport de Courtois.

[76] Déclaration de Bochard, concierge de la Maison Commune. N° XXXVI des Pièces à l'appui. Rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor.

[77] Voyez le rapport de Courtois, p. 48.

[78] Voyez le procès-verbal de la séance extraordinaire du Conseil général de la Commune, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 45-47.

[79] Rapport de Courtois, p. 51-56, et n° XI des Pièces à l'appui.

[80] Rapport de Courtois, p. 67-68. — Courtois dit, sans le prouver, que Robespierre jeune fut envoyé à la maison Lazare. C'est une erreur. Une des pièces mêmes qu'il cite à la suite de son rapport, celle qui est marquée n° XXXVIII, prouve que Robespierre jeune fut envoyé à la Force.

[81] Voyez son propre récit, dans la séance du soir, 9 thermidor, et le rapport de Courtois, p. 59.

[82] Procès-verbal de la séance des Jacobins, séance du 9 thermidor. Rapport de Courtois, p. 58.

[83] Procès-verbal de la Commune.

[84] Procès-verbal de la Commune. Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIV, pages 50-51. Voyez sur l'attitude des Jacobins le 9 thermidor, la note placée à la fin de ce chapitre.

[85] Déclaration d'Amar, dans la séance du 13 fructidor, reproduite par Laurent Lecointre, p. 200 de son Appel à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)

[86] Procès-verbal de la Section des Amis de la patrie, rapport de Courtois, n° XXXI des Pièces à l'appui.

[87] Déclaration de Viton. N° XXXI des Pièces à l'appui, rapport de Courtois.

[88] Récit de Dulac. Rapport de Courtois, n° XXXIV des Pièces à l'appui.

[89] Voyez la séance du soir, 9 thermidor, Histoire parlementaire, t. XXXIV, pages 60-64.

Payan avait été arrêté en effet, mais Henriot l'avait délivré en passant. Voyez le procès de Fouquier, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 376.

[90] Rapport de Courtois sur les événements, 9 thermidor, p. 68 et 69. Note fournie par Bréard.

[91] Voyez, sur la manière dont les faits sont présentés ici dans le projet de procès-verbal de Charles Duval, la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[92] Il s'en vanta lui-même plus tard. Voyez Laurent Lecointre à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe entière, p. 80. Bibl. hist. de la Révol., 1100-1 (British Muséum.)

[93] Voyez les Mémoires de Barère, t. II, p. 226.

[94] Déclaration de Pierre-François Réal, dans le procès de Fouquier-Tinville, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 400.

[95] Nous trouvons à ce sujet la note suivante dans le livre de M. Villiaumé, t. IV, p. 175 : Les conventionnels Laloi, Mallarmé et Choudieu ont attesté à des amis de l'auteur cette ruse de Voulland.

[96] Voyez la note sus-indiquée, où le lecteur trouvera rapprochés tous les faits de détail qui justifient et mettent hors de doute ce point de vue.

[97] Voyez même note, la discussion des hypothèses auxquelles, sur ce point se livre M. Michelet.

[98] Déposition de M. Pierre Mallot, domestique à la mairie, n° XXXII des pièces à l'appui, rapport de Courtois. Les dates ici ont leur importance.

[99] Voyez la déclaration de Robespierre jeune mourant, n° XXXVIII des pièces à l'appui, rapport de Courtois.

[100] Extrait du registre des délibérations du Conseil général, n° XVII des pièces à l'appui, rapport de Courtois.

[101] Rapport de Courtois sur les événements de thermidor, p. 54 et 55.

[102] Interrogatoire de Foureau, n° VI des pièces à l'appui, rapport de Courtois.

[103] N° XIX des pièces à l'appui, rapport de Courtois.

[104] Procès-verbal de la Commune, séance du 9 thermidor, publiée comme pièce inédite dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 52.

[105] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 53.

[106] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 53.

[107] Interrogatoire de Louise Picard, rapport de Courtois, n° XXXI des pièces à l'appui.

[108] Voyez le n°XXX des pièces à la suite du rapport de Courtois.

[109] Voyez le résumé des procès-verbaux des sections, dans le n° XXX des pièces à l'appui, rapport de Courtois, — sans perdre de vue que ce résumé est fait par un homme qui avait intérêt à faire pencher du côté de la Convention la balance des sympathies publiques.

[110] Rapport de Courtois, p. 155.

[111] Rapport de Courtois, p. 167.

[112] Voyez la séance de la Convention du 25 juin 1793.

[113] Extrait des délibérations de la section des Gravilliers, délibération du 25 juin 1793. Dans la Bibl. hist. de la Révol., sections de Paris, 620-1-2. (British Museum.)

[114] C'est ce dont Jacques Roux s'était plaint dans la séance du club des Cordeliers du 27 juin 1793. Voyez le Républicain français, n° CCXXVIII.

[115] Voir la liste publiée comme pièce inédite dans le t. XXXIV de l'Histoire parlementaire, p. 44, et la rapprocher du résumé de Courtois, dans le n° xxx des pièces à l'appui qui terminent son rapport. Voyez aussi, sur le résumé de Courtois, la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[116] Rapport de Courtois, n° XXX des pièces à l'appui, p. 171.

[117] Rapport de Courtois, p. 138.

[118] Rapport de Courtois, p. 161.

[119] Procès-verbal de la Commune, séance du 9 thermidor.

[120] N° XXX des pièces à l'appui. Rapport de Courtois, p. 142.

[121] Cette dernière démarche, d'après l'aveu de Courtois, peut être inférée des procès-verbaux des Jacobins. Rapport de Courtois, p. 144.

[122] Rapport de Courtois, p. 140.

[123] Laurent Lecointre, à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe entière, p. 193. Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)

[124] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 66. — Charles Duval, dans son projet de procès-verbal, en nomme douze : Fréron, Beaupré, Féraud, Bourdon (de l'Oise), Rovère, Bolletti, Delmas, Léonard Bourdon, Auguis, Legendre, Goupilleau (de Fontenay) et Huguet. P. 32.

[125] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 69.

[126] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 69.

[127] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 68.

[128] Ceci raconté par Courtois lui-même. Voyez n° XXX des pièces à la suite de son rapport sur les événements du 9 thermidor.

[129] Voyez, dans le rapport de Barère, à la séance du 10 thermidor, le passage qui a trait à cette calomnie.

[130] Papiers inédits... supprimés ou omis par Courtois, t. III, p. 301 : lettre de Lescot-Fleuriot père au citoyen Harmand, écrite après le 9 thermidor. Lescot-Fleuriot père était du département de la Moselle et fils d'un chirurgien.

[131] Un auteur du temps, Nougaret, dit que Fleuriot était un assez bon sculpteur. Histoire abrégée de la Révolution, liv. XXIV, p. 444.

[132] Cambon disait un jour à Vadier, exilé comme lui à Bruxelles : Comment avez-vous eu la scélératesse d'imaginer ce cachet, et les autres pièces par lesquelles vous vouliez faire passer Robespierre pour royaliste ? Vadier répondit : Le danger de perdre la tête donne de l'imagination. Note de la page 59, t. XXXIV de l'Histoire parlementaire.

[133] Voyez le n° XXX des pièces à la suite du rapport de Courtois, passim.

[134] Voyez la note critique ci-après.

[135] Note fournie par Fréron. Rapport de Courtois, p. 72.

[136] Compte rendu de la séance du 9 thermidor, séance du soir. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 71 et 72.

Il importe de remarquer ici que les comptes rendus de cette longue et fameuse séance donnent comme s'étant suivis sans interruption des actes et des discours qui souvent, au contraire, furent séparés par de longs intervalles. C'est ce qui explique comment, dans le compte rendu, Billaud-Varenne paraît être dans l'Assemblée au moment où la note de Fréron, sus-mentionnée, le représente couché sur un matelas dans une des salles du Comité de salut public.

[137] Voyez p. 67 du rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, une note qui renvoie aux n° 550 et 644 du quatrième carton contenant les pièces tombées entre les mains du Comité de sûreté générale.

[138] N° XLVII des pièces à l'appui du rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre.

[139] Récit de H. G. Dulac, employé au Comité de salut public, n° XXXIX des pièces à l'appui du rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor.

[140] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[141] Il est à noter que ce commentaire est de Courtois, dont nous citons es paroles textuelles. Voyez son rapport sur les événements de thermidor, p. 67 et 68.

[142] Rapport de Courtois, p. 68.

[143] Notes placées à la suite de la préface du rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor, 37e note.

[144] Voyez le rapport de Courtois, passim, et dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 45-56.

[145] Nous avons vu, il y a plusieurs années déjà, chez M. Rousselin Saint-Albin, l'original de la pièce dont il est ici question ; et il nous souvient qu'en ayant parlé à notre amie Georges Sand, elle exprima vivement le désir que ce document lui fût montré. Le lendemain, nous la conduisions chez M. Rousselin Saint-Albin, qui, en lui mettant sous les yeux ce qu'il considérait comme un trésor de collecteur, lui dit : N'est-ce pas que c'est bien curieux, madame ?Curieux ! répondit-elle avec une expression de physionomie impossible à rendre, mais qu'on devine ; curieux ! non, monsieur, c'est émouvant !

[146] Récit de Dulac, employé au Comité de salut public, n° XXXIX des pièces à l'appui du rapport de Courtois sur les événements du 9 thermidor.

[147] Précis historique des événements du 9 thermidor, par Méda, p. 377. Collection des Mémoires relatifs à la Révolution.

[148] Voyez le récit de Méda. Précis historique des événements du 9 thermidor, p. 384 et 385, en le rapprochant des observations contenues dans la note critique ci-après.

[149] Méda, Précis historique des événements du 9 thermidor, p. 384 et 385.

[150] Procès-verbal de la section de l'Indivisibilité, n° XXX des pièces à l'appui, rapport de Courtois. — Déclaration de Foucher et de Jacques Meunier, ibid., n° XXXVIII.

[151] Récit de Dulac, n° XXXIX des pièces à l'appui, Rapport de Courtois.

[152] Voyez pour la preuve, la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[153] Récit de Dulac, n° XXXIX des pièces à l'appui, Rapport de Courtois.

[154] Voyez le Dictionnaire de la Conversation.

[155] Récit de Dulac, n° XXXIX des pièces à l'appui, Rapport de Courtois.

[156] Voyez la déclaration de Bochard, concierge de la Maison Commune, le procès-verbal du Comité civil de la Maison Commune. Rapport de Courtois, n° XXXVI et XXXVIII.

[157] L'arrêté porte la date remarquable que voici : Deux heures et demie du 10 thermidor, l'an deuxième. Voyez le n° XXI (première pièce), à la suite du rapport de Courtois.

[158] Discours de Legendre. Séance du 9-10 thermidor.

[159] Compte rendu de Dumesnil, commandant la gendarmerie près les tribunaux. Rapport de Courtois, n° XXI. — Dumesnil dit que Henriot fut arrêté à une heure du matin. Il ne put l'être que plus tard. A une heure et demie, le conseil général était encore en séance à l'Hôtel de Ville. Voyez à cet égard l'arrêté cité par Courtois, p. 51 de son rapport.

[160] Rapport de Courtois, p. 72, note fournie par Fréron. Voici la couleur que la haine de Fréron donne à cette circonstance : Couthon répondit d'un ton jésuitique, etc.

[161] Procès-verbal du Comité civil de la section de la Maison Commune, n° XXXVIII des pièces à l'appui. Rapport de Courtois.

[162] Procès-verbal du Comité civil de la section de la Maison Commune, n° XXXVIII des pièces à l'appui. Rapport de Courtois.

[163] Procès-verbal du Comité civil de la section de la Maison Commune, n° XXXVIII des pièces à l'appui. Rapport de Courtois.

[164] Derniers instants de Robespierre et de sa faction (Bibl. hist. de la Révol., 856-7-8). Cette brochure, pleine de détails fort intéressants, paraît avoir été absolument ignorée de nos prédécesseurs.

[165] Compte rendu de la séance du 9-10 thermidor. Histoire parlementaire, p. 74.

[166] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[167] Notes relatives à Robespierre lorsqu'il fut apporté au Comité de salut public. N° 41 des pièces à l'appui, Rapport de Courtois.

[168] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[169] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[170] C'est ce qu'avoue Toulongeon, avec un étonnement manifeste. T. II, p. 511.

[171] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[172] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[173] Ses yeux grossis peignaient le chagrin. Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[174] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[175] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[176] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[177] Voyez sur ce point important le n° XII des pièces à l'appui, rapport de Courtois, et la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[178] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[179] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[180] Derniers instants de Robespierre et de sa faction. Ubi supra.

[181] Nous empruntons cette circonstance caractéristique à notre illustre confrère M. Michelet, à qui le fait fut raconté par le général Petiet, qui lui-même le tenait de la personne remerciée en ces termes par Robespierre.

[182] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[183] Mémoires de Levasseur, t. III, chap. XI, p. 235.

[184] C'est ce que l'écrivain tory, M. Wilson Croker, exprime de cette façon : The streets and windows were crowded, and with, what is represented as a better class of persons. Voyez Essays on the French Revolution, p. 428.

[185] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 96.

[186] Voir, dans les volumes précédents, le récit de l'exécution de Louis XVI et celui de l'exécution des Dantonistes.

[187] Nougaret, t. IV, p. 313.

[188] Cette circonstance est rapportée à la fois par Nougaret et par les Deux amis.

[189] Cette scène se passa à l'occasion de la nouvelle de l'exécution du 10 thermidor, apportée à son frère par M. Laromiguière, le philosophe et ancien membre du Tribunat ; c'est sur son témoignage que le fait repose, et nous l'empruntons à une très-intéressante Histoire de Saint-Just, que vient de publier M. Ernest Hamel. Voyez ce livre, p. 617 et 618.