HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME HUITIÈME

LIVRE NEUVIÈME

 

CHAPITRE VII. — LES GIRONDINS ET LA VENDÉE

 

 

Influence de la révolte vendéenne sur la chute des Girondins. — La Vendée à la fin du mois de mars. — Le domestique de Duchaffault. — Attaque des Sables. — Berruyer à Angers. — Étrange conduite de Carra. — Succès suivis de revers. — Manière de combattre des Vendéens — Leur superstition. — Héroïnes vendéennes : Madame de la Rochefoucauld ; Pétronille Adams. — Fin du drame horrible de Machecoult. — Machecoult au pouvoir de Beysser. — Mort de Souchu. — La Rochejaquelein et Lescure au château de Clisson. — Départ de la Rochejaquelein ; Lescure caché à Bressuire. — Costume des soldats vendéens. — Les Vendéens s'appuient sur l'étranger. — La Rochejaquelein se jette dans la révolte. — Combat des Aubiers. — Quétineau abandonne Bressuire. — Prise de Thouars. — Quétineau soupçonné de trahison. — L'évêque d'Agra ; pouvoir de l'imposture. — Tableau des forces vendéennes. — Joly. — Stofflet. — D'Elbée. — Situation de la République au mois d'avril 1793. — Un autographe de William Playfair — Belle proclamation des commissaires de la Convention en Vendée. — Rapprochement caractéristique. — Moyens de salut proposés par le département de l'Hérault. — Fausse députation du Faubourg Saint-Antoine. — Diplomatie de Danton. — Le maximum. — Les Girondins le combattent. — Arrêté de la Commune ; réquisition et emprunt forcé en vue de la révolte vendéenne à étouffer. — Émeutes de clercs et de commis. — La Gironde compromise dans ces troubles. — Articles furieux du Patriote français. — La Gironde obstacle à toute mesure de salut public. — Conduite toute opposée des Jacobins. — Départ pour la Vendée. — Chalbos vaincu à la Châtaigneraye. — Il gagne sur les Vendéens la bataille de Fontenay. — Avantage remporté à Légé par Boulard. — Mercier du Rocher à Tours et à Saumur. — Aspect des choses dans ces deux villes. — Entretien extraordinaire de Mercier du Rocher et de Carra. — Prise, occupation et évacuation de Fontenay.

 

Les péripéties qui amenèrent cette grande catastrophe correspondent si exactement aux progrès du soulèvement de la Vendée, et la révolte des royalistes de l'Ouest eut sur la chute des Girondins une influence si directe, que de ces deux drames, pour amener le lecteur à les bien comprendre l'un et l'autre, il faut absolument n'en faire qu'un seul. C'est ce que paraissent n'avoir pas vu jusqu'ici les historiens de la Révolution. Ce qu'elle avait entremêlé de la manière la plus étroite, ils l'ont, eux, séparé dans leurs récits ; ils n'ont pas montré comment les agitations de Paris pendant le mois de mai 1793 sortirent, jour par jour, des troubles de la Vendée ; et ils ont été conduits de la sorte à laisser dans l'ombre la part qu'eut à la chute des Girondins cette dure loi des temps d'orage, la nécessité. Oui, si les Girondins périrent, ce fut pour avoir mis obstacle à l'extirpation de la révolte royaliste. Non qu'ils penchassent vers le royalisme, loin de là ; mais, quoique très-ardents républicains, ils furent encore moins républicains qu'hommes de parti. Ils détestaient la Vendée, mais moins qu'ils ne détestaient la Montagne. Là fut leur crime, là fut leur perte. Il y eut un moment, moment d'éternelle douleur pour tous les cœurs qui s'émeuvent à des souvenirs de liberté, où c'en était fait de la Révolution si l'on n'eût frappé sur les Girondins ce coup qui, hélas ! fut un coup de hache ! Mais comme la Révolution en ceci ne faisait, pour se sauver, que se frapper elle-même, elle n'aboutit qu'à ajourner sa ruine. C'est ce que, pour la première fois, nous le croyons, notre récit va mettre en pleine lumière.

Toute la campagne soulevée, la révolte sortant de chaque hameau, et se glissant derrière chaque haie, une cohue de petits chefs improvisés, des armées en sabots, les districts criant au secours, les nobles attendant au fond de leurs châteaux les avances de l'insurrection, quelques-uns la dirigeant déjà pêle-mêle avec des gardes-chasse ou des meuniers, mainte municipalité en fuite, les villes en détresse, les volontaires républicains en marche, telle, à la fin du mois de mars 1793, se présentait la Vendée.

Chez le paysan rebelle, un enthousiasme et une bravoure incomparables ; parmi les chefs, à l'égard l'un de l'autre, la jalousie du commandement. Pas de centre, nulle organisation. Tel qui ne commandait qu'une paroisse se croyait général, et en parlant de sa bande, disait fièrement Mon armée. Dès le début de l'insurrection, un conseil provisoire, chargé des affaires civiles, avait été établi à Palluau, un autre à Challans : Charette, qui ne voulait de rivaux ni au civil ni au militaire, souffla sur ces deux fantômes de puissance. Les principaux membres du comité de Challans étaient Guerry du Cloudy, de Baumler et Dabbaye : il en fit ses seconds. Le personnage le plus en vue du comité de Palluau était Savin : il en fit son lieutenant[1]. C'est ce Savin qui disait à sa femme : Je crains moins pour toi l'arrivée des bleus qu'une visite de Charette[2].

En réalité, la Vendée insurrectionnelle se trouva fractionnée, dès le début, en un nombre de clans armés, égal à celui des chefs qu'il plut aux paroisses de suivre ; et même plus tard, les besoins respectifs, les chances de la guerre, la communauté des périls, ne modifièrent que faiblement cet état de choses, si fatal à la contre-révolution.

Il est vrai que parmi les républicains, à l'époque dont nous parlons, la confusion n'était guère moindre. Paris n'ayant encore envoyé sur le théâtre de l'insurrection que fort peu de troupes réglées, les administrations locales avaient dû recourir aux départements voisins, d'où étaient accourues, au bruit du tocsin, des bandes de volontaires, très-valeureuses certainement et pleines d'ardeur, mais sans lien régulier entre elles et sans discipline[3].

On a vu avec quelle froideur les Girondins avaient reçu, de la bouche de Mercier du Rocher et de Pervinquière, l'annonce des malheurs qui pesaient sur la Vendée[4]. Les deux commissaires vendéens n'étaient pas encore de retour à Fontenay, que cette ville devenait le théâtre d'une exécution sanglante. Le domestique du marquis de Duchaffault avait été pris avec quelques autres les armes à la main : le 27 mars, on les conduisit au supplice. Le temps était pluvieux, la foule silencieuse et recueillie. Le domestique de Duchaffault déploya une fermeté extraordinaire. Il voulut mourir le dernier, et ce fut les pieds dans le sang de ses compagnons qu'il harangua les spectateurs. Il leur dit que sa mort serait vengée ; que lui ressusciterait le troisième jour, comme le Christ. Puis, il fit le signe de la croix et se livra au bourreau[5].

C'étaient les premiers Vendéens qu'on exécutait à Fontenay ; et le peuple conserva de ce drame une impression sinistre : il comprit que les meneurs n'étaient point là, et que des hommes du peuple venaient de mourir[6] !

La vérité est qu'il ne tînt pas aux habitants de Fontenay que les prisonniers ne fussent sauvés par un incident assez étrange. Au moment décisif, on n'avait pu trouver le fer de la guillotine, que Mercier du Rocher, en partant pour Paris, avait caché dans une armoire[7] ; et peut-être les administrateurs n'eussent-ils pas demandé mieux que de différer l'accomplissement d'un devoir funèbre, si un bataillon de volontaires marseillais n'eût été alors dans la ville. Ces fougueux enfants du Midi crurent que les autorités pactisaient avec les brigands. Ils courent à la prison qui renfermait les Vendéens, et se disposaient à les égorger, quand parut Cavoleau, qui présidait le département. Cet homme, de prêtre qu'il était, devenu patriote, arrêta les meurtriers par un imposant mélange de générosité et d'énergie, mais il fallut retrouver le fatal couteau[8].

Au reste, les fureurs de la défense ne s'expliquaient que trop par celles de l'attaque. C'est ainsi que, le 29 mars, les paysans vendéens s'étant portés sur les Sables, au nombre d'environ dix mille[9], se mirent à battre la place à boulets rouges. Les Sablais, indignés, se défendirent en héros, et le hasard servit leur courage. Un des boulets lancés par eux étant tombé dans le fourneau où les assiégeants rougissaient les leurs, quelques étincelles jaillirent dans deux barils de poudre, dont l'explosion produisit un affreux ravage. Les assiégés profitent du désordre jeté dans les rangs, ils font une vive sortie, la baïonnette au bout du fusil ; mettent les paysans en fuite, leur tuent beaucoup de monde, et leur enlèvent plusieurs pièces de canon, traînées du rivage de la mer à force de bras. Sur la poitrine de quelques-uns des cadavres, on reprit les papiers du district de la Roche-sur-Yon, dont les rebelles étaient maîtres depuis le 16 ; mais on ramassa peu de fusils, l'habitude des paysans vendéens, quand on les réduisait à fuir, étant de laisser leurs sabots et de sauver leurs armes. L'attaque des Sables eut lieu le vendredi de la semaine sainte ; car, pour ces sortes d'entreprise, les chefs choisissaient volontiers les fêtes les plus marquantes du calendrier : sûr moyen d'enflammer le fanatisme des leurs[10].

Ce même jour, 29 mars, le général Berruyer venait remplacer, à Angers, le général Witenkoff, rappelé comme suspect par la Convention[11] ; et, le 4 avril, les Conventionnels Carra, Auguis, Bernard et Guimberteau arrivaient à Fontenay[12].

Triste ressource contre tant de maux ! Ni Berruyer ni Carra n'étaient les hommes de la situation.

Carra parut tout d'abord n'attacher que peu d'importance au mouvement de la Vendée, et son attitude fut, à Fontenay, celle qu'à Paris Mercier du Rocher avait remarquée avec tant de douleur chez les principaux Girondins. Aussi ses deux collègues, Bernard et Guimberteau, ne tardèrent-ils pas à se séparer de lui. Ils firent plus : ils écrivirent au Comité de salut public : Citoyens, nos collègues, il faut tout vous dire. Si Carra s'est trompé, c'est sa faute. Nous l'avons vu à Fontenay avec un ton de grandeur qui nous a fait rougir, entouré de gardes à pied et à cheval, ne fréquentant que des généraux, ne parlant d'eux que pour les flagorner, se tenant à l'écart du peuple, n'osant employer le terme de réquisition vis-à-vis d'un général, malgré nos instances, et osant à peine inviter... S'il n'est pas rappelé bientôt, nous obéirons au cri de notre conscience, en le dénonçant à la République entière[13].

Pour comble de malheur, Beaufranchet-Dayat, qui commandait dans Fontenay, y jouait à peu près le rôle d'un général sans armée ; car c'était du côté d'Angers, que Goupilleau (de Montaigu), un des représentants de la Vendée à la Convention, avait eu soin de faire diriger la majeure partie des forces envoyées de Paris, soit qu'il fût tenté du désir de protéger ses biens, situés dans le district de Chollet[14], soit qu'obéissant à un motif plus noble, il jugeât, digne d'une sollicitude particulière le département de Maine-et-Loire, que menaçaient les forces réunies de Bonchamps, de Cathelineau, de Stofflet et de d'Elbée, nouveau chef récemment acquis à l'insurrection.

Toujours est-il qu'au commencement du mois d'avril, Berruyer avait sous la main, à Angers, trois corps de troupes montant à dix-sept mille hommes, et sous ses ordres trois généraux : Duhoux, Menou et Leygonnier[15]. Mais ses talents aussi bien que son activité furent au-dessous de sa tâche, et son entourage était tel qu'il scandalisa l'honnête Mercier du Rocher, dans un voyage officiel que celui-ci fit à Angers pour demander qu'on ne laissât pas Fontenay sans défense. Ce général des sans-culottes vivait en ci-devant prince, entouré de valets et de cuisiniers. Je descendis, à Angers, à l'auberge du Cheval-Blanc, où était l'état-major. Je montrai mes pouvoirs à Berruyer. Il se couchait ; à peine daigna-t-il me répondre. Je lui fis part de ma mission. Après un court échange de paroles sans conclusion, il me dit qu'il voulait dormir ; je me retirai[16].

Toutefois, la campagne s'ouvrit heureusement pour les républicains. Le 12 avril, Baudin, commissaire près l'armée de l'Ouest, écrivait au Conventionnel Choudieu : Citoyen représentant, le Mesnil est pris, Saint-Florent est pris. Les citoyens et citoyennes de ces communes ont apporté en offrande à Gauvilliers, notre commandant, plus de soixante boulets ennemis trouvés dans les champs et dans le sable. Au Mesnil, les rebelles étaient abrités derrière des haies profondes, sur un coteau qui commande un défilé que devait traverser notre armée en passant sous leur canon. Le passage s'est opéré au pas de charge, mais non sans perte... Nous avons repris, au Mesnil, la fameuse pièce dite le Missionnaire... Bonchamps commandait les brigands. Il a tenu bon tant qu'il a pu. Il priait à mains jointes ses hommes de ne pas quitter la redoute qu'ils avaient faite de leurs propres mains ; mais son courage a été impuissant, il est entraîné dans la déroute, et il galope à travers champs, les yeux pleins de larmes[17].

De son côté, Berruyer s'était porté sur Saint-Pierre de Chemillé, où se trouvaient réunies les troupes de d'Elbée, de Cathelineau, de Stofflet ; et là encore, le succès fut tel que Choudieu put mander à son collègue Richard :

J'ai de bonnes nouvelles à vous apprendre. Berruyer s'est bien conduit. Tout le monde a fait son devoir. Duhoux marchait par la Jumellière, afin de balayer la canaille insurgée. Il avait deux mille hommes. Berruyer en avait conservé à peu près le même nombre, et sous ses ordres étaient Menou et Maugin. Nous ne tardâmes pas à apercevoir l'ennemi. Il était retranché sur la grande route, et sa batterie couverte, soutenue de deux autres sur les flancs, défendait les approches de Saint-Pierre de Chemillé. De tous les côtés, les ponts étaient rompus, et la rivière, des fossés profonds, donnaient à la position des brigands quelque chose de formidable. Menou et Maugin mettent pied à terre ; ils s'emparent, l'épée à la main, de la batterie principale, secondés seulement par quelques volontaires de la Bastille. Maugin est tué près de Menou, qui n'échappe que par un prodige. Accablé sous le nombre, il fait retraite, et vient nous rejoindre, Berruyer et moi, sur la gauche de l'Irôme. Alors Duhoux paraît avec sa colonne. L'attaque a recommencé ; retranchements et redoutes ont été enlevés, six pièces de canon enclouées ou prises. Les morts sont nombreux ; les routes et les rues jonchées de cadavres. Nous ne sommes pas restés à Chemillé, mais nous y avons mis le feu[18].

 

Cette lettre portait la date du 12 avril : en voici une autre qui, écrite le 16, montre combien peu de temps il avait fallu pour changer la face des choses :

Oh diable ! voici de méchantes affaires. Tout allait bien d'abord, et puis tout va mal. Leygonnier était à Vihiers, à Coron, à Vezins ; Berruyer occupait Chemillé. — Il y était revenu le 15. — Les brigands se repliaient, disait-on, sur Beau préau. Et, en effet, une partie de leurs bandes prenait cette route sous la conduite de Bonchamps ; mais une autre partie, et la plus nombreuse, se trouvant renforcée par de nouvelles paroisses qu'amenaient leurs curés, s'est jetée, ayant d'Elbée à sa tête, sur Leygonnier, et Villemet et Saint-Hilaire. C'est hier, 15, que cela se passait, et que nos généraux étaient obligés de quitter Vezins, de quitter Coron et de se replier sur Vihiers ; mais à Vihiers même, ils ont rencontré Stofflet et Bérard, dont les bandes furieuses, se précipitant sur nos colonnes, les ont mises complètement en désordre[19].

A quelques jours de là, Gauvilliers, vaincu à Beaupréau, repassait la Loire précipitamment ; et Berruyer lui-même, chassé de Chemillé par les paysans, auxquels il avait laissé le temps de se reconnaître, était réduit à battre en retraite jusqu'au Pont-de-Cé[20].

Le fanatisme des Vendéens et leur manière de combattre expliquent ces brusques revirements.

Il était difficile de dompter des hommes dont la tactique consistait à se répandre en silence derrière les haies, à ne pas tirer un cou p de fusil sans l'ajuster ; à attendre, pour s'exposer au feu, que l'ennemi fût ébranlé ; et alors à sauter par-dessus les haies en poussant de grands cris.

La lumière des canons pointés contre eux leur annonçait-elle une décharge ? ils se jetaient à terre avec la rapidité de l'éclair, se relevaient, s'élançaient sur les pièces, et, attaquant les canonniers corps à corps, s'emparaient de la batterie. Habitués à charger leurs armes en courant, et tireurs inévitables, leurs victoires étaient au plus haut point meurtrières, tandis que, vaincus, ils disparaissaient en un clin d'œil dans un labyrinthe de bois, de buissons, de petits sentiers et de gorges, dont tous les secrets leur étaient connus[21]. Que les généraux, s'écrie Turreau[22], qui ont fait cette affreuse guerre de la Vendée, disent si les Prussiens, les Autrichiens, les soldats rompus à la discipline des Nassau et des Frédéric sont aussi terribles dans les combats que les féroces et intrépides tirailleurs du Bocage et du Loroux !

Ajoutez à cela un courage que ranimait, après chaque échec, une dévotion exaltée par de continuels artifices. Ce qu'osèrent les prêtres serait véritablement impossible à croire, si des écrivains du temps, esprits sérieux et cœurs purs, n'étaient là pour l'attester. Un jour, raconte Mercier du Rocher, les prêtres feignirent que trois d'entre eux, qu'ils avaient fait cacher pendant quelque temps, étaient tombés sous le glaive républicain. Or, ils avaient eu soin de leur serrer le cou avec du fil, de manière à y laisser une empreinte circulaire ; et ils les montraient aux paysans égarés comme des victimes ressuscitées après leur supplice[23]. De fait, la croyance se répandit parmi les paysans que ceux-là ressusciteraient dans trois jours à la façon du Christ, qui mouraient pour leur Dieu ; et on a vu que le domestique du marquis de Duchaffault exprima cette croyance du haut de la guillotine.

De là et de mille autres superstitions semblables naquit, chez les paysans vendéens, un enthousiasme guerrier, que partagèrent leurs mères, leurs femmes, leurs sœurs, leurs fiancées. A la plupart d'entre elles une piété aussi sincère qu'aveugle fut un suffisant aiguillon ; quelques-unes obéirent à des mobiles plus profanes : à la passion de l'imprévu, au goût d'une vie errante et romanesque, à l'amour. Parmi les héroïnes vendéennes, deux surtout se signalèrent : madame de la Rochefoucauld et Marie-Antoinette-Pétronille Adams.

La première était une femme assez belle, mais d'une beauté virile. Son mari ayant émigré sans elle, elle habitait seule le château du Puy-Rousseau, non loin de la demeure de Charette, lorsque les paysans se soulevèrent. Elle avait alors trente ans. Sans hésiter, elle se jeta dans la révolte, et, dès le 13 mars, elle entrait, le sabre à la main, à la Garnache, y organisait un comité royaliste, en prenait la présidence, et, faisant ranger les patriotes prisonniers au pied de la grosse tour, les contraignait à déclarer où ils avaient caché leur argent ; car, suivant elle, les écus des brigands bleus devaient servir à payer les soldats du roi. Thomazeau, fermier de Coudrie, la vit et lui appartint aussitôt, jusqu'au délire, jusqu'à la mort. A dater de ce moment, le savant chroniqueur auquel nous empruntons ces détails[24], la montre tantôt poussant son cheval au plus fort des combats, tantôt ordonnant des exécutions terribles, ou bien encore organisant les fêtes où se complaisait la sauvage galanterie de Charette. Mais il arriva qu'une nuit, des gardes nationaux, à la poursuite d'une bande vendéenne, étant entrés chez un habitant du village de Désert, près de Dompierre, découvrirent, cachés sous un lit, un homme et une femme[25] : c'était le fermier de Coudrie et madame de la Rochefoucauld. On les conduisit au supplice, qu'ils subirent tous les deux avec fermeté.

Coquette jusqu'au pied de l'échafaud, l'amazone vendéenne, dans son interrogatoire, s'était donné trois ans de moins[26] : ce fut son unique faiblesse.

Quant à l'autre héroïne, Marie-Antoinette, entrée dans la même carrière, elle la parcourut d'un pas si fier, que les paysans, charmés, la surnommèrent le chevalier Adams, et qu'étant tombée au pouvoir des républicains, elle eut cet honneur d'être fusillée debout[27] !

Les femmes eurent donc leur place dans cette guerre, et l'on conçoit de reste que là où les femmes avançaient, les hommes eussent rougi de reculer.

Cependant, ils continuaient, à Machecoult, les massacres dont nous avons déjà retracé à demi l'affreux tableau. Faut-il l'achever ? Faut-il parler, et de ces serruriers employés à faire des menottes tranchantes, pour qu'au moindre mouvement les prisonniers se déchirassent les poignets[28] ? et de ce monstre qui courait les rues, un cor de chasse à la main, donnait le signal d'assommer les citoyens en sonnant la vue, puis revenait sur la place sonner l'hallali, pendant qu'autour de lui retentissaient les cris de Vive le Roi[29] ? Rappellerons-nous qu'on vit un prêtre, nommé Priou, sortir de l'église où il allait dire la messe, se rendre sur le lieu des égorgements, et y faire dresser un autel, afin que, tandis qu'il priait Dieu, le bas de son aube traînât dans le sang[30] ? Un rapport officiel assure que, pour fournir un prétexte à ces horreurs, Charette écrivait des lettres qu'il s'adressait à lui-même et communiquait en grande pompe aux assassins[31]. Des artifices de ce genre s'accordent mal avec le caractère connu du chef vendéen, et il est probable qu'on avait soin de lui fournir, sans qu'il prît la peine de les inventer, les prétextes dont il se servait. La vérité est que, la veille de Pâques, il avait lu en public une lettre où on lui mandait faussement que tous les prêtres sexagénaires, détenus à Nantes, venaient d'être saignés à la gorge. L'horrible ruse réussit. Vingt-quatre patriotes furent massacrés le matin dans la prison, et, le soir, les meurtriers disaient en soupant : Nous nous sommes bien décarêmés aujourd'hui[32].

Il se mêlait à cela toutes sortes de pratiques frauduleuses, et des cérémonies à vous faire monter le rouge au front. Qui jamais aurait cru que, dans la patrie de Voltaire, des prêtres pussent faire frémir, en y posant la main, la pierre des tombeaux, ou donner pour des ordres tombés du haut des cieux de petits billets furtivement glissés, pendant la nuit, derrière une statue de Vierge[33] ?

L'arrivée de Beysser, envoyé de Nantes par le général Canclaux, mit enfin un terme à ces abominations.

Beysser était un homme d'une stature colossale et d'une énergie qui eût mieux servi la République, s'il ne se fût à son tour livré aux plus barbares représailles[34]. Déjà vainqueur des rebelles à Port-Saint-Père, il entra dans Machecoult, le 22 avril, à dix heures du matin, après avoir tué et perdu beaucoup de monde. Une lettre, écrite sur place, contient ces lignes sanglantes, qui résument en quelques mots l'histoire de toutes les guerres civiles : Les prisonniers passent à l'instant même devant la commission militaire. Elle juge, on fusille[35]. Souchu fut arrêté par un volontaire nantais au moment où il essayait d'escalader un mur[36], et paya de sa vie le sinistre et rapide éclat de son rôle.

D'autres avantages avaient relevé, dans le Marais, la fortune de la République. A la tête de deux petites armées, composées de gardes-nationaux des Sables ou de volontaires accourus, soit de la Charente-Inférieure, soit de la Gironde, Boulard et Baudry étaient parvenus, dans l'espace de moins d'un mois, à protéger les côtes, à disperser les rebelles en mainte rencontre[37], à empêcher leur jonction avec les Anglais, et à rétablir la communication entre Luçon, les Sables, Saint-Gilles, Challans[38].

Mais quelque importants que fussent de pareils succès, ils ne suffisaient pas pour compenser les revers que, vers ce même temps, d'Elbée, Bonchamps, Cathelineau et Stofflet firent éprouver aux armes républicaines dans l'Anjou et le Haut-Poitou.

Parmi les nobles vendéens qu'attendait la déplorable célébrité des guerres civiles, il y en avait alors deux qui n'avaient point encore paru sur la scène. L'un était Henri de la Rochejaquelein, jeune homme d'une valeur bouillante et aux allures héroïques ; l'autre, de Lescure, qui à un courage aussi grand quoique plus calme joignait une piété sincère et beaucoup d'humanité. Unis par le double lien du sang et d'une amitié fraternelle, Lescure et la Rochejaquelein se trouvaient encore, dans les premiers jours du mois d'avril, au château de Clisson, non loin de Bressuire. Leur cœur appartenait tout entier à la cause royaliste ; mais les autorités de Bressuire avaient l'œil sur eux, et la sagesse de Lescure répugnait à tenter les hasards de la révolte, avant d'en avoir calculé les chances. Cependant, prolonger cet état d'hésitation était impossible. Bressuire comptait au nombre des villes menacées par les rebelles : il fallait donc que, pour sa défense, elle fit appel aux gardes nationales des environs ; et, comme le château de Clisson renfermait plus de vingt-cinq hommes en état de porter les armes, la Rochejaquelein et Lescure pouvaient, d'un instant à l'autre, recevoir l'ordre de marcher contre ceux qu'ils brûlaient, au contraire, de rejoindre[39]. Autre difficulté : la Rochejaquelein n'avait que vingt et un ans, il était de la classe du tirage, et la sommation qui le forçait à aller tirer la milice vint bientôt mettre son royalisme à une cruelle épreuve. Ce jour-là même, était arrivé au château de Clisson un jeune paysan qui se mit à raconter des merveilles de l'armée royaliste. Monsieur, dit-il ensuite à la Rochejaquelein, on prétend que vous irez dimanche tirer la milice à Boismé ; c'est-il bien possible, pendant que vos paysans se battent pour ne pas tirer ? Venez avec nous, monsieur : tout le pays vous désire et vous obéira[40]. La Rochejaquelein prit un gros bâton, une paire de pistolets, et partit[41].

Lescure qui, en quittant Clisson, risquait de compromettre le sort d'une famille nombreuse, prit le parti de rester jusqu'à ce que son cousin le vînt délivrer. Vaine prudence, de la part d'un suspect ! Quelques jours après, des gendarmes se présentaient au château, avec ordre d'en arrêter les habitants. On attela des bœufs à la voiture ; Lescure, sa femme, sa belle-mère et deux autres personnes y montèrent ; et ils furent conduits à Bressuire, où, heureusement pour eux, la prison qui les reçut fut la maison d'un officier municipal, très-bien disposé en leur faveur[42]. Seulement, on leur recommanda de ne pas se montrer à la fenêtre et de se faire oublier le plus possible[43]. Quétineau, qui commandait à Bressuire, connaissait la retraite de Lescure : il fit semblant de l'ignorer[44].

Dans l'intervalle, le jeune cousin de Lescure avait rejoint les rebelles de l'Anjou, campés vers Chollet et Chemillé.

Étrange était l'aspect de cette armée. Un habit-veste, une grande culotte d'étoffe brune, très-grossière, un gilet dont les poches servaient de giberne, un chapeau rond sur des cheveux ras, un havresac de toile, des lisières de serge pour bretelles de fusil, et des sabots retenus aux pieds par des ligatures ou surmontés de tiges de cuir, voilà de quoi se composait l'équipement des troupes catholiques et royales[45].

La Rochejaquelein arriva juste au moment où les chefs parlaient de congédier leurs hommes, faute de poudre.

Car, pour les paysans, là était la difficulté suprême. La question de subsistance les préoccupait peu, dans un pays abondant en blés, en bestiaux, en fourrages, où ils vivaient partout à discrétion, où leurs rassemblements d'ailleurs n'étaient que momentanés, et où il suffisait, pour les tirer d'embarras, de billets tels que celui-ci : A Monsieur Pouzin, commandant à Montournais. — Monsieur, il se doit faire demain un rassemblement considérable. Envoyez- nous sans retard tout le pain qui se trouvera cuit dans votre paroisse. Vos frères et amis, Jublin, Souchet, Fauen[46]. Mais le pain ne servait qu'à les faire vivre, et c'était de la poudre qu'il leur fallait pour tuer.

Ils en demandèrent, et cela dès le début, à qui ? A l'étranger. Voici un document qui le prouve sans réplique :

Au nom des armées catholiques et royales des Bas-Anjou et Poitou, combattant pour le rétablissement de la foi chrétienne et de la monarchie française, salut. Prions monsieur le commandant au premier port d'Angleterre de vouloir bien s'intéresser auprès des puissances anglaises, pour nous procurer, dans le plus court délai, des munitions de guerre et des forces imposantes de troupes de ligne pour parvenir aux fins que nous nous proposons.

Le 8 avril 1793.

Les commandants des armées catholiques et royales d'Anjou et Poitou.

D'ELBÉE, BERRARD, SAPINAUD[47].

 

Une requête semblable et signée des mêmes noms fut, à la même date, adressée aux Espagnols[48] ; et, parmi les lettres des chefs vendéens que nous avons sous les yeux, un grand nombre a pour objet des demandes de poudre.

La Rochejaquelein, apprenant de Cathelineau et de Stofflet qu'on n'en avait pas deux livres, était revenu à Saint-Aubin, seul et très découragé, lorsque tout à coup, informés de son retour, les paysans de l'endroit l'assiègent en foule, le suppliant de se mettre à leur tête. Il y consent, et dans l'espace d'une nuit, les paroisses des Aubiers, de Nueil, de Saint-Aubin, des Échaubroignes, de Cerqueux, d'Isernay, lui composaient une armée de près de dix mille hommes. Henry, écrit Madame de la Rochejaquelein[49], avait découvert soixante livres de poudre chez un maçon, qui en avait fait emplette pour faire sauter des rochers : ce fut un trésor1.

Leygonnier, battu à Vezins et à Vihiers, avait mandé à Quétineau de venir le rejoindre, et celui-ci, s'étant mis en marche, approchait du village des Aubiers. La Rochejaquelein passe ses hommes en revue, et leur dit ces admirables paroles : Mes amis, si mon père était ici, vous auriez confiance en lui ; mais, par mon courage, je me montrerai digne de vous commander. Si j'avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi[50].

Le général qui parlait ainsi était un grand jeune homme blond, d'une physionomie très-douce, mais doué de ce regard où brillent les âmes intrépides : les paysans poussent des cris de joie et s'ébranlent. Ils se répandent en silence derrière les haies ; ils attendent, couchés dans les genêts, un ennemi qui s'avance en mauvais ordre, sans éclaireurs. Soudain, les voilà qui sautent par-dessus les haies, en criant : Vive le roi ! Ils renversent les premiers rangs, mettent en fuite les seconds, et prennent tout, canons, caissons, fusils[51]. Quétineau fut poursuivi jusqu'à une demi-lieue de Bressuire, où Lescure eut la satisfaction d'entendre les républicains crier, en passant devant la porte de sa retraite : Les brigands nous suivent ! Illuminez ! illuminez ![52]

Mais, avant d'attaquer Bressuire, la Rochejaquelein avait jugé à propos d'aller rejoindre Bonchamps, d'Elbée, Cathelineau ; et ce fut avec toutes leurs forces réunies que les révoltés de l'Anjou songèrent à recueillir le fruit de la victoire des Aubiers. Le 1er mai, le bruit se répand dans Bressuire qu'ils ont emporté Argenton-le-Château, qu'ils approchent, qu'ils vont paraître. Quelques cavaliers sont envoyés à la découverte : ils reviennent au galop, disant, tant la panique était grande ! qu'ils avaient vu de loin une colonne ennemie ; et lorsque Quétineau voulut s'en assurer, il se trouva que cette colonne ennemie était un paysan qui labourait son champ avec huit bœufs[53] ! L'évacuation de la ville fut décidée et s'effectua assez tumultueusement pendant la nuit, malgré l'opposition des corps administratifs et de la commission départementale, qui prirent contre Quétineau, à cette occasion, un arrêté très-énergique[54].

Si ce dernier, en abandonnant Bressuire, à la tête de cinq mille hommes, se rendit coupable de félonie, c'est ce dont il est permis de douter, attendu que l'enceinte de Bressuire tombait en ruines, et que le château était fort dégradé, n'ayant pas été réparé depuis que Duguesclin l'avait enlevé aux Anglais[55]. Mais ce qui est sûr, c'est que le général républicain défendit la ville de Thouars, sur laquelle il s'était replié, avec une mollesse qui avait tous les dehors de la trahison. Il semble en effet que cette dernière ville eût pu tenir longtemps, protégée qu'elle était par une garnison nombreuse et par le Thoué, rivière profondément encaissée, et que des digues de moulins rendaient presque partout impraticable à gué[56]. Cependant, et en dépit de la résistance héroïque que fit sur le point qu'elle avait à défendre la garde nationale d'Airvaux[57], le passage, tenté en quatre endroits différents, fut forcé partout, et l'on arriva jusqu'aux pieds des murailles. On n'avait pas d'échelles. La Rochejaquelein crie à un paysan qui le suivait ; Carle, je vais monter sur tes épaules. — Faites. — Donne-moi ton fusil. — Le voilà ! La Rochejaquelein grimpe sur les épaules du paysan, atteint la cime du mur[58] ; l'armée suit, les Vendéens sont dans la ville. Quétineau, sans s'arrêter aux protestations des autorités civiles, fit aussitôt arborer le drapeau blanc. Malheureusement pour lui, les vainqueurs l'entourèrent d'étranges égards ; Lescure le remercia vivement d'avoir voulu ignorer sa retraite à Bressuire, c'est-à-dire de l'avoir donné à l'insurrection ; Bonchamps le fit coucher dans sa propre chambre ; enfin, on lui offrit, ou de le retenir pour le sauver des soupçons et des ressentiments républicains, ou de le laisser libre. Lui, avec une confiance courageuse, accepta la liberté, qui le conduisit à la mort[59].

Une quantité considérable d'assignats, de canons, de boulets, et des magasins remplis d'habillements militaires, voilà ce que les Vendéens gagnèrent à la prise de Thouars ; ils y gagnèrent, de plus, un évêque à mettre en avant, un faux évêque, il est vrai, mais qui ne leur fut pas pour cela moins profitable. Un prêtre avait été arrêté portant les armes et sous l'habit d'un simple soldat : interrogé, il déclara ne s'être armé que dans l'espoir de passer aux Vendéens, et, très-résolument, se para du titre d'évêque d'Agra. Il mentait, c'était un simple abbé, nommé Guyot de Folleville. Mais il avait de grandes manières, une belle figure, un air de douceur et de componction : on avait donc intérêt à l'accepter pour ce qu'il prétendait être. Un évêque ? De quoi ne seraient pas capables les paysans de la Vendée, à la suite d'un évêque ! Les chefs n'eurent garde de trop approfondir le mystère ; les prêtres qu'ils avaient parmi eux ne dirent mot ; et le prétendu évêque d'Agra ne tarda point à officier pontificalement, aux yeux des paysans, ivres d'allégresse et d'orgueil[60].

Avant de raconter les événements que déterminèrent, à Paris, ces progrès de l'insurrection vendéenne, voyons quel était, lors de la prise de Thouars, l'état des forces royalistes dans les diverses parties du territoire insurgé.

L'armée, dont nous venons de suivre la trace, se composait de deux divisions : l'une, aux ordres de Bonchamps, et composée de paroisses contiguës à la Loire, du côté de Saint-Florent ; l'autre composée, soit d'Angevins, soit de Poitevins touchant à l'Anjou, et commandée par d'Elbée, Stofflet, Cathelineau, la Rochejaquelein, Lescure. Cette armée, qui s'appela d'abord l'armée de l'Anjou et du Haut-Poitou, puis la grande armée, était ordinairement de vingt mille hommes et pouvait sans peine être portée au double. Elle avait plus particulièrement affaire aux troupes républicaines d'Angers.

Une troisième division, d'à peu près douze mille hommes, occupait, sous les ordres de M. de Royrand, Montaigu et les environs.

Entre Nantes et Montaigu, de Lyrot commandait trois ou quatre mille hommes.

Enfin, il y avait dans le Marais et le long des côtes, depuis Nantes jusqu'aux Sables, l'armée de la Cathelinière, celle de Joly, celle de Charette[61].

Ainsi, la Vendée se trouvait fractionnée en sept grandes divisions, dont l'entente eût pu devenir formidable, si elle n'eût été paralysée par l'esprit de rivalité qui animait les chefs.

De ces chefs, plusieurs ont déjà figuré dans notre récit ; il en est trois qui valent qu'on les fasse connaître.

Joly était un ancien sergent du régiment de Flandre, qui cachait un talent rare sous un extérieur grossier. Horloger, peintre, architecte, cordonnier, forgeron, bon chirurgien, excellent tailleur[62], l'universalité de ses aptitudes tenait du prodige. En lui, l'inexorable violence du partisan se mariait à l'intrépidité du soldat. Un de ses fils, qui servait dans les troupes républicaines, étant tombé entre ses mains, il le fit fusiller, le barbare ! Il détestait les nobles et ne voulut jamais leur céder la préséance, n'admettant de hiérarchie que celle qui se fonde sur le mérite personnel. Aussi devint-il odieux à Charette. Toutefois, leur rivalité resta voilée à demi, jusqu'au moment où, l'armée d'Anjou étant détruite, ils aspirèrent l'un et l'autre au premier rôle. Vaincu dans cette lutte d'ambition, Joly ne put se contenir, il insulta Charette en pleine assemblée, et ne tarda point à être assassiné. Par ordre de qui ? On a formellement accusé Charette de ce meurtre.

La femme de la victime était à la Roche-sur-Yon : parurent des cavaliers qui l'enlevèrent, la conduisirent à quelque distance du bourg et la massacrèrent. Elle dit en tombant : Joly est mort. Charette n'eût pas osé, lui vivant, toucher à un cheveu de ma tête[63].

Même indépendance de caractère et même rudesse de cœur chez Stofflet. Venu d'Allemagne en France, il avait commencé sa réputation parmi les paysans, au moyen de certains tours de jonglerie où il excellait. Il avait des connaissances en physique, et exécutait avec l'aimant des choses qui le firent passer pour sorcier[64]. Les paysans, qui allaient, tantôt le consulter sur leurs maladies, tantôt lui faire tirer la bonne aventure, s'accoutumèrent si bien à son influence, qu'il fut naturellement un de leurs chefs, lorsqu'ils se soulevèrent. Comme son air timide n'annonçait nullement ce qu'il y avait dans son âme, qui était ambitieuse et forte, les nobles crurent d'abord le pouvoir traiter en subalterne ; mais il leur déclara fièrement qu'ils combattaient pour une religion qui avait proclamé les hommes égaux[65]. Conformant sa conduite à son langage, il adressa un jour à Bonchamps un cartel qui prouvait assez qu'il entendait marcher de pair avec les marquis, tout garde-chasse qu'il était[66]. S'agissait-il, d'ailleurs, de s'enfoncer dans la mêlée ? On ne le devançait pas aisément ; et il partageait la place que Cathelineau occupait dans la confiance du paysan.

Toutefois, ni lui ni Cathelineau n'eurent, à l'armée d'Anjou, l'influence dominante et réelle : le génie de l'intrigue, servi par un charlatanisme habile, beaucoup de sang-froid et des connaissances militaires, la donnèrent bien vite à d'Elbée, ancien sous-lieutenant d'infanterie, homme d'un extérieur grave et sombre, d'une politesse cérémonieuse, d'une dévotion mêlée aux calculs de l'orgueil ; qui, comme Bonchamps, aimait fort à faire la petite guerre avec des régiments en métal, parlait par sentences, adressait aux soldats de vrais sermons, portait sur lui des images pieuses, et avait si souvent le mot Providence à la bouche, que les paysans l'avaient surnommé le général la Providence[67].

Maîtres de Thouars, les royalistes se sentirent toute l'audace des grands desseins. Non contents de prendre possession de Parthenay, que les républicains ne pouvaient défendre et qu'ils évacuèrent, les chefs de l'armée d'Anjou et du Haut-Poitou songèrent à marcher sur Fontenay. Il était donc temps qu'à Paris on se préoccupât d'une manière sérieuse d'événements aussi considérables. Malheureusement, c'était à une foule de dangers à la fois qu'il s'agissait de parer, et jamais la République n'avait eu plus à craindre pour son existence même.

A l'époque de la formation du Comité de salut public, c'est-à-dire au mois d'avril, la situation était celle-ci : L'armée du Nord et des Ardennes était entièrement désorganisée, par suite de la trahison de Dumouriez : sur toute cette frontière, deux mille cinq cents hommes seulement ; et pas de vivres, pas de munitions. Dumouriez avait abandonné à Lille, outre dix mille fusils, près de vingt mille habits emmagasinés par lui pour le compte de l'Autriche, pendant que nos soldats étaient demi-nus.

Les armées du Rhin et de la Moselle, forcées de quitter les environs de Mayence, rétrogradaient.

Les armées des Alpes et d'Italie attendaient l'heure des combats, derrière les montagnes et les neiges qui les séparaient de l'ennemi.

Les armées des Pyrénées-Orientales étaient sans officiers généraux, sans canons de campagne, sans affûts pour les canons de siège, presque sans pain.

Les Espagnols nous attaquaient du côté de Bayonne.

Sur les côtes de Brest et de Cherbourg, menacées, quelques soldats épars ; sur celles de Bretagne, à peine cinq mille hommes de troupes soldées. Les ports de Brest, de Rochefort, de Lorient, n'avaient que six vaisseaux de ligne prêts à tenir la mer, et la flotte de la Méditerranée se réparait dans Toulon.

Les pouvoirs illimités des commissaires dans les provinces se croisaient, et, en se croisant, se paralysaient.

Enfin, les administrations arrêtaient au passage, dans un intérêt de défense locale, bataillons et vivres, chacune de ces autorités inquiètes s'occupant à mettre à l'abri son clocher, formant sa petite armée, nommant son général, et rendant de la sorte impossible tout vaste projet de défense[68].

Encore si la Révolution n'avait eu à combattre que des colères loyales ! Mais non : contre elle, rien ne parut trop noir à ses ennemis, ni la science des traîtres, ni l'art des faussaires.

Et, par exemple, une des idées que caressait le plus volontiers, à cette époque, la haine des Anglais, était d'inonder la France de faux assignats et de lui faire de la sorte une épouvantable agonie. Nous avons sous les yeux un document autographe d'une importance hideuse : c'est un plan pour fabrication de faux assignats sur une immense échelle, présenté au gouvernement anglais, non par un obscur aventurier, mais par un homme bien connu dans le monde de l'industrie et de la politique, l'Écossais William Playfair. Les arguments sur lesquels l'auteur cherche à fonder la moralité de son projet, sont empruntés tout simplement à la logique de l'extermination : la question étant de tuer la France, le plus court et le plus sûr est le mieux. Aussi William Playfair demande-t-il une récompense égale au service, et il est clair qu'il se considère comme un bienfaiteur de l'humanité. Il a soin, d'ailleurs, d'apprendre aux générations futures que, lorsque, pour la première fois, il émit son idée, elle rencontra en Angleterre une approbation presque générale : The pamphlet met with a pretty general approbation.

Que ceux-là qui maudissent la Révolution pour la manière dont elle se défendit, se souviennent à jamais de la manière dont elle fut attaquée[69] !

PROJET POUR FABRICATION DE FAUX ASSIGNATS SUR UNE IMMENSE ÉCHELLE

1° Ayant déjà, dans un pamphlet publié au commencement du mois de février, et intitulé Vue générale des ressources de la France, déclaré publiquement que, selon moi, la manière la plus efficace d'attaquer la nation française, était de détruire son crédit par la falsification des assignats, pamphlet généralement approuvé, j'ai résolu, à cause de cela, et pour d'autres raisons, de falsifier ces assignats moi-même.

2° Comme nous sommes en guerre avec la France, je pense qu'il convient à tout sujet anglais d'anéantir la force de l'ennemi par les moyens qu'il juge les plus décisifs et les plus faciles à pratiquer. Je pense qu'abréger la durée de la présente guerre, c'est tout simplement abréger la durée du vol et du meurtre, ce qui, à l'égard des Français eux-mêmes, serait un acte de miséricorde.

3° Je pense que les assignats sont la monnaie de tous les crimes commis en France, et que les détruire revient à arracher des mains d'un misérable assassin le poignard et le pistolet. Il est clair, d'après cela, que cette monnaie factice des crimes ne saurait être trop tôt réduite à néant, et, qu'en ce qui touche les ennemis de la France, lesquels comprennent aujourd'hui presque toutes les nations civilisées de l'Europe, il est de la plus haute importance d'en finir avec un instrument dont des misérables se servent pour troubler le repos du monde.

4° Il y a deux moyens de combattre la France : les hommes et l'argent. Ne vaut-il pas mieux détruire un papier fondé sur d'iniques extorsions que de verser le sang humain ? Je propose donc l'anéantissement des assignats, comme moyen d'épargner l'effusion du sang, et je crois cela digne d'un patriote, d'un Anglais, d'un homme.

C'est pourquoi j'ai formé le plan qui suit. Je sais qu'il n'est pas sans difficultés, qu'il peut prêter à la censure des malveillants, et que sa non-réussite entraînerait de fâcheuses conséquences. Mais mon parti est pris, et je ne rougis pas de m'expliquer clairement.

Mes motifs, je viens de les donner en ce qui concerne le public, et je vais les faire connaître en ce qui me con- cerne moi-même. Je me considère comme un soldat qui combat pour son pays, et, dans quelque dilemme que je puisse me trouver pris, mon langage ne changera jamais.

Mon plan consiste à fabriquer cent millions d'assignats et à les répandre en France par tous les moyens possibles ; réservant au clergé exilé de France, sur les biens desquels les assignats sont hypothéqués, le cinquième des bénéfices qui, tous frais payés, pourraient résulter de l'opération, lesquelles sommes seront employées à leur venir en aide, sous les initiales d'usage pour les personnes qui désirent n'être pas connues.

Tous les ennemis de la France, dans ce plan, seraient pourvus d'autant de ce papier qu'ils pourraient en répandre au moyen de leurs armées respectives, et cela à bas prix.

Réserve faite pour moi-même et pour mes collaborateurs d'une somme destinée à nous mettre au-dessus du besoin, on se servirait du reste pour payer les dépenses de l'armée anglaise sur le continent, et on en emploierait une partie à décréditer les assignats ; ce qui pourrait avoir lieu par la vente des lettres de change sur Paris à un cours inférieur au change de Londres. Je m'arrangerais aussi de façon à semer des divisions dans la Convention nationale et à en acheter les membres ; en un mot, je ne négligerais rien pour affaiblir la France, et, par là, procurer à l'Angleterre une victoire moins chère que celles que donnent la baïonnette et l'épée.

Après tout, je n'ignore point que la stipulation que je fais à mon profit personnel s'élèvera contre moi dans l'esprit des égoïstes et de ceux qui n'ont pas d'esprit public. A de telles gens, je réponds que les soldats et les matelots défendent leur pays en vue de l'avancement et pour être bien payés, et que je fais de même.

Sera-t-il objecté par les ignorants que ceci pourrait conduire à contrefaire les banknotes anglaises ? Je réplique que les assignats ne ressemblent pas à ce papier. Où sont-ils payables ? A qui et par qui ? Quelle est leur valeur intrinsèque ? Les assignats ne ressemblent pas plus à nos banknotes qu'un morceau d'écorce de chêne ne ressemble à une guinée. J'ajoute que ce n'est pas la difficulté de faire cette banknote qui prévient le faux, mais la probabilité qu'on sera découvert, par suite de ce fait que les banknotes sont payables à vue, et, tel est, en effet, le cas pour tout le papier accrédité, si l'on en excepte les assignats et le papier américain, lequel fut contrefait dans l'armée du général Howe, sans que cela ait été considéré comme un crime.

Je me risque donc bravement, et je proteste contre toute intervention légale dans ce pays, espérant un jour être loué en cas de succès. Quant aux dangers, je les brave, et me tiens prêt, comme tout homme qui entre en une semblable entreprise. Où il n'y a pas de dangers, il n'y a ni gain ni gloire !

Satisfait des motifs que je viens d'exposer, je commence. Si je réussis, l'intérêt de mon pays et mon bienêtre y trouveront leur compte ; si je succombe, je ne pourrai que m'en prendre à moi-même.

Londres, 20 mars 1793.

William PLAYFAIR.

 

On appréciera mieux la moralité du document qui précède, si on le rapproche de la proclamation suivante, que les Commissaires montagnards envoyés en Vendée par la Convention publièrent, le 25 mai 1793, à l'occasion de dégâts commis par quelques soldats, faisant partie de l'armée des bleus :

Soldats citoyens... parmi les devoirs d'un républicain, le plus saint de tous, après l'amour de la patrie, est le respect des propriétés, et des propriétés ont été violées. Que les contre-révolutionnaires que nous combattons, pillent, brûlent et assassinent, ce sont là vertus de brigands, et leur conduite n'a rien qui nous étonne ; mais que des républicains les imitent, c'est ce que vous n'apprendrez, braves soldats, qu'avec indignation. De tels hommes ne sont pas vos frères ; ce sont des conspirateurs qui se sont glissés dans votre sein pour faire rejaillir sur vous l'odieux de leurs crimes. Ne souffrez pas que ces ennemis de la patrie partagent avec vous l'honneur de combattre pour elle. Quant à nous, dès que nous les connaîtrons, nous vous les désignerons à la tête de l'armée, et nous les ferons juger suivant la rigueur des lois. Une armée de patriotes ne doit être composée que d'hommes purs, et le privilège de défendre la liberté n'appartient qu'à la vertu.

Fontenay-le-Peuple, ce 23 mai 1793, l'an second de la République française.

AUGUIS GOUPILLEAU (de Fontenay)[70], Ph. Ch. GOUPILLEAU, GARNIER (de Saintes).

 

Telle que nous venons de la décrire, la situation de la République rendait urgent l'emploi des moyens de salut : les plus magnanimes et les meilleurs, ce fut une ville de province qui les proposa. Selon le plan proposé par les patriotes de Montpellier, au nom du département de l'Hérault, il fallait :

Qu'on procédât à de nouvelles levées, mais qu'on les formât par voie d'indication, c'est-à-dire en adressant des réquisitions personnelles à tout bon patriote ;

Que le droit de désignation fût conféré, dans chaque département, à un comité de salut public, composé en nombre égal de membres des trois corps administratifs du chef-lieu, désignés eux-mêmes par les Commissaires de la Convention ;

Qu'avant d'arrêter les listes, le comité s'éclairât sur ses choix auprès des sociétés populaires ;

Que, pour subvenir aux dépenses de cette force armée, un emprunt extraordinaire de cinq millions fût ouvert, et rempli sur-le-champ par des réquisitions impératives adressées aux riches, s'il ne l'avait pas été sous deux jours par les soumissions libres des capitalistes[71].

Un illustre écrivain de nos jours[72] a fait admirablement ressortir la sagesse de ce plan, dans quelques lignes que nous lui empruntons, parce qu'elles expriment notre sentiment mieux que nous ne le pourrions exprimer nous-même. Le plan des patriotes de l'Hérault était à la fois, si l'on peut parler ainsi, très-local et très-central. Il fouillait profondément la localité, la perçait à jour pour en saisir les ressources ; il voyait de l'œil local, le seul qui puisse bien voir ; mais la décision ne venait pas de l'autorité locale, elle eût semblé passionnée, faussée par les jalousies, les rancunes, les petites haines : la décision se faisait au centre départemental, par l'influence des Commissaires de la Convention. La sagesse et la noblesse du projet étaient encore en ceci, qu'on devait adresser la réquisition aux meilleurs citoyens. Beaucoup voulaient, et ne faisaient rien, se donnaient de cœur, et pourtant restaient. A ceux-là la loi venait dire, par l'organe d'une haute autorité : Tu es le meilleur, donc tu es à moi. Tu voulais partir, tu serais parti, sans ta mère ou ta maîtresse. Eh bien ! pars, je viens t'affranchir, trancher de mon commandement ces liens, trop chers, que tu ne peux délier. Grâce à moi, tu seras libre, tu voudras ta volonté !

Mais les révolutions produisent toujours des hommes prêts à gâter par l'extravagance les chances d'une heureuse audace. Le 1er mai, de prétendus mandataires du faubourg Saint-Antoine apportaient à la Convention une pétition injurieuse, dans laquelle ils se proclamaient en insurrection permanente ; proposaient d'imposer la défense de la patrie aux contre-révolutionnaires comme châtiment, au lieu de la réclamer des patriotes comme devoir, et semblaient demander un emprunt forcé sur les riches, moins pour nourrir la guerre que pour stipendier la révolte[73].

Il y eut un moment de stupeur ; puis, ce fut un cri d'indignation, presque unanime. Lacroix, le premier, proteste, au nom de la Convention qu'on outrage. Philippeaux veut qu'on traduise l'orateur de la députation devant le tribunal révolutionnaire. Tout en reconnaissant que la liberté est comme la flamme, et que, si elle jette de l'éclat, c'est quand elle brûle, Boyer-Fonfrède gémit des excès qui la perdent ; il conclut à l'arrestation des signataires de l'adresse. Et c'est dans ce sens, avec plus de verdeur même, que se prononce Couthon, que nul ne saurait taxer de modérantisme, Couthon, l'ami de Robespierre. Mais voilà qu'un doute s'élève. De qui tiennent-ils leur mandat, ces hommes qui transforment le droit de pétition en droit de sédition, et disent : Nous sommes le peuple ? Survient une nouvelle députation, que les habitants du faubourg accompagnent, et qui, en leur nom, déclare désavouer la première. Il est probable que la Convention eût sévi, si Danton, blâmant et protégeant les pétitionnaires tour à tour, n'eût emporté l'ordre du jour en leur faveur[74].

Quel fut ici son mobile ? Pourquoi se sépara-t-il, en cette circonstance, de ses deux lieutenants, Philippeaux et Lacroix ? Était-il l'instigateur secret de la pétition ? Ou fut-il poussé par la crainte que trop de rigueur n'ajoutât à la fermentation des esprits ?

Il est certain qu'elle était alors très-grande ; et deux causes surtout l'entretenaient : la disette, la Vendée. Empêcher le prix du pain de hausser, et pour cela établir un maximum ; empêcher le royalisme de vaincre, et pour cela l'aller prendre corps à corps en Vendée, telle était devenue la double et ardente préoccupation du peuple. Le tort des Girondins fut de méconnaître ce qu'elle avait de légitime ; leur malheur, de braver ce qu'elle avait d'impérieux.

Et d'abord, ils combattirent le maximum du prix des grains, comme si l'on eût été en temps ordinaire. Fixer le prix des grains, juste ciel ! Mais entendait-on faire entrer dans ce prix, à titre de données nécessaires, les avances de la semence, celles de la culture, l'achat des bestiaux, la valeur des instruments aratoires, le coût des transports, et, de plus, la rémunération du laboureur, qui ne saurait faire vivre les autres qu'à la condition de vivre lui-même ? Pour peu qu'on les négligeât dans la fixation du maximum, ces inévitables données, adieu la culture ! Le laboureur consentirait-il à mourir de faim au milieu de son champ ? Que si, au contraire, en taxant les grains, on tenait compte des frais de production, comment ne voyait-on pas que, ces frais variant sans cesse, la taxe devrait suivre ces variations pas à pas : le pourrait-elle ? On se flattait bien en vain de fixer le prix du pain, à moins qu'on n'eût le secret de fixer, du même coup, le prix de la charrue qui déchire le sol, et celui du bœuf qui la traîne, et le salaire de l'homme qui la conduit. Qu'arriverait-il, d'ailleurs, s'il se trouvait qu'on eût établi la taxe trop bas, et réduit de la sorte le cultivateur, ou à laisser les terres en friche, ou à cacher ses grains, en attendant que la taxe fût, soit augmentée, soit supprimée ? Procéderait-on par voie d'inquisition et de contrainte ? Qu'on y prît garde ! La tyrannie elle-même risquait en ceci de n'être qu'une affaire de luxe : il n'est pas facile de forcer les gens à se ruiner ! Le mieux était donc de s'en rapporter à la sagesse de l'intérêt privé, de laisser au commerce ses franches allures, les échanges sociaux étant toujours justes, quand ils sont libres.

Ainsi pensaient les Girondins ; ainsi parla Ducos, leur organe[75]. Mais aux transports de rage que le discours de ce dernier excita dans les galeries, transports tels, qu'il fallut les faire évacuer[76], les Girondins purent juger qu'ils avaient contre eux, dans cette question tragique, l'instinct du peuple. Il leur répliquait, cet instinct quelquefois si sûr, que les règles ordinaires ne s'appliquent pas toujours impunément aux situations extrêmes ; que la hausse croissante du prix du pain venait moins encore de la multiplication des assignats que de la cupidité impitoyable des accapareurs et du machiavélisme de certains propriétaires, bien décidés à avoir raison de la Révolution, en l'affamant ; que l'objet du maximum était, non d'enlever aux fermiers leur gain légitime, mais aux accapareurs les bénéfices de leur commerce assassin ; que ce double but serait atteint, si, tout en dépouillant les seconds du pouvoir de faire monter à leur gré le prix des grains, on l'établissait sur des bases qui ne supprimassent point l'intérêt que peuvent avoir les premiers à cultiver la terre ; que cela était possible, les données à prendre en considération n'ayant rien qui ne fût parfaitement appréciable ; que cela était nécessaire, parce que la faim, elle aussi, a sa logique ; que cela était juste, parce qu'il n'est pas d'échange libre entre qui a tout et qui n'a rien. Lorsque, dans la séance du 2 mai, Thirion présenta le maximum comme un frein à la cupidité des accapareurs, d'une part, et au système désorganisateur des contre-révolutionnaires, d'autre part, il posa la vraie question : eu égard aux circonstances, elle était moins économique que politique ; elle relevait moins de la science que de la nécessité. Et c'est ce qu'à l'exception des Girondins, chacun comprit. Le 3 mai, la Convention vota le maximum, en chargeant les Directoires de le fixer, dans chaque département, selon la moyenne des prix depuis le 1er janvier, et avec cette clause qu'il serait décroissant[77]. C'était dire aux magasiniers : vous gardez toujours dans l'espoir de gagner davantage ! Eh bien ! plus vous garderez, moins vous gagnerez.

Après la disette, la Vendée. Et là encore, l'obstacle, ce fut la Gironde.

La grande mesure dont le département de l'Hérault venait de fournir l'idée et de donner l'exemple, avait été approuvée, non-seulement par les Sociétés populaires, mais encore par la Convention ; et, forte de cet assentiment, la Commune avait arrêté, dès le 1er mai :

Il sera formé un corps d'armée de douze mille hommes, avec lesquels marcheront trois membres du conseil général de la Commune.

Chaque compagnie, composée de cent vingt-six hommes, sera tenue d'en fournir quatorze.

Ce choix se fera par un comité composé de six membres du comité révolutionnaire de chaque section.

Le comité de réquisition ne devra désigner que ceux dont l'absence momentanée est sujette à moins d'inconvénients : en conséquence, tous les commis non mariés de tous les bureaux existant à Paris, excepté les chefs et les sous-chefs, pourront être requis, ainsi que les élèves de notaires et d'avoués, commis de banquiers, négociants et tous autres, en suivant les proportions ci-après : sur deux, il en partira un ; sur trois, deux ; sur quatre, deux ; sur cinq, trois ; sur six, trois ; sur sept, quatre ; sur huit, quatre, et ainsi de suite[78].

Pour subvenir à l'entretien de ces nouvelles levées, la Commune, par arrêté du même jour, avait frappé un emprunt forcé de douze millions, à prendre sur le superflu des riches de Paris. Le nécessaire étant réputé de quinze cents livres de revenu pour un père de famille, et, en outre, de mille livres, pour chacun des autres membres de la famille, quiconque jouissait d'un superflu de mille à deux mille livres fut taxé à trente livres ; quiconque avait un superflu de deux mille à trois mille livres, dut payer cinquante livres, et ainsi en augmentant, jusqu'au superflu de cinquante mille livres de revenu, dont le possesseur fut déclaré débiteur de vingt mille livres à la patrie[79].

Ces mesures ne pouvaient manquer de paraître fort rigoureuses. La plupart des riches, quoique l'emprunt n'atteignît que le revenu d'une année, s'abandonnèrent à une sourde fureur. Parmi les clercs, les commis de marchands, les garçons de bureaux, beaucoup répondirent par les éclats d'une colère bruyante à l'appel dont la Commune croyait honorer leur patriotisme, et chargèrent d'exécration Chaumette, l'auteur de l'article qui les concernait[80].

D'un autre côté, la Convention ayant abandonné à chaque section le mode de son recrutement, l'opération se fit sans uniformité, avec lenteur, et l'on put douter un moment de l'empressement du peuple à aller éteindre la guerre civile en Vendée[81]. Une seule compagnie, cependant, celle commandée par le citoyen Wenter, offrit à la Commune cent officiers soldés, habillés et armés de sabres[82]. Santerre demanda la permission de partir, l'obtint, partit[83] ; et aux clameurs dont on le poursuivait, Chaumette opposa cette déclaration : Rien ne me fera changer de principes ; et, le cou sous le couteau, je crierai encore : le pauvre a tout fait, il est temps que le riche fasse à son tour. Je crierai qu'il faut rendre utiles, malgré eux, les égoïstes, les jeunes désœuvrés, et procurer du repos à l'ouvrier utile et respectable[84].

Une lutte était imminente : elle s'engagea dans le sein même des sections, dont la réaction bourgeoise essaya de s'emparer. De quelques-unes, brusquement envahies par des groupes d'agitateurs venus de différents quartiers[85], les Jacobins furent chassés d'une main violente. Dans la section de Bon-Conseil, le procureur-syndic du département de Paris fut accueilli par des huées et courut des risques. Marat, s'étant rendu à celle des Cordeliers, trouva la salle remplie d'hommes qui le conspuèrent, qui l'eussent maltraité sans doute, sans l'intervention de la garde[86]. La réaction chercha aussi à se faire jour par l'émeute. Il y eut aux Champs-Élysées, au jardin du Luxembourg des rassemblements tumultueux, au milieu desquels fut arrêté le domestique de Buzot[87] ; et des bandes de jeunes gens parcoururent la rue des Lombards, la rue de la Verrerie, la place de Grève, le quai Pelletier, en criant : Vive la République ! à bas la Montagne ! Car alors fut employée pour la première fois à Paris la tactique royaliste qui consistait à faire feu sur la Montagne, en s'abritant derrière la République et la Gironde.

Et c'est ce dont celle-ci ne s'aperçut pas, tant l'esprit de parti l'aveuglait ! Entre deux mouvements dont l'un tendait à exagérer la Révolution, mais dont l'autre favorisait le royalisme, elle pencha du côté fatal. Dans le Patriote français, son principal organe, on lut : Depuis trop longtemps le républicanisme et l'anarchie sont en présence, et n'ont fait, pour ainsi dire, qu'escarmoucher : cet état pénible ne peut plus se prolonger ; on nous présente un combat à mort ; eh bien ! acceptons-le. Si nous sommes vainqueurs, la République est sauvée. Si nous succombons, les départements sont là... Républicains, sentez votre force. Quels sont vos ennemis ? De forcenés déclamateurs, Achilles à la tribune, Thersites au combat ; conspirateurs de caves, qui tremblent à la vue de leurs propres poignards ; intrépides massacreurs dans les prisons, mais dont les yeux n'osent rencontrer un homme de cœur, vil troupeau de misérables, que la soif du pillage réunit, que la pluie dissipe[88]. Cet appel à la guerre civile avait lieu le 4 mai, et c'était juste le lendemain, 5, que se formaient les rassemblements dont nous avons parlé. Mais de quelque mépris que Girey-Dupré se fût étudié à couvrir ceux qu'il affectait d'appeler les ennemis de la République, les Républicains auxquels il prétendait s'adresser, ne montrèrent d'autre courage que celui d'un puéril désordre, qui fut aisément réprimé ; et la Gironde, aux yeux du peuple, resta plus compromise que jamais.

Aussi bien, chaque jour venait grossir de quelque fait nouveau la liste des torts imputables à cet imprudent parti. S'enquérait-on de l'état des départements, sillonnés alors par 170 commissaires, appartenant presque tous à la Montagne, on apprenait que leur mission révolutionnaire se trouvait paralysée par des lettres girondines envoyées de Paris, et où ils étaient dénoncés comme Maratisies[89]. Demandait-on aux administrations de départements la désignation des biens d'émigrés ? Impossible d'obtenir une réponse de celles qui étaient ou se disaient Girondines[90]. Quelque feuillet de la correspondance privée des Girondins venait-il à être dérobé ou à s' égarer, on y lisait des phrases telles que celles-ci : Le seul moyen de sauver la République, c'est de faire marcher sur Paris les quarante mille hommes qui combattent les rebelles de la Vendée[91].

Que si l'on examine la conduite que, pendant ce temps, tenaient les Montagnards et les Jacobins, quel contraste ! Leurs discours sont emportés, les moyens de salut qu'ils agitent sont quelquefois de nature à dépasser le but ; mais, s'ils se trompent, c'est du moins dans le sens de la Révolution. Pas un de leurs actes, pas une de leurs paroles, qui ne trahisse l'intérêt passionné qu'ils prennent à la défaite définitive et prompte du royalisme. Ils applaudissent à tout élan de patriotisme guerrier, ils poussent à l'armement des volontaires, ils pressent les enrôlements. Danton propose d'indemniser les citoyens pauvres qui se rendront dans les sections. Camille Desmoulins insiste pour qu'on invite les hommes de bonne volonté à s'exercer au champ de Mars[92]. Robespierre, soit à la Convention, soit au club des Jacobins, demande que tandis que les enrôlés marchent contre les Vendéens rebelles, une armée composée de patriotes soit formée pour la défense de Paris ; que tous les gens suspects soient gardés en otage ; qu'on fabrique des armes de toute espèce, et que les citoyens en peine de leur subsistance reçoivent une indemnité le jour où ils monteront leur garde[93].

Arrivèrent deux nouvelles sombres : les Vendéens occupaient Thouars ; et, le 9 mai, Dampierre, l'intrépide Dampierre, avait été tué devant Valenciennes, courant sur une batterie autrichienne. Du sein des sociétés populaires, s'éleva un long cri de douleur et de rage. Le cœur de Paris se mit alors à battre avec force. Comme à Lacédémone, mainte femme du peuple dit à son mari pour adieu suprême de ne revenir que vainqueur[94]. Élisabeth Fabre ayant paru aux Jacobins, y fut couverte d'applaudissements. Elle avait suivi son mari à l'armée, et s'était tellement distinguée au siège de Maëstricht, que les canonniers l'avaient élue commandant en second[95]. Les Liégeois offrirent leur sang à leur mère adoptive, la France. De toutes parts on réclamait des armes. Ceux des volontaires qui n'en avaient pas encore allaient en demander à la Commune, en chantant la Marseillaise[96] ; ceux qui en avaient partaient.

Arriveraient-ils à temps ?...

Le 10 mai, Goupilleau de Montaigu, un des députés de la Convention dans les départements des Deux-Sèvres et de la Vendée, avait écrit de Fontenay, au Comité de salut public :

Citoyens mes collègues, ce n'est plus une poignée de brigands que nous avons à combattre, c'est une armée, une armée qui monte au moins à quarante mille hommes. Les voilà maîtres de Bressuire, de Thouars ; on conjecture qu'ils vont se diriger sur Saint-Maixent, Niort, Fontenay : comment leur résister ? Nous n'avons ici que quatre cents citoyens armés du pays et soixante-dix gendarmes ! Il est vrai que Chalbos est à la Châtaigneraye avec deux mille hommes d'infanterie et cent quarante-trois cavaliers, excellentes troupes qui se battront jusqu'à la mort ; mais peuvent-elles tenir contre les forces supérieures de l'ennemi ? Il faudra donc que Fontenay ouvre ses portes !... L'armée nantaise, sous les ordres du général Canclaux, est la seule qui nous puisse secourir. Presque toutes les forces qui nous sont envoyées de Paris sont arrêtées au passage par les corps administratifs. Nous sommes maîtres des côtes. La communication des Sables à Nantes, par Chalans et Machecoult, est libre ; il en est de même de celle des Sables à Nantes, par la Mothe-Achard, Palluau et Légé ; mais de Nantes à Fontenay, la communication est absolument interceptée... Il faut vite nous envoyer toutes les troupes disponibles, et que la Convention défende aux corps administratifs d'en changer la destination ; sans quoi, tout est perdu ![97]

 

Autre lettre écrite de Luçon, le 11 mai, et adressée aux Commissaires de la Convention par le commandant Fayard :

Citoyens commissaires, il y a huit jours, je me rendis auprès de vous, pour vous exposer la situation de la compagnie de garde nationale du district de Libourne. Ceux qui la composent sont dans la désolation. Pères de famille pour la plupart, négociants, fonctionnaires publics, ils espéraient retourner dans leurs foyers : on le leur avait promis ; et cette attente déçue, les cris de leurs femmes, de leurs enfants, qui les redemandent, tout concourt à augmenter leur chagrin. Je ne dois pas vous cacher que plusieurs ont vendu leurs chevaux, pour en envoyer le prix à leurs familles, les sachant dans la détresse. Sur le refus qui lui a été fait de son congé, un cavalier s'est brûlé la cervelle ; un autre est devenu fou[98]. Tel était donc l'aspect des choses en Vendée : ici, des armées de paysans fanatiques sortant, pour ainsi dire, de dessous terre ; là, pour défendre la République, quelques soldats, impatients de secours qu'on détournait ; et quelques bourgeois pleurant leur foyer : Linquenda tellus, et domus, et placens uxor.

Il était naturel que, maîtres de Bressuire, de Thouars, de Parthenay, les rebelles de l'Anjou tournassent les yeux vers Fontenay. Le 13 mai, ils allèrent attaquer à la Châtaigneraye, au nombre de douze mille hommes, Chalbos, qui n'en avait que deux mille[99]. Soutenu des deux côtés avec une farouche constance, le combat devint terrible. La cavalerie des paysans était très-bien montée, et déploya beaucoup d'audace. Chalbos, entouré de cavaliers, qui, la pointe de leurs sabres sur son corps, lui criaient de se rendre, ne dut la vie qu'au courage de César Faucher, l'un de ces deux jumeaux de la Réole, dont la ressemblance était si frappante, qu'on ne les pouvait distinguer l'un de l'autre[100]. S'élançant au secours de son général, César Fau- cher le dégagea, saisit à la gorge le plus hardi des paysans, le renversa de cheval, et, en ce moment même, atteint d'une balle dans la poitrine, tomba couvert de sang sur son ennemi terrassé. La lutte continua ardente, opiniâtre. Enfin, accablés par le nombre, les républicains durent battre en retraite sur Fontenay, où ils arrivèrent en bon ordre, combattant toujours, et emmenant leur artillerie, leurs munitions, leurs équipages, tout, jusqu'à la dernière des cartouches entassées dans une voilure qui s'était brisée en chemin[101].

Une pareille défaite était glorieuse, mais l'ennemi n'en avançait pas moins à grands pas, et Chalbos avait remarqué avec douleur que les rebelles pouvaient se battre tour à tour en contrebandiers et en soldats. Il le manda au ministre de la guerre, dans une lettre très-noble et mélancolique, où il annonçait d'irréparables malheurs, si l'on n'y prenait sérieusement garde. Quant à moi, disait-il en terminant, j'ai vieilli avec les soldats français. Comme eux, je ne connais que la patrie. Je la verrai libre, heureuse, ou je mourrai sur ma selle, en combattant pour son bonheur et sa liberté[102].

Et ce qu'il y avait de pire dans cette insurrection vendéenne, c'était, si l'on peut s'exprimer ainsi, son ubiquité. Le feu, qu'on éteignait dans un endroit, se rallumait dans un autre. Les rebelles, quand ils n'avaient point de bataille rangée à livrer, s'étudiaient à harasser la population des villes par de continuelles alarmes, et avaient même recours, pour cela, aux plus singuliers stratagèmes, témoin Saint-Pal et de Chouppes, deux de leurs chefs, qui, près de Mareuil, avaient fait placer sur les hauteurs des troncs d'arbres disposés de manière à être pris de loin pour des pièces d'artillerie, canons fictifs autour desquels veillaient des canonniers mannequins[103] ! C'étaient, à chaque instant, ou des attaques partielles, ou de fausses alertes. Partout le bruit du tambour ; partout le son du tocsin ; partout le qui-vive des sentinelles !

On a vu dans quel dénuement se trouvait la ville de Fontenay : se sentant à découvert, après la défaite de Chalbos, elle lança des commissaires dans toutes les directions pour demander secours. Déjà Mercier du Rocher avait reçu mission de se rendre en hâte à Tours d'abord, ensuite à Saumur[104], et il était parti. Mais quand paraîtraient les renforts attendus ? Aussi bien, la République serait-elle perdue, pour avoir transporté un peu plus loin ses pénates et ses dieux ? Un conseil de guerre est tenu à Fontenay, le 14 ; on y décide que les troupes se replieront sur Niort, et les autorités, de leur côté, se disposent à abandonner la ville[105].

Heureusement, les paysans, au lieu de pousser droit devant eux, s'étaient arrêtés à piller la Châtaigneraye[106]. En outre, ils étaient fatigués d'avoir été plusieurs jours sous les armes, et beaucoup avaient envie de retourner chez eux[107]. Cette circonstance, et l'arrivée, à peine espérée, de l'adjudant général républicain Sandoz, à la tête de trois mille hommes, changèrent, pour un moment, la face des choses. Le 16 mai, seulement, d'Elbée, La Rochejaquelein et Lescure réussirent à conduire devant Fontenay les hommes qu'ils commandaient, au nombre d'environ dix mille[108]. Chalbos, quoique inférieur en forces, sort de Fontenay pour marcher à leur rencontre, et, au moment où les rebelles descendaient des côtes qui terminent la plaine, à une demi-lieue de la ville, tombe impétueusement sur eux. Le choc fut si rude qu'il dura peu. D'ailleurs, il advint que l'artillerie des paysans, entassée dans un étroit chemin, ne put servir. Toutefois, Lescure et La Rochejaquelein, qui commandaient l'aile gauche, avaient repoussé les républicains et touchaient presque aux faubourgs, lorsque l'aile droite et le centre furent mis en déroute. D'Elbée venait d'être blessé à la cuisse ; La Marsonnière, autre chef vendéen, fut enveloppé et pris avec deux cents hommes : la déroute devint générale, et les paysans furent poursuivis jusqu'à cinq mille toises du champ de bataille, où ils laissaient six cents morts, quatre-vingts prisonniers, trente-deux bouches à feu aux armes d'Angleterre, des provisions considérables en vin, eau-de- vie, viande, toiles ; quarante chariots et soixante paires de bœufs[109]. Telle était la fureur des soldats lancés à la poursuite de l'ennemi, que plusieurs revinrent portant en triomphe des chapelets d'oreilles[110].

La veille, près de Liège, où il ne disposait que de treize cents volontaires, l'intrépide Boulard avait repoussé vigoureusement plusieurs milliers de rebelles[111], et ce succès semblait compléter la victoire de Fontenay.

Mais, hélas ! rien de décisif. Les forces des républicains étaient d'une insuffisance manifeste ; et comment compter toujours sur la ressource des prodiges ?

Boulard, quoique jusqu'alors sa division n'eût jamais été vaincue, voyait approcher avec un découragement profond l'heure des revers. Réduit à se tenir constamment sur la défensive, même au sein du triomphe, et n'ayant qu'une poignée de soldats pour protéger une foule de postes importants, il se répandait en plaintes, attribuait à une négligence systématique l'abandon où on le laissait[112], et commençait à ouvrir son cœur à l'héroïque chagrin qui devait prématurément le conduire au tombeau[113].

Quant aux troupes qui gardaient Fontenay, elles savaient fort bien que l'ennemi était vaincu mais non pas dompté.

Et en effet, l'armée vendéenne, mise en fuite le 16, s'était promptement reformée et ranimée à la voix des prêtres[114]. Pour mieux ramener la confiance parmi les paysans, les chefs avaient mandé à Châtillon, le jour même de la défaite, le faux évêque d'Agra. A l'arrivée de cet imposteur, toutes les cloches sonnèrent, et la foule se pressa sur ses pas. Lui se mit à distribuer des bénédictions, officia mitre en tête, promit la victoire. Il n'en fallait pas tant : Le bonheur d'avoir un évêque au milieu d'eux rendit aux paysans toute leur ardeur[115]. Et puis, n'avaient-ils pas perdu, devant Fontenay, Marie-Jeanne, leur chère Marie-Jeanne, cette belle pièce de douze en bronze, qui portait les armes du cardinal de Richelieu, et, ce qui les touchait bien davantage, l'image de la Vierge ? Pas de milieu : la reprendre ou mourir.

Dans l'intervalle, Mercier du Rocher avait gagné Tours, où il trouva Tallien entouré de jolies femmes qui lui demandaient la liberté, celles-ci d'un père, celles-là d'un mari. Tallien leur répondait avec un singulier mélange de sévérité et de douceur, et s'étudiait évidemment à plaire à tout le monde, tantôt parlant au peuple en Jacobin fougueux, tantôt allant aux messes constitutionnelles des environs, quelquefois montant en chaire, et prononçant de vrais sermons, qui enchantaient les bons Tourangeaux[116]. Il fit accueil au commissaire de Fontenay ; mais ce dernier ne put rien obtenir, sinon qu'on envoyât sur le point menacé un bataillon de nouvelle levée, venu d'Orléans, et qui avait à peine les armes nécessaires[117].

Mercier du Rocher ne fut pas plus heureux à Saumur. Et d'abord, l'aspect de la ville lui serra le cœur. Une armée de dix mille hommes s'y agitait dans une bruyante paresse. Les rues étaient couvertes de nuées d'aides de camp, qui portaient de longues moustaches, qui traînaient de longs sabres, rien de plus. Là semblaient s'être donné rendez-vous, selon l'expression de Mercier du Rocher, tous les roués révolutionnaires de Paris : Saint-Félix, Momoro, Ronsin, un prêtre nommé Hazard, que les Jacobins avaient chassé de leur société en 1790, et enfin un ancien protégé de Voyer-d'Argenson, fils d'un tisserand, qui s'était qualifié de baron de Tuncq, jusqu'au jour où les titres de noblesse furent supprimés, et qui, maintenant, en compagnie de Momoro et de Ronsin, exagérait, à Saumur, le Jacobinisme[118]. Pour ce qui est de l'influence officielle, elle y appartenait au député girondin Carra, lequel logeait dans une magnifique maison, avec deux sentinelles à sa porte, et tranchait du grand seigneur[119]. Mercier du Rocher se rendit auprès de lui, pour lui communiquer l'objet de sa mission, et ne fut pas peu surpris de la parfaite indifférence que témoigna ce représentant du peuple. Carra motivait son refus de secourir Fontenay sur la victoire du 16, dont il venait de recevoir la nouvelle. Si les Sables sont attaqués par les Anglais, lui fit observer Mercier, que deviendrons-nous ?Oh ! il sera temps alors. — Mais songez que, pour aller d'ici aux Sables, il faut traverser quarante lieues de pays insurgé ! Carra parut réfléchir un instant, puis, d'un ton léger : Eh bien, s'écria-t-il, si les Anglais viennent, ils enlèveront les brigands, les transporteront à Londres, et nous en serons débarrassés[120]. Mercier du Rocher resta muet d'étonnement ; il se demanda si Carra nourrissait encore au fond de l'âme le projet de donner le duc d'York pour roi aux Français, et se retira en gémissant. Républicain sincère, il ne rapportait presque rien de son court voyage, qui ne lui fût un sujet de douleur. A Saumur, il avait entendu Julien (de Toulouse) et Bourbotte s'échapper, contre leurs collègues de la droite, en menaces qui annonçaient de prochains déchirements ; et, à Tours, il avait vu des représentants du peuple voyager dans des berlines à six chevaux, tenir les baigneurs trois heures pour se faire coiffer, et tonner, dans les hôtels, quand il n'y avait pas au moins six bougies sur la table ![121] Cependant les renforts qu'on attendait à Fontenay ne paraissaient pas. Le conventionnel Magnen avait proposé au Comité de salut public, sur une lettre de Goupilleau, son collègue, de faire décréter la peine de dix années de fers contre les administrateurs qui arrêteraient la marche des troupes ou en changeraient la destination[122] ; mais ce décret n'était pas encore porté ; l'abus continuait ; et, d'autre part, les enrôlements à Paris étaient de date trop récente pour que les volontaires parisiens figurassent sur le théâtre de la révolte.

De leur côté, les généraux vendéens, réunis à Châtillon, hâtaient leurs préparatifs.

Après la prise de la Châtaigneraye, les soldats de Bonchamps, comme il arrivait presque toujours le lendemain d'une bataille, avaient si vivement exprimé le désir de retourner à leurs travaux, que Bonchamps avait dû les licencier[123]. Aussi, ni sa division ni lui-même n'avaient pris part au dernier combat, celui de Fontenay. il fut invité a rappeler ses paysans et à rejoindre ce qu'on n'appelait plus désormais que la grande armée. Il se rendit à l'appel ; el entre lui, d'Elbée, Lescure, La Rochejaquelein, Stofflet, Cathelineau, il fut décidé que, sans tarder davantage, on marcherait sur Fontenay. Les paysans se montraient fort animés : pour mieux enflammer leur ardeur, on avait fait courir le bruit que Paris était en pleine insurrection ; que la Convention venait d'être dissoute ; que le canon d'alarme retentissait d'un bout à l'autre de la capitale, et que Dumouriez, vainqueur de Dampierre, arrivait à marches forcées[124].

L'armée des paysans s'ébranla donc ; et, au moment du départ, s'avançant à la tête de plusieurs prêtres revêtus de leurs habits sacerdotaux, l'évêque d'Agra harangua les soldats en ces termes : Race antique et fidèle des serviteurs de nos rois, pieux zélateurs du trône et de l'autel, enfants de la Vendée, marchez, combattez, triomphez : c'est Dieu qui vous l'ordonne. L'armée entière cria qu'elle obéirait[125].

Le 24 mai, les représentants du peuple près l'armée des côtes de la Rochelle se trouvaient réunis, au nombre de six, à Fontenay, lorsqu'on leur vint apprendre qu'un mouvement d'inquiétude s'était manifesté parmi les troupes de Chalbos campées, en avant de la ville, à la Châtaigneraye. Trois d'entre eux, Goupilleau (de Fontenay), Goupilleau (de Montaigu) et Garnier (de Saintes), coururent aussitôt, avec Beaufranchet-Dayat, examiner ce qui se passait. Le calme était rétabli, quand ils parurent, et ils s'en revinrent parfaitement rassurés ; mais, vers six heures du soir, Chalbos fut informé que les rebelles s'avançaient de manière à le cerner : il jugea prudent de se replier sur Fontenay, où il entra en bon ordre à cinq heures du matin[126].

Entre Fontenay et la forêt de Bagnard s'étend une plaine d'un tiers de lieue, à l'extrémité de laquelle coule la rivière de la Vendée : là vint se ranger en bataille, le 25 mai, vers une heure après midi, l'armée royale et catholique, appuyant à la rivière sa gauche que commandait Lescure, et développant à découvert dans la plaine sa droite, placée sous les ordres de Bonchamps. Les royalistes étaient à peu près vingt-cinq mille : l'armée des bleus ne se composait que de six mille hommes de troupes réglées et de quatre cents gardes nationaux[127].

Malgré cette énorme disproportion, Chalbos n'hésita pas à sortir en rase campagne, et l'affaire s'engagea. Parmi les Vendéens, plusieurs manquaient de cartouches : à un paysan qui en demandait, son capitaine répondit, le bras étendu vers les bleus : En voilà ![128] Quoique les paysans eussent reçu l'absolution, au moment de l'attaque, ils hésitaient. Lescure s'avance seul à trente pas, crie Vive le Roi ! essuie une décharge qui, sans l'atteindre, perce ses habits, déchire sa botte droite, emporte son éperon : Vous voyez, mes amis, dit-il aux siens, les bleus ne savent pas tirer[129]. Aussitôt, les paysans prirent leur course, et si impétueusement que Lescure fut obligé, pour les suivre, de mettre son cheval au grand trot. Mais voilà que soudain ils aperçoivent une croix de mission : bien qu'à la portée du feu, ils se jettent à genoux. On voulait les presser d'aller en avant : Laissez-les prier, dit Lescure. Ils se relevèrent et se remirent à courir[130]. Ce fut une lutte formidable. Les chasseurs de la Gironde, les volontaires de la compagnie franche de Toulouse, et ceux du quatrième bataillon de l'Hérault, furent tous admirables d'intrépidité. Les rangs des Vendéens flottaient déjà, lorsqu'un mouvement de panique s'emparant de quelques soldats de la seconde ligne, au centre de l'armée républicaine, ceux-ci lâchent pied. En vain Chalbos accourt, le pistolet à la main, menaçant de casser la tête à qui recule, ils continuent de fuir, déchargent leurs fusils et les jettent dans les sillons. Retourne, crie à l'un d'eux, en lui portant son épée à la gorge, le représentant du peuple Goupilleau (de Montaigu), et, pour toute réponse, le misérable essaye de le percer de sa baïonnette. A son tour, effrayée par cette défection et vigoureusement pressée par Bonchamps, la gendarmerie tourne bride, et passe sur le corps à l'infanterie qui la suit. Cette fuite forcenée, une charge de cavalerie dirigée par La Rochejaquelein contre le flanc de l'aile gauche, les gémissements des hommes qui meurent écrasés sous les pieds des chevaux en retraite, le cri de Marie-Jeanne ! Marie-Jeanne ! poussé par les paysans furieux, tout contribue à augmenter la confusion, désormais irréparable. Les représentants du peuple, que leurs panaches désignent aux coups de l'ennemi, sont à bout d'efforts ; les héroïques bataillons du Midi reculent en combattant, mais reculent.  Le brave colonel Fillon a été tué aux premiers rangs de la garde nationale ; et les rebelles frappent -aux portes de Fontenay. C'est là qu'acculé à la muraille de la barrière du Nord, et couvert de blessures, le porte-drapeau Fesque tomba enveloppé dans son étendard ! Les Vendéens inondèrent la ville[131].

Les rues étaient pleines de bleus qui fuyaient. Au milieu du désordre, Bonchamps ayant reçu un coup de feu à la poitrine, ce fut le signal d'un affreux massacre, que le généreux Lescure eut beaucoup de peine à arrêter. Lui-même venait de courir risque de la vie. Comme il entrait dans Fontenay, un soldat avait tiré sur lui à bout portant ; et Lescure de lui dire : Sauve-toi, imbécile, tu vas te faire tuer[132]. Mais tous n'eurent pas la même grandeur d'âme : un prêtre étant allé descendre chez un vieillard, son bienfaiteur, lui asséna, pour quelques observations, un coup de sabre sur la tête. Le prêtre en question était l'abbé Barbotin, très-influent alors parmi les rebelles. Il était entré dans la ville, habillé en meunier et armé[133].

Un compte original de fossoyeurs porte à soixante-quatre le nombre des morts du côté des bleus ; mais ce n'est là qu'une liste partielle. Quant au nombre des prisonniers, il fut si considérable, qu'on prit le parti de les renvoyer, après leur avoir coupé les cheveux, ce qui amusa beaucoup les paysans[134]. Mais ce qui les charma, les enivra de joie, ce fut d'avoir repris Marie-Jeanne. Ils se jetaient à genoux autour de ce canon béni, le couvraient de rubans et de fleurs, l'embrassaient, et si quelque belle dame venait à passer, l'invitaient à l'embrasser aussi[135].

Cinq mille fusils, des vivres en quantité, une trentaine de canons, tel fut, pour les Vendéens, le prix de la victoire[136]. Ils brûlèrent, selon leur usage, les papiers du district, et pillèrent les caisses publiques. Des assignats que l'une d'elles contenait, les chefs ne parvinrent à sauver que neuf cent mille livres, qu'ils rendirent à la circulation, contresignés au nom du roi : le reste, tombé aux mains des paysans, servit à faire des papillotes[137]. Les dégâts furent moindres qu'on ne l'aurait pu craindre. Toutefois, les Vendéens fouillèrent un grand nombre de maisons, prenant souliers, bottes, chapeaux, le linge de corps surtout, et vivant à discrétion chez les propriétaires du lieu[138].

Non que les dévastations eussent rien d'officiel. Nous avons sous les yeux la proclamation originale que Baudry du Plessis fit afficher, le 26 mai, dans les rues de Fontenay, elle était ainsi conçue : Par ordre de MM. les commandants des armées catholiques et royales et du commandant soussigné, il est expressément défendu de faire le pillage et aucuns dégâts dans cette ville, sous peine d'être fusillé sur-le-champ. Mais ces ordres n'avaient d'effet qu'autant qu'ils se trouvaient cadrer avec les dispositions de ceux auxquels ils étaient adressés. Les chefs, d'ailleurs, étant indépendants l'un de l'autre, ce que ceux-ci empêchaient, il plaisait à ceux-là de le tolérer[139]. Les historiens royalistes ont eu grand soin de masquer la mésintelligence qui existait entre les chefs, mais elle est attestée par leur correspondance privée. Dans une lettre signée de Sapinaud et écrite de sa main, nous lisons : Marie-Jeanne ne se dirigera pas de votre cauté, elle prend la route de Saumur. Nous orions bien désiré qu'une partie des forces se fût joint à nous... La prise de Fontenay est immense, mais nous en tirons peu d'avantage, quoique y ayent grandement p'articipé. Cela s'est toujours ainsi pratiqué avec nos collègues du pays haut[140]. C'est cette anarchie qui explique l'apparente contradiction qu'on remarque entre les proclamations vendéennes qui interdisent le pillage, et les procès-verbaux qui le constatent.

Il y a plus : des documents irréfragables que nous possédons, il résulte que les Vendéens ne se faisaient pas toujours scrupule, même de se dépouiller les uns les autres. Tantôt, c'était une ville enlevant à un village voisin, indûment et par force, les boisseaux de froment ou de seigle à sa convenance[141] ; tantôt c'étaient des chevaux qu'on volait, sans qu'il y eût moyen d'en obtenir la restitution, à moins de faire battre le coupable de verges, et cela jusqu'à la mort[142]. Que dire encore ? La Rochejaquelein et Lescure furent quelquefois réduits à mettre au nombre de leurs préoccupations le soin d'empêcher qu'on n'emportât les bûches appartenant à madame une telle[143] ! Mais toutes les choses de ce monde ont leur mauvais aspect, et il est juste de mettre en balance avec ces humiliants désordres le puissant caractère qui marqua la révolte des Vendéens, et ce qu'enfanta de prodigieux la foi, aveugle mais profonde, qui les animait. Mon père et mon frère sont plus heureux que moi, disait, à Fontenay, un paysan blessé : ils sont tombés morts à mes côtés ; mais trois jours après ils étaient chez nous ![144]

Heureusement, l'amour de la Révolution aussi était une FOI, et féconde en miracles : rien ne le montra mieux que la prise de Fontenay. Lorsque, le 27, Cathelineau et Stofflet allèrent visiter l'hôpital, encombré de républicains blessés, et lorsque, le lendemain, Donnissan harangua les prisonniers dans la grande prairie, ils furent étonnés du peu de serments qu'ils arrachèrent aux vaincus, tant, s'écrie avec amertume l'auteur de la Vie de Bonchamps, le poison conventionnel avait infecté ce beau sang de France[145].

C'est peu : qu'imaginer de comparable au mouvement dont l'arrêté que voici a légué aux générations à venir le témoignage immortel :

Les représentants du peuple près l'armée des côtes de la Rochelle, considérant que, depuis que la ville de Fontenay est au pouvoir des rebelles, et que celle de Niort est menacée par eux, les habitants des districts et des départements voisins se sont levés en masse, sans exception, et sont accourus au secours de cette dernière ville ; considérant qu'un grand nombre d'entre eux n'ont ni piques ni fusils, qu'ils ne sont point organisés, et qu'avant que leur organisation se pût effectuer, il s'écoulerait un temps considérable pendant lequel la consommation des subsistances serait effrayante ; considérant que la saison de couper les foins est arrivée, qu'il y a des communes où il n'est resté que les femmes ; que les vieillards aussi ont voulu marcher, sans songer qu'ils ne pourraient pas être utiles, arrêtent que les gardes nationales s'assembleront aujourd'hui, pour qu'il soit fait un choix de ceux qui à la bonne volonté unissent les moyens les plus convenables au métier de la guerre.

AUGUIS, Ph. Ch. Ai. GOUPILLEAU, GOUPILLEAU (de Fontenay), PANVILLIERS, GARNIER (de Saintes), LECOINTE- PUYRAVEAU[146].

 

Oui, contre ceux qui, au nom de la patrie du ciel, absente et inconnue, déchiraient le sein de la patrie vivante, l'élan des populations fut tel, que la ville de Niort se vit au moment d'être affamée. Considérant qu'il y a des communes où il n'est resté que les femmes. Quel trait, et comme il montre qu'à la Révolution française devait appartenir tôt ou tard l'empire de la terre ! Les opinions révolutionnaires, écrit tristement madame de La Rochejaquelein, étaient plus répandues et plus fortes que nous ne le pensions[147].

C'est ce dont les chefs vendéens s'aperçurent bien vite ; et cette raison, jointe à l'envie qu'avaient les paysans d'aller raconter leurs exploits au village, décida de l'évacuation de Fontenay. Le 28 mai, à midi, les Vendéens avaient commencé de sortir de la ville ; et le 50, au point du jour, traînards, blessés, canons, voitures chargées de vivres, prenaient la route du Bocage, au branle des cloches, qui, pendant tout le temps de l'occupation, avaient sonné sans relâche[148].

 

 

 



[1] Pièces contre-révolutionnaires, publiées par Benjamin Fillon, p. 59 et 60.

[2] Ce mot, qui caractérise si énergiquement les mœurs de Charette, a été rapporté par M. Michelet, t. VI, p. 88 ; et nous le trouvons confirmé dans une note de M. Benjamin Fillon.

[3] Mémoires sur la Vendée, par un ancien administrateur des armées républicaines, chap. III, p. 28 et 29.

[4] Voyez plus haut, la fin du chapitre III.

[5] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 134, avec notes de M. Benjamin Fillon.

[6] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 134, avec notes de M. Benjamin Fillon.

[7] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 134, avec notes de M. Benjamin Fillon.

[8] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 134, avec notes de M. Benjamin Fillon.

[9] Mercier du Rocher dit douze mille ; les Mémoires sur la Vendée, par un administrateur, disent six mille seulement.

[10] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 137 et 138.

[11] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, p. 31.

[12] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 135, note de M. Benjamin Fillon.

[13] Correspondance inédite du Comité de salut public, mise en ordre par M. Legros, t. I, p. 216, chez Mame, 1847. — C'est à M. Benjamin Fillon que cette indication est due.

[14] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 144.

[15] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, p. 51.

[16] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 144 et 145.

[17] Lettre de Baudin à Choudieu, dans le recueil de Grille, sur la formation du 1er bataillon des volontaires de Maine-et-Loire, t. IV, p. 407 et 408.

[18] Recueil de Grille sur la formation du 1er bataillon des volontaires de Maine-et-Loire, p. 411 et 412. Lettre de Choudieu à Richard.

[19] Recueil de Grille sur la formation du 1er bataillon des volontaires de Maine-et-Loire, p. 418 et 419. Lettre de Varin à Simonet, datée de Saumur, 16 avril 1793.

[20] Voyez, à ce sujet, Cause de la guerre de la Vendée et des Chouans, et de l'amnistie manquée, par Jean-Antoine Vial, p. 57.

[21] Sur la manière de combattre des Vendéens, rapprocher ce que madame de la Rochejaquelein dit dans ses Mémoires, p. 67-70, de ce qu'on lit dans ceux du général Turreau, p. 26-28.

[22] Page 28.

[23] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 155.

[24] Benjamin Fillon, Deux héroïnes vendéennes, p. 4.

[25] Benjamin Fillon, Deux héroïnes vendéennes, p. 5. — Il n'est pas vrai que madame de la Rochefoucauld fût prise dans un combat, comme le prétend M. Crétineau dans son Histoire de la Vendée militaire ; c'est une des erreurs dont fourmille ce livre.

[26] Benjamin Fillon, Deux héroïnes vendéennes. Note marginale.

[27] Nous renvoyons nos lecteurs, pour plus amples détails, à l'intéressante notice de M. Benjamin Fillon. Ils y trouveront l'interrogatoire de madame de la Rochefoucauld et celui du chevalier Adams.

[28] Rapport des commissaires envoyés dans les départements de la Loire-Inférieure et de la Mayenne, présenté à la Convention par Villiers et signé Villiers et Fouché. — Dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — VENDÉE. — British Muséum.

[29] Rapport des commissaires envoyés dans les départements de la Loire-Inférieure et de la Mayenne, présenté à la Convention par Villiers et signé Villiers et Fouché. — Dans la Bibliothèque historique de la Révolution. — VENDÉE. — British Muséum.

[30] Bibliothèque historique de la Révolution. — VENDÉE. — British Muséum.

[31] Bibliothèque historique de la Révolution. — VENDÉE. — British Muséum.

[32] Bibliothèque historique de la Révolution. — VENDÉE. — British Muséum.

[33] Bibliothèque historique de la Révolution. — VENDÉE. — British Muséum.

[34] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, p. 37.

[35] Lettre de Vernes à Lehontés, dans le recueil de Grille, sur la formation du 1er bataillon des volontaires de Maine-et-Loire, p. 422 et 425.

[36] Souchu ne mourut point, comme Crétineau-Joly l'affirme, frappé d'un coup de hache au moment où, la tête couverte d'un bonnet rouge, il se faufilait dans les rangs républicains. Celui qui l'arrêta existe encore, et m'a raconté le fait, confirmé d'ailleurs par les pièces de la procédure dirigée contre Souchu, lesquelles sont conservées en original au greffe du tribunal civil de Nantes. Note de M. Benjamin Fillon.

[37] Dans celle qui eut lieu le 10 avril, périt le perruquier Gaston.

[38] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, p. 155 et 176.

[39] Mémoires de madame la marquise de la Rochejaquelein, ch. IV, p. 55.

[40] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, ch. IV, p. 58.

[41] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, ch. IV, p. 60.

[42] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. IV, p. 60-63.

[43] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. V, p. 64.

[44] Mémoires de madame de Bonchamps, p. 29.

[45] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, p. 25 et 26.

[46] L'original de ce billet est sous nos yeux.

[47] Pièces contre-révolutionnaires du commencement de l'insurrection vendéenne, publiées par Benjamin Fillon, p. 34 et 35.

[48] Pièces contre-révolutionnaires du commencement de l'insurrection vendéenne, p. 35 et 36.

[49] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. V, p. 66.

[50] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. V, p. 66.

[51] Lettre de Richou à Suzounin, dans le recueil de Crille, p. 450 et 451.

[52] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. V, p. 65.

[53] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. V, p. 76.

[54] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 161.

[55] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. V, p. 77.

[56] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VII, p. 108.

[57] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VII, p. 109.

[58] Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VII, p. 110. — Voyez aussi les Mémoires de madame Sapinaud, p. 30.

[59] Les écrivains royalistes parlent de Quétineau sur un ton de sympathie dont il est juste de tenir compte en jugeant le jugement qui le frappa. — Voyez les Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VII, et les Mémoires de madame de Bonchamps, p. 29.

[60] Madame de la Rochejaquelein, dans ses Mémoires, p. 121, essaye de laver les généraux du soupçon d'avoir trempé dans cette supercherie, mais elle ne prend pas garde qu'il leur était bien facile de la découvrir, s'ils avaient voulu ! Elle avoue, du reste, que ce mensonge produisit le meilleur effet. Voyez p. 122.

[61] Voyez les Pièces contre-révolutionnaires, publiées par M. Benjamin Fillon, p. 73, et les Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VI, p. 91 et 92.

[62] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 153.

[63] Nous empruntons ces curieux et tragiques détails à une note de M. Benjamin Fillon, écrite en marge des Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher.

[64] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 164.

[65] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 165.

[66] Nous avons cité la réponse de Bonchamps à ce cartel, dans le chapitre intitulé : Soulèvement de la Vendée.

[67] Voyez les Mémoires de madame de la Rochejaquelein, chap. VI, p. 94, et, à la suite des Mémoires de madame de Sapinaud, les Notices sur les généraux vendéens, p. 112 et 113.

[68] Pas un des traits de ce tableau qui ne corresponde à une affirmation officielle. Voyez le rapport fait par Cambon au nom du Comité de salut public, dans la séance du 11 juillet 1793, et reprenant les choses de plus haut.

[69] L'original en anglais est sous nos yeux. C'est à M. Donnadieu que nous devons la communication de ce curieux autographe.

[70] Cette proclamation, qui fut imprimée à Fontenay, chez Testard et Goichot, se trouve parmi les documents qui nous ont été communiqués par M. Benjamin Fillon.

[71] Ces vues furent communiquées par Cambon à l'Assemblée dans la séance du 27 avril 1793.

[72] M. Michelet, Histoire de la Révolution, liv. X, chap. VIII, p. 495 et 496.

[73] Voyez le texte dans l'Histoire parlementaire, t. XXVI, p, 316-319.

[74] Séance du 1er mai 1793.

[75] Séance du 30 avril 1793.

[76] Voyez le compte rendu détaillé de cette séance dans l'Histoire parlementaire, t. XXVI.

[77] Décret du 3 mai 1793.

[78] Voyez le texte dans l'Histoire parlementaire, t. XXVI, p. 332-334.

[79] Histoire parlementant, t. XXV, p. 399 et 400.

[80] On verra plus bas comment il répliqua.

[81] Révolutions de Paris, n° 200.

[82] Commune, séance du 3 mai 1793.

[83] Commune, séance du 3 mai 1793.

[84] Commune, séance du 5 mai 1793.

[85] Récit d'un militaire à la Commune, séance du 5 mai 1793.

[86] Le Publiciste, n° 188.

[87] Histoire parlementaire, t. XXVI, p. 315.

[88] Le Patriote français, n° 1360.

[89] Voyez le rapport fait par Cambon, au nom du Comité de salut public, dans la séance du 11 juillet 1793, lequel passe en revue les faits antérieurs à cette date.

[90] Malgré sa sympathie pour les Girondins, c'est un fait que M. Michelet constate, liv. X, chap. IX, p. 509.

[91] Lettre de Rebecqui à Barbaroux, lue par Bayle au club des Jacobins de Marseille, et citée dans l'Histoire parlementaire, t. XXVI, p. 457.

[92] Séance de la Convention du 8 mai 1793.

[93] Séance de la Convention du 8 mai 1793. — Club des Jacobins, séance du même jour.

[94] Voyez, dans le n° 194 du Républicain, journal des hommes libres, l'arrêté de la Société des femmes révolutionnaires, séant dans la salle de la bibliothèque des Jacobins.

[95] Voyez le Procès de Miranda, où elle figura comme témoin.

[96] Commune, séance du 15 mai 1793.

[97] L'autographe de cette lettre est sous nos yeux.

[98] L'autographe de cette lettre est sous nos yeux.

[99] Lettre du général Chalbos au ministre de la guerre.

[100] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 170.

[101] Lettre du général Chalbos au ministre de la guerre, dans les documents inédits à nous communiqués par M. Benjamin Fillon.

[102] Lettre du général Chalbos au ministre de la guerre, dans les documents inédits à nous communiqués par M. Benjamin Fillon.

[103] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 159.

[104] Extrait du procès-verbal des conseils généraux de la Vendée, 12 mai 1793.

[105] L'extrait original du procès-verbal qui le constate est sous nos yeux.

[106] Ce fait, consigné dans les lettres officielles que nous possédons, est avoué en termes adoucis par madame de La Rochejaquelein dans ses Mémoires, chap. VII, p. 117 et 119.

[107] Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 117.

[108] Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 177.

[109] Lettre du général Chalbos au ministre de la guerre. — Bulletin du département de la Vendée, sur la victoire du 16 mai 1793. — Lettre de Goupilleau (de Fontenay) à Magnen.

[110] Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 9.

[111] Lettre de Boulard au général Canclaux.

[112] Lettre de Boulard à Goupilleau, en date du 19 mai 1793.

[113] Mémoires sur la Vendée, par un administrateur des armées républicaines, chap. IV, p. 56.

[114] Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 119.

[115] Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 122.

[116] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 134.

[117] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 180.

[118] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 185.

[119] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 185.

[120] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 188.

[121] Mémoires manuscrits de Mercier du Rocher, p. 186 et 187.

[122] Lettre de Magnen à Goupilleau, datée de Paris, 16 mai 1793.

[123] Mémoires de madame de Bonchamps, p. 50.

[124] Lettre de Mareschal à Bulkeley, commandant à la Roche-sur-Yon, en date du 25 mai 1793.

[125] Mémoires de madame de Bonchamps, p. 31.

[126] Rapport de la prise de Fontenay, adressé à la Convention par les représentants du peuple près l'armée des côtes de la Rochelle. — Nous avons l'original sous les yeux.

[127] Madame de La Rochejaquelein dit dix mille dans ses Mémoires, chap. VII, p. 122 et 123 ; c'est une erreur. — Voyez les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 13. Le chiffre qu'il donne est garanti par les documents officiels.

[128] Mémoires de madame de Sapinaud, p. 54.

[129] Mémoires de madame de Sapinaud, p. 54. — Mémoires de madame de Bonchamps, p. 52. — Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 123.

[130] Mémoires de madame de Sapinaud, p. 54. — Mémoires de madame de Bonchamps, p. 52. — Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 123.

[131] Voyez, en rapprochant et en confrontant les divers récits, les Mémoires de madame de La Rochejaquelein, ceux de madame de Bonchamps, ceux de madame de Sapinaud. — Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon. — La lettre écrite le 27 mai à Magnen, par Goupilleau (de Montaigu). — Le rapport des représentants du peuple près l'armée des côtes de la Rochelle.

[132] Dans son intéressante et remarquable brochure les Vendéens à Fontenay, M. Benjamin Fillon mentionne ce beau trait comme le tenant de M. Pichard du Page père, témoin oculaire.

[133] Pièces contre-révolutionnaires du commencement de l'insurrection vendéenne, p. 69.

[134] Mémoires de madame de La Rochejaquelein, chap. VII, p. 126 et 127.

[135] C'est ce qui était arrivé à madame de La Rochejaquelein, alors madame de Lescure, dans la ville de Bressuire. — Voyez les Mémoires de cette dame, chap. VI, p. 89.

[136] Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 16.

[137] Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 24.

[138] Procès-verbal de l'occupation de Fontenay par les Vendéens, signé du maire de la ville, Biaille-Germon.

[139] Procès-verbal de l'occupation de Fontenay par les Vendéens.

[140] Lettre de Sapinaud de La Vérie à Bulkeley, en date du 29 mai 1793.

[141] Lettre de Bernard de Marigny au conseil provisoire des Épesses, réclamant trente-deux boisseaux de seigle enlevés au village de Meilleran.

[142] Ordre signé de Dommaigné, commandant de la cavalerie vendéenne.

[143] Nous trouvons, dans la masse des documents qui nous a été communiquée, un petit billet fort curieux, écrit de la main de La Rochejaquelein, et auquel Lescure a ajouté sa signature. Il a pour objet de protéger contre un enlèvement de bûches une madame Tocqué.

[144] Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 26.

[145] Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 26.

[146] Nous avons sous les yeux le document original, écrit de la main de Lecointe-Puyraveau.

[147] Chap. VII, p. 127.

[148] Procès-verbal de l'occupation de Fontenay. — Les Vendéens à Fontenay, par M. Benjamin Fillon, p. 33 et 34.