HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DOUZIÈME

 

CHAPITRE V. — ROBESPIERRE VEUT ARRÊTER LA TERREUR

 

 

Programme de Robespierre : guerre aux conspirateurs reconnus tels, protection à l'innocence. — Il invite tous les bons citoyens à dénoncer les actes d'oppression. — Il demande l'indulgence pour ceux qui ne sont qu'égarés. — Il proteste contre l'extension donnée à la Terreur, et contre le système de trouver partout des coupables. — Il se plaint de l'arrestation de pauvres artisans, dont tout le crime est de s'être enivrés. — Il dénonce comme une manœuvre contre-révolutionnaire une pétition demandant la peine de mort contre quiconque mêlera le nom de Dieu à un jurement. — Repas fraternels, dénoncés par Payan. — Robespierre attaque Fouché comme Terroriste. — Dubois-Crancé et Fouché sont exclus de la société des Jacobins. — Couthon s'élève contre la tyrannie exercée à Tours par Senar. — Robespierre jeune dénonce un système universel d'oppression et se fait gloire d'être un modéré. — Robespierre attaque indirectement Barère, aux Jacobins. — Barère, au sortir de la séance. — Pourquoi Barère lie sa cause à celle de Voulland et de Vadier ; leurs partie de plaisir à Clichy. — Pourquoi Carnot se joint aux ennemis de Robespierre. — Saint-Just revient de l'armée. — Remarquable aveu de Billaud-Varenne. — Développement du complot ourdi contre Robespierre. — Fausses rumeurs répandues sur un second 31 mai. — Faute des Robespierristes. — Hypocrisie de leurs adversaires. — Visite d'Amar et de Voulland aux Madelonnettes. — Mot féroce de Vadier. — Lettre affectueuse de Tallien à Couthon. — Javogues rétracte ce qu'il a écrit contre Couthon et en témoigne son repentir. — Payan. — Répugnance de Robespierre à recourir à la force. — Il travaille à son testament de mort. — Lettres de sympathie adressées à Robespierre par la sœur de Mirabeau, par Durand-Maillane. — Lettre de reconnaissance écrite à Robespierre, au nom de soixante-treize députés, sauvés par lui. — Menaces anonymes. — Calomnies. — Détails d'intérieur. —  Robespierre à l'Ermitage. — Attitude de Billaud-Varenne dans le comité. — Tentative de conciliation manquée. — Les meneurs des comités font partir de Paris des compagnies de canonniers ; pourquoi ? — Établissement des commissions populaires pour juger promptement les détenus  sur toute la surface de la République : Robespierre ne signe pas. — Continuation de la Terreur : exécution de Roucher et d'André Chénier. — Remarquable pétition des Jacobins. — Barère fait l'éloge de Robespierre, à la veille de le frapper. — Important aveu de Laurent Lecointre. — Contraste. — Critique historique.

 

Cependant, Robespierre se préparait pour la crise suprême qui allait décider de son sort et des destinées de la République.

Jamais situation ne fut plus formidable que la sienne. Placé entre les ultra-révolutionnaires, dont les excès lui faisaient horreur, et les contre-révolutionnaires, auxquels il s'était bien promis de faire une guerre à mort, il marchait le long d'un étroit sentier, tracé, à une hauteur effrayante, entre deux précipices. Malheur à lui, s'il penchait trop à gauche ! Et, s'il paraissait pencher à droite, malheur à lui ! Prendre son parti de la Terreur, en accepter la responsabilité à tout risque, se livrer aux furies, en compagnie des Voulland, des Vadier, et plonger la Révolution dans le sang jusqu'à ce qu'enfin elle y pérît suffoquée, sa raison l'en empêchait, alors même que sa conscience ne le lui aurait pas interdit. Il savait que l'extrême violence et la durée sont choses incompatibles ; il comprenait que le ressort de la Terreur avait été manié trop rudement pour n'être point à la veille de se briser.

D'un autre côté, il tremblait, en cherchant une issue à la situation, d'ouvrir une porte à tous les réactionnaires coalisés. Il se rappelait avec quel succès les royalistes étaient parvenus à envelopper dans leur alliance l'imprudente Gironde, et par quelle bruyante affectation de sympathie ils avaient irrévocablement compromis les Dantonistes. Était-il donc réservé à fournir le sujet du troisième acte, dans cette comédie funeste ? Donnerait-il aux Terroristes des deux Comités, ses ennemis, l'occasion de crier : Le voilà qui mollit à son tour ? On était si porté alors à transformer en trahison la faiblesse, ou ce qui en avait l'apparence ! Parmi les révolutionnaires violents, il y en avait de très-sincères, et dont le vertige tenait à une conviction profonde de la nécessité d'être inexorable : cette force, fallait-il risquer de la mettre contre soi, et la livrer aux énergumènes sans conscience, à qui la question était précisément d'arracher leur sceptre d'airain ?

Dans ces conjonctures critiques, le programme politique que Robespierre résolut de porter à la Convention, après l'avoir développé dans le club des Jacobins, fut celui-ci : Guerre persévérante aux contre-révolutionnaires conspirateurs ; mais, en même temps, guerre aux Terroristes oppresseurs de l'innocence.

Dangereux programme, qui créait à Robespierre, dans l'un et l'autre camp, des ennemis mortels, mais qui témoigne de son courage, en expliquant sa chute, et honorera éternellement sa mémoire !

Le 1er juillet (13 messidor), il se rend aux Jacobins, demande la parole, et commence par ces mots solennels, qui montrent assez qu'il ne se faisait aucune illusion sur le péril :

Il est temps, peut-être, que la vérité fasse entendre dans cette enceinte des accents aussi mâles et aussi libres que ceux dont cette salle a retenti dans toutes les circonstances où il s'est agi de sauver la patrie[1].

Puis, allant droit au fait : Quand les factions sont audacieuses, dit-il, quand l'innocence tremble pour elle-même, la République n'est pas fondée sur des bases durables[2]. Et, après avoir protesté contre ceux qui taxent de cruauté la sévérité employée à l'égard des conspirateurs, il ajoute : L'homme humain est celui qui se dévoue pour la cause de l'humanité, et qui poursuit avec rigueur et avec justice celui qui s'en montre l'ennemi : on le verra toujours tendre une main secourable à la vertu outragée et à l'innocence opprimée[3].

Mais fallait-il que la protection vigilante due à l'innocence allât jusqu'à couvrir d'une indulgence systématique les ennemis de la Révolution, reconnus tels, et les artisans de complots ? Fallait-il confondre le culte de l'humanité avec le désarmement de la justice, et favoriser le triomphe de cette grande calomnie : que le Tribunal révolutionnaire avait été organisé pour égorger la Convention elle-même ? Voilà ce que Robespierre désignait comme une manœuvre révolutionnaire ; voilà ce dont il accusait la faction des indulgents, et il avait soin de faire remarquer que l'humanité des agents de cette faction consistait à parer les coups portés aux ennemis de l'humanité, en cherchant sans cesse l'occasion de frapper les patriotes[4].

Venant aux calomnies dirigées contre lui : A Paris, on dit que c'est moi qui ai organisé le Tribunal révolutionnaire pour égorger les membres de la Convention, et je suis dépeint comme un tyran, comme un oppresseur de la représentation nationale ; à Londres, on dit qu'on imagine en France de prétendus assassinats, pour me faire entourer d'une garde militaire. Ici l'on dit, en parlant de la Renault, que c'est sûrement une affaire d'amourette, et qu'il faut bien croire que j'ai fait guillotiner son amant. C'est ainsi qu'on absout les tyrans, en attaquant un patriote isolé qui n'a pour lui que son courage et sa vertu[5].

A ces mots, une voix des tribunes ayant crié : Robespierre, tu as tous les Français pour toi. — La vérité est mon seul asile, reprit-il avec tristesse ; je ne veux ni partisans ni éloges ; ma défense est dans ma conscience[6].

Il termina, en invitant les bons citoyens à dénoncer les actes d'oppression ; mais en déclarant que, si on le forçait à renoncer à une partie de ses fonctions, il n'en continuerait pas moins, comme représentant du peuple, de faire une guerre à mort aux tyrans et aux conspirateurs[7].

D'une part, on le voit, il annonçait bien haut sa résolution de défendre énergiquement la Révolution, tant qu'elle serait attaquée ; et, d'autre part, il se portait l'adversaire de quiconque tirerait de cette nécessité de la défendre un prétexte de tyrannie, l'adversaire de quiconque osait dire, à l'exemple de Collot-d'Herbois : Il est bien question, en Révolution, du juste ou de l'injuste ![8]

Ce qui indignait surtout Robespierre, et il ne s'en était jamais caché, c'est qu'on fit peser la Terreur sur les pauvres, sur les ignorants, sur beaucoup d'esprits simples, faciles à séduire et à entraîner. Voilà ceux en faveur de qui il aurait voulu voir appliquer cette politique d'indulgence dont on ne parlait que lorsqu'il s'agissait des chefs. Il lui paraissait affreux qu'une Révolution, dont le bonheur du peuple était le but, devînt pour le peuple un sujet d'effroi[9].

Et en effet, quand on consulte les listes du Tribunal révolutionnaire, on y voit, confondus pêle-mêle, princes et concierges, duchesses et femmes de chambre, marquis et charretiers, magistrats et laboureurs, prêtres et artisans. Il est même à remarquer que les classes aisées ne figurent que pour le nombre de six cent cinquante dans le chiffre total des guillotinés, qui fut de deux mille sept cent cinquante[10] ! Les choses en vinrent à ce point que les deux Comités durent enfin proposer, par l'organe de Vadier, un décret qui ordonnait la mise en liberté provisoire de ceux des suspects qui, dans les campagnes, bourgs ou communes de moins de douze cents habitants, se trouvaient appartenir à la classe des laboureurs, manouvriers, moissonneurs, brassiers et artisans[11]. Étaient exceptés ceux d'entre ces pauvres gens qui avaient été emprisonnés comme complices d'un crime de haute trahison ![12]

Robespierre n'avait cessé de s'élever contre ce système de porter la Terreur dans toutes les conditions, et d'ériger en crimes, ou des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables, et rendre la Révolution redoutable au peuple même[13].

Le 9 juillet (21 messidor), il se plaignit aux Jacobins, avec beaucoup d'amertume et d'émotion, de ce qu'on avait arrêté des artisans qui n'étaient coupables que de s'être enivrés dans un jour de fête. Sans doute l'ivresse était une maladie dont il fallait guérir les hommes ; mais quel remède, que cette intolérance farouche, qui transformait en attentat un mouvement de gaieté ! Était-ce donc ainsi qu'on entendait l'application de la loi qui avait mis la probité et la vertu à l'ordre du jour ? Ceux qui lui donnaient cette interprétation méchante et hypocrite ne pouvaient être que de faux patriotes, d'autant moins indulgents à l'égard des malheureux, qu'ils l'étaient davantage envers les aristocrates[14].

Avec plus de véhémence encore, Robespierre dénonça un certain Magenthies, auteur d'une pétition qui réclamait la peine de mort contre quiconque prononcerait un jurement dans lequel le nom de Dieu serait mêlé. Dans ces exagérations barbares, un sûr instinct lui faisait deviner une manœuvre de la contre-révolution[15].

Mais, pendant qu'il s'attachait ainsi à briser le masque de vertu dont certains hommes se couvraient, d'autres, prenant le masque de l'égalité, essayaient d'inaugurer l'ère des repas fraternels en plein air. Tel qu'on venait d'entendre parlant, chez lui, à ses domestiques d'une voix rude et méprisante, allait se placer à côté d'eux dans les banquets publics ; et, le verre à la main, criait avec affectation : A ta santé, Picard ![16] Rien, certes, n'eût été plus touchant que ces réunions civiques, s'il eût été possible de croire sincère le sentiment qui les avait provoquées ; mais comment y voir autre chose qu'une stratégie de la réaction, alors que la lutte des idées, des intérêts et des passions se produisait sous ses aspects les plus terribles, alors que la haine grondait au fond des âmes où l'effroi ne dominait pas, alors que le sang ruisselait sur l'échafaud ? Je ne sais, dit l'agent national Payan devant le Conseil général de la Commune, si ce sont aujourd'hui des sans-culottes qui composent ces repas ; mais j'ai vu des tables splendidement servies... Je démêle vos intentions du moment, messieurs les aristocrates : depuis le commencement de la Révolution, vous donniez le payement de vos contributions pour preuve de votre civisme ; sous Hébert et Chaumette, vous assuriez que vous aviez pris le bonnet rouge et la carmagnole ; aujourd'hui, vous nous direz que vous avez assisté au repas fraternel de votre section. Je déclare, au reste, que je m'opposerai à toutes les mesures rigoureuses que l'on pourrait proposer contre ces repas prétendus fraternels. Il suffit d'indiquer au peuple le piège, pour qu'il s'en éloigne. Les aristocrates, dévoilés, n'oseront plus se montrer à ces banquets publics, et la petite-maîtresse cessera de venir crier dans les rues : Voyez comme j'aime l'égalité ! Je mange publiquement avec mes domestiques[17].

Le lendemain, Barère fit un rapport où il tenait le même langage, et ces manifestations prirent fin.

Nous avons dit que Fouché figurait au premier rang de ceux dont Robespierre se proposait d'attaquer la tyrannie. Il avait suivi, d'un cœur indigné, les progrès de l'oppression, sous laquelle Fouché et Collot-d'Herbois avaient écrasé les Lyonnais ; il se rappelait que devant la terrible Commission des cinq, créée par les deux proconsuls, l'erreur, l'entraînement, la faiblesse, n'avaient eu que trop souvent de la peine à obtenir grâce. Il s'en était plaint : le passage suivant d'une lettre que Fernex lui écrivait d'Orange, le 1er fructidor (18 août), est un document dont, à cet égard, la portée est décisive :

..... Je ne puis m'empêcher de te dire que j'ai été un peu affecté de l'espèce de reproche que tu me fais relativement à la Commune-Affranchie. J'atteste ici que j'étais plutôt le défenseur que le juge de ceux qui pouvaient être présumés avoir agi plutôt par erreur que par méchanceté, et je peux t'assurer qu'il n'en est guère péri que de ceux qui persécutaient les patriotes, soit en les désarmant, soit en indiquant leur retraite, soit en les désarmant ou en les forçant de prendre les armes. Per mets-moi, en passant, cette petite justification, car il me serait bien dur d'être connu de toi pour autre que je suis[18].

 

D'où il résulte que Robespierre avait reproché aux membres de la commission lyonnaise des cinq leur inflexible sévérité à l'égard des prévenus qui n'avaient agi que par erreur, et s'était plaint que ceux-là ne trouvassent pas des défenseurs dans leurs juges mêmes[19] ! De là son aversion pour Fouché, qui avait inauguré, à Lyon, le système de la fureur[20]. Aussi résolut-il de commencer la lutte sans tarder davantage, et en choisissant pour lice le club des Jacobins, bien que Fouché y comptât des partisans, y exerçât une influence qu'avait assez prouvée, peu de temps auparavant, sa nomination à la présidence du club. Ce fut dans la séance du 11 juillet (23 messidor) qu'on évoqua le souvenir de l'oppression qui avait pesé sur les Lyonnais. Attentif à ne donner aucune prise aux royalistes, Robespierre ne cacha point que la Commission temporaire, à Lyon, avait, après avoir déployé de l'énergie, cédé à la faiblesse humaine, et tourné peu à peu contre les patriotes eux-mêmes le pouvoir dont elle avait été armée contre leurs ennemis. Ce changement, résultat des séductions de certaines femmes, avait entraîné la persécution de citoyens honorables, héritiers de l'enthousiasme révolutionnaire et du dévouement de Chalier. Là était la cause du suicide de Gaillard, qu'il fallait venger, ainsi que tous ceux qui, comme lui, avaient succombé sous les manœuvres de la contre-révolution ; mais là n'était point la justification des crimes d'une faction qui n'était qu'en apparence opposée à la première. Quant à lui, Robespierre, ses principes étaient d'arrêter l'effusion du sang humain, versé par le crime[21].

Comme conclusion, il demanda que Fouché fût invité à venir répondre aux reproches qu'on lui adressait. C'est ce que le club des Jacobins décida, après avoir, sur la proposition de Cou thon, rayé de la liste des membres Dubois-Crancé, auquel on imputait d'avoir laissé échapper Précy et sa bande[22].

Ainsi se dessinait de jour en jour plus vivement la politique du parti robespierriste[23], qui était de couper court à la Terreur, sans toutefois rien faire qui donnât aux royalistes l'espoir d'entamer la Révolution.

Fouché, cité au tribunal des Jacobins, n'osa pas comparaître. Le 14 juillet (26 messidor), on lut dans le club une lettre de lui, par laquelle il priait la société de suspendre tout jugement à son égard, jusqu'à ce que les Comités de salut public et de sûreté générale eussent statué sur sa conduite. Indigné, Robespierre se lève et s'écrie : Craint-il les yeux et les oreilles du peuple ? craint-il que sa triste figure ne présente visiblement le crime ? que six mille regards fixés sur lui ne découvrent dans ses yeux son âme tout entière, et qu'en dépit de la nature qui les a cachées on n'y lise ses pensées ? Il continua sur ce ton, déclarant que Fouché était un imposteur méprisable et vil ; que sa démarche était l'aveu de ses crimes ; et que la liberté ne serait pas sacrifiée à des hommes dont les mains étaient pleines de rapines[24].

Cette véhémente sortie entraîna les Jacobins : Fouché fut exclu. Mais, à la fin de la séance, le club élut pour président Élie Lacoste[25], un des ennemis de Robespierre, qui put juger de la sorte, au sein même d'une victoire, de tous les périls qui l'attendaient !

Mais son parti était pris, ou d'arracher la Révolution aux mains impures, ou de périr ; et, dans ce dessein, nul ne le secondait avec plus de courage que son frère. On avait essayé de jeter entre eux des germes de division : Robespierre jeune courut dénoncer lui-même aux Jacobins ces manœuvres artificieuses : On a voulu me séparer de mon frère ; on a été jusqu'à dire que je valais mieux que lui. Mais tant qu'il sera le proclamateur de la morale et la terreur des scélérats, je n'ambitionne d'autre gloire que de partager son tombeau. A son tour, Couthon ayant déclaré qu'il offrait sa poitrine aux poignards dirigés contre son ami, toute la salle retentit d'acclamations passionnées[26].

A quelques jours de là, Couthon s'élevait en termes pleins de force contre la tyrannie qu'on accusait Senar d'avoir exercée à Tours[27] ; et Robespierre jeune disait : Il existe un système universel d'oppression. On a eu l'impudeur de prétendre, dans le département du Pas-de-Calais, que je suis en arrestation comme modéré. Eh bien, oui, je suis modéré, si l'on entend par ce mot un citoyen qui ne se contente pas de la proclamation des principes de la morale et de la justice, mais qui veut leur application ; si l'on entend par ce mot un homme qui sauve l'innocence opprimée aux dépens de sa réputation. Et, rappelant que la foudre révolutionnaire devait servir à renverser les conspirateurs, non à remplir d'effroi tous les citoyens, il adjura quiconque saurait affronter la mort d'aller à la racine du mal, en frappant jusqu'aux autorités qui abuseraient de leur pouvoir pour écraser le peuple[28].

Déjà, dans la séance du 9 juillet (21 messidor), Robespierre aîné avait attaqué indirectement Barère, en présence de Barère même, qui, ce jour-là, occupait le fauteuil. Celui-ci ne s'attendait pas à être publiquement mis en cause : il rentra chez lui, atterré. Vilate raconte en ces termes la scène qui suivit :

Tout défaillant, Barère s'étend dans son fauteuil ; à peine il pouvait prononcer ces mots : Je suis saoul des hommes ! Si j'avais un pistolet !... Je ne reconnais plus que Dieu et la nature. Après quelques minutes de silence, je lui fais cette question : Quelle a pu être sa raison de t'attaquer ? La crainte et la douleur ont besoin de s'épancher. Ce Robespierre est insatiable, dit Barère : parce qu'on ne fait pas tout ce qu'il voudrait, il faut qu'il rompe la glace avec nous. S'il nous parlait de Thuriot, Guffroy, Rovère, Lecointre, Panis, Cambon, de ce Monestier, qui a vexé toute ma famille, et de toute la séquelle dantoniste, nous nous entendrions. Qu'il demande encore Tallien, Bourdon (de l'Oise), Legendre, Fréron, à la bonne heure !... Mais Duval, mais Audoin, mais Léonard Bourdon, Vadier, Voulland, il est impossible d'y consentir[29].

Un autre passage de Vilate explique pourquoi Barère liait sa cause à celle de Vadier et de Voulland :

Barère avait à Clichy une maison de plaisance, tout à la fois séjour des jeux de l'amour, et repaire odieux où les Vadier, les Voulland, inventaient avec lui les conspirations que la guillotine devait anéantir. Ils s'y rendaient deux fois par décade. L'enjouée Bonnefoy y accompagnait Dupin, aussi fameux dans sa coterie par sa cuisine de fermier général, qu'il l'est dans la Révolution par son rapport sur les fermiers généraux... Barère avait cédé cette virtuose à Dupin, et Dupin à Barère, la Demahy, courtisane logée dans un superbe hôtel, rue de Richelieu. On se tromperait si l'on croyait que j'allasse souvent à Clichy. Hélas ! retiré seul dans ma chambre, des réflexions cruelles avaient trop fait soupirer mon cœur, après les deux ou trois fois seulement que j'y étais allé. J'avais vu avec joie, avec délices, la destruction de la cour honteuse de Louis XVI et de l'archiduchesse d'Autriche, et je voyais renaître parmi les destructeurs de cette cour scandaleuse les scènes nocturnes des jardins de Versailles et du petit Trianon. A son retour de Clichy, le lendemain d'un quintidi ou d'une décade, Barère, à la première rencontre, me souhaitait ainsi le bonjour : Nous avons taillé hier de l'ouvrage au tribunal, il ne chômera pas. Voulland, quelquefois à côté de lui, approuvait d'un petit sourire doucereux et perfide[30].

 

Un effroyable orage se formait sur la tête de Robespierre. Il avait maintenant contre lui, dans les régions du pouvoir, outre Barère, Vadier et Voulland, Billaud-Varenne, qui nourrissait contre lui une haine aveugle mais sincère ; Collot-d'Herbois, qu'une solidarité sanglante attachait à Fouché, et enfin, Carnot, entraîné dans leur parti par certaines querelles déplorables qui s'étaient élevées entre lui et Saint-Just.

Nous avons déjà fait allusion à une dispute violente qui eut lieu, au commencement de floréal, dans le Comité de salut public. A des reproches amers de Saint-Just sur la mauvaise administration de l'établissement des poudres et salpêtres, Carnot avait répondu par d'aigres récriminations touchant les projets de dictature dont Saint-Just et ses amis étaient soupçonnés. Alors, s'il en faut croire le récit publié par Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois et Barère, à une époque où celui qu'ils accusaient était mort, Saint-Just serait entré dans une violente colère, et, menaçant Carnot de le faire guillotiner, aurait provoqué de sa part cette réponse : Je t'y invite ! Je ne vous crains pas. Vous êtes des dictateurs ridicules[31].

Une circonstance malheureuse et qui jette quelque jour sur la part qu'un homme tel que Carnot fut amené à prendre au 9 thermidor vint ajouter à ces causes d'animosité. Carnot, au moment même où les destinées de la France allaient se décider à Fleurus, avait commandé, de son autorité privée, une expédition militaire que Saint-Just jugea de nature à compromettre le succès de la campagne et le salut de l'armée. Nous avons devant nous le manuscrit inédit du maréchal Jourdan, et nous y lisons :

Merlot venait de chasser de Seneff un détachement autrichien, lorsque le général en chef reçut l'ordre d'envoyer seize mille cinq cents hommes dans la Flandre maritime. Il est difficile d'expliquer par quel motif on dégarnissait ainsi l'armée, alors que, d'un instant à l'autre, elle pouvait se trouver aux prises avec la totalité des forces des alliés,et cela, pour porter des troupes sur un point où il n'y avait pas d'ennemi ! [32] Heureusement, cet ordre, daté du 30 prairial (18 juin), et, par conséquent, antérieur à la bataille de Fleurus, ne fut communiqué par Pichegru à Jourdan que quinze jours après sa date, de sorte que la victoire, qui aurait pu être compromise, put être gagnée dans l'intervalle. Mais, même après ce brillant triomphe, l'ordre de dégarnir l'armée de Sambre-et-Meuse, sans nécessité appréciable, parut si extraordinaire et si dangereux à exécuter, que Gillet et Guyton, commissaires de la Convention près cette armée, prirent hardiment sur eux de désobéir en suspendant le départ des troupes[33].

C'est ce qu'ils firent par arrêté du 15 messidor (3 juillet) 1794, daté de Marchiennes-au-Pont. Le document dont il s'agit, — il est sous nos yeux, — contient l'exposé des motifs qui firent juger l'ordre de Carnot absolument inexécutable, et l'on y remarque cette phrase significative : Considérant que cet ordre n'est ni conçu avec la précision, ni revêtu des formes qui caractérisent les résolutions du Comité de salut public[34].

Et, en effet, la décision avait été prise, sans que Saint-Just eût été consulté[35], bien qu'il fût le représentant spécial du Comité de salut public près l'armée de Sambre-et-Meuse.

Nul doute que Carnot, grand patriote et grand soldat, ne fût en mesure de fournir, de sa conduite, d'excellentes raisons ; mais il n'en est pas moins vrai qu'en s'écartant du système de guerre adopté par le Comité de salut public, il donnait prise à Saint-Just. Et il le savait homme à ne rien pardonner.

Robespierre avait donc tout à craindre, non-seulement des meneurs du Comité de sûreté générale, mais des personnes en qui reposait le pouvoir du Comité de salut public et dont son absence servait les desseins. L'absence de Robespierre nous a laissé le temps de combiner nos moyens pour l'abattre, disait, plus tard, Billaud-Varenne[36] !

En de telles circonstances, le retour de Saint-Just à Paris devenait d'autant plus nécessaire, que les infirmités de Couthon enchaînaient souvent sa nature active.

Une première fois déjà, au commencement de prairial, Robespierre avait rappelé Saint-Just de l'armée par la lettre suivante, qu'il fit signer à ses collègues, et dont on a trouvé la minute écrite de sa main.

Paris, 6 prairial an II de la République une et indivisible.

CHER COLLÈGUE,

La liberté est exposée à de nouveaux dangers ; les factions se réveillent avec un caractère plus alarmant que jamais. Les rassemblements pour le beurre, plus nombreux et plus turbulents que jamais, lorsqu'ils ont le moins de prétextes, une insurrection dans les prisons qui devait éclater hier, les intrigues qui se manifestèrent au temps d'Hébert, sont combinés avec les assassinats tentés à plusieurs reprises contre les membres du Comité de salut public ; les restes des factions, ou plutôt les factions toujours vivantes, redoublent d'audace et de perfidie. Le Comité a besoin de réunir les lumières et l'énergie de tous ses membres. Calcule si l'armée du Nord, que tu as puissamment contribué à mettre sur le chemin de la victoire, peut se passer quelques jours de ta présence. Nous te remplacerons, jusqu'à ce que tu y retournes, par un représentant patriote.

ROBESPIERRE, PRIEUR, CARNOT, BILLAUD-VARENNE, BARÈRE[37].

 

Saint-Just s'était empressé de répondre à cette invitation pressante ; mais, après un court séjour à Paris, il était retourné au camp. Rappelé une seconde fois par Robespierre, il reparut au moment où on l'attendait le moins, c'est-à-dire le lendemain de la bataille de Fleurus, et il ne fut plus possible de le faire repartir[38]. Sa présence était un sérieux embarras pour Barère, Collot-d'Herbois et Billaud-Varenne[39] : elle les contraignit à couvrir leurs manœuvres d'un voile plus épais.

Que le projet de Robespierre et de ses amis fût de rendre la sécurité à toutes les classes de citoyens, d'élargir les suspects, de donner la main aux débris de la Gironde[40], et d'assoupir les anciennes factions par une fusion générale, voilà ce que savaient plusieurs membres de la Convention, et il n'est pas douteux qu'elle ne présentât, pour l'accomplissement de semblables vues, les éléments d'une majorité considérable[41]. Mais, d'un autre côté, il y avait longtemps qu'au sein de l'Assemblée une conspiration se développait dans l'ombre.

Rapprochement de dates remarquable ! C'était le 3 prairial (22 mai) que, sur un ordre du Comité de salut public, écrit de la main de Robespierre, madame de Fontenay, aimée de Tallien, avait été arrêtée[42], et c'était le 5 prairial (24 mai), qu'avait été ourdie, entre Tallien, Courtois, Laurent Lecointre, Guffroy et Barère, la trame qui devait se dérouler le 9 thermidor[43]. Le noyau une fois formé, il se grossit peu à peu d'hommes mus par des motifs divers : ceux-ci, par des ressentiments personnels ; ceux-là, par le désir d'échapper à une vigilance importune ou à des dénonciations méritées ; d'autres, enfin, par le secret espoir de renverser la République, en sapant ses plus fermes appuis.

Inutile d'ajouter que les conspirateurs n'épargnèrent rien pour augmenter leurs forces. Un député en mission, Ingrand, étant venu un instant à Paris, Billaud-Varenne lui dit : Il se passe ici des choses très-importantes. Va trouver Ruamps, qui t'informera de tout. Ingrand court chez Ruamps, qui lui fait part du complot. Lui, recula, saisi de stupeur, et s'écria : Si on l'attaque, la République est perdue[44].

Le sentiment d'Ingrand était celui des meilleurs patriotes, et parmi les membres les plus modérés de la Convention, beaucoup tournaient leur espoir vers Robespierre. Ils se rappelaient que c'était lui qui avait sauvé de la proscription les soixante-treize députés signataires de la protestation contre le 31 mai, et fait rappeler Carrier ; ils songeaient aux nombreux cachots que son frère, Saint-Just et Lebas, avaient ouverts dans les provinces ; ils n'ignoraient pas combien la politique de Couthon avait différé, à Lyon, de celle de Fouché et de Collot-d'Herbois ; ils jetaient les yeux sur la Commune, et la voyaient tranquille depuis que l'esprit de Robespierre y dominait[45]. Tout cela était aux Comités et à leurs partisans dans l'Assemblée un vif sujet d'alarmes, et leur inspira le genre de tactique qu'ils employèrent ; elle consista à faire croire à la Convention que leur cause était la sienne. Dans ce but, ils commencèrent à répandre sourdement le bruit qu'on rêvait contre l'Assemblée un second 31 mai, qu'elle était à la veille d'un égorgement. A chacun de ses membres on eut soin de montrer son danger personnel dans le danger public, de manière à créer l'alternative de frapper ou d'être frappé[46]. On fit courir des listes, tantôt de dix-huit, tantôt de trente députés, sur qui, assurait-on, la hache était à la veille de s'abattre, en attendant une proscription en masse. Pour rassurer les timides contre la crainte d'affronter la plus grande autorité morale du moment, on eut soin de ne leur demander qu'un acte de volonté simultané qui, enveloppant tout dans un même élan, ne laisserait aucun individu plus remarqué qu'un autre[47]. Et Barère d'augmenter les inquiétudes, en parlant sans cesse de factions, de trahisons, de Pitt et de Cobourg[48].

Vainement Robespierre protesta-t-il contre ces artifices dont étaient venus l'avertir des députés qui n'osaient plus habiter leurs maisons, tant la peur les avait gagnés[49] ; vainement dénonça-t-il bien haut le système qui tendait à avilir la Convention par des terreurs imaginaires, affirmant, lui, qu'elle était pure, qu'elle était au-dessus de la crainte comme du crime[50] ; vainement Couthon déclara-t-il, à diverses reprises, que lui et ses amis étaient pleins de respect pour la représentation nationale, passionnés pour sa gloire, et prêts à verser tout leur sang pour elle[51] : ni Robespierre ni Couthon ne niaient, après tout, leur résolution d'appeler devant la justice révolutionnaire les quelques hommes impurs qui, dans la Convention, cherchaient à corrompre la morale publique et à élever un trône au crime[52]. Ces hommes impurs, il eût fallu les nommer, et, comme on ne les nommait pas, la menace, quoiqu'elle ne s'adressât qu'à quelques-uns, semblait planer sur tous[53].

Là fut la grande faute des Robespierristes, et leurs ennemis en profitèrent avec une habileté pleine d'hypocrisie. On vit des hommes, tels que Vadier, Voulland, Amar, affecter tout à coup, pour la sûreté ou la dignité des représentants du peuple, une sollicitude qu'ils n'avaient pas connue quand il s'était agi de frapper Danton, Hérault de Séchelles, Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine. Parmi les papiers de Robespierre, trouvés chez lui après sa mort et publiés par Courtois, il existe un rapport de l'administrateur Faro, sur une visite d'Amar et de Voulland aux députés détenus aux Madelonnettes. La scène serait grotesque si elle ne se rapportait à une manœuvre odieuse. Les députés en question avaient écrit au Comité de sûreté générale une lettre où ils se plaignaient d'être traités avec tant de dureté, malgré leur qualité de représentants du peuple, qu'on leur refusait du sirop de vinaigre et les douceurs propres à l'existence[54]. Là-dessus, Amar et Voulland courent à la prison, mandent leurs collègues, et, d'une voix attendrie : Est-il bien vrai qu'on arrête votre correspondance ? Vous refuse-t-on les douceurs de la vie, soit en café, soit en sirop, chocolat ou fruits ? Parlez, parlez, chers collègues. Le Comité de sûreté générale nous envoie vers vous pour vous apporter des consolations et recevoir vos plaintes, afin de punir ceux qui ont avili en vous les représentants du peuple. Et Amar se mit à pleurer[55]. Il n'avait pas pleuré en rédigeant le rapport qui fit tomber la tête du représentant du peuple Fabre d'Églantine et celle du représentant du peuple Bazire !

Un mot féroce échappé à Vadier peu de temps avant le 9 thermidor montrera ce qu'il y avait au fond de cette sollicitude que les meneurs du Comité de sûreté générale affichaient à l'égard des membres de l'Assemblée. Un jour, Vadier, croyant s'apercevoir que Robespierre cherchait des partisans dans les rangs modérés de la Convention, laissa échapper ce mot féroce : Si cela continue[56], je ferai guillotiner cent crapauds de son marais.

Non contents de recourir à ces manœuvres, les conjurés s'étudiaient à endormir par toutes sortes de flatteries la prudence de ceux dont ils préparaient la ruine. Tallien, par exemple, écrivait à Couthon, au moment même où il aiguisait contre lui les poignards : Si tu pouvais me recevoir à l'issue de ton dîner, mon cher Couthon, je te demanderais un conseil d'ami. La trop confiante jeunesse a besoin d'être guidée par l'expérience de l'âge mûr[57].

Peu de temps avant, Javogues, autre thermidorien, avait écrit à la Convention : J'ai outragé notre collègue Couthon dans une proclamation que je désavoue, que je rétracte, que je voue solennellement au blâme de l'opinion publique. Mon cœur n'a jamais cessé d'honorer et d'aimer le citoyen Couthon, ainsi que le citoyen Maignet. Voilà la profession de foi dont je ne me serais jamais écarté si j'eusse toujours été moi. Je prie la Convention de la recevoir et de permettre qu'elle soit insérée dans son bulletin[58].

En ce qui touche Robespierre, jamais les conjurés n'avaient été, à son égard, plus prodigues d'éloges ; et cette accusation, tous la méritent, à l'exception de Billaud-Varenne, qui put dire, plus tard, avec vérité : Ai-je jamais parlé de Robespierre pour le louer ?[59]

Lui, cependant, était-il dupe de ces artifices ? Non, sans doute ; et, plus il avançait, plus il se sentait près du couteau. Mais comment en éviter la pointe, lorsque déjà elle touchait à son cœur ?

S'il eût été dans sa nature de recourir à la force, il pouvait aisément avoir une insurrection à ses ordres ; car Henriot lui répondait de l'appui de la garde nationale, et le maire de Paris, Lescot Fleuriot, de l'appui de la Commune. Mais mettre ses ennemis hors la loi, en s'y mettant lui-même ! Essayer d'un second 31 mai, en se chargeant, cette fois, de la responsabilité de l'attentat ! Se faire le plagiaire de la dernière tentative hébertiste, et descendre, lui, l'homme des principes, le régulateur de l'opinion publique, à n'être plus qu'un conspirateur et un factieux ! c'est à quoi Robespierre ne se put résoudre, quoiqu'il fût poussé à ce parti extrême par quelques-uns de ses partisans les plus décidés, et, entre autres, par l'agent national Payan, âme ardente et tête froide.

Ce Payan est une figure qui vaut qu'on s'y arrête. Les notes de lui qu'on a retrouvées annoncent un esprit qui n'eût pas été incapable de grandes vues et qui, dans tous les cas, avait quelques idées fort saines. Convaincu de la nécessité de combattre le fanatisme et de faire disparaître ce qu'il appelait, à la manière des hébertistes, les Petits Jésus, il ne croyait pas néanmoins que le vrai moyen de détruire l'influence des prêtres fût de se livrer, sous leurs vêtements, à des parodies indécentes ; et les cérémonies de l'Église lui paraissaient impossibles à détruire, tant qu'on ne les aurait pas remplacées par des fêtes nationales propres à empêcher un vide de se former dans les imaginations débiles[60]. C'était parce qu'il regardait le dérèglement des mœurs et la corruption comme les bases fondamentales du despotisme[61], qu'il ne tolérait sur les ponts et dans les lieux publics que la vente des livres de nature à former l'esprit public[62]. A ses yeux, la paye qui, sur la proposition de Danton, avait été accordée aux indigents membres des assemblées générales de section, était avilissante pour le peuple et immorale ; il voulait en proposer l'abolition, en s'autorisant de l'exemple des sections des Droits de l'homme et des Sans-Culottes, lesquelles n'avaient jamais accepté rien de semblable[63]. Dans l'aristocratie, il voyait une maladie dont les germes sont au fond du cœur humain[64]. Il pensait que, chez les peuples libres, on doit s'attacher à entretenir par tous les moyens l'horreur de la tyrannie[65], et en conséquence il demandait qu'à la Croix du Trahoir, nom du carrefour de l'Arbre-Sec, on substituât Trahoir Brunehaut, pour rappeler sans cesse au peuple que c'était là qu'une reine aux mains teintes de sang était venue expirer, après avoir été, par ordre des états généraux, traînée le long des chemins à la queue d'une cavale indomptée[66]. Ayant la surveillance des prisons, il soumettait à un contrôle inexorable les malversations des économes et des employés, ne dédaignant aucun détail, vérifiant jusqu'aux comptes des blanchisseuses, et s'inquiétant de la propreté des détenus pauvres autant que de leur santé[67]. Il déclarait antiphysique et antimorale la loi qui, pour une période prolongée, condamnait des êtres humains au pain et à l'eau[68], et il disait : Accoutumer les prisonniers à l'oisiveté, c'est les rendre inutiles à la société quand ils y rentrent[69].

Il est aisé de découvrir en tout ceci le lien qui rattachait Payan à Robespierre. Où il semble qu'ils aient différé, c'est dans l'appréciation de la légitimité des moyens, envisagée au point de vue de la légitimité du but. On lit dans une lettre de Payan, du 18 brumaire, ces mots horribles : Quand bien même Philippe (d'Orléans) eût été innocent, si sa mort pouvait être utile, il fallait qu'il pérît[70]. On comprend de reste que l'homme capable de tracer de semblables lignes ait pressé Robespierre de ne point s'arrêter à des scrupules de légalité et d'agir[71]. Mais, outre que ce dernier répugnait à l'emploi de la violence, il avait exercé jusqu'alors avec trop de succès l'empire de la parole pour se défier de cet instrument de sa puissance, et il mit tout son espoir dans un discours composé de manière à être, ou son programme s'il avait le dessus, ou, s'il succombait, son testament de mort.

Les Comités en prirent alarme. Le 2 thermidor (20 juillet), Barère s'éleva, dans la Convention, contre ces citoyens qui ne devaient pas influencer les autres sections du peuple par des discours préparés. Il fallait, selon lui, les surveiller jusque dans leur domicile[72].

Et pendant ce temps, les Comités faisaient répandre sous main que des projets sinistres étaient sur le tapis ; que certaines gens visaient à l'établissement d'une dictature : qu'on connaissait le dictateur[73] ; que le voile était enfin déchiré ; que dans Robespierre ce qu'il s'agissait d'abattre, c'était le tyran : tyran bien étrange, en vérité, et certainement unique dans son espèce, que cet homme qui n'eut jamais ni trésors ni soldats, et dont les moyens de tyrannie consistèrent dans l'effet produit par son éloquence, uni à l'opinion qu'il avait donnée de sa vertu !

Aussi lui adressait-on de toutes parts des lettres où, bien souvent, la sympathie parla le langage de l'admiration, et d'une admiration passionnée.

Voici en quels termes lui écrivait une sœur de Mirabeau :

Cher Robespierre... Les principes de vertu que tu exprimes autant dans tes paroles que dans tes actions m'ont fait concevoir le projet d'instruire les enfants gratis... Mon cher Robespierre, non, je ne te quitterai jamais. J'aurai des vertus en suivant tes conseils et tes exemples ; et loin de toi, peut-être, un autre air que celui que tu habites me perdrait... L'amour du bien est ton cri d'armes ; le mien est que tu vives longtemps pour le bonheur d'une Convention que j'aime... Compte sur mon cœur[74].

RIQUETTI.

 

Durand-Maillane — ce nom dit tout — écrivait, à son tour, au tyran[75] :

Mon cher collègue, continue à défendre le faible, l'homme trompé, en n'épargnant, ni les chefs des complots contre-révolutionnaires, ni les traîtres bien assurés. Tu ne voulais pas de la première guerre, et j'étais bien de ton avis. Je l'écrivis à Pétion dans le temps, en janvier 1792, et je lui parlai de toi, dans une lettre, avec beaucoup d'affection, le priant de te la communiquer ; tu m'as appris qu'il n'en fit rien. Oh ! que ton caractère était supérieur au sien ! que ton désintéressement, avec l'indépendance glorieuse qu'il te donne, t'assure d'avantages sur tous les ambitieux, sur tous les républicains à grandes et petites places ! C'est là ma pierre de touche : car si, dans mon obscurité, je ne parle pas, je juge, et je juge sans partialité ni flatterie.

Salut et fraternité,

DURAND-MAILLANE, député.

Rue Neuve de l'Égalité, cour des Miracles.

 

Autre lettre appartenant au dossier de la tyrannie de Robespierre, et écrite au nom des 73 députés, débris du parti de la Gironde, qu'il avait arrachés à la mort :

Citoyen notre collègue, nous avons emporté du sein de la Convention et dans notre captivité un sentiment profond de reconnaissance excité par l'opposition généreuse que tu formas, le 3 octobre, à l'accusation proposée contre nous. La mort aura flétri notre cœur avant que cet acte de bienfaisance en soit effacé, etc.

HECQUET, QUIENNEC, RUAULT, SAINT-GRIX, DELAMARRE, BLAD, VINCENT[76].

 

Parmi les lettres qu'on chercherait en vain dans le recueil des épîtres laudatives publiées par Courtois, après un triage auquel présidèrent les haines thermidoriennes, nous venons d'en donner deux seulement, faute de pouvoir tout citer ; mais elles font deviner le reste.

En revanche, les ennemis de Robespierre le poursuivaient de lettres anonymes[77], toutes gonflées de colère et noires de menaces. Robespierre ! ah ! Robespierre ! je le vois, tu tends à la dictature... Dis-moi, est-il dans l'histoire tyran plus tyran que toi ? Et tu ne périras pas ! Et nous ne délivrerons pas notre patrie d'un tel monstre ! Nous mourrons tous, s'il le faut, mais tu n'échapperas pas[78]... Écoute, lis l'arrêt de ton châtiment. J'ai attendu, j'attends encore que le peuple affamé sonne l'heure de ton trépas ; que, juste dans sa fureur, il te traîne au supplice... Si mon espoir était vain, s'il était différé, écoute, lis, te dis-je : cette main qui trace ta sentence, et que tes yeux égarés cherchent à découvrir, cette main qui presse la tienne avec horreur, percera ton cœur inhumain. Tous les jours, je suis avec toi, je te vois tous les jours ; à toute heure, mon bras levé cherche ta poitrine. Ô le plus scélérat des hommes, vis encore quelques jours pour penser à moi ; dors, pour rêver de moi ; que mon souvenir et ta frayeur soient le premier appareil de ton supplice. Adieu ! Ce jour même, en te regardant, je vais jouir de ta terreur[79].

Ces menaces répétées et leur caractère mystérieux provoquaient naturellement une surveillance active ; mais, contre plusieurs députés, tels que Legendre, Thuriot, Bourdon (de l'Oise), Tallien, elle fut poussée jusqu'à l'espionnage, sans qu'on puisse, du reste, savoir au juste si cet espionnage fut commandé ou volontaire[80].

Quant à prétendre, comme certains historiens n'ont pas craint de le faire, que, dans ces jours suprêmes de messidor et thermidor, où chaque minute était comptée, Robespierre passait son temps à chercher les plaisirs de la table, et à faire des courses à Maisons-Alfort, suivi de Dumas, Coffinhal, Payan, Fleuriot, Henriot et autres, traversant les routes au galop, renversant tout ce qu'il rencontrait, et semant partout l'alarme ; la calomnie est si grossière, si transparente, qu'elle vaut à peine qu'on s'arrête à la réfuter[81]. Outre que rien au monde ne pouvait être inventé qui fût plus en contradiction avec la nature de Robespierre, avec ses goûts, avec ses habitudes et sa ligne de conduite, il résulte du témoignage de quelques-uns de ses ennemis, bien connus pour leur acharnement, que jamais il ne se montra plus réservé et ne veilla plus attentivement sur lui-même qu'en approchant de la mort. Et, par exemple, c'est une lettre de Fréron qui nous apprend que, quoique Robespierre aimât le vin et les liqueurs, il y avait renoncé, et ne but que de l'eau pendant les derniers mois de sa vie[82]. On pouvait citer de lui, toutefois, un goût qu'il portait jusqu'à l'excès, mais celui-là fort innocent : il aimait avec passion. les oranges. Chez Duplay, écrit Fréron, la place qu'il avait occupée à table était toujours marquée par les monceaux d'écorces d'orange qui couvraient son assiette[83]. Fréron complète ces détails en assurant que Robespierre, vers la fin de sa carrière, s'exerçait tous les jours au pistolet dans son jardin, et était devenu très-adroit à cet exercice[84] ; mais des prétendues cavalcades sur la route de Maisons-Alfort, pas un mot.

Ce que des renseignements puisés à des sources sûres permettent, au contraire, d'affirmer, c'est que l'hôte de Duplay se plaisait aux promenades solitaires. Souvent, sans autre compagnon qu'un grand chien nommé Brount, auquel il était singulièrement attaché, il prenait le chemin des Champs-Élysées et s'en allait rôder tout pensif du côté des jardins de Marbeuf, où il s'oubliait volontiers à entendre de petits Savoyards jouer de la vielle et chanter quelque air des montagnes. Il leur parlait avec tant de bonté, et les traitait avec une munificence si assidue, qu'il était connu parmi eux sous ce nom : le bon Monsieur[85].

Un autre lieu l'attirait, parce qu'il y rencontrait à chaque pas le souvenir de Jean-Jacques : c'était l'Ermitage, dans la vallée de Montmorency. Ses dernières inspirations lui vinrent de là[86].

On approchait d'une grande catastrophe ; mais ceux-là mêmes qui travaillaient à l'amener ne la voyaient pas venir sans un trouble profond. La division qui régnait maintenant sur la Montagne tendant à donner à ceux du Centre, dans la Convention, le pouvoir de faire pencher la balance, chacun se demandait avec anxiété ce qu'ils décideraient. Eux, paraissaient hésiter. Pouvez-vous nous répondre du Ventre ? dit Billaud-Varenne à un des hommes que les circonstances y avaient placé. A quoi celui-ci répondit : Oui, si vous êtes les plus forts[87]. Réponse cynique et terrible !

D'un autre côté, ni Billaud-Varenne, ni Collot-d'Herbois, ni Barère ne se dissimulaient qu'en renversant Robespierre, ils risquaient de renverser la République, et que leur victoire pourrait bien n'être qu'un suicide. Le cri échappé à Ingrand, ils l'entendaient retentir au fond de leur cœur. Ils avaient beau appeler Robespierre un tyran, leur conscience les accusait de mensonge et leur annonçait comme inévitables les vengeances du remords. Lorsque, longtemps après, Barère se rappelait cette époque de sa vie, ce n'était jamais qu'avec un frémissement douloureux. Un jour, vieux et déjà un pied dans la tombe, il reçoit la visite de David (d'Angers). L'artiste républicain venait lui faire part d'un projet de couler en bronze le portrait des hommes les plus célèbres de la Révolution. Il lui nomme Danton. Barère, qui était couché, se lève brusquement sur son séant, et, le visage animé par la fièvre, s'écrie : Vous n'oublierez point Robespierre, n'est-ce pas ? Car c'était un homme intègre, un vrai républicain. Son irascible susceptibilité, son injuste défiance envers ses collègues, le perdirent. Ce fut un grand malheur !... Il s'arrêta très-ému, pencha sa tête sur sa poitrine, et demeura perdu dans ses pensées[88].

Les agitations de Billaud-Varenne, à la veille de ce combat sacrilège, ont été décrites par Saint-Just d'une manière saisissante : Tout fut rattaché à un plan de terreur. Afin de pouvoir tout justifier et tout oser, il m'a paru qu'on préparait les Comités à recevoir et à goûter l'impression des calomnies. Billaud annonçait son dessein par des paroles entrecoupées ; tantôt c'était le mot de Pisistrate qu'il prononçait, tantôt celui de dangers : il devenait hardi dans les moments où, ayant excité les passions, on paraissait écouter ses conseils, mais son dernier mot expira toujours sur ses lèvres ; il hésitait, il s'irritait, il corrigeait ensuite ce qu'il avait dit hier ; il appelait tel homme absent Pisistrate ; aujourd'hui présent, il était son ami. Il était silencieux, pâle, l'œil fixe, arrangeant ses traits altérés. La vérité n'a point ce caractère ni cette politique[89].

Saint-Just assistait à ce spectacle avec une impassibilité apparente, mais non sans y trouver matière à des pressentiments sinistres[90]. Chargé de présenter un rapport sur la situation générale de la République, il laissa entrevoir ses préoccupations au Comité de salut public, dans ce langage laconique, menaçant et fier, qui lui était propre. Je ne puis épouser le mal, dit-il à ses collègues... Tout se déguise devant mes yeux, mais j'étudierai tout ce qui se passe... et ce qui ne ressemblera pas au pur amour du peuple et de la liberté aura ma haine[91].

Le lendemain, 5 thermidor (22 juillet)[92], incertains du résultat de la lutte, les deux Comités se réunissent, et, pour une dernière explication, mandent Robespierre[93]. On s'aborda d'un air contraint, et, pendant quelque temps, chacun garda le silence[94]. Enfin, Barère énonce les faits dont les Comités croyaient avoir à se plaindre, et dont la note avait été rédigée d'avance[95]. Il y eut échange de récriminations amères. Saint-Just déclare tenir d'un officier suisse, fait prisonnier devant Maubeuge, que les alliés attendent tout d'un parti qui renversera la forme terrible du gouvernement ; qu'un grand crédit militaire, la libre disposition des finances sont nécessaires à quiconque aspire à dominer, et que ces choses ne sont point dans les mains de ceux contre qui l'on insinue des soupçons[96]. David appuya ce discours. Alors, se tournant vers Robespierre, Billaud-Varenne lui adresse ces paroles qui firent tressaillir Saint-Just comme dictées par une dissimulation profonde[97], bien qu'elles ne témoignassent, peut-être, que des angoisses d'un cœur irrésolu : Nous sommes tes amis, nous avons toujours marché ensemble[98].

On peut juger de la portée d'une pareille tentative de conciliation par ce cri contre-révolutionnaire, échappé depuis au Thermidorien Laurent Lecointre : Cette paix, si elle eût été conclue, perdait à jamais la France[99].

Mais, au point où en étaient les choses, pouvait-elle être conclue ? Vous aspirez à former un triumvirat, avait dit Élie Lacoste aux trois membres de la minorité[100] ; et, à part même les rivalités et les défiances personnelles, l'absence d'homogénéité dans les tendances n'était que trop réelle. Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois ne voulaient point qu'on parlât d'Être suprême, d'immortalité de l'âme, de sagesse[101]. De son côté, Saint Just trouvait indigne qu'on eût l'air de rougir de la Divinité[102]. Les conférences furent rompues, et tout se prépara pour un dénouement tragique[103].

Il y avait à Paris quarante-huit compagnies de canonniers, appartenant aux quarante-huit-sections, et composées d'ardents patriotes. Nul doute que, si une lutte s'engageait, les canonniers ne se rangeassent du parti de Robespierre. Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois et Carnot, en ce moment maîtres des affaires, ordonnèrent donc au chef de la commission du gouvernement de faire successivement sortir de Paris un grand nombre de ces compagnies, s'autorisant en cela d'un décret qui ordonnait d'en laisser la moitié à Paris, mais permettait de déplacer l'autre moitié. En même temps, ils envoyaient à trois mille élèves qui, sous le nom d'Ecole de Mars, avaient été appelés à former l'établissement des Sablons, une quantité considérable de canons de gros calibre. Les Robespierristes ne se méprirent pas sur le but de ces mesures. Couthon courut les signaler aux Jacobins, déclarant fort extraordinaire l'idée de former trois mille élèves pour protéger une République qui avait besoin de douze cent mille soldats, et demandant bien haut pourquoi l'on s'appliquait à dégarnir Paris de ses plus fidèles, de ses plus intrépides défenseurs, les canonniers. Il en partira encore quatre mille demain ! s'écria Sijas. Ceci se passait le 6 thermidor[104].

Ce jour-là fut pris par les deux Comités réunis un arrêté qui établissait, conformément à un décret rendu le 23 ventôse, quatre commissions populaires chargées de juger promptement les ennemis du peuple détenus dans toute l'étendue de la République. Les signataires furent : Barère, Dubarran, C.-A. Prieur, Louis (du Bas-Rhin), Lavicomterie, Collot-d'Herbois, Carnot, Couthon, Robert Lindet, Saint-Just, Billaud-Varenne, Voulland, Vadier, Amar, Moyse-Bayle[105].

Quoique ses amis Saint-Just et Couthon eussent signé, Robespierre ne signa pas, tant il était décidé à rompre avec un régime et des hommes que sa conscience condamnait !

Et certes, il ne résulta de son abstention aucun ralentissement dans l'action de la Terreur : loin de là ! car, dans cette journée du 6, on tira des prisons, pour les livrer au tribunal révolutionnaire, quarante-cinq détenus, dont sept furent acquittés, et trente-huit exécutés le lendemain[106]. Parmi ces derniers figuraient deux poètes : Roucher et André Chénier[107].

On connaît le mot d'André Chénier, avant de mourir : J'avais pourtant quelque chose là ![108] Et il se frappait le front. Ah ! de tels souvenirs sont à vous briser le cœur ! Mais il faut tout dire : les hommes qui firent mourir André Chénier avaient en lui un ennemi implacable, un ennemi dont la haine s'était exhalée en cris de rage. N'écrivit-il pas qu'il ne voulait point quitter ce monde

Sans percer, sans fouler, sans traîner dans la fange,

Ces bourreaux, barbouilleurs de lois ;

et que, s'il désirait vivre, c'était

Pour cracher sur leurs noms, pour chanter leur supplice ?

En traçant ces lignes furieuses, André Chénier oubliait que son frère, Marie-Joseph, était un de ces héros, barbouilleurs de lois ; il oubliait que ceux qu'il brûlait de percer, de fouler, de traîner dans la fange, et de voir périr par un supplice qui pût fournir matière à ses chants, représentaient, après tout, la patrie luttant contre la ligue des rois, et avaient, au milieu de violences lamentables, accompli des choses immortelles.

Le 7 thermidor (25 juillet), une députation de la Société des Jacobins parut à la barre. Dans une pétition où l'on retrouve toutes les idées de Robespierre et jusqu'à son style, les Jacobins signalaient la main de l'étranger au fond des machinations intérieures ; ils protestaient contre les efforts tentés pour briser l'union des représentants entre eux et de la représentation avec le peuple ; ils déclaraient infâme la proposition de punir de mort les jurements désignés comme blasphématoires, et d'ensanglanter de la sorte les pages de la philosophie ; ils se plaignaient de voir dégrader le décret contre l'athéisme et l'immoralité, par l'appellation de prêtres et de prophètes donnée à ceux par qui ce décret avait été rendu ; ils manifestaient de vives inquiétudes sur les ténèbres dont s'environnait le commissaire du mouvement des armées ; ils invoquaient en faveur des patriotes opprimés et contre les conspirateurs convaincus... la justice ; ils demandaient qu'on fit trembler les traîtres, mais qu'on rassurât les gens de bien ; enfin, ils annonçaient que le peuple placerait son devoir et sa gloire à respecter, à défendre ses représentants jusqu'à la mort[109].

Rien de plus remarquable que ce document ; rien de plus frappant que cette démarche. Comment prétendre sans impudeur, en présence d'une déclaration aussi précise et aussi solennelle, que Robespierre animait les Jacobins contre l'Assemblée nationale ; qu'il les poussait à un second 31 mai ; que sa fête à l'Être suprême était un pas hors du domaine de la philosophie ; et qu'il aspirait à asseoir sa dictature sur les ruines de la Convention ? Mais qu'importe tout cela à ceux qui ne l'appelaient tyran que parce qu'ils le voulaient mort ? La question pour eux était, non de le juger, mais de le tuer.

Toutefois, comme sa popularité était immense, ils n'eurent garde de se prononcer avant l'heure. Après quelques vives paroles de Dubois-Crancé sur les soupçons injustes qui l'enveloppaient et le dur traitement qu'il avait subi, Barère vint faire l'éloge de Robespierre, de ce représentant du peuple, qui jouissait d'une réputation patriotique méritée par cinq années de travaux, et par des principes imperturbables d'indépendance et de liberté[110]. Avait-on dit réellement : Il faut faire un 31 mai ? Barère assura que quelques citoyens avaient, en effet, tenu ce propos et qu'on l'avait répété dans les groupes ; mais ce qu'il ne pouvait nier et ce qu'il reconnut, c'est que Robespierre avait combattu avec chaleur toute idée d'attenter à la représentation nationale, disant, dans le club des Jacobins, que c'était bien mériter de la patrie que d'arrêter les citoyens qui tiendraient de pareils discours[111].

C'est ainsi que Barère flétrissait lui-même d'avance le rôle qu'il allait jouer le 9 thermidor. Et quand on lui reprocha, plus tard, cette conduite artificieuse, quelle fut sa réponse ? Sa réponse fut digne de sa conduite ; la voici : Robespierre s'était fait une réputation colossale avec des discours patriotiques et des manœuvres secrètes... Il avait bâti son piédestal sur des bases populaires... Il fallait donc dissimuler avec le tyran empourpré de popularisme[112].

Mais si les meneurs des Comités dissimulaient, pour mieux abattre Robespierre, Tallien, Fréron, Rovère, dissimulaient, de leur côté, pour abattre, quand l'heure serait venue, les meneurs des Comités, leurs alliés du moment. Il existe, à cet égard, un aveu de Laurent Lecointre qui mérite d'être médité. Lecointre, nature emportée, inintelligente, facile à égarer, mais sincère, ne voyait pas bien pourquoi, en attaquant Robespierre, on n'attaquait pas aussi Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Barère, Vadier, c'est-à-dire ceux qui alors exerçaient réellement le pouvoir. Il s'en ouvrit à ceux de ses collègues qui, dans l'Assemblée, faisaient partie de la conjuration ; et c'est lui-même qui a raconté ce qui suit : A cette époque, l'acte d'accusation que je préparais était achevé. Fréron, qui m'a aidé de ses lumières, Barras, Rovère, Thirion, Courtois, Garnier (de l'Aube), Guffroy et Tallien m'ont conseillé de l'attaquer seul, afin que le succès fût plus certain. Les rôles étaient partagés. Plusieurs avaient des discours préparés pour appuyer mon opinion et combattre avec force les sophismes de Robespierre ; mais ils furent d'avis qu'il fallait que le mémoire fût imprimé et distribué une heure avant d'être lu à la Convention. Guffroy s'était chargé de le faire imprimer, et il fut fait par nous le serment solennel que, si la vérité succombait, nous immolerions le tyran en plein sénat[113].

Or, pendant que, de leur propre aveu, les ennemis de Robespierre faisaient entrer dans leurs chances de succès la dissimulation, l'hypocrisie et l'assassinat, lui, le tyran, repoussait l'emploi de la violence, enchaînait l'énergie de ses amis les plus fougueux, allait s'inspirer à l'Ermitage du souvenir de cet infortuné, de ce grand Jean-Jacques, et, ne comptant, pour son triomphe, que sur la raison, se préparait au combat en s'armant d'un discours[114] !

 

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Nous avons promis de donner, tel que nous le trouvons dans les Mémoires inédits du maréchal Jourdan, dont le manuscrit est entre nos mains, l'arrêté qui suspendait le départ des 16.500 hommes que Carnot, avant la bataille de Fleurus, avait voulu détacher de l'armée de Sambre-et-Meuse. Voici le texte de ce document important :

A Marchiennes-au-Pont, le 15 messidor (3 juillet).

Les représentants du peuple près l'armée de Sambre-et-Meuse.

Considérant : 1° qu'il est connu par différents rapports que l'ennemi, après avoir été forcé d'évacuer le Hainaut, a concentré ses forces devant l'armée de Sambre-et-Meuse, entre Bruxelles et Namur ; 2e que cette armée est exposée à une attaque prochaine ; 3° que ces rapports sont confirmés par la nouvelle reçue à l'instant de la prise d'Ostende par l'armée du Nord sans brûler une amorce, ce qui prouve que l'ennemi a évacué, au moins en partie, la West-Flandre, puisque cette place était une des plus importantes à défendre dans cette contrée ; 4° que l'extrait de la lettre écrite par le Comité de salut public aux représentants du peuple près l'armée du Nord le 30 prairial (18 juin), communiquée au général Jourdan par le général Pichegru, après quatorze jours de date, pour envoyer à Dunkerque 15,000 hommes d'infanterie et 1,500 hommes de cavalerie, tirés de l'armée de Sambre-et-Meuse, n'est pas conçu avec la précision ni revêtu des formes qui caractérisent les résolutions du Comité de salut public ; 5° que la correspondance du général Pichegru annonce que 16,500 hommes étaient destinés pour l'expédition d'Ostende, laquelle devient inutile, puisque cette ville est au pouvoir de la République ;

Considérant que, si l'armée de Sambre-et-Meuse était privée de ses forces, au moment où elle est menacée d'une attaque prochaine, et où elle aurait même besoin d'un renfort de cavalerie, elle serait exposée aux plus grands dangers ;

Considérant enfin que les événements arrivés depuis le 30 prairial ont tellement varié, qu'il est de la plus haute importance, pour le succès de nos armées, d'attendre la réponse du Comité de salut public aux dépêches qui lui furent expédiées hier au soir, tant par l'un des représentants du peuple que par le général en chef ;

Arrêtent qu'il sera sursis au départ des 16,500 hommes qui devaient se rendre à Dunkerque.

Le présent arrêté sera sur-le-champ remis au général Jourdan, et envoyé par un courrier extraordinaire au Comité de salut public.

GILLET et GUYTON.

 

M. Michelet, liv. XII, chap. II, p. 432, suppose que Robespierre entendait faire traduire au Tribunal révolutionnaire, non-seulement Billaud, Bourdon (de l'Oise), Lecointre, Ruamps, Merlin (de Thionville), mais encore la longue queue des Dantonistes et des Hébertistes, celle des Maratistes aussi, etc. Cette manière d'écrire l'histoire par voie d'hypothèse, et en des matières aussi graves, est vraiment bien extraordinaire, surtout lorsqu'il y a des faits qui démentent les suppositions. Ainsi, M. Michelet constate lui-même que, d'après la liste écrite par la Commune le 9 thermidor, on n'eût demandé, en dehors du Comité, que les représentants Léonard Bourdon, Fréron, Tallien, Panis, Dubois-Crancé, Fouché, Javogues et Granet. Il est vrai que, pour se débarrasser de ce fait qui le gêne, M. Michelet dit : Cette liste visiblement n'indique que ceux qu'on espérait obtenir. Encore une supposition ! et bien étrange, cette fois ; car si, le 9 thermidor, la Convention eût été vaincue, à la suite d'un combat, qu'aurait-elle eu à refuser aux vainqueurs ?

Mais il faut rendre au moins cette justice à M. Michelet que les projets qu'il suppose à Robespierre ne sont vraiment que des enfantillages auprès des desseins gigantesques que lui prête l'imagination des Deux amis de la Liberté, t. XIII, p. 362-364. Le passage est des plus curieux : Robespierre trouva plus opportun de frapper d'un seul coup la généralité de la Représentation nationale ; déjà de vastes souterrains, des catacombes, sont creusés pour qu'on puisse y enterrer en un moment des immensités de cadavres. Et un peu plus loin : La Convention ignorait que des carrières étaient creusées pour engloutir les cadavres de ses membres. Ici, les Deux amis prévoient une objection. Comment imaginer que Robespierre voulût exterminer la Convention depuis le premier homme jusqu'au dernier, lui qui la respectait au point que, dans ses papiers, on a trouvé une note dans laquelle il fait un crime à Léonard Bourdon d'avoir cherché à avilir la représentation nationale, en affectant de paraître devant elle dans un costume indécent ? A cette objection, les Deux amis répondent d'un air de triomphe : Robespierre ne devait pas être fâché que Léonard Bourdon avilît la Convention par son costume, puisque lui voulait la perdre... mais cette inculpation n'était qu'un reproche apparent. L'Histoire de la Révolution par deux amis de la liberté est la première qui ait été écrite d'une manière un peu circonstanciée ; elle a été la source où une foule d'écrivains ont puisé aveuglément ; et, par l'échantillon que nous venons d'en donner on peut juger de ce que vaut un pareil livre. Il faut le lire, pour avoir la mesure du degré d'imbécillité où la rage des haines de parti peut descendre. C'est là, par exemple, t. XIII, p. 300 et 301, qu'on nous représente Robespierre, arrivant à petit bruit, et particulièrement la nuit, dans un beau château garni de femmes de mauvaise vie, où l'on se livrait à des excès de tout genre ; et, au milieu d'images lubriques réfléchies par des glaces nombreuses et éclairées par cent bougies, à l'odeur des parfums brûlant dans des cassolettes, à la fumée (sic) des vins les plus exquis, signant d'une main tremblante de débauche des arrêts de proscription, et laissant échapper devant des prostituées qu'il y aurait bientôt plus de dix mille Parisiens égorgés. On croit rêver quand on pense que d'aussi énormes bêtises ont trouvé un imprimeur. Et comme elles montrent bien tout ce que la calomnie est capable d'oser ! Heureusement, il y a chance qu'elle se compromette par l'excès de ses fureurs ; et de là vient que l'homme qui est peint entre les bras des prostituées, page 301, se trouve être, juste à la même époque, dans la page 375, insensible aux voluptés qu'il avait d'abord savourées avec ivresse. Au reste, il est juste d'ajouter qu'en ce qui touche les orgies de Robespierre, les Deux amis n'ont eu, après tout, que le mérite d'orner des grâces de la description une invention déjà lancée par Courtois, dans son rapport sur les événements de thermidor. Ce rapport est, en effet, suivi d'une série de pièces dont la première est une dénonciation envoyée de Charenton au Comité de sûreté générale, moins de vingt jours après l'exécution de Robespierre — la date est à noter — dénonciation où il est dit qu'un certain Deschamps, qui occupait une superbe maison d'émigré à Maisons-Alfort, y venait souvent faire des orgies avec Robespierre, Henriot, et les autres officiers de l'état-major de Paris, et dans un temps où tous les citoyens manquaient souvent du strict nécessaire ; qu'ils couraient à cheval, quatre et cinq de front, à bride abattue, renversant les habitants qui avaient le malheur de se trouver sur leur passage, etc., etc. C'est là que M. Thiers a pris que Robespierre se donnait maintenant un peu plus de distraction qu'autrefois. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. VI, chap. vi, p. 395.) Mais, comme M. Thiers a infiniment plus d'esprit que les Deux amis de la liberté, il a senti qu'on ne prouvait rien en voulant trop prouver ; il a compris qu'il était d'un ridicule ineffable de représenter un homme de la trempe de Robespierre s'en allant, aux heures les plus solennelles de sa vie, galoper à bride abattue sur le grand chemin, en compagnie de jeunes écervelés, pour passer sur le corps aux gens. M. Thiers a donc soin de ne faire figurer dans le tableau de ces cavalcades effrénées que Henriot et les aides de camp de Henriot. Quoi qu'il en soit, qu'y a-t-il de vrai en tout ceci ? Les auteurs de l'Histoire parlementaire réfutent en ces termes la fable de Maisons-Alfort, d'après des informations fournies par des personnes dignes de toute confiance et qui, par la nature de leurs relations avec Robespierre, connaissaient sa vie intime : Robespierre n'a jamais mis les pieds à Maisons-Alfort. Deschamps, commissionnaire en marchandises et membre de la Société des Jacobins, vint un jour, à la fin d'une séance, prier Robespierre de servir de parrain à son nouveau-né. Robespierre ne put refuser. La marraine était une femme vieille et laide, qu'il a vue alors pour la première et dernière fois, chez Deschamps, rue de Béthisy, dans un appartement fort simple. On ne peut répondre de la moralité de Deschamps : tout ce qu'on se rappelle, c'est qu'il montrait beaucoup de patriotisme. C'était un homme sans instruction, mais plein de zèle et d'intelligence ; à ce titre, il a pu être reçu quelquefois chez Robespierre, après le baptême. Il n'a jamais eu de mission. (Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 375.)

Les machinations employées contre Robespierre passent vraiment toutes les proportions connues. Rien de plus frappant à cet égard qu'une certaine lettre publiée par Courtois comme adressée au tyran. Elle est signée d'un nom emprunté : Niveau ; elle porte : Encore quelques têtes à bas, et la dictature vous est dévolue. Laissez là les petits Capets et leur tante, la politique l'exige ; car, si vous faisiez mourir le garçon, les brigands couronnés reconnaîtraient aussitôt le gros Monsieur de Ham. Philippe le raccourci vous a cruellement chargé dans sa déposition. Soyez tranquille sur les objets que votre adresse a su faire parvenir. Puisque vous vous êtes formé ici un trésor suffisant... etc., etc. Et c'est cette fabrication anonyme, misérable, dont l'impudence égale à peine la stupidité, que les Deux amis embaument dévotement dans leur texte ! De sorte que le même homme est coupable d'avoir voulu régner et d'avoir voulu s'enfuir, de s'être cru dictateur et de n'avoir songé qu'à aller manger ses trésors à l'étranger !

A l'égard de Couthon, la calomnie n'a été ni plus habile ni moins effrontée. Dans son rapport sur les événements du 9 thermidor, p. 31, Courtois reproche à Couthon, qui n'est plus là pour répondre, d'avoir fait préparer par ses créatures, quand il vivait, un palais superbe à Chamalières, près Clermont, palais qu'il devait embellir avec quatorze millions puisés dans le trésor public. Il renvoie, pour la preuve, au n° 2 des pièces justificatives annexées au rapport. C'est une note à la date du 21 thermidor, et sans signature ; on y lit : Couthon avait fait acheter une superbe maison de plaisance à un quart de lieue de Clermont (à Chamalières). Ses créatures s'occupaient de l'embellissement. Couthon avait écrit pour demander le plan de notre ville ; il prévenait qu'il ne fallait rien négliger pour son prompt embellissement. La promesse de quatorze millions avait été faite : deux millions devaient être envoyés sous quinzaine. Les autorités constituées avaient fait faire le plan. Ainsi, les quatorze millions dont Courtois parle comme devant payer les embellissements d'un palais de Couthon, ne sont donnés, dans la pièce même à laquelle il renvoie, pour la preuve, que comme devant être consacrés à l'embellissement de la ville de Clermont ! Voilà un spécimen de la bonne foi thermidorienne ! Et qu'est-ce que cette pièce qui doit à jamais flétrir la mémoire de Couthon ? Un document anonyme, envoyé ou supposé envoyé, après la mort de celui qu'on y insulte, à ceux qui venaient de le tuer. La note commence par ces mots : Oui, c'est à Clermont que le scélérat Couthon devait établir son trône, et, pour le démontrer, on assure, quoi ? que Couthon, qui était Auvergnat, avait formé le projet d'embellir Clermont, en indemnisant les propriétaires des maisons à abattre ; car, on veut bien le reconnaître, il avait annoncé qu'il ne fallait pas rendre victimes les citoyens ; qu'il fallait amplement indemniser. Quelle horreur !

Relativement à Saint-Just, est-il vrai qu'il ait un jour proposé au Comité de salut public de livrer la dictature à Robespierre ? C'est ce qu'on lit dans Toulongeon ; et c'est ce que dit aussi Barère dans ses Mémoires, t. II, p. 213-215. Mais tout contribue à démentir cette assertion. La manière dont Barère mentionne le fait témoigne, ou d'une grande négligence, ou de souvenirs singulièrement confus. Il le place, en effet : d'abord, dans les premiers jours de messidor ; puis, le 8 thermidor ; puis de nouveau en messidor, et cette fois il souligne le mot. (Voyez p. 232.) A part ces variations, il y a ici une grande difficulté : comment comprendre, si un fait aussi grave a réellement eu lieu, que Barère, dans ses Observations, publiées à une époque très-antérieure à ses Mémoires, et lorsqu'il avait un intérêt immense à en parler, n'en ait absolument rien dit ? Et d'où vient qu'on n'en trouve pas plus la moindre mention dans la polémique soutenue par les membres des anciens Comités contre Laurent Lecointre ?

Mais ce qui serait bien plus inexplicable encore, dans ce cas, ce serait le silence gardé sur un point de cette importance dans la lutte qui s'engagea le 9 thermidor ? Est-il concevable que ni Billaud-Varenne ni Collot-d'Herbois, ni Barère, qui étaient présents et auxquels Saint-Just reprochait d'avoir aspiré à une domination exclusive, ne l'aient pas accablé par la révélation de la circonstance la plus propre, en ce moment, à faire pencher la balance en leur faveur ? D'ailleurs, même en admettant que, dans le secret de sa pensée, Saint-Just n'eût vu d'autre remède à la situation que la dictature de Robespierre, par quel acte incompréhensible de folie serait-il allé soumettre à ses adversaires du Comité du salut public une idée qu'il savait leur être odieuse et de nature à fournir contre lui des armes terribles ? Ces raisons nous paraissent décisives, et, pour les contre-balancer, il nous faudrait quelque chose de plus qu'une assertion de Barère, lancée en termes qui se contredisent, et dont nous cherchons en vain la confirmation dans les écrits polémiques publiés par lui à l'époque même.

En ce qui concerne la dernière entrevue de Robespierre avec ses collègues dans le Comité du salut public, M. Michelet a commis une erreur matérielle, que nous relevons, à cause des conséquences politiques qu'il en déduit. Il dit liv. XII, chap. II, p. 428 et 429 : Le soir du 5 thermidor, le Comité ne vit pas sans étonnement arriver Robespierre ; après quoi, il suppose que le but de ce dernier était d'essayer de tirer de ses collègues, sans combat, par simple intimidation, l'abandon de quelques Montagnards. Le Comité ne put pas voir avec étonnement arriver Robespierre, et cela par une raison bien simple : c'est que lui-même l'avait mandé, pour lui reprocher certains faits dont même on avait eu soin de rédiger d'avance l'exposé. A cet égard nul doute possible. Voici, en effet, ce que disent Billaud, Collot et Barère, dans leur réponse aux inculpations de Laurent Lecointre, p. 61 : Robespierre a pu assister à la signature, lorsqu'il a été mandé deux fois au Comité, en messidor et thermidor, pour répondre à quelques faits à lui imputés par les Comités. (Voyez la brochure en question dans la Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. [British Museum].) Dans le même exposé p. 7, il est dit que Robespierre fut cité, le 5 thermidor, devant les Comités réunis pour s'expliquer sur les conspirations dont il parlait sans cesse vaguement aux Jacobins, sur les motifs de son absence du Comité depuis quatre décades, etc. (Ibid.) Enfin, Barère raconte, à son tour, que, dans cette séance, on lui reprocha des faits dont la note avait été rédigée par écrit ! Voyez Observations de Barère sur le rapport de Saladin, dans la Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. (British Muséum.) En présence de ces témoignages, comment prétendre que le Comité vit arriver Robespierre avec étonnement, et que, de la part de celui-ci, l'objet de cette visite imprévue était sans doute d'arracher, par simple intimidation, l'abandon de quelques Montagnards ? Procéder, en matière d'histoire, par voie d'induction et de supposition est très-dangereux, en tout état de cause. Mais au moins faut-il que, dans ce cas, les faits dont on part soient bien établis.

 

 

 



[1] Séance des Jacobins du 13 messidor 1794. Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 320.

[2] Séance des Jacobins du 13 messidor 1794. Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 320.

[3] Séance des Jacobins du 13 messidor 1794. Voyez Histoire parlementaire. t. XXXIII, p. 321.

[4] Histoire parlementaire. t. XXXIII, p. 321-322.

[5] Histoire parlementaire. t. XXXIII, p. 323-324.

[6] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 324.

[7] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 325.

[8] Vilate rapporte ce mot de Collot-d'Herbois comme lui ayant été adressé à lui-même. Voyez les Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 thermidor, p. 232-233.

[9] Voyez son discours du 8 thermidor dans l'Histoire parlementaire, à la page 411 du t. XXXIII. — Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[10] M. Wilson Croker en fait la remarque dans ses Essays on the French Révolution, p. 514-515.

[11] Ce décret fut adopté par la Convention le 14 juillet (16 messidor). Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 327.

[12] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 327.

[13] Ce sont les expressions mêmes dont il se sert dans son discours du 8 thermidor. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 411.

[14] Séance des Jacobins du 21 messidor. Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 332-333.

[15] C'est à propos de cette pétition de Magenthies que Saint-Just disait, dans son discours du 9 thermidor : Ah ! ce ne sont point là des blasphèmes (les jurements que Magenthies voulait proscrire) : un blasphème est l'idée de faire marcher devant Dieu les faisceaux de Sylla. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 16.

[16] Discours de Payan devant le Conseil général de la Commune, séance du 15 juillet (27 messidor) 1794.

[17] Discours de Payan devant le Conseil général de la Commune.

[18] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, supprimés ou omis par Courtois, p. 194. — Beaudoin frères, 1828.

[19] Séance de la Convention du 16 juillet (28 messidor) 1794.

[20] Nous avons déjà cité, sur les causes de l'aversion de Robespierre pour Fouché, un passage frappant des Mémoires de Charlotte Robespierre, que Fouché avait eu l'intention d'épouser.

[21] Séance des Jacobins du 11 juillet (23 messidor). Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 341.

[22] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 342.

[23] M. Michelet, en rappelant cette séance, a commis une erreur extrêmement grave. Il a cru que la commission à qui Robespierre reprochait d'avoir faibli était celle des Cinq, qui fut établie par Fouché et Collot-d'Herbois, tandis qu'au contraire c'est de celle qui fut établie par Couthon qu'il s'agit ici. Sur ce point, nul doute possible. En effet, ce changement dû à la séduction de certaines femmes, dont parle Robespierre, est celui que Collot-d'Herbois, dans son rapport sur la situation de Lyon, se plaignit d'avoir remarqué dès son arrivée dans cette ville, et qu'il attribua, lui aussi, à des influences féminines. (Voyez le Moniteur, an II (1794), n° 113 et 114.) Il est certain, comme nous l'avons raconté (t. X, livre XI, chap. IV), que l'extrême modération de Couthon avait encouragé outre mesure les royalistes lyonnais ; et, à ce point, que l'accusateur public, qui avait fait condamner Chalier, se promenait la tête haute. (Voyez le rapport de Collot-d'Herbois, ubi supra.) Or, c'était précisément de cet état de choses, qu'ils trouvèrent en arrivant à Lyon, que Collot-d'Herbois et Fouché s'autorisaient pour justifier la politique sanguinaire qu'ils avaient adoptée, et que Robespierre condamnait, tout en ayant soin de blâmer le relâchement qui lui avait servi de prétexte, fidèle en cela à sa résolution de frapper à la fois, et sur ceux qui tendaient la main aux royalistes, et sur ceux qui déshonoraient la République par leurs cruautés.

La lettre de Fernex à Robespierre, citée plus haut, montre assez jusqu'à quel point les appréciations de M. Michelet sont erronées.

[24] Séance des Jacobins du 14 juillet (26 messidor). Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 345-347.

[25] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 354.

[26] Séance du 11 juillet (23 messidor). Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 342.

[27] Séance des Jacobins du 21 juillet (3 thermidor). Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 379 et 381.

[28] Séance des Jacobins du 21 juillet (3 thermidor). Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 379 et 381.

[29] Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 thermidor, p. 201. — Collection des Mémoires sur la Révolution française.

[30] Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 thermidor, p. 184-185. — Collection des Mémoires sur la Révolution française.

[31] Réponse des anciens membres des Comités aux inculpations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre. Note 6 des pièces à l'appui.

[32] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan, p. 118.

[33] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan, p. 118.

[34] Nous donnons textuellement, dans la note critique placée à la fin de ce chapitre, le document dont il est ici question, et qui figure parmi les pièces officielles qui font suite au récit du maréchal Jourdan.

[35] Discours de Saint-Just, commencé dans la séance du 9 thermidor.

[36] Séance du 13 fructidor, reproduite par Laurent Lecointre, dans son Appel à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe entière.

[37] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Payan, Saint-Just, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 3 et 6. Beaudoin frères, 1828.

[38] Réponse des membres des deux anciens Comités aux imputations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre. Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. — Les historiens qui, comme M. Thiers et M. Wilson Croker, disent que Saint-Just arriva la veille du 9 thermidor, ont commis en cela une grosse erreur.

[39] Séance du 13 fructidor, discours de Billaud, ubi supra.

[40] Mémoires de René Levasseur, t. III, ch. XI, p. 201, Bruxelles, 1832.

[41] Mémoires de René Levasseur, t. III, ch. XI, p. 201.

[42] Rapport de Saladin, au nom de la commission des vingt et un, p. 13. Bibl. hist. de la Révol., nos 1097-8-9.

[43] C'est ce qui est constaté dans la brochure de Laurent Lecointre, et confirmé par une note du rapport de Courtois ; comme le font remarquer avec raison les auteurs de l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 358.

[44] Les auteurs de l'Histoire parlementaire, donnent ce fait comme le tenant de la bouche de Buonarroti, t. XXXIII, p. 358.

[45] Mémoires de René Levasseur, t. III, ch. XI, p. 201.

[46] Toulongeon, Histoire de France depuis 1789, t. II, p. 496.

[47] Toulongeon, Histoire de France depuis 1789, t. II, p. 496.

[48] Laurent Lecointre à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe entière. — Bibl. hist. de la Révol. — 1100-1. (British Muséum.)

[49] Discours de Robespierre, séance des Jacobins du 12 messidor (30 juin).

[50] Discours de Robespierre, séance des Jacobins du 12 messidor (30 juin).

[51] Voyez séance des Jacobins du 3 thermidor (21 juillet), et séance du 6 thermidor (24 juillet).

[52] Discours de Couthon dans la séance des Jacobins du 6 thermidor (24 juillet).

[53] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[54] Rapport des Administrateurs de police, n° XXXIII des pièces à la suite du rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre.

[55] Rapport de l'administrateur Faro. Pièce n° XXXIII à la suite du rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre.

[56] Réponse aux détracteurs du 9 thermidor, par Courtois. Note 38.

[57] Nous trouvons ce curieux document dans le recueil des lettres manuscrites et inédites dont nous devons la communication à l'obligeance de M. Benjamin Fillon. — La lettre dont il s'agit est datée du 28 prairial, c'est-à-dire qu'elle fut écrite vingt-trois jours après la formation du complot dirigé contre Couthon et ses amis !

[58] Recueil des lettres manuscrites et inédites communiqué par l'obligeance de M. Benjamin Fillon. — La lettre est datée du 28 prairial.

[59] Réponse de J. N. Billaud à Laurent Lecointre, dans la Bibl. hist. de la Révol. — 1106-7. (British Muséum.)

[60] Voyez Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 352 et 394.

[61] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 389.

[62] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 391.

[63] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 379.

[64] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 394.

[65] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 401.

[66] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 401.

[67] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 397 et 398.

[68] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 397.

[69] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 396.

[70] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 348.

[71] Nous avons déjà cité la lettre qu'il lui écrivit en messidor.

[72] Voyez Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 377. Voyez la note critique placée à la fin de ce chapitre.

[73] Sur le point de savoir s'il est vrai que Saint-Just ait proposé au Comité de salut public un dictateur, voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[74] Lettre du 30 germinal an II. Sur le manuscrit était écrit en marge Sœur de Mirabeau. Voyez Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 163. Beaudoin frères, 1828.

[75] Lettre du 9 ventôse an II. — Recueil de lettres manuscrites et inédites, communiquées à l'auteur par M. Benjamin Fillon.

[76] Lettre en date du 29 nivôse an II. Recueil de lettres inédites, communiquées à l'auteur par M. Benjamin Fillon.

[77] Papiers trouvés chez Robespierre, et publiés par Courtois.

[78] C'est en parlant de ces lettres anonymes que les Deux amis de la Liberté, t. XIII, p. 376, ont l'ineptie d'écrire : Des caractères terribles tracés par des mains courageuses.

[79] Deux amis de la Liberté, t. XIII, p. 376.

[80] Les auteurs de l'Histoire parlementaire, affirment qu'il fut volontaire et l'attribuent au zèle de personnes dévouées ; mais ils ne le prouvent pas. Voyez l'Histoire parlementaire, XXXIII, p. 359. De son côté, Courtois ne manque pas de parler d'espions à la solde de nos tyrans, mais il ne prouve pas son dire davantage, et l'on ne s'explique pas comment Robespierre aurait pu solder des agents quelconques, en dehors des Comités.

[81] Voyez au surplus la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[82] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. I, p. 157-158.

[83] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. I, p. 157-158.

[84] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc., supprimés ou omis par Courtois, t. I, p. 157-158.

[85] Nous empruntons ces détails à l'Histoire des Montagnards, dont l’auteur, M. Esquiros, a connu madame Lebas, et noté sa conversation.

[86] M. Esquiros, Histoire des Montagnards.

[87] TOULONGEON, t. II, p. 493.

[88] Notes de David (d'Angers).

[89] Dernier discours de Saint-Just, commencé dans la séance du 9 thermidor. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 11.

[90] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 15.

[91] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 15.

[92] Observations de Barère sur le rapport de Saladin, Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9.

[93] Voyez la note critique placée à la fin de ce chapitre.

[94] Discours de Saint-Just, précité, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 15.

[95] Observations de Barère sur le rapport de Saladin, Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9.

[96] Discours de Saint-Just, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 15 et 16.

[97] Discours de Saint-Just, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 15 et 16.

[98] Discours de Saint-Just, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 15 et 16.

[99] Laurent Lecointre à la Convention nationale, au peuple français, à l'Europe entière, p. 194. Bibl. hist. de la Révol., 1100-1.

[100] Voyez le discours d'Élie Lacoste, dans la séance du 9 thermidor. — Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 35.

[101] Discours de Saint-Just. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 16.

[102] Discours de Saint-Just. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 16.

[103] Voyez sur cette séance la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[104] Voyez la séance des Jacobins du 6 thermidor (24 juillet). Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 388.

[105] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 393.

[106] Voyez dans le chapitre qui précède la liste des condamnés.

[107] Voyez la liste des prisonniers qui partirent le 6 thermidor (25 juillet) de Saint-Lazare, dans les Mémoires des prisons, t. I, p. 258.

[108] Où ce mot fut-il prononcé ? Les témoignages sur ce point ne concordent pas. M. Thiers dit : en montant sur l'échafaud ; d'autres disent : Dans l'escalier de la Conciergerie.

[109] Voyez cette pétition dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 399-402.

[110] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 405.

[111] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 405.

[112] Observations de Barère sur le rapport fait le 12 ventôse par Saladin, n° 1, p. 9 et 10, dans la Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. (British Muséum.)

[113] Laurent Lecointre à la Convention nationale, au Peuple français, à l'Europe entière, p. 4, dans la Bibl. hist. de la Révol., 849-50. (British Muséum.)

[114] Le chapitre qu'on vient de lire est, qu'il nous soit permis de le déclarer sans détour, chose entièrement nouvelle dans l'Histoire de la Révolution. Ce n'est certes pas la première fois qu'on a parlé du dessein que Robespierre avait formé de mettre fin à la Terreur ; mais c'est la première fois qu'on a réuni, dans leur ordre historique, les faits qui le prouvent. Dans son Histoire de France, t. II, p. 489-490, Toulongeon, tout ennemi qu'il est de Robespierre, ne peut s'empêcher d'écrire : Il sembla qu'à cette époque on se hâtât de précipiter toutes les mesures et les exécutions sanglantes, soit que Robespierre voulût redoubler la Terreur, pour raviver sa popularité, défaillante depuis la fête de l'Être suprême, soit plutôt que ceux qui, l'avant employé, méditaient déjà sa perte, craignissent d'en laisser ralentir la cause, et se hâtassent de faire ce que lui-même voulait peut-être arrêter ou diminuer. Car, s'il eut un plan d'autorité dictatoriale, il voulut nécessairement ramener les choses à un état d'ordre qui pût être durable et que l'on pût supporter. Quelque embarrassée et pénible que soit la forme dont Toulongeon enveloppe ici sa pensée, elle éclate, en quelque sorte, en dépit de lui-même. Charles Nodier, lui, a été plus clair, et, dans un article biographique sur Robespierre, il affirme péremptoirement ce que Toulongeon et d'autres écrivains n'avaient présenté que comme une chose très-probable. Le chapitre qui précède, composé de faits puisés aux sources et irrécusables, dissipera sur ce point, nous l'espérons, tous les nuages.