HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

DOCUMENTS HISTORIQUES

 

ESSAI DE CONSTITUTION LU DANS LA SÉANCE DU 24 AVRIL 1793, A LA CONVENTION NATIONALE, ET IMPRIMÉ PAR SON ORDRE[1]

PAR SAINT-JUST

DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DE L'AISNE

 

 

On ne peut pas régner innocemment.

 

DISPOSITIONS FONDAMENTALES

ARTICLE PREMIER. — La Constitution d'un État consiste dans l'application des droits et des devoirs légitimes des hommes. Tout peuple chez lequel l'exercice et la garantie de ces mêmes droits, de ces mêmes devoirs, n'est pas le principe de l'ordre social, n'a point de constitution.

II. — Les représentants du peuple, les magistrats, ne sont point au-dessus des citoyens. La subordination établie pour l'harmonie du gouvernement n'est pas prééminence ; toute puissance est dans les lois et toute dignité dans les nations.

III. — Les citoyens sont inviolables et sacrés entre eux ; ils ne peuvent, dans aucun cas, se contraindre que par la loi.

IV. — Les étrangers, la foi du commerce et des traités, l'hospitalité, la paix, la souveraineté des peuples, sont choses sacrées. La patrie d'un peuple libre est ouverte à tous les hommes de la terre.

V. — Le pouvoir de l'homme est injuste et tyrannique ; le pouvoir légitime est dans les lois.

 

ESSAI DE CONSTITUTION POUR LA FRANCE

 

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER. — De la nature du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER. — La France est une république ; sa Constitution est représentative ; sa représentation nationale ne résulte point de la division du territoire, ni du vœu séparé des parties de la population ; elle émane expressément de la volonté générale.

La volonté générale est indivisible ; elle est recensée en commun.

La représentation nationale est essentiellement délibérante.

II. — La République est une et indivisible.

III. — La représentation nationale, le gouvernement, le commandement des armées, les magistratures, sont temporaires.

IV. — Le peuple français est représenté par une assemblée nationale qui fait les lois.

V. — Le gouvernement est délégué à un Conseil qui fait exécuter les lois.

VI. — Le Conseil fait exécuter les lois par ses ministres et ses agents.

VII. — L'administration locale est exercée sous la vigilance du Conseil, par des Directoires, et sous la vigilance des Directoires par des Conseils de communautés.

VIII. — Les membres du Conseil de la République, les ministres, les administrateurs, sont les mandataires de la nation ; ils ne la représentent point.

IX. — Les représentants du peuple sont élus immédiatement par lui ; ses mandataires sont nommés par des assemblées secondaires, selon le mode qui sera déterminé par la Constitution.

 

CHAPITRE II. — De la division de la France.

ARTICLE PREMIER. — Le territoire est sous la garantie et la protection du souverain ; il est indivisible comme lui.

II. — La division de l'État n'est point dans le territoire, cette division est dans la population ; elle est établie pour l'exercice des droits du peuple, pour l'exercice et l'unité du gouvernement.

III. — La division de la France en départements est maintenue ; chaque département a un chef-lieu central.

IV. — La population de chaque département est divisée en trois arrondissements ; chaque arrondissement a un chef-lieu central.

V. — La population des villes et des campagnes que renferme un arrondissement est divisée en communes de six à huit cents votants ; chaque commune a un chef-lieu central.

VI. — La souveraineté de la nation réside dans les communes.

 

CHAPITRE III. — De l'état des citoyens.

ARTICLE PREMIER. — Tout homme âgé de vingt et un ans, et domicilié depuis un an et un jour dans la même commune, a droit de voter dans les assemblées du peuple.

II. — Tout homme âgé de vingt-cinq ans, et domicilié depuis un an et un jour dans la même commune, est éligible à tous les emplois.

III. — La loi ne reconnaît pas de maître entre les citoyens ; elle ne reconnaît point de domesticité. Elle reconnaît un engagement légal et sacré de soins entre l'homme qui travaille et celui qui le paye.

IV. — Les fonctionnaires publics, les militaires hors de leurs foyers, les représentants du peuple, les membres du Conseil, les ministres, sont suspendus du droit de voter pendant la durée de leurs fonctions.

V. — Tout homme a droit de pétition devant l'Assemblée nationale ; un pétitionnaire ne peut être inquiété en raison de son opinion. Si l'Assemblée nationale refuse de l'entendre, il est opprimé ; le peuple a le droit d'ôter sa confiance à ceux qui ne se sont point déclarés ouvertement contre cette violation des droits de l'homme.

 

CHAPITRE IV. — Des élections.

ARTICLE PREMIER. — Les communes et les assemblées secondaires se forment de la manière suivante.

II. — Le plus ancien d'âge est président ; les trois plus anciens d'âge, après lui, sont scrutateurs ; le plus jeune est secrétaire provisoirement.

III. — Les assemblées nomment ensuite, à la majorité absolue des voix, un président, trois scrutateurs et un secrétaire.

IV. — Tous les suffrages sont donnés à voix haute.

V. — Nul ne se fait représenter dans les communes et dans les assemblées secondaires ; l'absence sans cause légitime est un déshonneur.

VI. — Les absents sans cause légitime sont condamnés par les assemblées à une amende qui ne peut excéder cent livres.

VII. — Les contestations élevées entre des citoyens dans les communes et les assemblées secondaires sont portées devant les juges de leur attribution.

 

CHAPITRE V. — De l'Assemblée nationale et des Communes.

ARTICLE PREMIER. — L'Assemblée nationale est une et indivisible.

II. — Tous les actes d'une portion d'elle-même, séparée de sa majorité, sont nuls.

III. — Elle est formée pour deux ans : chaque période est une législature.

IV. — Le nombre des représentants est de trois cent quarante et un.

V. — Les communes s'assemblent de droit tous les deux ans, le 1er de mai, pour renouveler l'Assemblée nationale.

VI. — Le Conseil proclame l'époque du renouvellement des législatures.

VII. — Chaque citoyen donne son suffrage pour le choix d'un représentant : la représentation est formée par un seul scrutin au peuple ; chaque citoyen donne son suffrage pour l'élection d'un seul représentant.

L'élection est fermée de droit le 4 de mai ; après ce terme, les suffrages pour l'élection des représentants ne sont plus comptés.

VIII. — Les présidents des communes font passer aux Directoires d'arrondissements la liste des suffrages, signée d'eux, des scrutateurs et du secrétaire.

IX. — Les Directoires font passer au ministre des suffrages, dont il sera parlé ci-après, le recensement total des arrondissements respectifs.

X. — Les Directoires rendent les recensements publics.

XI. — Le ministre des suffrages présente à l'Assemblée nationale, au nom du Conseil, le recensement général par ordre de majorité. Ce recensement est signé du ministre des suffrages, sous sa responsabilité ; il est déposé aux archives du Conseil.

XII. — Les trois cent quarante et un citoyens qui ont obtenu le plus de suffrages dans la République sont proclamés représentants du peuple par le président de l'Assemblée nationale.

XIII. — Le recensement général est rendu public.

XIV. — Si les suffrages sont partagés, le plus âgé est préféré.

XV. — Les communes ne peuvent interdire un citoyen du droit de suffrage, hors des cas déterminés par la Constitution.

XVI. — Pendant le cours d'une législature, tout citoyen a le droit de proposer des candidats pour la législature suivante : on a le droit de les censurer publiquement.

 

CHAPITRE VI. — Du régime de l'Assemblée nationale.

ARTICLE PREMIER. — Les citoyens élus à l'Assemblée nationale en sont prévenus par une proclamation du Conseil.

II. — Ils se réunissent, le 20 de mai, dans le lieu des séances de l'Assemblée précédente.

III. — L'Assemblée est provisoirement installée et présidée par le plus âgé de l'Assemblée précédente ; il lui met sous les yeux l'état et les comptes de la République.

IV. — Le plus jeune de l'Assemblée remplit les fonctions de secrétaire.

V. — L'Assemblée élit ensuite à voix haute son président et quatre secrétaires ; ils sont proclamés par le président provisoire.

VI. — Les séances de l'Assemblée nationale sont publiques.

VII. — Elle peut suspendre ses séances et s'ajourner ; elle ne peut point se dissoudre.

VIII. — Son président est élu pour quinze jours ; ses secrétaires sont renouvelés tous les mois.

IX. — Lorsque l'Assemblée nationale se réunit, après s'être ajournée, le plus âgé remplit les fonctions de président ; le plus jeune celles de secrétaire, provisoirement.

X. — L'Assemblée nationale ne peut se séparer sans s'ajourner.

XI. — Lorsque l'Assemblée nationale ne se trouve point complète, vingt jours après une proclamation par laquelle elle rappelle tous ses membres, elle mande irrévocablement, à la place des absents sans cause légitime, autant de suppléants pris à la suite des trois cent quarante et un, dans l'ordre du recensement général ; tout remplacement s'effectue de la même manière dans l'ordre du recensement. Si la liste se trouve épuisée, le peuple est convoqué.

XII. — L'Assemblée nationale ne peut, dans aucun cas, se diviser en comités ; elle délibère sur la proposition de ses membres dans l'ordre où ces propositions lui sont soumises.

XIII. — Dans les intervalles de leur session, les membres de l'Assemblée nationale ne peuvent être arbitres ni jurés ; ils ne peuvent remplir aucune fonction civile ou militaire ; ils ne peuvent voler.

XIV. — Les décrets et actes de l'Assemblée nationale ne peuvent être exécutés, s'ils n'ont été lus trois fois, à trois jours différents, et si le nombre des vo- tants a été moindre de deux cent cinquante et un.

XV. — L'Assemblée nationale ne peut nommer des commissions particulières et prises dans son sein, si ce n'est pour lui rendre un compte particulier ; elle ne peut déléguer des fonctions, créer d'attributions, ni violer celles qui existent.

XVI. — Les suffrages sont donnés à voix haute dans l'Assemblée nationale ; toute autre manière d'y recueillir les voix est interdite.

XVII. — L'Assemblée nationale a le droit de censure sur la conduite de ses membres dans son sein ; elle n'a point ce droit sur leurs opinions. Elle n'a point le droit d'accuser ses membres ; si on les accuse devant elle, elle les renvoie, s'il y a lieu, dans un tribunal.

Elle ne peut ôter la parole à ses membres, dans l'ordre où ils l'ont obtenue ; elle ne peut refuser d'aller aux voix le lendemain sur leur proposition ; elle ne peut les priver du droit de suffrages ; elle ne peut délibérer secrètement.

XVIII. — Les membres de l'Assemblée nationale ne peuvent être réélus qu'après l'intervalle de deux ans ; ils peuvent être élus à tout autre emploi. Ils ne peuvent être recherchés par qui que ce soit, à raison des opinions qu 'ils ont manifestées dans les législatures.

 

CHAPITRE VII. — Des fonctions de l'Assemblée nationale.

ARTICLE PREMIER. — L'Assemblée nationale ratifie les déclarations de guerre ; elle ratifie les traités ; elle ratifie le choix des ambassadeurs.

II. — Elle élit, destitue, accuse devant les cours criminelles de la République, les généraux de terre et de mer ; elle accuse les ministres, les agents de l'administration générale ; elle renvoie devant une cour criminelle ses membres et ceux du Conseil, accusés devant elle.

III. — Elle aliène les propriétés nationales, décrète les contributions publiques, détermine leur quotité, leur nature, leur durée, le mode de leur recouvrement.

Elle décerne les pensions, les récompenses, les honneurs à la mémoire des grands hommes, le triomphe aux armées.

Elle détermine la forme, le titre, le poids, l'empreinte des monnaies.

Elle permet ou refuse le passage aux troupes étrangères sur le territoire de la République.

IV. — L'Assemblée nationale ne peut, par aucun traité, changer les lois de la République, céder une partie du territoire, engager la République à payer tribut, ni livrer un homme.

V. — Elle licencie les armées.

VI. — Tous les actes publics et correspondances officielles portent le nom des législatures.

 

CHAPITRE VIII. — Des assemblées secondaires.

ARTICLE PREMIER. — Les membres des Communes, après avoir donné leur voix pour le choix des représentants, élisent dans la même forme, avant de se séparer, un électeur, à raison de deux cents votants dans la commune, présents ou absents ; les nombres qui excéderont cinquante votants donneront un électeur de plus.

II. — Les électeurs s'assemblent, sur la convocation de l'Assemblée nationale, aux chefs-lieux des départements respectifs, pour renouveler ou remplacer les membres du Conseil et leurs suppléants.

III. — Les assemblées secondaires ne délibèrent que sur le choix des magistrats et la police de leur sein.

IX. — L'indemnité due aux électeurs est fixée tous les ans par un décret des législatures.

X. — Les électeurs sont renouvelés tous les ans au mois de mai.

 

CHAPITRE IX. — Du Conseil.

ARTICLE PREMIER. — Le Conseil est un et indivisible : il est permanent.

II. — Il est composé d'un membre et de deux suppléants par chacun des départements.

III. — La session du Conseil est de trois ans. Les assemblées secondaires se réunissent le 15 novembre pour le renouveler.

IV. — Les membres du Conseil ne peuvent être réélus qu'après l'intervalle de trois ans. Ils peuvent être élus à tout autre emploi.

 

CHAPITRE X. — Du régime du Conseil.

ARTICLE PREMIER. — Les membres nommés au Conseil se réunissent le premier janvier dans le lieu des séances du Conseil précédent.

II. — Le plus ancien du Conseil précédent installe et préside provisoirement le nouveau Conseil ; il lui met sous les yeux l'état et les comptes de la République ; le plus jeune des nouveaux membres remplit provisoirement les fondions de secrétaire.

III. — Le Conseil nomme ensuite, à voix haute, son président et deux secrétaires ; le président est renouvelé tous les quinze jours ; les secrétaires sont renouvelés tous les mois.

IV. — Le Conseil ne peut suspendre sa session ; il ne peut se dissoudre, il ne peut être dissous.

V. — Les séances du Conseil sont publiques.

VI. — Dans toutes les délibérations du Conseil, les suffrages sont donnés à voix haute.

VII. — Le Conseil ne peut se former en comité ; il délibère, sur la proposition de ses membres, dans l'ordre où ces propositions sont soumises. Le Conseil a droit de censure sur la conduite de ses membres dans son sein ; il n'a point ce droit sur leurs opinions ; il les accuse devant l'Assemblée nationale, qui les renvoie, s'il y a lieu, devant un tribunal.

 

CHAPITRE XI. — Des fonctions du Conseil.

ARTICLE PREMIER. — Le Conseil est chargé de l'exécution des lois, des décrets et actes des législatures ; l'activité, la fidélité du recensement des suffrages est confiée à sa vigilance.

II. — Il dirige les opérations de la guerre ; il reçoit et nomme les ambassadeurs ; il propose à l'Assemblée nationale la paix et la guerre, les traités, les dépenses publiques, les levées des troupes, la somme des contributions ; il fait fabriquer les monnaies ; il surveille la liberté intérieure et extérieure du commerce, l'exécution des traités et des engagements publics ; il correspond avec les gouvernements étrangers et les colonies.

III. — Il ne nomme, il ne destitue aucun chef militaire ; il nomme et destitue les agents de l'administration militaire ; il nomme au service des postes, des ports, des douanes.

IV. — La liste de tous les agents employés par le Conseil est rendue publique, tout citoyen a le droit de censure sur eux ; il peut les accuser devant l'Assemblée nationale ; il peut accuser les membres du Conseil devant l'Assemblée nationale. Le Conseil accuse ses ministres et ses agents devant l'Assemblée nationale.

V. — Le Conseil protège l'agriculture ; il entretient l'abondance ; il répartit les contributions directes ; il présente à l'Assemblée nationale les vues d'amélioration, les récompenses et indemnités à accorder.

Il veille à l'entretien des roules, des postes, des fortifications, de la navigation intérieure, des mines, des forêts, des propriétés nationales ; il surveille la fabrication des armes, des poudres.

VI. — Il dispose le triomphe des armées ; il protège les arts, les talents, les institutions publiques.

VII. — Le Conseil n'agit qu'en vertu des lois et des décrets de l'Assemblée nationale ; il est seul chargé de l'administration générale ; il ne peut connaître des conventions entre particuliers, ni de l'état des citoyens.

VIII. — Le Conseil emploie les généraux nommés par l'Assemblée nationale ; il ne les accuse que devant elle.

 

CHAPITRE XII. — Des ministres.

ARTICLE PREMIER. — Les ministres n'exécutent que les délibérations du Conseil.

II. — Les ministres sont élus parle Conseil, à la majorité absolue des voix.

III. — Les ministres ne forment point un conseil ; ils sont séparés et sans rapport entre eux.

IV. — Il y a un ministre des armées de terre.

Un ministre

des armées de mer.

des affaires étrangères.

du commerce et des subsistances.

de la police générale.

des suffrages et des lois.

des finances.

des comptes.

du trésor public.

V. — Les ministres sont nommés et révoqués par le Conseil ; ils ont une place particulière dans le lieu de ses séances ; ils y ont voix consultative.

Le Conseil ne délibère point en leur présence.

VI. — Les ministres n'exercent aucune autorité personnelle.

 

CHAPITRE XIII. — Des rapports du Conseil et de l'Assemblée nationale.

ARTICLE PREMIER. — L'Assemblée nationale et le Conseil sont dépositaires de la Constitution.

II. — Aussitôt que les membres du Conseil sont installés, ils en donnent avis à l'Assemblée nationale par un message de six membres.

III. — L'Assemblée nationale appelle le Conseil dans son sein toutes les fois qu'elle le juge convenable.

IV. — Le Conseil a, dans le lieu des séances de l'Assemblée nationale, une place distinctive et séparée.

V. — Le Conseil réside près des législatures ; il les convoque dans des temps de calamités et en cas de guerre.

VI. — L'Assemblée nationale charge le Conseil de proposer la paix.

VII. — Les décrets de l'Assemblée nationale sont présentés au Conseil par le ministre des lois ; le Conseil les fait enregistrer et exécuter.

VIII. — Le Conseil peut renvoyer le décret au peuple, s'il est contraire au texte précis de la déclaration des droits de l'homme, et si le nombre des votants dans l'Assemblée nationale a été moindre de 251.

Le Conseil ne peut, dans aucun autre cas, suspendre l'exécution des lois.

IX. — Lorsque le Conseil a délibéré de renvoyer au peuple, il se rend dans le sein de l'Assemblée nationale ; le président du Conseil motive le renvoi, et prononce cette formule : Que le peuple soit entendu ; le Conseil se relire à l'instant.

X. — L'Assemblée nationale peut rapporter le décret ou le proposer au peuple de la manière qui sera déterminée ci-après.

XI. — L'Assemblée nationale et le Conseil ne peuvent délibérer en présence l'un le l'autre : le président de l'Assemblée nationale est couvert.

 

CHAPITRE XIV. — De la sanction des lois, du vœu des communes et des conventions.

ARTICLE PREMIER. — Les actes accidentels de législation nécessités par les événements et par l'administration publique ne sont point sanctionnés par le peuple.

La Constitution de l'État est soumise à l'acceptation du peuple ; toute disposition qui tend à la changer après cette acceptation est soumise au jugement du peuple.

II. — Le principe de tout changement à la Constitution est dans les Communes

III. — Si la majorité des Communes a approuvé un décret renvoyé au peuple ; si, pendant le cours d'une législature, le vœu de la majorité des Communes s'est expliqué sur un changement, l'Assemblée nationale doit convoquer une Convention spéciale sur ce décret ou ce changement.

IV. — Les Conventions ne statuent que sur le changement ou le décret proposé ; elles sont composées d'un nombre égal à celui des représentants ; elles se forment de même et s'assemblent dans le lieu désigné par l'Assemblée nationale, à vingt lieues d'elle au moins : la session de ces convocations est d'un mois ; après ce terme, l'Assemblée nationale les dissout.

V. — La Convention recense de nouveau, vérifie le vœu des Communes, rédige la loi et la soumet à la sanction du peuple assemblé.

VI. — Le peuple ne s'assemble qu'un mois après la convocation.

VII. — Si un représentant du peuple, ou un membre du Conseil, ont trahi la nation et perdu sa confiance, les Communes ont le droit de s'assembler et de le déclarer.

VIII. — Soit que les Communes émettent leur vœu sur un changement à la Constitution, soit qu'elles émettent leur vœu sur un décret ou sur un ou plusieurs membres du Conseil et des législatures, leur vœu est recueilli de la manière suivante.

IX. — Les Communes se forment de la même façon que pour élire les représentants.

X. — Chaque citoyen prononce son vœu par oui et par non.

XI. — Le vœu de la majorité est celui de la Commune. Le vœu d'une Commune n'est pas compté, s'il n'est point le vœu de cette Commune légalement assemblée.

XII. — Le président fait passer aux Directoires le vœu de la Commune. Le Directoire rend sur-le-champ public le vœu des communes de l'arrondissement.

XIII. — Les Directoires font passer le vœu des Communes au ministre des suffrages.

XIV. — Le ministre des suffrages en rend compte à l'Assemblée nationale, à mesure qu'ils lui parviennent.

XV. — Le vœu des Communes sur les lois et sur les membres du Conseil ou de l'Assemblée nationale est reçu pendant le cours d'une législature ; après la législature, les vœux en retard ne sont plus comptés.

XVI. — Si la majorité des Communes n'a pas émis son vœu, ce vœu n'a point de suite.

XVII. — Un membre accusé par une seule Commune est tenu d'expliquer sa con- duite ou de se retirer.

Un membre qui a perdu la confiance ou la majorité des Communes est renvoyé devant un tribunal et ne peut être acquitté que par un jugement.

XVIII. — Toute violation dans le recensement des suffrages est punie par les lois.

 

CHAPITRE XV. — Des Directoires d'arrondissement.

ARTICLE PREMIER. — Les Directoires sont composés de huit membres et d'un procureur-syndic nommés à la majorité absolue des voix par les assemblées secondaires d'arrondissement. Dans les villes qui réuniront plusieurs arrondissements, il n'y aura qu'un Directoire ; ce Directoire sera composé de huit membres par chaque arrondissement, nommés par l'assemblée secondaire d'arrondissement, et d'un procureur-syndic nommé par l'assemblée secondaire du département.

II. — Ces assemblées nommeront, en outre, huit suppléants des membres des Directoires, un suppléant du procureur-syndic ; les Directoires nomment leurs secrétaires.

III. — Le procureur-syndic requiert l'exécution des lois et des mandements du Conseil ; il a voix délibérative.

IV. — Les séances des Directoires sont publiques ; ils élisent un président hors de leur sein.

V. — Le président a voix consultative.

VI. — Les Directoires sont chargés de l'administration politique de l'arrondissement.

Ils ne peuvent connaître des contestations entre communautés : ces contestations se règlent par des arbitres ; ils ne peuvent connaître de l'état des citoyens ; ils ne poursuivent point en justice ; ils ne disposent point des deniers publics, ne lèvent point des contributions ; ils lèvent les troupes sur les mandements du Conseil.

VII. — Les Directoires exercent la police générale sous la surveillance du Conseil.

VIII. — Ils peuvent être accusés par le Conseil devant l'Assemblée nationale, qui ordonne, s'il y a lieu, le renouvellement, et les traduit devant les cours criminelles.

IX. — Les requêtes qui leur sont présentées doivent être répondues dans le mois, à peine d'être poursuivis par les parties devant les cours criminelles, et condamnés à des dommages.

X. — Les réclamations contre les décisions des Directoires sont portées aux ministres, qui les présentent dans le mois au Conseil, à peine d'être accusés par l'Assemblée nationale.

XI. — Les juges ne peuvent connaître des décisions des Directoires.

XII. — Les Directoires ne peuvent connaître des jugements.

XIII. — Les membres des Directoires, les secrétaires, les procureurs-syndics et leurs suppléants, sont renouvelés, tous les deux ans, le 1er de mars. Ils ne peuvent être réélus qu'après l'intervalle de deux ans.

 

CHAPITRE XVI. — Des Conseils de communautés.

ARTICLE PREMIER. — Il y a un Conseil de communautés dans chaque commune de campagne.

II. — Les membres de ces Conseils sont nommés par les habitants des communautés respectives, à raison d'un membre par communauté.

III. — Ces Conseils se réunissent dans les campagnes, aux chefs-lieux des communes.

IV. — Ils élisent un président et un secrétaire hors de leur sein.

V. — Le président correspond avec les Directoires. Il reçoit les mandements et convoque le Conseil.

VI. — Ces Conseils sont chargés de la répartition des contributions directes, de la réparation, de la confection des routes, de l'entretien des ouvrages publics, des levées de troupes dans les communes, et autres objets d'administration qui leur sont Confiés par les Directoires.

VII. — Dans les villes, chaque commune élit un membre du Conseil de la communauté.

Il y a un seul Conseil de communauté dans les villes, quelle que soit leur population.

Ce Conseil remplit les mêmes fonctions que dans les campagnes : il élit son président et son secrétaire, et correspond de la même manière avec les Directoires.

VIII. — Les communautés rurales comprises dans les communes des villes ont leur Conseil particulier.

Les portions des communes des villes élisent un membre au Conseil de communauté des villes.

IX. — Les présidents des Conseils de communautés ont droit de suffrage, en cas de partage des voix.

X. — Les Conseils de communautés, leurs présidents, sont renouvelés tous les ans le 1er janvier, les secrétaires peuvent être conservés.

 

CHAPITRE XVII. — De la promulgation des lois.

ARTICLE PREMIER. — Les lois sont ainsi promulguées par le Conseil : Au nom de l'Assemblée nationale et du peuple français, à tous, etc., mandons, etc., etc.

II. — Elles sont enregistrées par le Conseil, par les Directoires, par les cours criminelles, par le tribunal national, par le tribunal de cassation, par les juges de paix, les Conseils de communautés et les maires. Elles sont proclamées à la tête des corps militaires.

 

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SECONDE PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER. . — De la justice civile.

ARTICLE PREMIER. — La justice civile est rendue par des arbitres.

II. — Les arbitres sont âgés de trente ans accomplis.

III. — Les sentences des arbitres sont sans appel, au-dessous de cent livres.

 

CHAPITRE II. — Du maire et du jury de sûreté.

ARTICLE PREMIER. — Chaque communauté de ville ou de campagne élit un maire et un procureur de la communauté ; ils sont renouvelés tous les ans, en même temps que les Conseils de communautés.

II. — Les communautés dans les campagnes, les communes dans les villes, élisent le greffier chargé de l'expédition des sentences de police.

III. — Le greffier est élu pour un an, et peut être réélu.

IV. — Le maire ordonne seul, en ce qui concerne la salubrité, les cérémonies publiques, les spectacles, les précautions contre les animaux malfaisants et les épidémies.

V. — Dans tous les cas de la police contentieuse, le procureur de la communauté cite les parties par un officier de police militaire ; le jury de sûreté qualifie le délit ; le maire applique la loi ou prononce le renvoi devant le tribunal compétent.

VI. — Le jury de sûreté est composé de citoyens tirés au sort, tous les mois, parmi tous les citoyens de la communauté.

Le maire et le procureur de la communauté sont élus pour un an, et ne peuvent être réélus qu'après l'intervalle d'une année.

 

CHAPITRE III. — Des troubles publics.

ARTICLE PREMIER. — Les communes éliront, tous les deux ans, lors du renouvellement des législatures, six vieillards recommandables par leurs vertus, dont les fonctions seront d'apaiser les séditions.

II. — Ces vieillards sont décorés d'une écharpe tricolore et d'un panache blanc ; lorsqu'ils paraissent revêtus de leurs attributs, le peuple garde le silence et arrête quiconque poursuivrait le tumulte ; le peuple prend les vieillards pour arbitres.

III. — Si ce trouble continue, les vieillards annonceront le deuil de la loi. Ceux qui insultent les vieillards sont réputés méchants, et sont déchus de la qualité de citoyens.

IV. — En cas de violences graves, les Directoires, les maires des communautés peuvent requérir la force publique.

Les vieillards ne requièrent point la force.

Ils ne se retirent point que le rassemblement ne soit dissipé.

S'il se manifeste des troubles dans toute l'étendue de la République, les communes sont assemblées, et le maintien des lois est remis au peuple.

V. — Si un vieillard est assassiné, la République entière est en deuil un jour, et tous les travaux cesseront.

VI. — Les vieillards ne peuvent être élus à aucun emploi pendant la durée de leurs fonctions.

 

CHAPITRE IV. — Du juge et du jury de paix.

ARTICLE PREMIER. — Les tribunaux rendent la justice au nom du peuple souverain.

II. — Il y aura un juge de paix et un jury de paix dans chaque arrondissement.

III. — Les juges de paix et leurs greffiers sont élus par les assemblées secondaires des arrondissements.

IV. — Le juge et le jury de paix prononcent sur l'appel des jugements des arbitres, au-dessus de cent livres. Ils ne prononcent point sur le fond des contestations ; ils renvoient les parties, s'il y a lieu, devant d'autres arbitres, et le nouveau jugement est sans appel.

V. — Le juge de paix constate les délits commis envers les propriétés dans l'arrondissement, et livre les coupables aux accusateurs publics des cours criminelles.

VI. — Le jury de paix qualifie la contravention aux sentences arbitrales, et prononce l'amende.

VII. — Le jury de paix est renouvelé tous les mois : il est composé de cinq citoyens tirés au sort parmi ceux de l'arrondissement.

VIII. — Les contraventions aux sentences des juges et jurys de paix sont dénoncées dans les cours criminelles et sont punies d'une peine infamante.

 

CHAPITRE V. — Des cours criminelles.

ARTICLE PREMIER. — Les cours criminelles sont nommées par les assemblées secondaires du département.

II. — Elles résident dans le chef-lieu du département.

III. — Elles sont composées de quinze juges.

IV. — Elles sont divisées en trois tribunaux composés chacun de cinq juges.

V. — Les cinq juges nommés les premiers composent le premier tribunal ; les cinq juges nommés après composent le second ; les juges nommés ensuite composent le troisième.

VI. — Les assemblées secondaires nomment près de chacun des trois tribunaux un accusateur public, un censeur, un greffier.

VII. — Chacun des tribunaux est présidé par le plus âgé des juges.

VIII. — Le premier tribunal connaît des assassinats, et ne prononce que la mort.

Le deuxième tribunal connaît des délits contre l'état des citoyens, commis par des particuliers ; il connaît des délits contre la propriété, et ne prononce que la peine des fers.

Le troisième tribunal connaît des contraventions aux sentences des juges et jurys de paix ; il ne prononce que les peines infamantes.

Les amendes prononcées dans les communes et les assemblées secondaires sont poursuivies par l'accusateur public de ce tribunal.

IX. — Les trois tribunaux se réunissent en cour criminelle pour juger les crimes des fonctionnaires publics, sur l'accusation de l'Assemblée nationale. Il y a près des cours criminelles un censeur.

X. — La cour criminelle est présidée par le plus âgé des juges.

XI. — La procédure s'instruit par jurys devant la cour criminelle et les tribunaux.

XII. — Les censeurs requièrent l'exécution des lois ; ils sont entendus en faveur de l'innocence ; ils défèrent les jugements irréguliers des tribunaux et des cours criminelles au tribunal de cassation.

XIII. — Les juges, les accusateurs publics, les censeurs, les greffiers des cours criminelles, sont renouvelés tous les cinq ans, le 1er de juin, et peuvent être réélus.

XIV. — Les tribunaux sont gardiens des mœurs et dépositaires des lois : ils sont inflexibles.

 

CHAPITRE VI. — Du tribunal de cassation.

ARTICLE PREMIER. — Le tribunal de cassation est composé de quarante-trois juges, pris tour à tour dans les départements, et nommés par les assemblées secondaires de département.

II. — L'Assemblée nationale nomme un censeur près de ce tribunal ; ce censeur est renouvelé tous les ans le 1er juillet ; il ne peut être réélu qu'après une année.

III. — Le tribunal de cassation est présidé par le plus âgé des juges ; il choisit son greffier.

IV. — Ce tribunal ne prononce point sur le fond des affaires ; il connaît des contraventions expresses aux lois et de la violation des formes ; il annule les jugements et renvoie la connaissance des affaires devant d'autres juges.

V. — Les jugements des arbitres sont sans recours en cassation.

VI. — Les membres du tribunal de cassation sont renouvelés tous les six ans, et ne peuvent être réélus qu'après six années.

 

CHAPITRE VII. — Articles généraux,

ARTICLE PREMIER. — Nul, après un jugement définitif, par lequel il a été absous, ne peut être repris pour le même fait.

II. — Nul ne peut être distrait des attributions déterminées par la loi.

III. — Les cas qui n'ont pas été prévus par la loi sont soumis par les juges aux législatures.

La loi n'a d'effet rétroactif que contre les traîtres à la patrie.

IV. — Quiconque a violé les droits de l'homme par rapport à un criminel ou un accusé doit être puni.

V. — Les tribunaux ne remplissent point de fonctions administratives.

VI. — Il sera fait un code de lois civiles et criminelles.

 

CHAPITRE VIII. —  De la force publique.

ARTICLE PREMIER. — La force publique est le peuple en corps, armé pour faire exécuter les lois.

II. — Les armées font partie de la nation.

III. — La République entretient, en temps de paix, une force suffisante pour résister à toute attaque imprévue, et maintenir l'autorité des lois.

IV. — En temps de guerre, tout citoyen est en état de réquisition ; la jeunesse française est élevée au maniement des armes.

V. — Il n'y a point de généralissime.

VI. — Les drapeaux des armées de terre et de mer portent les couleurs nationales.

VII. — Une armée qui élit un chef est déclarée rebelle : elle est licenciée.

VIII. — Dans les triomphes, les généraux marchent après leurs armées.

IX. — Une armée française ne peut point se rendre sans infamie.

 

CHAPITRE IX. — Des relations extérieures.

ARTICLE PREMIER. — Le peuple français se déclare l'ami de tous les peuples ; il respectera religieusement les traités et les pavillons ; il offre asile dans ses ports à tous les vaisseaux du monde ; il offre un asile aux grands hommes, aux vertus malheureuses de tous les pays ; ses vaisseaux protégeront en mer les vaisseaux étrangers contre les tempêtes.

Les étrangers et leurs usages seront respectés dans son sein.

II. — Le Français établi en pays étranger, l'étranger établi en France, peuvent hériter et acquérir ; mais ils ne peuvent point aliéner.

III. — Les orphelins de père et mère étrangers, morts en France, seront élevés aux dépens de la République, et rendus à leurs familles si elles les réclament.

IV. — La République protège ceux qui sont bannis de leur patrie pour la cause sacrée de la liberté.

V. — Elle refuse asile aux homicides et aux tyrans.

VI. — La République française ne prendra point les armes pour asservir un peuple et l'opprimer.

VII. — Elle ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire.

VIII. — Elle ne conclura point de traités qui n'aient pour objet la paix et le bonheur des nations.

IX. — Le peuple français vote la liberté du monde.

 

FIN DU HUITIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Cet essai de constitution ne se trouve reproduit ni dans le Moniteur, ni dans aucun journal de l'époque. C'est une pièce rare, qui nous a paru intéressante à faire connaître et qui jusqu'ici n'avait été mentionnée que par M. Ernest Hamel dans son excellente Histoire de Saint-Just. M. Hamel lui a consacré à juste titre un chapitre dans lequel il analyse et donne des extraits de cette œuvre du jeune législateur montagnard.