HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME SEPTIÈME

LIVRE HUITIÈME

 

CHAPITRE VII. — FUREURS DE LA GIRONDE

 

 

Puissance de la Gironde. — Réélection de Pélion, comme maire de Paris. — Attitude violente des Girondins dans l'Assemblée. — Ils s'aliènent le club des Jacobins. — Leur républicanisme. — Suppression mot monsieur. — Pourquoi Brissot repousse jusqu'à la qualification citoyen. — Passion des Girondins pour les formes extérieures de l'Égalité. — Guerre injuste qu'ils déclarent à la Commune ; elle rend acomptes. — Pièces déposées au Comité de surveillance ; leur histoire ; Marat essaye de s'en servir contre les Girondins ; violents débats à ce sujet. — Comptes du Comité de surveillance rendus par Panis. — Justification de la Commune du 10 août. — Aveux du Girondin de Launay dans son rapport. — Les Girondins préparent leur attaque contre Robes pierre. — Débats sur leur projet d'une garde départementale pour la Convention. — Les sections protestent. — La Commune ordonne l'envoi de leur adresse aux départements. — La Convention casse cet arrêté. — Appel à la concorde par Gonchon. — Arrivée à Paris des Marseillais de la seconde expédition. — Leur but. — Marat dans leur caserne. — Barbaroux dénonce violemment cette visite. — La Gironde cherche à avilir Danton. — Louvet médite sa Robespierride. — Coup d'œil philosophique sur l'ensemble de la carrière de Louvet. — Quel coup lui et ses amis portèrent à la République qu'ils aimaient, et à eux-mêmes. — Réquisitoire de Louvet contre Robespierre, très-éloquent, très-vague et inique. — Souvenir de Brutus invoqué par Louvet ; cri de Cambon. — Robespierre obtient un délai de huit jours pour répondre. — Coup d'audace de la Commune ; humilité de Chaumette. — Les Girondins remplissent Paris d'hommes armés. — Louvet demande qu'on dépouille Paris de son titre de capitale. — Fédérés criant par les rues : A la guillotine Robespierre ! Vive Roland ! — Extrême modération des Montagnards ; mot curieux de Saint-Just ; paroles touchantes de Robespierre jeune. — Réponse de Robespierre à Louvet. — Tactique de Barère. — Défaite de Louvet ; son désespoir. — Dévouement anonyme de Nicolas. — Coup d'œil sur le club des Jacobins. — Lettre de Robespierre à Pétion. — Robespierre chez Duplay ; vie de douce intimité ; mésintelligence entre la femme du menuisier et Charlotte Robespierre. — Comment la vie que Robespierre menait chez Duplay était propre à calmer son cœur, et comment cette heureuse influence fut détruite par les fureurs de la Gironde. — Portée désastreuse de ces fureurs. — Changement graduel qui s'opère dans Robespierre ; sous le rapport des principes, du dévouement au peuple, il reste immuable, mais son humeur s'altère insensiblement. Conclusion philosophique.

 

Les Girondins n'avaient pas cessé de figurer, sur les cimes de la République, comme le parti dominant. Ils gouvernaient l'Assemblée. Par Roland, devenu le principal personnage du Conseil, ils avaient la main dans toutes les affaires publiques. Ils disposaient des emplois dans l'administration, ils distribuaient des grades dans l'armée. Garat, homme d'un aimable esprit et d'un vrai talent littéraire, mais trop timide à la fois et trop équitable pour se donner sans réserve, fut poussé au ministère de la Justice par ses amis Condorcet, Brissot, Gensonné ; et ce fut sur l'indication de Roland, dont il se montra plus tard l'ennemi, que Pache eut le ministère de la Guerre, Pache dont Madame Roland, dans ses Mémoires, fait le type du Tartuffe politique, après l'avoir peint comme un employé instruit, exact, laborieux, très-modeste en apparence, ayant des manières dont la bonhomie rustique rappelait la Suisse ; son pays[1].

Le 15 octobre, Pétion fut réélu maire, à la majorité de 13.899 voix sur 15.454[2]. Mais ceci ne saurait être considéré comme une victoire que la Gironde, à cette époque, remporta en pleine place publique[3]. Au fond, il n'y avait pas de raison pour qu'on dépossédât le maire qui avait laissé passer le 20 juin, qui s'était associé de cœur au 10 août, et qui, aux yeux des plus violents, avait le triste mérite de ne s'être opposé que trop tard au 2 septembre. Bien qu'ami avoué de Buzot, dont il avait noblement pris la défense au club des Jacobins contre Fabre d'Églantine[4], Pétion n'était pas encore engagé assez avant dans le parti des Girondins, pour être repoussé par leurs ennemis. Il obtint donc la presque unanimité ; et le très-petit nombre de voix qui s'égarèrent sur Rabaud Saint-Étienne, Panis, Roland, Robespierre, Danton, Vergniaud, prouva bien qu'il n'avait pas eu de compétiteur[5]. Il refusa, du reste, préférant son poste sur les bancs de la Convention à l'orageuse magistrature de l'Hôtel de Ville[6].

Ne se pouvoir modérer est le genre d'impuissance qui, en politique, semble inhérent à la force : la Gironde, tout en se disant le parti de la modération, tombait d'emportements en emportements. Toujours prompte à l'attaque, toujours ardente à raviver le feu de querelles qu'on croyait éteintes, elle ne laissait à la Montagne ni paix, ni trêve, se servant contre elle de Marat avec une violence systématique[7].

L'Ami du peuple demandait-il la parole dans l'Assemblée, même pour un fait insignifiant, aussitôt des cris furieux partaient des bancs de la droite : A bas le scélérat ! A bas le monstre ! Paraissait-il à la tribune, Biroteau s'écriait : Qu'on le chasse, au lieu de l'entendre ! Ou bien : Il faudra purifier la tribune quand il l'aura quitté pour que nous puissions y monter[8].

Et ce n'était pas Marat seulement que cherchaient, que poursuivaient ces invectives si peu décentes : Robespierre, même lorsqu'on l'avait attaqué, avait la plus grande peine à se faire écouter, et la possession de la tribune, dès qu'il y était appelé par les accusations de ses ennemis, lui était disputée au milieu de vociférations[9] qui transformaient l'Assemblée en une arène de gladiateurs.

Il résulta de là qu'après avoir pendant quelque temps voté avec la Gironde, des hommes vraiment modérés finirent par se détacher d'elle[10].

D'un autre côté, le club des Jacobins ne tarda pas à lui échapper entièrement. Le 21 septembre, Fauchet, accusé d'avoir demandé un passeport pour Narbonne, avait été exclu de la Société-Mère ; le 23 septembre, elle avait reçu dans son sein Thomas Paine[11] : bientôt son hostilité à l'égard des Girondins, sourde d'abord, ne garda plus de ménagements ; elle les dénonça comme une coterie avide et intolérante ; elle couvrit d'applaudissements Couthon, les définissant en ces termes : Un parti de gens fins, subtils, intrigants, et surtout extrêmement ambitieux[12].

Ambitieux, ils l'étaient certainement, mais avec plus de noblesse que leurs adversaires ne pensaient, et que leur propre violence, hélas ! n'en faisait supposer : ils avaient l'ambition d'être les seuls pilotes de la République, non par un bas amour de l'argent ou des honneurs, mais en vue de la postérité, en vue de la gloire. Et, sous ce rapport, la grandeur de Robespierre leur était particulièrement odieuse.

Il faut dire aussi que leur républicanisme ne fut pas moins superficiel que sincère ; et c'est ici l'occasion de remarquer que cette passion des formes de l'Égalité qui les avait déjà portés à mettre en vogue le bonnet rouge, les poussa, vers la fin de 1792, à recommander la suppression du mot Monsieur, et à donner le signal du tutoiement universel. Les motifs pour lesquels Brissot, d'accord en cela avec Roland[13], n'aimait pas trop le mot citoyen, sont curieux à lire dans le Patriote Français :

La Convention nationale, qui doit balayer les restes misérables de l'ancien régime, ne souffre pas dans son sein le litre de Monsieur : on y a substitué celui de Citoyen. Mais c'est encore un titre qui peut amener une distinction ; on donnera aux gens d'une certaine condition, d'une certaine fortune, on le refusera au laborieux manouvrier, au respectable indigent. D'ailleurs, ce mot citoyen est un mot sacré, qu'il ne faut pas prostituer, et ne rougirait-on pas de le mettre à côté de certains noms ? Certes, nous dirons avec joie le citoyen Pétion, le citoyen Condorcet ; mais quel est le patriote qui pourrait dire le citoyen Marat, le citoyen Maury ? Républicains comme les Romains, plus libres qu'eux, destinés à être aussi vertueux, imitons leur exemple, ne faisons précéder les noms d'aucun titre ; disons Pétion, Condorcet, Paine, comme on disait à Rome, Caton, Cicéron, Brutus. Si cette simplicité nous semble rudesse, si elle nous semble prématurée, ajournons-la, mais ajournons aussi la République[14].

 

Ainsi, ce qui déplaisait à Brissot dans le mot citoyen, c'est qu'il exhalait un reste de parfum aristocratique ; c'est qu'il pouvait amener une distinction ! Ah ! si les Girondins n'avaient pas confiné ce grand amour de l'Égalité dans la réforme du costume et dans celle de la grammaire ! Mais, pour eux, l'Égalité était comme un spectre caché dans une armure d'or : ils s'arrêtaient à l'armure ! Et voilà justement ce que leurs adversaires leur reprochaient[15] ; voilà dans quel sens Couthon disait en parlant d'eux, à la tribune des Jacobins : Ils veulent la République, mais ils veulent l'aristocratie[16].

Il est certain que, sous le rapport de l'intolérance politique, de l'esprit d'exclusivisme, du besoin de dominer, la Gironde formait un parti qu'on pouvait à la rigueur appeler aristocratique, bien qu'il empruntât ses formules à l'Égalité. Aussi se montra-t-elle impatiente à l'excès de tout ce qui n'était pas elle sur le sol de la Révolution.

L'Hôtel de Ville était resté en dehors de son influence : elle mit un acharnement furieux à décrier et à poursuivre la Commune du 10 août.

Marat la gênait : elle l'attaqua avec tant de rage, qu'elle parvint, ce qui semblait impossible, à le faire paraître modéré[17].

Danton s'offrait à elle pour allié, mais non pour instrument : elle s'efforça de l'avilir.

Robespierre l'offusquait : elle lui versa goutte à goutte dans le cœur tout le fiel dont elle s'étonna plus tard de le trouver rempli.

Il faut, pour l'instruction des générations à venir, tracer, sans en rien omettre, ce douloureux tableau.

Les historiens qui ont accusé la Commune du 10 août de n'avoir pas voulu rendre ses comptes, ont commis une grande erreur, et ceux qui lui ont attribué ce qui n'appartenait qu'au Comité de surveillance, ont fait une grande confusion[18]. Le Conseil général, ou pouvoir législatif de la Commune, était une chose ; son Comité de surveillance en était une autre. Entre l'esprit qui dominait le premier de ces deux corps et l'esprit auquel le second obéissait, on peut dire qu'il y avait la même différence qu'entre Robespierre et Marat. Mais ceux qui ne haïssaient la Commune que par rivalité d'ambition, n'avaient garde d'établir les distinctions qu'eût demandées la justice, parce qu'en leur permettant d'étendre à leur gré la responsabilité des torts, cette confusion servait leurs inimitiés.

Ainsi, par exemple, nous trouvons que, loin de s'opposer à la reddition des comptes, c'est le Conseil général de la Commune, au contraire, qui, vers la fin de septembre, en réclame, en presse l'apurement. Le 29 septembre, il invite les quarante-huit sections à envoyer chacune deux commissaires à l'Hôtel de Ville pour assister à la reddition de ces comptes, et le Comité de surveillance ne paraissant pas, il prend deux arrêtés ordonnant :

1° Que le Comité de surveillance sera mandé sur-le-champ, et qu'il sera fait une affiche pour inviter les citoyens à réclamer contre les actes arbitraires par lesquels, depuis le 2 septembre, ils se jugeront lésés ;

2° Que le Comité de surveillance remettra immédiatement l'état des membres dont il est composé, avec distinction de ceux qui font partie de la Commune et de ceux qui n'en sont pas ; qu'il y aura une garde journalière pour repousser les attaques possibles contre ce Comité, et que les scellés seront mis sur les effets d'or, d'argent, et sur les bijoux y déposés[19].

Par un troisième arrêté du même jour, il était enjoint aux citoyens du Conseil, employés depuis le 10 août, sans en excepter ceux qui s'étaient retirés, de rendre compte de toutes les gestions et de tous dépôts de quelque nature qu'ils fussent[20].

Le Conseil général de la Commune allait donc au-devant des exigences les plus soupçonneuses ; et ceci ayant lieu le 29 septembre, il est bien étonnant que, le 30, c'est-à-dire le lendemain, Barbaroux ait cru nécessaire de proposer, sur le ton de l'indignation, la formation d'une Commission extraordinaire au sein de l'Assemblée pour examiner la conduite de la Commune et recevoir ses comptes[21]. Comme si elle eût craint ou refusé de les rendre ! Tallien, membre de la Commune, se leva aussitôt, non certes pour combattre Barbaroux, mais, au contraire, pour l'appuyer : Je puis assurer, dit-il, que la Commune n'a point abusé des dépôts qui lui ont été confiés. Les comptes du Comité de surveillance ne sont peut-être pas apurés en effet ; mais quant à ceux de la Commune, j'ose affirmer à la Convention qu'ils lui seront rendus avant quinze jours[22]. Il ajouta fièrement : Ce sera un nouveau triomphe pour la Commune de Paris, et un moyen victorieux de détruire les calomnies dont elle a été l'objet. Ce compte sera clair, exact, précis ; il répondra parfaitement à ceux qui méconnaissent les services que la Commune de Paris a rendus à la chose publique. On voudrait faire oublier qu'elle a fait la Révolution du 10 août ![23]

Dans la même séance, un autre grief, et celui-ci beaucoup mieux fondé, avait été articulé contre la Commune. Une députation de la section des Quinze-Vingts était venue se plaindre fort aigrement de l'inexécution d'un décret rendu vers la fin de la session de l'Assemblée législative, et portant que la municipalité serait renouvelée sous trois jours[24]. A cet égard, il faut le dire, les défenseurs de la Commune ne répondirent rien de satisfaisant. Léonard Bourdon parla d'un retard dans l'impression des cartes d'électeurs. Tallien prétendit qu'on avait voulu attendre le résultat d'une pétition ayant pour objet de faire faire les élections à haute voix. De telles raisons ressemblaient trop à des prétextes : Barbaroux en fit l'observation avec rudesse, et la Convention enjoignit au ministre de l'Intérieur de lui présenter, le lendemain même, le rapport des mesures prises pour l'exécution des décrets concernant l'Hôtel de Ville[25].

Marat était loin d'être l'homme du Conseil général de la Commune, mais il était l'homme du Comité de surveillance ; et si la Gironde avait hâte d'en finir avec l'un, à plus forte raison brûlait-elle d'abattre l'autre. C'est ce que Marat comprenait à merveille : il résolut donc d'opposer à ses ennemis son arme favorite, la dénonciation, et son procédé ordinaire, l'audace.

Le Comité de surveillance se trouvait avoir saisi et gardait en dépôt nombre de pièces contenant la preuve des conspirations de la Cour. Parmi ces pièces était une lettre par laquelle l'ancien intendant de la liste civile, Delaporte, demandait à Septeuil, trésorier du roi, 1.500.000 liv. à distribuer aux membres du comité chargé, sous la Législative, de la liquidation des pensions militaires. Qu'il y eût projet de corruption, sur ce point nul doute possible. Mais le projet avait-il abouti ? Les 1,500.000 liv. avaient-elles été distribuées ? Marat feignit de n'en pas douter, et peut-être le croyait-il sincèrement, lui si prompt à soupçonner le mal.

Quoi qu'il en soit, le 1er octobre, poussée par Chabot, qui s'en vanta, une députation du Comité de surveillance vint à la barre de la Convention affirmer l'existence du redoutable document, et l'orateur de la députation ne craignit pas d'ajouter : Nous vous donnerons la liste de la distribution de cette somme et de bien d'autres[26].

Pour comprendre l'impression que durent produire et une semblable démarche et de pareils mots, il suffit de remarquer que quelques-uns des membres que la Législative avait chargés de liquider les pensions militaires, avaient été réélus et faisaient partie de l'Assemblée nouvelle. Le Comité de surveillance venait donc dire en face de la Convention : Il y a parmi vous des âmes vénales, des traîtres, des misérables, que nous nous réservons de dévoiler ; et nous en possédons le moyen.

Le débat prit un tour très-vif. Kersaint en appela, devant une dénonciation aussi terrible, à la nécessité de la prudence. Richard, un des membres désignés à l'infamant soupçon, protesta contre tout délai qu'on apporterait à un éclaircissement devenu indispensable. Lindet montra que le décret sur les pensions n'ayant pas été présenté, la liste civile n'en avait pu payer le prix. Rewbel somma, non sans emportement, les dénonciateurs d'expliquer pourquoi ils n'avaient pas en main cette liste de distribution dont ils parlaient. Louvet s'écria que le crime du député coupable de vendre les intérêts de son pays était un crime national, que par conséquent les pièces d'un procès de ce genre appartenaient à la nation tout entière, et que c'était à la Convention à en prendre connaissance. Ceci en réponse à Panis qui, après avoir rapporté avec quelle sollicitude il avait veillé sur l'important dépôt, et comment il l'avait gardé nuit et jour, tenant sa plume d'une main et son sabre de l'autre, était allé jusqu'à dire : Ces pièces appartiennent à la Commune du 10 août.

Enfin, sur la proposition de Barbaroux, l'Assemblée décréta qu'une commission de vingt-quatre membres, prise en dehors des membres de la Constituante, de la Législative, et de la députation actuelle de Paris, se transporterait aussitôt à la mairie ; que les cartons renfermant les pièces recueillies par le Comité de surveillance seraient inventoriés, scellés, contresignés, et transportés dans l'enceinte de la Convention, où ils resteraient constamment sous la garde de quatre délégués de l'Assemblée, de deux membres du Comité de surveillance, et de deux officiers municipaux[27].

Bien étonnée fut la commission, devant la masse de papiers dont elle avait à dresser l'inventaire. Quatre-vingt-quinze cartons ; six boîtes, dont l'une de cinquante-quatre pieds cubiques ; vingt grands portefeuilles ; trente-quatre registres ; sept liasses de papiers, plusieurs autres milliers de feuilles dont on avait rempli, faute de mieux, des sacs à blé !... Voilà sur quoi devait porter l'examen. La commission y vit un travail de trois ou quatre mois au moins, et lorsque, le 4 octobre, Valazé présenta son rapport à la Convention, ce fut seulement pour lui apprendre qu'on n'avait pu procéder encore qu'à un inventaire sommaire, d'où rien ne résultait, sinon la preuve, acquise déjà, des trahisons du roi détrôné[28].

Du reste, nul document qui appuyât la dénonciation du Comité de surveillance. C'est ce que déclara formellement Lehardi, un des commissaires. De là un déchaînement général. Les dénonciateurs étaient donc des calomniateurs ! Les preuves ! qu'ils eussent à fournir des preuves ! Panvilliers proposa que les membres du Comité de surveillance fussent sommés, par voie de décret, de désigner dans quels cartons, sacs, registres on portefeuilles, se trouvaient les pièces à l'appui de leur dénonciation. Buzot, Lecointe-Puyraveau, appuyèrent la proposition en termes passionnés. Tout à coup Marat se lève et veut parler... Mais ses paroles se perdent dans le bruit d'une effroyable tempête. Je demande, s'écrie violemment Buzot, que Marat ne soit pas entendu... Lui, entendu ! Il me semble le voir appelé à la tribune par les Prussiens eux-mêmes. Et l'on applaudit. Marat, froidement : J'ai la parole. Une assemblée refusant par système d'entendre un de ses membres, lorsqu'on l'attaque, c'était en vérité trop de scandale. Plusieurs en eurent honte, même parmi les ennemis de Marat ; et Lasource, Lidon, Cambon, invoquèrent en sa faveur le droit commun : le premier, parce qu'il était bon que la France connût un homme tel que Marat ; le second, parce que le supplice de l'entendre avait été infligé à la Convention par le corps électoral de Paris ; le troisième, parce qu'il était juste d'entendre le crime aussi bien que la vertu[29].

Marat fut étonnant de dédain. Il déclara qu'il applaudissait au citoyen courageux qui l'avait dénoncé à la tribune. Les invectives, il ne s'abaissait pas à y répondre. Quant à mes vues politiques, dit-il, à mes sentiments, je suis au-dessus de vos décrets. Entendant retentir autour de lui des éclats de rire, il reprit : Il ne vous est pas donné d'empêcher l'homme de génie de s'élancer dans l'avenir. Vous ne comprenez pas l'homme instruit qui connaît le monde, qui va au-devant des événements[30]. Et au milieu des rires, des murmures, il rappela les services que ses prophéties avaient rendus à la Révolution. Dans ce discours, où une violence froide et habilement voilée se mêlait à un orgueil voisin de la folie, il y avait une belle et fière parole : Vous n'avez sur les pensées d'autre autorité que celle de la raison[31].

Mais c'est ce que les Girondins, plus d'une fois en devaient oublier, pour le malheur de la Révolution leur propre !

Le résultat de ces vaines querelles ne servit qu'à prouver combien les deux partis étaient injustes l'un à l'égard de l'autre ; car l'examen des documents autour desquels Marat faisait tant de bruit, ne fournit pas la moindre preuve contre la probité politique des Girondins ; et d'un autre côté, le Comité de surveillance rendit plus tard ses comptes de manière à venger avec éclat son intégrité calomnieusement mise en question.

Les comptes généraux présentés par Panis, au nom du Comité de surveillance, le furent non-seulement en présence du Conseil général, mais devant des commissaires de sections mandés à cet effet. On discuta les chiffres ; on pesa mûrement le pour et le contre ; on provoqua les plaintes ; on encouragea les réclamations..., et ce qui sortit de tout cela, ce fut la justification des membres du Comité. Il avait reçu 713.885 livres, dont 85.529 livres avaient été dépensées. Panis justifia de l'emploi et produisit les quittances ; ce qui n'avait point eu de destination se retrouva en caisse, prêt à être versé à la trésorerie nationale[32].

Quant à la conduite purement politique du Comité de surveillance, il fut constaté que le nombre des emprisonnements ordonnés spécialement par lui, soit pour trahison ou complicité notoire d'aristocratie, soit pour fabrication et distribution de faux assignats, s'était élevé à trois cent quarante-trois, depuis le 10 août jusqu'au 10 octobre. Or, si l'on considère que ces mesures furent amenées par une situation, la plus terrible qui fut jamais, et si l'on se rappelle sur quelle échelle bien autrement large nous avons vu opérer, depuis, des pouvoirs que pressaient des circonstances beaucoup moins fatales, le chiffre mentionné ci-dessus paraîtra-t-il donc si monstrueux ?

Au reste, dans le rapport que, le 2 octobre, Joseph de Launay avait lu sur la conduite de la Commune du 10 août, il avait été lui-même conduit à reconnaître, tout Girondin qu'il était, qu'en temps de révolution, il ne faut pas juger les hommes et les choses absolument au même point de vue que dans les temps ordinaires ; que souvent il y a nécessité de se mettre à la tête du désordre pour le dominer ; que dans l'œuvre de la Révolution à sauver, un moment d'anarchie avait été inévitable ; que parmi les détenus, après tout, les uns avaient été arrêtés pour délits ordinaires, et les autres, mais ces derniers en petit nombre, pour délits relatifs à la Révolution[33].

Pendant ce temps, les Girondins se préparaient à une attaque en règle contre un homme qui, plus que la Commune, plus que Marat, leur était un sujet de crainte et de haine.

Ce qu'ils détestaient dans la Commune, ce n'était que son pouvoir ; ce qui leur faisait horreur dans Marat, ce n'était que sa rage de dénonciations sanguinaires ; mais, dans Robespierre, ils brûlaient d'abaisser une influence rivale, et d'humilier une intelligence qui faisait face à leur génie.

Seulement, à risquer un tel combat, au sein de Paris, il y avait péril suprême : ils le sentaient bien, el, avant de jeter le gant, ils auraient voulu avoir derrière eux, autour d'eux, leur garde départementale.

Buzot, qui, le premier, en avait émis l'idée, vint, dans la séance du 8 octobre, présenter un projet de décret portant :

Que chaque département enverrait, pour la garde de la Convention nationale et des dépôts publics, autant de fois quatre hommes d'infanterie et deux hommes à cheval qu'il aurait de députés à la Convention, en tout : 4.470 hommes ;

Que ces gardes seraient casernés, et payés de la solde que reçoivent les gendarmes nationaux à Paris ;

Qu'ils seraient élus par les conseils généraux de départements, parmi les citoyens munis d'un certificat de civisme émané du Conseil général de leur commune ou de leur district ;

Enfin, que leur commandant serait nommé par la Convention nationale[34].

L'Assemblée n'osa voter immédiatement un projet pareil, et, dans son journal, Robespierre le pulvérisa :

Quoi ! à la Convention nationale, à ce congrès qui devait se montrer au monde si plein de puissance et de majesté on proposait de prendre une garde ! et là devait être sa première, sa plus sérieuse préoccupation, dans la haute sphère des pensées ! Quoi ! l'on affectait d'ignorer que, comme la volonté générale qu'elle est destinée à faire respecter, la force publique doit être une, et que toute force particulière affectée, soit à un homme, soit à une réunion d'hommes, est, dans l'ordre politique, un danger immense, et un monstre dans l'ordre social ! Quoi ! on n'avait tant combattu la maison militaire du roi, que pour en venir à donner aux mandataires du peuple une maison militaire c'est-à-dire le pouvoir de violer tôt ou tard leur mandat, et d'usurper la tyrannie ? Une force armée, des janissaires départementaux, une garde prétorienne ! Rien de plu inutile, si les délégués du peuple avaient sa confiance, étaient protégés par son amour ; et dans le cas contraire, rien de plus odieux. — Mais, disait-on, il y avait à se préserver contre les entreprises possibles de quelques malveillants s'intitulant le peuple. — Ô phénomène inexplicable ! Ô fatalité ! En dépit de la Cour, de sa puissance, de ses haines, et comme enveloppées de ses complots, la Constituante d'abord, la Législative ensuite, avaient pu se passer d'une garde ; et voilà que ce luxe était devenu indispensable à la Convention, et la République allait déclarer ne pouvoir vivre qu'aux conditions auxquelles la tyrannie se maintient ! Les ennemis de la Liberté, quel que fût leur masque, étaient-ils donc plus à craindre, depuis la chute du trône ? Ou bien, était-ce que la Convention avait d'autres ennemis que ceux de la Liberté ?... On osait prétendre qu'à la nation tout entière il appartenait de couvrir ses représentants de son égide ! Mais est-ce que partout où l'Assemblée nationale résiderait, elle ne serait pas gardée par des Français ? Est-ce que les Parisiens étaient autre chose que la portion du peuple français qui habite Paris ? Est-ce que ce Paris où venaient incessamment se rencontrer, se mêler, se confondre, Lyonnais, Marseillais, Bordelais, gens de Rouen, gens de Toulon, Gaulois du Nord et du Midi, de l'Est et de l'Ouest, est-ce que Paris était autre chose qu'un grand fleuve vivant formé de toutes les rivières de France ? Beau moyen vraiment, pour consacrer l'unité de la patrie, que d'opposer sans cesse Paris aux départements, que d'assigner à chaque département une représentation armée particulière, que de tracer de nouvelles lignes de démarcation entre les diverses sections de la République ! Ah ! que ne s'exprimait-on avec un peu plus de franchise ? Paris avait un tort, un tort irréparable : celui de renfermer une population immense, toujours attentive aux mouvements de la Liberté ! Paris avait le tort d'être le centre de ces vastes connaissances, le foyer de ces vives lumières, le théâtre de cette vie active, qui sont la mort du despotisme, lorsqu'il n'a pas, pour éteindre autour de lui tout rayon et paralyser tout mouvement, une maison militaire, une force particulière, une garde enfin, qu'on l'appelle constitutionnelle ou royale ! Si c'était là ce qu'on reprochait à Paris, très-bien ; mais qu'on eût alors le courage d'en convenir[35].

Telles furent, présentées dans un style moins resserré mais qui, s'il manquait un peu de nerf, ne manquait ni de chaleur ni d'éclat, les considérations que fit valoir Robespierre.

Elles parurent décisives au club des Jacobins, où déjà, du reste, Bentabolle, Tallien, Chabot, Levasseur, Billaud-Varenne, avaient discuté le rapport de Buzot avec une animation extraordinaire[36].

Sur ces entrefaites eut lieu la séance du 16 octobre, qui montra si bien qu'il était une chose que Montagnards et Girondins voulaient d'une égale ardeur, aimaient d'un égal amour, la République. Manuel ayant proposé d'en soumettre l'établissement à la sanction du peuple, d'une manière toute spéciale ; et Cambon, de s'en remettre à la décision d'une commission de 83 membres, tirés de la députation de chacun des 83 départements, l'Assemblée comprit d'instinct que la République était au-dessus même du suffrage universel, le suffrage universel ne pouvant établir, sans abdiquer par cela seul, une autorité indéfinie héréditaire, placée une fois pour toutes en dehors des chances de l'élection ; et, d'autre part, une génération n'ayant nul droit de lier d'avance les générations à venir : La République ! dit Brissot, le peuple l'a sanctionnée en nous chargeant de la sauver. Danton s'écria impétueusement : La sanction de la République est dans le génie de la Liberté, qui réprouve les rois. Et la proposition de Cambon fut écartée par le vote unanime de l'Assemblée[37]. Ce n'était donc pas, en tout cas, pour défendre la République contre les Montagnards, que la Gironde avait besoin de s'entourer de baïonnettes à sa dévotion !

Bientôt il n'y eut plus qu'une préoccupation dans Paris : souffrirait-on que la Convention se donnât une garde tirée des départements, ou, plutôt, souffrirait-on que la Gironde, qui alors dominait la Convention, s'entourât de soldats prétoriens ? Autour de cette question émouvante, les quarante-huit sections s'agitèrent violemment ; pour la résoudre, elles nommèrent des députés qui en conférèrent ensemble trois jours durant, et le résultat de ces conférences fut une adresse, dont la lecture eut lieu dans la Convention, le 19 octobre. Elle était au plus haut point menaçante et concise.

L'orateur de la députation commença en ces termes : Mandataires du souverain, vous voyez devant vous les députés des sections de Paris. Ils viennent vous faire entendre des vérités éternelles. On vous a proposé de vous mettre au niveau des tyrans[38]...

A ces mots, un ingouvernable transport de colère éclate dans l'Assemblée. De toutes parts, on interpelle les membres de la députation. L'un demande qu'on les rappelle à l'ordre ; un autre invoque contre eux l'application immédiate du décret sur la force publique ; un troisième les somme de montrer leurs pouvoirs. Eux, ils tirent de leurs poches le cahier de leur mandat, et se mettent à l'agiter en l'air, aux applaudissements redoublés des tribunes. Un homme d'un courage bilieux occupait, en ce moment, le fauteuil de président : c'était Guadet. D'un ton ferme, il menace de faire expulser de la salle tout spectateur qui donnera libre cours à ses impressions ; et, le silence s'étant rétabli, l'orateur de la députation reprend avec un sang-froid terrible : On vous a proposé de vous mettre au niveau des tyrans, en vous environnant d'une garde isolée et différente de celle qui compose essentiellement la force publique. Les sections de Paris vous déclarent, par notre organe, qu'elles trouvent ce projet odieux. Quoi ! on vous propose des décrets constitutionnels avant l'existence de la Constitution ! Attendez que la loi existe ! quand le peuple l'aura sanctionnée, il vous apprendra par son exemple, à baisser le front devant elle[39].

La réponse de Guadet fut très-fière. Il déclara que la Convention recevrait toujours avec plaisir les conseils des bons citoyens ; mais, quant à des ordres, elle n'en recevra que du peuple français. L'impression du discours et de la réponse, proposée par quelques membres fut rejetée, et l'Assemblée passa à l'ordre du jour[40].

Mais ce n'était point là une question pour être de sitôt enterrée. Les deux partis contraires continuant à se disputer sur ce point essentiel, l'empire de l'opinion, Gironde parvint à souffler l'esprit qui l'embrasait à quatre sections, et elles se rétractèrent : c'étaient les sections Mirabeau, Popincourt, la Fontaine-Grenelle, la Butte-des-Moulins[41]. Les autres, fidèles à la Montagne, persistèrent.

De son côté, la Commune ordonnait L'envoi à toutes les municipalités de l'adresse des quarante-huit sections ; et la Gironde, furieuse, faisait casser par l'Assemblée cet arrêté audacieux[42].

On remarqua que la décision prise par l'Assemblée ne rencontra sur les bancs de la Montagne qu'une désapprobation muette et morne : deux députés seulement protestèrent, et les Révolutions de Paris purent s'écrier : Les Danton, les Robespierre se sont tus... Tu dors, Brutus[43].

En revanche, il veillait, l'âpre journal. Rien de plus entraînant que la guerre qu'il fit alors à Buzot, à ceux de la Gironde, et à leur malheureux projet de garde conventionnelle : Malheur aux lois qui n'ont d'autres panégyristes que ceux qui les font !Vous voulez des gardes ! Solon, qui vous valait bien, n'en avait pas, et Athènes cessa d'être libre quand elle permit à Pisistrate d'en avoir quatre cents ! — Ce fédéré avait raison, qui disait naguère à la tribune des Jacobins : La force armée d'un législateur, c'est l'opinion publique. Mais il y a de faux patriotes qui, comme les sénateurs de Venise, se masquent six mois de l'année. — Rappelez-vous ces mots de Jean-Jacques[44] : Je voudrais qu'on sentît l'horrible indécence et la barbarie de voir l'appareil des armes profaner le sanctuaire des lois. Polonais ! êtes-vous plus guerriers que ne l'étaient les Romains ? Eh bien, jamais, dans les plus grands troubles de leur République, l'aspect d'un glaive ne souilla les comices ni le sénat[45].

Tout cela parlait vivement au cœur, à l'esprit et à l'imagination du peuple : le faubourg Saint-Antoine chargea son orateur ordinaire, Gonchon, d'être auprès de l'Assemblée l'écho de la voix publique.

La mission était délicate pour Gonchon, qu'une secrète sympathie entraînait vers les Girondins ; mais le désir même de les ménager, en leur disant la vérité, donna, en cette circonstance, au langage du tribun un remarquable accent d'élévation et de sagesse.

Admis à la barre de la Convention dans la séance du 21 octobre, comme orateur des citoyens du faubourg Saint-Antoine, il prononça ces paroles remarquables : Celui qui calomnie le peuple est un tyran ; mais celui qui le flatte veut le devenir. Ceci à l'adresse des coureurs de popularité. Il ajouta : Émoussons le glaive de la démagogie, mais n'aiguisons pas celui du modératisme. Ceci à l'adresse des hommes qui semblaient ne tant parler des excès de la Révolution que pour en détendre tous les ressorts. Aux Girondins en particulier s'adressaient les mots suivants : Avait-on besoin de calomnier les hommes du 14 juillet (les Parisiens), pour appeler autour de nous nos frères des départements ? Ah ! qu'ils viennent, non pas six, sept, huit, vingt-quatre mille, mais un million... Nos bras ne sont-ils pas toujours ouverts pour les recevoir ?... Mais qu'ils arrivent sous une dénomination fraternelle ! Qu'ils viennent, non pas pour vous défendre, mais pour nous aider à vous garder ! Que le mot de force armée ne souille pas le code d'un peuple républicain ! Puis, un appel à la concorde, appel touchant, et d'une portée incalculable, si les passions de parti étaient capables d'entendre une autre voix que celle de leurs colères ! C'est avec douleur que nous voyons des hommes faits pour se chérir et s'estimer, se haïr et se craindre autant et plus qu'ils ne détestent les tyrans. Eh ! n'êtes-vous pas comme nous, les zélateurs de la République, les fléaux des rois, les amis de la justice ? N'avez-vous pas les mêmes devoirs à remplir, autant de périls à éviter, les mêmes ennemis à combattre, et vingt-cinq millions d'hommes à rendre heureux ? Ah ! croyez-en des citoyens étrangers à l'intrigue : on s'attribue mutuellement des torts imaginaires. Les hommes ne sont pas aussi méchants qu'on le croit. Que chacun impose silence à son amour-propre, et il ne faudra qu'un moment pour éteindre le flambeau des divisions intestines[46].

Ce discours était pris dans le vif de la situation ; il signalait la véritable plaie du moment, il indiquait le vrai remède ; aux républicains de la Gironde d'une part, et de l'autre aux républicains de la Montagne, il montrait comment ils risquaient de perdre la République, comment ils pouvaient la sauver. L'impression fut immense sur l'heure ; et tous applaudirent, tous applaudirent avec transport[47].

Mais hélas ! les Girondins s'étaient mis sur une pente où il ne leur était déjà plus possible de s'arrêter ; et, à son tour, poursuivi de provocations incessantes, le parti adverse était devenu bien difficile à calmer. Lorsque Gonchon vint prêcher la conciliation dans l'Assemblée, il n'y avait pas dix jours que, sur la proposition de Collot-d'Herbois, la société des Jacobins avait rayé Brissot de la liste de ses membres[48] ; inutile de demander si la Gironde avait ressenti cette insulte ! Ajoutez à cela que, précisément sur ces entrefaites, les Marseillais de Barbaroux arrivèrent à Paris, circonstance qui n'était que trop de nature à animer les Girondins au combat par l'espoir du triomphe !

On peut juger des préventions que les Marseillais apportaient dans Paris par le langage qu'ils tinrent à l'Assemblée. Nous partons des bords de la Méditerranée pour venir au secours de Paris. Nous avons appris que nous n'avions plus d'autres ennemis que les agitateurs et les hommes avides de tribunat et de dictature. Vous appartenez aux 83 départements, vous êtes donc à nous : le service militaire auprès de vous est un droit qui nous appartient... On dit que cette garde qu'on vous propose peut devenir une garde prétorienne ; nous ne répondons qu'un mot : nous y serons[49].

Ainsi, c'était pour prêter main-forte, non pas à la Révolution, mais à l'un des deux partis qui s'en disputaient le gouvernail, que les Marseillais de la seconde expédition accouraient, de leur propre aveu : quelle différence avec ceux de la première, les fédérés du 10 août !

Que, pour rendre Paris odieux aux nouveaux venus, on les ait casernés d'abord dans des lieux ouverts à tous les vents et où ils avaient à peine de la paille fraîche, c'est ce que le journal dé Prudhomme affirma[50], mais ce que dément assez le caractère bien connu de Roland et de ses amis, tous incapables de ce lâche et vil calcul. Les Parisiens, du reste, ne voulurent pas que les Marseillais eussent à se plaindre de la capitale ; ils coururent les chercher, les tirèrent de leur caserne, et partagèrent fraternellement avec eux leurs domiciles et leurs lits[51].

Des premiers, Marat était allé visiter les Marseillais, mais dans un but beaucoup moins sentimental que politique. En mettant le pied sur le seuil de leur caserne, il s'indigna fort de ce qu'on ne leur avait pas ménagé une habitation plus convenable. Horreur ! on osait en user de la sorte avec de braves patriotes, alors qu'à l'École-Militaire les dragons du premier régiment de la République se pavanaient dans leur bel uniforme bleu, objet de tous les égards ! Et pourtant, qu'étaient-ce que ces dragons ? Un amas d'anciens gardes du corps, de valets de chambre, de cochers, de contre-révolutionnaires, enfin ! Là-dessus, Marat attaque familièrement les Marseillais de conversation, se montre très-poli, très-caressant, et exprime le désir que trois volontaires par compagnie acceptent à déjeuner chez lui[52].

Barbaroux n'était pas sans avoir eu avec Marat quelques rapports d'amitié, et Marat se plaisait à le rappeler. Tout récemment encore, le fougueux député de Marseille ayant déchiré l'Ami du Peuple dans un placard, celui-ci avait borné sa vengeance à ces simples mots : Dans le temps où Barbaroux n'était pas tourmenté de la rage de jouer un rôle, c'était un bon jeune homme qui aimait à s'instruire auprès de moi[53]. Il paraît même que, le 23 octobre, un essai de rapprochement avait eu lieu entre le maître et le disciple dans un petit café de la rue du Paon, et qu'ils en étaient venus au point de s'embrasser[54]. Qu'on juge de la fureur de Barbaroux, lorsque, le lendemain, il apprit que ses fidèles Marseillais avaient été exposés de la part de Marat à une tentative d'embauchage ! Aussitôt il fait dresser procès-verbal de la visite, court à l'Assemblée, et y dénonce l'agitateur pervers, qui a essayé de corrompre les bataillons volontaires appelés dans Paris[55]. Kersaint appuie la dénonciation. Un membre affirme avoir entendu dire à Marat que, pour avoir la tranquillité, il fallait qu'on fit tomber deux cent soixante-dix mille têtes. Eh bien, oui, dit Marat, c'est mon opinion..., et l'Assemblée entière se soulevant, il ajoute : Il est atroce que ces gens-là parlent de liberté d'opinion, et ne veuillent pas me laisser la mienne. Étant parvenu à dominer le tumulte, il prétendit qu'on avait mal rendu le propos qui lui était imputé, fit de sa visite à la caserne des Marseillais un récit qui confirmait le procès-verbal lu par Barbaroux, et conclut en demandant la mise en accusation de Roland, pour un ordre arbitraire émané du ministre, assurait-il, et auquel il donna le nom de lettre de cachet. Un vote qui renvoyait la dénonciation de Barbaroux au Comité de surveillance et de législation mit fin, ce jour-là, à ces tristes luttes[56].

Cependant, les Girondins continuaient à préparer leur attaque contre Robespierre.

Moins aveuglés par la passion, moins éblouis par l'orgueil, peut-être eussent-ils compris combien il leur importait, dans ce but, de ménager du moins Danton ; mais je ne sais quelle tragique fatalité les entraînait. Prenant occasion d'un compte, très-détaillé, que Roland avait présenté des diverses dépenses de son ministère. Rebecqui somma publiquement les collègues de Roland, ses collègues de la veille, de justifier de l'emploi des fonds confiés à leur intégrité[57]. Danton tressaillit. Dans son rapide passage aux affaires, il ne s'était pas cru tenu à l'exactitude d'un comptable ; il avait manié l'argent un peu en grand seigneur, en grand seigneur du sans-culottisme, comme l'appelait Garat ; et lui, qui n'écrivait jamais, ne s'était pas attaché à prendre note de chacune de ses dépenses. J'avoue, dit-il en réponse à la sommation de Rebecqui, que nous n'avons point de quittances bien légales. Tout était pressé ; tout s'est fait avec précipitation ; vous avez voulu que les ministres agissent tous avec ensemble : nous l'avons fait, et voilà notre compte[58]. On murmura. L'ordre du jour, réclamé par les uns, fut combattu par les autres. Il finit néanmoins par être adopté ; mais on avait fait à Danton une situation humiliante, et la flèche qui venait de lui être lancée lui resta dans le cœur.

Enfin, Robespierre eut son tour. Et quel fut le champion que la Gironde opposa à cet adversaire, si rigide dans sa conduite, si grave dans ses mœurs ? Ce fut Louvet, oui Louvet, le romancier favori des ruelles, le frivole historien des déguisements amoureux, l'auteur de Faublas. Pauvre Louvet ! esprit léger, âme courageuse et. ardente ! Il n'était pas destiné, lui, à périr, comme ses amis Vergniaud, Guadet, Gensonné, Barbaroux, sur cet échafaud qu'ils dressèrent de leurs propres mains, on peut le dire, les imprudents ! Il ne devait pas finir, comme Roland, en se donnant la mort sur un grand chemin ; et son corps ne devait pas, comme ceux de Buzot et de Pétion, être un jour trouvé dans les landes de Bordeaux, à moitié mangé par les loups... non : il lui fut donné de survivre au grand naufrage de son parti, de survivre au 9 thermidor, qui scella le tombeau de la Gironde en la vengeant, de survivre à la Convention elle-même. Il eut donc le temps d'apprendre à qui devait en définitive rester le profit de la lutte fratricide dont il fut un des plus ardents promoteurs ! Ah ! lorsqu'il s'étudiait à accabler Robespierre, au risque de ne pas réussir et de l'irriter à jamais, s'il avait pu prévoir que de là sortiraient tous les désastres de la République ; que le 9 thermidor serait tout simplement la continuation du lamentable drame commencé le 31 mai ; que lui, Louvet, serait condamné à subir la contre-révolution triomphante ; que, dans sa douleur, il serait amené, en 1797, à faire cause commune avec ses prescripteurs de 1793 ; que les environs de son magasin de librairie au Palais-Royal deviendraient le rendez-vous d'une jeunesse insolente, , envoyée là par le royalisme pour persifler et insulter sa femme, cette Lodoïska tant aimée, et que ses croyances raillées, ses espérances déçues, la République penchée sur un cercueil, lui feraient la plus amère des agonies, une agonie dont le bourreau épargna du moins l'horreur à Vergniaud et à Barbaroux[59] !...

Et quelle nécessité si grande pressait donc la Gironde ? Quelles circonstances rendaient donc si impérieuse, si entraînante, la voix du démon familier qui poussait Louvet au combat ? Jamais Robespierre n'avait vécu plus retiré, n'avait moins pesé sur les affaires publiques, ainsi qu'il le déclara quelques jours après, du haut de la tribune, et sans être démenti[60] ; il n'avait que très-rarement paru, depuis le 10 août, au club des Jacobins, à ce club où ses ennemis l'accusaient d'aller chercher des applaudissements et des triomphes. Et jamais non plus son langage à l'égard des Girondins n'avait été empreint d'autant de modération. En parlant du décret sur la force départementale armée, il était allé jusqu'à dire que l'Assemblée, dans l'adoption de ce décret, avait cédé à son zèle pour le bien public, et ne s'était pas doutée qu'elle ne faisait que sanctionner les projets d'un conciliabule secret, dont Buzot lui-même était vraisemblablement la dupe et l'instrument aveugle[61]. Excuser la majorité et Buzot, au moment où Buzot et la majorité menaçaient la Montagne de leur cohorte prétorienne, était-ce là ce que Louvet appelle dans ses Mémoires, sans rien citer d'ailleurs, sans rien préciser, sans articuler de preuve : prêcher l'insurrection contre la Convention ?[62]

L'insurrection contre la Convention ! Eh ! qui donc l'avait appelée le premier, cette Assemblée souveraine ? qui avait proposé de lui confier les destins de la République ? qui l'avait désignée d'avance au respect du peuple ? N'était-ce pas Robespierre avant le 10 août ? Ah ! si jamais homme se montra fidèle au principe de la souveraineté du peuple représentée par une Assemblée élue, ce fut lui, lui qui, dans la suite, sommé par les événements de choisir entre un acte de rébellion et la mort, préféra la mort !

L'accusation que Louvet se tenait prêt à lancer contre Robespierre eut lieu dans la séance du 29 octobre, à l'occasion d'un mémoire présenté à la Convention par Roland. Une des pièces annexées à ce mémoire, où l'état des choses était vivement décrit, désignait un parti auquel Vergniaud, Buzot, Guadet, Lasource, Roland, Brissot, déplaisaient fort, et qui ne voulait entendre parler que de Robespierre, comme du seul homme capable de sauver la patrie[63].

Robespierre vit dans ce passage, précisément parce qu'il n'avait trait qu'à de vains propos dont il était bien inutile d'entretenir l'Assemblée, le dessein arrêté par ses ennemis de le rendre odieux aux amis de l'égalité, d'ameuter contre lui les défiances et les jalousies, de le perdre enfin. Il demande aussitôt la parole, l'obtient avec beaucoup de peine, et c'est en vain : presque à chaque phrase qu'il essaye de prononcer, des murmures systématiques, d'iniques clameurs étouffent sa voix. Quoi ! s'écrie-t-il indigné, lorsqu'ici il n'est pas un homme qui osât m'accuser en face !... A ces mots, Louvet, Rebecqui, Barbaroux, s'offrent à l'envi pour l'accuser. Robespierre demande qu'ils soient entendus, pourvu qu'on l'entende à son tour. Danton, dont ce système manifeste de persécution révolte la générosité naturelle, et qui se sent attaque lui-même dans un des principaux membres de la Montagne, Danton veut qu'une fois pour toutes on en finisse avec ces déplorables dissensions, et qu'une discussion sérieuse, approfondie, mais décisive, fasse justice du coupable, s'il y en a un. Prompt à distinguer ce que la Gironde, par un calcul peu loyal, s'attachait à toujours confondre : Je déclare, dit-il, que je n'aime point l'individu Marat. J'ai fait l'expérience de son tempérament ; non-seulement il est volcanique et acariâtre, mais insociable. Après un tel aveu, qu'il me soit permis de dire que, moi aussi, je suis sans parti ni faction... Ceux qui parlent de la faction de Robespierre sont à mes yeux ou des hommes prévenus ou de mauvais citoyens... A peine a-t-il touché cette corde, que la Droite se répand en murmures. Mais lui, fièrement : Je n'ai accusé personne, et suis prêt à repousser toutes les accusations. Je me sens inattaquable !...[64] Alors parut à la tribune un homme petit, fluet, négligé dans sa mise, mais au front noble et dont l'œil bleu lançait des éclairs[65]. Une rumeur s'éleva, où la curiosité se mêlait à la bienveillance : Voilà Faublas ! Louvet commença ainsi :

Une grande conspiration publique avait un instant menacé de peser sur la France, et avait trop longtemps pesé sur la ville de Paris : vous arrivâtes.

Un pareil début semblait annoncer une série de révélations formidables. et pour accabler son ennemi, que trouva Louvet ? Ô inconcevable aveuglement de l'esprit de parti ! Il fallait que, sans retard, sur l'heure[66], la Convention punît les crimes[67] de Robespierre ; il fallait que, sans perdre un moment, elle le frappât d'accusation :

Parce qu'aux Jacobins on l'avait vu vouloir toujours parler, parler sans cesse, exclusivement parler ;

Parce qu'il y avait des intrigants subalternes qui le déclaraient le seul homme vertueux en France ;

Parce que, lui, on ne l'entendait entretenir les gens que de son mérite, des perfections dont il était pourvu, et, après avoir vanté la souveraineté du peuple, ajouter qu'il était peuple lui-même : ruse dont s'étaient servis tous les usurpateurs, depuis César jusqu'à Cromwell, depuis Sylla jusqu'à Masaniello ;

Parce qu'il importait qu'on ne substituât point au saint amour de la patrie l'idolâtrie d'un homme ;

Parce que, deux jours après le 10 août, Robespierre, qui s'était déjà refusé à remplir la charge périlleuse d'accusateur public, avait accepté le titre d'officier municipal, et, dès son entrée dans la salle de l'Hôtel de Ville, s'était dirigé vers la place prééminente par lui-même choisie au bureau ;

Parce qu'un jour il avait menacé l'Assemblée législative de faire sonner le tocsin, si elle ne confirmait pas l'anéantissement du Directoire, comme le désirait la Commune ;

Parce que, la veille du jour des égorgements de septembre, il avait accusé les Représentants du peuple d'avoir vendu la France à Brunswick ;

Parce que, par l'intermédiaire du Comité de surveillance, il était de ceux qui avaient invité toutes les communes de France à l'assassinat des individus, et, chose plus horrible encore, à l'assassinat de la Liberté.

Telle est, fidèlement résumée, la liste que Louvet dressa, devant la Convention, des crimes de Robespierre[68]. Jamais on n'avait vu un personnage politique donner comme un thème sérieux de réquisitoire un plus pitoyable mélange d'inculpations puériles, d'allégations vagues, de propos sur un homme transformés en attentats de cet homme lui-même. Rendre Robespierre responsable de l'admiration qu'il inspirait à beaucoup de patriotes, c'était dire trop clairement que la Gironde, jalouse de sa popularité, ne le poursuivait que par envie ; c'était trop rappeler, et Guadet lui reprochant en pleine séance des Jacobins d'être l'idole du peuple, et le paysan d'Athènes votant contre Aristide parce qu'il s'ennuyait de l'entendre appeler le Juste.

Dans la Robespierride de Louvet, ainsi que madame Roland l'appelle[69], il n'y avait que trois faits graves de leur nature, s'ils eussent été prouvés ; que dis-je ? s'ils n'eussent pas été notoirement faux.

Était-il vrai que Robespierre eût menacé l'Assemblée législative du tocsin ? Non-seulement Robespierre n'avait pas tenu le propos que lui attribuait ici Louvet, mais, l'ayant entendu tenir à un membre de la députation de la Commune, il le lui avait reproché : circonstance qu'attestèrent plusieurs membres de l'Assemblée législative députés à la Convention[70].

Était-il vrai que la veille des massacres de septembre, Robespierre eût désigné aux poignards les Représentants du peuple ? Non : ce qui était vrai, on l'a vu, c'est que Robespierre, comme beaucoup d'autres, et notamment comme Billaud-Varenne, avait dénoncé, dans la Commune, cette conspiration en faveur de Brunswick, à laquelle firent croire les articles de Carra, mais cela sans nommer personne, mais cela sans indiquer en aucune manière les Représentants du peuple, et alors que nul ne pouvait prévoir jusqu'où s'emporterait la fureur de la multitude, délire qui sortit spontanément d'un concours de circonstances inouïes[71].

Enfin, était-il vrai que Robespierre fût un des promoteurs, et même, en compagnie de Marat, un des apôtres des journées de septembre ? Ici la calomnie montait à un tel degré d'audace, que Louvet lui-même n'osa l'articuler contre Robespierre qu'en l'enveloppant dans une apostrophe collective : La révolution du 10 août est l'ouvrage de tous... mais celle du 2 septembre, conjurés barbares, elle est à vous, elle n'est qu'à vous. Eux-mêmes s'en glorifient ; eux-mêmes, avec un mépris féroce, ne nous désignent que comme les patriotes du 10 août, se réservant le titre de patriotes du 2 septembre. Ah ! qu'elle reste, cette distinction, digne en effet de l'espèce de courage qui leur est propre ! Qu'elle reste, et pour notre justification, et pour leur long opprobre ![72]

Afin de bien faire comprendre jusqu'à quel point était inique, en tant qu'elle pouvait s'adresser à Robespierre, cette imprécation, si éloquente d'ailleurs et si vive, nous mettrons sous les yeux du lecteur le passage suivant des Mémoires de Charlotte Robespierre :

Quelques jours après les événements de septembre, Pétion vint voir mon frère. J'étais présente à l'entrevue, et j'entendis mon frère reprocher à Pétion de n'avoir pas interposé son autorité pour arrêter les déplorables excès des 2 et 3 septembre. Pétion parut piqué de ce reproche, et répondit assez sèchement : Ce que je puis vous dire, c'est qu'aucune puissance humaine ne pouvait les empêcher. Il se leva quelques instants après, sortit et ne revint plus[73].

Le vide des imputations de Louvet ne l'empêcha pas d'être applaudi chaleureusement et à diverses reprises. Aussi bien, son discours était animé, brillant, coloré par la passion ; car l'éclat maladif que la fièvre donne au visage de l'homme, la haine le communique à ses paroles. Oubliant que son ami Buzot préparait un projet de décret contre les provocateurs au meurtre, Louvet s'était emporté jusqu'à dire : Les conjurés marchaient dans un chemin où les attendaient des hommes de quelque résolution, et qui, ils l'avaient juré par Brutus, ne leur auraient pas laissé la dictature plus d'un jour[74]. Des mots de cette nature tombant sur des traînées de poudre ne pouvaient que les embraser. Il y eut un moment où la contagion de la colère parut se répandre dans la salle, un moment où Cambon, dans une sorte d'égarement, s'écria, le bras étendu : Misérables ! voilà l'arrêt de mort des dictateurs ![75]

Louvet put donc se croire vainqueur, lorsque, arrivé au terme de sa péroraison dont chaque phrase commençait par cette formule : Robespierre, je t'accuse, il descendit de la tribune au milieu des acclamations d'une partie de l'Assemblée[76]. Il put même se faire illusion jusqu'à croire son ennemi embarrassé, tremblant, éperdu, lorsqu'il l'entendit demander huit jours pour sa réponse[77].

Le fait est qu'en cela Robespierre montrait un sens politique profond. Un examen calme devait infailliblement détruire l'effet d'un discours qui né reposait sur aucune base solide. Feu de paille, l'éloquence de Louvet pouvait-elle laisser après elle autre chose qu'un tourbillon de fumée ? Et, d'un autre côté, en donnant à l'opinion publique, aux sections, aux Jacobins, le temps de se déclarer pour lui avant même qu'il eût lancé sa réplique, Robespierre se ménageait le moyen de confondre sans retour son téméraire agresseur. C'est ce que ne comprirent, ni Louvet, en triomphant du délai demandé, ni la Gironde, en l'accordant avec une amère affectation de dédain.

Mais — qui l'eût jamais cru ? — le lendemain, oui le lendemain même, Barbaroux venait reprendre contre Robespierre la thèse de Louvet, dont Roland, de son côté, envoyait quinze mille exemplaires en province, aux frais du trésor public, et bien que l'Assemblée n'eût aucunement décrété cet envoi[78]. Un semblable acharnement, et si peu justifié, dépassait toutes les bornes. La tribune, où l'on se taisait sur les grands intérêts de la République, tendait à n'être plus qu'un misérable écho fourni aux ressentiments personnels de la Gironde et à de mesquines rivalités. L'Assemblée ne put donc, cette fois, se défendre d'un mouvement d'impatience. Plusieurs voix s'écrièrent ironiquement : Nous demandons une seconde lecture du discours de Louvet, et l'orateur fut interrompu par le président[79].

Nul doute qu'en descendant cette pente, la Convention n'eût bientôt perdu tout droit au respect du peuple ; et elle en eut la preuve dans l'insultante audace avec laquelle, au mépris d'un précédent décret, la Commune lança dans les départements l'adresse des 48 sections contre la garde conventionnelle. Ce fait, signalé par Roland, à la séance du 30 octobre, irrita au plus haut point l'Assemblée. La Commune fut sommée de s'expliquer, ce qui eût pu amener de nouveaux orages, si Chaumette, son organe, n'eût désarmé les colères par une justification où, avec une platitude extrême, il rejetait la faute sur quelques membres du Conseil, et concluait humblement à ce que l'on ne confondît point les innocents et les coupables[80].

On trouverait dans l'histoire peu d'exemples d'une violence aussi aveugle, aussi obstinée, que celle que déployèrent alors les Girondins. Tandis que, réveillant des souvenirs pleins de haine, et criant aux victimes de septembre de secouer leurs linceuls, Buzot renvoyait à ses adversaires la responsabilité d'un laissez-faire dont ses propres amis s'étaient rendus si coupables ; tandis que, sans fixer la limite précise où s'arrêterait une loi contre la provocation au meurtre, loi nécessairement vague et trop favorable, comme tout ce qui est vague, aux interprétations de la tyrannie, Buzot reproduisait son projet favori, et s'attirait, de la part de Danton, cette foudroyante réponse : La liberté ou la mort ![81]... Louvet, dans son journal, fulminait, sous prétexte d'égalité, contre la prépondérance de Paris, lui reprochait d'avoir été flétri par la présence des rois, voulait qu'on lui enlevât jusqu'à son titre de capitale, et qu'on détruisit l'aristocratie des villes, comme on avait détruit celle des hommes[82].

Et en même temps, pour la mettre à la raison, cette ville aristocratique, Paris ! les Girondins faisaient venir de province un si grand nombre d'hommes armés, que plusieurs sections, prises d'inquiétude, en écrivirent au ministre de la Guerre, qui s'empressa de répondre : Je n'ai appelé aucunes forces à Paris ; je ne connais aucune cause qui y rende leur séjour nécessaire ; et le premier ordre qu'elles recevront de moi, sera celui de leur départ[83]. Si c'est pour des actes de cette nature que madame Roland, dans ses Mémoires, a tant accusé Pache d'ingratitude, il faut convenir que cette ingratitude ressemblait fort au patriotisme !

Les Girondins, en de semblables circonstances, eurent-ils cette basse habileté d'attiser une émeute, pour justifier l'institution d'une garde et le déplacement de la Convention ? Les Jacobins le crurent ou feignirent de le croire, mais ils ne le prouvèrent pas ; et la Gironde a bien assez de ses torts réels, sans qu'on lui en attribue d'imaginaires. L'inévitable affaissement du crédit en temps de révolution, la suspension de beaucoup de travaux, la faillite inattendue de la Maison de Secours, la fuite de son gérant, le discrédit soudain des billets de cette caisse entre les mains d'une foule de pauvres gens et des marchandes de la Halle[84], un retard de trois jours apporté dans la paye des ouvriers du camp sous Paris[85], toutes ces circonstances, ou accidentelles, ou liées naturellement aux difficultés de la situation, expliquent de reste, et sans qu'il soit besoin de la rapporter à un calcul machiavélique, l'agitation populaire qui se manifesta pendant le mois d'octobre.

Mais à l'impulsion donnée par la Gironde, sinon à son action directe, on peut avec justice rapporter le fait scandaleux de ces fédérés qu'on vit, la veille même du jour où Robespierre devait présenter sa défense, quitter la table et le vin, pour s'en aller crier par les rues, d'une voix empruntée dit Prudhomme : A la guillotine Marat et Robespierre ! Vive Roland ![86]

Et, dans cet intervalle, rien de plus politique à la fois et de plus modéré que la conduite des Montagnards ; rien de plus frappant que le soin qu'ils mettent à conserver le calme dans Paris. Tantôt, c'est Santerre qui, de sa personne, accourt protéger le Temple, qu'on menace ; tantôt, ce sont les Commissaires de la Commune qui interviennent, revêtus de l'écharpe municipale, pour apaiser l'émotion produite dans Paris par la présence de treize émigrés, qu'on venait d'arrêter, et dont neuf furent condamnés à mort[87]. Un criminel ayant été exposé sur la place de Grève, et la foule, que des inconnus excitaient, ayant déchiré l'écriteau, ébranlé le poteau, jeté bas le tabouret, et emmené l'homme en triomphe, la Commune ordonna que la réparation de cette atteinte aux lois fût sévèrement poursuivie, ce qui n'empêcha pas Brissot de publier mensongèrement, le lendemain, que le Conseil général, sous les fenêtres duquel cet inconcevable attentat venait d'être commis, n'avait pris aucune mesure contre les coupables ![88] Au club des Jacobins, d'un autre côté, on parlait un langage qui n'était pas, à beaucoup près, celui de l'emportement. Dans la séance du 4 novembre, Legendre se félicitait de pouvoir comparer la promenade des dragons qui avaient demandé la tête de Robespierre à une goutte d'huile nageant sur une masse d'eau sans la troubler[89]. Dans la même séance, Saint-Just poussait ce cri, qui ne se retrouva plus sur ses lèvres : Quel gouvernement que celui qui plante l'arbre de la liberté sur l'échafaud ![90] Enfin, Robespierre jeune, en parlant du sort probablement réservé à son frère, prononçait ces paroles aussi habiles que touchantes : Au milieu des partis, l'innocence succombera ; et, peut-être veut-on par là opérer un mouvement dans Paris. Eh bien, citoyens de Paris, soyez calmes, laissez sacrifier Maximilien Robespierre. (Non ! non ! s'écrient les tribunes.) La perte d'un homme n'entraînera pas la perte de la Liberté[91].

Le jour où Robespierre devait être entendu arriva, jour solennel qu'attendaient avec une égale impatience ses amis et ses ennemis. La terrasse des Feuillants était couverte de patrouilles[92]. Lorsque, dans l'Assemblée, le président annonça que l'ordre du jour appelait la discussion sur la dénonciation de Louvet, de tels applaudissements partirent des tribunes, que le président fut obligé de leur imposer silence[93].

Robespierre, dans ses Lettres à ses commettants, venait de faire l'histoire de la calomnie pendant la Révolution : il commença par déclarer que c'était pour renverser le monstrueux édifice auquel la calomnie travaillait depuis plusieurs années, qu'il paraissait maintenant à la tribune. Loin de lui, du reste, les pensées de haine et de vengeance : il était temps de les bannir du sanctuaire des lois, et d'y rappeler les principes, la concorde[94].

A la suite de ce calme et conciliant exorde, abordant l'accusation : De quoi suis-je accusé ? s'écria-t-il. D'avoir conspiré pour parvenir à la dictature, ou au triumvirat, ou au tribunat ? L'opinion de mes adversaires ne me paraît pas bien fixée sur ces points. Traduisons toutes ces idées romaines un peu disparates par le mot de pouvoir suprême, que mon adversaire a employé ailleurs. On conviendra que, si un pareil projet était criminel, il était encore plus hardi ; car, pour l'exécuter, il fallait, non-seulement renverser le trône, mais anéantir la législature, et surtout empêcher qu'elle ne fût remplacée par une Convention nationale. Mais alors comment se fait-il que j'aie le premier, dans mes discours publics et dans mes écrits, appelé la Convention nationale comme le seul remède aux maux de la patrie ?... Il est vrai que cette proposition même fut taxée d'incendiaire par mes adversaires actuels ; mais bientôt la révolution du 10 août fit plus que la légitimer, elle la réalisa. Dirai-je que, pour arriver à la dictature, il ne suffisait pas de maîtriser Paris, qu'il fallait asservir les quatre-vingt-deux autres départements ? Où étaient mes trésors ? Où étaient mes armées ? Où étaient les grandes places dont j'étais pourvu ? Toute la puissance résidait précisément dans les mains de mes adversaires[95].

Louvet à son réquisitoire avait artificieusement mêlé le nom de Marat : Robespierre se contenta de raconter comment, dans l'unique visite qu'il eût jamais reçue de l'Ami du peuple, il lui avait reproché sa violence, au point de le laisser convaincu que lui, Robespierre, n'avait ni les vues ni l'audace d'un homme d'État[96].

Il se défendit d'avoir attaqué Priestley, savant étranger qui s'était pris d'un noble amour pour la Révolution française, et n'avait pas été sans en souffrir.

Relativement à ce despotisme d'opinion qu'on lui reprochait d'avoir exercé sur le club des Jacobins, il avoua ne point comprendre ce que signifiait le despotisme d'opinion dans une société d'hommes libres, à moins qu'on n'entendît par là l'empire naturel des principes. Or, cet empire n'est point personnel à tel homme qui les énonce ; il appartient à la raison universelle, et à tous ceux qui veulent écouter sa voix. Au surplus, il avait si peu cherché à abuser de la faveur dont le club des Jacobins l'honorait, que, depuis le 10 août, il n'y avait point paru plus de dix fois.

Quant à l'approbation dont on lui faisait un crime, est-ce que d'aventure il l'avait obtenue, à force de, prodiguer les trésors... qu'il n'avait pas ? De quel droit, dit-il à ce sujet, feriez-vous servir la Convention à venger les disgrâces de votre amour-propre ou de votre système ? Soyez au moins aussi généreux qu'un roi, imitez Louis XII, et que le législateur oublie les injures de M. Louvet.

Prenant alors un à un tous les faits articulés contre lui, il fit ressortir avec finesse ce que les uns avaient de puéril, et avec autorité ce que les autres avaient de mensonger. Il s'étonna que la nécessité où il s'était vu de diriger ses pas vers le bureau de l'Hôtel de Ville pour faire vérifier ses pouvoirs comme officier municipal, fût au nombre de ses forfaits. Il prouva, par le témoignage que ne purent lui refuser, sur l'heure même, plusieurs membres siégeant dans l'Assemblée, que la menace de sonner le tocsin contre la Législative avait été, non proférée, mais, tout au contraire, blâmée par lui. Il flétrit de l'épithète d'atroce le rapprochement qui le supposait dénonçant le complot de Brunswick, dans le but de conduire jusqu'au cœur de ses ennemis le couteau des septembriseurs, et il déclara, ce qui était vrai[97], qu'au moment où il dénonça ce que plusieurs de ses collègues avant lui avaient signalé comme une trame dangereuse, il ne pouvait prévoir les circonstances subites, extraordinaires, qui amenèrent le massacre.

Louvet avait rejeté, concentré sur lui la responsabilité de tous les actes arbitraires ou violents imputés, soit à la Commune en général, soit au Comité de surveillance en particulier : Robespierre affirma, — et mille voix eussent pu le démentir s'il n'eût pas dit la vérité : — Qu'il n'avait jamais été chargé d'aucune espèce de commission, ne s'était mêlé d'aucune opération particulière, n'avait jamais présidé un seul instant la Commune, ni eu la moindre relation avec le Comité de surveillance.

Là-dessus, on aurait pu croire qu'il désavouait ses collègues et le pouvoir orageux dont il avait fait partie : loin de là ; avec un admirable mélange de modestie, d'émotion et de grandeur, il prit la défense de cette Commune si ardemment attaquée et poursuivie. Ce qu'il dit à cet égard, et le passage de son discours relatif aux 2 et 3 septembre, valent qu'on les cite textuellement à cause de leur importance historique, et parce qu'ils méritent une place dans les fastes de l'éloquence :

Je m'honore d'avoir ici à défendre la cause de la Commune et la mienne... Mais non : je n'ai qu'à me réjouir de ce qu'un grand nombre de citoyens ont mieux servi la chose publique que moi. Je ne veux point prétendre à une gloire qui ne m'appartient pas. Je ne fus nommé que dans la journée du 10 ; mais ceux qui, plus tôt choisis, étaient déjà réunis à la Maison Commune dans la nuit redoutable, ceux-là sont véritablement les héros de la Liberté...

J'ai vu à cette barre des citoyens... dénoncer emphatiquement la conduite du Conseil de la Commune de Paris ; Des arrestations illégales ? Est-ce donc le code criminel à la main, qu'il faut apprécier les précautions salutaires qu'exige le salut public dans les temps de crise amené par l'impuissance même des lois ? Que ne nous reprochez-vous aussi d'avoir brisé illégalement les plumes mercenaires, dont le métier était de propager l'imposture et de blasphémer contre la liberté ? Que n'instituez-vous une Commission pour recueillir les plaintes des écrivains aristocratiques et royalistes ? Que ne nous reprochez-vous d'avoir consigné tous les conspirateurs aux portes de cette grande cité ? Que ne nous reprochez-vous d'avoir désarmé les citoyens suspects ; d'avoir écarté de nos assemblées, où nous délibérions sur le salut public, les ennemis reconnus de la Révolution ? Que ne faites-vous le procès à la fois, et à la municipalité, et à l'Assemblée électorale, et aux sections de Paris, et aux assemblées primaires même des cantons, et à tous ceux qui nous ont imités ; car toutes ces choses-là étaient illégales, aussi illégales que la Révolution, que la chute du trône et de la Bastille, aussi illégales que la liberté elle-même ?

Quelle idée s'est-on donc formée de la dernière Révolution ? La chute du trône paraissait-elle si facile avant le succès ? Ne s'agissait-il que de faire un coup de main aux Tuileries ? ne fallait-il pas anéantir, dans toute la France, le parti des tyrans, et par conséquent communiquer à tous les départements la commotion salutaire qui venait d'électriser Paris ? Et comment ce soin pouvait-il ne pas regarder ces mêmes magistrats qui avaient appelé le peuple à l'insurrection ? Il s'agissait du salut public ; il y allait de leurs têtes, et on leur a fait un crime d'avoir envoyé des commissaires aux autres Communes pour les engager à avouer, à consolider leur ouvrage ! Que dis-je ? la calomnie a poursuivi ces Commissaires eux-mêmes ! Quelques-uns ont été jetés dans les fers. Le feuillantisme et l'ignorance ont calculé le degré de chaleur de leur style ; ils ont mesuré toutes leurs démarches avec le compas constitutionnel pour trouver le prétexte de travestir les missionnaires de la Révolution en incendiaires, en ennemis de l'ordre public. A peine les circonstances qui avaient enchaîné les ennemis du peuple ont-elles cessé, les mêmes corps administratifs, tous les hommes qui conspiraient contre lui sont venus les calomnier devant la Convention nationale elle-même. Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? Quel est cet esprit de persécution qui est venu réviser, pour ainsi dire, celle qui a brisé nos fers ; mais comment peut-on soumettre à un jugement certain les effets que peuvent entraîner ces grandes commotions ? Qui peut, après coup, marquer le point précis où devaient se briser les flots de l'insurrection populaire ? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme ? Car s'il est vrai qu'une grande nation ne peut se lever par un mouvement simultané, et que la tyrannie ne peut être frappée que par la portion des citoyens qui est plus près d'elle, comment ceux-ci oseront-ils l'attaquer, si après la victoire les délégués, venant des parties éloignées de l'État, peuvent les rendre responsables de la durée ou de la violence de la tourmente politique qui a sauvé la patrie ? Ils doivent être regardés comme fondés de procuration tacite pour la société tout entière. Les Français, amis de la liberté, réunis à Paris au mois d'août dernier, ont agi à ce titre au nom de tous les départements ; il faut les approuver ou les désavouer tout à fait. Leur faire un crime de quelques désordres apparents ou réels, inséparables d'une grande secousse, ce serait les punir de leur dévouement ; ils auraient droit de dire à leurs juges : Si vous désavouez les moyens que nous avons employés pour vaincre, laissez-nous les fruits de la victoire. Reprenez votre Constitution et toutes vos lois anciennes, mais restituez-nous le prix de nos sacrifices et de nos combats ; rendez-nous nos concitoyens, nos frères, nos enfants, qui sont morts pour la cause commune. Citoyens, le peuple qui vous a envoyés a tout ratifié. Votre présence ici en est la preuve ; il ne vous a pas chargés de porter l'œil sévère de l'inquisition sur les faits qui tiennent à l'insurrection, mais de cimenter par des lois justes la liberté qu'elle lui a rendue. L'univers, la postérité ne verra dans ces événements que leur cause sacrée et leur sublime résultat ; vous devez les voir comme elle, vous devez les juger, non en juges de paix, mais en hommes d'État, et en législateurs du monde. Et ne pensez pas que j'aie invoqué ces principes éternels parce que nous avons besoin de couvrir d'un voile quelques actions répréhensibles. Non, nous n'avons point failli, j'en jure par le trône renversé et par la République qui s'élève.

On vous a parlé bien souvent des événements du 2 septembre ; c'est le sujet auquel j'étais le plus impatient d'arriver, et je le traiterai d'une manière absolument désintéressée.

J'ai observé qu'arrivé à cette partie de son discours, M. Louvet lui-même a généralisé d'une manière très-vague l'accusation dirigée auparavant contre moi personnellement ; il n'en est pas moins certain que la calomnie a travaillé dans l'ombre. Ceux qui ont dit que j'avais eu la moindre part aux événements dont je parle, sont des hommes ou excessivement crédules ou excessivement pervers. Quant à l'homme qui, comptant sur le succès de la diffamation dont il avait d'avance arrangé tout le plan, a cru pouvoir alors imprimer impunément que je les avais dirigés, je me contenterais de l'abandonner au remords, si le remords ne supposait une âme. Je dirai, pour ceux que l'imposture a pu égarer, qu'avant l'époque où ces événements sont arrivés, j'avais cessé de fréquenter le Conseil général de la Commune ; l'Assemblée électorale, dont j'étais membre, avait commencé ses séances ; que je n'ai appris ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et plus tard par la plus grande partie des citoyens, car j'étais habituellement chez moi ou dans les lieux où mes fonctions publiques m'appelaient. Quant au Conseil général de la Commune, il est certain, aux yeux de tout homme impartial, que, loin de provoquer les événements du 2 septembre, il a fait ce qui était en son pouvoir pour les empêcher. Pour se former une idée juste de ces faits, il faut chercher la vérité, non dans les écrits ou dans les discours calomnieux qui les ont dénaturés, mais dans l'histoire de la dernière Révolution.

Si vous avez pensé que le mouvement imprimé aux esprits par l'insurrection du mois d'août était entièrement expiré au commencement de septembre, vous vous êtes trompés, et ceux qui ont cherché à vous persuader qu'il n'y avait aucune analogie entre l'une et l'autre de ces deux époques, ont feint de ne connaître ni les faits ni le cœur humain.

La journée du 10 août avait été signalée par un grand combat dont beaucoup de patriotes et beaucoup de soldats suisses avaient été les victimes. Les plus grands conspirateurs furent dérobés à la colère du peuple victorieux qui avait consenti à les remettre entre les mains d'un nouveau tribunal ; mais le peuple était déterminé à exiger leur punition. Cependant, après avoir condamné trois ou quatre coupables subalternes, le tribunal criminel se reposa. Montmorin avait été absous ; Depoix et plusieurs conspirateurs de cette importance avaient été frauduleusement mis en liberté ; de grandes prévarications en ce genre avaient transpiré, et de nouvelles preuves de la conspiration de la cour se développaient chaque jour ; presque tous les patriotes qui avaient été blessés au château des Tuileries mouraient dans les bras de leurs frères parisiens ; on déposa sur le bureau de la Commune des balles mâchées, extraites du corps de plusieurs Marseillais et de plusieurs autres fédérés ; l'indignation était dans tous les cœurs. Cependant une cause nouvelle et beaucoup plus imposante acheva de porter la fermentation à son comble. Un grand nombre de citoyens avaient pensé que la journée du 10 rompait les fils des conspirations royales ; ils regardaient la guerre comme terminée, quand tout à coup la nouvelle se répand dans Paris que Longwy a été livré, que Verdun a été livré, et qu'à la tête d'une armée de cent mille hommes, Brunswick s'avance vers Paris. Aucune place forte ne nous séparait des ennemis ; notre armée, divisée, presque détruite par les trahisons de Lafayette, manquait de tout. Il fallait songer à la fois à trouver des armes, des effets de campement, des vivres et des hommes. Le Conseil exécutif ne dissimulait ni ses craintes, ni son embarras ; le danger était grand ; il paraissait plus grand encore. Danton se présente à l'Assemblée législative, lui peint vivement les périls et les ressources, la porte à prendre quelques mesures vigoureuses, et donne une grande impulsion à l'opinion publique ; il se rend à la maison commune et invite la municipalité à faire sonner le tocsin ; le Conseil général de la Commune sent que la patrie ne peut être sauvée que par les prodiges que l'enthousiasme de la liberté peut seul enfanter, et qu'il faut que Paris tout entier s'ébranle pour courir au-devant des Prussiens ; il fait sonner le tocsin pour avertir tous les citoyens de courir aux armes ; il leur en procure par tous les moyens qui sont en son pouvoir ; le canon d'alarme tonnait en même temps ; en un instant quarante mille hommes sont armés, équipés, rassemblés, et marchent vers Châlons. Au milieu de ce mouvement universel, l'approche des ennemis étrangers réveille le sentiment d'indignation et de vengeance qui couvait dans les cœurs contre les traîtres qui les avaient appelés. Avant d'abandonner leurs foyers, leurs femmes et leurs enfants, les citoyens, les vainqueurs des Tuileries, veulent la punition des conspirateurs, qui leur avait été promise ; on court aux prisons. Les magistrats pouvaient-ils arrêter le peuple ? car c'était un mouvement populaire, et non, comme on l'a ridiculement supposé, la sédition partielle de quelques scélérats payés pour assassiner leurs semblables ; et s'il n'en eût pas été ainsi, comment le peuple ne l'aurait-il pas empêché ? comment la garde nationale, comment les fédérés, n'auraient-ils fait aucun mouvement pour s'y opposer ? Les fédérés eux-mêmes étaient là en grand nombre. On connaît les vaines réquisitions du commandant de la garde nationale ; on connaît les vains efforts des commissaires de l'Assemblée législative qui furent envoyés aux prisons.

J'ai entendu quelques personnes me dire froidement que la municipalité devait proclamer la loi martiale. La loi martiale à l'approche de l'ennemi ! la loi martiale après la journée du 10 ! la loi martiale pour les complices du tyran détrôné contre le peuple ! Que pouvaient les magistrats contre la volonté déterminée d'un peuple indigné, qui opposait à leurs discours et le souvenir de sa victoire et le dévouement avec lequel il allait se précipiter au-devant des Prussiens, et qui reprochait aux lois mêmes la longue impunité des traîtres qui déchiraient le sein de la patrie ? Ne pouvant les déterminer à se reposer sur les tribunaux du soin de leur punition, les officiers municipaux les engagèrent à suivre des formes nécessaires dont le but était de ne pas confondre, avec les coupables qu'ils voulaient punir, les citoyens détenus pour des causes étrangères à la conspiration du 10 août, et ce sont les officiers municipaux qui ont exercé ce ministère, le seul service que les circonstances permettaient de rendre à l'humanité, qu'on vous a présentés comme des brigands sanguinaires !

Le zèle le plus ardent pour l'exécution des lois ne peut justifier ni l'exagération, ni la calomnie ; or, je pourrais citer ici, contre les déclamations de M. Louvet, un témoignage non suspect ; c'est celui du ministre de l'Intérieur qui, en blâmant les exécutions populaires en général, n'a pas craint de parler de l'esprit de prudence et de justice que le peuple (c'est son expression) avait montré dans cette conduite illégale ; que dis-je ? je pourrais citer, en faveur du Conseil général de la Commune, M. Louvet lui-même, qui commençait l'une de ses affiches de la Sentinelle par ces mots : Honneur au Conseil général de la Commune, il a fait sonner le tocsin, il a sauvé la patrie ! C'était alors le temps des élections.

On assure qu'un innocent a péri, on s'est plu à en exagérer le nombre ; mais un seul, c'est beaucoup trop, sans doute ; citoyens, pleurez cette méprise cruelle ; nous l'avons pleurée dès longtemps : c'était un bon citoyen, c'était donc l'un de nos amis. Pleurez même les victimes coupables réservées à la vengeance des lois, qui sont tombées sous le glaive de la justice populaire ; mais que votre douleur ait un terme comme toutes les choses humaines.

Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent mille patriotes immolés par la tyrannie ; pleurez nos citoyens expirants sous leurs toits embrasés, et les fils de citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leurs mères. N'avez-vous pas aussi des frères, des enfants, des épouses à venger ? La famille des législateurs français, c'est la patrie, c'est le genre humain tout entier, moins les tyrans et leurs complices. Pleurez donc, pleurez l'humanité abattue sous leur joug odieux. Mais consolez-vous, si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez assurer le bonheur de votre pays et préparer celui du monde. Consolez-vous, si vous voulez rappeler sur la terre l'égalité et la justice exilées, et tarir, par des lois justes, la source des crimes et des malheurs de vos semblables.

La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté, m'est suspecte. Cessez d'agiter sous mes yeux la robe sanglante du tyran, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers[98].

 

Pendant que Robespierre parlait ainsi, la droite, si prompte d'ordinaire à le poursuivre de ses clameurs, se sentait comme subjuguée. Immobile, attentive, et, en dépit d'elle-même vivement émue, elle écoutait dans un profond silence. Tant d'éloquence, tant de raison, ce grand plaidoyer où l'orateur s'effaçait si complètement pour ne songer qu'à la Révolution mise en cause, cette affirmation de la solidarité humaine, cette appréciation des événements où l'énergie du révolutionnaire éclatait associée aux vues de l'homme d'État, les immenses services de la Commune du 10 août, rappelés si heureusement, les massacres de septembre déplorés, la responsabilité personnelle de ces massacres repoussée bien loin avec indignation, mais dans un récit qui faisait revivre le souvenir de toutes les circonstances fatales d'où était née la démence populaire, de manière à empêcher qu'elle ne déshonorât aux yeux de l'Europe le berceau de la République..., tout cela élevait les esprits au-dessus des pitoyables querelles d'influence et d'amour-propre où s'était laissé égarer le génie de la Gironde. Les hommes les plus sages de ce parti, Vergniaud, Condorcet, Gensonné, comprirent qu'un ordre du jour[99] était désormais le seul remède à la faute commise. Et cependant, quelle véhémence hautaine dans la péroraison de Robespierre, et quelle générosité dédaigneuse !

....... Parlerai-je de cette lettre prétendue, timidement et j'ose dire très-gauchement présentée à votre curiosité ? Une lettre énigmatique adressée à un tiers ! des brigands anonymes ! des assassins anonymes !... et, au milieu de ces nuages, ce mot jeté comme au hasard : ils ne veulent entendre parler que de Robespierre... Des réticences, des mystères dans des affaires aussi graves, et en s'adressant à la Convention nationale ! Le tout attaché à un rapport bien astucieux, après tant de libelles, tant d'affiches, tant de pamphlets, tant de journaux de toutes les espèces, distribués à si grands frais et de toutes les manières, dans tous les coins de la république... Ô homme vertueux ! homme exclusivement, éternellement vertueux ! où vouliez-vous donc aller par ces routes ténébreuses ? Vous avez essayé l'opinion... Vous vous êtes arrêté épouvanté, vous avez bien fait ; la nature ne vous a pas moulé, ni pour de grandes actions, ni pour de grands attentats... Je m'arrête ici moi-même, par égard pour vous... Vous ne connaissez pas l'abominable histoire de l'homme à la missive énigmatique ; cherchez-la, si vous en avez le courage, dans les monuments de la police. Vous saurez un jour quel prix vous devez attacher à la modération de l'ennemi que vous vouliez perdre. Et croyez-vous que si je voulais m'abaisser à de pareilles plaintes, il me serait difficile de vous présenter des dénonciations un peu plus précises et mieux appuyées ? Je les ai dédaignées jusqu'ici. Je sais qu'il y a loin du dessein profondément conçu de commettre un grand crime à certaines velléités, à certaines menaces de mes ennemis, dont j'aurais pu faire beaucoup de bruit. D'ailleurs, je n'ai jamais cru au courage des méchants. Mais réfléchissez sur vous-même, et voyez avec quelle maladresse vous vous embarrassez vous-même dans vos propres pièges. Vous vous tourmentez depuis longtemps pour arracher à l'Assemblée une loi contre les provocateurs au meurtre : qu'elle soit portée ; quelle est la première victime qu'elle doit frapper ? N'est-ce pas vous qui avez dit calomnieusement, ridiculement, que j'aspirais à la tyrannie ? N'avez-vous pas juré par Brutus d'assassiner les tyrans ? Vous voilà donc convaincu, par votre propre aveu, d'avoir provoqué tous les citoyens à m'assassiner. N'ai-je pas déjà entendu, de cette tribune même, des cris de fureur répondre à vos exhortations ? Et ces promenades de gens armés, qui bravent au milieu de nous l'autorité des lois et des magistrats ! et ces cris qui demandent les têtes de quelques représentants du peuple, qui mêlent à des imprécations contre moi, vos louanges et l'apologie de Louis XVI ! Qui les a appelés ? qui les égare ? qui les excite ? Et vous parlez de lois, de vertu, d'agitateurs !...

Mais sortons de ce cercle d'infamies que vous nous avez fait parcourir, et arrivons à la conclusion de votre libelle.

Indépendamment de ce décret sur la force armée, que vous cherchez à extorquer par tant de moyens, indépendamment de cette loi tyrannique contre la liberté individuelle et contre celle de la presse, que vous déguisez sous le spécieux prétexte de la provocation au meurtre, vous demandez pour le ministre une espèce de dictature militaire, vous demandez une loi de proscription contre les citoyens qui vous déplaisent, sous le nom d'ostracisme. Ainsi vous ne rougissez plus d'avouer ouvertement le motif honteux de tant d'impostures et de machinations ; ainsi vous ne parlez de dictature que pour l'exercer vous-même sans aucun frein ; ainsi vous ne parlez de proscriptions et de tyrannie, que pour proscrire et pour tyranniser ; ainsi vous avez pensé que, pour faire de la Convention nationale l'aveugle instrument de vos coupables desseins, il vous suffirait de prononcer devant elle un roman bien astucieux, de lui proposer de décréter, sans désemparer, la perte de la liberté et son propre déshonneur ! Que me reste-t-il à dire contre des accusateurs qui s'accusent eux-mêmes ?... Ensevelissons, s'il est possible, ces méprisables manœuvres dans un éternel oubli. Puissions-nous dérober aux regards de la postérité ces jours peu glorieux de notre histoire où les représentants du peuple, égarés par de lâches intrigues, ont paru oublier les grandes destinées auxquelles ils étaient appelés ! Pour moi, je ne prendrai aucunes conclusions qui me soient personnelles ; j'ai renoncé au facile avantage de répondre aux calomnies de mes adversaires par des dénonciations plus redoutables. J'ai voulu supprimer la partie offensive de ma justification. Je renonce à la juste vengeance que j'aurais le droit de poursuivre contre mes calomniateurs ; je n'en demande point d'autre que le retour de la paix et le triomphe de la liberté. Citoyens, parcourez d'un pas ferme et rapide votre superbe carrière. Et puissé-je, aux. dépens de ma vie et de ma réputation même, concourir avec vous à la gloire et au bonheur de notre commune patrie ![100]

 

L'effet de ce discours fut prodigieux. Les tribunes l'avaient à diverses reprises interrompu par des transports que le président ne put réprimer[101]. Robespierre quitta la tribune au milieu de ce bruit d'applaudissements dont, il y avait huit jours à peine, Louvet s'était enivré.

Ce dernier veut répondre, mais le cri l'ordre du jour ! étouffe sa voix. Barbaroux, frémissant, demande, au milieu du tumulte, à dénoncer encore Robespierre ; il déclare qu'il signera sa dénonciation, qu'il la gravera sur le marbre ; il annonce que, si on refuse de l'entendre, il est décidé à descendre à la barre, et il y descend. A ce spectacle, l'agitation redouble ; les uns font un mouvement de surprise, d'autres murmurent, quelques-uns rient. Quoi ! se transformer soi-même en accusé devant l'Assemblée dont on est membre, et cela dans l'emportement d'un puéril dépit ! avilir à ce point le caractère de représentant du peuple ! Barbaroux, soutenu par Lanjuinais, mais généralement blâmé, abandonne enfin la barre[102].

Déjà Barère occupait la tribune, Barère, personnage équivoque, qui jusqu'alors s'était caché dans le centre[103] pour observer de là les oscillations des partis, et se ranger du côté de la fortune. En cette circonstance, la peur ne l'ayant pas encore rendu Montagnard[104], il vit, par une intuition rapide, que l'Assemblée devait être tout entière à deux sentiments : le désir de mettre fin aux querelles de personnes, et la crainte que le résultat de ces querelles, follement suscitées par la Gironde, n'eût été de trop grandir Robespierre. Ce fut pour répondre à cette double préoccupation, et non, comme on l'a si bizarrement supposé, pour sauver Robespierre en l'insultant[105], qu'il s'exprima en ces termes :

Citoyens, s'il existait dans la République un homme né avec le génie de César, ou l'audace de Cromwell ; un homme qui, avec le talent de Sylla, en aurait les dangereux moyens, je viendrais avec courage l'accuser devant vous ; un tel homme pourrait être dangereux à la liberté. Mais des hommes d'un jour, de petits entrepreneurs de révolutions, des politiques qui n'entreront jamais dans le domaine de l'histoire, ne sont pas faits pour occuper le temps précieux que vous devez aux travaux dont le peuple vous a chargés. Qu'un grand général, par exemple, ivre de ses succès, le front ceint de lauriers, et revenant au milieu de nous avec une armée victorieuse, paraisse à la barre, ainsi que l'a fait le perfide Lafayette, pour commander aux législateurs ou insulter aux droits du peuple, il faudrait sans doute appeler la sévérité des lois sur cette tête coupable ; mais que vous fassiez ce terrible honneur à ceux dont les couronnes sont mêlées de cyprès, voilà ce que je ne puis concevoir. Terminons enfin ces duels politiques, ces combats singuliers de la vanité et de la haine. Je vous rappelle aux grands intérêts de la patrie, et je demande que l'Assemblée motive ainsi son décret : La Convention nationale, considérant qu'elle ne doit s'occuper que des intérêts de la République, passe à l'ordre du jour[106].

 

Prise en elle-même, une pareille rédaction n'avait rien d'offensant, mais elle empruntait aux développements donnés par Barère un caractère d'insulte : Je ne veux pas de votre ordre du jour, dit fièrement Robespierre, si vous mettez un préambule qui m'est injurieux[107]. Et l'Assemblée, en votant l'ordre du jour pur et simple, consacra le triomphe de Robespierre.

Louvet sortit de la séance, abattu, découragé, se plaignant d'avoir été abandonné par ses amis, leur reprochant comme une faute énorme d'avoir laissé jouir Robespierre de L'IMPUNITÉ PHYSIQUE ; et, rentré dans sa maison, il dit à sa chère Lodoïska : Il faut de loin nous tenir prêts à l'échafaud ou à l'exil[108].

A leur tour, les admirateurs fanatiques de Robespierre, en lui voyant des ennemis aussi farouches, commencèrent à trembler pour lui ; si bien que, dès ce moment, il se trouva avoir des satellites, inconnus à tous, inconnus à lui-même. De ce nombre était un nommé Nicolas, homme d'une force peu commune et plein de courage. Chaque jour, à l'heure où Robespierre devait se rendre à la Convention, Nicolas allait l'attendre dans la rue Saint-Honoré, l'accompagnait de loin, armé d'un gros bâton, et veillait de même sur son retour, attentif, inquiet, inaperçu, et ne songeant qu'à la patrie, dans cet acte quotidien de dévouement, que celui qui en était l'objet ignora toute sa vie[109].

Les Montagnards célébrèrent fort la victoire de Robespierre ; aux Jacobins la joie tint du délire ; Garnier compara Barbaroux descendant à la barre au reptile évitant les regards de l'aigle[110].

Malheureusement, il advint alors ce qui ne se voit que trop souvent dans les troubles politiques, où il suffit qu'un des deux partis affiche une opinion, pour qu'aussitôt l'autre se croie obligé de professer l'opinion contraire. Les massacres de septembre n'étaient pas plus l'œuvre politique de la Montagne que celle de la Gironde, et la Gironde était aussi coupable que la Montagne de n'avoir pas tout mis en œuvre pour arrêter ce funeste accès de rage populaire ; mais, par cela seul qu'après coup les Girondins s'étaient mis à tonner contre septembre, il y eut des Montagnards qui se firent gloire de l'approuver : guerre impie engagée sur des cadavres ! C'est ainsi qu'aux Jacobins, soir du 5 novembre, Manuel s'étant élevé avec beaucoup de courage contre une journée , dit-il, un peuple méchant comme un roi avait voulu faire une Saint-Barthélemy[111], Collot-d'Herbois osa prétendre que sans cette journée, la Révolution ne se serait jamais accomplie.

C'était un vrai blasphème lancé contre la Révolution, qu'une pareille phrase ; et il y avait certes loin de là ail langage tenu par Robespierre. Mais, à ces lamentable. exagérations, celui-ci put juger du tort qu'il avait eu, en appréciant les 2 et 3 septembre, d'insister sur la question de la fatalité plus que sur celle de la justice ! car, ce qu'il avait cherché à expliquer seulement, voici que d'autres en venaient à le justifier... Et, parmi ces derniers, fut Barère, qui se vanta d'avoir, sur le massacre effectué dans les prisons, une opinion aussi politique et aussi révolutionnaire que celle de Collot-d'Herbois[112]. Il espérait ainsi, le malheureux, se faire pardonner par les frénétiques le trait dont il avait, quelques heures auparavant, percé l'orgueil de Robespierre !

Pétion avait préparé un discours pour la séance du 5 novembre : l'impatience de l'Assemblée l'ayant empêché de le prononcer, il le publia. Il y racontait, de manière à écarter de lui autant que possible la responsabilité des excès, l'histoire du 20 juin, du 10 août, des 2 et 3 septembre ; il y faisait l'éloge de Brissot, il y parlait de Marat comme d'un être qui, ridicule s'il n'eût été féroce, avait poussé la folie jusqu'à désirer pour lui-même ce pouvoir tyrannique qu'on lui imputait d'avoir désiré pour un autre[113]. Quant à Robespierre, Pétion le peignait soupçonneux et néanmoins incapable de pardonner le plus léger soupçon, trop prompt à vanter ses services, ne pouvant souffrir la contrariété, affamé d'applaudissements, et courant après les faveurs du peuple. Or, c'était là, selon Pétion, ce qui avait pu faire croire qu'il aspirait à la dictature, quoique tel n'eût été jamais l'objet de son ambition[114].

Cette censure inattendue affligea vivement Robespierre. Comment, Pétion, lui aussi, tout en ayant l'air de l'absoudre, se tournait contre lui ; Pétion, si longtemps le compagnon de ses combats, l'associé de ses périls, l'émule de sa popularité !

Quelle est, lui répondit-il, mon cher Pétion, l'instabilité des choses humaines, puisque vous, naguère mon frère d'armes et le plus paisible des hommes, vous vous déclarez subitement le plus ardent de mes accusateurs ?[115] Il lui reprochait ensuite, sans amertume et même avec une certaine grâce qu'on ne trouve pas dans ses autres écrits, d'avoir mis le pied dans un camp qui ne peut être le sien. A vos nouveaux amis, les Girondins, vous avez sacrifié votre gloire : plaise au ciel que vous réserviez au moins votre vertu ![116] Il terminait par ces belles paroles : Ceux que la nature a faits grands peuvent seuls aimer l'égalité. Il faut aux autres des échasses ou des chars de triomphe, et, dès qu'ils en descendent, ils croient entrer dans le tombeau. Tel homme paraissait républicain avant la République, qui cesse de l'être lorsqu'elle existe. Il voulait abaisser ce qui était au-dessus de lui ; mais il ne veut pas descendre du point où il était lui-même élevé. Il aime les révolutions dont il est lui-même le héros. Il ne voit qu'anarchie et désordre où il ne gouverne pas. Le peuple est révolté, s'il a vaincu sans lui... Dépouillons-nous, mon cher Pétion, de ces faiblesses honteuses. Ne ressemblons point à ce tyran qui voulait réduire la taille d'un homme à une mesure déterminée. N'exigeons pas que la fortune fasse tous les frais de notre mérite. Contentons-nous des destinées que la nature nous a faites, et permettons que celles de l'humanité s'accomplissent[117].

Telle fut cette lutte mémorable, et vraiment navrante. Nous l'avons racontée avec détails, parce que les suites en furent, nous le verrons, incalculables, affreuses. Garat dit dans ses Mémoires, en rappelant un entretien qu'il eut un jour avec le Girondin Salles : Je suis bon, moi, et aussi bon, à coup sûr, qu'aucun d'entre vous ; mais quand, au lieu de réfuter mes opinions avec de la logique et de la bienveillance, on les repousse avec soupçon et injure, je suis prêt à laisser là le raisonnement, et à regarder si mes pistolets sont bien chargés 2[118]. Hélas, tout ce qu'il y eut de sombre dans la dernière partie de la vie de Robespierre, est expliqué par ces quelques mots.

Lorsque les Girondins lui déclarèrent une guerre si acharnée, rien de plus calmant que la vie qu'il menait chez Duplay. Le menuisier et sa femme l'entouraient d'un respect qu'adoucissait la tendresse. Des quatre filles de Duplay, les trois plus jeunes, Henriette, Élisabeth et Sophie, l'aimaient comme le pacificateur des légères brouilles du ménage, comme leur souriant protecteur, comme leur avocat au tribunal d'une mère, quelquefois un peu grondeuse[119]. Quant à la sœur aînée, Éléonore, elle éprouvait pour Robespierre un sentiment plus voilé parce qu'il était plus profond et plus tendre, mêlé de trouble... Et lui, de son côté, il ne regardait jamais Éléonore sans songer, avec une émotion chaste et grave, que les parents bénissaient, au bonheur d'en faire sa compagne... un jour, bientôt peut-être, qui pouvait savoir ? quand son horizon se serait éclairci, et que la Révolution aurait cessé de le vouloir tout entier. Ce n'est pas que cette vie de douce intimité n'eût eu ses agitations accidentelles, et que même sur ce petit coin de ciel bleu un nuage n'eût passé. Charlotte Robespierre n'avait pu voir sans une aigreur jalouse le cœur de son frère se partager entre elle et des étrangers[120]. Elle se défendait d'aimer Éléonore, parce qu'un autre l'aimait trop, et à madame Duplay elle reprochait de mener Robespierre à son gré. Car, il est à remarquer que ce que Charlotte avait de la peine à pardonner au roide tribun, c'était de se laisser gouverner comme un enfant dans les choses de l'intérieur, de céder toujours à ceux qui l'aimaient, et de préférer au risque de les chagriner l'inconvénient de leur obéir[121]. De là, entre madame Duplay et Charlotte Robespierre une sorte de duel, qui d'abord sembla tourner à l'avantage de celle-ci, puisque, dans les premiers mois de 1792, elle était parvenue à arracher son frère aux Duplay, et à l'amener demeurer avec elle rue Saint-Florentin[122]. Mais, loin de sa famille adoptive, Robespierre ne put vivre longtemps : la mélancolie le gagna, et sa santé alla déclinant d'une manière sensible. A cette nouvelle, madame Duplay accourt, ainsi qu'une lionne irritée, éclate en imprécations, déclare que le malade appartient à ses soins, le réclame, le reprend de haute lutte[123]. Si on redoubla d'empressement autour de lui, est-il besoin de le dire ? Il se trouvait donc, quand Louvet l'attaqua, rendu à une vie de perspectives attirantes et, pour ainsi parler, d'apaisement.

Mais voilà que soudain une preuve lui est fournie, preuve éclatante et certaine, qu'on a juré sa ruine, que ses ennemis sont décidés à le poursuivre jusqu'à la mort, que rien ne les désarmera, que son patriotisme même et sa vertu, en ajoutant à sa popularité, ne serviront qu'à enflammer leur fureur. On devine l'effet de tant d'acharnement, de tant d'injustice, sur une nature droite, austère, mais orgueilleuse et concentrée !

Aussi, à partir de ce moment, l'humeur de Robespierre, — de ce Robespierre qu'on avait surnommé l'Immuable, et qui effectivement, sous le rapport des principes, du dévouement au peuple, resta immuable jusqu'au bout, — subit par degrés une altération que chacun remarqua, et qui ne tarda point à paraître sur son visage. Le tic nerveux auquel il était sujet se prononça de plus en plus ; son sourire devint un effort ; ses préoccupations intérieures se révélèrent chaque jour davantage dans l'inquiétude croissante de son regard, et à la douceur naturelle de sa physionomie s'associa insensiblement cette amertume qui, vers la fin, lui imprima quelque chose de sinistre[124]. Et en effet, son esprit, déjà ouvert aux noires visions, s'enfonça peu à peu dans la région des fantômes. Il crut apercevoir partout des conspirateurs et des traîtres. Doublement égaré par l'admiration excessive de ses séides et l'excessive animosité de ses ennemis, il en vint à s'identifier au peuple, à force d'orgueil, après s'être identifié au peuple, à force de conviction ; et une fois sur cette pente dangereuse, devenu aussi implacable envers ses ennemis qu'ils s'étaient montrés implacables envers lui-même, il les poursuivit avec une haine d'autant plus terrible, qu'il la jugea désintéressée, s'imaginant que c'était la patrie, la République, le peuple, qu'ils avaient voulu tuer dans sa personne, et ne s'apercevant pas jusqu'à quel point il devenait injuste à son tour ! Oh ! combien déliés, combien imperceptibles sont les sophismes que, pour se tromper, le cœur humain porte cachés dans ses replis ! Ce fut en toute conscience, sérieusement, que Robespierre arriva à se persuader... quoi ? Que les Girondins entendaient laisser à la tyrannie les moyens de se relever ; que leur répugnance à verser le sang du roi venait de là ; qu'ils conspiraient avec l'Europe ; qu'ils avaient formé le projet de se séparer de la France pour se réunir à l'Angleterre[125]. C'était toucher aux dernières limites de l'absurde.

Et ce qui est triste à dire, c'est que pendant ce temps, non moins absurdes et non moins convaincus, les Girondins attribuaient aux Montagnards, Robespierre en tête, le dessein formel d'élever sur les cadavres des vrais républicains un trône où l'assassinat remplacerait successivement le duc d'York par d'Orléans, d'Orléans par le triumvirat de Marat, Danton et Robespierre, et enfin ce triumvirat par Danton, régnant seul avec le titre de roi. Ce serait à n'y pas croire, si ces choses n'étaient attestées par un témoin qui rapporte ce qu'il a entendu de ses propres oreilles. Et quand Garat, à qui Salles faisait ainsi part de sa conviction, quand Garat, frappé de stupeur, lui demanda si beaucoup de ses amis les Girondins pensaient à cet égard comme lui, Salles répondit : Tous ou presque tous ![126]

Qu'après cela, Robespierre ait été conduit, sans le savoir, à murer son âme ; que la vie se soit comme glacée dans son cœur ; que son amour pour l'humanité ait acquis la rigidité de l'acier ; en un mot, qu'il soit devenu l'être abstrait de la Révolution, c'est assurément un des plus mélancoliques sujets de méditation que puisse fournir l'histoire.

Elle est bien claire à tirer, maintenant, la conclusion philosophique des débats qui viennent d'être retracés ; et quel jour elle jette, grand Dieu ! sur les tragédies qui vont suivre !

 

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Les historiens qui nous ont précédés et, plus particulièrement, notre illustre confrère M. Michelet, ont présenté les faits dont le tableau vient de passer sous les yeux du lecteur d'une manière si différente de la nôtre, qu'il nous est impossible de ne pas appeler sur cette différence le jugement éclairé du public. Nous allons donc suivre M. Michelet pas à pas, tout le long du chapitre VII, livre VIII, de son ouvrage.

Pages 458 et 459. Il n'est pas exact que la réélection de Pétion comme maire de Paris, le 15 octobre 1792, ait été un coup porté à la Commune et à ceux que notre auteur appelle les violents : les violents, au mois d'octobre 1792, furent les Girondins ; et il n'est pas exact que cette réélection ait été une protestation contre les massacres de septembre, en faveur de la modération et de la probité. D'abord, Pétion ne s'était pas opposé aux massacres de septembre, du moins en temps utile, bien que sa qualité de maire lui en imposât plus qu'à tout autre le devoir. Ensuite, s'il est vrai que sur 15,474 voix il en obtint 13,899, tandis que Danton n'en eut que 11 ; Marat, que 7 ; Panis, que 80 ; Manuel, que 29 ; Robespierre, que 23, il ne faut pas oublier, d'un autre côté, que le girondin Cahier de Gerville n'en eut que 42 ; le girondin Roland, que 22 ; le girondin Rabaud-Saint-Étienne, que 2 ; le girondin Vergniaud, que 9, et Cambon, qui alors votait habituellement avec la Gironde, que 12. (Voyez le bulletin des opérations de la Commune, dans l'Histoire parlementaire, t. XX, p. 59.) M. Michelet constate triomphalement que les candidats de la Commune, tous ensemble, n'eurent pas cinquante votes ; mais pourquoi ne dit-il pas qu'en dehors de Pétion, les candidats de la Gironde n'en eurent pas davantage ? La liste de répartition que nous donnons ici, et que M. Michelet a complètement supprimée, est significative : elle prouve que Pétion fut réélu, tout simplement parce qu'on ne lui opposa point de compétiteur, et parce qu'ayant été jusqu'alors le maire de la Révolution, on ne jugea pas qu'il eût rien fait pour mériter de perdre sa place.

Page 465 et 466. En rappelant, sans la citer, l'adresse des sections à l'Assemblée, touchant la garde départementale, M. Michelet assure que cette adresse eut cela d'énorme qu'elle contestait à l'Assemblée le droit de faire des lois. Comment ! c'était contester à l'Assemblée le droit de faire des lois, que de lui dire : On vous propose des décrets constitutionnels avant que la Constitution existe ! Attendez que la loi existe ; quand le peuple l'aura sanctionnée, il vous apprendra, par son exemple, à baisser le front devant elle ? A part la véhémence hautaine des expressions, quoi de plus naturel que ce langage ? Est-ce que la Convention n'avait pas elle-même décidé que la Constitution n'aurait force de loi qu'après avoir été sanctionnée par le peuple ? — Mais le décret relatif à l'institution d'une garde conventionnelle appelée à Paris du fond des départements n'était pas un décret constitutionnel. — Eh ! pourquoi donc n'aurait-il pas pu être considéré comme tel ? En était-il quelque autre qui fût de nature à avoir une plus formidable portée ? Le principe même d'une constitution à faire n'était-il pas mis en péril par le fait de cette espèce de garde prétorienne ? Et l'histoire n'avait-elle pas dit assez souvent avec quelle facilité ceux qui ont sous la main des baïonnettes déchirent les chartes ou s'en passent ?... L'adresse des quarante-huit sections n'était donc ni un acte de démence, ni un appel à l'insurrection, et encore moins un défi porté par quelques centaines d'hommes que Paris, d'une voix unanime, avait repoussés.

Page 470. La Convention frappa la Commune en décrétant qu'elle rendrait ses comptes sous trois jours. Déjà M. Michelet avait dit, chapitre IV et page 373, que les hommes de la Commune étaient sommés tous les jours de donner leurs comptes et ne pouvaient le faire ; que la Commune du 10 août semblait décidée à refuser ses comptes. L'assertion est absolument inexacte et le soupçon qu'elle implique injuste. Loin de s'opposer à la reddition des comptes, le Conseil général de la Commune en pressa l'apurement et provoqua par voie d'affiche les réclamations des citoyens lésés. (Voyez l'arrêté du 29 septembre 1792.) Et quant au Comité de surveillance lui-même, on a vu comment, sur 713.875 livres reçues, Panis justifia de l'emploi de 85.529 livres, production faite des quittances, et représenta l'argent qui n'avait pas eu de destination. (Nous renvoyons, à cet égard, le lecteur au t. XX de l'Histoire parlementaire, p. 61.)

Dans ce même chapitre IV, p. 373, M. Michelet signale avec beaucoup de raison la faute politique que commirent les Girondins en faisant descendre Danton, lui aussi, à l'humiliation de rendre ses comptes comme ministre de la justice, ce qu'on savait devoir le jeter dans l'embarras ; et, d'autre part, il était peu équitable de vouloir qu'il fit connaître toutes les sommes que le salut public, dans des circonstances exceptionnelles et au plus haut point difficiles, l'avait pu forcer à dépenser secrètement. Mais prendre texte de là pour couvrir d'une absolution, présentée sous forme d'apothéose, l'emploi des moyens, quelquefois très-équivoques, auxquels eut recours le génie peu scrupuleux de Danton, c'est vraiment aller trop loin. Par exemple, après avoir raconté comme quoi Danton poussa le médecin Latouche à trahir son malade de la Rouerie. — dans l'intérêt de la Révolution, bien entendu — M. Michelet s'écrie, p. 376 : Quels arguments employa-t-il près du médecin ? L'argent ? L'éloquence ? Probablement l'un et l'autre. Mais si La touche céda en partie à la magie dégradante de l'argent, d'où vient que M. Michelet le donne, à la page suivante, comme n'étant pas de la classe ordinaire des traîtres, comme étant patriote ? On n'est donc pas de la classe ordinaire des traîtres, quand, médecin, on trahit son malade, quand, ami, on trahit son ami, ... parce qu'on est patriote, mais aussi pour de l'argent ! En tout cas, il reste à décider si le génie de la liberté admet qu'on emprunte, pour la défendre, ce procédé, emprunté à la tyrannie : corrompre ! Je le nie.

Page 470. Il est bien extraordinaire que M. Michelet appelle la Montagne la faction des violents. Au mois d'octobre 1792, c'est-à-dire à une époque où la Gironde, prenant l'initiative de toutes les attaques, se plaisant à l'agression, frappant sur la Commune, sur le Comité de surveillance, sur Marat, sur Robespierre, fatiguant la tribune de ses haines personnelles, et appelant à Paris ceux qui criaient : Vive Roland ! à la guillotine Robespierre ! épuisa, on peut le dire, tous les genres de violence. Et, en présence de tout cela, quand les Rebecqui, les Barbaroux, les Louvet, ne parlaient que d'entasser dénonciations sur dénonciations, quelle fut l'attitude de la Montagne ? Quel défi la vit-on jeter à ses ardents adversaires, soit dans l'assemblée, soit dans les rues ? Marat, qu'au surplus elle désavouait, Marat lui-même se trouvait sur la défensive, lorsque, rendant provocation pour provocation et guerre pour guerre, il menaça ses ennemis d'une publication scandaleuse et alla droit à Roland. Rien de plus grave et de plus contenu, à cette époque, que le langage de Robespierre dans ses Lettres à ses commettants ; rien de plus conciliant que celui de Danton à la tribune ; et Saint-Just, oui Saint-Just, ne s'écriait-il pas, au club des Jacobins : Quel gouvernement, que celui qui plante l'arbre de la liberté sur l'échafaud ! (Journal du club des Jacobins, n° CCXC.) Et Manuel n'avait-il pas, ou l'audace, ou le courage, de reprocher publiquement au peuple de s'être montré, en septembre, aussi méchant qu'un roi ? (Ibid., séance du 5 novembre 1792.) Qu'il entrât un peu de politique en ceci, je le veux bien ; mais, franchement, était-ce là la politique de la violence ? Malheureusement, M. Michelet rejette dans l'ombre tous ces faits importants, de même qu'il supprime la plupart des circonstances par où éclata le furieux esprit de provocation qui s'était emparé de la Gironde. C'est ainsi que, dans le chapitre où il peint la lutte de Robespierre et de Louvet, il ne parle ni de l'acharnement que mit Barbaroux à reprendre le réquisitoire de Louvet, dès le lendemain même de la séance d'attaque ; ni de l'arrivée à Paris de cette troupe de privilégiés en armes appelés de Marseille par le même Barbaroux ; ni de leur adresse à la Convention, adresse si menaçante pour la Montagne ; ni de leurs factieuses promenades à travers tout Paris, la veille du jour où Robespierre devait prononcer sa défense ; ni des clameurs dont ils firent retentir les rues : A la guillotine Robespierre ! Vive Roland ! Regrettables omissions où se sent trop le désir de dérober au jugement de l'histoire des torts plus faciles à taire qu'à justifier !

Pages 471 et suivantes. Après cela, que, dans son attaque contre Robespierre, Louvet ait été moins l'homme de la Gironde prise en masse, que l'instrument choisi par les préventions et les rancunes des Roland, ceci est une assertion toute gratuite. Loin de faire bande à part dans le parti de la Gironde, les Roland étaient l'âme de ce parti ; et il n'y a pas un mot, dans les Mémoires de Louvet, qui puisse servir de fondement à l'hypothèse de M. Michelet. La seule chose dont Louvet se plaigne, c'est d'avoir vu Brissot, Vergniaud, Condorcet, Gensonné, professer, après le discours de Robespierre, l'opinion qu'un ordre du jour, s'il sauvait leur ennemi, le déshonorait assez complètement pour lui ôter à jamais toute influence. Sur quoi, Louvet s'écrie, dans son style de modéré : Comme si, devant cette faction sanguinaire, il s'agissait d'honneur ; comme si L'IMPUNITÉ PHYSIQUE ne devait pas l'enhardir à tous les forfaits ! (Voyez, dans la collection des Mémoires sur la Révolution française, ceux de Louvet, p. 54.)

Pages 481 et 482. Nous avons mis fidèlement sous les yeux des lecteurs une notable partie du discours fameux que Robespierre prononça le 5 novembre : M. Michelet, lui, n'a pas cité un seul passage de ce discours, qu'il qualifie d'humble et habile apologie. Quoi ! une humble apologie ! Et c'est tout ! Mais qu'on se rappelle donc cette harangue si pleine d'indignation contenue, d'urbanité hautaine, de générosité méprisante ; cette harangue où la trame serrée du style semble, de loin en loin, se déchirer tout à coup comme pour laisser passer les plus fiers élans de l'âme ! Ah ! pourquoi faut-il que M. Michelet n'ait pas cru devoir la faire connaitre à son public, cette humble apologie, ne fût-ce que pour mettre chacun en état d'en décider ? Mais non : il se contente d'y relever ce qu'il appelle deux mensonges, qui eussent perdu, ajoute-t-il, un homme moins appuyé du parti Jacobin, ce parti machiavélique dans son fanatisme, qui, tout comme le parti prêtre, passait la fourbe aux siens et ne les estimait que plus. Voilà certes une accusation bien grave dirigée contre les Jacobins d'une part, et, d'autre part, contre l'homme de leur choix. Voyons sur quoi cette accusation s'appuie.

Dans sa Robespierride, Louvet, avec plus d'artifice que de loyauté, s'était attaché à rendre son ennemi implicitement responsable de tous les excès reprochés au Comité de surveillance : Robespierre confondit son accusateur par la simple constatation de ce fait qu'il n'avait jamais eu la moindre relation avec le Comité de surveillance. Premier mensonge, s'écrie M. Michelet. Et la preuve ? — Oh ! elle est curieuse, et on ne la devinerait jamais ! La preuve, c'est que Panis était un des membres les plus influents du Comité de surveillance. Or M. Michelet nous assure que Panis ne bougeait de chez Robespierre ; que cent témoins le voyaient chaque matin venir prendre le mot d'ordre à la maison Duplay. Mais cette assiduité de Panis chez Robespierre, il faudrait au moins l'appuyer de quelque témoignage ; mais de ces cent témoins dont on nous parle, il faudrait au moins en désigner nominativement quelques-uns pour savoir s'ils sont dignes de foi ; mais il faudrait au moins citer quelque autorité qui donnât une valeur historique à la circonstance de ce prétendu mot d'ordre qu'on allait chercher à la maison Duplay. Rien de tout cela dans M. Michelet, nulle preuve, nulle indication de source : pour démontrer que Robespierre a menti en prétendant qu'il n'allait pas au Comité de surveillance, il suffit à M. Michelet de noter qu'un autre y allait ! Mais si Panis, au Comité de surveillance, avait été effectivement l'homme de Robespierre, comment expliquer qu'il y eût introduit Marat. Marat, que Robespierre n'aimait point ; Marat, dont il désapprouvait les fureurs, et qui, à son tour, blâmait comme indigne des hautes vues de l'homme d'État la modération de Robespierre ? Était-ce d'aventure, par suite du mot d'ordre donné à la maison Duplay, que Marat était devenu membre du Comité de surveillance, et membre tout-puissant ? Robespierre n'aurait donc usé de son influence décisive sur Panis que pour la faire tourner au profit de Marat ? Tout cela ne soutient pas un moment l'examen. Non, Robespierre ne descendit pas à cette lâcheté : trahir la vérité, lorsque, si solennellement, il nia sa participation aux actes du Comité de surveillance ; et, à cet égard, son prétendu mensonge n'est qu'une erreur de M. Michelet.

Robespierre ne trahit pas davantage la vérité, lorsqu'avec toute l'énergie d'un cœur indigné, il s'éleva contre la supposition qu'il eût voulu compromettre la sûreté de quelques députés en les dénonçant durant les exécutions de septembre. Cependant, dit M. Michelet, le procès-verbal de la Commune constate que, le 1er septembre et le 2, durant les exécutions, Robespierre était à la Commune, et qu'il y dénonçait. Quoi ! M. Michelet applique au 1er septembre le mot durant les exécutions ? Eh ! qui ne sait qu'elles commencèrent le lendemain seulement, dans la soirée ? Le 1er septembre, il n'y eut pas une goutte de sang versé ; et certes on n'est pas même en droit d'appeler ce jour le jour des préparatifs, à moins qu'on n'adopte ce système de la préméditation des massacres, que je me flatte d'avoir renversé sans retour. (Voyez plus haut la note qui suit le tableau des journées de septembre.) Il est vrai que Robespierre se trouvait à la Commune le 2 septembre. Mais il faut remarquer que la nouvelle des premiers égorgements n'y arriva que tard, dans la séance du soir ; que ce fut après les discours de Billaud-Varenne et de Robespierre, sur la conspiration de Brunswick, et seulement après, que Manuel vint rendre compte à la Commune du spectacle douloureux qu'il avait eu sous les yeux à l'Abbaye ; et qu'à partir de ce moment, Robespierre s'efface. (Voyez le procès-verbal de la Commune.) Si réellement il eût voulu livrer ses ennemis aux poignards en les dénonçant durant les exécutions, aurait-il gardé le silence le 5 ? L'aurait-il gardé le 4 ? L'aurait-il gardé le 5 ? Se serait-il abstenu juste au moment où le délire populaire, excité au plus haut point, pouvait tout promettre à ses vengeances ? La véhémence, manifestement sincère, que Robespierre, dans son discours, mit à repousser, sur ce point, les insinuations de Louvet, insinuations qu'il ne craint pas d'appeler infâmes, montre assez que sa conscience n'avait pas à lui reprocher de les avoir encourues. Cette dénonciation du complot de Brunswick, M. Michelet en a, fait un couteau qu'il ne cesse de tourner et de retourner dans les flancs de Robespierre : d'où vient donc qu'il passe sous silence les efforts, bien autrement réels, bien autrement incontestables, que les Girondins firent pour désigner Robespierre à des haines homicides ? D'où vient que M. Michelet ne souffle mot de l'appel adressé par Louvet, du haut de la tribune, aux adversaires de la dictature, admirateurs de Brutus : provocation au meurtre si évidente, surtout au moment où ceux de Marseille arrivaient, que le journal de Prudhomme en fit amèrement la remarque ? D'où vient que M. Michelet ne parle pas de l'étrange regret qu'éprouva Louvet qu'on eût accordé à son ennemi l'impunité physique ? D'où vient enfin que ces cris de : à la guillotine Robespierre ! poussés dans les rues par les Marseillais de Barbaroux, n'ont pas trouvé place dans le livre de M. Michelet ? Comment ! Toujours deux poids et deux mesures !

Page 482. Pour rabaisser autant que possible le triomphe de Robespierre, M. Michelet dit de Barère : Il lança à Robespierre un humiliant coup de pied qui le sauva néanmoins et le mit d'aplomb. Et M. Michelet ne prend pas garde qu'avant que Barère l'eût lancé, ce coup de pied, suivant lui, sauveur, Robespierre était descendu de la tribune au milieu de nombreux applaudissements ; que sa harangue avait produit un effet prodigieux, si prodigieux, que l'Assemblée, presque à l'unanimité, en décréta l'impression ; que Louvet, décidément écrasé, ne put parvenir à se faire entendre ; que Barbaroux, hors de lui, descendit à la barre pour se faire écouter comme simple individu, et ne put rien obtenir, etc., etc. (Voyez l'Histoire parlementaire, t. XX, p. 210 et 220.) Robespierre n'avait donc nul besoin d'être sauvé par Barère ; et si celui-ci intervint, ce fut non. pour sauver l'accusé et le mettre d'aplomb, mais, tout au contraire, pour empêcher sa victoire de briller d'un trop vif éclat : inspiration envieuse dont, le soir même, il eut la bassesse de s'excuser aux Jacobins, en termes aussi louches que timides.

Je m'arrête ici. La conclusion des faits discutés dans cette note, je l'ai déjà tirée. Ah ! il n'est que trop vrai : en ce funeste mois d'octobre 1792, la Gironde, par ses violences, creusa le tombeau de la République..., et le sien !

 

Robespierre jugé par Merlin (de Thionville). — En écrivant la vie de Merlin (de Thionville), M. Jean Reynaud a obéi à des sentiments personnels d'affection et de gratitude dont nul plus que moi ne respecte la source, mais qui ne sont pas toujours, je le crains, des guides sûrs en matière de critique historique.

C'est ainsi qu'il dit : On a fait de Merlin un pamphlétaire. L'écrit contre Robespierre, dont nous avons déjà parlé, forme la base de cette accusation. M. Louis Blanc, en le mentionnant, emploie le mot de libelle, peut-être encore plus vif que celui de pamphlet. Parlant' des transformations de la physionomie de Robespierre, ce changement, dit-il, est noté en termes haineux dans un libelle que publia Merlin (de Thionville), devenu son adversaire. Des termes haineux contre Robespierre ! En fait, cette brochure est une des meilleures productions littéraires de la Révolution. En la comparant aux écrits politiques de la même époque, on ne peut qu'être frappé de sa retenue, et, vu le personnage à qui elle s'applique, sa modération est manifeste.

Qu'il me suffise de dire que dans cette brochure modérée, Robespierre est comparé à un chat-tigre ; qu'il y est représenté comme n'ayant jamais ressenti que l'envie, la haine, la vengeance. Et encore ces passions, suivant l'auteur, manquèrent-elles du ressort du courage. — S'il n'eût péri des crimes que l'envie a contribué à lui faire commettre, il serait mort de l'envie même. — Tout homme instruit s'indigne contre l'indignation publique quand il entend les dénominations qu'elle donne à Robespierre ; il n'en est pas une qui ne soit une faveur. — Robespierre ne fut pas même un Néron, quoique Néron soit mort en lâche. Tout le reste est sur ce ton. A entendre Merlin (de Thionville) Robespierre aurait été, non-seulement un monstre, mais un idiot. Il est vrai que Robespierre avait été injuste envers Merlin (de Thionville), en le soupçonnant d'avoir livré Mayence ; mais il faut que la vengeance aveugle étrangement les hommes, pour leur dicter des choses de ce genre, et il est certes permis, — j'en demande pardon à M. Jean Reynaud, — de mettre en doute la valeur littéraire de pareilles diatribes. Mais que dire de la retenue et de la modération qui caractérisent cette brochure que M. Jean Reynaud s'étonne de voir qualifier de libelle et de pamphlet ? Le lecteur jugera. Je dois cependant faire remarquer qu'elle fut publiée en octobre 1794, trois mois après le 9 thermidor. Le 9 thermidor, à sept heures du soir, Merlin (de Thionville) avait constaté lui-même en ces termes le silence gardé par lui dans la séance du matin, c'est-à-dire alors que Robespierre vivait et qu'il y avait péril à l'affronter : N'ayant pris la parole ni pour ni contre, dans la discussion qui a eu lieu ce matin, je ne suis pas suspect dans ce jour. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 60.)

Ajoutons que, d'après l'affirmation du fils de Rœderer, Merlin n'aurait été que le signataire de ce portrait de Robespierre, dont la paternité reviendrait de droit à Rœderer. Voyez Ernest Hamel, Histoire de Robespierre, t. I, p. 38, note 1 ; et p. 86, note 1. Paris, 1865.

 

 

 



[1] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 142-143 et 150. — Édition P. Faugère.

[2] Histoire parlementaire, t. XX, p. 59.

[3] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[4] Journal des Jacobins, n° 281. — Séance du 24 septembre 1792.

[5] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[6] Voyez la lettre dans laquelle il décline l'honneur qui lui est fait, t. XX, p. 59 de l'Histoire parlementaire.

[7] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. II, p. 107.

[8] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. II, p. 107.

[9] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. II, p. 107.

[10] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. II, p. 108 et 109.

[11] Journal des Jacobins, n° 271.

[12] Journal des Jacobins, n° 271, séance du 12 Octobre 1792.

[13] Voyez la critique du mot citoyen, par Roland, dans les Mémoires de madame Roland, t. II, lettre K des Éclaircissements historiques. — Édit. Berville et Barrière.

[14] Patriote français, n° 1540.

[15] Mémoires de Garat, p. 332 de l'Histoire parlementaire, t. XVIII.

[16] Journal des Jacobins, séance du 12 octobre 1792.

[17] Voyez ce que dit à ce sujet René Levasseur, dans ses Mémoires, t. I, chap. II, p. 108.

[18] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[19] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 192.

[20] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 192.

[21] Le rapprochement des dates, en histoire, est très-souvent d'une importance capitale, et c'est ce que ne paraissent pas avoir toujours bien compris, à en juger par la méthode de classement qu'ils ont adoptée, les auteurs de l'énorme et laborieuse compilation intitulée Histoire parlementaire de la Révolution française. Ex. : dans le tome XIX, les arrêtés du Conseil général relatifs à la reddition des comptes sont mentionnés à la page 192, quoiqu'ils aient eu lieu le 29 septembre, tandis que le discours de Barbaroux, qui est du lendemain, se trouve cité à la page 159. Et notez qu'entre ces deux faits, si intéressants à rapprocher, les auteurs, intercalent un long tableau des opérations militaires.

[22] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 160.

[23] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 160.

[24] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 157.

[25] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 160.

[26] Voyez son discours dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 194.

[27] Voyez les détails de cette séance et le texte du décret qu'elle amena, dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 193-203.

[28] Rapport de Valazé, dans la séance du 4 octobre 1792.

[29] Voyez l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 210-220.

[30] Voyez ce discours, in extenso, dans le t. XIX de l'Histoire parlementaire, p. 220-223.

[31] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 220-223.

[32] Bulletin des opérations de la Commune. Voyez le t. XX de l'Histoire parlementaire, p. 61.

[33] Voyez ce rapport reproduit en entier dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 204-209.

[34] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 255.

[35] Lettres de Robespierre à ses commettants.

[36] Journal des Jacobins, séance du 8 octobre 1792.

[37] Voyez la séance du 16 octobre 1792, dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 320-325.

[38] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 350.

[39] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 351.

[40] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 352.

[41] Révolutions de Paris, n° 172.

[42] Révolutions de Paris, n° 172.

[43] Révolutions de Paris, n° 172.

[44] Gouvernement de Pologne, chap. VIII.

[45] Révolutions de Paris, n° 171.

[46] Voyez cette harangue reproduite en entier dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 356-361.

[47] Histoire parlementaire, passim.

[48] Club des jacobins, séance du 12 octobre 1792.

[49] Adresse des fédérés marseillais, lue dans la séance de la Convention du 21 octobre 1792.

[50] Révolutions de Paris, n° 172.

[51] Révolutions de Paris, n° 172.

[52] Procès-verbal du 24 octobre 1792, présenté à l'Assemblée au nom du bataillon de Marseillais.

[53] Journal de la République, n° 15.

[54] M. Esquiros, dans son Histoire des Montagnards, t. II, p. 205-208, donne ce fait comme le tenant de la sœur de Marat.

[55] Séance de la Convention du 24 octobre 1792.

[56] Séance de la Convention du 24 octobre 1792.

[57] Séance du 18 octobre 1792.

[58] Séance du 18 octobre 1792.

[59] Voyez la Biographie universelle, au mot LOUVET.

[60] Discours de Robespierre, séance du 5 novembre 1792.

[61] Lettres de Robespierre à ses commettants, n° 1.

[62] Mémoires de Louvet, p. 52. — Collection des Mémoires sur la Révolution française.

[63] Lettre adressée par le citoyen Marcandier au citoyen Durail. — Voyez Histoire parlementaire, t. XX, p. 121, note 1.

[64] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 412-420.

[65] Voyez le portrait qu'a tracé de Louvet madame Roland dans ses Mémoires, t. I, p. 157. Édition P. Faugère.

[66] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 436.

[67] Ibid. — Voyez la conclusion du discours de Louvet.

[68] Voyez le texte de son discours dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, depuis la page 422 jusqu'à la page 436.

[69] Mémoires de madame Roland, t. I, p. 157. Édition P. Faugère.

[70] Voyez, dans l'Histoire parlementaire, t. XX, la note de la page 216.

[71] Nous avons déjà discuté ce point. Nous y reviendrons dans la note placée à la suite de ce chapitre.

[72] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 428 et 429.

[73] Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, dans les Œuvres de Maximilien Robespierre, publiées par Laponneraye, t. II, p. 414.

[74] Ce passage, tout romain, n'est pourtant, aux termes de la loi Buzote, qu'une provocation au meurtre, firent observer les Révolutions de Paris, n° 173.

[75] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 430.

[76] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 436.

[77] Louvet, dans ses Mémoires, p. 52, se donne le ridicule de qualifier en ces termes la demande d'un délai adressée par Robespierre à l'Assemblée : Le lâche crut sa dernière heure arrivée ; il vint à la tribune me demander grâce.

[78] Robespierre jeune dénonce ce fait, dans le club des Jacobins, séance du 4 novembre 1792.

[79] Voyez la séance du 30 octobre 1792, dans l'Histoire parlementaire, t. XIX, p. 453.

[80] Histoire parlementaire, t. XIX, p. 461.

[81] Séance du 30 octobre 1792.

[82] La Sentinelle, n° 66.

[83] Lettre de Pache, ministre de la guerre, en date du 1er novembre 1792.

[84] Voyez les détails relatifs à la faillite de la Maison de Secours, dans les séances de la Convention des 18, 19 et 26 octobre 1792.

[85] Histoire parlementaire, t. XX, p. 53.

[86] Révolutions de Paris, n° 174.

[87] Histoire parlementaire, t. XX, p. 53 et 54.

[88] Patriote français du 30 octobre. — Le décret de la Commune est du 29.

[89] Journal du Club, n° 290.

[90] Journal du Club, n° 290.

[91] Journal du Club, n° 290.

[92] Révolutions de Paris, n° 174

[93] Histoire parlementaire, t. XX, p. 198.

[94] Histoire parlementaire, t. XX, p. 198.

[95] Histoire parlementaire, t. XX, p. 198 et 199.

[96] Telles étaient effectivement les expressions dont Marat s'était servi en rendant compte de cette visite dans son journal.

[97] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[98] Voyez l'Histoire parlementaire, p. 204, 212.

[99] Louvet s'en plaint dans ses Mémoires. Voyez p. 54.

[100] Histoire parlementaire, t. XX, p. 217, 219.

[101] Voyez le compte rendu de la séance, Histoire parlementaire, t. XX, p. 219.

[102] Histoire parlementaire, t. XX, p. 220, 223.

[103] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. I, p. 82.

[104] Mémoires de René Levasseur, t. I, chap. I, p. 82.

[105] Voyez la note placée à la suite de ce chapitre.

[106] Histoire parlementaire, t. XX, p. 221, 223.

[107] Histoire parlementaire, t. XX, p. 224.

[108] Mémoires de Louvet, p. 54.

[109] M. Esquiros, dans son Histoire des Montagnards, donne ce fait comme lui ayant été communiqué par M. David d'Angers. Voyez le t. II, p. 222.

[110] Club des Jacobins, séance du 5 novembre 1792.

[111] Histoire parlementaire, t. XX, p. 234.

[112] Histoire parlementaire, t. XX, p. 236.

[113] Discours de Pétion sur l'accusation intentée à Robespierre, Voyez t. XXI de l'Histoire parlementaire, p. 99.

[114] Voyez t. XXI de l'Histoire parlementaire, p. 110.

[115] Voyez cette réponse, reproduite in extenso, dans les Œuvres de Maximilien Robespierre, publiées par Laponneraye, t. II, p. 289.

[116] Œuvres de Maximilien Robespierre, publiées par Laponneraye, t. II, p. 322.

[117] Œuvres de Maximilien Robespierre, publiées par Laponneraye, t. II, p. 322-323.

[118] Voyez les Mémoires de Garat, réimprimés dans l'Histoire parlementaire, t. XVIII, à la page 344.

[119] Voyez les paroles de madame Lebas, citées dans l'Histoire de Robespierre de M. Ernest Hamel, t. II, p. 537.

[120] Voyez ce qu'elle dit à cet égard dans ses Mémoires sur ses deux frères, t. II, p. 422 des Œuvres de Maximilien Robespierre, publiées par Laponneraye.

[121] Mémoires de Charlotte Robespierre, t. II, p. 422 des Œuvres de Maximilien Robespierre.

[122] Mémoires de Charlotte Robespierre, t. II, p. 422 des Œuvres de Maximilien Robespierre.

[123] Mémoires de Charlotte Robespierre, t. II, p. 423 des Œuvres de Maximilien Robespierre.

[124] Ce changement est noté, en termes haineux, dans un libelle que publia, contre Robespierre, Merlin (de Thionville), devenu son adversaire. Voyez Bibliothèque historique de la Révolution : ROBESPIERRE. British Museum. — Voyez la note critique placée à la fin de ce chapitre.

[125] Voyez la conversation entre Robespierre et Garat, rapportée par ce dernier dans ses Mémoires, t. XVIII, p. 338 de l'Histoire parlementaire.

[126] Conversation entre Salles et Garat. — Histoire parlementaire, t. XVIII, p. 342.