HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DOUZIÈME

 

CHAPITRE II. — HORRIBLES MACHINATIONS CONTRE ROBESPIERRE

 

 

Parti pris de tout rejeter sur Robespierre ; système inique. — Robespierre s'absente du Comité pour secouer une responsabilité qui lui est odieuse. — Artifices de ses ennemis ; mot frappant de Billaud-Varenne. — Robespierre accusé d'être un mystagogue. — Basse intrigue ourdie contre lui. — Catherine Théot. — Ce qu'était réellement dom Gerle. — En quoi consistaient les relations de dom Gerle et de Catherine Théot. — Récit de dom Gerle. — Récit de Senar, espion du Comité de sûreté générale. — Conspiration mystique inventée par le Comité de sûreté générale. — Lettre à Robespierre, supposée. — Rapport de Vadier sur cette affaire ; Barère l'avait rédigé. — Le rapport, applaudi dans la Convention. — Indignation des Jacobins. — Lettre de Payan à Robespierre. — Autre machination. — Interrogatoire de Cécile Renault. — Les meneurs du Comité de sûreté générale, pourvoyeurs de l'échafaud. — Lettre du frère de Cécile Renault à Robespierre. — Madame de Sainte-Amaranthe. — Prétendues relations de Robespierre et de madame de Sainte-Amaranthe, fable ignoble. — L'acteur Trial. — Scène inventée. — Rapport d'Élie Lacoste. — Les chemises rouges, machination du Comité de sûreté générale contre Robespierre. — Exécution épouvantable préparée par les meneurs de ce Comité. — Ils triomphent du sentiment d'horreur qu'elle cause dans tout Paris. — Critique historique.

 

En développant cette accusation de dictature mise à l'ordre du jour par les tyrans, on s'est attaché à me charger de toutes leurs iniquités, de tous les torts de la fortune, ou de toutes les rigueurs commandées par le salut de la patrie. Quand les victimes de leur perversité se plaignent, ils s'excusent en leur disant : C'est Robespierre qui le veut ; nous ne pouvons nous en dispenser... On disait aux nobles : C'est lui seul qui vous a proscrits ; on disait en même temps aux patriotes : Il veut sauver les nobles. On disait aux prêtres : C'est lui seul qui vous poursuit ; on disait aux fanatiques : C'est lui qui détruit la religion. On disait aux patriotes persécutés : C'est lui qui l'a ordonné. On me renvoyait toutes les plaintes dont je ne pouvais faire cesser les causes, en disant : Votre sort dépend de lui seul. Des hommes apostés dans les lieux publics propageaient chaque jour ce système ; il y en avait dans le lieu des séances du Tribunal révolutionnaire, dans les lieux où les ennemis de la patrie expient leurs forfaits ; ils disaient : Voilà des malheureux condamnés : Qui en est cause ? Robespierre. On s'est attaché particulièrement à prouver que le Tribunal révolutionnaire était un Tribunal de sang, créé par moi seul, et que je maîtrisais absolument, pour faire égorger tous les gens de bien, et même tous les fripons, car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres. Tous les fripons m'outragent ; les actions les plus indifférentes et les plus légitimes sont pour moi des crimes ; il suffit de me connaître pour être calomnié ; on pardonne aux autres leurs forfaits ; on me fait un crime de mon amour pour la patrie. Otez-moi ma conscience, et je suis le plus malheureux des hommes[1].

 

C'est en ces termes que, dans le discours admirable qui fut son testament de mort, Robespierre a raconté lui-même le noir complot dont il allait périr victime. Et ce complot, il s'est prolongé dans l'Histoire. Ouvrez, par exemple, les Mémoires sur les prisons ; ouvrez-les au hasard, vous y lirez, t. I, p. 232 : Bergot, un des compagnons de Robespierre. Et la preuve ? — Plus bas, p. 234 : Les fureurs des Comités révolutionnaires, enfants de Robespierre. Et de quelle manière enfants de Robespierre ? — Ailleurs, p. 237 : L'administration de police, ou Robespierre, ce qui est la même chose. — Ailleurs, p. 248 : Les agents de Robespierre, détenus en apparence. Plus loin : Les détenus de Robespierre... Ainsi du reste.

Or l'homme dont, avec tant d'astuce, on proclamait l'omnipotence n'avait dans le maniement effectif du pouvoir qu'une part très-limitée. A l'exception de Saint-Just, presque toujours en mission, et du podagre Couthon, souvent absent, le Comité de salut public tout entier lui était hostile[2] ; il comptait dans le Comité de sûreté générale, sauf David et Lebas, autant d'ennemis mortels que de membres[3]. L'agent le plus redoutable du Tribunal révolutionnaire, Fouquier-Tinville, nourrissait contre lui une haine profonde[4], et c'était là certes une influence bien capable de contrebalancer celle de Dumas. Il est vrai que Robespierre, à la Commune, s'appuyait sur Payan ; mais, depuis la mort de Chaumette et d'Hébert, la Commune avait perdu son importance politique. Restaient donc le club des Jacobins, où il dominait par la parole, et la Convention, sur laquelle il n'exerçait, après tout, d'autre empire que celui de l'éloquence unie à un grand caractère. En réalité, il n'avait que les apparences d'un pouvoir dont les ressorts étaient entre les mains de ses ennemis.

Malheureusement, l'autorité morale de son nom, la supériorité de son talent, son intégrité, son attachement indomptable à la Révolution, tout concourait à faire de lui l'homme le plus en vue, et, par suite, à concentrer sur sa tête la responsabilité des malheurs publics.

Et comment la secouer, cette responsabilité terrible ? En quittant la scène pour s'ensevelir dans la vie privée ? Mais c'eût été déserter le champ de bataille avant la fin du combat, fuir le danger, renoncer au triomphe de la justice, et laisser maîtres de la situation des hommes dont quelques-uns étaient couverts de crimes. Ne valait-il pas mieux se préparer à attaquer le mal, dans un suprême effort, après avoir montré par une démarche significative qu'on le répudiait ? C'est à quoi se décida Robespierre, pressé qu'il était entre l'horreur des excès qui usurpaient son nom, et le devoir de ne pas trahir la cause révolutionnaire en s'annulant[5].

Vaine ressource ! Il eut beau s'absenter du Comité de salut public, cette absence, attribuée par les uns au dépit de l'orgueil blessé, et interprétée par les autres comme une menace, ne fit que mettre ses ennemis, de l'un et de l'autre Comité, plus à l'aise pour multiplier leurs coups, et ne les empêcha pas de continuer de dire : C'est Robespierre qui le veut !

Ce qu'il voulait, et il ne s'en cacha point, c'était le châtiment exemplaire de certains agents impurs de la Terreur, tels que Voulland et Vadier[6] ; ce qu'il voulait, c'est qu'à certains proconsuls, tels que Carrier, Fouché, Fréron, Barras, on demandât compte de la tyrannie qu'ils avaient exercée dans les départements[7]. Mais une solidarité trop étroite liait Collot-d'Herbois et Barère aux Fouché, aux Vadier, aux Voulland, pour que les premiers consentissent à abandonner les seconds ; et, quant à Billaud-Varenne, c'était avec une sincère et sombre sollicitude que, dans la personne de tous les Terroristes connus, il protégeait le Terrorisme.

Inutile de demander si le secret des délibérations du Comité de salut public fut gardé. Ceux à qui Robespierre imputait d'avoir déshonoré la Révolution en furent avertis, jurèrent sa perte, et recoururent, pour la préparer, à d'infâmes artifices.

Un mot bien frappant a échappé à Billaud-Varenne, après le 9 thermidor ; le voici : Parlons franchement, et convenons qu'attaquer Robespierre plus tôt, c'eût été, aux yeux de l'opinion égarée, attaquer la patrie[8]. Ainsi, on pouvait bien le rendre odieux aux victimes de la Terreur, on pouvait bien le charger du poids des excès mêmes qu'il déplorait et voulait arrêter ; mais l'attaquer dans son honneur, dans sa probité, dans son dévouement absolu à la cause du peuple, voilà ce qui paraissait impossible à ses ennemis ; et, avec une anxiété croissante, ils se mirent à chercher en lui quelque point vulnérable.

Ce qui les irritait le plus, c'était l'empire qu'il exerçait sur les femmes ; et, comme il n'avait rien de ce qui, vulgairement, explique cet empire, ils voulurent y voir un sentiment qui tenait de la dévotion ; si bien que le mot dévotes de Robespierre devint une de leurs expressions favorites. On se rappelle l'accusation de Louvet, et la réponse foudroyante qu'elle provoqua, réponse qui n'avait aucune espèce de rapport ni aux prêtres ni à la religion. Eh bien, le fait suivant, raconté par Vilate, donnera une idée des manœuvres employées contre Robespierre, même du temps des Girondins : Quand, sur l'accusation de Louvet, il débita sa défense à la Convention nationale, les tribunes étaient remplies d'une foule prodigieuse de femmes extasiées, applaudissant avec le transport de la dévotion. A l'issue de la séance, je me trouvai près du café Debelle avec Rabaud-Saint-Étienne. Quel homme que ce Robespierre avec toutes ses femmes ! C'est un prêtre qui veut devenir Dieu. Entrés au café Payen, nous abordâmes Manuel, qui n'aime pas les rois, car ce ne sont pas des hommes ; il dit : Avez-vous vu ce Robespierre avec toutes ses dévotes ? Rabaud reprend : Il faut un article demain dans la Chronique, et le peindre comme un prêtre[9]...

De sorte qu'il fallait le peindre comme un prêtre, parce qu'un discours de lui, exclusivement politique, avait excité l'enthousiasme des femmes présentes à la séance où il fut prononcé !

Or, si telle avait été la tactique des ennemis de Robespierre, même avant son rapport sur la fête de l'Être suprême, on pense bien que cette tactique ne fut point abandonnée après. Vainement avait-il flétri le charlatanisme des prêtres, bafoué les superstitions de tout genre, traduit les fanatiques à la barre de la raison, et basé la reconnaissance de l'Être suprême sur des considérations politiques et sociales où n'entrait pas le moindre grain de mysticisme : ses détracteurs n'étaient pas gens à s'arrêter pour si peu ! Comment ! Il croyait en Dieu ! Mais quoi de plus clair ? Il y avait du prêtre en lui. Quel autre qu'un prêtre eût pu dire : Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer ? Quel autre qu'un prêtre eût pu consentir à présider la Convention le jour de la Fête de l'Être suprême ? Et puis, on avait remarqué qu'aux Jacobins, c'était souvent du milieu des femmes que partait le signal des applaudissements qu'on lui prodiguait[10] ; donc, pas de doute possible : c'était un prêtre, et, qui pis est, un mystagogue !

On comprend ce qu'une semblable accusation renfermait de venimeux, chez un peuple que Voltaire avait marqué à l'empreinte de son merveilleux génie ; d'autant qu'on prenait soin de prononcer en même temps ce mot meurtrier : dictature. Mais un prêtre-dictateur, c'est pire qu'un roi, c'est un pape. Et voilà par quelle série de déductions astucieuses on arrivait à opposer à la Révolution son plus dévoué défenseur, un homme dont tout le mysticisme consistait, comme celui de Jean-Jacques, son maître..., à croire en Dieu et à le dire[11] !

Toutefois, il fallait un fait pour donner du corps à es imputations : on eut recours à une véritable ignominie.

Il y avait à Paris une vieille femme, nommée Catherine Théot, qui, se prétendant prophétesse et Mère de Dieu, se livrait dans son coin, depuis longues années, à des momeries dont, déjà en 1779, la police avait eu la puérilité de s'occuper. On la mit alors à la Bastille ; on l'interrogea ; et son interrogatoire, qui existe, est un parfait certificat d'insanité[12]. Aussi fut-elle transférée de la Bastille dans une maison de fous, d'où elle sortit en 1782. Bientôt, la Révolution éclatant, l'imagination de cette pauvre idiote s'exalta au point qu'elle ne mit plus en doute sa vocation céleste ; et, comme il arrive en matière de religion, sa folie fit quelques prosélytes. Au nombre des visiteurs de Catherine Théot était l'ex-chartreux Christophe Gerle, ancien constituant, bon homme, très-naïf, faible d'esprit, excellent patriote d'ailleurs, et fort attaché à la Révolution. Non content d'opiner pour la suppression de l'état monastique, il avait été le premier à se soumettre aux décrets relatifs au clergé, le premier à prêter les serments requis, à quitter le costume ecclésiastique, à cesser les fonctions de prêtre ; et ce qui prouve qu'en tout cela il était sincère, c'est qu'il avait toujours montré le désintéressement le plus absolu, jusque-là qu'il refusa le vicariat de l'évêché de Meaux[13].

Il est vrai qu'à l'Assemblée constituante, quand la Révolution était encore dans ses langes, il avait présenté en faveur de la religion catholique une motion que Bonnal et Cazalès appuyèrent ; mais, le lendemain même, éclairé par les représentations de ses collègues de la gauche, il s'était empressé de la retirer, au grand désappointement des gens d'Église[14]. Et dès ce moment, gagné de plus en plus à l'esprit nouveau, il n'avait cessé de figurer parmi ceux des Jacobins dont le patriotisme était inattaquable[15]. De là l'attestation de civisme obtenue par lui de Robespierre, avec qui, du reste, il n'avait jamais été lié, et dont les amis lui étaient si étrangers, qu'il ne connaissait pas Saint-Just, même de vue[16].

Eh bien, qui le croirait ? un certificat de civisme donné par Robespierre à un membre du club des Jacobins, à un patriote reconnu pour tel, à un homme qui en était venu à ne professer d'autre croyance que la croyance en Dieu[17], et dans les papiers duquel on trouva des vers qui commençaient ainsi : Ni culte, ni prêtre, ni roi[18], tel devint, de la part du Comité de sûreté générale, dans ses machinations contre Robespierre, le pivot de l'intrigue la plus basse qui fut jamais.

Informé qu'il se tenait chez Catherine Théot des réunions d'un caractère superstitieux, et que dom Gerle la fréquentait, les meneurs du Comité de sûreté générale, de concert avec Barère, bâtirent là-dessus l'échafaudage d'une prétendue conspiration mystique dont ils espérèrent tirer parti pour couvrir tout au moins Robespierre de ridicule, en y mêlant implicitement son nom.

En quoi consistaient les relations de dom Gerle avec Catherine Théot ? Voici ce qu'il en a dit lui-même :

Je connaissais cette femme depuis plus de deux ans ; et le matin, quand je sortais, j'entrais chez elle pour lui dire le bonjour ; je restais un quart d'heure et me retirais. L'origine de la connaissance que je fis de cette femme était celle-ci : j'entendis parler d'une femme qui, depuis nombre d'années, combattait la doctrine des prêtres et leur présageait une chute prochaine : je voulus la connaître. J'ai trouvé chez elle un mélange de vrai et de faux. Mais elle portait au suprême degré l'amour de la patrie, la soumission aux lois, et jamais, dans les conversations, on ne s'entretenait de révolutions. Dans le dernier mois, j'avoue que j'ai aperçu chez elle des hommes dont la figure était nouvelle pour moi, et j'ai vu, par tout ce qui s'est passé depuis, que ces gens-là, malintentionnés et voulant trouver un rassemblement où il n'y en avait pas l'ombre, étaient forcés de le former eux-mêmes. Ce qu'on a raconté de baisers des sept dons, de sucement du menton, est si ridicule, que je n'ai rien à répondre. Je me réduis à dire que, quand j'allais chez elle, je la baisais au front ou sur les joues, voilà tout. S'il y en a eu davantage pour les autres, cela les regarde. L'histoire de la conspiration est une invention d'un bout à l'autre[19].

 

Tel est, dans toute sa naïveté, le récit de dom Gerle, récit probablement incomplet, mais qui donne la clef des manœuvres du Comité de sûreté générale, par la dénonciation de ces hommes qui, voulant trouver un rassemblement où il n'y en avait pas l'ombre, étaient forcés de le former eux-mêmes.

Et en effet, la nouvelle église de la Mère de Dieu se composait en partie... de qui ? d'espions aux gages du Comité de sûreté générale. Laissons parler Senar qui fut, avec Héron[20], le principal instrument de cette intrigue. En supposant même la relation de Senar véridique, rien de plus propre à flétrir l'hypocrisie de ceux qui, dans des momeries de béate imbécile, signalèrent un dangereux complot ourdi contre l'existence de la République :

L'indicateur du rassemblement, raconte Senar, m'introduisit sous prétexte de me faire recevoir comme frère de la Synagogue. Nous convînmes d'affecter un air dévot et que je me dirais de la campagne. Nous entrâmes dans une espèce d'antichambre. Arriva un homme vêtu d'une robe blanche. On nous dit : Frères et amis, asseyez-vous. Mon conducteur fut introduit seul dans une pièce à côté, et revint peu après avec une femme qui me dit : Venez, homme mortel, venez vers l'immortalité. Je riais intérieurement de ces singeries, et je gardais, extérieurement, un sérieux d'admiration. Je fus introduit dans l'appartement de la Mère de Dieu. Une femme arriva, et, quoiqu'il fût huit heures du matin et que l'appartement fût éclairé, elle alluma un réverbère à trois branches, plaça dessous un fauteuil, et mit un livre sur ce fauteuil. On regarda à la pendule et l'on dit : L'heure s'avance ; la Mère de Dieu va paraître. On sonna, et alors sortit de dessous une alcôve fermée par deux rideaux blancs une vieille femme qu'on soutenait sous les bras et dont les mains et la tète étaient dans un tremblement perpétuel. On la monta dans un grand fauteuil, on l'assit ; les deux femmes qui la conduisaient baisèrent sa pantoufle, ses deux mains, et se relevèrent en disant : Gloire à la Mère de Dieu ! Puis on lui donna pour déjeuner une tasse de café au lait, avec des tartines... Survint Gerle, le Chartreux. Il s'agenouilla, baisa la joue de la Mère de Dieu, qui lui dit : Prophète de Dieu, prenez séance. Une femme nommée Geoffroy remplissait un rôle qu'on appelait celui de l'Eclaireuse ; elle prit le livre placé sur le fauteuil, et le plaça, au milieu des récipiendaires, près de Gerle. Plus bas, sur un autre siège, était une belle femme blonde que l'on nommait la Chanteuse, et, de l'autre côté, une superbe femme brune, jeune, fraîche, désignée sous le nom de Colombe...

Ici Senar raconte comme quoi les assistants jurèrent soumission aux prophètes de Dieu, et, après avoir cité un passage inintelligible de l'Apocalypse dont il prétend que l'Éclaireuse fit lecture, il ajoute :

Gerle leva les mains. Alors on nous conduisit à la Mère de Dieu, et là, à genoux sur un gradin, une femme me prit la tête, et Catherine Théot me dit : Mon fils, je vous reçois au nombre de mes élus ; vous serez immortel. Puis elle me baisa le front, les oreilles, les joues, les yeux, le menton, et prononça les mots sacramentels : La Grâce est diffuse[21]...

On devine la conclusion de ces incroyables bouffonneries. Des agents de police avaient été apostés dans le voisinage.

J'ouvris une fenêtre, continue Senar, je donnai le signal, et à l'instant accoururent les observateurs — c'est le mot pudique dont il se sert — et la force armée[22].

Les quelques niais qui étaient là furent arrêtés en grande pompe ; on fit semblant de fouiller partout avec anxiété, comme pour découvrir des papiers importants, qui, cela va sans dire, ne furent pas découverts[23] ; mais ce que les agents du Comité de sûreté générale trouvèrent naturellement dans le lit de la Mère de Dieu, ce fut une lettre qu'ils y avaient eux-mêmes glissée, lettre où Robespierre était appelé le Fils de l'Être suprême, le Verbe éternel, le Messie désigné par les prophètes[24]. Vilate, que ses conversations avec Barère mirent au courant de cette machination ignoble, écrit : Il ne faut pas croire que cette lettre fût de la main de Catherine Théot ; la vieille béate ne savait pas même signer son nom[25].

 

Ainsi, pour mêler le nom de Robespierre à un prétendu complot de contre-révolution mystique ; pour faire de lui le complice d'une vieille folle qu'il ne connaissait pas ; en un mot, pour le livrer à la risée publique comme pape et comme Messie, on avait... le certificat de civisme et la lettre ; sans compter que, ainsi que lui, dom Gerle demeurait chez un menuisier[26] : quelle coïncidence frappante ! Et comment, après cela, conserver des doutes ! En vérité, on rougit d'avoir à raconter de telles choses.

Restait à donner à cette ridicule affaire le plus d'importance et de retentissement possible : Vadier fut chargé du rapport, et ce fut Barère qui, en secret, le rédigea[27]. La sibylle se nommait Théot : pour mieux lier la farce dont elle était l'héroïne à la proclamation de l'Être suprême, Barère substitua dextrement au nom de Théot celui de Théos (en grec Dieu), et il présenta son thème de manière à mettre Robespierre en scène, sans le nommer.

Or il advint que ce dernier occupait précisément le fauteuil, lorsque, le 27 prairial (15 juin), Vadier parut à la tribune, affectant un air sérieux et froid, destiné à rendre d'autant plus piquante la lecture qu'allait faire. Dans ce travail, tout avait été défiguré ou exagéré avec un singulier mélange d'étourderie et d'astuce. Dom Gerle y apparaissait sous les traits d'un moine hypocrite, calculateur et plein de prestiges ; on y rappelait complaisamment sa motion en faveur de l'Église catholique, mais sans ajouter qu'il l'avait retirée presque aussitôt, et l'on passait sous silence toutes les marques de patriotisme qu'il avait données[28] ; on y multipliait à plaisir le nombre des dévots engoués de la vieille diseuse de bonne aventure, tandis qu'en réalité ce nombre s'élevait à trente ou quarante idiots, femmes, vieillards et enfants[29] ; on y faisait figurer parmi les initiés beaucoup de militaires[30], lesquels en réalité se réduisaient à un vieux soldat borgne[31] ; on y donnait comme autant de preuves d'un complot contre-révolutionnaire certains bijoux et livres, — trouvés, non pas même chez Catherine Théot, mais chez une marquise de Chastenois, accusée, elle aussi, de se livrer à des pratiques superstitieuses, — savoir les prophéties de Nostradamus, un portrait de Marie-Antoinette, une médaille représentant Lucifer terrassé par l'archange Michel, un livre de sorcellerie, intitulé Les clavicules du rabbi Salomon[32], etc., etc. Il va sans dire que le rapporteur appuyait avec délices sur le côté burlesque des scènes auxquelles le galetas de la pythonisse avait servi de théâtre. Et pendant ce temps, ce n'étaient le long des bancs de l'Assemblée qu'applaudissements railleurs, violents éclats de rire[33] ; et tous les regards de se porter sur Robespierre, cloué sur son fauteuil, obligé de présider lui-même à ces pasquinades indécentes, condamné enfin au supplice d'en dévorer l'outrage. Vadier conclut en demandant que dom Gerle, Catherine Théot, un médecin nommé Lamotte, la veuve Godefroy, et la marquise de Chastenois, fussent traduits au Tribunal révolutionnaire. C'est ce que l'Assemblée décréta, ordonnant, en outre, l'envoi du rapport aux armées et à toutes les communes de la République[34].

Le soir même, encouragé par son succès, Vadier court lire son rapport aux Jacobins. Mais quel fut son désappointement, de n'y rencontrer que visages sombres, et de n'entendre retentir autour de lui que murmures[35] ! Il sentit que là l'intrigue était percée à jour.

Cependant, Fouquier-Tinville se préparait à porter l'affaire au Tribunal révolutionnaire, lorsque l'ordre de la différer lui fut donné par Robespierre, au Comité de salut public, et au nom de ce Comité[36]. Fouquier, dont cette intimation déconcerte les antipathies, ne manque pas d'insister ; il représente qu'il y a un décret, qu'il faut l'exécuter, et, ne pouvant se faire entendre ce jour-là, comme il l'a raconté lui-même, il va rendre compte au Comité de sûreté générale de ce qui vient de se passer. Les mots dont il se servit sont caractéristiques ; ils rentrent dans le système de calomnie employé alors contre Robespierre, par ses ennemis : Il, il, il, au nom du Comité de salut public, s'y oppose. — C'est-à-dire Robespierre, répliqua un des membres, Amar ou Vadier[37].

La chose n'alla pas plus loin : le coup était porté.

C'est ce que sentirent amèrement les partisans de Robespierre, et Payan lui écrivit, à cette occasion, une longue lettre, où il l'engageait d'une manière pressante à combattre la mauvaise impression que le rapport de Vadier pouvait avoir produite, par un autre rapport conçu à un point de vue élevé, vaste, philosophique, présentant le tableau de toutes les factions et indiquant le lien qui les unissait. Dans cette lettre de Payan, remarquable à divers titres, l'inconvénient de laisser le pouvoir révolutionnaire flotter entre deux Comités était signalé avec beaucoup de sagacité et de force. Les meneurs du Comité de sûreté générale y étaient peints comme des hommes dont la portée politique était loin de justifier l'ambition. La nécessité de l'unité d'action, et, par conséquent, celle de subordonner entièrement le Comité de sûreté générale au Comité de salut public, y était vivement mise en relief. Il faut, continuait Payan, attaquer le fanatisme, donner une nouvelle vie aux principes sublimes développés dans votre rapport sur les idées religieuses ; faire disparaître les dénominations de la superstition, ces Pater, ces Ave, ces épîtres prétendues républicaines ; organiser les fêtes publiques ; favoriser surtout l'opinion éclairée du peuple qui prend la Mère de Dieu pour une folle ; frapper néanmoins les auteurs, les imprimeurs, les journalistes et Bouland, qui ont profité de cette circonstance pour défigurer la fête à l'Être suprême ; punir aussi quelques défenseurs officieux, Chauveau-Lagarde, par exemple, duquel j'ai une pièce parlante contre Marat ; attaquer tous ceux qui ont essayé de pervertir la morale publique, renverser enfin Bourdon et ses complices 1[38]. Payan insistait pour que Robespierre ne perdît pas de temps ; car, selon lui, l'heure du danger allait sonner.

Il voyait juste en ceci : l'intrigue qui vient d'être retracée fut suivie d'une autre d'un caractère encore plus criminel : celle des Chemises rouges.

On se rappelle la tentative d'assassinat commise par Admiral sur la personne de Collot-d'Herbois, et la visite étrange faite à Robespierre par Cécile Renault, le même jour. Le crime d'Admiral n'était pas nié : l'assassin s'en vantait ; et, quant à Cécile Renault, ses propres déclarations ne permettaient guère de doute. Citons son interrogatoire par Dobsen, Fouquier-Tinville et Josse.

Quelles étaient vos opinions ?Je voulais un roi. — Comment pensiez-vous que la royauté pût être rétablie ?Par le succès des Puissances coalisées. — N'aviez-vous pas le dessein de concourir au rétablissement de la royauté ?Oui. — Comment ?Par des secours en argent, et par les moyens en mon pouvoir. — Quel était votre but en allant chez Robespierre ?De lui parler. — Quel était l'objet sur lequel vous vouliez parler à Robespierre. — Je ne veux donner à cet égard aucune explication. — N'aviez-vous pas deux couteaux ?Oui. — N'aviez-vous pas dessein de vous en servir pour l'assassiner ?Non. Au surplus, vous pouvez en juger comme il vous plaira. — Je vous somme de nouveau de déclarer pourquoi vous êtes allée chez Robespierre. — Je n'en dirai pas davantage ; c'est à vous de deviner le reste[39]. Déjà, par la plus sanglante des ironies, Cécile Renault avait dit : J'avais intention de lui demander des instructions sur l'affermissement de la République ![40] Elle déclara que, pour renverser le gouvernement républicain et aider au triomphe des armées coalisées, elle aurait vendu jusqu'à ses hardes[41].

Avant de pousser plus loin, nous devons remarquer que Robespierre demeura complètement étranger à l'instruction dont le tableau va être présenté. D'abord, c'était l'affaire du Comité de sûreté générale, composé de ses plus implacables ennemis, et le récit de Senar, agent de ce Comité, suffirait seul pour prouver que tout fut concerté entre les Voulland, les Jagot, les Louis (du Bas-Rhin), etc. Ensuite, qu'on lise d'un bout à l'autre, soit les papiers produits plus tard contre Robespierre, soit l'ensemble des documents publiés sous le titre de Chemises rouges, et l'on n'y découvrira pas la moindre trace de son intervention. Comment, d'ailleurs, eût-il pu n'être pas étranger à une procédure qui, ainsi qu'on va le voir, ne fut qu'une abominable machination dont le but était de le perdre ?

Cécile Renault avait contre elle ses aveux et la loi. Ce qu'elle avait pour elle, c'était sa jeunesse, sa qualité de femme, son courage : considérations puissantes sans doute, mais peu de nature à toucher le cœur d'un Vadier, d'un Voulland, d'un Jagot, d'un Fouquier-Tinville.

Chargés, par la nature même de leurs fonctions, de tout ce qui concernait la haute police politique, les meneurs du Comité de sûreté générale et l'accusateur public ne se contentèrent pas de destiner Cécile Renault à la guillotine : ils lui cherchèrent partout des complices. Coup sur coup, ils firent arrêter :

Le père et le frère de la jeune fille, parce que, en fouillant leur maison, on y trouva deux tableaux représentant Louis XVI et Marie-Antoinette[42] ;

Un maître d'école nommé Cardinal, parce que, huit jours après l'attentat d'Admiral, il s'était exprimé d'une manière injurieuse sur le compte de Robespierre[43] ;

Un chirurgien nommé Saintanax, parce que, à la nouvelle du danger couru par Collot-d'Herbois, il s'était répandu, dans un café de Choisy-sur-Seine, en propos diffamatoires et menaçants à l'égard de Robespierre et de Collot[44] ;

Un certain Pain d'Avoine, parce que, le 3 ou le 4 prairial, il avait dîné avec Admiral[45] ;

Une dame Lamartinière, parce que, maîtresse d'Admiral, elle avait retiré chez elle les meubles de son amant, la veille de l'attentat[46] ;

Un nommé Portebœuf, parce que, en apprenant l'arrestation de l'assassin, il s'était échappé à dire : C'est bien malheureux[47] ;

Et enfin, une dame Crécy Lemoine, parce que c'était en sa présence que Portebœuf avait parlé[48].

Cécile avait deux frères à l'armée : ils furent sur-le-champ mandés à Paris et jetés en prison[49] !

Il semble que ces avides pourvoyeurs de l'échafaud eussent pu s'arrêter là ; mais non : sachant qu'il n'était pas une goutte de sang versé dont l'opinion publique, égarée, ne fût prête à rendre Robespierre responsable, ils imaginèrent de faire de Cécile Renault l'agent d'une vaste conspiration, de manière à rendre son supplice effroyablement solennel, et à présenter Robespierre comme un tyran à la conservation duquel on était forcé d'immoler victimes sur victimes.

Et n'est-ce pas aussi pour perpétuer cette impression que des historiens font mourir sur la guillotine les deux frères de Cécile Renault[50] ? Or, non-seulement cela est faux, mais il est à remarquer que ce fut à Robespierre lui-même que l'un des deux frères, quartier-maître du 2e bataillon de Paris, confia le soin de protéger et de défendre son innocence. La lettre existe. Ce que Robespierre fit en ces circonstances, on l'ignore, ses ennemis ayant eu le pouvoir de supprimer tout ce qui aurait honoré sa mémoire[51] ; mais ce qui est certain, c'est que les deux frères de Cécile Renault ne périrent pas, d'où il est permis de conclure qu'ils durent, sinon leur liberté immédiate, — elle leur fut rendue le 1er fructidor seulement, — au moins leur vie, à cet appel du jeune Renault : Robespierre, tu es généreux, sois mon avocat[52].

Nous avons mentionné dans un des précédents chapitres les manœuvres contre-révolutionnaires du baron de Batz, de l'épicier Cortey, du commissaire Michonis. A l'époque où, pour déjouer les recherches de la police, le baron de Batz avait à Paris plusieurs domiciles, il avait logé rue Helvétius, chez un nommé Roussel. On le sut ; et ce dernier, soumis à un interrogatoire, déclara qu'il avait connu le baron de Batz chez l'actrice Grand-Maison ; que celle-ci, avec laquelle le baron avait des liaisons de plaisir, possédait à Charonne une maison de campagne que fréquentait, entre autres personnes, le marquis de Guiche, caché sous le nom emprunté de Sévignon ; que de Batz entretenait une active correspondance ; qu'il découchait souvent ; qu'il passait pour fort aisé[53]... Dans tout cela, pas un mot qui indiquât le moindre rapport entre les menées de l'insaisissable conspirateur et l'affaire de Cécile Renault, affaire qui elle-même ne semblait avoir avec l'attentat d'Admiral qu'un rapport de coïncidence. Et cependant le Comité de sûreté générale s'empressa d'amalgamer les causes, à l'aide de cette formule générique : Conjuration de l'étranger. Dans cette conjuration, il eut soin de comprendre, pour lui donner encore plus d'éclat, le jeune Laval de Montmorency, le prince de Rohan-Rochefort, le comte de Pons, le vicomte de Boissancourt, Sombreuil, son fils, et enfin, par un raffinement de perfidie qu'il nous reste à expliquer, toute la famille Saint-Amaranthe[54].

Madame de Saint-Amaranthe, née Saint-Simon d'Arpajon, avait épousé M. de Saint-Amaranthe, officier de cavalerie. Le ménage ne fut pas heureux. Le mari était débauché, la femme coquette. Saint-Amaranthe, ruiné, disparut un beau jour et alla mourir en Espagne, cocher de fiacre, selon quelques-uns ; d'autres disent qu'il revint à Paris, où il exerça le métier de boutonnier. Sa femme, restée veuve de fait, se consola ; elle eut des amants, entre autres le vicomte de Pons, et l'on trouve sur cette liaison, dans les Mémoires du comte Alexandre de Tilly, des détails qui, à les supposer authentiques, ne sont pas de nature à figurer ici[55]. Une chose est certaine, toutefois, c'est qu'au commencement de la Révolution, madame de Saint-Amaranthe avait la réputation d'une femme galante. Elle était belle, et avait une fille plus belle encore. L'Almanach des honnêtes femmes, espèce de calendrier obscène publié en 1790, met mademoiselle de Saint-Amaranthe au rang des jeunes filles très-émancipées, et c'est sous ce jour qu'elle est présentée, en termes du reste qui ne veulent pas être malveillants, soit dans le Journal général de la cour et de la ville, connu aussi sous le nom du Petit Gautier, soit dans la Chronique scandaleuse, journal royaliste rédigé par Champcenetz, Tilly et Rivarol. La Révolution survenant, les dames de Saint-Amaranthe continuèrent le même genre de vie ; seulement, leur société changea. Au lieu de comtes et de marquis, elles reçurent des représentants du peuple, qu'elles surent attirer par leur beauté et retinrent par toutes les séductions d'une vie de plaisir. On faisait chez elles bonne chère ; on y jouait, et très-gros jeu. Dès 1789, Mirabeau est signalé comme ayant perdu au creps, chez madame de Saint-Amaranthe, une somme de deux mille louis. Plus tard, dans les salons que la dame occupait, au Palais-Royal, n° 50, indépendamment de son habitation de la rue Vivienne, n° 7, on vit affluer et se mêler aux acteurs Fleury, Elleviou, Trial, tous les révolutionnaires de mœurs faciles ou légers de scrupules : Danton, par exemple, Chabot, Desfieux, Héraut de Séchelles. Successivement, le n° 50 devint un réceptacle de patriotes douteux, de libertins à la mode et d'escrocs de bon ton[56]. Desfieux était un des principaux souteneurs de la banque[57], et Chabot se montrait fort assidu aux soupers fins. C'était à l'époque où ce dernier faisait partie du Comité de sûreté générale : aussi parvint-il sans peine à détourner l'effet de plusieurs dénonciations dirigées contre le tripot qu'abritait son patronage[58].

Madame de Saint-Amaranthe, d'ailleurs, ne négligeait rien, à ce qu'il paraît, pour se protéger elle-même, jusque-là qu'elle avait des espions à sa solde[59]. Sartine, fils de l'ancien lieutenant de police, et déjà décrié pour ses mœurs bien avant la Révolution[60], épousa mademoiselle de Saint-Amaranthe, qui n'en continua pas moins à faire les honneurs du salon de sa mère, dont l'amant était connu dans la maison sous le nom d'Eugène[61].

Maintenant, que les ennemis de Robespierre aient osé inventer la fable, prodigieusement absurde, qui le montre se faisant introduire par l'acteur Trial dans une maison de cette espèce, y soupant, s'y enivrant et y laissant échapper au milieu des fumées du vin de redoutables secrets, voilà ce qui est incompréhensible ; mais ce qui confond l'esprit, c'est qu'une pareille fable se soit répandue, ait été recueillie, et se lise dans certains livres qui se piquent d'être sérieux[62]. L'acteur Trial, qui, dans cette pitoyable invention, joue le rôle d'introducteur de Robespierre, ne cessa d'opposer à la calomnieuse rumeur dont il s'agit, et cela, même après le 9 thermidor, les plus énergiques, les plus solennels démentis ; et quant à son intimité avec Robespierre, on en peut juger par ce fait qu'il fut un de ceux qui, le 9 thermidor, déployèrent contre lui le plus de zèle. Ceci, du reste, ne lui profita guère. Aux yeux des réactionnaires triomphants, sa persévérance à confondre une imposture qui servait leurs fureurs fut un crime irrémissible ; ils montèrent une cabale pour le chasser de la scène à force de sifflets, et le malheureux en mourut de chagrin[63].

Mais de l'incroyable audace du mensonge en question une preuve existe, plus décisive encore. Les inventeurs de la scène où ils font figurer le monstre qui se met en pointe de vin ont commis l'inadvertance de placer cette scène à l'époque où il fut question de la conspiration du baron de Batz, c'est-à-dire dans les premiers jours de prairial. Or il était difficile qu'à cette époque madame de Saint-Amaranthe reçût Robespierre à sa table, par la raison bien simple qu'elle et sa fille étaient alors en prison !... Elles avaient en effet été arrêtées près de deux mois auparavant, sur la proposition du Comité révolutionnaire de la Halle au Blé, et sur la dénonciation circonstanciée de Chrétien, délégué de la Convention aux Îles-du-Vent[64]. On lit dans les Mémoires d'un prisonnier de ce temps-là : Dans les premiers jours de floréal, on amena de Sainte-Pélagie à la prison des Anglaises douze prisonnières au nombre desquelles se trouvaient les citoyennes Saint-Amaranthe[65].

Ainsi l'on a représenté Robespierre s'enivrant vers la fin du mois de mai chez une femme qui avait été arrêtée à la fin du mois de mars, et qui, au commencement du mois d'avril, avait été transférée de Sainte-Pélagie à la prison des Anglaises, qu'elle ne quitta plus que pour aller à l'échafaud.

Mais quoi ! le sombre, l'austère, le sobre, le circonspect Robespierre égarant sa vertu dans une maison de jeu, se risquant au milieu des amours, et confiant les secrets de sa politique à des femmes galantes, dans une orgie... c'était une histoire si piquante, surtout rapprochée de la lettre découverte dans le lit de la prophétesse Théot ! Elle eut donc cours, en dépit de sa monstrueuse absurdité ; et le Comité de sûreté générale, par la perfidie avec laquelle il impliqua les Saint-Amaranthe dans le procès intenté à Cécile Renault, fournit un affreux complément à la calomnie. Puisque Robespierre s'était livré à table, quoi de plus clair ? rendu à lui-même, il avait dû craindre les révélations et cherché à faire disparaître les témoins ; dès lors, tout était parfaitement expliqué : la Saint-Amaranthe périssait victime de la nécessité où était le monstre d'effacer à jamais les vestiges de ses déportements !

Les choses préparées de la sorte, ce fut Élie Lacoste, un des membres du Comité de sûreté générale, et un des plus hardis ennemis de Robespierre, qui se chargea de porter à la Convention le rapport relatif à la Conjuration de l'étranger. Ce rapport constatait, à côté d'assertions sans preuves, plusieurs faits vrais, et n'était pas, ainsi qu'on s'est trop plu à le dire, un pur roman ; mais il avait cela d'horrible, qu'il confondait dans la même accusation, comme coupables du même crime, des personnes entièrement étrangères l'une à l'autre, et rapprochait madame de Saint-Amaranthe de Cécile Renault. Violent, cruel coup de parti, s'écrie avec raison un illustre historien de nos jours, de placer juste au milieu des assassins de Robespierre ces femmes royalistes qu'on disait ses amies, pour que leur exécution l'assassinât moralement[66].

La liste lue par Élie Lacoste[67], comprenait quarante et un noms : on y en ajouta successivement huit autres, de sorte que, le matin du jour où les accusés devaient comparaître devant le Tribunal révolutionnaire, leur nombre s'élevait à quarante-neuf.

Ce jour-là, quelques instants avant l'ouverture de l'audience, une lettre est remise au président ; elle était signée : ci-devant comte de Fleury, et se terminait par ces mots : Tremblez, vils monstres ! le moment arrive où vous expierez tous vos forfaits[68]. L'auteur demandait à être mis en jugement avec ses amis. Fouquier-Tinville venant à entrer : Tiens, lui dit le président, lis ce poulet que je viens de recevoir. Fouquier aperçoit sur la suscription le mot pressé, et s'écrie aussitôt : Eh bien, puisque ce monsieur est pressé, il faut l'envoyer chercher. Et il en donna l'ordre[69].

L'audience s'ouvrit à dix heures, le 29 prairial (17 juin). Quatre administrateurs de police, Froidure, Soulès, Dangé et Marino, étaient, en cet instant, au greffe des huissiers, avec le comte de Fleury, qu'on venait d'amener. Fouquier-Tinville fait signe qu'on les introduise tous, ensemble. A leur entrée dans la salle, les administrateurs saluent le président ; mais quelle est leur surprise, lorsque tout à coup Fouquier-Tinville demande acte de l'accusation qu'il déclare porter contre eux[70] ! Ceci était un nouveau coup de poignard à l'adresse de Robespierre. L'arrestation inattendue de ces hommes, connus pour être ses ennemis personnels, quoique rangés dans la classe des patriotes, tendait à accréditer de plus en plus l'opinion que l'ordonnateur et le bénéficiaire de ce drame sanglant, c'était lui[71].

Le procès ne fut pas long, devant avoir lieu sous l'empire des formes, odieusement expéditives, consacrées par la loi du 22 prairial. Si l'affaire eût pu être publiquement discutée, si les prévenus eussent été admis à faire entendre leurs défenseurs, nul doute qu'on n'eût percé à jour la trame que les meneurs du Comité de sûreté générale avait ourdie ; mais non, la possibilité d'égorger les prévenus rapidement et dans l'ombre fit qu'on les égorgea selon le plan et en conformité avec les vues des artificieux ennemis de Robespierre ; de sorte qu'il se trouva avoir forgé, dans la loi du 22 prairial, une lame acérée, qu'ils saisirent avec une joie farouche et lui plongèrent tout entière dans le cœur : exemple à jamais mémorable de l'expiation réservée à quiconque s'écarte, quels que soient ses motifs, des règles fondamentales de la justice !

Et ici l'expiation fut effroyable. Il avait été récemment décidé que la guillotine serait transférée de la place de la Révolution à la barrière du Trône, ce qui donnait aux fatales charrettes tout le faubourg Saint-Antoine à traverser : pour mieux frapper les imaginations, pour que rien ne manquât à l'horreur du tableau, Fouquier-Tinville, instrument d'une idée émise dans le Comité de sûreté générale par un de ses membres, Louis (du Bas-Rhin)[72], donna ordre à l'exécuteur de faire emplette de l'étoffe nécessaire à la confection de cinquante-quatre chemises rouges. La chemise rouge, c'était le vêtement des parricides ; et plus on affectait, en cette occasion, de porter haut Robespierre, le dictateur, le roi, le pontife, plus on était sûr de le rendre odieux. Cinquante-quatre personnes, parmi lesquelles des femmes, des jeunes filles, presque des enfants, traînées lentement à l'échafaud dans le costume des parricides, parce qu'un beau jour Robespierre avait reçu une visite suspecte ! On juge de l'effet ! Voulland était si fier du succès de cette machination et si heureux du triomphe promis à sa haine, qu'il résolut de savourer tout à son aise l'horrible spectacle. Allons, dit-il, auprès du grand autel, voir célébrer la messe rouge[73]. Allusion ironique et féroce dirigée contre le grand prêtre de l'Être suprême ! De son côté, désirant jouir du coup d'œil, Fouquier-Tinville s'était rendu dans la chambre de Richard, concierge de la maison d'arrêt de la Conciergerie, dont la fenêtre donnait sur la porte de la prison[74]. Voyant la jeune Saint-Amaranthe monter courageusement dans la charrette : Parbleu, s'écria-t-il, voilà une b..... bien effrontée ![75] Et, au moment du départ des voitures, il ajouta : Voilà un cortège qui a l'air d'une fournée de cardinaux[76] ; autre allusion au pape Robespierre !

De tout ce qui pouvait rendre l'exécution épouvantable, rien n'avait été négligé, et rien ne manqua au funèbre appareil, pas même les canons roulant de compagnie avec les charrettes. Chose frappante ! il semble que la présence d'Admiral dans le cortège eût dû faire penser à Collot-d'Herbois ; mais on avait si habilement préparé les esprits à regarder l'exécution des cinquante-quatre comme une hécatombe à Robespierre, qu'en voyant passer le cortège la foule ne pensait qu'à lui.

Et quel cortège, grand Dieu ! Là figuraient, entassés pêle-mêle, le vieux Sombreuil, qu'une seconde fois, mais en vain, sa fille avait essayé de sauver[77] ; Sartine, auquel on n'avait eu à imputer que son nom, inscrit, à une époque déjà éloignée, sur la liste des chevaliers du poignard[78] ; sa femme, si jeune encore et si belle ; madame de Saint-Amaranthe, qu'on croyait sacrifiée à un barbare calcul de prudence ; Cécile Renault, aussi intéressante par son courage que par sa jeunesse ; le banquier Jauge, qui avait autrefois mis, son crédit et sa bourse au service de Paris affamé[79] ; et enfin, à côté de l'actrice Grand-Maison, une pauvre petite couturière de dix-sept ans, nommée Nicolle[80] !

De cette dernière, Senar a écrit : Je la trouvai dans un grenier, au septième, couchée sur un matelas et une paillasse, sans couchette ; des haillons dans un panier d'osier, une table, une chaise, un tabouret, voilà tout ce que possédait cette malheureuse victime que rien, dans les pièces, ne présentait comme coupable ou suspecte. Mais Voulland, ce cruel extravagant, voulait sa mort, parce que, disait-il, elle portait à manger à la Grand-Maison, et, pour ce fait-là, disait l'hypocrite Louis (du Bas-Rhin), elle ira l'accompagner[81].

L'impression produite, est-il besoin de la décrire ? Et l'homme contre lequel grondèrent au fond des cœurs la pitié et l'indignation, est-il besoin maintenant de le nommer ? Cependant il avait cessé alors de prendre une part officielle aux affaires, il s'était éloigné du Comité de salut public, et il s'apprêtait dans la retraite à livrer aux terroristes de la trempe de Louis (du Bas-Rhin) et de Voulland un dernier combat ! L'âme s'émeut au souvenir de tant d'injustice ; et toutefois il y avait un côté équitable dans ce châtiment si terrible. Les cinquante-quatre avaient été condamnés sous l'empire de la loi du 22 prairial, et l'auteur de cette indigne loi, c'était Robespierre !

 

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De tous les faits de la Révolution, il n'en est peut-être pas qui aient été aussi étrangement défigurés que ceux dont le tableau précède. Je ne m'arrêterai pas ici au récit de M. de Lamartine, l'Histoire des Girondins n'étant, sous aucun rapport, une histoire ; mais je crois important de ne pas laisser passer le récit de M. Michelet, à qui ses connaissances historiques, aussi bien que son grand talent et l'élévation de son âme, donnent naturellement beaucoup d'autorité sur la jeunesse.

Dans le livre XX, ch. II, de son livre, M. Michelet, ayant à raconter la ridicule affaire de Catherine Théot, s'est étudié d'abord à représenter Robespierre comme un homme qui faisait servir le mysticisme du temps à ses vues d'ambition, et qui souffrait que certaines gens le prissent pour Dieu. Voilà certes une accusation grave : sur quels faits M. Michelet l'a-t-il appuyée ? A la place de faits, il donne ses suppositions, exemple : Nous parlions en 92 de la vieille idiote de la rue Montmartre, marmottant entre deux plâtres : Dieu, sauve Manuel et Pétion ! Et cela, douze heures par jour. Nul doute qu'en 94 elle n'ait autant d'heures marmotté pour Robespierre.

En admettant que M. Michelet sût, ce qu'il ne prétend pas lui-même savoir, ce que faisait en 1794 la vieille dévote de la rue Montmartre, il est malaisé de comprendre en quoi Robespierre pourrait être responsable des prières marmottées par une folle dans son grenier, et l'on ne comprend pas davantage pourquoi, à ce compte, Manuel et Pétion n'auraient pas été aussi coupables que lui. Ce qu'il faudrait prouver, au moins, c'est que Robespierre était au courant des momeries pratiquées, dit-on, à son égard, et dont on n'établit la réalité sur aucune base historique ; c'est qu'il s'y prêtait ; c'est qu'il les encourageait. Or, sur ce point, M. Michelet cite-t-il un seul mot de Robespierre ? Non. Un seul acte ? Non. Met-il en avant une autorité quelconque, dont on puisse analyser le témoignage ? Non. Après avoir affirmé purement et simplement, sans la moindre indication des sources, que une infinité de personnes avaient les portraits de Robespierre appendus chez elles, comme une image sainte ; que des femmes, des généraux même, portaient un Robespierre dans leur sein, baisaient, priaient la miniature sacrée, etc. M. Michelet ajoute : Que ce fût le fils même de Rousseau et du rationalisme qui acceptât, encourageât de son silence ces outrages à la raison, cela était honteux et triste.

Mais où est la preuve que ces outrages à la raison furent commis par cette infinité de personnes dont on nous parle, et par ces généraux qu'on ne nomme pas ? Et où est la preuve que Robespierre accepta, encouragea ces outrages à la raison ? Nous n'avons découvert trace de cela dans aucun des nombreux documents qui ont passé sous nos yeux, et il est à regretter que M. Michelet ne fasse rien pour aider ses lecteurs dans leurs recherches. Où a-t-il pris, par exemple, que les saintes femmes de Robespierre, une madame de Chalabre entre autres, qu'il nous montre joignant les mains, et disant : Oui, Robespierre, tu es Dieu ! le voyaient sans cesse et étaient les personnes qui l'approchaient de plus près ? En fait de documents historiques, nous avons celles des lettres adressées à Robespierre, qui, après sa mort, furent trouvées parmi ses papiers, et publiées à la suite du rapport de Courtois. Eh bien, ces lettres, dont les auteurs vantent beaucoup le patriotisme de Robespierre, ses talents, son courage, ne contiennent rien, absolument rien qui ressemble à un éloge mystique, si l'on en excepte une où il est traité de Messie annoncé par l'Être éternel pour réformer toute chose, et ceci émané d'un fou qui se qualifie lui-même jeune homme de quatre-vingt-sept ans. (Voyez n° XII des pièces à la suite du rapport de Courtois.) Est-ce, par hasard, sur cette lettre d'un fou, que M. Michelet fonde tout ce qu'il dit du culte superstitieux, dont, selon lui, Robespierre était l'objet ?

Quant au crime qui aurait consisté à ne pas repousser assez vivement es louanges, s'il est un homme dans la Révolution qu'on n'ait pas le droit d'accuser de ce crime-là, c'est lui. Nous citons : Les ennemis de la patrie m'accablent de louanges exclusivement, mais je les répudie. (Discours de Robespierre, dans la séance des Jacobins, du 13 frimaire 1793.) A propos d'un discours de Robespierre contre la proclamation du duc d'York, le Moniteur ayant dit : Chaque mot de ce discours vaut une phrase, chaque phrase un discours, Robespierre, aux Jacobins, s'éleva fortement contre ce système de flatterie, et dit : Les flagorneries font douter de la vérité des écrivains ; un écrivain véridique et patriote doit rapporter avec exactitude et littéralement, afin que ce qu'il rapporte puisse éclairer l'opinion publique, ou qu'elle juge ce qu'il rapporte, si c'est mauvais. (Séance des Jacobins, du 6 messidor [24 juin.]) — Est-ce là le langage d'un homme qui veut à tout prix être encensé ?

M. Michelet écrit : L'amer Cévenol, Rabaut-Saint-Étienne, avait très-bien indiqué que ces momeries ridicules, cet entourage de dévotes, cette patience de Robespierre à les supporter, c'était le point vulnérable, le talon d'Achille, où l'on percerait le héros. n'était-ce pas le sujet de cette comédie de Fabre qu'on fit disparaître, et pour laquelle peut-être Fabre disparut ? Nous avons cité textuellement le récit de Vilate, et le lecteur sait maintenant que, lorsque Rabaut-Saint-Etienne dit à Vilate : Il faut un article demain dans la Chronique, et le peindre comme un prêtre, ce fut à la suite et à propos du discours de Robespierre en réponse à Louvet, et de l'enthousiasme que ce discours excita parmi les femmes présentes à la séance. (Voyez les Mystères de la Mère de Dieu dévoilés, ch. XV, p 311.)

Donc, lorsque l'amer Cévenol, par une manœuvre de parti plus habile que loyale, disait : Peignons-le comme un prêtre ; il prenait pour point de départ, non pas des momeries ridicules et cet entourage de dévotes, mais l'effet produit sur la partie féminine de l'auditoire par un discours tout politique, où le mysticisme et la religion n'entraient pour rien. En ce qui touche la comédie de Fabre qu'on fit disparaître, nous avons déjà eu occasion de montrer dans le dixième volume de cet ouvrage, que cet on, par lequel M. Michelet désigne ici indirectement Robespierre, ne pourrait, en tout état de cause, s'appliquer qu'à Billaud-Varenne.

M. Michelet parle de papiers relatifs à la secte des illuminés que Robespierre aurait emportés, et refusé de rendre, mais dont le Comité de sûreté générale se serait procuré des doubles. Et que prouve cela ? Senar, à qui M. Michelet emprunte ce fait, sans citer son autorité, sachant bien qu'elle n'a pas grand poids ; car un peu plus loin, il dit : Senar ne mérite pas la moindre confiance ; — Senar assure que les originaux de ces pièces étaient au ministère de l'intérieur et à la municipalité ; que c'est de là que le Comité de sûreté générale les obtint. (Voyez le livre de Senar, p. 187.) Il n'y avait donc pas lieu de les cacher ! Et, si elles contenaient quoi que ce soit contre Robespierre, d'où vient que, même après sa mort, le contenu n'en a jamais été révélé par le Comité de sûreté générale, qui possédait les originaux ?

De dom Gerle, M. Michelet ne manque pas de dire que, dans l'Assemblée constituante, il avait demandé qu'on déclarât le catholicisme religion d'État ; mais ce que l'historien aurait dû ajouter, ce qu'il passe sous silence, et ce qui explique le certificat de civisme donné à dom Gerle par Robespierre, c'est que l'ex-chartreux retira sa motion le lendemain du jour où il l'avait présentée ; c'est qu'il rompit avec les prêtres ; c'est qu'il fut le premier à quitter le costume et à cesser les fonctions ecclésiastiques ; c'est qu'enfin l'on trouva chez lui une pièce de vers de sa composition commençant par ces mots très-peu mystiques : Ni culte, ni prêtres, ni roi. (Note de Christophe Gerle, n° LVII des pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois.) Du moins, si dom Gerle avait été en relations intimes avec Robespierre ! M. Michelet l'affirme de sa propre autorité ; mais dom Gerle, qui devait en savoir quelque chose, le nie : Jamais je n'ai été lié avec Robespierre ; je ne connais pas même Saint-Just de figure. (Ibid.)

Au sujet de la lettre trouvée chez Catherine Théot, M. Michelet dit : Était-ce réellement la minute d'une lettre qui fut envoyée ? Ou bien faut-il croire que ceux qui, pour servir Robespierre, attribuèrent un faux à Fabre d'Eglantine, ont pu, pour perdre Robespierre, faire aussi un faux ? Les deux suppositions ont une telle égalité de vraisemblance, qu'on ne peut, je crois, décider. Rien, au contraire, de plus facile, en présence des documents. Voici, en propres termes, le témoignage de Vilate, que Barère mit au courant de toute cette affaire et qui n'est certes pas ici suspect de partialité : Il ne faut pas croire que cette lettre fût de la main de Catherine Théot ; la vieille, béate ne savait pas même signer son nom. (Voyez les Mystères de la Mère de Dieu dévoilés, ch. IV, p. 309.) Nous avons retracé, d'après Fouquier-Tinville, une scène où, rendant compte au Comité de sûreté générale d'un ordre reçu dans le Comité de salut public et en son nom, Fouquier avait dit : Il, il, il ; sur quoi un des membres, Amar ou Vadier, s'était écrié : C'est-à-dire Robespierre. Cette scène, où Robespierre ne figure que parlant au Comité de salut public et en présence de ses collègues, M. Michelet la commente de la sorte : Le grand mot je veux était rétabli, et la monarchie existait !

Je suis heureux de pouvoir terminer ces remarques critiques en rendant hommage à la sagacité avec laquelle M. Michelet a su démêler, dans l'affaire des Chemises rouges, une horrible machination du Comité de sûreté générale contre Robespierre. Le récit de l'illustre historien, sur ce point intéressant, ne demandait qu'à être complété ; et j'ai dû de pouvoir le faire, aux précieux renseignements qu'a bien voulu me fournir un bibliophile très-distingué, l'homme du monde, peut-être, qui possède le mieux l'histoire de la Révolution française, M. Charles Ménétrier.

Que si, au lieu de m'en tenir aux derniers ouvrages publiés sur la Révolution française, j'avais voulu remonter à ceux qui furent écrits à l'époque même, sous l'impression des haines et des fureurs du moment, que d'erreurs énormes, ou, plutôt, que de prodigieuses calomnies à relever ! Mais il faudrait pour cela un livre à part. Croirait-on que les auteurs du libelle, connu sous le titre de Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, t. XIII, p. 313, ne rougissent pas de nous donner, comme de l'histoire, l'immonde roman de Robespierre s'enivrant chez madame de Saint-Amaranthe, et la faisant guillotiner à cause de cela ? Croirait-on que les mêmes écrivains (p. 309 et 310) mettent en doute si Robespierre ne sacrifia pas Cécile Renault, parce qu'elle le fatiguait de son amour ? Devant un tel mélange de turpitude et de bêtise, la critique s'arrête un instant, étonnée, et ne peut que passer outre.

Un mot encore cependant. Nous avons fait justice de l'assertion prétendue historique qui attribue à Robespierre la mort de madame de Saint-Amaranthe. Mais il est une autre version non moins calomnieuse qui présente le supplice de madame de Saint-Amaranthe comme la conséquence d'une ignoble vengeance de Saint-Just.

On lit dans les Mémoires de Senar (p. 102) : Le cruel et féroce Saint-Just avait fait arrêter la Saint-Amaranthe par ressentiment de n'avoir pu jouir d'elle, et par crainte ou soupçon qu'un autre, en cet instant, ne lui eût été préféré. Elle était en prison ; elle avait osé se plaindre du despotisme révoltant de ce monstre : Saint-Just demanda sa tète en la déclarant complice de cette conspiration à laquelle elle était absolument étrangère. Saint-Just l'exigea, et on la lui sacrifia sans preuve, sans aucun indice de suspicion.

Cette fable grossière rééditée depuis, sous prétexte d'histoire, a été récemment modifiée par M. Édouard Fleury, qui, pour la rendre plus vraisemblable sans doute, s'est plu à substituer la fille à la mère. Saint-Just, dit-il, livrera aux baisers de la guillotine la jeune madame de Sartine qui a repoussé son amour. Et plus loin : Saint-Just aime mademoiselle de Saint-Amaranthe, se voit repoussé et jure de se venger. (Saint-Just et la Terreur, t. II, p. 9 et 226.)

Après les calomniateurs, voyons les historiens. Les auteurs de l'Histoire parlementaire disent que madame de Saint-Amaranthe fut poursuivie à la diligence de Saint-Just (t. XXXIII, p. 237, note 1), et M. Michelet dit qu'elle fut arrêtée sur une note accusatrice transmise par Saint-Just au Comité de sûreté générale.

Cette opinion s'appuie :

D'une part, sur une note de police relative à madame de Saint-Amaranthe et trouvée après le 9 thermidor dans les papiers de Saint-Just. (Histoire parlementaire, ubi supra) ;

D'autre part, sur ce passage du rapport de Saint-Just contre les Dantonistes : Danton dinait avec Gusman, Espagnol, trois fois par semaine, et avec l'infâme Saint-Amaranthe, le fils de Sartine et Lacroix. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 99.)

Mais l'excellente histoire de Saint-Just de M. Ernest Hamel nous met à même d'établir que Saint-Just ne prit qu'une part en tout cas très-indirecte à l'arrestation de madame de Saint-Amaranthe.

En effet, les membres des Comités de salut public et de sûreté générale étaient assaillis de dénonciations que ceux qui les recevaient transmettaient à leur comité respectif, où ces pièces étaient examinées et où il y était donné suite, s'il y avait lieu. Or, Saint-Just ne se servit pas de la note de police retrouvée dans ses papiers, car s'il en avait fait usage, elle serait aujourd'hui parmi toutes les autres dénonciations aux archives de la préfecture de police, où elle manque à la collection. (Hist. de Saint-Just, p. 485.)

De plus, madame de Saint-Amaranthe fut arrêtée sur la proposition du comité révolutionnaire de la Halle au Blé (Hist. de Saint-Just, p. 485), le 10 germinal an II (30 mars 1794) (Archives du Comité de sûreté générale, Registre 642. — Michelet, Hist. de la Révol., t. VII, p. 356), et le rapport de Saint-Just contre Danton est du 11 germinal (31 mars).

Enfin ce ne fut que deux mois plus tard, le 26 prairial an II (14 juin 1794), quand Saint-Just était en mission dans le Nord, et que déjà la scission avait éclaté entre les divers membres des deux comités, que madame de Saint-Amaranthe fut comprise dans la conjuration de l'Étranger, et envoyée au tribunal révolutionnaire, sur le rapport d'Élie Lacoste, thermidorien des plus ardents, qu'il serait souverainement absurde de faire passer pour un complaisant de Saint-Just. (Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 233.)

 

 

 



[1] Dernier discours de Robespierre, prononcé le 8 thermidor an II. Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 420 et 421.

[2] Tu ne te souviens donc pas, Billaud, que toi et Barère vous avez dit que l'intelligence des membres de la majorité contre Robespierre était telle dans le Comité de salut public, que d'un coup d'œil leur parti était pris et la majorité acquise ? Laurent Lecointre au peuple français, p. 172. Bibl. hist. de la Révol. — 1100-1. (British Muséum.)

[3] Voyez plus haut le chapitre sur la Terreur.

[4] Voyez plus haut le chapitre sur la Terreur.

[5] Comme, sur la nature des motifs qui purent déterminer intérieurement Robespierre, on ne saurait invoquer de meilleure autorité que la sienne, nous renvoyons les lecteurs à son discours du 8 thermidor. M. Thiers, qui, probablement, savait mieux ce qui se passait dans la pensée de Robespierre que Robespierre lui-même, attribue sa retraite (t. V, ch. VI, p. 367) à la vanité blessée, ce qui ne l'empêche point, quelques pages plus bas (p. 392), de l'attribuer au désir, tout politique, de discréditer le gouvernement en n'y prenant plus aucune part. Quant à ce que ces deux assertions présentent de contradictoire, M. Thiers ne parait pas s'en être inquiété le moins du monde.

[6] Voyez les Causes secrètes de la Révolution du 9 au 10 thermidor, par Vilate, p. 201. Collection des Mémoires relatifs à la Révolution française.

[7] Barère en fait l'aveu dans ses Mémoires, en se servant des expressions mêmes que nous venons d'employer. Voyez Mémoires de Barère, p. 187. Édition Méline.

[8] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 49. — Bibl. hist. de la Révol., 1100-1. (British Muséum.)

[9] VILATE, Mystères de la Mère de Dieu dévoilés, ch. XV, p. 311. Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[10] VILATE, Mystères de la Mère de Dieu dévoilés, ch. XV, p. 311.

[11] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[12] On peut le lire à la suite des Mémoires de Vilate, dans la collection sus-mentionnée.

[13] Voyez les pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Robespierre, n° LVII. — Bibl. hist. de la Révol., 856-7-8. (British Muséum.)

[14] Voyez les pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Robespierre, n° LVII. — Bibl. hist. de la Révol., 856-7-8. (British Muséum.)

[15] C'est ce qui résulte du témoignage de Barère lui-même, qui, dans le rapport qu'il rédigea contre Catherine Théot sous le nom de Vadier, déplore la confiance que dom Gerle inspirait aux patriotes. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 248.

[16] Voyez à cet égard sa propre déclaration, n° LVII des pièces justificatives à la suite du rapport de Courtois.

[17] Voyez la note critique à la suite de ce chapitre.

[18] Voyez la note critique à la suite de ce chapitre. Rapport de Vadier, Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 250.

[19] N° LVII des pièces justificatives, à la suite du rapport de Courtois sur les papiers trouvés chez Robespierre.

[20] Nous ferons remarquer, en passant, que ce Héron, employé ici dans une machination contre Robespierre, est le même que certains historiens, M. Michelet entre autres, ont voulu faire passer pour l'homme du Robespierrisme ! Il était si peu cela, que nous le verrons dans le chapitre suivant figurer parmi ceux sur lesquels les Hébertistes comptaient pour leur délivrance, quand ils furent mis en prison.

[21] Révélations puisées dans les cartons des Comités, ch. XV, p. 173-180.

[22] Révélations puisées dans les cartons des Comités, ch. XV, p. 181.

[23] Je cherchai des papiers, il n'y en avait pas. SENAR, ch. XV, p. 182.

[24] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[25] Les Mystères de la Mère de Dieu dévoilés, ch. IV, p. 309. — Senar lui-même n'ose pas dire que cette lettre fût de Catherine Théot : Une certaine lettre, dit-il, écrite à Robespierre, au nom de la Mère de Dieu. Voyez Révélations, etc., ch. XV, p. 187.

[26] VILATE, ch. V, p. 285.

[27] VILATE, ch. V, p. 285.

[28] Voyez le rapport dont il s'agit, Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 248.

[29] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 231. — Rapprocher de ce passage du rapport ce que Vilate affirme tenir de Barère lui-même, ch. XII des Mystères de la Mère de Dieu dévoilés.

[30] Rapport présenté par Vadier, Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 251.

[31] VILATE, ch. XII, p. 302. — Il est à remarquer qu'en tout ceci Vilate est peu suspect de partialité envers Robespierre, qu'il avait alors le plus grand intérêt à injurier et à attaquer, ce à quoi il ne manque pas dans le cours de son ouvrage, bien qu'il n'ait pas un seul fait à donner à l'appui de ses injures intéressées.

[32] Rapport présenté par Vadier, Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 252 et 253.

[33] Voyez le compte rendu de la séance, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 245-259.

[34] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 259.

[35] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 259 et 260.

[36] Déclaration de Fouquier-Tinville lui-même dans son procès. Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 246. Voyez à ce sujet la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[37] Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 246, et la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[38] Cette pièce est une de celles qui furent publiées à la suite du rapport de Courtois sur les papiers de Robespierre. Elle se trouve reproduite en entier dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 394-399.

[39] Les Chemises rouges. Voyez le dossier des Chemises rouges, t. II, p. 6, 7 et 37. Paris, an VII.

[40] Dossier des Chemises rouges, t. II, p. 7.

[41] Dossier des Chemises rouges, t. II, p. 40. — Les interrogatoires d'où tout ceci est tiré sont signés de Cécile Renault.

[42] Procès-verbal de l'arrestation de Renault père et fils. Dossier des Chemises rouges, p. 203-207.

[43] Réquisitoire de Fouquier-Tinville. Dossier des Chemises rouges, p. 239.

[44] Dossier des Chemises rouges, t. II, p. 1-12.

[45] Dossier des Chemises rouges, t. II, p. 115-116.

[46] Dossier des Chemises rouges, t. II, p. 16-23, et t. I, p. 198.

[47] Dossier des Chemises rouges, t. I, p. 208-209.

[48] Son silence fut interprété dans le sens d'une adhésion par Fouquier-Tinville. Voyez son réquisitoire, ubi supra, t. II, p. 231.

[49] Chemises rouges, introduction, p. xliij.

[50] M. Alison, par exemple, dans son Histoire de l'Europe.

[51] On sait que le thermidorien Courtois ne se fit pas scrupule de dérober au public et à l'histoire ceux des papiers de Robespierre qu'il jugea convenable de laisser dans l'ombre.

[52] Papiers inédits trouvés chez Robespierre, Saint-Just, Payan, etc. ; supprimés ou omis par Courtois, t. II, p. 196 et 197.

[53] Dossier des Chemises rouges. Interrogatoire de Roussel, t. I, p. 136, et 147-154.

[54] Voyez la liste des accusés, à la suite du rapport d'Élie Lacoste, n° 267 du Moniteur, an II (1794.)

[55] Ceux qui seraient curieux de les connaître n'ont qu'à consulter les Mémoires de Tilly, t. III, p. 158 et suiv.

[56] Escroc est le mot même dont se sert Chrétien dans sa déposition touchant les salons de madame de Saint-Amaranthe. Voyez le dossier des Chemises rouges, t. I, p. 140-144.

[57] Dossier des Chemises rouges, t. I, p. 140-144.

[58] Dossier des Chemises rouges, t. I, p. 140-144.

[59] Chrétien affirma tenir ce fait de Desfieux lui-même. Voyez sa déposition, dossier des Chemises rouges, t. I, p. 140-144.

[60] Voyez dans les Mémoires de Bachaumont ses aventures avec Adeline, de la Comédie-Italienne, et autres filles à la mode.

[61] Voyez la déposition de Chrétien.

[62] Voyez la note critique placée à la suite de ce chapitre.

[63] De tous les auteurs anglais qui ont écrit sur la Révolution, celui qui a eu sous la main le plus de matériaux est M. Wilson Croker, le même qui a vendu au British Museum la précieuse collection où nous avons tant puisé. Mais M. Croker était un tory fanatique, un libelliste sans scrupule, l'insulteur par excellence de la France, de la Révolution française, et nommément de Robespierre. Eh bien, M. Croker lui-même, fait justice en ces termes de la fable dont il s'agit : It would be easy to disprove this story, but it cost Trial his livelihood and his life ; for, after the 9 thermidor, the public hissed him off the stage, which, it seems, broke his heart. Voyez Essays on the early period of the French Revolution, by the late Right Hon. John Wilson Croker, p. 496, 1857.

[64] Elles furent arrêtées le 10 germinal (30 mars) 1794.

[65] Foignel, Encore une victime, ou Mémoires d'un prisonnier de a maison dite des Anglaises, rue de l'Ourcine.

[66] Michelet, Histoire de la Révolution, liv. XX, ch. II.

M. Michelet, avec lequel nous regrettons amèrement de ne pas nous trouver plus souvent d'accord, a démêlé ici les manœuvres astucieuses du Comité de sûreté générale avec une sagacité rare.

[67] Voyez le Moniteur, n° 267, an II (1794).

[68] Voyez cette lettre dans le dossier des Chemises rouges, t. II, p. 210-211.

[69] Introduction aux Chemises rouges, p. xlv.

[70] Introduction aux Chemises rouges, p. xlvj.

[71] Froidure a été guillotiné en chemise rouge, comme complice du prétendu assassinat de Robespierre. C'est un mystère que je ne comprends pas, et je regrette Froidure, qui détestait Robespierre, mais qui ne pouvait pas l'assassiner. Déposition de Réal, dans le procès Fouquier-Tinville, t. XXXIX de l'Histoire parlementaire, p. 385.

[72] C'est ce qu'affirme Senar, qui était présent. Dans l'introduction aux Chemises rouges, p. xlvij, on lit : Fouquier étant monté à la buvette du tribunal, un membre des Comités révolutionnaires lui fit observer qu'il devait envoyer les condamnés à la guillotine revêtus de chemises rouges. Fouquier adopta cette idée, etc.

[73] Senar rapporte le mot, comme ayant été dit au coin de la rue de la Loi, qui donne sur la rue Saint-Honoré, ce qui fait supposer qu'il l'a entendu de ses propres oreilles.

[74] Introduction aux Chemises rouges, p. xlvij.

[75] Introduction aux Chemises rouges, p. xlviij.

[76] Introduction aux Chemises rouges, p. xlviij.

[77] Voyez sa lettre à Fouquier-Tinville, dans le dossier des Chemises rouges.

[78] Dossier des Chemises rouges, t. II, p. 237.

[79] Voyez dans le dossier des Chemises rouges les pièces qui le prouvent, t. II, p. 197 et suiv.

[80] Voyez sur l'innocence de Nicolle ce que dit Senar, que le Comité de sûreté générale chargea de l'arrêter.

[81] Nous avons déjà fait observer que Senar ne mérite aucune confiance, en tout ce qui est de sa part affaire d'appréciation ou assertion pure et simple. Mais il parle ici de ce qu'il sait pour l'avoir vu ou entendu, et comme attaché au Comité de sûreté générale.