HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DOUZIÈME

 

CHAPITRE IV. — LA TERREUR À SON APOGÉE

 

 

Effroyable aggravation du régime de la Terreur pendant la retraite de Robespierre. — Les ennemis de Robespierre, Terroristes furieux. — De quels hommes Fouquier-Tinville fut l'instrument. — Précipitation des jugements. — Affreuses méprises. — La vérité sur l'affaire de la veuve Maillet, et sur celle de Loizerolles. — Calomnies historiques. — Histoire de la guillotine. — Statistique funèbre. — Déplacement de la guillotine. — Hallucinations de Fouquier-Tinville. — Tableau de la Terreur et de ses effets. — On se familiarise avec la mort. — Les cimetières. — Bals, concerts, amusements publics, étalage de luxe, galanterie. — La Terreur en province. — Lequinio à Fontenay-le-Peuple. — Joseph Le Bon à Arras. — Politique violente servie par Le Bon. — Calomnies répandues contre lui. — Service important qu'il rend à la France, dans sa mission à Cambrai. — Caractère de l'impulsion partie de Paris. — Arrestation et mort de Guadet, de Salles, de Barbaroux. — Comment le régime de la Terreur doit être jugé. — Les faux assignats. — Lettre inédite et curieuse de Fouquier-Tinville. — Chiffre des condamnations et des acquittements. — Rapprochements historiques. — Critique historique.

 

Longtemps après la mort de Robespierre, Rewbell disait de lui : Je ne lui reproche que d'avoir été trop doux[1].

Ce qui est certain, c'est que la Terreur redoubla, dès qu'il se fut éloigné de la scène. Pendant les quarante-cinq jours qui précédèrent sa retraite du Comité, le nombre des personnes guillotinées avait été de 577 : il fut, suivant Laurent Lecointre, de 1.285[2] pendant les quarante-cinq jours qui la suivirent, c'est-à-dire depuis le 23 prairial jusqu'au 9 thermidor.

Le 23 prairial, les prisons contenaient 7.321 personnes ; et, le 9 thermidor, bien que, dans l'intervalle, ce chiffre eût subi, par les exécutions, les acquittements, et les morts naturelles, une diminution de 1.663, il ne s'élevait pas à moins de 7.800.

En d'autres termes, la retraite de Robespierre fut marquée par une augmentation comparative de 708 dans le nombre des personnes qui périrent sur l'échafaud, et par une augmentation de 893 dans le nombre des personnes qui furent jetées en prison[3].

Aussi l'écrivain royaliste Beaulieu n'hésite-t-il pas à dire : Il reste pour constant que les plus grandes violences, depuis le commencement de l'année 1794, ont été provoquées par ceux-là mêmes qui ont écrasé Robespierre. Une chose sue de tout le monde, c'est que, six semaines avant la révolution du 9 thermidor, Robespierre ne paraissait plus aux Comités ; et c'est à cette époque que les arrestations furent plus multipliées et les exécutions plus épouvantables[4].

Est-il vrai, ainsi qu'un historien de nos jours se hasarde à l'affirmer, que, quoique Robespierre n'allât plus au Comité, il n'en exerçait pas moins un grand pouvoir attendu qu'il gardait sa signature et signait chez lui ?[5]

On va juger de l'exactitude de cette assertion par la déclaration suivante de Billaud-Varenne, Barère et Collot-d'Herbois : Robespierre a pu assister à la signature lorsqu'il a été mandé deux fois au Comité, en messidor et thermidor, pour répondre à quelques faits à lui imputés par les deux Comités. Il a pu signer quelques extraits, lorsque, pour se ménager une réponse aux reproches qu'il prévoyait sur son absence, il affectait de passer quelquefois dans les salles à cinq heures, quand la séance était levée[6]. Là se borna l'intervention politique de Robespierre, pendant les quatre dernières décades, de l'aveu même de ceux de ses collègues qui le renversèrent ; et ils nient formellement que, durant cette période, ils aient présenté les arrêtés ou extraits à sa signature[7]. Aussi les investigations de Laurent Lecointre ne lui fournirent-elles que douze arrêtés signés par Robespierre, durant les quatre dernières décades ; et c'est lui-même, Laurent Lecointre, qui fait observer que, de ces douze arrêtés, il y en a onze qui ne touchent en rien au régime de la Terreur. Ils portent : sur les taxes révolutionnaires, — sur les ouvriers venant à Paris pour fabriquer des fusils, — sur le rappel de Dubois-Crancé, — sur un concours d'artistes, — sur la quantité de cordages provenant de la descente des cloches, sur les valeurs métalliques, — sur la déclaration des fabriques de toile, — sur les citoyens réfugiés du département du Nord, — sur les ouvriers de clouterie mis en réquisition, sur l'exportation des soies non ouvrées, — sur les citoyens mis en réquisition pour les chargements[8].

C'est encore Laurent Lecointre, un des ennemis les plus acharnés de Robespierre, qui a légué à l'Histoire les renseignements que voici :

Arrêté du 1er thermidor, qui envoie au Tribunal révolutionnaire quatorze individus portés sur une liste présentée par la Commission séante au Muséum. Signé Vadier, Amar, Voulland, Élie Lacoste, Rühl, Collot-d'Herbois, Barère, Billaud-Varenne. Absentes, les signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just.

Autre arrêté du 3 thermidor, qui envoie au Tribunal révolutionnaire quarante-huit personnes désignées aussi par la Commission séante au Muséum. Signé Vadier, Amar, Voulland, Élie Lacoste, Rühl, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne. Absentes, les signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just.

Autre arrêté du même jour qui envoie au Tribunal révolutionnaire trois cents personnes. Signé Vadier, Amar, Voulland, Rühl, Prieur, Collot-d'Herbois, Barère, Billaud-Varenne. Absentes, les signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just[9].

Maintenant, quels furent les hommes qui, à cette époque se tenaient prêts à frapper le coup du 9 thermidor ?

Ces hommes furent, outre Vadier, Amar[10], Voulland, Collot, Billaud et Barère, tous, comme on sait, partisans avoués de la Terreur :

Bourdon (de l'Oise), qui en avait défendu violemment le principe contre Chabot et Bazire, dans la séance du 20 brumaire 1793[11] ;

Guffroy, l'auteur de l'obscène et sanguinaire feuille intitulée le Rougiff ;

André Dumont, qui écrivait à la Convention : Il y a trois choses qui font trembler les traîtres dans ce département : le Tribunal révolutionnaire, la guillotine et le maratiste André Dumont[12] ;

Tallien, dont le farouche proconsulat avait pesé sur Bordeaux[13] ;

Fréron, dont le nom faisait pâlir les Toulonnais[14] ;

Barras, que Robespierre accusait d'avoir opprimé Marseille[15] ;

Moyse Bayle, qui avait demandé qu'on déportât la moitié de la ville d'Aix[16] ;

Rovère, l'apologiste des massacres de la Glacière[17], l'ami et le défenseur de Jourdan Coupe-tête[18] ;

Cambon, enfin, auquel on n'a point à reprocher des actes cruels, il est vrai, mais qui n'en disait pas moins à haute voix : Voulez-vous faire face à vos affaires ? guillotinez ! Voulez-vous payer les dépenses immenses de vos armées ? guillotinez ! Voulez-vous amortir les dettes incalculables que vous avez ? guillotinez ! guillotinez ![19]

Parmi les papiers trouvés chez Robespierre, après sa mort, étaient des notes écrites de sa propre main sur différents députés de la Convention. Voici ce qui concerne Bourdon (de l'Oise) :

Bourdon (de l'Oise) s'est couvert de crimes dans la Vendée, où il s'est donné le plaisir, dans ses orgies avec le traître Tunk, de tuer des volontaires de sa main. Il y a à peu près dix jours, il se transporta chez Boulanger, et trouva chez ce dernier une jeune fille, qui est la nièce de ce citoyen. Il s'informa des liaisons de son oncle, de ses moyens d'existence. Elle répondit vaguement. Il prit deux pistolets sur la cheminée. La jeune fille lui fit observer qu'ils étaient chargés. Eh bien, répondit-il, si je me tue, on dira que c'est toi, et tu seras guillotinée. Il continua de manier les pistolets, et les tira sur la jeune fille. Ils ne partirent pas, parce que l'amorce était ôtée[20].

 

A cette liste un nom manquerait si nous n'y mettions celui de Fouquier-Tinville, qui, de la même bouche qui laissait échapper ces mots : Il faut nous liguer contre le despotisme de Robespierre pour sauver nos têtes[21], disait : Il nous faut du sang ; le peuple veut du sang[22]. Ce qui est certain, c'est que Fouquier-Tinville n'avait aucun rapport avec Robespierre ; c'est qu'il n'entretenait avec lui aucune correspondance ; c'est qu'il n'était allé le visiter qu'une fois, à l'occasion des tentatives de meurtre imputées à Admiral et à Cécile Renault, et parce qu'il n'avait pu s'en dispenser décemment, d'après ses propres explications, ayant rendu, ce jour-là, visite à Collot-d'Herbois ; c'est qu'il ne connaissait même pas la demeure de Couthon, non plus que celle de Saint-Just[23].

Loin d'appartenir à ce parti, il était l'instrument, du parti contraire, comme cela résulte de nombreux témoignages. Lors du procès qui lui fut intenté, Ardenne, substitut de l'accusateur public, lut au Tribunal trois lettres que Vadier avait écrites à Fouquier-Tinville pour lui recommander de pousser vivement à la guillotine dix contre-révolutionnaires de Pamiers, envoyés à Paris par les représentants Milhaud et Soubrany. La première de ces lettres portait : Je te recommande cette affaire ; je t'engage à la conduire à fin avec le zèle, l'activité et le dévouement qui te caractérisent. Je sais qu'il suffit de t'indiquer des ennemis de ton pays, pour être assuré de ton courage et de ton adresse. Quelques jours après, Vadier écrivait : Il m'est impossible, mon cher Fouquier, de me rendre au Tribunal, demain matin, comme tu le désires. Je t'ai transmis tout ce que nous avions relativement aux dix scélérats qu'on doit juger. Il n'en est pas un seul sur les dix qui ne soit un ennemi forcené de la Révolution. Ce serait une calamité publique, s'il pouvait en échapper un seul au glaive de la loi[24].

Qu'on rapproche ces documents des déclarations de Fouquier-Tinville mettant au défi qu'on trouve, soit dans ses papiers, soit dans ceux de Robespierre, une seule lettre qui établisse leurs rapports[25] ; et qu'on décide qui, du second ou de ses ennemis, encouragea le zèle farouche du premier. Lors du procès qui vient d'être rappelé, Étienne Masson, greffier du Tribunal révolutionnaire, s'exprimait en ces termes : J'ai vu Amar, Vadier, Voulland, Jagot, visiter souvent l'accusateur public, et lui recommander de mettre en jugement tels ou tels qu'ils désignaient. Je ne doute pas que le Tribunal n'ait été influencé d'une manière terrible par les sus-nommés[26].

Ils furent terribles, en effet, les résultats de cette influence. On a vu qu'à dater de la retraite de Robespierre le nombre des guillotinés s'accrut au point que, dans l'espace de quarante-cinq jours, treize cent cinquante et une personnes périrent sur l'échafaud. Eh bien, c'est à peine si l'impatience meurtrière de Fouquier-Tinville était satisfaite ; et à ceux qui la lui reprochaient, il répondait : Le gouvernement le veut ainsi[27]. A l'en croire, le gouvernement, — c'est-à-dire les membres des Comités dont il servait les passions, tels que Vadier, Voulland, Amar, — disait que cela n'allait pas assez vite ; et il était question d'établir quatre tribunaux ambulants, suivis de la guillotine[28].

On frémit en songeant à la manière dont on disposait de la vie des hommes. Un commis greffier du Tribunal révolutionnaire est dénoncé. On l'arrête dans son lit à cinq heures du matin ; à sept heures, il est conduit à la Conciergerie ; à neuf, il reçoit notification de l'acte d'accusation ; à dix, il monte sur les gradins ; à deux heures de l'après-midi il est condamné ; à quatre heures du soir, il était mort[29] !

On conçoit quelles méprises durent naître de cette précipitation effroyable, alors surtout que des familles entières se voyaient traînées sur le banc des prévenus. Un ancien conseiller du Parlement, nommé Sallier, fui condamné à la place de son fils[30]. Un tout jeune homme, du nom de Saint-Pern, le fut à la place de son père[31]. Ce dernier, le jour où il parut sur les funestes gradins, se trouvait assis près d'un gendarme, qui, croyant le prisonnier protégé par son âge, et voulant le rassurer, lui avait pris la main. Le jeune homme, traduit devant le Tribunal, avec son père, sa mère et sa sœur, sous la prévention d'avoir, au 10 août, trempé dans le massacre du peuple, demanda de prouver, par la lecture de son extrait de baptême, qu'il n'avait que dix-sept ans ; il affirmait, en outre, que, le 10 août, il n'était pas à Paris. Le président lui ayant coupé la parole, par ce motif monstrueux qu'il n'avait pas besoin de ses certificats, le gendarme comprit que le malheureux était perdu. Je retirais ma main, raconte le gendarme ; il me dit : Je suis innocent, je ne crains rien ; mais ta main n'est pas ferme[32]...

Il ne faut pas croire, toutefois, que ces épouvantables erreurs aient été aussi fréquentes que presque tous les historiens jusqu'ici ont affecté de le dire ; et, sous ce rapport, l'amour de la vérité nous commande d'importantes rectifications.

Combien de fois n'a-t-on pas dit et répété, d'après un livre relatif aux conspirations de Saint-Lazare, qu'une veuve Maillet ayant été amenée à l'audience au lieu d'une veuve Maillé, la première fut condamnée et guillotinée, bien que l'erreur eût été reconnue, et sur ce simple mot de Fouquier-Tinville : Autant la juger tout de suite, puisque son tour devait venir bientôt. Ce qui, ajoute-t-on, n'avait pas empêché, la nuit suivante, d'aller chercher la veuve Maillé, et de la guillotiner sans jugement ! La réponse de Fouquier-Tinville, qu'il est juste de reproduire, est décisive ; la voici : 1° Je n'ai point siégé le 7 (date assignée au fait) ; 2° Il n'y a eu ni méprise, ni substitution de personnes, puisque c'est bien la veuve Maillet qui avait été dénoncée, qui devait être mise en jugement, et que son identité a été publiquement constatée à l'audience ; 3° La veuve Maillé a été si peu exécutée sans jugement, qu'elle vit encore, et demeure rue Pelletier, n° 9[33].

Qui n'a lu dans une foule de livres, et vu retracée dans un des Tableaux historiques de la Révolution, la touchante scène de Loizerolles se présentant à la place de son fils, et mourant pour le sauver ? Ici encore, le roman a été substitué à l'histoire. Les faits, tels qu'ils se passèrent réellement, sont ceux-ci :

Parmi les détenus de la prison Saint-Lazare figuraient Jean Loizerolles, vieillard de soixante et un ans, et François, son fils, âgé de vingt-deux ans seulement. Le vieillard avait encouru l'inimitié de l'administrateur Gagnant : il fut dénoncé par ce dernier, mis sur la liste de ceux qu'attendait le Tribunal révolutionnaire, et transféré de la prison Saint-Lazare à la Conciergerie. Mais il advint que l'huissier chargé d'aller prendre à Saint-Lazare les prénoms, âge et qualités du père, n'ayant point demandé s'il y avait plusieurs Loizerolles, prit les prénoms, âge et qualités du fils, lesquels se trouvèrent, en conséquence, portés sur l'acte d'accusation, lequel fut signifié à Loizerolles père, après son entrée à la Conciergerie. Il s'aperçut de l'erreur commise, et craignant sans doute, s'il la faisait remarquer, d'appeler l'attention sur son fils, resté à Saint-Lazare, il eut la présence d'esprit de se taire. Mais en cela seul consista son dévouement paternel ; son fils n'avait pas été dénoncé, tandis que lui l'avait été, et il ne pouvait, par suite, ignorer que la victime désignée, c'était lui-même. Il n'y avait donc pas lieu, pour lui, de se sacrifier à son fils ; et, en réalité, l'affreux malentendu dont on a fait tant de bruit n'exista pas ; car, à l'audience, Coffinhal, averti de l'erreur commise par l'huissier qui était allé à Saint-Lazare, la rectifia, séance tenante, en rétablissant sur la minute le mot Jean à la place du mot François, le mot père à la place du mot fils, et le chiffre 61 à la place du chiffre 22. En résumé, c'était Loizerolles père qui avait été dénoncé, c'était lui qu'on voulait frapper, et ce fut lui que les juges, après avoir constaté son identité, condamnèrent. Il n'y eut donc point, en ce cas, substitution de personnes ; et la rectification à cet égard était d'autant plus nécessaire, qu'il n'est pas de fait dont les ennemis de la Révolution aient tiré meilleur parti, dans leurs efforts pour la rendre odieuse : témoin le contraste présenté en ces termes par un narrateur intéressé, que citent avec complaisance, page 265, les éditeurs du Tableau historique de la maison Lazare : Quel atroce assassinat, quel sublime sacrifice ![34]

La vérité ne sanctionne ni l'un ni l'autre terme de ce rapprochement, où la vengeance de l'esprit de parti perce à travers le culte de l'héroïsme ; et si nos lecteurs regrettent d'avoir un acte touchant de moins à admirer dans les annales du dévouement, leur regret sera tempéré par la satisfaction d'avoir une atrocité de moins à maudire dans les annales de la fureur.

C'est ici le lieu de faire en peu de mots l'histoire de l'instrument nouveau qui, par la simplicité redoutable de son mécanisme, imprima tant d'activité à la mort[35].

Sous l'ancien régime, un des privilèges de la noblesse avait été d'avoir, le cas échéant, la tête tranchée, les gens du commun n'ayant droit qu'à être pendus : du désir d'introduire l'égalité dans les supplices, uni à celui d'abréger les souffrances du patient, naquit la guillotine.

Le problème posé, le 10 octobre 1789, devant l'Assemblée constituante, par le docteur Guillotin, un de ses membres, problème qu'il se flattait d'avoir résolu, était celui-ci : Exécuter tous les condamnés d'une manière uniforme, et par l'effet d'une simple machine. La décision fut ajournée ; et, le 1er décembre, la discussion s'ouvrit. La décapitation n'aurait-elle point pour effet de dépraver le peuple, en le familiarisant avec la vue du sang ? Voilà ce que l'abbé Maury objecta ; sur quoi, Guillotin s'étant écrié : Avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d'œil, et sans que vous éprouviez la moindre douleur ; il y eut un immense éclat de rire. Hilarité tragique, lorsqu'on songe que la guillotine, cette chose horrible qui n'avait encore ni une forme ni un nom, devait tuer la plupart de ceux qu'alors elle faisait rire ! Et ce qui est non moins tragique, c'est que, l'hilarité se répandant au dehors, la phrase de Guillotin se trouva devenir une source inépuisable de plaisanteries. On s'amusa fort de cette idée de vous faire sauter la tête en un clin d'œil, par philanthropie ; Peltier, Rivarol, tout le cénacle des royalistes hommes d'esprit, qui rédigeaient les Actes des apôtres, mirent en couplets le docteur et sa machine, qu'ils jugèrent équitable de baptiser, de son nom, guillotine. De sorte que l'idée eut son origine dans un sentiment d'humanité, et le nom dans une chanson ! La guillotine n'était encore qu'à l'état de promesse vague et de promesse tournée en ridicule, quand, vers le milieu de janvier 1790, les deux frères Agasse, imprimeurs et propriétaires du Moniteur, furent convaincus de faux et condamnés à être pendus. Celte circonstance, qui semblait de nature à raviver la question posée par Guillotin, n'eut point pourtant ce résultat. Mais elle donna lieu à une manifestation populaire, d'une exagération étrange, en faveur d'un des principes que la philosophie du dix-huitième siècle avait mis le plus en lumière :

Le crime fait la honte, et non pas l'échafaud.

A l'aurore même de la Révolution, la Société des Arts, à Metz, avait proposé, comme sujet de concours, un Essai contre le préjugé qui étend à la famille des condamnés l'opprobre de leur châtiment, et Robespierre avait remporté le prix. L'injustice de cette responsabilité héréditaire avait été, depuis, dénoncée avec émotion, dans l'Assemblée constituante, par des personnages d'une opinion moins extrême. En réalité, c'était là un principe définitivement conquis. Mais cette conquête, il faut bien le dire, fut célébrée à l'occasion de la condamnation des deux frères Agasse, d'une manière qui manquait de gravité et de décence. Non content d'adresser à l'oncle des deux condamnés une fastueuse lettre de condoléance, le bataillon de garde nationale du district Saint-Honoré se hâta d'élire au grade de lieutenant le troisième des frères et un de leurs cousins. C'est peu : un banquet solennel fut donné aux nouveaux élus, banquet où leur place avait été marquée à côté de Lafayette, qui, pendant le repas, les embrassa plusieurs fois, et à l'issue duquel la garde nationale les promena dans Paris, au son d'une musique triomphale. L'exécution des coupables eut son cours néanmoins, et selon l'ancien mode, Guillotin n'ayant pas encore fourni le modèle de la machine qu'il avait annoncée. Le 21 septembre 1791, après d'intéressants débats ouverts quatre mois auparavant, et où ni Duport ni Robespierre ne purent obtenir de l'Assemblée l'abolition de la peine de mort, on adopta le nouveau Code pénal, dont le premier et le troisième article portaient : La peine de mort consistera seulement dans la privation de la vie ; aucune torture ne sera infligée au condamné. — Toute personne condamnée à la peine capitale aura la tête tranchée. Restait à décider de quelle façon la décollation aurait lieu. On pensait alors si peu à la machine dont avait parlé Guillotin, qu'un nommé Pelletier ayant été condamné à mort, pour volet meurtre, Duport Dutertre, ministre à cette époque, écrivit, le 3 mars 1792, à l'Assemblée, pour lui exprimer l'horreur que lui inspirait la décollation par le sabre. De son côté, le bourreau Samson publiait, sur les inconvénients de ce genre de supplice, des remarques empreintes d'une sorte d'effroi. Une commission fut nommée ; elle consulta Louis, secrétaire du collège des chirurgiens ; ce dernier présenta un rapport où, sans même mentionner Guillotin, il proposait le mécanisme dont on se sert aujourd'hui, et qui, adopté par l'Assemblée, garda le nom de guillotine[36]. Quant à Guillotin, qui n'avait fait qu'indiquer l'instrument, il n'est point vrai, comme on l'a prétendu, qu'il ait eu à en éprouver, pour son malheur, l'efficacité sanglante. S'il fut emprisonné pendant la Terreur, pour s'être indigné trop haut d'une proposition de Danton, relative à la construction d'une triple guillotine, c'est ce qu'affirme l'auteur d'un des essais dont ce qui précède est le résumé. Quoi qu'il en soit, il lui fut donné de survivre à la Révolution, et il mourut tranquillement dans son lit en 1814[37].

Le nombre total des personnes exécutées depuis le 18 germinal (7 avril) 1793, époque à laquelle le Tribunal révolutionnaire entra en fonctions, ayant été, jusqu'au 9 thermidor inclusivement, de deux mille six cent sept, et celui des personnes exécutées durant la retraite de Robespierre s'étant élevé à treize cent cinquante et une[38], il en résulte que, dans les quarante-cinq jours que dura cette retraite, le nombre des victimes dévorées par l'échafaud égala la moitié du nombre total, correspondant à un espace de seize mois !

Jusqu'au 23 prairial 1794, la guillotine avait fonctionné sur la place de la Révolution, forçant de la sorte ses victimes à la venir trouver le long de la rue Saint-Honoré, très-populeuse, et, dans ce temps-là, très-brillante. Le 23, il fut décidé qu'on n'exécuterait plus désormais que sur la place Saint-Antoine. Quoi ! à l'endroit même qu'avait consacré la chute de la Bastille ! Cela pouvait paraître une profanation ; de sorte qu'une décision du 24, réformant celle de la veille, relégua l'instrument meurtrier à la barrière du Trône. C'était condamner le quartier des pauvres au spectacle du défilé des charrettes. Et quel défilé !

Il est très-vrai, — la remarque en a été faite, — que le nombre des personnes guillotinées, à Paris, pendant toute la Révolution, forme à peine la quarantième partie du nombre de ceux que moissonna la seule bataille de la Moskowa[39]. Mais, au moment d'une bataille, la certitude de mourir n'existe pour personne ; et celui qui meurt, il semble que c'est le hasard qui le tue : dans une exécution, au contraire, rien n'est laissé à l'imprévu ; la guerre au principe de la vie s'annonce et s'accomplit avec un sang-froid féroce, avec une lâche solennité, par un acte d'usurpation qui transporte de la nature au bourreau le droit d'être inexorable ; de là l'horreur. Elle fut telle, dans Paris, à de certains moments, que Fouquier-Tinville lui-même ne put s'en défendre. Un soir, en passant sur le pont Neuf, il lui arriva tout à coup de pâlir. Je ne me sens pas à mon aise, dit-il à Senar ; je crois voir les ombres des morts qui me poursuivent. Et il se trouva mal[40].

Mais de quelle énergique souplesse n'est point douée la nature de l'homme, et à quelles situations n'est-elle point capable de s'adapter ! La fréquence des exécutions finit par blaser les âmes sur ce que cette fréquence même avait d'affreux. Suivant le témoignage de Mercier, le boutiquier en vint à dire, quand on lui parlait d'une tête coupée, ce que disait cet homme auquel on annonçait que le feu était à sa maison : Je ne me mêle pas des affaires du ménage[41]. La mort fut acceptée comme un hôte inévitable, auquel il convient de faire bon visage, et dont la présence n'est plus importune dès qu'elle est attendue. Tout un langage nouveau fut inventé en l'honneur de cet hôte terrible. La guillotine reçut le nom de rasoir national[42]. Le mot de Barère : battre monnaie sur la place de la Révolution, fit fortune ; et, en le rappelant, Mercier ajoute : Amar tenait le balancier[43]. La pensée chercha, pour s'exprimer, des formes monstrueuses, analogues à celle que David employait un jour, dans l'assemblée du Louvre, lorsque, se plaignant du peu de patriotisme de ses confrères, il s'écriait : On peut tirer à mitraille sur les artistes, sans crainte de tuer un seul patriote[44].

On se plut à étaler tout ce qui rappelait des idées de destruction, à ce point qu'au Tribunal révolutionnaire Dumas présidait, ayant deux pistolets posés devant lui[45]. La considération morale du bourreau ne pouvait que gagner à ce culte de la mort. Déjà, dans l'Assemblée constituante, le comte de Clermont-Tonnerre, faisant la revue générale des préjugés à détruire, avait plaidé la réhabilitation de l'exécuteur public[46]. L'importance sociale de ce personnage s'étant accrue depuis lors, et ses fonctions l'ayant rapproché des têtes couronnées, Lequinio mit en pratique la théorie de Clermont-Tonnerre d'une manière fastueuse : il fit manger le bourreau à sa table, et manda triomphalement à la Convention qu'il venait de vaincre un préjugé de plus[47]. On se familiarisa si bien avec les images de la Terreur, que les femmes admirent parmi leurs objets de toilette des bijoux sinistres, dont leur coquetterie fit des instruments de séduction. A Nantes, on en vit qui portaient comme boucles d'oreilles de petites guillotines de vermeil[48]. Jouer à la guillotine était, dans les prisons, un des divertissements favoris des détenus[49]. On cessa bien vite de remarquer, tant la chose était devenue commune, ceux qui mouraient de bonne grâce ; et il y en eut même qui allèrent à l'échafaud ainsi qu'à une partie de plaisir. Dans les Mémoires des prisons, on cite un soldat qui, après avoir allumé sa pipe avec son acte d'accusation, mangé des huîtres et bu du vin blanc, dit à ses compagnons en les quittant : Maintenant que nous avons bien déjeuné, il s'agit de souper, et vous allez me donner l'adresse du restaurateur de l'autre monde, pour que je vous fasse préparer un bon repas. Devant le tribunal, il affirma la parfaite vérité de tous les chefs articulés contre lui, et son défenseur lui demandant s'il avait la tête à lui : Jamais, répondit-il, elle n'a été plus à moi qu'en ce moment, quoique je sois à la veille de la perdre[50]. Parmi les femmes à qui l'amour donna une soif ardente de la mort, il faut citer la maîtresse de Boyer-Brun. Apprenant que son amant venait d'être condamné, la pauvre femme imagina, pour le suivre au tombeau, d'écrire à la Convention une lettre furieuse, qu'elle terminait par ces mots : Vive le roi ! Elle craignait tant de manquer son but, que, dans un post-scriptum, elle ajoutait : N'ayez pas l'air de croire que je suis folle : je pense tout ce que je viens de dire, et je le signe de mon sang. C'était avec du sang, en effet, qu'était tracée la signature[51].

Il y eut des protestations ; elles portaient. sur le nombre des guillotinés ? Non, mais sur le danger qui résultait, pour la salubrité publique, de l'engorgement des cimetières. L'idée que, si l'on n'y prenait garde, les morts tueraient les vivants, ayant saisi l'imagination populaire, des plaintes très-vives se firent entendre. Les cimetières de la Madeleine, de Mousseaux, de Sainte-Marguerite, avaient successivement reçu les suppliciés, chassés de poste en poste par les protestations que provoquait leur voisinage : on dut leur chercher à Picpus une demeure suffisamment spacieuse et assez éloignée ; mais là même, la nature argileuse du terrain se refusant à l'absorption des dépôts sanglants qui lui étaient confiés, et dont la décomposition, hâtée par de fortes chaleurs, répandait au loin une odeur infecte, il fut question de construire un monument pour la combustion des corps[52].

L'action du feu eût complété l'œuvre de destruction commencée par la guillotine.

Qui le croirait ? au milieu de tant de scènes et de préoccupations funèbres, bals, concerts et galas allaient se multipliant. Jamais on n'avait fait autant de dépenses inutiles, étalé des costumes aussi brillants. Une foule animée remplissait tous les lieux consacrés à l'amusement public. Le jardin des Tuileries, mieux tenu que dans les temps les plus prospères de la monarchie, présentait un aspect riant qu'on ne lui avait point connu alors. D'élégantes voitures sillonnaient la ville ; le bois de Boulogne était très-suivi. Quand les étrangers, dans leur pays, lisaient nos journaux, ils nous voyaient tachés de sang, couverts de haillons ; et, quand ils arrivaient à Paris, par la route de Chaillot, ils s'étonnaient de trouver la magnifique allée des Champs-Élysées encombrée de phaétons et tout étincelante de parures[53]. En face de la mort, la vie débordait. On se hâtait de vivre. En effet, à nulle époque, peut-être, l'empire de la galanterie ne s'exerça, dans ce qu'on appelle le beau monde, avec moins de retenue ; et, c'est là un trait qui est mis ainsi en relief, avec une profondeur enjouée, par un observateur du temps dont les tableaux n'ont en général de frivole que l'apparence :

LA MARQUISE, sonnant. — Drelin, drelin.

MARTON. — Madame appelle ?

LA MARQUISE. — Allons ! Marton, je me lève. Eh bien ! mon enfant, que dit-on ?

MARTON. — Madame, on nous annonce une insurrection pour ce matin.

LA MARQUISE. — Quel conte ! On dit qu'elle est tombée.

MARTON. — L'on parle de carnage, de destruction et de viol, chose encore pire.

LA MARQUISE. — Encore pire ? Marton, cela vous plaît à dire ; car enfin...

MARTON. — Hélas ! J'entends dire partout que les méchants massacreront les femmes ; et celles qui seront de leur goût...

LA MARQUISE, très-vivement. — Je frémis. Vite, habillez-moi donc ! Puisqu'on vous outrage, puisqu'on vous tue... allons, Marton, mon rouge... Ô ciel ! jaune, abattue... je suis affreuse... Ils me tueront[54].

 

En province, on a vu ce que produisit le ressort de la Terreur, tel que le manièrent Collot-d'Herbois et Fouché, à Lyon ; Fréron, à Toulon et à Marseille ; Tallien, à Bordeaux ; Carrier, à Nantes. Pour compléter la nomenclature des villes que le fléau des fureurs politiques frappa d'une manière plus spéciale, nous mentionnerons Fontenay-le-Peuple et Arras.

Du 12 nivôse (1er janvier) 1793 jusqu'au 9 thermidor (27 juillet) 1794, — période de dix-neuf mois, — il y eut, à Fontenay, plus de 230 personnes exécutées, dont deux ou trois seulement de la ville[55] et, sur ce nombre, 198 furent condamnées par une commission militaire que le représentant en mission Lequinio avait substituée, le 21 frimaire (11 décembre) 1795, au tribunal criminel du lieu, dont il trouvait la justice trop lente[56]. C'est ce même Lequinio qui, trois jours après, recevant la nouvelle de l'approche des Vendéens, donna ordre d'égorger, à la première apparition de l'ennemi, tous les prisonniers[57].

Et, du reste, il n'avait pas attendu jusque-là pour donner lui-même l'exemple de cette lâche barbarie.

Les malheureux qu'à Fontenay-le-Peuple on avait entassés à la maison d'arrêt étaient victimes de la cupidité du geôlier, qui spéculait sur le morceau de pain noir donné pour assouvir leur faim. Le 20 frimaire, la geôlière, pendant l'absence de son mari, étant descendue dans la cour, répondit par des menaces et des injures aux observations des détenus, dont l'un la prit à la gorge. Une petite fille jeta l'alarme, appela le citoyen Chisson, officier municipal, et un détachement de ligne, et leur désigna le principal coupable, qui fut mis en pièces. Testard et David Fillon, avertis, parvinrent à en arracher un autre à la rage de la troupe, et firent prévenir le représentant de ce qui se passait. Lequinio accourt immédiatement, saisit une paire de pistolets, et descend dans Je préau, suivi du maire, du général Baudry et d'un grand nombre de soldats. Il se fit rendre compte des faits, et, ayant commandé d'ouvrir les cachots, brûla la cervelle à l'un des émeutiers, puis remit le second pistolet à un officier pour qu'il en fit autant à un troisième détenu qu'indiqua la petite fille. Celui auquel il s'adressa voulait refuser : sur une seconde injonction, il s'appuya le long de la porte, détourna la tête et lâcha le coup. Lequinio, indigné de cette faiblesse, l'apostropha vivement, et s'écria, en tournant le dos : B....... de poltron ! As-tu peur de regarder un brigand en face ? Les témoins de cette scène atroce étaient terrifiés, et se taisaient glacés d'horreur. Testard demanda seulement s'il y avait des formalités à remplir : Rien, lui répliqua-t-on[58].

L'auteur de ce récit, M. Benjamin Fillon, est le fils d'un des hommes qui furent témoins du drame. Ce témoin, qui n'était, à l'époque où le meurtre fut commis, qu'un enfant de six ans, en avait reçu une impression que, jusqu'à sa dernière heure, il garda aussi vivante qu'au premier jour[59].

Lequinio partit pour Paris le 4 germinal (24 mars) 1794 ; mais la Terreur, qui sortait avec lui de Fontenay-au-Peuple, ne tarda pas à y rentrer avec Hentz et Francastel[60].

Parmi les documents qui se rattachent à l'histoire de la Terreur dans les provinces, il en est un singulièrement caractéristique : c'est un certificat accordé par la municipalité de Fontenay à Marie-Geneviève Brisson, sœur du savant naturaliste Brisson. Ce certificat est ainsi conçu :

Le Conseil de la commune de Fontenay-le-Peuple déclare que le citoyen M.J. Brisson est natif de cette commune ; qu'il est né dans la classe ci-devant désignée sous le nom de roture ; que son père, son aïeul et son bisaïeul sont nés dans la même classe, n'ont jamais été nobles, n'ont jamais joui des privilèges de la noblesse, et ont, par conséquent, supporté toutes les charges de la roture.

Fontenay-le-Peuple, le 12 floréal an Il de la République une et indivisible.

Signé : BRISSON, maire ; NIVARD, HERVÉ, MOREAU, CROIZÉ, FALLOURD, L. G. GODET, DANIEL LACOMBE, CARY, PANIER, et VEXIAU[61].

 

Cette attestation avait pour objet de mettre à l'abri de la proscription un des savants les plus remarquables de France. Étrange effet des vicissitudes humaines ! Dix ans auparavant, combien peu qui ne se fussent estimés heureux d'être rangés au nombre des nobles ! Et aujourd'hui, il y allait, quelquefois, de la vie de bien établir qu'on était roturier !

Nous avons prononcé le nom d'Arras. Là siégeait un tribunal révolutionnaire dont Choudieu, dans une de ses lettres, a énergiquement dessiné la physionomie. Selon le tableau qu'il en a tracé, les juges avaient l'air de bourreaux, avec leur chemise décolletée et leurs grands sabres traînant à terre[62]. Joseph Le Bon, qui représentait dans ces contrées le pouvoir du Comité de salut public, portait toujours un pistolet à sa ceinture[63]. Figuraient comme juges ou jurés du tribunal redoutable où s'appuyait sa puissance, son beau-frère et trois oncles de sa femme[64]. Il exerçait autour de lui un tel despotisme, et ce despotisme était si soupçonneux, qu'on put citer un arrêté de lui qui défendait aux femmes d'Arras de s'endimancher[65]. Un jour, à Cambrai, le bourreau s'étant présenté chez lui avec les juges, il les reçut tous à sa table[66] Il avait écrit sur sa porte : Ceux qui entreront ici pour solliciter des mises en liberté n'en sortiront que pour aller en prison. Cette précaution qui lui fut imputée à crime aux jours de la réaction triomphante, pouvait ne déceler en lui que la ferme volonté d'accomplir son devoir, et il n'y a rien d'inadmissible dans l'explication qu'il en donna lui-même : On est vertueux de loin ; de près, l'on est homme[67] ; mais il n'en est pas moins vrai qu'il y avait quelque chose de terrible à avoir tellement peur. de la miséricorde.

Quant aux noirs forfaits dont la dénonciation conduisit Le Bon à l'échafaud, et dont l'horreur est restée attachée à son nom, la justice et la vérité demandent qu'on recherche avec soin s'ils ne furent pas une invention de la haine. Or voici ce qu'en pleine Convention Joseph Le Bon affirma, sans être démenti par celui qu'il mettait en scène.

Guffroy avait attaqué, dans son journal le Rougiff, l'accusateur public d'Arras, Desmeuliers, et Desmeuliers avait répondu en exhumant du greffe un faux billet de 6.000 francs, qu'il prétendait avoir été fabriqué par Guffroy. Celui-ci, inquiet, se rend à Arras ; les poursuites sont discontinuées ; d'ennemis qu'ils étaient, Desmeuliers et Guffroy deviennent amis. Bientôt il arrive que, soupçonnant Desmeuliers d'intelligences secrètes avec la contre-révolution, Joseph Le Bon le fait arrêter et transporter à Paris. Ce dernier, furieux, appelle à lui Guffroy, auquel il dépeint le proconsul d'Arras comme un monstre, et qui, sur les renseignements venus de cette source, compose une brochure intitulée Censure républicaine[68]. C'était un libelle, dont la contre-révolution, une fois maîtresse du terrain, fit un arrêt de mort. Nous aurons à raconter plus loin le procès de Joseph Le Bon ; et ce sera le moment alors de dire par quelle série d'indignités l'on parvint à donner à ce procès une issue meurtrière ; qu'il nous suffise de constater ici que les deux accusations les plus graves lancées contre Le Bon étaient deux calomnies. Fut-il coupable, ainsi que Fréron ne rougit pas de l'affirmer dans son journal, d'avoir arraché les faveurs d'une épouse éplorée qui venait implorer la grâce de son mari ? La Commission des 21, chargée plus tard d'examiner la conduite de Le Bon, et où dominaient ses ennemis, fut obligée de reconnaître que l'histoire racontée par un journaliste, — on n'osait pas avouer que le calomniateur était le représentant du peuple Fréron, — n'avait aucun fondement ; que le fait n'était point attesté, et qu'aucune des 2.900 pièces analysées par la Commission n'en avait fourni la preuve[69]. Le Bon fût-il coupable, ainsi que Guffroy osa le publier à diverses reprises, d'avoir volé un collier de diamants dans la succession d'une comtesse qu'avait réclamée l'échafaud ? Les scellés apposés sur la succession de cette comtesse ayant été levés, le collier y fut retrouvé à sa place et intact[70].

Joseph Le Bon était-il naturellement cruel ? On a des indications nombreuses du contraire. A Beaune, dans la congrégation de l'Oratoire, où il passa huit ans avant la Révolution, on l'avait surnommé le Bien nommé[71]. Élu, à l'âge de vingt-sept ans, maire d'Arras et administrateur du département, il s'était signalé, presque immédiatement après, en faisant arrêter et chasser d'Arras les Commissaires envoyés de Paris pour vanter les massacres de septembre[72] ; et Guffroy, qui devait plus tard le dénoncer comme ultra-révolutionnaire, avait commencé par le dénoncer comme suspect de modérantisme[73]. Suivant un témoignage royaliste, il avait une figure douce et agréable ; il portait toujours du linge très-blanc ; ses mains étaient fort soignées ; et sa mise, loin d'annoncer des habitudes de dévergondage, trahissait une sorte de coquetteries[74]. Nous avons sous les yeux les lettres qu'il écrivit à sa femme pendant les quatorze mois de captivité et d'agonie morale qui précédèrent son exécution : rien qui dénote une conviction plus forte, une sérénité plus soutenue, et, en certains passages, un plus grand fonds de tendresse : Ô mon amie, ne dis plus que je vais mourir, je vais commencer une nouvelle vie dans tous les cœurs dévoués à la République[75].

En réalité, Joseph Le Bon fut un instrument fidèle, trop fidèle certainement, de l'implacable politique née d'une lutte sans exemple ; mais il ne fut que cela. Sa violence vint d'un patriotisme exalté outre mesure, et cette exaltation était celle du temps où il vécut. Elles sont vraies de lui comme de beaucoup d'autres révolutionnaires de la même date, ces mots de sa défense : On me fait un crime ici de n'avoir pas été froid quand vous étiez brûlants[76].

Ajoutons que Joseph Le Bon rendit à la France un service dont le souvenir ne doit s'éteindre dans aucune âme française.

Appelé à Cambrai par Saint-Just et Le Bas, au moment même où les Autrichiens se croyaient sûrs de franchir ce dernier boulevard de notre pays, Joseph Le Bon, en ranimant tous les courages et en déconcertant la trahison, ruina les projets de l'ennemi, et commença l'œuvre de délivrance qui fut complétée par l'immortelle victoire de Fleurus. C'est ce dont témoigne le passage suivant du rapport[77] qui annonçait à la Convention cette victoire : Les représentants du peuple Guyton, Gillet, Laurent, Duquesnoy et Saint-Just, qui ont assisté à la bataille de Fleurus, découvrent en ce moment les beaux traits, les actions de bravoure, qui ont brillé dans cette affaire : nous nous empresserons de les faire connaître à la Convention. Mais ces représentants ne sont pas les seuls qui aient concouru au succès. Le Bon, tant calomnié par les ennemis de la liberté, Le Bon, selon la lettre de Saint-Just, a fait exécuter à Cambrai les espions et les intelligences de l'ennemi. La police faite à Cambrai depuis deux mois, contre laquelle les journaux étrangers et les émigrés vomissent des imprécations horribles, a fait manquer le plan de campagne de nos ennemis. Le fait est attesté par plusieurs officiers prisonniers, qu'ont interrogés Saint-Just, Guyton et Le Bas.

Cependant, le 25 juin (6 messidor) 1794, Guffroy ayant porté à la Convention ses dénonciations contre Joseph Le Bon, et l'affaire ayant été renvoyée à l'examen du Comité du salut public, Barère, dans un rapport qu'il présenta quelques jours après, s'exprima en ces termes[78] : Le résultat et les motifs de conduite, voilà ce que nous recherchons. Les motifs sont-ils purs, le résultat est-il utile à la Révolution, profite-t-il à la Liberté ? Les plaintes ne sont-elles que récriminatoires, ou ne sont-elles que le cri vindicatif de l'aristocratie ? C'est ce que le Comité a vu dans cette affaire. Des formes un peu acerbes ont été érigées en accusation ; mais ces formes ont détruit les pièges de l'aristocratie. Une sévérité outrée a été reprochée au représentant ; mais il n'a démasqué que de faux patriotes, et pas un patriote n'a été frappé.

Il fallait que les formes de Joseph Le Bon fussent acerbes en effet, pour que Barère lui-même les déclarât telles ; mais, quant aux mesures de salut public adoptées par le proconsul d'Arras, était-ce Barère qui aurait pu les condamner, lui dont on trouve la signature au bas de la lettre suivante adressée à Le Bon[79], au nom du Comité de salut public :

Le Comité applaudit aux mesures que vous avez prises..... Elles sont, non-seulement permises, mais commandées par votre mission. Rien ne doit faire obstacle à votre marche révolutionnaire. Abandonnez-vous à votre énergie. Vos pouvoirs sont illimités. Tout ce que vous jugerez convenable au salut de la patrie, vous pouvez, vous devez l'exécuter sur-le-champ. BILLAUD-VARENNE.

Les membres du Comité de salut public chargés de la correspondance. CARNOT, BARÈRE, ROBERT LINDET.

 

Cette lettre, où respire l'esprit de Billaud-Varenne, et qui témoigne si vivement de son influence, caractérise l'impulsion qui partait de Paris : elle explique comment, de la capitale, la Terreur se répandit dans les provinces. Avertir les représentants en mission qu'ils devaient se considérer comme investis d'une autorité sans bornes, c'était donner aux méchants un brevet de tyrannie, et souffler aux bons même la plus dangereuse des tentations.

Que ne nous est-il permis de clore ce funèbre chapitre, sans avoir à rouvrir la plaie creusée au sein de tout enfant de la Révolution par les malheurs de l'illustre Gironde ! Ce fut le 28 juin (8 messidor) que la Convention reçut la nouvelle officielle de la mort de Guadet, Salles et Barbaroux. Les trois fugitifs et leurs compagnons Buzot, Pétion, Valady et Louvet, avaient paru, neuf mois auparavant, au Bec-d'Ambès, et l'on avait appris, depuis, que, quittant les lieux où ils s'étaient d'abord aventurés, ils avaient remonté la rivière. On soupçonna qu'ils étaient cachés dans les grottes de Saint-Émilion ; sur quoi Julien, agent du Comité de salut public, concerta les mesures nécessaires pour faire cerner au même instant toutes les ouvertures de ces grottes, pendant qu'on les fouillerait avec des chiens. L'horrible expédition fut préparée et conduite avec beaucoup de mystère. Les recherches les plus longues, les plus minutieuses, furent faites dans les souterrains glacés qu'on supposait être le dernier refuge des proscrits ; et, pendant ce temps, des perquisitions non moins ardentes avaient lieu en diverses maisons désignées comme suspectes. Celle du père de Guadet avait été déjà visitée plusieurs fois, et toujours en vain, lorsque deux des agents crurent remarquer que le grenier était moins long que le rez-de-chaussée. Ils en conclurent qu'une loge devait être pratiquée à l'extrémité. Montant aussitôt sur les toits, ils travaillent à découvrir la cachette. Tout à coup, le bruit d'un pistolet qui rate se fait entendre. Salles et Guadet, les seuls qui fussent là, crient qu'ils vont se rendre. On les mena à Bordeaux, où ils furent exécutés. A une demi-lieue de Castillon, près d'une pièce de blé, un homme fut trouvé baigné dans son sang. Il venait de se tirer un coup de pistolet, mais il vivait encore... c'était Barbaroux. Valady, pris dans les environs de Périgueux, avait été guillotiné dans cette ville dès le commencement de décembre 1793. Louvet s'était séparé de ses amis, et parvint à se sauver. Quant à Pétion et Buzot, on rencontra leurs cadavres, à demi mangés par les loups[80]. Non, jamais la liberté ne fit expier plus cruellement aux siens la gloire d'avoir embrassé son culte !

Nous avons raconté la Terreur, sans rien taire, sans rien voiler, sans chercher à nous soustraire à aucun des déchirements de cœur auxquels nous condamnaient la volonté et le courage d'être sincère. C'est pourquoi nous nous sentons le droit de dire que quiconque, en jugeant ce régime, refuse de tenir compte des circonstances qui le provoquèrent, s'expose à porter un jugement peu équitable.

Ces circonstances furent, qui l'ignore ? la guerre contre toute l'Europe, des complots sans cesse renaissants, la révolte, la famine, et, parmi les manœuvres infâmes nées d'une haine sans scrupules comme sans frein, les faux assignats.

Que le papier-monnaie ait fait naître un étrange esprit de spéculation ; qu'il ait ouvert aux imaginations vives de dangereuses perspectives ; qu'il ait contribué à créer ces contrastes que Mercier peint avec tant de relief lorsqu'il nous montre, à côté d'une marquise devenue ravaudeuse, une vendeuse d'herbes serrant 20.000 liv. dans son portefeuille, ou, à côté d'une comtesse donnant des leçons de musique, des ex-religieuses vendant des souliers d'hommes, en perruques blondes[81], ces résultats sociaux de l'assignat, quelque dignes qu'ils soient d'être notés, disparaissent devant la grandeur de ses résultats politiques. On peut dire, sans trop d'exagération, que l'assignat fut le fondateur de la liberté, le vainqueur de l'Europe. Mais, à cause de cela même, la contre-révolution n'épargna rien pour le détruire, et la fabrication des faux assignats vint ajouter, aux fléaux que la France avait à combattre, un fléau presque pire que la guerre, la révolte et la famine. Les faux assignats, partis de Londres[82], envahirent la France, du côté de la Suisse et du Mont-Blanc. On en introduisait par millions ; on les jetait même par paquets dans les auberges[83]. On me marque, écrivait le député Dubouloz au comité d'agriculture, que la maison Porte de Lausanne, dans le pays de Vaux, reçoit d'Angleterre des assignats à la manière de Pitt. Ils inondent les districts frontières, et principalement celui de Thonon. Tous les Anglais ne sont pas en Angleterre. Il s'en rencontre plusieurs à Lausanne et à Genève. Genève, où les assignats perdent jusqu'à 80 p. 100, est un petit Londres. De ce point fangeux, on dessèche les canaux environnants. Les départements du Mont-Blanc et de l'Ain en font la funeste expérience[84]. Faut-il s'étonner, après cela, si l'assignat, quoique soutenu longtemps par le Maximum, dut succomber ? J'ai vu, écrit Mercier[85], un billet de cent francs par terre, et j'ai entendu un homme du Temple, dire : Il ne vaut pas la peine d'être ramassé.

C'est cette guerre abominable, déclarée sous toutes les formes aux idées nouvelles, qui explique la Terreur. L'immensité du péril avait fait du patriotisme une fièvre dévorante ; ceux qui vivaient dans la Révolution y respiraient une atmosphère de feu ; ils se croyaient sur un champ de bataille, et lancés dans une guerre à mort.

Malheureusement, la confusion créée par cet esprit de vertige n'était que trop de nature à servir des instincts barbares et des passions viles. Le salut public, qui était le but des uns, ne fut, pour les autres, qu'un moyen ou un masque ; de sorte que vertus et vices, emportements sincères et basses fureurs, héroïsme et hypocrisie, roulèrent pêle-mêle dans le lit que le torrent révolutionnaire avait creusé.

Et c'est ce qui rend si délicate, disons mieux si redoutable, la tâche de l'Histoire, sommée de voir clair dans ce noir imbroglio, et de démêler, parmi des hommes qui nous semblent avoir été acteurs du même drame, ceux que son devoir est de réhabiliter, et ceux qui méritent d'être marqués par elle à l'épaule.

Tous les fanatismes se ressemblent. Il n'est donc pas surprenant que le fanatisme politique soit venu fournir son contingent de victimes à l'œuvre de destruction poussée si avant, sur toute la surface du globe, par le fanatisme religieux. Mais une chose, du moins, est certaine ; c'est que la plupart des malheureux qui furent frappés, ne le furent que parce que réellement on les crut coupables. Que des gens aient péri, dont le crime unique était d'être opposés par éducation, par habitude ou par position sociale, aux idées du jour, cela est affreux sans doute ; mais les historiens qui ont pris plaisir à montrer la Révolution foulant aux pieds de gaieté de cœur des hommes qu'elle jugeait innocents, ces historiens-là ont trahi la vérité. De même qu'à d'autres époques et en d'autres pays, on avait cru digne d'être brûlé vif quiconque n'admettait pas le dogme de la présence réelle, de même on crut alors digne de mort — et ce genre d'intolérance était certes moins inconcevable — quiconque se révoltait contre le principe de l'égalité et de la fraternité humaine[86]. Le document inédit qu'on va lire mérite d'autant mieux de trouver sa place ici, que le nom du signataire le recommande doublement à l'attention du lecteur :

Paris, ce 4 pluviôse an Il de la République une et indivisible.

L'accusateur public près le Tribunal révolutionnaire, au citoyen ministre de la guerre.

Citoyen, une scène attendrissante a eu lieu hier au tribunal. La veuve Maréchal, maîtresse de pension à Verneuil, près Chantilly, a été traduite au tribunal, sur une dénonciation faite par un nommé Lefebvre, son ex-instituteur. L'innocence de cette citoyenne a été reconnue, elle a été acquittée, et l'imposteur Lefebvre a été accusé à l'instant et condamné à la peine de mort, que ce monstre a subie aujourd'hui. Dans le cours des débats, il a été avéré que le calomniateur Lefebvre t'avait dénoncé le fils Maréchal, party (sic) pour la réquisition du département de l'Oise ; que, d'après cette dénonciation, tu avais donné des ordres de le faire arrêter, et que ce jeune homme était en ce moment dans la maison d'arrêt de Douai. Il paraît que la dénonciation dirigée contre lui est la même que celle dirigée contre la mère, dont elle a été acquittée. Si cela est, je ne vois plus aucune raison qui puisse autoriser la détention. — Il est bien entendu que je ne te parle de ce jeune homme qu'autant que sa détention aurait la dénonciation de Lefebvre pour motif. Je ne puis te transmettre encore le jugement parce qu'il n'est pas expédié ; mais, si tu en avais besoin, je te le feray transmettre sans délay. J'ai cru de mon devoir de t'informer de ce fait, pour te mettre dans le cas de rendre justice à l'innocence opprimée, et je ne m'y suis déterminé encore que d'après l'intention du tribunal qui m'y a invité.

Salut et fraternité,

A. A. FOUQUIER.

(Note du ministre. — 4e division.)

Écrire à l'accusateur militaire de l'armée du Nord ; lui envoyer copie de cette lettre, et, si la dénonciation n'a pas d'autre fondement que ce qu'a dit Lefebvre, il jugera sans doute juste de le mettre en liberté. — Répondre à l'accusateur public que je fais écrire pour Maréchal[87].

 

La vérité est que, si le Tribunal révolutionnaire prononça beaucoup de condamnations, il prononça aussi beaucoup d'acquittements ; et c'est ce que n'ont jamais dit ceux qui ont voulu faire croire à la postérité que, de la part de ce tribunal, il y avait toujours eu parti pris de frapper. Au moment du procès de Fouquier-Tinville, le nombre des individus mis en jugement s'élevait à 2.718, et, sur ce nombre, 900 personnes avaient été acquittées[88].

Un jour, — et c'est notre plus chère espérance, — un jour, l'œil fixé sur les siècles écoulés, les hommes se demanderont avec stupeur comment il a pu arriver qu'à certaines crises de la vie des peuples, on ait regardé le bourreau comme un agent du progrès, le sang versé comme un moyen de régénération sociale, et la terreur comme l'aurore de la liberté ! Mais que nous sommes loin encore de l'état de perfectionnement social qui rendrait cette stupeur naturelle et légitime ! La terreur de 1793 et 1794 est-elle donc le seul événement de l'histoire dont le souvenir nous fasse frissonner ! Dans quel temps et dans quel pays le déchaînement des passions politiques et le choc des intérêts en lutte n'ont-ils pas conduit les combattants à fouler aux pieds les droits de l'humanité et agrandi outre mesure le domaine de la mort ? Les exemples, hélas ! se présentent en foule, et, pour en trouver d'effroyables, il n'est nullement besoin de consulter la biographie de Catherine de Médicis, ou d'ouvrir les registres de l'inquisition ou de chercher le sens du mot dragonnades, ou de remonter à ce qu'on nomme les âges de barbarie, ou de fouiller les annales des nations réputées barbares. C'est dans l'histoire d'Angleterre, c'est à propos d'événements qui correspondent à la date de 1689, qu'on lit ce qui suit :

Les Communes d'Irlande n'eurent pas de cesse qu'elles n'eussent extorqué la sanction de Jacques II en faveur d'une épouvantable loi, d'une loi qui n'a point son égale dans l'histoire des contrées civilisées, le GREAT ACT OF ATTAINDER. Une liste fut dressée contenant de deux à trois mille noms. En tête figuraient la moitié des pairs d'Irlande. Venaient ensuite baronnets, chevaliers, hommes d'Église, gens de condition, marchands, franc-tenanciers, artisans, et, dans le nombre, des enfants et des femmes. Nulle investigation. Un membre de l'Assemblée voulait-il se défaire d'un créancier, d'un rival, d'un ennemi particulier, il faisait passer le nom au bureau, et ce nom était en général inscrit sans plus ample informé. L'unique débat dont le souvenir nous ait été transmis concernait le comte de Strafford. Le comte avait des amis dans la Chambre, et ils se risquèrent à dire quelque chose en sa faveur. Mais, en peu de mots, Simon Luttrell trancha la question. J'ai entendu le roi, dit-il, mal parler de ce lord. Il n'en fallut pas davantage ; et, sur les tables de proscription, le nom de Strafford occupe le cinquième rang. Un délai fut fixé avant l'expiration duquel ceux dont les noms étaient sur la liste devaient venir se soumettre à la justice, telle qu'on l'administrait alors aux protestants, à Dublin. Si une des personnes proscrites était en Irlande, il lui était enjoint de se présenter vers le 10 du mois d'août ; si elle avait quitté l'Irlande avant le 5 novembre 1688, elle avait à se présenter, au plus tard, le 1er octobre ; faute de quoi, elle devait être, sans jugement préalable, pendue, traînée le long des rues et écartelée, le tout suivi de la confiscation des biens. Or, parmi les victimes désignées, il y en avait auxquelles il pouvait être matériellement impossible de se présenter à temps ; tel pouvait être alité, tel autre aux Indes occidentales, tel autre en prison. De fait, c'était le cas pour certains, et cela au su de tous. Au nombre des lords compris dans le great act of attainder était Mountjoy. Trompé par les conseils perfides de Tyrconnel, il s'était rendu à Saint-Germain, avec une aveugle confiance, et on l'avait jeté à la Bastille, où il était encore. Eh bien, le Parlement irlandais n'eut pas honte de décider que si, dans l'espace de quelques semaines, il ne pouvait s'échapper de sa prison et se présenter à Dublin, il serait mis à mort[89].

 

Ajoutons que la culpabilité des malheureux portés sur la liste homicide n'avait pas été le sujet du moindre examen, qu'aucun d'eux n'avait été entendu dans sa défense[90]. Et comme on avait la certitude que plusieurs de ceux qu'on sommait ainsi de comparaître étaient dans l'impossibilité physique de le faire à l'époque fixée[91], le great act of attainder était tout simplement une loi d'assassins.

Quelque horrible que fût la loi du 22 prairial, qui oserait la comparer à l'acte hideux dont nous venons d'évoquer le souvenir ? Et quel feuillet des annales de la Révolution française nous fournira un fait qui dépasse en atrocité le fameux massacre de tout le clan des Macdonald dans la vallée de Glencoe, sur un ordre signé de Guillaume III[92] ?

Nous préserve le ciel de vouloir de la sorte atténuer la juste horreur qu'inspirent les excès révolutionnaires dont l'histoire se mêle si déplorablement à celle de tant d'actes et d'efforts héroïques ! Mais ceux-là sont d'étranges commentateurs du passé, qui parlent de la Révolution française comme si elle eût pris, dans le monde, l'initiative de la fureur. Son initiative ! elle consista dans la proclamation de vérités impérissables ; elle consista dans l'indication d'un but dont la violence même des moyens employés, toute lamentable qu'elle est, ne fera jamais oublier la grandeur.

 

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Nous avons promis de discuter l'histoire de Loizerolles. Il est remarquable que les éditeurs des Mémoires des prisons adoptent la version fausse, avec tous les éléments de la version vraie sous les yeux. C'est en effet le Tableau historique de la maison Lazare qui fournit la preuve que la personne dénoncée et portée sur la liste des détenus transférés à la Conciergerie était Loizerolles père, et non pas Loizerolles fils. En parlant de la condamnation du premier, l'auteur du Tableau historique dit en propres termes, p. 267 : La victoire complète que Gagnant avait remportée sur le citoyen Loizerolles, son ennemi, qui venait d'être condamné à mort, fut annoncée dans la maison. Quel était le prisonnier qui avait été dénoncé par Gagnant, mis en accusation sur le témoignage de cet administrateur, et, par suite, conduit à la Conciergerie ? Loizerolles père. Ainsi se trouve confirmé le récit de Fouquier-Tinville : C'était Loizerolles père, qui avait été dénoncé, lui qui a été jugé et condamné. Seulement, l'huissier qui était allé à Lazare prendre les prénoms, âge et qualités du père, n'ayant pas demandé s'il y avait plusieurs Loizerolles, avait pris les prénoms, âge et qualité du fils. Cela fut rectifié à l'audience. La minute du jugement porte que c'est le père qui fut condamné. Loizerolles fils n'avait jamais été dénoncé. (Voyez Réponse d'Antoine Fouquier-Tinville aux différents chefs d'accusation, etc., p. 20, dans la Bibl. hist. de la Révol., 947-8. British Museum.)

Et ce qu'il y a de curieux, de navrant, c'est que Coffinhal, pour avoir fait, à l'audience, une rectification indispensable, a été présenté comme un homme qui avait employé la voie du faux pour mieux pouvoir tuer le père à la place du fils : atrocité impossible à supposer, même dans une société d'anthropophages !

Ce n'est pas tout. Si Coffinhal était un faussaire, il est clair que le compte rendu, rédigé par lui, du procès de Danton, n'est qu'un tissu de mensonges : voilà donc ce compte rendu rayé d'une manière absolue du nombre des documents historiques à consulter. Et c'est effectivement de la sorte que M. Michelet a raisonné, pour avoir cru à l'histoire de Loizerolles, telle que nous la donnent tous les historiens royalistes.

Parlerai-je des ornements qu'il a plu à quelques-uns d'y ajouter ? M. Thiers, t. V, chap. VI, p. 367, ne se contente pas de faire mourir le père pour le fils ; il dit de celui-ci : Le fils fut jugé à son tour, et il se trouva qu'il aurait dû ne plus exister, car un individu ayant tous ses noms avait été exécuté ; c'était son père. Il n'en périt pas moins. Franchement, ceci est un meurtre qui n'a été commis que par M. Thiers. Loizerolles fils ne périt pas ; et même c'est sa déposition, au procès de Fouquier-Tinville, qui a été l'origine de tous les récits relatifs à cette affaire, y compris celui de M. Thiers. Ce jeune homme comparut dans le procès de Fouquier, et produisit beaucoup de sensation en déclarant que son père était mort pour lui : chose, dit-il, qu'il ne sut que plus tard d'un certain curé de Champigny, qu'il rencontra en passant rue Saint-Antoine ! Et il ajouta : Le lendemain, j'en eus la preuve incontestable. Je traversais le pont de l'Hôtel-Dieu. Un mouvement involontaire de curiosité, mêlé d'horreur, me fait jeter les yeux sur un mur couvert d'affiches ; enfin, je me vois condamné à mort, et je sais pour la première fois que, si j'existe encore, c'est au prix d'une vie que j'aurais voulu racheter de la mienne. (Voyez la déposition de Loizerolles fils au procès de Fouquier-Tinville, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 113.)

Dans un ouvrage intitulé la Justice révolutionnaire, M. Ch. Berriat Saint-Prix, conseiller à la Cour impériale de Paris, maintient la tradition reçue sur les Loizerolles, c'est-à-dire : le père condamné et exécuté à la place du fils (la Justice révolutionnaire, p. 118 à 126), mais il passe complètement sous silence le témoignage, si clair, si péremptoire, si important, de l'auteur du Tableau historique de la maison Lazare.

Quant à la déclaration du Mémoire imprimé de Fouquier-Tinville, M. Berriat Saint-Prix lui oppose la réponse dans laquelle le Compte rendu du procès de Fouquier lui fait dire : que c'était le fils Loizerolles qui était traduit en jugement et que son substitut Liendon aurait dû faire mettre le père hors des débats. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 440.)

Entre ces deux déclarations contradictoires de Fouquier, nous n'avons pas hésité à préférer celle consignée dans un Mémoire rédigé et signé par Fouquier, à celle que lui met dans la bouche le rédacteur d'un compte rendu de procès, écrit sous l'inspiration et au profit de la réaction victorieuse, comme le prouvent surabondamment les notes ridiculement emphatiques qui lui servent de commentaires, celles-ci entre autres : Loizerolles père compare ses soixante et un ans aux vingt-deux ans de son fils ; il lui donne une seconde fois la vie. Ce père vertueux, contre lequel il n'y avait point d'acte d'accusation, a été mis à mort, le 8 thermidor ; et ce père respectable a gardé le silence ! Et les buveurs de sang avaient eu la scélératesse de dire que de tels hommes étaient des conspirateurs ! (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 488.)

M. Berriat Saint-Prix a pu consulter aux Archives de France des pièces originales dont notre éloignement de Paris nous interdisait l'accès ; et des extraits de ces pièces, cités par lui, il résulte bien que le nom de Loizerolles fils figure sur le registre d'entrée du parquet de Fouquier, dans l'acte d'accusation et dans le jugement rédigé à l'avance, mais ces pièces ne prouvent nullement que Loizerolles père n'eût pas été dénoncé, et, en outre, M. Berriat Saint-Prix le constate lui-même, le nom de Loizerolles n'est suivi d'aucune désignation ni dans l'exposé des faits de l'acte d'accusation, ni dans le réquisitoire d'extraction de la maison Lazare. On ne peut donc conclure rigoureusement des pièces citées par M. Berriat Saint-Prix que ce fut Loizerolles fils et non Loizerolles père que Fouquier entendait envoyer devant le Tribunal révolutionnaire, et que le père fut condamné à la place du fils par ce tribunal. Bien plus, l'opinion contraire, que M. Berriat Saint-Prix combat, se trouve confirmée par les renseignements nouveaux que nous fournit l'Histoire du Tribunal révolutionnaire de Paris, d'après les documents originaux conservés aux Archives de l'Empire, par M. Émile Campardon, archiviste aux Archives de l'Empire (Paris, Poulet-Malassis, éditeur, 1862.)

M. Campardon déclare que l'assertion de Fouquier est exacte quand il affirme que c'était bien le père et non le fils qu'on avait voulu traduire au Tribunal. (Histoire du Trib. rév., t. II, p. 121, note 1) ; il ajoute qu'il n'y a pas lieu de mettre en doute la vérité de ces paroles de Fouquier : C'est Loizerolles père qui a été dénoncé comme ayant trempé dans la conspiration Lazare : ce fait est prouvé par la dénonciation. (Histoire du Trib. rév., t. II, p. 120.)

En effet, la conspiration de prison dans laquelle fut compris Loizerolles père eut pour principale base les renseignements fournis sur les détenus de Saint-Lazare par Charles Jeaubert et Robinet, réfugiés belges, et Leymandi, espions attachés à cette prison. Or, sur la liste des prisonniers dressée par eux, on lit : Loizerolles père n'a pas cessé de lancer des sarcasmes contre la Convention et les patriotes, qu'il qualifiait d'hommes de sang. (Histoire du Trib. rév., t. II, p. 121, note 1.)

Un point sur lequel le doute ne nous semble plus possible, après les renseignements que nous venons de citer, c'est celui-ci : que le tribunal révolutionnaire entendit bien et dûment condamner Loizerolles père, et non Loizerolles fils. En effet, d'après M. Berriat Saint-Prix lui-même, Coffinhal rectifia, à l'audience, non-seulement l'acte d'accusation mais aussi le n° 5 des questions à adresser au jury, et sur ces questions il ne se borna pas à effacer le mot fils pour y substituer le mot père, il ajouta, dit le substitut Ardenne, au procès de Fouquier, l'ancienne qualité du père. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 439.)

Donc, le jury répondit sur ce qui concernait Loizerolles père, et le Tribunal révolutionnaire ne le condamna conséquemment pas à la place de son fils.

Le décret de la Convention du 14 pluviôse an III ordonnant l'annulation de la confiscation des biens de Loizerolles père, prouve également que la condamnation avait été prononcée contre le père et non contre le fils. Ce décret porte : Le jugement du Tribunal révolutionnaire du 8 thermidor est réputé non avenu contre Jean-Simon Loizerolles — le fils s'appelait François-Simon — ; il n'y a lieu à la confiscation des biens dépendant de la succession ; les scellés et séquestre qui pourraient avoir été mis seront levés sur-le-champ partout où besoin sera. (Moniteur du 17 pluviôse an III, p. 564.) Et la liste des condamnations et acquittements prononcés par le Tribunal révolutionnaire, publiée au Moniteur, porte, en effet : Du 8 thermidor... Loizerolles père, âgé de 61 ans, né à Paris, ancien lieutenant général du bailliage de l'Arsenal. (Moniteur, an II, n° 330.)

Il est évident que si Loizerolles père avait été condamné et exécuté à la place de son fils, comme dans le cas de Saint-Pern, par exemple, où le fils fut bien réellement exécuté et condamné à la place du père, ses biens n'eussent pas été confisqués, comme ils le furent, en dépit des paroles ridicules, disons mieux, impossibles que le sieur Pranville, ex-curé de Champigny, aurait attribuées plus tard à Loizerolles père : Je ne fais pas de tort à mon fils, tout le bien est à sa mère. (Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 113.) En d'autres termes : Mon fils ne sera pas ruiné, il ne perdra donc rien à ce qu'on lui sauve la vie !

C'est pourtant sur ce que ce curé de Champigny aurait appris un beau jour au fils de Loizerolles qu'a été construite toute cette fable de la substitution de personnes. Et que dire de cette affiche qui se trouve placardée à point nommé sur le passage du fils de Loizerolles, trois mois après la condamnation ? Et comment cette affiche put-elle lui donner la conviction que son père avait été condamné pour lui, puisqu'elle portait la rectification, non-seulement faite à l'audience, par Coffinhal, mais inscrite sur la liste des condamnations publiées au Moniteur, et prouvait, par conséquent, tout le contraire de ce que le fils de Loizerolles voulut absolument y voir ?

La légende qui a cours sur les Loizerolles est un chaos d'absurdités. La vérité, la voici : Le père et le fils avaient été dénoncés. Le mandat d'extraction ne portant pas d'autre désignation que Loizerolles, le père répondit à l'appel de l'huissier. Lorsqu'on amena Loizerolles devant le tribunal, Coffinhal, qui avait entre les mains l'acte d'accusation, portant la désignation de fils, fit, en voyant paraître le père, les rectifications nécessaires sur les pièces, et adressa en conséquence, au jury les questions d'usage, qui dès lors, ne pouvaient se rapporter qu'au père, lequel fut condamné.

Plus tard, Loizerolles fils, désirant ravoir les biens de son père, qui avaient été confisqués, accepta, de bonne foi peut-être, l'idée qui a servi de base à la légende, et qui lui fut suggérée sans doute par quelque ami ou quelque légiste officieux. C'était un coup de fortune pour la réaction. On fit grand bruit de la férocité des cannibales dont les vainqueurs de thermidor avaient délivré la France, et les biens confisqués furent rendus à la grande joie des contre-révolutionnaires, qui venaient de trouver, pour leur arsenal, une calomnie de plus !...

 

 

 



[1] Mot rappelé par M. de Barante, dans son Histoire du Directoire, p. 16, et tiré des Mémoires de Carnot.

[2] Encore ce chiffre est-il au-dessous de la vérité. On verra plus bas que le nombre des personnes guillotinées, depuis le 25 prairial jusqu'au 9 thermidor inclusivement, s'élève à treize cent cinquante et une.

[3] Ces chiffres, tous tirés des documents officiels, sont ceux dont Laurent Lecointre, tout ennemi mortel de Robespierre qu'il était, se servit, pour établir qu'il y avait eu un redoublement de la Terreur, dès qu'il avait cessé de se rendre au Comité. — Voyez Laurent Lecointre au peuple français, p. 129-131, dans la Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)

[4] BEAULIEU, Essai historique sur la Révolution de France, t. VI, p. 3.

[5] M. Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, liv. XX, ch. I, p. 350.

[6] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre, p. 61. Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. (British Museum.)

[7] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre, p. 61. Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. (British Museum.)

[8] Laurent Lecointre au peuple français, p. 171 — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Muséum.)

[9] Laurent Lecointre au peuple français, p. 132 et 133. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)

[10] Amar — cette justice est due à sa mémoire — se reprocha plus tard la part qu'il avait prise au 9 thermidor. Une communication qui nous est faite par un ami de sa veuve, corrobore à cet égard ces paroles de Buonarotti : Au nom de Robespierre, Amar qui au 9 thermidor en avait été un des plus ardents persécuteurs, avoua ses torts, témoigna son repentir et ne chercha à excuser sa faute qu'en alléguant l'ignorance où il prétendit avoir été des vues bienfaisantes de celui qu'il avait calomnié et immolé. (Histoire de la Conspiration pour l'Égalité.)

[11] Voyez cette séance dans le Moniteur.

[12] Moniteur, an II, 1793, n° 268.

[13] Voyez dans le volume précédent le chapitre intitulé les Proconsuls.

[14] Voyez dans le volume précédent le chapitre intitulé les Proconsuls.

[15] Mémoires de Barère, t. IV, p. 14.

[16] Réponse de Fréron aux diffamations de Moyse Bayle, p. 13. — Bibl. hist. de la Révol., 995-6-7. (British Museum.)

[17] BEAULIEU, Biographie universelle, art. Rovère.

[18] Moniteur, an II, 1794, n° 121.

[19] Voilà ce que Cambon disait à haute voix, en présence du public et de notre collègue Garnier (de Saintes), qui m'a autorisé à citer ce trait, dont il a été témoin. Laurent Lecointre au peuple français, à l'univers, à la postérité, p. 195. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Museum.)

[20] N° LI des pièces à la suite du rapport de Courtois.

Le lecteur se rappelle ce que nous avons raconté, dans l'histoire de la Vendée, des accès de folie furieuse auxquels Bourdon (de l'Oise) était sujet.

[21] Déposition de Martel, représentant du peuple, dans le procès de Fouquier-Tinville. Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 15 et 16.

[22] Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 131. — Déposition de Gommer, député.

[23] Mémoire pour Antoine Quentin Fouquier, t. XXXIV de l'Histoire parlementaire, p. 239.

[24] Procès de Fouquier-Tinville. Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 121 et 122.

[25] Mémoire pour Antoine Quentin Fouquier. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 239.

[26] Procès de Fouquier-Tinville, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 89. — Que devient, après cela, cette assertion, si rondement émise, de M. Thiers, t. V, ch. VI, p. 370 : Les cruels agents de Robespierre, Fouquier-Tinville, etc. ?

[27] Déposition d'Auvray, huissier du tribunal révolutionnaire, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 9.

[28] Déposition de Fouquier, dans son procès, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 10.

[29] Déposition de Tavernier, commis greffier du Tribunal révolutionnaire, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 4.

[30] Déposition de Dobsen, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 99.

[31] Déposition de la veuve Cornuilhière, née Saint-Pern, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 91.

[32] Déposition de Huel, gendarme, Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 93.

[33] Réponse d'Antoine-Quentin Fouquier-Tinville aux différents chefs d'accusation, p. 17, dans la Bibl. hist. de la Révol., 947-8. (British Museum.)

[34] Pour les preuves, — et elles sont décisives, — sur lesquelles s'appuie la réfutation d'une erreur si répandue, voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[35] Il est bien singulier qu'aucun de nos prédécesseurs n'y ait songé ; car cela ne fait que trop partie intégrante de l'histoire de la Révolution, hélas !

[36] L'instrument n'était pas d'invention nouvelle. Un instrument tout à fait analogue avait été employé, à une certaine époque, dans un district d'Ecosse, sous le nom de Halifax Gibbet ; et à Milan, en 1702, ce fut par une machine du même genre que fut exécuté le comte Bozelli. Voyez Croker, Essay VIII.

[37] Voyez Notice historique et physiologique sur le supplice de la guillotine, par G.D.F. (Guyot de Fère). — Recherches historiques et physiologiques sur la guillotine, et détails sur Samson, ouvrage rédigé sur pièces officielles, par Louis Dubois. — Essays on the early period of the French Révolution, by Wilson Croker, Essay VIII.

[38] M. Ch. Berriat-Saint-Prix, la Justice révolutionnaire à Paris, etc., n° VII, p.28.

[39] M. Michelet, Histoire de la Révolution, liv. XXI, ch. I, p. 421.

[40] Procès de Fouquier-Tinville, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 308.

[41] MERCIER, Le Nouveau Paris, t. II, ch. L, Insouciance.

[42] MERCIER, Le Nouveau Paris, t. III, ch. LXXXII.

[43] MERCIER, Le Nouveau Paris, t. II, ch. LII.

[44] MERCIER, Le Nouveau Paris, t. II, ch. XLV.

[45] Procès de Fouquier-Tinville, déposition de Deliège. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 314.

[46] Séance du 25 décembre 1789.

[47] La Vie et les Crimes de Carrier, par BABŒUF, p. 139, dans la Bibl. hist. de la Révol., 1049-50-51. (British Museum.)

[48] MERCIER, Nouveau Paris, t. III, ch. XCVII.

[49] Voyez les Mémoires sur les prisons, t. I. — Éclaircissements historiques, note A.

[50] Mémoires sur les prisons. Éclaircissements historiques, note E.

[51] Procès de Fouquier-Tinville, Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 367-369.

[52] Pour plus de détails sur les cimetières de la Terreur, voyez le livre de M. Michelet, auquel messieurs les employés des Archives de la préfecture de la Seine ont fourni des renseignements qu'il a présentés, lui, avec l'énergie pittoresque qui caractérise son beau talent.

[53] MERCIER, Nouveau Paris, t. VI, ch. CCXXXIV.

[54] MERCIER, Nouveau Paris, t. I, ch. XXXII.

[55] Recherches historiques et archéologiques de Fontenay-Vendée, par Benjamin Fillon, t. I, p. 480.

[56] C'est ce qu'il dit lui-même dans une brochure, citée par M. Benjamin Fillon, p. 433.

[57] Lettre de Lequinio à la Convention, citée ubi supra.

[58] Recherches historiques et archéologiques sur Fontenay-Vendée, par M. Benjamin Fillon, t. I, p. 427 et 428.

[59] Le citoyen dont il est question, père de M. Benjamin Fillon, auquel nous devons tant de précieux renseignements sur la Vendée, et à qui revient l'honneur de ce que nous avons dit de neuf sur cet important chapitre de la Révolution française, est mort le 22 avril 1858, laissant derrière lui des regrets auxquels toute la population de Fontenay s'est associée. Né au seuil de la Révolution, M. Joseph-Louis Fillon appartenait à cette époque extraordinaire. D'abord soldat, puis magistrat civil, il déploya sous un double aspect les qualités qui font un grand citoyen. Il est mort après avoir, selon l'expression de M. Dugast-Matifeux, combattu le bon combat, en donnant l'exemple de toutes les vertus que vante le philosophe et que pratique le sage.

[60] Recherches historiques, etc., passim.

[61] Recherches historiques, p. 467.

[62] Lettre de Choudieu, citée dans le rapport de Quirault, au nom de la commission des vingt et un, séance du 1er messidor an III. Moniteur, n° 274.

[63] Lettre de Choudieu, citée dans le rapport de Quirault, au nom de la commission des vingt et un, séance du 1er messidor an III. Moniteur, n° 274.

[64] Rapport de Quirault. Moniteur, messidor an III, n° 274.

[65] Rapport de Quirault. Moniteur, messidor an III, n° 274.

[66] Il avoua lui-même ce fait, dans la séance du 20 messidor 1795.

[67] Défense de Joseph Le Bon. Voyez le Moniteur, messidor an III, n° 296.

[68] Voyez, relativement à ces faits, le Moniteur, messidor an III, n° 291.

[69] Rapport de Quirault, au nom de la commission des vingt et un. Moniteur, messidor an III, n° 274.

[70] Aussi, lorsque, dans la séance du 22 messidor an III, le rapporteur de l'affaire de Joseph Le Bon parla de vols, de dilapidations, plusieurs voix s'écrièrent : C'est inutile ; il s'en est justifié, et le rapporteur reprit : Eh bien, je passe à la fin du rapport. Voyez le Moniteur, an III, n° 297.

[71] Voyez la brochure intitulée Lettres de Joseph Le Bon à sa femme, publiées par son fils Émile Le Bon, juge d'instruction de l'arrondissement de Châlons-sur-Saône, p. 126 ; 1845.

[72] Lettre de Joseph Le Bon à sa femme, ch. I.

[73] Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 220.

[74] Souvenirs d'une actrice, par madame Louise Fusil, t. II, p. 12. Bruxelles.

Il est vrai que l'auteur, qui ne peut pas comprendre qu'un révolutionnaire ne tienne point de Satan, croit avoir remarqué que la figure douce et agréable de Joseph Le Bon, avait cependant quelque chose de diabolique. — De plus, le portrait se termine par ces mots : On disait qu'il mettait du rouge.

[75] Lettre de Joseph Le Bon à sa femme, en date du 19 vendémiaire an IV de la République.

[76] Moniteur, messidor an III, n° 288.

[77] Rapport de Barère, séance du 11 messidor an II.

[78] Rapport de Barère à la Convention, 21 messidor 1794.

[79] Lettre du 26 brumaire an II de la République française.

[80] Voyez le compte rendu, lu par Jay-Sainte-Foix, dans la séance de la Convention du 28 juin (8 messidor) ; la lettre écrite à la Convention par la Société populaire de Castillon et reçue par l'assemblée le 7 juillet (19 messidor) ; et enfin les Mémoires de Louvel, p. 254 et 255.

[81] MERCIER, Nouveau Paris, t. III, ch. LXXXV.

[82] MERCIER, Nouveau Paris, t. III, ch. CVII.

[83] MERCIER, Nouveau Paris, t. III, ch. CVII.

[84] Recueil de lettres manuscrites et inédites concernant la Révolution. — C'est à M. Benjamin Fillon que nous devons communication de ce précieux recueil.

[85] Nouveau Paris, t. IV, ch. CXLVIII.

[86] En Angleterre, sous le règne de Henri VIII, un pauvre maître d'école, nommé John Lambert, fut brûlé vif, pour avoir combattu, dans une dispute solennelle contre les évêques et en présence du roi, le dogme de la présence réelle. La description de son supplice fait dresser les cheveux sur la tête. La sentence portait qu'il serait brûlé à petit feu, que ses jambes seraient consumées les premières. Les tortures qu'il endura furent telles, que, ne pouvant soutenir cette vue, quelques-uns des gardes mirent fin à l'agonie de ce malheureux, en le soulevant sur la pointe de leurs hallebardes. Voyez Goldsmith's History of England, vol. II, p. 181-183.

[87] L'original de ce document fait partie de la collection de M. de Girardot, secrétaire général de la préfecture de la Loire-Inférieure.

[88] Voyez la déclaration, non contredite, de Fouquier-Tinville. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 336.

[89] Macaulay's History of England, t. III p. 216-217.

[90] Macaulay's History of England, t. III p. 216-217.

[91] Macaulay's History of England, t. III, p. 217.

[92] Macaulay, admirateur quand même de Guillaume III, voudrait bien qu'on crût que Guillaume III signa, sans le lire, l'ordre abominable. Mais cette supposition charitable a été mise à néant par un très-savant travail inséré dans le Times du 18 décembre 1855 ; et, postérieurement à cette date, l'Edinburg Review a publié un article plein de recherches intéressantes, qui lève tous les doutes sur la responsabilité directe de Guillaume et de Marie dans le massacre de Glencoe.