HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

LIVRE DOUZIÈME

 

CHAPITRE PREMIER. — CAMPAGNE DE 1794

 

 

La coalition tend à se dissoudre. — Pitt la ranime. — Objet de la guerre, pour le gouvernement anglais. — Débats sur la guerre dans le parlement anglais. — Suspension de l'Habeas corpus. — Redoublement d'efforts de la part de Pitt. — Vacillations de la Prusse. — Traité de subsides. — Insurrection en Pologne. — Ouverture de la campagne dans le Nord. — Forces respectives. — L'empereur d'Autriche à Bruxelles. — La terreur monarchique. — Opérations militaires. — Les commissaires de la Convention dans le camp. — Saint-Just à l'armée. — Saint-Just et Levasseur. — Formation de l'armée de Sambre-et-Meuse. — Jourdan en reçoit le commandement. — Discorde au camp des coalisés. — Robespierre considéré dans les Cours étrangères comme l'homme qui veut mettre un terme à la Terreur. — L'Autriche désire la paix ; égoïsme de ses motifs. — Avantage remporté par le prince d'Orange sur Jourdan. — Siège de Charleroi. — Levasseur et Marescot. — Inflexibilité de Saint-Just. — Reddition de Charleroi. — Victoire de Fleurus. — Coup d'œil sur toute la ligne des frontières. — La République victorieuse aux Pyrénées, aux Alpes et sur le Rhin. — Bataille navale du 13 prairial (1er juin) 1794. — Note critique.

 

Pendant ce temps, la Révolution poursuivait au dehors le cours de ses prodiges militaires. ; et au nord, comme au midi, à l'est, comme à l'ouest, sur ses frontières et au delà, sur l'Océan même, partout enfin, elle faisait face à ses ennemis. Jamais peuple ne s'était montré capable d'efforts plus gigantesques. Pour la campagne de 1794, la France révolutionnaire, toute déchirée qu'elle était par la guerre civile, n'enfanta pas moins de treize armées, formant un ensemble de près d'un million de soldats, dont sept cent mille présents sous les armes[1].

Quant à son attitude, elle avait quelque chose de si indomptable, que ce fut dans les conseils des souverains un sujet de stupeur d'abord, et ensuite de désespoir[2].

La sourde mésintelligence qui régnait entre l'Autriche et la Prusse avait été cruellement envenimée par les désastres de la campagne de 1793, dont on vit le duc de Brunswick et Wurmser se renvoyer la responsabilité avec une aigreur qui, parmi les officiers de l'une et de l'autre armée, éclata bientôt en provocations scandaleuses et en duels[3]. Le duc était tombé dans un découragement si profond, qu'il demanda un successeur, et fut remplacé, à la tête des troupes prussiennes, par le vieux maréchal Mallendorf : événement qui vint assombrir d'une manière étrange les perspectives de la coalition[4]. De leur côté, les conseillers de l'empereur d'Autriche, Thugut, Lascy, Colloredo, déploraient la guerre, qu'ils avaient si mal dirigée[5]. La France leur apparaissait maintenant comme un immense nid de guerriers ; ils s'étonnaient de cet infatigable enthousiasme qui ignorait l'impossible, s'exaltait jusqu'au délire devant la mort, et trouvait tout simple qu'on décrétât la victoire. Le génie des hommes qui, en France, conduisaient les affaires n'était pas pour l'Europe un moindre sujet d'épouvante ; car les plus violents adversaires des membres du Comité de salut public, au dehors, étaient forcés de s'incliner devant leur haute intelligence et leur fier courage[6]. Adieu ces rêves d'invasion et de partage de nos provinces, si complaisamment caressés au début ! Depuis que Lyon et Toulon avaient succombé, la seule invasion qui ne parût pas chimérique était celle... des Français en Allemagne[7]. Ce qui est certain, c'est que Thugut fit faire au Comité de salut public des ouvertures détournées, et qu'elles furent rejetées avec hauteur[8]. Il faut la fermentation de la liberté aux Républiques, avait dit Barère en pleine assemblée[9].

Pitt fut l'homme qui, dans cette crise, ranima et soutint la Coalition expirante. Il attisa autour de lui le feu des vieilles animosités nationales ; il fit peur aux Anglais, tantôt de nos assignats, tantôt de nos principes ; sa politique haineuse sut s'imposer à l'Espagne et à la Hollande, qui servaient ses froides fureurs sans en partager l'excès ; il acheta par un subside annuel de 200.000 livres sterling la continuation de l'alliance armée du roi de Sardaigne[10] ; contre les puissances neutres, la Suède, le Danemark, la Suisse, pour les asservir à son parti-pris d'affamer la France, il employa tour à tour la violence et la menace[11] ; enfin, il trouva moyen, comme on va le voir, de retenir les armées allemandes sur les champs de bataille qu'elles avaient arrosés déjà de tant de sang.

Et tout cela, dans quel but ? A la question, éternellement reproduite par l'Opposition : What is the object of the war, jamais le ministre et ses partisans ne répondirent d'une manière uniforme. Selon Burke, l'objet de la guerre était la restauration de l'ancienne monarchie en France ; selon M. Canning et M. Jenkinson, c'était la destruction du parti Jacobin[12] ; selon Pitt, c'était quelquefois l'un, quelquefois l'autre, ou bien, l'objet de la guerre était simplement de conquérir la paix[13]. Un jour que l'Opposition pressait le ministère de s'expliquer sur ce point avec précision, Canning, perdant patience, s'écria : Mais, en vérité, ces messieurs, parlent de l'objet de la guerre comme si c'était une chose matérielle, qu'on pût prendre dans sa main, placer sur. la table, tourner, retourner, examiner en ouvrant bien les yeux. Cela étant, je me déclare, quant à moi, incapable de les satisfaire[14].

L'embarras venait de l'impossibilité d'avouer décemment qu'après avoir mis le feu au monde sous prétexte de sauver d'une irruption nouvelle de barbarie la religion, la morale, la justice, l'humanité, on ne poursuivait en réalité à travers l'embrasement général que l'accroissement de la puissance anglaise, par la destruction de notre marine, la ruine de noire commerce, et l'anéantissement définitif de notre système colonial, tant aux Antilles que dans les Indes. Pudeur ou hypocrisie, cette réserve est chose dont on est presque tenté de savoir gré à Pitt, quand on songe avec quelle insolence la Russie et la Prusse, pendant ce temps, se partageaient les lambeaux de la Pologne, et que les Autrichiens ne se faisaient nul scrupule de prendre possession de Condé et de Valenciennes, au nom de l'Empereur[15].

Les débats qui, en Angleterre, signalèrent, au mois de janvier 1794, l'ouverture de la session, méritent d'arrêter un moment nos regards.

Le discours de la Couronne contenait ce passage caractéristique :

Nous sommes engagés dans une lutte, du succès de laquelle dépendent le maintien de notre Constitution, le maintien des lois, le salut de la religion, et la sécurité de toute société civile[16].

De son côté, Pitt, dans le cours de la discussion, déclara que le principal but de la guerre était la destruction du système adopté par les Français, système, dit-il, incompatible avec l'ordre général de la société et l'existence de tout gouvernement régulier[17].

Dans la Chambre des Communes, lord Mornington alla plus loin. Après avoir tracé de la Révolution française un épouvantable et calomnieux tableau, il affirma qu'il ne fallait entendre à aucune proposition de paix, tant qu'il existerait en France un gouvernement Jacobin[18].

Cette fois, les explications étaient précises, sinon complètes.

Ainsi, à en juger par les motifs qu'on avouait, il importait que des trésors immenses fussent engloutis et que l'Europe ruisselât de sang, parce que les idées politiques des Jacobins et le mode de gouvernement établi en France ne se trouvaient pas être du goût de M. Pitt !

Mais que devenait alors le principe, tant de fois proclamé par lui-même[19], qu'un pays n'a pas le droit de se mêler du gouvernement intérieur d'un autre pays ?

Le ministre avait une étrange façon d'éluder ce dilemme : c'était de prétendre qu'en France il n'y avait pas, à proprement parler, de gouvernement. Or voici en quels termes lord Lansdown, dans la Chambre des lords, faisait justice de cette argumentation misérable : Ah ! il n'y a pas de gouvernement en France ? Demandez au général Wurmser ! Demandez au duc de Brunswick et au roi de Prusse ! Demandez à lord Hood et à sir Gilbert Elliot ! Demandez aux royalistes de la Vendée ! Demandez aux Espagnols en fuite !... Non, il n'est pas vrai que cette guerre soit née de la nécessité de repousser une agression injuste : ce qu'on veut, c'est prescrire des lois à une nation indépendante[20].

On mettait en avant les grands mots de civilisation, de justice, etc. M. Courtenay, dans la Chambre des Communes, déchira le voile d'une main violente. Mettant à nu sans détour le côté hypocrite de la Coalition : Est-ce que l'Empereur, dit-il, ne s'est pas emparé de Condé et de Valenciennes, comme d'une propriété à lui ? Est-ce que cet acte, si contraire à ses déclarations solennelles, n'a pas excité l'indignation de tout émigré généreux ? Est-ce que l'abbé de Maury lui-même, à Rome, n'a pas dit, en présence d'un cercle nombreux : Ne souffrons pas le partage de la France. Celui de la Pologne est sous nos yeux. Pour conserver notre pays, faisons-nous plutôt Jacobins ?[21]

Fox ne fut pas moins véhément : Si la haine du vice, dit-il, était une juste cause de guerre entre nations, avec lequel de nos présents alliés serions-nous donc en paix, juste ciel ? En Pologne, on foule aux pieds la liberté ; le despotisme a saisi dans ses serres cette belle portion de la création, et voilà que les malheureux habitants sont réduits à la condition qui pèse sur les autres esclaves de leurs nouveaux maîtres ; que dis-je ? On ajoute ici l'insulte à la cruauté, et l'on force les victimes à célébrer par un Te Deum la douceur de leur destinée !... Rappellerai-je les démarches du gouvernement anglais et ses menaces pour contraindre la Suisse, le Danemark et la Suède à rompre tout commerce avec la France : infraction scandaleuse aux droits des Neutres ? Ô honte ! ô souillure ineffaçable imprimée au nom anglais ! Vraiment, quand j'examine la politique adoptée aujourd'hui par les diverses Cours, quand je regarde l'infâme conduite de la Russie et de la Prusse à l'égard de la Pologne, je tremble, je l'avoue, pour le sort de l'Europe[22].

Vaines protestations ! Dans la Chambre des Communes, la noble politique de Fox n'eut que 29 voix, contre 277 accordées à son rival ; et, dans la Chambre des lords, les conclusions du discours de la Couronne passèrent à une majorité de 97 voix contre 12[23]. Ces douze hommes, — une place leur est due dans l'histoire de la France et dans celle de l'humanité, — furent les ducs de Norfolk et de Bedford ; le marquis de Lansdown ; les comtes de Derby, de Lauderdale, de Cholmondely, de Guilford, d'Albemarle et d'Egmont ; lord Saint-John, lord Chadworth, et enfin le comte Stanhope[24], de tous les amis de la Révolution française au dehors, le plus ardent et le plus infatigable.

Il ne faut pas croire, au reste, que l'opposition de Fox, de Stanhope, de Sheridan, manquât d'appui parmi le peuple. Lorsque le roi était allé ouvrir la session, des rassemblements fort animés s'étaient formés autour de sa voiture, réclamant le renvoi de Pitt, les provisions à bon marché, et criant : Pas de guerre ! Quelques-uns assurent qu'on cria : Pas de roi ![25] Le gouffre financier creusé par cette guerre dévorante s'élargissait en effet de jour en jour ; le peuple, désespéré, pliait sous le poids des taxes ; et le mécontentement revêtit bientôt des formes si alarmantes, que Pitt, décidé à ne reculer devant rien, proposa la suspension de l'Habeas corpus. Il aurait proposé de fermer la Chambre des Communes et d'en jeter les clefs dans la Tamise, que l'étonnement n'aurait pas été plus profond, l'émotion plus vive[26]. Pour comble, il exigeait une décision immédiate. Je ne suis pas sanguinaire, s'écria Sheridan hors de lui ; mais je ne serais pas fâché que le ministre qui conseille à Sa Majesté de presser à ce point l'adoption d'un bill de cette importance perdît sa tête sur l'échafaud[27]. Le bill fut emporté presque de haute lutte, mais non sans provoquer des protestations brûlantes. Stanhope motiva la sienne de la manière suivante : Parce que j'abhorre l'idée d'établir dans ce pays un système dangereux et inconstitutionnel de lettres de cachet[28].

Et quel argument Pitt mettait-il en avant, pour renverser de la sorte le grand palladium des libertés anglaises ? La nécessité ! Lui qui jamais n'avait admis l'empire de la nécessité, quand il s'était agi de juger les actes violents auxquels une situation sans exemple poussa la Révolution française !

Quoi qu'il en soit, la continuation de la guerre ainsi résolue, le gouvernement anglais y apporta une singulière vigueur. Les forces de mer qui, à l'origine des hostilités, n'étaient que de treize vaisseaux de ligne et trente frégates, avaient été portées, depuis, à quatre-vingts vaisseaux de ligne et cent frégates, ce qui formait, en y comprenant les vaisseaux armés au service du public, un ensemble de plus de trois cents voiles[29] : on redoubla d'efforts. Pitt appela la France une nation armée, et obtint du Parlement que les forces employées dans la marine britannique fussent augmentées jusqu'à quatre-vingt-cinq mille hommes et celles de terre jusqu'à soixante mille[30]. En même temps, il combattait avec succès auprès de l'empereur d'Autriche l'influence de Thugut, porté à la paix[31].

En conséquence, un tacticien renommé, le baron de Mack, ayant été mis à la tête de l'état-major autrichien, la question d'un nouveau plan de campagne, plus décisif que les précédents, fut vivement agitée, à Bruxelles d'abord, puis à Londres. S'emparer de Landrecies, au centre de la ligne française, marcher ensuite directement sur Paris par Guise et Laon, et, pour assurer le flanc droit de l'armée envahissante, inonder la Flandre maritime, seul moyen péremptoire d'empêcher les Français de tourner la masse des assaillants, tel était le plan que Mack proposa[32].

Mais le moment était mal choisi pour une invasion, quand la France entière était debout l'épée au poing, ce qui fit dire à Rivarol, alors à Bruxelles : Les Coalisés sont toujours en retard d'une idée, d'une année et d'une armée[33].

D'ailleurs, le zèle de la Prusse était loin de répondre à celui de ses alliés. Le monarque prussien commençait à être horriblement fatigué d'une lutte où il voyait tomber et disparaître, comme en un gouffre béant, tout son or et ses armées. Sa pensée fixe désormais était d'être indemnisé des frais de la guerre par la cour de Vienne[34] ; et, les refus de celle-ci l'irritant, le Comité de salut public conçut l'espoir de le détacher de la Coalition. Quelle ne fut pas la surprise des habitants de Francfort, lorsqu'un beau jour ils virent entrer en triomphe, s'étalant dans un magnifique carrosse qui avait servi à Louis XVI et sur les quatre panneaux duquel était peint, en guise d'écusson, un bonnet rouge[35], les trois commissaires du Comité de salut public, Ochel, Paris et Fittermann ! Ils venaient s'aboucher avec le général Kalkreuth, sous prétexte de traiter d'un échange de prisonniers ; mais la réception officielle qui leur fut faite éveilla d'étranges doutes. Mal accueillis par la population, ils obtinrent, au contraire, de toutes les autorités les plus grands égards ; deux sentinelles furent mises à leur porte, et ils mangèrent à la table de Kalkreuth[36].

De là le bruit que leur mission ostensible n'était qu'un prétexte. Il est vrai que le roi de Prusse démentit ces rumeurs, dans l'espoir qu'à défaut de l'Autriche les cercles allemands se chargeraient d'entretenir provisoirement ses troupes ; mais, informé que les princes et États auxquels il adressait cette demande préféraient employer leurs propres soldats à en entretenir d'autres qui ne seraient pas à leur disposition[37], sans plus attendre, il envoya ordre à l'armée prussienne de rentrer dans ses foyers, déclarant qu'il fournirait dans la guerre présente son contingent d'empire, vingt mille hommes, et rien au delà[38] !

Les motifs dont il colora cette résolution auprès du gouvernement britannique sont remarquables. La France, dit-il, est une nation indomptable ; ses ressources sont infinies, et l'esprit qui l'anime est absolument irrésistible[39].

Devant cette défection imminente, les deux puissances maritimes de la Coalition n'hésitèrent pas. La Hollande, qui tremblait d'être écrasée, et l'Angleterre, qui voulait à tout prix poursuivre le cours de ses avantages sur l'Océan, offrirent de concert à la Prusse ce qu'elle désirait, de l'argent. Par un traité signé à la Haye, le 28 avril 1794, il fut convenu que le roi de Prusse s'engagerait à fournir une armée de soixante-deux mille quatre cents hommes ; que cette armée resterait sous le commandement général prussien ; qu'elle agirait contre l'ennemi commun, soit séparément, soit concurremment avec un corps de troupes à la solde des puissances maritimes ; que, de leur côté, l'Angleterre et la Hollande s'engageaient à payer au roi de Prusse un subside mensuel de 50.000 livres sterling jusqu'à la fin de la guerre, et, immédiatement, une somme de 300.000 livres sterling, sans préjudice de 100.000 livres sterling à lui fournir lors de la rentrée des troupes prussiennes dans leur territoire[40]. Les signataires étaient lord Malmesbury, Haugwitz et Fagel[41].

Mais, pendant que l'Angleterre s'épuisait en efforts pour empêcher la Coalition de se dissoudre, un événement inattendu venait rejeter le roi de Prusse dans ses incertitudes. Le 23 mars, Kosciusko était entré à Cracovie ; puis, marchant au-devant des Russes, il les avait battus à Raslawice. Le 27 avril, Varsovie se soulève, chasse l'Étranger. La Pologne était en pleine insurrection.

Telle se présentait la situation générale, lorsque la campagne de 1794 s'ouvrit dans les Pays-Bas, principal théâtre de la guerre.

Les Autrichiens, Anglais, Hanovriens et Hollandais, au nombre de cent cinquante mille hommes, s'étendaient depuis la Meuse jusqu'à la mer, et occupaient trois de nos places fortes, Clairfayt, à la droite, tenant la Flandre occidentale avec vingt-cinq mille hommes.

Depuis la Meuse jusqu'à la Moselle, vingt mille soldats, sous les ordres de Beaulieu, couvraient le pays de Liège, de Namur et de Luxembourg.

Soixante-cinq mille Prussiens étaient cantonnés sur la rive gauche du Rhin, autour de Mayence.

Enfin, cinquante-cinq mille combattants, Allemands et émigrés, tenaient la rive droite du Rhin, de Manheim à Bâle, sous les ordres du duc de Saxe-Teschen.

A ces trois cent quinze mille hommes, les Français avaient à opposer :

1° L'armée du Nord, forte de cent cinquante mille hommes, commandée par Pichegru, et campée sur divers points, de Maubeuge à Dunkerque ;

2° L'armée des Ardennes, de trente mille hommes, commandée par le général Charbonnier[42], et répandue depuis Givet jusqu'à Sedan ;

3° L'armée de la Moselle, de quarante-quatre mille combattants, d'abord aux ordres de Hoche et ensuite aux ordres de Jourdan ; elle occupait le terrain compris entre Longwy et Bliescastel.

4° L'armée du Rhin, sous le général Michaud, forte d'environ soixante mille hommes, et qui, ayant sa gauche à Kaiserslautern, son centre sur la ligne de Spirebach, prolongeait sa droite sur Huningue.

D'où il résulte que, contre trois cent quinze mille hommes, la République n'avait à en mettre en ligne que deux cent quatre-vingt-quatre mille ; à quoi il faut ajouter que les Français étaient en majeure partie des troupes de nouvelle levée, et que leur cavalerie était disproportionnée à celle de l'ennemi[43].

Mais ce qui manquait aux alliés, c'était l'accord. L'égoïsme de l'Autriche, qui ne songeait qu'à ses intérêts particuliers, eut à combattre la roideur anglaise. L'idée de servir sous Clairfayt avait paru choquante au duc d'York : il refusa net. Des altercations violentes s'élevèrent, et tout ce qu'on put obtenir du duc fut qu'il servirait sous l'Empereur, si celui-ci venait prendre le commandement en personne[44]. Il fallut donc que l'Empereur quittât sa résidence, son inauguration comme duc de Brabant offrant du reste un prétexte plausible[45]. Le 15 germinal (4 avril), il était à Bruxelles. Une étrange ordonnance l'y avait précédé : Quiconque sera convaincu de conspiration tendant à propager le système français sera mis à mort[46]. En quoi la Terreur monarchique le cédait-elle ici à la Terreur révolutionnaire ?

Les armées se mirent en mouvement. Le 28 germinal (17 avril), l'ennemi repousse les divisions du centre de l'armée du Nord, et le prince d'Orange investit Landrecies. Pour secourir cette place, Pichegru envoie le général Chapuy avec la division de Cambray, pendant que lui-même tente une diversion sur Courtray. Chapuy rencontre le duc d'York devant les redoutes de Troisville, éprouve un sanglant revers, et meurt sur le champ de bataille[47]. Plus heureux dans la Flandre occidentale, Pichegru bat Clairfayt près de Mouscron et s'empare de Menin. Il y avait dans cette ville un corps d'émigrés : par un coup d'audace qui fut fort admiré, ils se firent jour l'épée à la main[48], prouvant ainsi qu'en France la bravoure est de tous les partis.

La prise de Menin fut compensée, pour les alliés, par celle de Landrecies, qui eut lieu le même jour, 11 floréal (30 avril). Landrecies ouvrit ses portes à l'ennemi, après un bombardement de cinquante heures, qui ne laissait plus que des ruines. Et il ne tint pas aux habitants que ces ruines ne leur servissent de tombeau. Ils opposèrent à la trahison et à la lâcheté d'une garnison de huit mille hommes une bravoure et une fidélité républicaines que les femmes partagèrent, et qui seules auraient sauvé la place, si leur énergie n'eût été enchaînée par cette indigne troupe, punie aujourd'hui de son crime par une captivité que le témoignage d'une bonne conscience n'adoucit point et que le remords doit rendre plus pénible[49].

Le moment que Mack avait attendu avec tant d'impatience était donc arrivé : la Coalition occupait le point d'où, selon lui, le mouvement d'invasion devait s'accomplir : il demanda l'exécution de son plan. Mais dans ce plan, comme on l'a vu, entrait l'inondation de la Flandre maritime ; et c'est à quoi les habitants s'opposèrent, préférant un débordement de républicains, et, en outre, secrètement excités, dit-on, par Clairfayt, auquel la réputation de Mack portait ombrage[50].

Pichegru avait échoué au centre, et réussi à la gauche : il en conclut qu'il devait s'attacher à agir sur les ailes. Cela revenait à vouloir envelopper une armée immense, une armée qui ne comptait pas moins de cent cinquante mille hommes : tentative hasardeuse à l'excès ! Et c'est ce dont Pichegru aurait fait, peut-être, la fatale expérience, si le généralissime autrichien, le prince de Cobourg, eût suivi sa première idée, qui était de marcher rapidement sur Courtray, avec cent vingt mille hommes, de se placer entre les frontières de France et Pichegru, et de le forcer à combattre dans une position d'où il n'aurait pu se retirer, s'il eût été battu ; auquel cas, la masse des alliés revenant sur l'armée des Ardennes, qui opérait à la droite, l'eût infailliblement écrasée[51]. Heureusement, le prince de Cobourg, changeant d'avis, se mit à distribuer ses forces entre tous les points menacés, comme si son rôle eût été de garder la défensive. Tandis qu'il restait lui-même à Landrecies, il envoya le duc d'York à Tournay, au secours de Clairfayt, et donna ordre au prince d'Orange d'aller renforcer le prince de Kaunitz qui, vers la Sambre, tenait tête à l'armée des Ardennes[52].

Cependant Clairfayt, après avoir passé la Lys et s'être réuni au général Harmeslein, s'avançait sur Courtray, s'emparait du faubourg de Bruges, et coupait la communication avec Menin, en occupant le village de Wevelghem. Le général Souham, parti de Courtray, pour une expédition que le mouvement des Autrichiens contraria, revint sur ses pas précipitamment, rejoignit Vandamme dans Courtray, et, détachant Macdonald et Malbranck sur Menin pour y franchir la Lys et tourner Clairfayt, il se tint prêt à l'attaquer de front. L'engagement eut lieu le 22 floréal (16 mai). Depuis la chaussée de Bruges jusqu'à celle de Menin, le front des Autrichiens était couvert par sept batteries, qui foudroyaient les deux seuls débouchés par où les Français pussent opérer leur sortie, sans compter que les tirailleurs ennemis se trouvaient embusqués dans les maisons des deux faubourgs, dans les blés, dans les colzas, jusque sous les moulins[53]. L'intrépide impétuosité des républicains surmonta tous ces obstacles. Deux fois repoussés, ils reviennent au combat, et, à la troisième charge, enfoncent à la baïonnette l'aile gauche de l'ennemi. Il était alors dix heures du soir. Clairfayt, profitant de l'obscurité, se retira sur Thielt[54].

C'est alors qu'à l'état-major autrichien, Mack proposa ce qui fut appelé Plan de destruction[55]. Les alliés pouvant disposer de quatre-vingt-dix mille hommes, il s'agissait de couper la gauche de l'armée française de Lille et des frontières, et de la contraindre à combattre ayant la mer du Nord à dos. En conséquence, le 26 floréal (15 mai) l'Empereur et le prince de Cobourg portent le quartier général à Tournay[56].

Pichegru, alors en tournée à son aile droite, du côté de la Sambre ; avait laissé ses troupes dans les positions que voici : la division Souham était à Menin, la division Moreau à Courtray, la division Bonnaud à Sainghien ; des détachements occupaient Lannoy, Leers, Waterloo, Tourcoing, Lincelles, Werwick et Mouscron.

Quant aux alliés, leurs principales forces campaient à Lamain et Marquain. Le général Clairfayt était à Thielt et le prince Charles à Saint-Amant.

Souham et Moreau, jugeant par les préparatifs de l'ennemi qu'une attaque est imminente, se rapprochent de Lille, tandis que l'armée ennemie se met en mouvement.

A la suite de divers engagements, les alliés se trouvèrent établis, le 28 floréal (17 mai) entre les corps de Souham et Moreau, et la frontière ; mais leurs troupes étaient tellement disséminées, qu'il n'y avait pas lieu à de grandes alarmes[57].

Toutefois, il importait de prévenir la réunion des colonnes ennemies. C'est pourquoi, dès le 29 floréal (18 mai), les généraux français prirent l'offensive.

Moreau, avec environ huit mille hommes, marche à la rencontre de Clairfayt, qui en commandait vingt-cinq mille, et engage hardiment le combat. Les républicains déployèrent une valeur qui n'eut d'égale que l'habileté de leur général. Le nombre l'emporta néanmoins ; et Moreau se retira sur Bousbeck, où il sut se maintenir[58].

Pendant ce temps, Souham, ayant sous ses ordres quarante-cinq mille combattants, dispersait, à Tourcoing, la colonne du général Otto ; et Bonnaud, qui n'avait laissé que des détachements en présence du prince Charles, courait attaquer, dans Lannoy et Roubaix, le duc d'York. Celui-ci croyait les Français retenus dans Lille par l'archiduc : il s'étonne de les voir sur ses derrières, tient bon cependant, mais, informé bientôt de l'approche de Souham, et craignant d'être enveloppé, donne le signal de la retraite[59]. Elle dégénéra en déroute, tant la fougue des républicains devint irrésistible ! Une prodigieuse quantité de blessés et de morts, quinze cents prisonniers, soixante canons, chevaux de selle, chevaux d'artillerie, bagages, caissons, deux drapeaux et deux étendards, tel fut, pour les Français, le prix de la victoire, et, pour l'ennemi, le fruit des savantes combinaisons de Mack[60]. Le duc d'York courut risque d'être pris : la vitesse de son cheval et une centaine de Hessois qui tiraillaient à l'arrière-garde le sauvèrent[61].

Pichegru, arrivé le lendemain, ne reprit pourtant son mouvement offensif que quatre jours après. Il voulait investir Tournay, en l'attaquant par le côté de la Flandre ; mais il trouva les alliés occupant le terrain sous Tournay, depuis Marquain jusqu'à l'Escaut. De quelques attaques d'avant-postes l'extrême ardeur des républicains fit sortir une bataille terrible. Commencée au soleil levant, elle dura tout un jour. L'empereur d'Autriche, qui resta à cheval pendant douze heures, ne cessait de parcourir les rangs, criant à ses soldats fatigués : Courage ! courage ! Le village de Pont-à-Chin, pris par les Français, fut repris par le duc d'York. La nuit seule mit fin au carnage. Il était immense. Vingt mille hommes, dit-on, furent mis hors de combat, sans qu'aucune des deux armées eût perdu un pouce de terrain[62].

Des combats non moins meurtriers et tout aussi peu décisifs se livraient pendant ce temps sur la Sambre. Là étaient les représentants du peuple Levasseur, Guyton de Morveau, Goupilleau (de Fontenay), Saint-Just et Lebas.

Inutile de dire que l'influence dominante était celle de Saint-Just, et qu'il l'exerça, selon son habitude, de manière à faire trembler les violateurs de la discipline, les lâches et les traîtres. Dans une lettre par laquelle lui et Lebas appelaient Joseph le Bon à Cambrai pour y surveiller les manœuvres de l'aristocratie en faveur de l'ennemi, on lit cette phrase caractéristique : Nous t'invitons à annoncer dans Cambrai une résolution inébranlable de ne laisser aucun crime contre la Révolution impuni. Que le tribunal soit civil et militaire ; qu'il mette dans la ville et dans l'armée le redoutable aspect de la Révolution[63]. De pareilles allures ne pouvaient pas être du goût des généraux, sur qui pesait plus particulièrement la volonté de fer de Saint-Just[64]. Ils frémissaient d'avoir à subir, eux gens d'épée, l'ascendant de ce fier jeune homme qui n'avait jamais porté l'épaulette. La part qu'il accordait dans les succès militaires à la spontanéité, à l'amour de la République et à l'enthousiasme, les irritait, parce qu'elle paraissait rabaisser la science des camps. Mais ils étouffaient leurs murmures. Lui, les devinait, et s'en inquiétait peu. Dès son arrivée, il avait pris, de concert avec Lebas, un arrêté qui chassait les femmes de mauvaise vie. Le mécontentement fut extrême parmi les officiers et les soldats ; mais malheur à qui eût désobéi ! Un soldat qui avait gardé sa maîtresse au delà du terme fixé, et l'avait, de sa personne, reconduite à Guise, paya cette bravade de sa tête[65].

En revanche, il ne s'épargnait pas lui-même, pratiquant ce qu'il prescrivait aux autres, et partageant tous les travaux, tous les périls de l'armée. Son courage, du reste, ne tenait en rien à l'ardeur du tempérament ; c'était un courage froid et réfléchi, très-différent de celui qui portait Levasseur à chercher des dangers inutiles, et qui, en certaine occasion, lui attira de la part de Kléber, auquel il semblait reprocher de s'attarder loin du feu, cette réponse dédaigneuse, et, dans la bouche d'un tel guerrier, foudroyante : Est-ce que vous croyez que nous avons peur ?[66] Pas un coup de fusil ne se tirait que Levasseur ne brûlât d'être de la partie ; et, pour peu qu'on hésitât à servir son impatience, où quelque frivolité se mêlait à l'héroïsme, il s'en étonnait. Est-ce que l'odeur de la poudre t'incommode ? demanda-t-il un jour à Saint-Just, qui refusait d'aller courir à sa suite une aventure sans but. Là-dessus, il donne de l'éperon à son cheval, arrive où il croit qu'il y a danger, et reçoit du général qui commandait là cet avis décisif : Il n'y a rien à faire ici. C'était précisément ce que lui avait dit Saint-Just[67].

Une circonstance à rapporter, parce qu'elle montre que le cœur de ces révolutionnaires si terribles n'était pas fermé aux émotions de l'amitié, c'est celle que Levasseur raconte en ces termes.

Le lendemain, Saint-Just vint dans ma chambre... Pendant que j'écrivais, il aperçut ma carabine, s'en empara et s'amusa à en examiner la batterie : elle était chargée, le coup partit, la balle passa près de moi et alla percer mon porte-manteau, qui était sur une chaise, à cinq ou six pas. Je me levai aussitôt. Le fusil était tombé des mains de Saint-Just ; il pâlit, chancela et tomba dans mes bras. Il me dit ensuite d'un ton pénétré : Ah ! Levasseur, si je t'avais tué !Tu m'aurais joué un vilain tour ; si je dois mourir, que ce soit au moins d'une main ennemie[68].

L'homme qui, à l'idée qu'il aurait pu involontairement tuer un ami, pâlissait et chancelait, était le même auquel, près de Strasbourg, un grenadier avait dit, après l'enlèvement d'une redoute : F...., nous sommes contents de toi, citoyen représentant ; ton plumet n'a pas remué un brin ; nous avions l'œil sur toi. Tu es un bon b... ; mais avoue qu'il faisait chaud à cette redoute[69].

Reprenons le récit des opérations militaires. Le général Charbonnier, commandant de l'armée des Ardennes, avait une première fois, pressé qu'il était par les sommations de Saint-Just, passé la Sambre et balayé le pays d'entre Sambre et Meuse ; mais il n'avait pu se maintenir sur la rive gauche. Des renforts du centre étant arrivés, il effectua un second passage, le 22 floréal (11 mai), et fut de nouveau rejeté sur l'autre rive. Ces deux échecs ne faisant qu'animer Saint-Just, Charbonnier, qu'il domine, franchit une troisième fois la rivière, le 1er prairial (20 mai), et forme l'investissement de Charleroi. Mais le prince d'Orange et le comte de Kaunitz, marchant à la rencontre des Français, les forcent à repasser encore la Sambre. Un quatrième passage eut lieu, et le siège de Charleroi venait d'être repris, lorsque le 15 prairial (5 juin), une bataille où les républicains perdirent deux mille hommes les mit dans la nécessité d'abandonner leurs positions[70].

Ainsi, à la droite de la grande armée du Nord, comme à la gauche, le sang coulait par torrents depuis un mois, sans résultat définitif. On ne peut prévoir quel eût été la suite d'une lutte à ce point acharnée, si Carnot, cet homme d'un génie si pénétrant et si sûr, n'eût, au moment décisif, appelé des renforts sur le théâtre où le sort de la France était en suspens. Effrayé de la perte de Landrecies, et résolu à frapper un grand coup du côté de la Sambre, il envoie l'ordre au général Michaud de faire passer seize mille hommes de l'armée du Rhin à celle de la Moselle, et prescrit à Jourdan, nommé au commandement de la dernière en remplacement de Hoche, de marcher sur Liège et Namur[71].

La bataille du 1er prairial (3 juin) était à peine livrée, qu'on vit paraître les têtes de colonnes des quarante-neuf mille hommes qu'amenait Jourdan. Ces quarante-neuf mille hommes, réunis à deux divisions du Nord, et à l'armée des Ardennes, composée aussi de deux divisions, formèrent une armée distincte, qu'on appela de Sambre-et-Meuse. Les Commissaires de la Convention mirent ces troupes sous un seul commandement, celui de Jourdan[72]. Leur ensemble s'élevait à environ quatre-vingt mille hommes, ayant à leur suite cent trente bouches à feu, dont quarante-huit d'artillerie légère. Marceau commandait l'aile droite ; Kléber, l'aile gauche[73].

Une pareille augmentation de forces eût assuré aux Français un avantage considérable, s'il n'eût été balancé en partie par le débarquement de dix mille Anglais à Ostende, et par l'arrivée du général Beaulieu, à Namur. Toutefois les Français conservaient une supériorité d'environ mille hommes entre la Meuse et la mer[74].

D'un autre côté, la discorde était au camp des Coalisés. L'Angleterre et la Hollande demandaient que les Prussiens, au lieu d'agir dans la Lorraine et l'Alsace, se portassent en hâte sur la Sambre, au secours de la Belgique.

C'est ce qu'elles ne purent jamais obtenir. Vainement le marquis de Cornwalis, lord Malmesbury et l'amiral Kinckel insistèrent-ils avec force, disant que les deux puissances maritimes ne payaient pas des subsides pour que leurs auxiliaires soudoyés n'en fissent qu'à leur tête : le maréchal Mallendorf répondait que le meilleur moyen de protéger la Belgique était d'attaquer en flanc la Lorraine et l'Alsace ; que le traité de la Haye stipulait expressément, en faveur de la Prusse, le droit d'avoir un général prussien à la tête des soldats prussiens, et n'accordait nullement à l'Angleterre et à la Hollande l'exorbitant privilège de disposer à leur gré des forces d'un grand peuple[75]. L'aigreur s'en mêla ; on en vint aux récriminations mutuelles, et rien ne fut décidé.

Si du moins l'Angleterre et la Hollande eussent trouvé dans l'empereur d'Autriche un appui sincère ! Mais non : bien convaincu, depuis son voyage, que les provinces belges nourrissaient une haine profonde à l'égard de l'Autriche, l'empereur était secrètement résigné à les abandonner ; et son retour subit à Vienne le prouva. La mort du vieux prince de Kaunitz, arrivée sur ces entrefaites, fortifia le parti de la paix, à Vienne, en rendant Thugut l'arbitre unique des affaires. Mais, — et ceci est très-digne de remarque, — ce qui, plus que toute autre chose, contribua à faire naître ces dispositions pacifiques, qui déjouaient la politique de Pitt, ce fut la persuasion, répandue au dehors, que Robespierre était disposé à mettre un terme aux excès révolutionnaires et au règne de la Terreur. Tels sont les propres termes qu'emploie le prince de Hardenberg[76]. Le décret qui proclamait l'existence de l'Être suprême avait beaucoup frappé l'Europe, comme révélant dans celui qui l'avait provoqué l'intention de fonder quelque chose de durable[77]. On croyait savoir, en outre, que Robespierre s'alarmait de l'ascendant des généraux victorieux ; et en cela les Cours étrangères étaient bien informées. Le soir d'une nouvelle de victoire apportée par un courrier, racontent Billaud-Varenne, Collot d'Herbois et Darère, Robespierre parlait de trahisons prochaines. Il nous paraissait poursuivi par les victoires comme par des furies[78]. A part l'exagération manifeste de la forme, il y a du vrai dans ces paroles. Où les Cours étrangères se trompaient, c'était dans l'idée qu'elles se faisaient de l'énorme pouvoir de Robespierre, l'intérieur des Comités restant couvert d'un voile qui ne se déchira que plus tard.

Quoi qu'il en soit, une fois amenée à regarder la paix comme possible, l'Autriche la désirait, et d'autant plus vivement, que ses préoccupations commençaient à se tourner vers la Pologne ; car la Russie, pour empêcher que sa part de la proie lui fût enlevée, avait songé à s'assurer un nouveau complice et fait briller aux yeux de la cour de Vienne la perspective d'un autre partage dans lequel le lot des Autrichiens se composerait des palatinats de Chelm, Lublin, Sandomir et Cracovie[79]. Voilà les gens qui prétendaient défendre, contre la Révolution française, la cause de la religion, de la justice et de l'humanité !

La présence de Jourdan sur la Sambre ne s'annonça pas d'abord sous d'heureux auspices. Informé que le prince de Cobourg avait tiré des renforts de sa gauche pour secourir la ville d'Ypres que Pichegru assiégeait, Jourdan passe une fois encore la rivière et court avec toutes ses forces investir Charleroi. Le prince d'Orange ayant marché à la rencontre des Français, le combat s'engage. Jourdan fait charger une colonne qui s'avançait par deux régiments de cavalerie, sous les ordres du général Dubois. La colonne ennemie est culbutée, perd sept pièces de canon, et laisse entre nos mains six cents prisonniers. Jourdan croit tenir la victoire, lorsqu'il apprend tout à coup que le général Lefebvre, ayant consommé ses munitions, a été obligé de battre en retraite, ce qui a permis à Beaulieu de pénétrer entre Marceau et Championnet, forcés ainsi de reculer à leur tour. Ce mouvement décidait du sort de la journée, en ce sens du moins que les alliés purent rester en possession pendant vingt-quatre heures du terrain qu'avaient occupé les Français. Cet avantage fut le seul que l'ennemi retira du combat du 28 prairial (16 juin), la perte étant d'environ trois mille hommes de part et d'autre, et les Français emmenant sept pièces de canon, outre six cents prisonniers[80]. Mais ce qui fut un semblant de défaite eût été une victoire, sans l'imprévoyance des officiers chargés de veiller à l'approvisionnement des parcs. Saint-Just, irrité, parlait de les faire fusiller à l'instant. Jourdan eut beaucoup de peine à l'apaiser, et n'y parvint qu'en prenant l'engagement de vaincre[81]. Au reste, cette tentative eut cela de bon qu'elle contribua à la prise d'Ypres, qui, le lendemain même, capitula entre les mains du général Moreau[82].

Clairfayt n'était plus en état de protéger les villes flamandes entre Gand et la mer. Bruges, le 6 messidor (24 juin), reconnut la souveraineté de la République, à la grande satisfaction des habitants, qui détestaient l'Autriche ; et, quelques jours après, Tournay, que le duc d'York se vit contraint d'abandonner, reçut les Français avec des transports de joie[83].

Un événement considérable avait eu lieu dans le court intervalle qui sépara ces deux conquêtes[84].

Immédiatement après le combat du 28 prairial (16 juin), Jourdan avait fait venir en hâte de Maubeuge les munitions nécessaires, et, dès le surlendemain, se portant de nouveau au delà de la Sambre, il reprit ses anciennes positions.

La garnison de Charleroi avait déjà comblé un quart des tranchées, brûlé gabions et fascines. Les travaux furent poussés avec cette audace qu'on a remarquée dans tous les sièges dirigés par Marescot. Un fait montrera quelle confiance animait ce hardi soldat. Au siège de Charleroi, raconte Levasseur, Marescot, qui commandait le génie, était monté sur une rosse. Je lui offris de lui prêter mon cheval, ajoutant : Si nous prenons Charleroi, je vous prierai de l'accepter. — Alors, il est à moi, répondit Marescot ; et il était si persuadé de ce qu'il disait, qu'il ne me le rendit pas[85]. Sous l'œil de Saint-Just, d'ailleurs, manquer à son devoir, c'était jouer sa tête. Un officier d'artillerie, coupable de négligence dans la construction d'une batterie, fut, par l'ordre du proconsul, fusillé dans la tranchée. Saint-Just cédait quelquefois cependant ; mais, dans ce cas, il fallait que l'événement vînt prouver qu'il avait eu tort. C'est ainsi que, Jourdan ayant refusé d'envoyer au secours de Pichegru des troupes qu'il jugeait plus utiles devant Charleroi : Eh bien, dit Saint-Just, soit ; mais, si Pichegru est battu, votre tête tombe.

Le 7 messidor (25 juin), le commandant de Charleroi écrivit que, n'étant pas secouru, il demandait à entrer en arrangement. Les généraux voulaient qu'on entamât la négociation, représentant que l'ennemi s'avançait à grands pas, et qu'il était d'une extrême importance d'être maître de la place, au moment d'une bataille, peut-être décisive. Saint-Just, qui appréciait mieux que les généraux l'effet de cette attitude superbe dont la politique romaine avait tiré tant de fruit, se contenta de dire : Il faut que la ville se rende à discrétion. Et la ville se rendit[86].

Le prince de Cobourg, à qui l'on avait présenté comme une victoire complète l'avantage insignifiant remporté le 28 prairial, fut fort étonné d'apprendre que Jourdan avait, dès le surlendemain, repassé la Sambre, et sentit qu'il devait porter ses principales forces contre l'armée qui menaçait le plus directement ses communications. Laissant donc au duc d'York le soin d'appuyer Clairfayt, qui était toujours à Thielt, il conduisit le restant de ses troupes à Nivelles, où il fit sa jonction avec le prince d'Orange. Le 7 messidor (25 juin), il se rapprocha de l'armée française. Il était suivi de quatre-vingt mille combattants. Jourdan n'avait en ligne que soixante-seize mille hommes[87].

Au delà de la ville de Charleroi, située sur la Sambre, une suite de positions, imparfaitement liées entre elles, décrivent un demi-cercle d'environ dix lieues d'étendue, dont les extrémités s'appuient à la rivière.

Voici comment l'armée française fut distribuée le long de cette ligne retranchée.

A la gauche, une brigade aux ordres du général Daurier, fut postée en avant de Landelies, derrière Fontaine-l'Évêque ; la division du général Montaigu occupa Trazégnies, et celle de Kléber se plaça en avant du moulin de Jumel et du village de Courcelles.

A la droite, les troupes que commandait Marceau défendaient les postes de Baulet, Wanfercée et Velaine.

Au centre étaient les généraux Lefebvre, Championnet et Morlot : le premier un peu en arrière, et sur la gauche de ce village de Fleurus qui a donné son nom à quatre batailles mémorables[88] ; le second, au delà d'Heppignies, et le troisième, en avant de Gosselies.

Le prince d'Orange et le général Latour firent face à notre gauche ; l'archiduc Charles et le général Beaulieu à notre droite ; le comte de Kaunitz et le général Kosdanowich à notre centre.

Le 8 messidor (26 juin), l'action s'engagea dès le point du jour. Tandis que le prince d'Orange marchait contre Daurier, le général Latour, passant le Piéton, ruisseau qui traverse le champ de bataille, se dirigea vers le château de Trazégnies, dont il se rendit maître, à la suite d'un combat opiniâtre. La première ligne déboucha ; mais, à peine formée, elle est chargée par la cavalerie française et recule. Reportant aussitôt en avant son infanterie, Montaigu reprend sa première position, contre laquelle le général Latour se hâte d'appeler sa réserve. La position de Montaigu étant très-exposée, Jourdan avait prévu qu'il lui serait difficile de s'y maintenir, et lui avait donné pour instructions, s'il était pressé trop vivement, d'effectuer sa retraite, partie sur le général Daurier, partie sur Marchienne, pour défendre le passage de la Sambre. C'est ce qui eut lieu. Renonçant à une lutte inégale, Montaigu traverse le bois de Monceaux, envoie une brigade au général Daurier, se retire avec l'autre sur Marchienne, fait reployer les pontons, et place sur la rive droite de la Sambre des batteries chargées de répondre à celles que Latour, après s'être avancé sur la Cense de Judonsart, établit sur la hauteur de Saint-Fiacre.

Pendant ce temps, le prince d'Orange, ayant repoussé les avant-postes français de Fontaine-l'Évêque, cherchait à culbuter Daurier, qui couvrait les hauteurs de Lernes. Inutiles efforts ! Ses attaques furent repoussées, ses troupes écrasées par la mitraille, et, la brigade envoyée par Montaigu arrivant, il eut si peur d'être attaqué à son tour avec succès, qu'il se replia sur Forchies, au lieu de déboucher sur Rus, comme il en avait l'intention, pour se lier au général Latour, lequel, en s'avançant sur Jundonsart sans être soutenu, courait risque d'être enveloppé. En effet, Kléber, d'après les instructions du général en chef, fait occuper l'abbaye de Sart par deux bataillons d'infanterie, et le pont de Roux par une division de gendarmerie appuyée de quatre compagnies de grenadiers ; il détache en même temps Bernadotte sur Baymont, et, avec trois bataillons, deux escadrons, quelques pièces d'artillerie, se porte plus à gauche, à la tête du bois. Bientôt l'artillerie française fait taire la batterie qui tirait sur Marchienne ; Bernadotte attaque la droite des ennemis ; Duhem tourne leur gauche. Il fallut que Latour, pressé de toutes parts, se retirât précipitamment sur Forchies, d'où il continua sa retraite avec le prince d'Orange sur Haine-Saint-Paul, pendant que Montaigu, renforcé de quelques troupes de la division de Kléber, se portait en avant et reprenait sa position de Trazégnies.

Sur la droite, l'aspect des choses était moins favorable. Beaulieu avait emporté Wanfercée, Velaine et Baulet : il s'avance contre les retranchements du bois de Copiaux, les tourne, et force les troupes de Marceau à se reployer sur le village de Lambusart, poste contigu à la Sambre, et nécessaire appui de notre extrême droite. La cavalerie française fit mal son devoir : elle recula devant celle de l'ennemi ; mais celle-ci, voulant pousser jusqu'à l'infanterie, fut reçue la baïonnette en avant et repoussée. Les escadrons français, ralliés à la gauche de Lambusart, tirent reculer à leur tour ceux que Beaulieu avait lancés pour tourner le village, et le feu des redoutes foudroya ceux qui tentèrent d'en approcher. Malheureusement, le prince Charles arrivait : il avait chassé les avant-postes de Lefebvre et put opérer sa jonction avec Beaulieu. Que la droite de notre armée fût tournée par Lambusart, c'en était fait. Jourdan, attentif au danger, appelle en toute hâte au secours de Lefebvre et de Marceau la cavalerie aux ordres du général Dubois et la réserve placée à Ransart sous le commandement du général Hatry. Mais, avant que ces renforts paraissent, Beaulieu attaque de nouveau e village de Lambusart. Vainement Marceau déploie-t-il une valeur héroïque ; ses troupes, accablées par des forces supérieures et vivement chargées par la cavalerie, se retirent en désordre de l'autre côté de la Sambre, à l'exception de quelques bataillons qui, se serrant autour de leur général, se maintiennent dans les haies. L'arrivée de trois bataillons de la division Lefebvre et de trois autres appartenant à celle de Hatry permit à Marceau de rétablir le combat. Dans l'impuissance de pénétrer plus avant, Beaulieu laisse dans Lambusart quelques bataillons soutenus d'une forte réserve, et, par un mouvement sur sa droite, se réunit avec le surplus de ses troupes à une colonne qui, débouchant de Fleurus, attaquait le camp retranché, défendu, à droite de Wagné, par les divisions Lefebvre et Hatry. Là le combat fut terrible. Ne pouvant tourner les retranchements, Beaulieu les aborde de front. Trois fois ses troupes arrivent jusqu'à portée de pistolet ; trois fois la mitraille et la mousqueterie jonchent la terre de morts. Aussitôt que l'ennemi tournait le dos, il était chargé en queue par les escadrons qui débouchaient des lignes, au moyen des passages qu'on y avait ménagés. L'artillerie tirait, de part et d'autre, avec tant de vivacité, que, les baraques du camp et les blés venant à s'enflammer, on se battit dans une plaine en feu. Beaulieu dut faire replier ses colonnes ; et, Lefebvre s'étant alors porté rapidement sur Lambusart avec la 80e demi-brigade, tandis que Marceau s'avançait contre le bois à droite de ce village, l'ennemi essaya, mais en vain, de résister à cette attaque combinée. Peu de temps après, le général Mayer, qui avait rassemblé les troupes rejetées au delà de la Sambre, arriva, et l'aile droite reprit la position qu'elle occupait avant la bataille.

Au centre, pendant ce temps, le général Kosdanowich et le comte de Kaunitz bornaient leurs efforts à une vive canonnade, précédée de quelques engagements d'avant-postes et d'une tentative infructueuse pour emporter les retranchements défendus par Championnet. Ce fut à quatre heures du soir seulement que le comte de Kaunitz, renforcé d'une partie de la réserve, renouvela son attaque. La division Championnet, bien retranchée, appuyée à une forte redoute, et soutenue par la réserve de cavalerie et quatre compagnies d'artillerie légère, ne pouvait être dépostée. Cependant, Championnet ordonne la retraite, trompé qu'il était par un faux avis annonçant que Lefebvre avait été forcé d'abandonner son camp retranché. Déjà la grande redoute était désarmée, déjà les troupes françaises sortaient d'Heppignies, lorsque Jourdan accourt avec six bataillons et huit escadrons de la division Kléber. Il détrompe Championnet, lui ordonne de reprendre le terrain abandonné, fait rentrer l'artillerie dans la redoute, et dispose en colonne serrée à la droite du village l'infanterie venue avec lui. Championnet, impatient de réparer sa faute, se précipite sur les bataillons ennemis qui ont pénétré dans les jardins, dans les haies, et les chasse. D'un autre côté, les lignes qui s'avançaient entre Heppignies et Wagné sont foudroyées par le feu de l'artillerie. Jourdan, témoin de la confusion qui y règne, ordonne au général Dubois de les charger, et Dubois part au galop avec les premiers régiments qui se trouvent sous sa main. La première ligne des Autrichiens fut culbutée ; mais pour cette charge, exécutée avec plus d'audace que de talent, la cavalerie française s'était ébranlée en désordre ; de sorte que la cavalerie des alliés, fondant à son tour sur nos escadrons épars, les força de reculer et reprit les pièces que l'ennemi avait perdues. Il était alors sept heures du soir.

Le prince de Cobourg avait vu toutes ses attaques repoussées : il donna le signal de la retraite. Il avait commis une faute capitale en essayant d'envelopper la position demi-circulaire des Français, au lieu de concentrer ses forces sur un seul point d'attaque. La perte des républicains s'éleva, en tués et blessés, à environ cinq mille hommes ; celle des alliés fut évaluée au double.

Dans la soirée et le lendemain, la cavalerie française ramassa plus de trois mille traînards[89].

Tel fut le résultat de cette journée : elle décidait du sort de la campagne, et la nouvelle qui s'en répandit causa dans toute l'Europe une sensation immense.

Des historiens ont avancé que le prince de Cobourg ignora la reddition de Charleroi jusqu'à quatre heures du soir, et n'ordonna la retraite qu'en apprenant cette reddition, attendu que la bataille devenait ainsi sans objet. Dans le manuscrit sous nos yeux, Jourdan répond en ces termes : D'abord, le prince de Cobourg, instruit par ses avant-postes que les batteries de siège avaient cessé de tirer depuis la veille à dix heures du matin, a dû présumer que le commandant avait capitulé. Ensuite, s'il est vrai qu'il ait appris la reddition de la place à quatre heures du soir, on se demande pourquoi il prolongea le combat jusqu'à sept. D'ailleurs, à qui persuadera-t-on que, si le général ennemi eût touché à la victoire, il se fût retiré par la seule raison que Charleroi avait ouvert ses portes ? Certes, il avait à remplir un objet bien plus important que celui de sauver une bicoque ; il s'agissait de battre l'armée qui prenait la Flandre à revers, et s'il eût été en son pouvoir de la rejeter au delà de la Sambre, il n'en eût pas laissé échapper l'occasion.

On sait que ce fut à la bataille de Fleurus qu'on fit usage, pour la première fois, d'un aérostat, au moyen duquel, dit-on, le général français fut instruit de tous les mouvements de l'ennemi. Jourdan écrit, à ce sujet : Quant au ballon, il fut si peu utile que, depuis, on n'en a plus fait usage. De son côté, Levasseur dit : Guyton de Morveau, un des plus grands chimistes de l'Europe, était venu à l'armée pour essayer l'effet d'un aérostat. Il monta dans la nacelle avec un officier nommé Lomet. Beaucoup d'historiens militaires n'ont pas daigné le nommer, comme si l'aérostat était de l'invention de Jourdan ! Est-ce parce que Guyton de Morveau était un conventionnel ?[90]

Ce n'était pas sur les frontières du Nord seulement que la République triomphait.

Aux Pyrénées orientales, les Espagnols, commandés par La Union depuis la mort du brave Ricardos, furent chassés par Dugommier de leur camp du Boulou[91], et, après avoir perdu quinze cents prisonniers, cent quarante pièces de canon, huit cents mulets et des effets de campement pour vingt mille hommes, se virent rejetés au delà des montagnes.

Aux Pyrénées occidentales, la vallée de Bastan, assaillie par les trois principaux passages qui y donnent accès, fut enlevée[92].

Aux Alpes, les Français, sous la conduite du général Baguelone, s'emparèrent des trois redoutes du mont Valaisan, de celles du Petit-Saint-Bernard[93], et occupèrent le poste important de la Tuile[94].

Du côté de Nice, grâce à des manœuvres habiles suivies de pressantes attaques, Dumerbion, secondé par Masséna et par le nouveau général de brigade Bonaparte, força les Piémontais à abandonner Saorgio, et à se replier, d'abord sur le col de Tende[95], puis à Limone, au delà de la grande chaîne. Si bien que, vers le commencement de mai, la République était victorieuse sur toute la chaîne des Alpes.

Avant de se mesurer à Fleurus, Beaulieu et Jourdan s'étaient déjà rencontrés à Arlon, poste auquel les Autrichiens attachaient beaucoup d'importance comme coupant ou facilitant les communications entre Luxembourg et les Pays-Bas. Jourdan était alors à la tête de l'armée de la Moselle.

L'action, commencée le 28 germinal (17 avril), mais suspendue par la nuit, fut reprise le lendemain avec un redoublement de vigueur, et se dénoua par une charge à la baïonnette qui mit les Autrichiens en fuite. Arlon tomba au pouvoir de l'armée de la Moselle ; et, quelques jours après, celle du Rhin, sous le commandement du général Michaud, remportait, près de Kirweiller, entre Landau et Neustadt, un avantage qui coûta aux ennemis huit cents hommes, tués ou blessés[96].

Sur mer, pendant ce temps, la valeur républicaine se déployait, sinon avec autant de succès, du moins avec autant d'éclat.

Vers la fin du mois de mai, une quantité considérable de grains et de denrées coloniales était attendue d'Amérique, et le gouvernement anglais, qui ne négligeait rien pour affamer la France, guettait le convoi. A le sauver, il y avait, de la part du Comité de salut public, nécessité suprême. En conséquence, ordre est envoyé au contre-amiral Villaret-Joyeuse, qui commandait, à Brest, une flotte de vingt-six vaisseaux de ligne[97], de sortir du port et de se porter à la rencontre du convoi. Ses instructions lui enjoignaient de croiser à la hauteur des îles de Coves et de Flores, et d'éviter un engagement, s'il était possible[98]. Mais Jean-Bon Saint-André, qui était embarqué sur le vaisseau amiral, où il représentait la Convention, insista pour la bataille. Du reste, quoique nos équipages se composassent en partie de paysans qui n'avaient jamais vu la mer, ils demandaient à grands cris le combat ; et leur joie fut extrême lorsque, le 9 prairial (28 mai), ils aperçurent la flotte anglaise. Elle se composait, comme la nôtre, de vingt-six vaisseaux de ligne, sous le commandement de l'amiral Howe[99]. Les forces étaient donc à peu près égales.

La journée du 9 prairial se passa en manœuvres. Mais un vaisseau français, le Révolutionnaire, ayant diminué de voiles à l'apparition de l'ennemi, soit impatience d'en venir aux mains, soit tout autre motif, demeura sous le vent, à l'arrière de la flotte, et si fort exposé, qu'à l'entrée de la nuit il se trouva engagé par les vaisseaux anglais le Bellérophon, le Leviathan et l'Audacious, sans compter qu'il eut à subir le feu éloigné de trois autres vaisseaux ennemis, le Russel, le Marlborough et le Thunderer[100]. Sa défense fut héroïque, et, quoique désemparé, il parvint à échapper à l'ennemi ; si bien que, rencontré, le lendemain, par le vaisseau français l'Audacieux, il fut pris à la remorque et conduit à Rochefort[101]. Il avait mis le Bellérophon hors d'état de continuer la lutte, et à tel point maltraité l'Audacious, que ce dernier fut obligé de regagner Plymouth[102].

Le départ de l'Audacious et du Révolutionnaire ne changeait rien au rapport numérique des deux flottes, et cependant la flotte française s'en trouvait affaiblie, le Révolutionnaire étant un vaisseau de cent dix canons, et l'Audacious un vaisseau de soixante-quatorze seulement[103].

Les deux armées demeurèrent en observation toute la nuit. Suivant les auteurs de l'ouvrage intitulé Victoires et Conquêtes, la flotte française avait hissé des fanaux à tous ses mâts d'artimon, et l'ennemi en cela ne fit que l'imiter[104]. Suivant William James, au contraire, seuls les vaisseaux anglais portaient une lumière[105]. Ce qui est certain, c'est que, de part et d'autre, il y avait impatience fiévreuse de se mesurer.

Le 10 prairial (29 mai), la position du vent, que Villaret-Joyeuse voulait conserver, l'ayant forcé de virer de bord par la contre-marche, l'amiral Howe manœuvra d'après cette nouvelle disposition. Villaret fait alors signal à son avant-garde de serrer l'ennemi au feu et de commencer le combat. Le Montagnard, vaisseau de tête, envoie sa première volée vers dix heures du matin, et l'engagement ne tarde pas à devenir très-vif. L'avant-garde ennemie, forcée de plier, vire sur son arrière-garde et se porte sur celle de la flotte française. D'après le rapport officiel de Jean-Bon Saint-André, si deux de nos vaisseaux, l'Indomptable et le Tyrannicide, se trouvèrent alors entourés de forces supérieures, la faute en fut au retard apporté dans l'exécution des ordres de l'amiral. Quoi qu'il en soit, les deux vaisseaux compromis étaient déjà désemparés : Villaret donne le signal de virer de bord pour se porter à la queue. Mais le vaisseau de tête ne bouge pas et arrête le mouvement de toute la ligne. Villaret prend alors son parti hardiment ; il vire de bord le premier, ordonnant à la flotte de le suivre, et de prendre la ligne de vitesse sans observer de rang. Tous les vaisseaux suivirent, un seul excepté. Cette manœuvre, exécutée avec une célérité et une précision remarquables, eut un plein succès : l'Indomptable et le Tyrannicide furent dégagés, et l'ennemi dut s'éloigner en tenant le vent[106]. Il était sept heures du soir, et l'action avait commencé à dix heures du matin. Une brume épaisse s'étant élevée sépara les deux flottes, qu'elle mit pendant deux jours dans l'impossibilité de rien entreprendre[107].

Dans cet intervalle, la flotte française fut rejointe par le Trente-un-mai et par trois vaisseaux de ligne qu'amena le contre-amiral Nielly, savoir : le Trajan, le Téméraire et le Sans-Pareil. Villaret profita de la circonstance pour renvoyer, en le faisant escorter par le Mont-Blanc, l'Indomptable, qui ne pouvait plus tenir la mer. On se rappelle que l'Audacieux avait reconduit le Révolutionnaire à Rochefort. La flotte française restait donc composée de vingt-six vaisseaux de ligne[108]. Tel était l'état des choses, lorsque se leva ce soleil du 13 prairial (1er juin) qui allait éclairer le plus furieux combat qu'ait jamais vu l'Océan.

Entre neuf heures un quart et neuf heures et demie, l'avant-garde française ouvrit son feu sur l'avant-garde anglaise, et, au bout d'un quart d'heure, le feu devint général. Bientôt, la Montagne, montée par Villaret-Joyeuse et Jean-Bon Saint-André, se trouva aux prises avec la Reine-Charlotte, que montait l'amiral Howe. Une fausse manœuvre du Jacobin, matelot d'arrière[109] de l'amiral français, en mettant à découvert la Montagne, permit à Howe de couper la ligne derrière ce dernier vaisseau et de le battre par la hanche du vent. D'autres vaisseaux avaient suivi le mouvement de l'amiral Howe : la situation de la Montagne devint terrible, et n'eut d'égale que l'intrépidité de son équipage. Villaret est renversé de son banc de quart, qui saute en éclats ; il se relève sans se déconcerter, et fait rétablir le banc de quart[110]. Un nommé Cordier reçoit un boulet qui lui brise en esquilles le tibia ; il demande, il obtient qu'on le comprime avec un ceinturon d'épée, et reste à son poste[111]. Un jeune homme, Bouvet de Cressé, voyant des caisses remplies de cartouches s'enflammer sur la dunette, et tuer en éclatant la moitié des timoniers, court au milieu de la confusion, et quoique couvert de blessures, mettre le feu à la caronade de trente-six à tribord[112]. Le capitaine Bazire, ayant les deux cuisses emportées, dit au chirurgien qui le pansait : Dites au représentant du peuple que le seul vœu que je forme en mourant, c'est le triomphe de la République[113].

Pendant ce temps, au centre et à l'arrière-garde, les autres vaisseaux français se battaient avec un acharnement sans exemple. Ils avaient arboré cette devise, inscrite en lettres d'or sur des pavillons bleus : la Victoire ou la Mort ! et, depuis l'amiral jusqu'au dernier des matelots, tous montrèrent qu'ils comprenaient le sens profond de cette devise. Du côté des Anglais, égale bravoure et résolution égale. Au milieu de tant de milliers de pièces de canon vomissant ensemble la mort, on n'eût pas entendu la foudre, et les tourbillons de fumée qui enveloppaient le champ de bataille étaient tels qu'on ne se voyait plus. A environ onze heures trente minutes, les Anglais se trouvèrent avoir onze de leurs vaisseaux plus ou moins démâtés, et les Français en comptaient douze dans le même état[114]. La Montagne était parvenue à se faire abandonner ; mais lorsque, le feu cessant, la fumée se dissipa, et que le vaisseau amiral français se vit libre sur une mer couverte de gaz phosphorescent, de débris et de cadavres, un spectacle douloureux se présenta aux yeux de Villaret-Joyeuse. Son avant-garde avait plié, elle était à une demi-lieue sous le vent. Si elle eût gardé son poste, il eût pu, en virant de bord, couvrir tous les vaisseaux désemparés des deux nations, et la journée était à lui ; mais forcé d'arriver pour rallier l'avant-garde, il perdit du terrain par cette manœuvre même, qui l'empêcha de s'élever assez dans le vent pour sauver tous ses vaisseaux[115]. Dans cette situation, il mit en panne et y demeura au moins cinq heures, envoyant ses frégates et ses corvettes remorquer ceux des vaisseaux français qui étaient désemparés. Quatre furent dégagés de cette façon, le Mucius, le Républicain, le Scipion et le Jemmapes ; un cinquième, le Terrible, avait rejoint l'amiral, en se frayant un chemin au travers de la flotte anglaise[116]. Malheureusement, tout ne put être sauvé ; et le Sans Pareil, le Juste, l'America, l'Impétueux, le Northumberland, l'Achille, restèrent au pouvoir de l'ennemi, auquel, selon l'énergique expression de Jean-Bon Saint-André, ils ne livraient que des carcasses abîmées[117].

Ici se place le glorieux et touchant épisode du Vengeur.

Ce vaisseau, après un combat à mort avec le Brunswick, combat qui n'avait laissé aux deux antagonistes qu'un souffle de vie, commença, vers six heures et demie du soir, à couler bas. C'en était fait de tous ceux qui le montaient, si, frappés de ce spectacle terrible, les Anglais n'eussent mis généreusement à la mer leurs canots disponibles pour sauver l'équipage en détresse. Sur le nombre des personnes que ces canots recueillirent, les récits sont en désaccord — à tel point même, que l'appréciation varie de quarante ou cinquante à plus de quatre cents[118]. Toujours est-il que, parmi ces personnes, figurait Renaudin, le capitaine du Vengeur. Quant à ceux qui restaient à bord au moment où le vaisseau s'enfonça, leur agonie fut sublime. Réunis sur le pont, ils attachent le pavillon français, de peur qu'il ne surnage, et le visage tourné vers le ciel, agitant en l'air leurs chapeaux, ils descendent comme en triomphe dans l'abîme, aux cris de : Vive la République ! vive la France ![119]

C'était une cruelle perte que celle de sept vaisseaux ; mais les Anglais avaient payé bien cher cet avantage ! Le Queen Charlotte, que l'amiral Howe montait en personne, avait perdu son mât de hune d'avant, il avait vu son grand mât de hune tomber sur le côté ; et la plupart des autres vaisseaux de la flotte anglaise étaient, aux termes de la dépêche de l'amiral Howe, tellement désemparés, qu'ils durent laisser passer trois des nôtres qui, privés de leurs agrès, se dégagèrent, sous une voile de beaupré ou une voile plus petite encore, attachée à un tronçon de mât de misaine[120].

Ainsi se trouve confirmé par l'amiral anglais lui-même le passage suivant du rapport officiel de Jean-Bon Saint-André :

L'amiral français a mis en panne et y a demeuré au moins cinq heures ; il a envoyé toutes ses frégates et toutes ses corvettes pour donner des remorques, sans que ces petits bâtiments aient été inquiétés. Le Pavillon, corvette de huit canons de quatre, est allé prendre un de nos vaisseaux sous la volée de l'ennemi et il ne lui a pas été tiré un coup de canon. Immobiles pendant toute cette opération, nous avions l'armée anglaise au vent à nous ; nous ne pouvions par aller vers elle, mais elle pouvait venir vers nous ; pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ? La vérité est que l'ennemi était plus maltraité que nous, et il est bien forcé d'avouer qu'il était hors d'état de tenir la mer[121].

Un fait qu'il importe de ne pas perdre de vue, c'est que, tandis que, le 13 prairial (1er juin), les deux flottes se mesuraient, le convoi attendu passait sur le champ de bataille du 10 prairial (29 mai), à travers les débris du combat, hunes, pièces de sculpture des galeries, figures brisées[122]. Les Anglais se croyaient si sûrs d'intercepter le convoi, qu'à Londres il était déjà vendu, et que les capitaines anglais dont Vaustabel avait, chemin faisant, capturé les navires, lui disaient : Vous nous prenez en détail, mais l'amiral Howe vous prendra en gros[123]. Non-seulement ces espérances hautaines furent déjouées, non-seulement le convoi entra sain et sauf dans les ports de France, mais, le 21 prairial (9 juin), Villaret-Joyeuse, avec une flotte délabrée, réduite à dix-neuf vaisseaux démâtés et en remorque, eut la satisfaction de donner la chasse à une escadre anglaise qui croisait sur Penmark, couvrant les ports de Brest et de Lorient[124]. Cette escadre, commandée par le contre-amiral Montagu, se composait de neuf vaisseaux de ligne et de trois frégates[125]. Elle était toute fraîche, ce qui lui aurait permis de tenter la lutte sans trop de présomption, malgré son infériorité numérique. Elle n'en jugea point de la sorte. Ils se sont couverts de voiles, raconte Jean-Bon Saint-André ; et lorsque, voyant l'impossibilité de les atteindre, nous avons repris notre route, ils ont gagné le large[126].

Telle fut cette rencontre fameuse, si l'on en dégage le récit des exagérations auxquelles elle donna lieu de part et d'autre, et qu'un esprit étroit de nationalité inspira. Il fallait certes toute la forfanterie de Barère pour chanter victoire, comme il le fit dans son rapport du 21 messidor (19 juillet) ; et quand on lit ce rapport, non moins inexact que pompeux, on ne s'étonne plus que Robespierre, esprit grave, reprochât au rapporteur du Comité de salut public la longueur et l'exaltation de ses comptes rendus touchant le triomphe de nos armées[127]. La victoire ! nul doute qu'elle n'appartînt aux Anglais, puisque nous avions perdu sept vaisseaux, sans qu'ils en eussent perdu un seul[128]. Mais il est certain, d'un autre côté, que la flotte française avait combattu avec un héroïsme impossible à surpasser[129] ; que son triomphe avait tenu à peu de chose[130] ; qu'elle ne s'était pas retirée après le combat devant l'ennemi, et l'avait attendu pendant cinq heures ; qu'elle lui avait fait payer cruellement la capture de six vaisseaux[131], et qu'enfin elle avait accompli sa mission, qui était le salut d'un convoi attendu avec angoisse par la France affamée.

Les deux peuples pouvaient donc se montrer fiers à bon droit du dévouement et du courage qui venaient d'être mis à leur service.

Lord Howe fut reçu en Angleterre avec enthousiasme. La famille royale se rendit à Portsmouth au-devant de lui, et là, sur le tillac du vaisseau Queen Charlotte, le roi offrit à l'amiral une épée du prix de trois mille guinées. Des gages, proportionnés, de l'approbation du monarque furent donnés aux amiraux et aux capitaines. Les premiers reçurent des médailles d'or qu'ils furent autorisés à porter autour du cou, suspendues à une chaîne d'or. L'amiral Graves fut créé pair d'Irlande, avec le titre de lord Graves. Sir Alexandre Hood fut fait vicomte de Bridport. Aux contre-amiraux Gardner, Curtis, Bowyer et Pastley, on conféra la dignité de baronnet, avec une pension de mille livres sterling pour les deux derniers, dont chacun avait perdu une jambe[132].

En France, la Convention ordonna qu'une image du vaisseau le Vengeur serait suspendue à la voûte du Panthéon[133].

 

———————————————

 

L'épisode du Vengeur ayant donné lieu à des appréciations en sens inverse, les unes exagérées, les autres très-injustes, il convient de les signaler.

On lit, dans Victoires et Conquêtes, que l'équipage du Vengeur, au lieu de chercher à se sauver en se rendant prisonnier au moment où le vaisseau menaçait de couler bas, déchargea sa bordée quand déjà les derniers canons étaient à fleur d'eau. Ceci n'est pas admissible, quand on considère que les Anglais, voyant le vaisseau enfoncer, envoyèrent au secours de ceux qui le montaient plusieurs chaloupes, dans lesquelles fut recueillie une partie de l'équipage, et, entre autres, le capitaine Renaudin, son frère, et quelques officiers.

Mais si l'on peut accuser d'exagération certains récits français, que dire de certains récits anglais ? Que dire de celui de Brenton par exemple, qui s'écrie rondement : There was no cry of Vive la nation ! so falsely stated in the Convention. The French colour were struck, and she (le Vengeur) sank down with the English Jack over the Republican ? Est-ce donc à sa qualité de capitaine dans la marine royale anglaise, que Brenton doit d'ignorer que le fait en question ne fut pas affirmé à la Convention seulement, mais dans plusieurs journaux anglais de l'époque, notamment dans le Morning du 16 juin — quinze jours après le combat — ; que ce fait fut détaillé dans une lettre écrite à un autre journal anglais, par un officier présent à l'action, et qu'il fit grand bruit, en ce temps-là, dans la presse anglaise, où il fut cité maintes et maintes fois comme une preuve de ce qu'il fallait craindre d'un peuple animé à ce point du fanatisme des idées nouvelles ? Mais quoi ! cet ouvrage de Brenton, qui est sous nos yeux, respire un trop mauvais esprit et est semé de trop d'erreurs pour inspirer la moindre confiance, partout où les susceptibilités nationales sont en jeu. Quelle foi ajouter à un historien qui, parlant du combat du 1er juin, montre notre flotte en fuite, flying enemy (vol. I, p. 154) ? Quelle foi ajouter à un historien qui, avec la dépêche de l'amiral Howe sous les yeux, écrit : The damage sustained by our fleet, was inconsiderable, except with a few ships (vol. I, p. 151), et qui reproche à l'amiral Howe d'avoir laissé échapper cinq vaisseaux de ligne français, lesquels, selon notre auteur, n'attendaient, pour se rendre, qu'une sommation (ibid., p. 154) : fanfaronnade ridicule, qui fait de l'amiral Howe un imbécile ou un traître !

Quant au compétiteur de Brenton, William James, il ne va pas, lui, jusqu'à tout nier dans l'affaire du Vengeur ; mais, animé contre les révolutionnaires d'une haine qui l'aveugle, il s'étudie de son mieux à atténuer, puis à effacer par une supposition arbitraire, tranchons le mot, une supposition basse, ce qu'il n'ose pas nier péremptoirement. Le passage mérite d'être cité :

When the ship went down a few minutes after the last boat pushed off from her, very few besides the badly wounded could have perished with her. Among the thirty of fourty unhurt by wounds, doubtless there were several, who, as British sailors frequently do in similar cases of despair, had flown to the spirit-keg for relief. Thus inspired, is it extra-ordinary that, when the ship was going down, some of them should exclaim : Vive la nation ! vive la République ! or that one, more furiously patriotic than the rest of his drunken companions, should at this painful moment to the spectators (and something of the kind we believe did happen) wave to and fro the tricoloured flag ? (Vol. I, p. 234 et 235.)

D'abord nous tenons, quant à nous, en trop haute estime le courage des matelots anglais, pour croire, ainsi que l'historien anglais l'assure, qu'ils aient besoin, en cas d'extrême danger, de recourir au spirit-keg, afin de se donner du cœur. Ensuite, de quel droit, pour déprécier un acte héroïque en soi, vient-il mettre à la place de ce qu'il ne sait pas et qu'il ne peut pas savoir, ce qu'il suppose ? Est-ce que, par hasard, William James regarde comme impossible qu'on meure avec enthousiasme dans un combat, si l'on n'est pas ivre ? Est-ce qu'à ses yeux il n'y a d'autre ivresse admissible que celle qu'on puise dans une bouteille d'eau-de-vie ? Il faudrait le plaindre, s'il était incapable de comprendre celle qui a sa source, en certaines grandes circonstances, dans l'enthousiasme de la patrie et de la liberté ! Et, pour prouver que les Français sont très-accessibles à cette dernière espèce d'ivresse, nous n'avons pas besoin d'aller chercher nos exemples ailleurs que dans ce combat même du 13 prairial, où l'on vit des marins, grièvement blessés, refuser, avec une magnanime obstination, de quitter leur poste, et y épuiser le danger.

L'injustice que nous venons de signaler est d'autant plus frappante, que l'auteur à qui elle est imputable est en général assez favorable aux Français, du moins en tant que Français, car il déteste cordialement les Jacobins, et c'est sur le ton de la plus véhémente indignation qu'il dénonce cette rage jacobine, jacobinical rage, à laquelle furent sacrifiés, pendant la Révolution, les officiers de marine appartenant au parti contraire, to the disaffected party (vol. I, p. 174). Mais la preuve que des actes de sévérité outrée peuvent être commis à l'égard des marins, même dans des pays où ne règne pas la rage jacobine, et qui ne se trouvent pas dans les circonstances exceptionnelles où cette rage jacobine prit naissance, c'est qu'en Angleterre, l'amiral Byng fut fusillé par arrêt de cour martiale, pour une simple erreur de jugement, ce que William James rappelle en ces termes : Admiral Byng, shot on board the Monarch in Portsmouth harbour, March 14, 1757, by a sentence of a court martial, for an error of judgment — having been acquitted of cowardice and disaffection —, in an engagemennt with a French fleet, off Minorca, May 20, 1756. (Vol. I, p. 177.)

Au reste, cette absence d'équité se remarque, il faut bien le dire, dans presque tous les livres d'histoire, à quelque pays qu'appartiennent leurs auteurs, et c'est à peine si l'antipathie de l'historien anglais pour les hommes qui tinrent entre leurs mains les destinées de la Révolution française égale celle qu'exhale, presque à chaque page, le livre intitulé Victoires et Conquêtes. Dans ce livre, comme dans presque tous ceux qui ont été écrits au point de vue exclusivement militaire, la Révolution n'échappe à l'anathème qu'à la condition de porter l'uniforme. Là, non-seulement on s'étudie à voiler tout ce que le Comité de salut public et les commissaires de la Convention ont fait de bien, mais on rejette systématiquement sur eux tout ce qui est arrivé de mal.

C'est ainsi qu'au récit emphatique du combat naval du 13 prairial se mêle, dans Victoires et Conquêtes, une diatribe contre Jean-Bon Saint-André, qu'on y accuse formellement de s'être réfugié, pendant le combat, dans la première batterie (t. III, p. 26).

Avant d'aller plus loin, et pour montrer tout d'abord quel degré de confiance mérite, en ce qui touche les conventionnels, l'ouvrage dont il s'agit, nous citerons le passage suivant (t. III, p. 30) : Jean-Bon Saint-André, dans son rapport, peignit cette journée comme une victoire signalée sur les Anglais, et osa même assurer que les six vaisseaux, amarinés par l'ennemi, avaient été laissés en pleine mer pour poursuivre les Anglais. Eh bien, qui le croirait ? il n'y a pas un mot de cela dans le rapport de Jean-Bon Saint-André, et quiconque veut se convaincre de l'audacieuse fausseté de cette accusation, n'a qu'à consulter le Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794. Non-seulement Jean-Bon Saint-André ne présente pas l'affaire navale du 13 prairial comme une victoire signalée, mais il l'appelle en propres termes un revers militaire, ajoutant, et c'est vrai, que ce revers militaire peut être considéré comme une victoire politique, en ce sens que le salut du convoi, qui était l'objet de l'engagement, a été assuré. Quant aux six vaisseaux laissés en pleine mer pour poursuivre les Anglais, qui les avaient capturés, ceci est une invention pure. Jean-Bon Saint-André était incapable de ce grossier mensonge et ne s'en est point rendu coupable. Son rapport mentionne la chasse qui fut donnée, le 9 juin, à l'escadre du contre-amiral Montagu, non avec les six vaisseaux pris par Howe, mais avec les dix-neuf qui restaient aux Français après le combat. Encore un coup, le rapport est là, et chacun peut le lire.

Revenons maintenant au fait de pusillanimité reproché à Jean-Bon Saint-André. Pour ne rien dissimuler, nous commencerons par reconnaître qu'on lit dans Brenton's Naval History of great Britain, vol. I, p. 19 : Villaret, in speaking of Jean-Bon Saint-André to me, said : Ah ! le coquin : à l'instant de la bordée de Queen Charlotte, il descendit dans la caille — c'est sans doute la cale que l'auteur anglais veut dire —, et nous ne le vîmes plus pendant le combat. Si cela est vrai, il reste à expliquer comment Jean-Bon Saint-André, dans son rapport à la Convention, put pousser l'impudence et la bêtise jusqu'à recommander à la reconnaissance nationale de jeunes marins qui, dans le combat, blessés à côté de lui, ne témoignèrent d'autre émotion que celle des périls courus par le représentant du peuple. (Voyez le rapport.) A quel homme de sens fera-t-on jamais croire que Jean-Bon Saint-André, après s'être caché pendant tout le temps de l'action, eût osé parler ainsi en pleine assemblée, alors qu'il eût pu être démenti et couvert de confusion, et par l'amiral, et par tout l'équipage du vaisseau la Montagne ? Et d'où vient qu'au lieu d'aller confier le secret de la lâcheté d'un représentant du peuple français à un capitaine anglais, dans un voyage qu'ils firent ensemble à la Martinique, Villaret-Joyeuse, homme de courage, ne se hâta pas d'opposer à l'assertion effrontée de Jean-Bon Saint-André un démenti formel, auquel le témoignage de tous ceux qui montaient le vaisseau eût donné un poids écrasant ? Ce n'est pas tout : l'ultra-royaliste Beaulieu, grand ennemi des Jacobins, a écrit la biographie de Jean-Bon Saint-André, biographie dans laquelle il lui est très-défavorable. Or que dit-il de sa conduite à bord de la Montagne, le 13 prairial ? Le voici : Jean-Bon Saint-André, au milieu des feux terribles qui l'entouraient, criait de tous ses poumons : Mes amis, sauvez la Montagne, sauvez la Montagne ![134] Un fait qui n'est pas nié, c'est que Villaret-Joyeuse, conformément aux instructions du Comité de salut public, voulait éviter un engagement, et que ce fut Jean-Bon Saint-André qui, prenant tout sur lui, insista, coûte que coûte, pour qu'on en vînt aux mains. Ce n'est guère là, il faut en convenir, la conduite d'un homme qui a peur du feu ! Au surplus, que Jean-Bon Saint-André fût un homme d'une remarquable énergie, incapable de reculer devant le danger, c'est ce que prouve toute sa vie, et mieux encore, sa mort ; car il mourut, à Mayence, où il avait été nommé préfet, d'une maladie contagieuse qu'il affronta intrépidement pour soigner les prisonniers et les blessés entassés par la guerre dans cette ville[135].

Comme conclusion, nous ferons remarquer que c'est un triste moyen de rehausser l'éclat des services militaires que de déprécier injustement les services civils. Il n'y aura d'espoir pour l'ordre et pour la liberté, dans notre pays, que le jour où tous ceux qui sont appelés à le servir se regarderont d'une manière absolue, qu'ils portent ou non l'épaulette, comme les enfants d'une même mère, la France.

 

 

 



[1] Document des archives du ministère de la guerre, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 271 et 272.

[2] Voyez un peu plus loin.

[3] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 442-443.

[4] Annual Register, vol. XXXVI, chap. I, p. 8.

[5] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 455.

[6] On peut voir, à cet égard, les très-remarquables aveux de leurs ennemis, dans les Mémoires du prince de Hardenberg, t. II, p. 541. — L'Annual Register, vol. XXXVI, chap. I, p. 3, dit en propres termes : Their most determined adversaries could not forbear admiring the courage and capacity of those who were at the head of that nation.

[7] Le mot chimérique appliqué à l'invasion de la France, en 1794, est du prince de Hardenberg lui-même, t. II, p 455.

[8] Mémoires du prince de Hardenberg, t. II, p 455.

[9] Séance du 22 janvier 1794.

[10] Le début de Canning, à la Chambre des Communes d'Angleterre, eut lieu l'occasion des débats que provoqua dans le Parlement cette question d'un subside à accorder au roi de Sardaigne. Voyez Robert Bell, The life of Canning, p. 103.

[11] C'est ce que Fox lui reprocha sur le ton de l'indignation la plus véhémente dans les débats sur la guerre, janvier 1794. Voyez Parliamentary History, vol. XXX, p. 1273.

[12] Robert Bell, The life of Canning, p. 108.

[13] The life of Canning, p. 108.

[14] The life of Canning, p. 109.

[15] L'indignation de Fox, à ce sujet, honorera éternellement sa mémoire. Voyez plus loin.

[16]. The King speech on the opening the session. Voyez Parliamentary History, vol. XXX, p. 1046.

[17] Parliamentary History, vol. XXX, p. 1278.

[18] Voyez en quels termes Fox releva cette phrase. Parliamentary History, vol. XXX, p. 1252.

[19] The life of Canning, p. 109.

[20] Debate in the Lords on the address of thanks. Voyez Parliamentary History, vol. XXX, p. 1083.

[21] Debate in the Commons on the address of thanks. Voyez Parliamentary History, vol. XXX, p. 1107.

[22] Parliamentary History, vol. XXX, p. 1272 et 1273.

[23] Parliamentary History, vol. XXX, p. 1287.

[24] Parliamentary History, vol. XXX, p. 1085.

[25] Robert Bell, The life of Canning, p. 116.

[26] Robert Bell, The life of Canning, p. 117.

[27] Parliamentary History, vol. XXXI, p. 517.

[28] Parliamentary History, vol. XXXI, p. 603.

[29] Déclaration du secrétaire d'État Dundas. — Parliamentary History, vol. XXX, p. 1247.

[30] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 470.

[31] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 472.

[32] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 478.

[33] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 479.

[34] Voyez le détail des négociations entamées à ce sujet dans les Mémoires du prince de Hardenberg, qui y eut un rôle.

[35] Annual Register, vol. XXXVI, ch. I, p. 9.

[36] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 474.

[37] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 497.

[38] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 499.

[39] Annual Register, vol. XXXVI, chap. I, p. 10.

[40] Copies of the treaty with Prussia and Convention with Holland, april 28. Voyez Parliamentary History, vol. XXXI, p. 433-437.

[41] Parliamentary History, vol. XXXI, p. 433-437.

[42] Placé lui-même sous les ordres de Pichegru.

[43] L'exactitude de ce tableau ne saurait être mise en doute. Nous le tirons d'un manuscrit inédit du maréchal Jourdan, qui est en notre possession. Le maréchal dit en propres termes : On a répété si souvent que les Français durent à la seule supériorité du nombre les brillants et solides succès de cette campagne, qu'il n'est pas inutile de faire remarquer que cet avantage, au contraire, était du côté des alliés.

[44] Annual Register, vol. XXXVI, chap. I, p. 12-13.

[45] Annual Register, vol. XXXVI, chap. I, p. 12.

[46] Voyez le texte de cette ordonnance dans les Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 521.

[47] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan. — Les auteurs du Tableau historique des guerres de la Révolution disent que Chapuy fut fait prisonnier.

[48] Annual Register, vol. XXXVI, p. 17.

[49] Rapport de Carnot. Voyez Moniteur du 4 vendémiaire au II.

[50] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 529.

[51] Telle est l'opinion d'un juge expert en ces matières, celle du maréchal Jourdan, dont nous n'avons presque fait que copier les expressions.

[52] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[53] Tableau historique des guerres de la Révolution, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 289.

[54] Tableau historique des guerres de la Révolution, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 289.

[55] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 533.

[56] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 533.

[57] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[58] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[59] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[60] On lit dans l'Annual Register, vol. XXXVI, ch. I, p. 20 : The precise loss of the allies in the battle which was fought near Tourcoing was never satisfactorily ascertained ; but it must have been very great. The British troops alone lost a thousand men, besides a considerable train of artillery.

[61] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État.

[62] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. II, p. 538 et 539.

[63] Lettres de Joseph le Bon à sa femme, avec une préface historique par son fils Émile le Bon, p. 31.

[64] Levasseur, dans ses Mémoires, t. II, dit en passant la prétendue volonté de fer de Saint-Just. Mais les témoignages abondent qui contredisent sur ce point l'appréciation de Levasseur, qu'un sentiment dont il ne se rendait peut-être pas bien compte poussait à nier la prépondérance de son collègue.

[65] Histoire parlementaire de la Révolution, t. XXXIII, p. 309. C'est cet acte d'excessive sévérité militaire, renouvelé de Frédéric II, qui a servi de point de départ aux déclamations des historiens militaires, dont un appelle Saint-Just ce commissaire-tigre. On n'a jamais appelé tigre, que nous sachions, le grand Frédéric, qui, en fait de discipline, se montra au moins aussi inflexible que Saint-Just.

[66] Levasseur raconte lui-même la scène dans ses Mémoires, t. II, ch. XVI, sans paraître comprendre qu'elle accuse ce qu'il y avait quelquefois d'un peu puéril dans sa bravoure, très-réelle d'ailleurs, et assez semblable à celle de Merlin (de Thionville).

[67] Cela résulte du récit de Levasseur lui-même. Voyez ses Mémoires, t. II, ch. XIV, p. 233.

[68] Mémoires de Levasseur, t. II, ch. XIV, p. 234. — Il est tout à fait ridicule de supposer qu'en racontant cette anecdote Levasseur ait voulu donner à entendre que le bruit d'une arme à feu suffisait pour alarmer Saint-Just. Comment un homme que sa présence presque continuelle à l'armée et dans les combats avait familiarisé au bruit du canon aurait-il pu s'émouvoir de si peu ? D'ailleurs, les circonstances du récit et le péril couru par Levasseur expliquent de reste l'émotion de Saint-Just, émotion qui l'honore et trahit un côté peu connu de sa nature, le côté tendre.

[69] M. Édouard Fleury, dans son Étude sur Saint-Just, t. II, p. 257, a raison de rappeler ce fait, mais non comme réponse à Levasseur, auquel M. Édouard Fleury attribue injustement, selon nous, l'intention de calomnier le courage de Saint-Just.

[70] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[71] Mémoires du maréchal Jourdan.

[72] Mémoires du maréchal Jourdan.

[73] Mémoires du maréchal Jourdan.

[74] Mémoires du maréchal Jourdan.

[75] Les rédacteurs du traité de la Haye, par le vague des dispositions convenues, avaient laissé la porte ouverte à toutes ces difficultés. Voici en effet ce que disait le traité : The said army shall be employed, according to a concert on military points between his Britannic Majesty, his Prussian Majesty, and their high Mightinesses the States general of the united Provinces, wherever it shall be judged to be most suitable to the interests of the maritime powers. Voyez Parliamentary History, vol. XXXI, p. 433-434. — Art. 1st. of the treaty with Prussia and convention with Holland.

[76] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 10.

[77] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 11.

[78] Réponse des membres des anciens comités aux imputations renouvelées contre eux par Laurent Lecointre, note 6. Bibl. hist. de la Révol., — 1097-8-9. (British Museum.)

[79] Mémoires tirés des papiers d'un homme d'État, t. III, p. 15.

[80] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[81] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[82] Manuscrit inédit du maréchal Jourdan.

[83] Annual Register, 1794, vol. XXXVI, ch. I, p. 25-26.

[84] On a de la fameuse bataille de Fleurus divers récits dont les détails sont loin de s'accorder. Le récit de la bataille par celui-là même qui la gagna étant sous nos yeux et n'ayant jamais vu le jour, nous avons cru ne pouvoir mieux faire que de l'adopter en l'abrégeant. Nous indiquerons en note tout ce qui ne sera pas emprunté au manuscrit du maréchal.

[85] Mémoires de Levasseur, t. II, ch. XIV, p. 241.

[86] Ainsi le résultat donna raison à Saint-Just contre les généraux. Jourdan, qui ne peut s'empêcher de le constater, n'en blâme pas moins la présomption de Saint-Just. Ce qu'il appelle ici présomption nous eût été donné sans doute, de la part d'un homme d'épée, comme une preuve de pénétration et eût pris le nom de coup d'œil. Ceci est un exemple, entre mille, de cet esprit de corps qui a porté presque tous les historiens militaires de la Révolution à atténuer systématiquement, ou, quelquefois même, à nier la part glorieuse qu'eurent, dans nos triomphes, le génie du Comité de salut public et l'énergie des représentants en mission.

[87] Et non cent mille, comme l'ont avancé quelques auteurs. — Nous ferons observer ici que, dans le manuscrit sous nos yeux, il n'est pas de chiffre qui ne soit appuyé sur des états de situation officiels.

[88] Entre Gonzalès de Cordoue et le bâtard de Mansfeld, en 1622 ; — entre le duc de Luxembourg et le prince de Waldeck, en 1690 ; — entre Jourdan et le prince de Cobourg, en 1794 ; — entre Napoléon et Blücher, en 1815 : — cette dernière bataille, plus connue sous le nom de Ligny.

[89] Ce récit de la bataille de Fleurus n'est, nous le répétons, qu'une reproduction presque textuelle de celui qui, dans le manuscrit du maréchal Jourdan, forme le ch. IV du premier volume. Nous l'avons donné sans en rien retrancher d'essentiel, parce que c'est un document de grande valeur, et tout nouveau pour l'histoire militaire de la Révolution.

[90] Mémoires de Levasseur, t. II, ch. XV, p. 247.

[91] 11 floréal (30 avril).

[92] 15 prairial (3 juin).

[93] 6 floréal (25 avril).

[94] 7 floréal (26 avril).

[95] 6-21 floréal (25 avril-10 mai).

[96] 4 floréal (23 avril).

[97] Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[98] Voyez la Biographie universelle, art. VILLARET-JOYEUSE.

[99] Voyez les noms de ces vaisseaux dans l'ouvrage de William James, the Naval History of Great Britain, from 1793 to 1820.

[100] James's Naval History, t. I, p. 189.

[101] Le vaisseau qui secourut le Révolutionnaire, portant le même nom qu'un de ceux qu'il avait combattus, il en résulta beaucoup de confusion dans les rapports.

[102] Voyez James's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 191.

[103] Cette remarque est de l'historien anglais. Naval History of Great Britain, vol. I, p. 203.

[104] Naval History of Great Britain, vol. III, p. 15.

[105] Naval History of Great Britain, vol. I, p 191.

[106] Naval History of Great Britain. Voyez aussi la biographie de Villaret-Joyeuse, par Hennequin, évidemment composée sur des pièces fournies par un homme de la profession, et, peut-être, par Villaret lui-même. Voici en quels termes William James, vol. I, p. 197, rend justice à la manœuvre en question : The French admiral, finding his signal not obeyed, wore out of the line, and, as gallantly as judiciously, led his own fleet on the starboard tack to the rescue of his two disabled ships. Nor could Lord Howe prevent the complete success of the well designed and, as acknowledged by many in the British fleets, prettily executed manœuvre.

[107] Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[108] James's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 206, 207.

[109] En termes de marine, vaisseau qui suit ou précède un autre vaisseau.

[110] Victoires et Conquêtes, t. III, p. 20.

[111] Victoires et Conquêtes, t. III, p. 20.

[112] Victoires et Conquêtes, t. III, p. 20. Les auteurs de Victoires et Conquêtes attribuent à ce fait des résultats merveilleux dont William James relève avec raison la ridicule inexactitude.

[113] Rapport de Jean-Bon Saint-André, Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[114] James's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 216.

[115] Ce sont les propres termes dont Jean-Bon Saint-André se sert dans son rapport. Voyez le Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[116] James's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 216.

[117] Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[118] Voyez pour le premier chiffre, Victoires et Conquêtes, t. III, p. 24 et 25 ; et, pour le second, James's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 235. — Nous devons dire que l'assertion de l'historien anglais nous paraît beaucoup plus près de la vérité. Il a pu y avoir exagération de part et d'autre en sens inverse ; mais on ne peut nier que les Anglais n'eussent naturellement le moyen de savoir au juste le nombre des personnes recueillies dans leurs canots.

[119] Voyez la note critique placée à la fin de ce chapitre.

[120] Voyez London Gazette, Dépêche de l'amiral Howe, écrite à bord du Queen Charlotte, à la date du 2 juin 1794.

[121] Rapport de Jean-Bon Saint-André, Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[122] Rapport de Jean-Bon Saint-André, Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[123] Rapport de Jean-Bon Saint-André, Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[124] Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[125] Et non pas de douze vaisseaux de ligne, comme il est dit dans le rapport de Jean-Bon Saint-André. On trouve les noms des vaisseaux et des frégates dont se composait l'escadre de Montagu, dans Brenton's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 146.

[126] Moniteur du 17 messidor (5 juillet) 1794.

[127] Ce fut un de ses crimes, aux yeux de Barère, Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois. Voyez Réponse des membres des anciens comités aux imputations renouvelées par Lecointre. Note 6, Bibl. hist. de la Révol., 1097-8-9. (British Museum.)

[128] Sur le chiffre total des morts et des blessés du côté des Français, rien de certain et d'officiel. Les auteurs de Victoires et Conquêtes disent trois mille morts, mais l'exagération est manifeste ; et ce nombre est donné dans le livre en question à l'appui d'une diatribe contre Jean-Bon Saint-André. Du côté des Anglais, il y eut, suivant William James, vol. I, p. 217, deux cent quatre-vingt dix morts et huit cent cinquante-huit blessés.

[129] Voici les propres termes dont se sert l'Annual Register : It was hard contest. The valour of the French could not be exceeded ; and it is but justice to say that the victory tumed on the British admiral's superior knowledge of naval tactics. Annual Register, vol. XXXVI, p. 282.

[130] On lit dans Brenton's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 153 : Villaret assured me that he attributed his defeat to the captain of the Jacobin allowing his line to be broken.

[131] Ceci résulte surabondamment de la dépêche même de l'amiral Howe.

[132] Brenton's Naval History of Great Britain, vol. I, p. 154.

[133] Histoire parlementaire, t. XXXIII, p. 319.

[134] Biographie universelle.

[135] Biographie universelle.