Discours prononcé par Robespierre le 8 thermidor. — Caractère mélancolique et imposant de ce discours. — Lecointre veut renouveler, dans la Convention, la fable des soldats de Cadmus. — L'impression du discours de Robespierre et l'envoi à toutes les communes sont décrétés. — Cambon, attaqué injustement dans le discours de Robespierre, s'élève contre lui avec énergie. — Sortie véhémente de Billaud-Varenne. — Sommation de Panis à Robespierre ; fière réponse de celui-ci. — Défaut du discours de Robespierre comme acte politique. — Le décret précédemment rendu est rapporté. — Pressentiments. — Séance des Jacobins, du 8 thermidor, d'après un récit de Billaud-Varenne. — Enthousiasme des Jacobins pour Robespierre ; Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois menacés et insultés par les Jacobins. — Robespierre refuse de recourir à la force et remet son sort à la décision de l'Assemblée nationale. — Ses ennemis s'adressent au côté droit. — Hésitation du côté droit. — Pourquoi il se décide enfin contre Robespierre. — Alliance monstrueuse. — Paris le soir du 8 thermidor. — La tragédie d'Épicharis et Néron. — Nuit du 8 au 9 thermidor dans le Comité de salut public. — Attitude calme de Saint-Just au milieu de ses collègues furieux. — Matinée du 9 thermidor. — Mot caractéristique de Bourdon (de l'Oise) à Durand de Maillane. — Saint-Just à la tribune. — Critique historique.Le 8 thermidor (26 juillet), Robespierre parut à la tribune. La séance avait attiré un immense concours de monde ; et, selon le récit de Billaud-Varenne, il y avait tant d'étrangers dans la salle, que les corridors mêmes en étaient remplis[1]. Une émotion profonde se peignait sur tous les visages. Chacun sentait que quelque grand événement allait s'accomplir. Lui, commence en ces termes : Que d'autres vous tracent des tableaux flatteurs : je viens vous dire des vérités utiles. Je vais défendre devant vous votre autorité outragée et la liberté violée. Je me défendrai aussi moi-même : vous n'en serez pas surpris. Vous ne ressemblez point aux tyrans que vous combattez. Les cris de l'innocence outragée n'importunent point votre oreille ; et vous n'ignorez pas que cette cause ne vous est point étrangère. Les révolutions qui jusqu'à nous ont changé la face des empires n'ont eu pour objet qu'un changement de dynastie, ou le passage du pouvoir d'un seul à celui de plusieurs. La Révolution française est la première qui ait été fondée sur les droits de l'humanité et sur les principes de la justice. Les autres révolutions n'exigeaient que de l'ambition : la nôtre impose des vertus. L'ignorance et la force les ont absorbées dans un despotisme nouveau : la nôtre, émanée de la justice, ne peut se reposer que dans son sein[2]. Après avoir annoncé qu'il venait, non pas intenter des accusations, mais dissiper des erreurs, et dévoiler des abus qui tendaient à la ruine de la patrie, il se plaignit vivement, au nom de ses amis et en son propre nom, du système imaginé pour les peindre redoutables : Est-ce nous qui avons plongé dans les cachots les patriotes, et porté la Terreur dans toutes les conditions ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, oubliant les crimes de l'aristocratie et protégeant les traîtres, avons déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes, ou des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables, et rendre la Révolution redoutable au peuple même ? Ce sont les monstres que nous avons accusés. Est-ce nous qui, recherchant des opinions anciennes, fruit de l'obsession des traîtres, avons promené le glaive sur la plus grande partie de la Convention nationale, et demandé dans les sociétés populaires la tête de six cents représentants du peuple ? Ce sont les monstres que nous avons accusés[3]. Arrivant aux machinations les plus récentes de ses ennemis : Est-il vrai, demanda l'orateur, avec une vivacité croissante, qu'on ait colporté des listes odieuses où l'on désignait pour victimes un certain nombre de membres de la Convention, et qu'on prétendait être l'ouvrage du Comité de salut public, et ensuite le mien ? Est-il vrai qu'on ait osé supposer des séances, supposer des arrêtés rigoureux qui n'existèrent jamais, et des arrestations non moins chimériques ? Est-il vrai qu'on ait cherché à persuader à un certain nombre de représentants irréprochables que leur perte était résolue ? et à tous ceux qui, par quelque erreur, avaient payé un tribut inévitable à la fatalité des circonstances et à la faiblesse humaine, qu'ils étaient voués au sort des conjurés ? Est-il vrai que l'imposture ait été répandue avec tant d'art et d'audace qu'un grand nombre de membres n'osaient plus habiter la nuit dans leur domicile ? Oui, et les preuves de ces manœuvres sont au Comité de salut public[4]. Mais il ne suffisait pas de montrer que ce prétendu projet d'attenter à la représentation nationale, dont on avait fait tant de bruit, n'était qu'une noire invention de la haine : Robespierre avait à repousser une calomnie non moins meurtrière, celle qui le désignait comme aspirant à la dictature. Et c'est ce qu'il fit avec un mélange de hauteur dédaigneuse, de force, de tristesse, de véhémence et d'ironie, dont on citerait à peine l'équivalent dans les meilleurs discours de Mirabeau[5]. Voici ces passages : Par quelle fatalité cette grande accusation de dictature a-t-elle été transportée tout à coup sur la tête d'un seul de ses membres ? Étrange projet d'un homme, d'engager la Convention nationale à s'égorger elle-même, en détail, de ses propres mains, pour lui frayer le chemin au pouvoir absolu ! Que d'autres aperçoivent le côté ridicule de ces inculpations : c'est à moi de n'en voir que l'atrocité. Vous rendrez au moins compte à l'opinion publique de votre affreuse persévérance à poursuivre le dessein d'égorger tous les amis de la patrie, monstres qui cherchez à me ravir l'estime de la Convention nationale, le prix le plus glorieux des travaux d'un mortel, que je n'ai ni usurpé ni surpris, mais que j'ai été forcé de conquérir ! Paraître un objet de terreur aux yeux de ce qu'on révère et de ce qu'on aime, c'est pour un homme sensible et probe le plus affreux des supplices ! Le lui faire subir, c'est le plus grand des forfaits. Cependant, ce mot de dictature a des effets magiques : il flétrit la liberté ; il avilit le gouvernement ; il détruit la République ; il dégrade toutes les institutions révolutionnaires, qu'on présente comme l'ouvrage d'un seul homme ; il dirige sur un point toutes les haines, tous les poignards du fanatisme et de l'aristocratie. Quel terrible usage les ennemis de la République ont fait du seul nom d'une magistrature romaine ! Et si leur érudition nous est si fatale, que sera-ce de leurs trésors et de leurs intrigues ? Je ne parle pas de leurs armées[6] ; mais qu'il me soit permis de renvoyer au duc d'York et à tous les écrivains royaux les patentes de cette dignité ridicule, qu'ils m'ont expédiées les premiers. Il y a trop d'insolence à des rois, qui ne sont pas sûrs de conserver leurs couronnes, de s'arroger le droit d'en distribuer à d'autres ! Je conçois que cette espèce d'animaux immondes et sacrés qu'on appelle encore rois, puissent se complaire dans leur bassesse et s'honorer de leur ignominie ; je conçois que le fils de George, par exemple, puisse avoir regret à ce sceptre français qu'on le soupçonne violemment d'avoir convoité, et je plains sincèrement ce moderne Tantale ; j'avouerai même, à la honte, non de ma patrie, mais des traîtres qu'elle a punis, que j'ai vu d'indignes mandataires du peuple qui auraient échangé ce titre glorieux pour celui de valet de chambre de George ou de d'Orléans ; mais qu'un citoyen français, digne de ce nom, puisse abaisser ses vœux jusqu'aux grandeurs coupables et ridicules qu'il a contribué à foudroyer, qu'il se soumette à la dégradation civique pour descendre à l'infamie du trône, c'est ce qui ne paraîtra vraisemblable qu'à ces êtres pervers qui n'ont pas même le droit de croire à la vertu... Mais, elle existe, je vous en atteste, âmes sensibles et pures ! Elle existe, cette passion tendre, impérieuse, tourment et délices des cœurs magnanimes ! cette horreur profonde de la tyrannie, ce zèle compatissant pour les opprimés, cet amour sacré de la patrie, et cet amour, plus sublime encore et plus saint, de l'humanité, sans lequel une grande révolution n'est qu'un crime éclatant qui détruit un autre crime ! Elle existe, cette ambition généreuse de fonder sur la terre la première République du monde !... Mais comment nos vils calomniateurs la devineraient-ils ? Comment l'aveugle-né aurait-il idée de la lumière ? La nature leur a refusé une âme : ils ont quelque droit de douter, non-seulement de son immortalité, mais de son existence. Ils m'appellent tyran. Si je l'étais, ils ramperaient à mes pieds ; je les gorgerais d'or ; je leur assurerais le droit de commettre tous les crimes, et ils seraient reconnaissants... Les lâches ! ils voulaient donc me faire descendre au tombeau avec ignominie ! Et je n'aurais laissé sur la terre que la mémoire d'un tyran ! Avec quelle perfidie ils abusaient de ma bonne foi ! Comme ils semblaient adopter tous les principes des bons citoyens ! Comme leur feinte amitié était naïve et caressante ! Tout à coup leurs visages se sont couverts des plus sombres nuages ; une joie féroce brillait dans leurs yeux : c'était le moment où ils croyaient leurs mesures bien prises pour m'accabler. Aujourd'hui, ils me caressent de nouveau ; leur langage est plus affectueux que jamais. Il y a trois jours, ils étaient prêts à me dénoncer comme un Catilina ; aujourd'hui ils me prêtent toutes les vertus de Caton. Il leur faut du temps pour renouer leurs trames criminelles. Que leur but est atroce ! mais que leurs moyens sont méprisables ! Jugez-en par ce seul trait. J'ai été chargé momentanément, en l'absence d'un de mes collègues, de surveiller un Bureau de police générale récemment et faiblement organisé au Comité de salut public. Ma courte gestion s'est bornée à provoquer une trentaine d'arrêtés, soit pour mettre en liberté des patriotes persécutés, soit pour s'assurer de quelques ennemis de la Révolution. Eh bien, croira-t-on que ce seul mot de police générale a servi de prétexte pour mettre sur ma tête la responsabilité de toutes les opérations du Comité de sûreté générale, des erreurs de toutes les autorités constituées, des crimes de tous mes ennemis ? Il n'y a peut-être pas un individu arrêté, pas un citoyen vexé, à qui l'on n'ait dit de moi : Voilà l'auteur de tes maux ; tu serais heureux et libre s'il n'existait plus ! Comment raconter ou deviner toutes les espèces d'impostures clandestinement instituées, soit dans la Convention, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable ? Je me bornerai à dire que, depuis plus de six semaines, la nature et la force de la calomnie, l'impuissance de faire le bien et d'arrêter le mal, m'ont forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du Comité de salut public, et je jure qu'en cela même je n'ai consulté que ma raison et la patrie. Je préfère ma qualité de représentant du peuple à celle de membre du Comité de salut public, et je mets ma qualité d'homme et de citoyen français avant tout. Quoi qu'il en soit, voilà six semaines que ma dictature est expirée, et que je n'ai aucune espèce d'influence sur le gouvernement. Le patriotisme a-t-il été plus protégé ? l'esprit de faction plus timide ? La patrie plus heureuse ?[7]... La politique qu'il aurait cherché à faire prévaloir, s'il eût triomphé, Robespierre l'indiquait dans le passage suivant, bien digne d'être médité par ses détracteurs : Je ne connais que deux partis :
celui des bons et celui des mauvais citoyens. Le patriotisme n'est point une
affaire de parti, mais une affaire de cœur ; il ne consiste pas dans une
fougue passagère qui ne respecte ni les principes, ni le bon sens, ni la
morale ; encore moins dans le dévouement aux intérêts d'une faction. Le cœur
flétri par l'expérience de tant de trahisons, je crois à la nécessité
d'appeler la probité et tous les sentiments généreux au secours de la
République. Je sens que partout où l'on rencontre un homme de bien, en
quelque lieu qu'il soit assis, il faut lui tendre la main et la serrer contre
son cœur. Je crois à des circonstances fatales dans la Révolution, qui n'ont
rien de commun avec des desseins criminels ; je crois à la détestable
influence de l'intrigue, et surtout à la puissance sinistre de la calomnie.
Je vois le monde peuplé de dupes et de fripons ; mais le nombre des fripons
est le plus petit : c'est eux qu'il faut punir des crimes et des malheurs du
monde[8]. Ainsi se révélait dans tout son éclat le dessein de couper court à un régime de fer, — de rendre la sécurité à toutes les consciences droites ; — de ramener par un appel à tous les bons sentiments quiconque n'était qu'égaré ; — de subordonner les basses rivalités et les mesquines ambitions de parti au suprême intérêt de la patrie ; — de travailler enfin à l'œuvre de la réconciliation générale sous les auspices de la liberté et de la justice. Ce n'est pas que Robespierre se fit illusion sur les difficultés d'une telle entreprise : Ceux qui vous disent que la fondation de la République est une entreprise facile vous trompent. Dans quatre jours, dit-on, les injustices seront réparées : pourquoi ont-elles été commises impunément depuis quatre mois ? Et comment, dans quatre jours, tous les auteurs de nos maux seront-ils corrigés on chassés ? On vous parle beaucoup de vos victoires, avec une légèreté académique qui ferait croire qu'elles n'ont coûté à nos héros ni sang ni travaux : racontées avec moins de pompe, elles paraîtraient plus grandes. Ce n'est ni par des phrases de rhéteur, ni même par des exploits guerriers que nous subjuguerons l'Europe, mais par la sagesse de nos lois, la majesté de nos délibérations et la grandeur de nos caractères[9]. Les succès militaires de la République, sans des institutions propres à en ordonner convenablement les résultats, rassuraient si peu Robespierre, qu'ils lui arrachaient ces paroles prophétiques : Au milieu de tant de passions
ardentes, et dans un si vaste empire, les tyrans, dont je vois les armées
fugitives, mais non enveloppées, mais non exterminées, se retirent pour vous
laisser en proie à vos dissensions intestines, qu'ils allument eux-mêmes.
Laissez flotter un moment les rênes de la Révolution : vous verrez le
despotisme militaire s'en emparer, et le chef des factions renverser la
représentation nationale avilie[10]. C'est pourquoi il ne fallait, suivant l'orateur, ni se
dissimuler les obstacles, ni s'endormir sur la réalité du péril, ni couvrir
d'une lâche tolérance l'oppression du peuple, ni sauvegarder des crimes par
des décrets, en faisant croire que c'est contre la représentation nationale
que l'on conspire, quand on dénonce un représentant infidèle : Pour moi, continuait-il, dans un langage que Jean-Jacques
n'eût pas désavoué, pour moi dont l'existence paraît
aux ennemis de mon pays un obstacle à leurs projets odieux, je consens
volontiers à leur en faire le sacrifice, si leur affreux empire doit durer
encore. En voyant la multitude des vices que le torrent de la Révolution a
roulés pêle-mêle avec les vertus civiques, j'ai tremblé quelquefois d'être
souillé, aux yeux de la postérité, par le voisinage impur de ces hommes
pervers qui se mêlaient dans les rangs des défenseurs sincères de l'humanité.
Je conçois qu'il est facile à la ligue des tyrans du monde d'accabler un seul
homme ; mais je sais aussi quels sont les devoirs d'un homme qui peut mourir
en défendant le genre humain. J'ai vu dans l'histoire tous les défenseurs de
la liberté accablés par la fortune ou par la calomnie ; mais leurs
oppresseurs et leurs assassins sont morts aussi ! Les bons et les méchants,
les tyrans et les amis de la liberté disparaissent de la terre, mais à des
conditions différentes. Non, Chaumette, non, Fouché, la mort n'est point un
sommeil éternel. Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime impie, qui jette
un crêpe funèbre sur la nature, et qui insulte à la mort ; gravez-y plutôt
celle-ci : La mort est le commencement de
l'immortalité[11]. La conclusion fut celle-ci : Quel est le remède au mal ? Punir les traîtres ; renouveler les bureaux du Comité de sûreté générale, épurer ce Comité, et le subordonner au Comité de salut public, épurer le Comité de salut public lui-même ; constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge, et écraser ainsi toutes les factions du poids de l'autorité nationale, pour élever sur leurs ruines la puissance de la justice et de la liberté : tels sont les principes. S'il est impossible de les réclamer sans passer pour un ambitieux, j'en conclurai que les principes sont proscrits, et que la tyrannie règne parmi nous, mais non que je doive le taire ; car que peut-on objecter à un homme qui a raison et qui sait mourir pour son pays ? Je suis fait pour combattre le crime, non pour le gouverner[12]... Ce discours dont, à cause de sa longueur, nous n'avons pu donner que quelques parties, et qui fut imprimé, après la mort de Robespierre, sur des lambeaux écrits de sa main, mais écrits avec tout le désordre d'une composition hâtive, — ce discours dont Cambacérès disait à Napoléon qu'il renfermait les plus grandes beautés, et que Charles Nodier appelle une œuvre monumentale, — ce discours si fier et si mélancolique, si plein d'enthousiasme et si amer, si touchant et si terrible, s'adressait bien moins à la Convention qu'à la postérité. Robespierre sentait évidemment que son heure était venue : ce qu'il cherchait désormais à défendre, ce n'était pas sa vie, c'était sa mémoire. Un moment, on put croire que nul ne se lèverait pour lui répondre. Rovère, se penchant à l'oreille de Laurent Lecointre, le pressa de monter à la tribune, et d'y porter l'acte d'accusation convenu entre huit des conjurés. Laurent Lecointre refusa, prétendant que la harangue qu'on venait d'entendre établissait un conflit entre deux puissances également oppressives ; qu'un tel choc rendrait à la Convention sa liberté, quel que fût le parti qui triomphât ; qu'il pouvait même arriver que tous les deux fussent écrasés en même temps ; que, quoique dirigé en apparence contre le seul Robespierre, le discours convenu serait pris par les moins clairvoyants pour ce qu'il était en effet, c'est-à-dire pour une attaque contre les autres — Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Barère, Vadier — ; qu'alors les deux partis, devant un commun péril, pourraient bien se réunir. Rovère reconnut la justesse de cette observation, et Lecointre s'abstint de monter à la tribune[13]. Ainsi, ceux des membres du gouvernement qui avaient juré la perte de Robespierre s'appuyaient, pour l'abattre, sur un parti qui, à leur insu, brûlait de les abattre eux-mêmes ; le mensonge était au fond de cette ligue déplorable ; et il est certain, comme Billaud s'en plaignit plus tard, mais trop tard, que Lecointre, dès le 8 thermidor, couvait le projet de réaliser, au sein de la Convention nationale, la fable des soldats de Cadmus ![14] Forcé de dissimuler, il ne dissimula pas à demi ; car il
s'écria qu'il demandait l'impression du discours de Robespierre[15]. Cette motion,
combattue par Bourdon (de l'Oise), est
soutenue par Barère, qui déclare que, dans un pays libre, la lumière ne doit pas être mise sous le boisseau[16]. Couthon va plus
loin : il insiste pour l'envoi à toutes les communes de la République.
L'Assemblée vote dans ce sens. Vadier prend alors la défense de son rapport
relatif à Catherine Théot, rapport que Robespierre avait attaqué, et il
affirme que les opérations du Comité de sûreté
générale ont toujours été marquées au coin de la justice et de la sévérité
nécessaires pour réprimer l'aristocratie[17]. Mais un plus
important adversaire se présente dans la lice : c'est Cambon. Il a entendu
Robespierre prononcer son nom, et dans quelle phrase ? Les administrateurs suprêmes de nos finances sont des
Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus ; ce sont
les Cambon, les Mallarmé, les Ramel[18]. Cambon repousse
avec énergie cette attaque injuste et insensée. Robespierre se défend d'avoir accusé les intentions de Cambon, mais il persiste à lui reprocher d'avoir fait rendre le dernier décret sur le viager, dont le résultat, dit-il, est de désoler les pauvres. Cela est faux ! s'écrie impétueusement Cambon. Billaud-Varenne repousse l'envoi aux communes : Ce discours inculpe les Comités ; qu'on le soumette donc d'abord à un examen sévère ! — Ce n'est pas le Comité en masse que j'attaque, répond Robespierre ; et il demande la liberté d'exprimer son opinion. A ces mots, un grand nombre de membres se lèvent à la fois, et s'écrient : Nous le demandons tous ! Billaud-Varenne reprend : Il faut arracher le masque sur quelque visage qu'il se trouve ; et, s'il est vrai que nous ne jouissions pas de la liberté des opinions, j'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux, que de devenir, par mon silence, le complice de ses forfaits[19]. Panis se plaint de l'influence que Robespierre exerce aux Jacobins. Il raconte qu'un homme, dans le club, lui a dit que son nom à lui, Panis, figurait sur une liste de proscription. Est-ce vrai ? Il lui faut une explication à cet égard, ainsi que sur le compte de Fouché. Robespierre, fièrement. : On ne retirera jamais de moi une rétractation qui n'est pas dans mon cœur. En jetant mon bouclier, je me suis présenté à découvert à mes ennemis ; je n'ai flatté personne, je ne crains personne, je n'ai calomnié personne[20] ; et, Charlier proposant le renvoi du discours à l'examen des Comités : Quoi ! s'écrie Robespierre, j'aurai eu le courage de venir déposer dans le sein de la Convention des vérités que je crois nécessaires au salut de la patrie, et l'on renverrait mon discours à l'examen des membres que j'accuse ! On murmure[21] ; et, au contraire, on applaudit[22] à Charlier, disant : Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez. — Oui, oui ! nommez-les ! crient plusieurs membres[23]. Cette vive sommation donnait le secret de l'émotion qui régnait dans l'Assemblée. Le grand défaut du discours de Robespierre comme acte politique était de laisser dans le vague ce qu'il importait à tous de bien connaître. Beaucoup se crurent menacés par lui, auxquels il ne songeait même pas. S'il eût nommé, ainsi qu'on l'y invitait, les quelques hommes qu'il entendait dénoncer, il se serait probablement assuré, sinon l'appui, au moins la neutralité de ceux dont il aurait de la sorte dissipé l'inquiétude. Il n'en fit rien, et fut perdu. Amar ayant appuyé sur ce que les Comités étaient en cause, et Thirion, sur ce que les présomptions étaient en leur faveur, attendu qu'un homme seul ne pouvait prétendre avoir raison contre plusieurs, l'Assemblée, après quelques paroles équivoques de Barère, rapporta le décret qui ordonnait l'envoi du discours de Robespierre à toutes les communes[24]. Ce n'était encore là qu'un échec parlementaire ; mais les circonstances lui imprimaient un caractère sinistre... Robespierre ne pouvait s'y tromper. Cependant, de retour dans sa demeure, il montra beaucoup de sérénité, s'imposant sans doute cet effort pour rassurer la tendresse alarmée de la jeune fille qui l'aimait. Il parla tranquillement de la séance, de son résultat, et dit : Je n'attends plus rien de la Montagne. Ils veulent se défaire de moi comme d'un tyran ; mais la masse de l'Assemblée m'entendra[25]. Il alla ensuite se promener aux Champs-Élysées avec sa fiancée. Ils marchèrent quelque temps en silence, suivis du fidèle Brount. Éléonore était triste et rêveuse. Robespierre lui faisait remarquer que le soleil, qui se couchait en ce moment à l'horizon, était très-rouge. C'est du beau temps pour demain, dit-elle[26]. Le soir, les Jacobins se réunirent, pleins d'une sombre indignation. Billaud-Varenne, qui n'avait point paru au club depuis plus de quatre mois[27], était là. Collot-d'Herbois y était aussi. Robespierre paraît. Tous trois, ils demandent la parole : c'est au dernier qu'on l'accorde, et il débute par ces paroles solennelles : Aux agitations de cette assemblée, il est aisé de s'apercevoir qu'elle n'ignore pas ce qui s'est passé ce matin dans la Convention. Les factieux craignent d'être dévoilés en présence du peuple. Mais je les remercie de s'être signalés d'une manière aussi prononcée, et de m'avoir mieux fait connaître mes ennemis et ceux de la patrie. Il donne ensuite lecture de son discours, qui est couvert d'applaudissements[28]. La lecture achevée, Ce que vous venez d'entendre, dit-il, est mon testament de mort. Je l'ai vu aujourd'hui : la ligue des méchants est tellement forte, que je ne puis espérer de lui échapper. Je succombe sans regret. Je vous laisse ma mémoire, et vous la défendrez. Comme il parlait de boire la ciguë : Je la boirai avec toi, s'écria David[29]. Dumas prend alors la parole, et dit qu'un complot existe ; que cela n'est pas douteux ; que le gouvernement est contre-révolutionnaire. Puis, le visage tourné vers Billaud-Varenne et Collot d'Herbois : Il est étrange que des hommes qui, depuis plusieurs mois, gardent le silence, soient si pressés de le rompre aujourd'hui, pour s'opposer sans doute aux vérités foudroyantes que Robespierre vient de faire entendre. Il est facile de reconnaître en eux les héritiers d'Hébert et de Danton : ils seront aussi, je le leur prédis, héritiers du sort de ces conspirateurs[30]. Collot se présente à la tribune : on le couvre de huées. Il rappelle Admiral, la tentative de meurtre dont il faillit être victime : des risées lui répondent. Frémissant, hors de lui, Billaud-Varenne se lève à son tour, et d'une voix tremblante de colère : Où sont les Jacobins ? Je ne les retrouve plus. Quoi ! un représentant du peuple rappelle qu'il a été au moment de périr victime de son patriotisme, et on l'insulte ! Quand les choses en sont là, il n'y a plus qu'à s'envelopper la tête dans son manteau et à attendre les poignards[31]. L'orateur est interrompu par de grands cris ; il veut continuer : sa voix meurt dans le tumulte. Il faut à Collot-d'Herbois toute la force de son organe pour faire entendre qu'il soupçonne les intentions de Robespierre. Assailli d'imprécations, il est forcé d'abandonner la tribune. Un bruit affreux gronde dans la salle. Mais, à la voix de Couthon, profond silence. Lui, demande qu'on ouvre le débat sur la plus dangereuse des conspirations qui aient jamais été ourdies, et il ajoute : Nous verrons les conspirateurs à cette tribune. Ils pâliront en présence du peuple ; ils seront confondus ; ils périront. Ces mots soulèvent des acclamations passionnées ; les chapeaux sont agités en l'air ; la plupart des membres sont debout ; on entend le cri : Les conspirateurs à la guillotine ! Au milieu de cette exaltation extraordinaire, une petite fraction de l'assemblée reste muette, immobile. Le délire ne connaît plus de bornes ; on se menace ; et ceux de la minorité sortent en criant que la majorité est fanatisée[32]. Le bruit courut qu'avant la fin de la séance, Collot-d'Herbois, effrayé du spectacle qu'il avait sous les yeux, s'était jeté aux pieds de Robespierre, le suppliant de se réconcilier avec les Comités[33]. Ce qui est sûr, c'est que si, dans ce moment, Robespierre eût été homme à recourir à la violence, à fouler aux pieds ses principes, et à faire de l'enthousiasme de ses partisans le levier d'une insurrection contre cette représentation nationale qu'on l'avait tant accusé de vouloir détruire, l'occasion ne pouvait être plus favorable. Aussi Payan et Coffinhal le pressèrent-ils d'en profiter, s'offrant à marcher droit aux Comités, gardés à peine par quelques gendarmes, et à désarmer ainsi le pouvoir. Mais sa conscience contredisait ses amis : il écouta sa conscience, et enchaîna, dans ces heures décisives, l'énergie de Payan et de Coffinhal, aimant mieux commettre une faute irréparable qu'abdiquer ses croyances[34]. Or, pendant qu'il faisait de la sorte dépendre son sort du vote de la Convention, ses adversaires n'épargnaient rien pour préparer une décision qui lui fût contraire. Parmi les plus ardents, se distinguait Tallien, qui, la veille (7 thermidor) avait reçu de madame de Fontenay, détenue aux Carmes, une lettre ainsi conçue : L'administrateur de la police sort d'ici ; il est venu m'annoncer que demain je monterai au tribunal, c'est-à-dire sur l'échafaud. Cela ressemble bien peu au rêve que j'ai fait cette nuit : Robespierre n'existait plus et les prisons étaient ouvertes. Mais grâce à votre insigne lâcheté, il ne se trouvera plus personne en France capable de le réaliser[35]. Des émissaires de cette partie de la Montagne que conduisaient Bourdon (de l'Oise) et Tallien vont donc trouver Palasne-Champeaux, Boissy d'Anglas et Durand de Maillane, membres du côté droit, dont l'exemple devait entraîner les autres. Ce qu'ils proposent, c'est un rapprochement qui mette fin aux nombreux assassinats dont ils ne manquent pas de déclarer Robespierre l'auteur, et que leur but, disent-ils, est d'arrêter. La protection politique qu'il vous a accordée n'est que passagère, ajoutent-ils, et votre tour arrivera[36]. Renvoyés, ils se présentent de nouveau, sont renvoyés une seconde fois, reviennent à la charge, et enfin l'emportent[37]. L'alliance monstrueuse qui allait sceller la ruine de la République fut conclue. La longue hésitation que ceux du côté droit mirent à se décider montre assez combien ils avaient compté sur la modération de Robespierre. Mais ses ennemis eurent l'habileté de s'approprier sa politique pour mieux l'abattre. Convaincus que leur unique moyen de salut désormais était dans l'appui du côté droit, et qu'un pareil appui- avait pour condition nécessaire la cessation de ce régime de terreur dont ils avaient été jusqu'alors les représentants les plus farouches, des hommes tels que Fréron, Bourdon (de l'Oise), Tallien, Fouché, se convertirent soudain à l'horreur du sang dont ils avaient les mains toutes tachées ; comme résultat de l'adhésion qu'ils imploraient en quelque sorte à deux genoux, ils montrèrent la guillotine suspendant ses ravages. Ainsi, de quelque façon que la lutte désormais se dénouât, il devenait clair pour ceux du côté droit qu'ils étaient à la veille de sortir d'un régime qu'ils détestaient. Mais, cela étant, quel motif, après les incertitudes que Durand de Maillane a constatées, — le fit pencher, lui et ses amis, en faveur des adversaires de Robespierre ? Ce motif, Durand de Maillane a cru devoir le taire ; mais la suite des événements ne l'a que trop bien révélé. Les membres du côté droit étaient, au fond, royalistes. Ils comprirent tout de suite que le triomphe de Robespierre serait la fin de la Terreur révolutionnaire, mais non celle de la Révolution, tandis que le triomphe de ses ennemis leur promettait, du même coup, et la fin de l'une et celle de l'autre ! Ils prirent le parti qui, en les délivrant de la guillotine, les délivrait aussi... de la République[38]. Paris, dans la soirée du 8 thermidor, présenta un aspect étrange. Les Comités et leurs partisans avaient eu soin de semer toutes sortes de rumeurs propres à servir leurs colères. Talma, ce soir-là, jouait, au théâtre de la République, la tragédie d'Epicharis et Néron, de Legouvé ; et, comme la pièce prêtait à des allusions menaçantes, les conjurés et leurs partisans s'y étaient donné rendez-vous. Plusieurs passages qui semblaient se rapporter à la situation furent applaudis avec transport, celui-ci, par exemple, qui contenait un encouragement enveloppé dans un reproche : Quelle indigne terreur de votre âme s'empare ? Et pourquoi voulez-vous, Romains, qu'on se sépare ? Voilà donc les grands cœurs qui devaient tout souffrir ! Ils osent conspirer et craignent de mourir ![39] Cependant, la nuit était descendue sur la ville, et les membres du Comité de salut public, rassemblés dans le lieu ordinaire de leurs séances, travaillaient avec une préoccupation tragique au dénouement qui se préparait. Ni Robespierre ni Couthon n'étaient présents. Mais Saint-Just siégeait, gardant un morne silence, jetant de temps en temps sur ses collègues un regard observateur, et se montrant aussi incapable d'inquiétude que de repos[40]. Il venait d'envoyer à un copiste les dix-huit premières pages d'un rapport qu'il se proposait de lire le lendemain à la Convention. Il avait annoncé froidement au Comité ce rapport, dans lequel il ne cachait pas que plusieurs de ses collègues étaient accusés[41]. Tout à coup, la porte s'ouvre, et l'on voit entrer Collot-d'Herbois, pâle, les yeux ardents. Saint-Just, d'une voix calme et avec un air impassible, lui demande ce qu'il y a de nouveau aux Jacobins. A cette question, Collot-d'Herbois, pris d'un accès de rage, se répand en invectives contre Saint-Just, qu'il appelle un lâche, un hypocrite, une boîte à apophtegmes[42]. — Vous êtes trois scélérats qui croyez nous conduire à la perte de la patrie, mais la liberté survivra à vos horribles trames[43]. Elie Lacoste, se levant en fureur, tonne contre ce qu'il nomme le triumvirat, et, à son tour, Barère s'écrie : Vous voulez partager les dépouilles de la patrie entre un éclopé, un enfant et un scélérat. Je ne vous donnerais pas une basse-cour à gouverner[44]. A ce débordement d'injures, Saint-Just opposait une tranquillité méprisante. Il était de marbre[45]. Il eut pourtant un instant d'émotion qu'indiqua la subite pâleur de son visage, lorsque Collot d'Herbois lui dit : Je suis sûr que tu as dans tes poches des calomnies dirigées contre nous. Sans prononcer un mot, il vida ses poches, et étala sur la table des papiers que personne ne voulut lire[46]. A une nouvelle et violente sortie de Collot-d'Herbois, il répondit qu'il lirait son rapport le lendemain au Comité, et en ferait le sacrifice si on ne l'approuvait pas, ne dissimulant point, d'ailleurs, qu'il contenait contre Collot-d'Herbois une inculpation basée sur des propos tenus par ce dernier dans un lieu public et relatifs à Robespierre[47]. En entendant tracer le tableau dés malheureuses circonstances où se trouvait la chose publique, il se montra surpris de n'être point dans la confidence de ces dangers ; il dit qu'il ne concevait pas cette manière d'improviser la foudre à chaque instant, et il conjura ses collègues, au nom de la République, de revenir à des idées plus justes, à des mesures plus sages[48]. Il était environ une heure du matin, quand Laurent Lecointre est annoncé. Il venait presser le Comité d'ordonner l'arrestation d'Henriot, du maire de Paris Lescot-Fleuriot, et de l'agent national Payan ; il insista sur ce que Lecointre, son frère, capitaine dans la garde nationale, avait reçu l'ordre de se tenir prêt et en armes avec sa compagnie[49]. Une demi-heure après, paraît Fréron, qu'amenaient les mêmes inquiétudes[50]. Ferait-on arrêter le commandant de la garde nationale, l'agent national, le maire ? Sur cette question brûlante, il s'éleva entre Saint-Just et Collot-d'Herbois un vif débat qu'interrompit la présence de Cambon. Le frère de Lecointre avait offert au Comité de le venir défendre avec son bataillon. Cette offre, quoique appuyée vivement par Cambon, fut refusée, sur ce qu'on n'avait rien à craindre des amis de la liberté, et sur ce qu'on ne craignait pas les assassins[51]. Toutefois le Comité jugea prudent d'appeler dans son sein le maire et l'agent national, pour les retenir auprès de lui et les empêcher par là de correspondre avec leur parti[52]. A cinq heures, Saint-Just sortit[53]. On l'attendait à dix heures, moment indiqué par lui pour la communication de son rapport. Ce fut Couthon qui entra. D'un air assez troublé, il demande à connaître le sujet de la délibération. On l'informe qu'il s'agit de faire destituer par la Convention les chefs de la force publique, de les arrêter, de publier une proclamation. C'est la contre-révolution, s'écrie-t-il ; vous allez produire dans Paris un mouvement terrible. Le Comité tout entier s'élève contre Couthon, et un échange d'apostrophes violentes a lieu entre lui et Carnot. Il était midi en ce moment. Un huissier de la Convention vient avertir que Saint-Just est à la tribune. Il porte en même temps une lettre de ce député, ainsi conçue : L'injustice a flétri mon cœur : je vais l'ouvrir à la Convention nationale. On veut garder cette lettre, Couthon la déchire. Rühl se lève et s'écrie : Allons démasquer ces scélérats, ou présenter nos têtes à la Convention[54]. Quelques instants avant la séance, Bourdon (de l'Oise), rencontrant Durand de Maillane dans la galerie, lui avait touché la main en prononçant ces mots caractéristiques : Ô les braves gens que les gens du côté droit ! Durand de Maillane monte dans la salle de la Liberté, et s'y promène un instant avec Rovère. Tallien les aborde, mais il les quitte presque aussitôt en disant : Voilà Saint-Just à la tribune ; il faut en finir[55]. ——————————————— On lit dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 2 : Nous n'avons conservé aucun monument du temps qui puisse servir à l'histoire du club des Jacobins pendant les soirées si orageuses des 8 et 9 thermidor. C'est une erreur. Nous avons, en ce qui touche la soirée du 8 thermidor, le récit de Billaud-Varenne, qu'évidemment les auteurs de l'Histoire parlementaire ont ignoré. S'ils l'avaient connu, ils n'auraient pas mis dans la bouche de Robespierre, en s'appuyant, comme ils l'avouent eux-mêmes, sur de simples rumeurs traditionnelles, les paroles suivantes : Séparez les méchants des hommes faibles ; délivrez la Convention des scélérats qui l'oppriment ; rendez-lui le service qu'elle attend de vous, comme aux 31 mai et 2 juin. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 3.) Dans son compte rendu de la séance des Jacobins, le soir du 8 thermidor, Billaud-Varenne ne dit pas un mot de cela, il n'y fait même pas allusion. Et c'est à quoi il n'aurait certes pas manqué s'il n'eût craint d'être démenti, rien n'étant plus propre à colorer d'un motif acceptable la conduite qu'il tint au 9 thermidor. Il est, en outre, à remarquer que, le 9 thermidor, dans la Convention, ni Billaud Varenne, ni Collot-d'Herbois, n'osèrent reprocher à Robespierre d'avoir invoqué, la veille, les souvenirs du 31 mai ou du 2 juin. Tout ce qu'on trouve à cet égard dans le discours de Collot, c'est cette phrase vague : Vos ennemis disaient qu'il fallait encore une insurrection du 31 mai, assertion qui provoqua, de la part de Robespierre, ce cri passionné : Il en a menti ! Ce cri, comment le comprendre, si réellement Robespierre eût tenu aux Jacobins le langage que les auteurs de l'Histoire parlementaire lui prêtent, d'après de simples rapports transmis par la tradition ? Et comment comprendre surtout qu'à une dénégation qui eût été, dans ce cas, le comble de l'impudence, Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois ne se fussent pas empressés de répondre par la citation des propres paroles de Robespierre qu'ils auraient entendues ? La vérité est que, loin d'animer l'ardeur de ses partisans, Payan, Coffinhal et autres, Robespierre la contint ; la vérité est que, loin de pousser à un renouvellement du 31 mai, il avait chaleureusement combattu cette idée pendant les jours qui précédèrent, ainsi que le prouve d'une façon péremptoire ce passage du rapport présenté par Barère le 7 thermidor : Hier, quelques citoyens répétaient dans les groupes : Il faut faire un 31 mai... Un représentant du peuple, qui jouit d'une réputation patriotique, méritée par cinq années de travaux, et par ses principes imperturbables d'indépendance et de liberté, a réfuté avec chaleur les propos contre-révolutionnaires que je viens de vous dénoncer ; il a prouvé, dans la Société populaire, que c'était bien mériter de son pays que d'arrêter les citoyens qui se permettraient des propos aussi intempestifs et aussi contre-révolutionnaires. (Voyez le rapport de Barère du 7 thermidor, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 404 et 405.) Aux yeux de Robespierre, en effet, violer la représentation nationale au moyen d'une partie du peuple se donnant pour le peuple tout entier, et employant la force contre la loi, c'était subordonner toute chose à la fortune changeante des factions en lutte, et descendre une pente qui conduisait au chaos. De là ses incertitudes poignantes et son abstention, lorsque, au 31 mai, il s'était agi de renverser violemment la violente domination des Douze ; et nous rappellerons ici que, quoiqu'il désirât avec ardeur la chute des Girondins, il recula devant la responsabilité du coup qui, en les frappant, frappait un principe. On peut certainement lui reprocher de ne s'être pas armé contre le 31 mai avant son accomplissement ; mais on ne peut pas dire, au moins, que le 31 mai ait été son ouvrage. (Voyez dans le tome VIII de cet ouvrage, le chapitre X.) On verra plus loin, jusqu'où il poussa le respect de la représentation nationale, quand vint pour lui le moment de choisir entre un coup d'État et la mort. |
[1] Réponse de J. N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 36, Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British-Museum.)
[2] Voyez dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 406-448, ce discours tel qu'on le trouva manuscrit dans les papiers de Robespierre.
[3] Discours de Robespierre. Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 410 et 411.
[4] Discours de Robespierre. Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 411 et 412.
[5] Cette appréciation, que nous adoptons sans réserve, est de Charles Nodier. Voyez l'art. Robespierre dans le Dictionnaire de la Conversation.
[6] Charles Nodier a écrit : Ce trait sublime : je ne parle pas de leurs armées, est de la hauteur de Nicomède et de Corneille. — Voyez l'art. Robespierre dans le Dictionnaire de la Conversation.
[7] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 413-418-419-420-435-434.
[8] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 415.
[9] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 437.
[10] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 444.
[11] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 445-446.
[12] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 448.
[13] Laurent Lecointre à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe, p. 79. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1.
[14] Réponse de J. N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 60, Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)
[15] Voyez le compte rendu de cette séance par le Moniteur.
[16] Voyez le compte rendu de la séance du 8 thermidor, dans le Moniteur.
[17] Compte rendu de la séance du 8 thermidor dans le Moniteur.
[18] Discours de Robespierre, ubi supra, p. 441.
[19] Compte rendu de la séance du 8 thermidor dans le Moniteur.
[20] Compte rendu de la séance du 8 thermidor dans le Moniteur.
[21] Compte rendu de la séance du 8 thermidor dans le Moniteur.
[22] Compte rendu de la séance du 8 thermidor dans le Moniteur.
[23] Compte rendu de la séance du 8 thermidor dans le Moniteur.
[24] Pour cette séance du 8 thermidor, nous avons dû suivre, faute de mieux, le compte rendu du Moniteur ; mais il est juste de noter que le Moniteur ne publia son bulletin de la séance du 8 thermidor que le lendemain de la victoire remportée par les thermidoriens (29 juillet - 11 thermidor) ; sur quoi les auteurs de l'Histoire parlementaire font observer avec raison, t. XXXIII, p. 449, que si l'issue eût été favorable à Robespierre, le compte rendu du Moniteur aurait eu sans doute une couleur différente.
[25] Ce sont les propres paroles que Toulongeon lui met dans la bouche, t. II, p. 502, an XII.
[26] Détails communiqués par la famille.
[27] Réponse de J.N. Billaud aux inculpations qui lui sont personnelles, p. 14 et suiv. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1.
[28] Réponse de J.N. Billaud aux inculpations qui lui sont personnelles, p. 14 et suiv. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1.
[29] Billaud-Varenne, dans son récit de cette séance, ne rapporte pas l'exclamation de David ; mais les auteurs de l'Histoire parlementaire font observer avec raison que, rendue publique dans le temps, elle n'a jamais été contredite, t. XXXIV, p. 3.
[30] Ceci tiré du récit de Billaud-Varenne, que tous les historiens jusqu'ici paraissent ignoré. Voyez Réponse de J. N. Billaud aux inculpations qui lui sont personnelles, p. 14 et suiv. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)
[31] Récit de Billaud-Varenne, dans la brochure sus-mentionnée, p. 14 et suiv.
[32] Récit de Billaud-Varenne, dans la brochure sus-mentionnée, p. 14 et suiv.
[33] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 3.
[34] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.
[35] Alex. Sorel, le Couvent des Carmes sous la Terreur, p. 320.
[36] Mémoires de Durand de Maillane, ch. X, p. 189.
[37] Mémoires de Durand de Maillane, ch. X, p. 189.
[38] Durand de Maillane n'a garde d'exprimer à cet égard toute sa pensée. Il se borne à dire : Il n'était pas possible de voir plus longtemps tomber soixante, quatre-vingts têtes par jour sans horreur. Le décret salutaire ne tenait qu'à notre adhésion ; nous la donnâmes, et, dès ce moment, les fers furent au feu. Voyez ses Mémoires, chap. X.
Il ne faut pas oublier que ce Durand de Maillane est le même qui, quelque temps avant, avait écrit à Robespierre : Mon cher collègue, continue à défendre le faible, l'homme trompé, en n'épargnant ni les chefs des complots révolutionnaires, ni les traîtres, bien assurés. Oh ! que ton désintéressement, avec la glorieuse indépendance qu'il te donne, t'assure d'avantages sur tous les ambitieux, sur tous les républicains à grandes et petites places ! etc., etc. — Voyez au chapitre précédent.
[39] Voyez Souvenirs d'une actrice, par madame Louise Fusil, t. II, p. 48.
[40] Réponse des membres des deux anciens comités aux inculpations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre. Note 7. — Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. (British Museum.)
[41] Voyez le discours de Collot-d'Herbois, dans la séance du 9 thermidor.
[42] Ceci raconté par Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Barère, dans leur Réponse aux inculpations, etc. Note 7.
[43] Réponse aux inculpations, etc. Note 7.
[44] Réponse aux inculpations, etc. Note 7.
[45] C'est la phrase même de Collot-d'Herbois, dans son discours du 9 thermidor, et il n'y a rien qui la démente dans la Réponse des anciens membres des deux comités aux inculpations de Laurent Lecointre.
Quoique rédigé par les ennemis de Saint-Just, lui mort, et dans un moment où ils avaient tant d'intérêt à le noircir, le récit de la note 7 laisse aisément deviner de quel côté furent, dans cette occasion, le calme de la bonne conscience et la dignité.
[46] Réponse aux inculpations, etc.
[47] Réponse aux inculpations, etc.
[48] Réponse aux inculpations, etc.
[49] Laurent Lecointre à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe, p. 185. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)
[50] Laurent Lecointre à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe, p. 185. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)
[51] Mémoires de Barère, publiés par Hippolyte Carnot et David (d'Angers), t. II, p. 218 et 219.
[52] Discours de Billaud, à la séance du 13 fructidor, cité dans la brochure de Lecointre, p. 186. Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)
[53] C'est l'expression employée par Barère, dans le récit qu'il fit de cette scène nocturne, le 13 fructidor, en pleine assemblée. Dans sa réponse à Laurent Lecointre, rédigée de concert avec Billaud et Collot, il y a, au lieu du mot sortit, le mot s'enfuit, qui appartient évidemment au style de la haine, et qui est ridicule.
[54] Réponse des membres des anciens comités aux inculpations renouvelées de Laurent Lecointre, note 7.
[55] Mémoires de Durand de Maillane, ch. x, p. 200.